INNOVER ENTRETIEN MÉTROPOLES Du casque connecté purificateur d’air à la voiture « transparente ». TOUR DU MONDE P. 16-17 « On ne pouvait pas faire Ariane 6 sans les Allemands », estime la ministre Geneviève Fioraso. P. 18-19 Pékin, ou le rêve d’une ville étouffée par la pollution de se muer en « smart city ». P. 20 DU VENDREDI 28 NOVEMBRE AU JEUDI 4 DÉCEMBRE 2014 - NO 110 - 3 € Ves TROPHÉES LA TRIBUNE WOMEN’S AWARDS (LTWA) Notre dossier spécial : 40 portraits de femmes dirigeantes. À l’occasion de la remise de nos LTWA, les parcours d’exception de 40 femmes, dont certaines s’approchent des commandes Pages 31 à 46 du CAC 40… ENTREPRISES RÉFORMES : LE « PACTE KESSLER » À la veille de la semaine de manifestations des entrepreneurs, Denis Kessler plaide pour une refondation de leurs relations avec l’État. P. 12 L’urgence de coproduire Transformer de très belles PME en ETI florissantes, c’est l’objectif du maire de Marseille, Jean-Claude P. 23-26 Gaudin. INNOVER LE LEVIER DU BREVET Selon Yves Lapierre, DG de l’INPI, « le brevet est un levier stratégique de croissance ». P. 16-17 PORTRAIT RICHARD OLLIER > TUNISIE Ouided Bouchamaoui, la « patronne des patrons » tunisiens, fait le tour d’horizon des réformes économiques nécessaires pour relancer son pays. Un entretien exclusif. P. 7 > ALGÉRIE « L’usine Renault d’Oran est l’amorce d’une filière automobile algérienne. » Un entretien exclusif avec Guillaume Josselin, DG de Renault Algérie. P. 9 Il vient d’engranger 1,4 M$ de précommandes pour sa caméra à 360o. P. 28 > MAROC Le royaume émergent à l’avant-garde de l’EurAfrique. P. 10 NOTRE DOSSIER, PAGES 4 à 11 Une ouvrière travaillant dans l’usine Renault d’Oran (Algérie), inaugurée le 10 novembre 2014. © REUTERS/LOUAFI LARBI L 15174 - 110 - F: 3,00 € « LA TRIBUNE S’ENGAGE AVEC ECOFOLIO POUR LE RECYCLAGE DES PAPIERS. AVEC VOTRE GESTE DE TRI, VOTRE JOURNAL A PLUSIEURS VIES. » MÉTROPOLES AIX-MARSEILLE, TERRE D’AVENIR POUR LES ETI Europe-Maghreb Maquette annonce256X363gauche.pdf C 2 24/11/2014 09:24 « PLUS QU’UN LANGAGE COMMUN, C’EST LA PASSION D’ENTREPRENDRE ET L’EXPÉRIENCE CONCRÈTE DU DÉVELOPPEMENT D’UNE PME QUE JE PARTAGE AU QUOTIDIEN AVEC LES CHEFS D’ENTREPRISE : VOUS AUSSI, DONNEZ-VOUS LES MOYENS DE POURSUIVRE VOTRE CROISSANCE. » M J CM ENCOURAGER L’INNOVATION, SOUTENIR L’ESPRIT D’ENTREPRISE, FAVORISER L’AUDACE. Chaque année, David et les 30 collaborateurs de Midi Capital investissent dans des PME françaises, aux côtés des entrepreneurs, pour accélérer leur croissance et en faire les leaders de demain. MJ CJ CMJ MIDI CAPITAL - Société de Gestion de Portefeuilles N° d’Agrément AMF : GP 02-028 – SAS au capital de 500000 € - N°Siren : 443003504 Siège social : 42 rue du Languedoc - BP 90 112 – 31001 Toulouse cedex 6 – Tél. : 05 34 32 09 65. / Crédit photo : Damien Warcollier N David Domingues est diplômé de Télécom ParisTech mais avant tout serial entrepreneur passionné par les nouvelles technologies. Il est aujourd’hui manager chez Midi Capital. www.midicapital.com I 3 LA TRIBUNE - VENDREDI 28 NOVEMBRE 2014 - NO 110 - WWW.LATRIBUNE.FR SIGNAUX FAIBLES ÉDITORIAL Ce génie de Juncker PAR PHILIPPE CAHEN PROSPECTIVISTE DR Médecine : du signal faible au signal cher L’ouvrage le plus récent de Philippe Cahen : Les Secrets de la prospective par les signaux faibles, Éditions Kawa, 2013. PAR PHILIPPE MABILLE DR @phmabille Europe est donc en train d’accoucher de sa relance par l’investissement. Passons sur le caractère incompréhensible du dispositif annoncé mercredi par le président de la Commission européenne, le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker, qui donne l’impression de tout faire, justement, pour que personne ne le comprenne. C’est le mauvais génie de l’Europe que de s’évertuer à construire des programmes technocratiques dessinés par des experts anonymes du volapük financier. Ainsi donc, en mobilisant 5 milliards d’euros de « vrai » argent, via la Banque européenne d’investissement, plus 16 milliards d’euros de garanties des États membres à un nouveau fonds (dont seulement 8 réels gagés sur le budget), le FEIS (Fonds européen pour les investissements stratégiques), on met sur la table 21 milliards qui deviendront, par la magie d’un effet de levier de 15, voire même de 24 fois la mise, 315 milliards d’euros. Vous n’avez rien compris ? C’est normal. C’est le principe dit de la « multiplication des pains » qui montre qu’en matière de finance, au moins, l’Europe assume ses racines chrétiennes. Europe, « où est ta vigueur ? », a d’ailleurs opportunément lancé le pape François devant le Parlement européen mardi 25 novembre. Façon de dire : Europe, arrête ta rigueur ! Pour l’évêque de Rome, l’Europe donne « une impression générale de fatigue et de vieillissement », une « Europe grand-mère et non plus féconde et vivante ». Comment ne pas être d’accord avec ce pape argentin qui veut réveiller ainsi les consciences. Le plan Juncker ne serait donc que de la poudre de perlimpinpin, un remède prétendument miraculeux, mais totalement inefficace ? C’est sans doute trop sévère. Il a un mérite, celui de baptiser la nouvelle Commission issue des élections européennes du printemps sur de meilleures fondations que la précédente, la Commission Barroso, qui n’a rien fait, ou si peu. Exemple, son plan de 6 milliards pour l’emploi des jeunes, qui n’a été dépensé qu’à hauteur du quart, avec la réussite que l’on sait… 315 milliards d’euros sont donc toujours bons à prendre, s’ils ne se perdent pas dans les limbes de l’enlisement. Certes, cela ne représente qu’un peu plus de 1,5 % du PIB de l’Union européenne, sur trois ans qui plus est, à partager en théorie entre 27 pays. Mais c’est aussi un signal adressé à l’opinion et aux entreprises : investissez ! À bien y regarder, l’effet de levier envisagé par la Commission n’est d’ailleurs pas si fou qu’il en a l’air, tant l’Europe a accumulé un criant retard d’investissement. Celui-ci est évalué par la Commission à 370 milliards d’euros depuis 2007. Pour garder le même niveau d’investissement que les États-Unis, dont la croissance redécolle, il aurait même fallu mettre sur la table 540 milliards d’euros en 2012 et 2013. Deuxième raison de garder espoir dans la réussite du plan Juncker : le niveau des taux BALISES 7,1 % BONNE SURPRISE AUX ÉTATS-UNIS ! Le PIB a augmenté de 3,9 % au troisième trimestre et la consommation de 2,2 %. Mais c’est surtout l’investissement qui marque la plus grande accélération, à 5,1 % au troisième trimestre. Les investissements des entreprises flambent aussi, à + 7,1 %. Et si on envoyait Jean-Claude Juncker faire un stage en Amérique ? d’intérêt, au plus bas, constitue une forte incitation à investir, pour autant que les banques prêtent, car cette situation historique ne saurait durer éternellement. Dans ses rêves les plus fous, le président de la Commission voit « des enfants dans une école à Thessalonique travaillant sur des ordinateurs flambant neufs » ou « un Français rechargeant sa voiture électrique sur l’autoroute » (sic). Mais, pour paraphraser le célèbre général, il ne suffit pas de crier « investir, investir, investir » en « sautant sur sa chaise comme un cabri » pour que cela marche. Bruxelles veut cibler les infrastructures stratégiques, comme le numérique, l’énergie, mais aussi les transports, l’éducation, la recherche et l’innovation, et réserver 75 milliards d’euros pour les PME. Dont acte. Mais une fois cela dit, ce sera bien au secteur privé de choisir où et combien, en fonction de paramètres de rentabilité qui ne se gouvernent pas par décret de Bruxelles. L’espoir que l’on peut formuler serait que ces 315 milliards d’euros financent le long terme, à l’image du programme des investissements d’avenir en France (PIA). Soit. Mais alors évitons l’illusion qui verrait ce plan avoir des effets à court terme autres qu’un surcroît de confiance. Or, le danger, pour l’Europe, est immédiat. Nous voilà donc ramenés au problème précédent, comme disent les polytechniciens. Que faire pour réveiller le mort sans attendre les effets hypothétiques d’un plan qui n’est pour l’heure que virtuel ? ■ PLUS D’INFORMATIONS SUR LATRIBUNE.FR 315 1,5 3 MILLIARDS D’EUROS ! Le plan d’investissement européen de Juncker mise sur l’inflation ! En réalité, l’apport public sera bien plus modeste : 16 milliards issus du budget européen et 5 milliards de garanties de la BEI. Soit 21 milliards d’euros. Mais la finance, c’est magique : la Commission escompte un effet de levier de 15 via les investissements privés ! DANS LE GENRE « nationalisation des pertes et privatisation des profits », Bercy frappe très fort. Le ministère vient de lancer le fonds de soutien pour sauver les collectivités locales ayant souscrit des « emprunts toxiques ». Il permettra d’accorder jusqu’à 1,5 milliard d’euros d’aides, supportées à 60 % par les banques. SELON L’ÉTUDE « Global Talent in Global Cities » réalisée par EY et Paris Île-de-France capitale économique, Paris est la 3e métropole la plus attractive pour les étudiants et les créatifs, sur 44 métropoles. Derrière Londres et Singapour, mais devant New York. Paris apparaît aussi au 5e rang pour les dirigeants internationaux, et au 6e pour les entrepreneurs. L’HISTOIRE © ADREES LATIF / REUTERS Or, la télémédecine devrait faire économiser de l’argent. Le rapport Lemoine remis en novembre propose une quinzaine de mesures pour la transformation numérique de la santé, comme le parcours 100 % numérique : rendez-vous, ordonnance, paiement, résultats d’analyses. Eh oui ! ce n’est pas encore le cas… Selon le rapport, en France, entre 925 euros et 12 035 euros par patient et par an pourraient être économisés par le seul déploiement de la télémédecine sur le diabète, l’insuffisance cardiaque, l’insuffisance rénale et l’hypertension artérielle. Le cabinet Jalma a rendu en novembre une étude concluant que « le vrai problème de l’accès aux soins, ce ne sont pas les dépassements d’honoraires mais le temps d’attente ». En deux ans, les délais d’attente pour un rendez-vous se sont allongés de manière significative chez les spécialistes comme chez les généralistes. Or l’allongement des délais coûte cher, le patient va aux urgences de l’hôpital et consulte pour plusieurs centaines d’euros contre quelques dizaines chez le médecin de ville. Dès lors, on comprend que le signal faible de 2009 devient un signal cher en 2014. Et ce n’est pas fini ! En septembre, les projections de la CARMF ont confirmé que l’embellie serait pour 2025. En attendant, les médecins cherchent à améliorer leurs revenus, dont la consultation de base est faible, en se spécialisant dans une médecine plus lucrative, tandis qu’un quart des nouveaux médecins viennent de l’étranger et que les médecins retraités actifs sont passés de 2 750 en 2007 à près de 13 000 en 2014. Il paraît que Marisol Touraine va améliorer tout cela en généralisant le tiers payant. Signal fort ! L ’ @SignauxFaibles Dans La Tribune du 10 janvier, je rappelais mon signal faible de 2009 : il ne faudra pas être malade en France entre 2015 et 2025. Je détaillais trois erreurs essentielles de la DREES (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) du ministère de la Santé : sous-estimation de la féminisation, du salariat et des nouvelles pratiques des jeunes médecins se regroupant. Il faut 9 000 à 10 000 nouveaux médecins par an, et non 7 400. En janvier, j’émettais l’hypothèse d’un paradoxe fort : l’opportunité unique de développement de la télémédecine. La télémédecine réussit ponctuellement — à Troyes autour du centre hospitalier, dans le Var avec une cabine de télédiagnostic — et la France a été initiatrice de cette révolution en 2010. Mais elle l’étouffe par la réglementation, dont les ARS sont le bras armé, dans une logique prénumérique. Il paraît que la télémédecine prend son envol, on espérerait plutôt qu’elle vole. TENDANCES L’INTERNET DES VULNÉRABILITÉS. C’est ainsi que les experts de la cybersécurité surnomment l’Internet des objets, vaste galaxie regroupant aussi bien les bracelets traqueurs de données cardiaques que les lunettes intelligentes ou les stations météo personnelles (comme celle du français Netamo). D’après une étude ABI Research publiée en février 2013, le nombre d’objets connectés vestimentaires (soit seulement les montres, chaussures, etc.) devrait atteindre quelque 485 millions d’ici à 2018. Point fort de l’Internet des objets, puisqu’il permet d’utiliser des logiciels libres et ouverts à tous, garantissant de multiples usages, le code source ouvert est aussi son maillon faible. D’après un rapport de Symantec paru en juillet, près de 20 % de ces objets connectés communiquent en clair (sans cryptage) les données générées par leurs utilisateurs (noms, courriels et… mots de passe). Il existe même un « Google de la vulnérabilité des objets », alerte Laurent Heslault, directeur des stratégies de sécurité chez Symantec. Le moteur de recherche Shodan permet de chercher des appareils connectés selon la ville, les coordonnées géographiques, le système d’exploitation et même l’IP de son utilisateur. L’UE devrait adopter d’ici à la fin de l’année 2014 de nouvelles règles en matière de protection des données personnelles. 4 I L’ÉVÉNEMENT LA TRIBUNE - VENDREDI 28 NOVEMBRE 2014 - NO 110 - WWW.LATRIBUNE.FR EUROMED L’Europe et le Maghreb dans l’urgence de la coproduction LES FAITS. Sur la rive nord de la Méditerranée, une croissance atone ou négative fait rêver à celles des pays du Maghreb, qui se situent à 3-4 %. Mais, au Nord comme au Sud, le chômage persiste, et atteint des niveaux dramatiquement inégalés parmi les jeunes de 15 à 24 ans. Au risque d’une dislocation sociale. LES ENJEUX. La coproduction industrielle entre les deux rives de la Méditerranée apparaît comme l’une des voies d’un partenariat renouvelé. Elle permettrait de (re)gagner en compétitivité et parts de marché. Maghreb et Europe du Sud face aux mêmes défis du chômage élevé et d'une croissance insuffisante France Espagne Italie Algérie Maroc Tunisie 3,8 % PIB 2013, en milliards de dollars 2,8 % 1,6 % Taux de croissance, France 2 807 prévisions 2014 (7/2014) 0,4 % (7/2014) 0 24,2 % (8/2014) 2 072 Espagne 1 359 53,7 % (8/2014) 43,8 % 24,4 % (9/2014) Taux de chômage des 15-24 ans @AlfredMignot L’édition spéciale de La Tribune, entièrement consacrée à la Méditerranée (n° 56, été 2013) est téléchargeable sur notre site, LaTribune.fr. B l’économiste et entrepreneur tunisien Radhi Meddeb, s’efforcent au fil des colloques et autres forums, d’une rive à l’autre de la Méditerranée, de promouvoir auprès des décideurs économiques et politiques cette thématique qui se heurte encore à bien des blocages, malgré son importance stratégique. Dans le continuum de cet engagement, La coproduction en Méditerranée - Illustrations et recommandations est la toute dernière étude sur ce thème, publiée par l’Ipemed en cette fin novembre. Réalisée par le géographe-économiste Maxime Weigert, elle a pour premier mérite de rappeler les fondamentaux de ce processus et de nous donner à connaître plusieurs exemples euro-maghrébins de réussite. Le concept de la coproduction est simple, il s’articule en quatre volets : abandonner l’approche éculée qui consiste à considérer les entreprises du Sud comme de simples soustraitants ; les faire monter en gamme en partageant les savoir-faire et la chaîne de valeur entre entreprises partenaires du Nord et celles du Sud ; (re)devenir compétitifs ensemble sur le marché mondial et y (re)conquérir des parts de marché. Avec en toile de fond la création d’emplois, au nord 37,6 % (9/2014) Maroc 228 10,8 % 9,1 % 0 47 ien sûr, l’inauguration de l’usine Renault d’Oran, en Algérie (lire pages 8 et 9), le 10 novembre dernier, a provoqué des commentaires critiques dans une certaine partie de la classe politique française, accrochée à des concepts obsolètes et qui confond sciemment coproduction et délocalisation. Une approche d’autant plus archaïque, en tout cas pour un certain nombre de secteurs, que la preuve de la pertinence du concept de coproduction est faite depuis… cinquante ans et plus. En Asie par le Japon qui, dès les années 1960, a amorcé la coproducrion avec la Corée du Sud, Taïwan, Hong Kong et Singapour – un processus qui, en vingt ans, a abouti au décollage économique des quatre « dragons asiatiques » ; en Europe par l’Allemagne avec les pays d’Europe centrale et orientale (Peco) ; au Maghreb par bon nombre d’entreprises européennes, allemandes, italiennes et plusieurs… françaises. Depuis des années, Jean-Louis Guigou, délégué général fondateur de l’Institut de prospective économique du monde méditerranéen (Ipemed, Paris) et son président, (8/2014) (6/2014) Tunisie Algérie 15,3 % 12,3 % 10,4 % Taux de chômage en 2014 PAR ALFRED MIGNOT - 0,4 % (7/2014) Italie 113 3,5 % 0 comme au sud de la Méditerranée… Trop beau pour être vrai ? La pratique des grands groupes automobiles allemands apporte la preuve du contraire : ils font produire l’essentiel de leurs grosses berlines à moindre coût dans les Peco, avant de les réimporter chez eux, puis de les réexporter estampillées du label made in Germany en maximisant leurs marges. Ainsi l’Allemagne réimporte-t-elle jusqu’à 46 % de la valeur ajoutée des biens d’équipement produits dans son hinterland, selon une précédente étude de l’Ipemed. DE NOMBREUSES PREUVES PAR L’EXEMPLE Mais, si l’Allemagne est le seul pays européen à avoir développé massivement cette stratégie – depuis la chute du mur de Berlin en 1989 et plus encore depuis l’élargissement est-européen de 2004 –, nombre d’entreprises françaises se sont aussi engagées dans cette voie. C’est le cas notamment de Safran (lire l’encadré, page 5), qui a créé une première coentreprise avec Royal Air Maroc en l’an 2000, pour œuvrer dans la maintenance des moteurs d’avions. Dans son sillage, d’autres grandes (2012) 21,5 % (2012) 19,1 % (2013) Très élevés partout et particulièrement chez les 15-24 ans, les taux de chômage ne disent pourtant pas toute la précarité des populations. En Espagne, par exemple, « 34 % des salariés gagnent moins de 645 euros par mois », titrait le quotidien El Mundo, en Une de son édition du 21 novembre. © SOURCES DE L’INFOGRAPHIE : FMI, CNUCED, BNP sociétés et sous-traitants du secteur ont suivi. Aujourd’hui, une centaine d’entreprises de l’aéronautique sont installées au Maroc. Elles réalisent un chiffre d’affaires annuel supérieur à 1 milliard d’euros, ont généré quelque 10 000 emplois et ont vu leurs exportations croître de 13 % en 2013. Autre exemple, plus récent, celui du site Renault de Tanger. Opérationnel depuis février 2012, destiné à répondre à la demande locale et internationale – surtout africaine – de modèles d’entrée de gamme, il devrait produire 340 000 voitures par an dès cette année. Avec 5 000 emplois directs créés et 30 000 indirects attendus, c’est la plus grande usine d’Afrique, qui contribue pour une bonne part au succès de la zone franche industrielle de Melloussa, à 30 km du port de Tanger Med. À la demande des autorités marocaines, un institut de formation des métiers de l’industrie automobile, géré par Renault Tanger, a aussi été créé sur place, afin de contribuer à la montée en gamme des ressources humaines locales. On notera aussi que le site Renault de Tanger est à la fois « zéro carbone » et « zéro rejet liquide industriel », ce qui lui a valu de remporter le Prix 2011 de la production des Sustainable Energy I 5 LA TRIBUNE - VENDREDI 28 NOVEMBRE 2014 - NO 110 - WWW.LATRIBUNE.FR ENFIN UNE EUROPE MOINS FRILEUSE ? Les nouveaux députés issus des élections européennes de mai 2014 et la nouvelle Commission Junker bâtiront-ils une politique plus proactive envers le Sud méditerranéen ? Plusieurs personnalités des deux rives poussent en ce sens. C’est le cas de Philippe de Fontaine Vive, le vice-président de la BEI et « patron » de la Facilité euroméditerranéenne de partenariat et d’investissement (Femip, l’instrument de la BEI en Méditerranée). « Nous avons décidé à la BEI de mettre à compter de l’année 2015 la Méditerranée avec l’est de l’Europe. Nous avons tellement entendu de discussions sur la priorité entre l’Est ou au Sud que nous en avons tiré les conséquences. nous allons les mettre dans le même département », déclaraitil début novembre au site Econostrum. Ce changement d’optique au sein de la BEI pourrait-il préfigurer une inflexion positive de la politique européenne de voisinage, alors que naguère encore l’Europe officielle observait d’un œil plus que méfiant son flanc sud ? En tout cas, le fait que ce changement se produise d’abord à la BEI n’a rien de surprenant, car le « patron » de la Femip – premier financeur en Méditerranée, depuis sa création en 2002, avec des prêts cumulés, pour le Maghreb, de 13 milliards d’euros (5,4 pour la Tunise, 5,6 pour le Maroc, 2 pour l’Algérie) – n’a cessé d’œuvrer pour faire changer le logiciel européen en la matière. Ainsi dès juin 2010, au sommet des leaders économiques de Barcelone, affirmait-il que « la renaissance européenne passe par le Sud ». Une autre personnalité euroméditerranéenne d’importance est bien sûr le diplomate marocain Fathallah Sijilmassi, secrétaire général depuis mars 2012 de l’Union pour la Méditerranée (UpM, siège à Barcelone) qui œuvre sans relâche à promouvoir les partenariats « à géométrie variable » entre les deux rives. Pour renforcer son action et rendre l’UpM plus visible – en 2015, le processus de Barcelone, précurseur de l’UpM, fêtera ses vingt ans – peut-être pourra-t-il compter sur Martin Schulz, le député socialiste allemand (SPD) président du Parlement européen depuis janvier 2012 (réélu en juillet 2014, pour deux ans et demi). En décembre 2012, alors qu’il participe à une conférence de l’Ipemed, à Paris, Martin Schlulz déclare en effet sans détour que « l’Europe est encore en train de rater une chance historique. Au Sud, ils essaient de transformer leurs sociétés sur la base de valeurs que nous partageons, [alors qu’à Bruxelles] on réduit les moyens, c’est la triste réalité (...) L’Union pour la Méditerranée [UpM] doit se transformer en instrument de développement durable. Il faut donner à l’UpM des moyens comparables à ceux dont bénéficient les pays de l’Est dans le cadre de la politique dite de voisinage. » Puis, le 12 avril 2013, dans son discours d’ouverture de la IXe session plénière de l’assemblée parlementaire de l’Union pour la Méditerranée (AP-UpM), il affirme : « Les gouvernements ne s’engagent pas assez pour faire de la Méditerranée un espace de coopération. » Xavier Beulin, président de Sofiprotéol et de l’EMCC « La meilleure solution pour un projet gagnant-gagnant entre le Nord et le Sud » © KENZO TRIBOUILLARD / AFP Europe Awards organisés par l’Union européenne. Une expertise qui pourra être exportée, voire réimportée… en France. « Tout l’enjeu consiste à mettre en synergie les nombreuses complémentarités entre les deux rives de la Méditerranée », relève Maxime Weigert. Ces complémentarités – savoir-faire au Nord, jeunesse et futurs marchés émergents au Sud – apparaissent d’autant plus significatives que les défis sont largement communs d’une rive à l’autre, comme on peut l’observer dans le graphique ci-contre : croissance atone ou négative au Nord, plus élevée au Sud, mais insuffisante pour résorber le chômage – il faudrait pour cela qu’elle dépassât les 5 % –, même incapacité à intégrer la jeunesse dans la vie économique, comme l’attestent les taux exponentiels du chômage des 15-24 ans. Et c’est justement là l’une des « raisons essentielles qui ont conduit à la révolution tunisienne de janvier 2011 », ainsi que le rappelait Radhi Meddeb dans La Tribune nO 107, datée du 7 novembre. Ainsi, la nécessité de retrouver une croissance forte des deux côtés de la Méditerranée se situe à un niveau comparable d’urgence sociale. Comment faire, dès lors, pour accélérer coopération et coproduction entre les deux rives de la Méditerranée, en cumulant les avantages respectifs, ce qui permettrait de (re)devenir compétitif sur le marché mondial – un objectif que l’Alliance numérique franco-tunisienne, créée en 2112, a d’ailleurs su transformer rapidement en réalité (lire pages 6-7) ? MARTIN, FEDERICA ET LES AUTRES… Mais, maintenant qu’il est réélu, Martin Schulz fera-t-il preuve du même franc-parler et du même enthousiasme ? Pourra-t-il compter sur l’Italienne Federica Mogherini, vice-présidente de la Commission européenne et nouvelle haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ? Que fera-t-elle ? Son italianité et son cursus universitaire – notamment à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe d’Aix-en-Provence, où elle consacra son mémoire de fin d’études aux rapports entre religion et politique dans les pays islamiques – la porterontt-elle vers une attitude plus proactive vis-àvis du Sud ? Le 4 novembre, dans une entrevue accordée à plusieurs quotidiens européens, la haute représentante a déclaré qu’elle serait « heureuse si, au terme de son mandat, l’État palestinien existait. » Aussi, en réponse à l’unique question sur la région d’un député européen – « Que pourrait faire l’Europe pour aider à la construction de l’UMA ? » – lors de son audition devant la commission des Affaires étrangères du Parlement européen, en octobre, elle a déclaré que l’UE devait « soutenir les efforts de l’ONU pour aller vers une solution du conflit du Sahara occidental » – pomme de discorde entre l’Algérie et le Maroc, dont la frontière commune est fermée depuis 1994. Mais, sur le fond de la coopération Euromed, elle n’a encore rien dit – à sa décharge, toutefois, le fait qu’elle n’est entrée en fonction que depuis un mois. P résident de la FNSEA et du premier groupe agro-industriel français, Xavier Beulin préside aussi l’Euro-Mediterranean Competiveness Confederation (EMCC) qui tient son forum annuel 2014, organisé par l’Ipemed, à Sousse (Tunisie), le jeudi 4 décembre. Des dizaines de personnalités (politiques, économiques, universitaires) des deux rives y sont attendues, pour échanger sur le thème « Colocalisations en Méditerranée : coproduire pour créer de l’emploi ». Selon Xavier Belin – qui a succédé à Gérard Mestrallet, président-fondateur de l’EMCC –, la coproduction « est aujourd’hui la meilleure solution pour un projet gagnant-gagnant » entre pays du nord et du sud de la Méditerranée. ■ En savoir plus, s’inscrire : http://www.ipemed.coop « L’Europe devrait soutenir plus l’industrialisation des pays du Maghreb à travers ses outils de coopération – notamment l’Instrument européen de voisinage (IEV) pour créer de l’emploi industriel dans les deux espaces et pour aller ensemble vers d’autres marchés mondiaux, plus particulièrement vers l’Afrique [l’eldorado du xxie siècle, selon les prévisionnistes, vision stratégique que le Maroc a d’ailleurs pleinement intégrée – lire pages 10-11] dans le cadre d’une stratégie conjointe, estime Amal Chevrau, responsable du pôle Études et projets de l’Ipemed. Le Maghreb peut devenir un espace pertinent de déploiement de la coproduction. Du Maroc à la Tunisie, la montée en gamme des filiales et coentreprises du groupe Safran © DR Présent depuis plus de trente ans au Maghreb, Safran y accélère sa stratégie de coproduction en Tunisie et au Maroc, où ses filiales participent pleinement au développement industriel global du groupe. Un exemple mature de coproduction réussie. PAR MAXIME WEIGERT GÉOGRAPHE-ÉCONOMISTE, EXPERT COPRODUCTION POUR L’IPEMED, AUTEUR DE L’ÉTUDE Leader mondial dans les domaines de l’aéronautique, du spatial, de la défense et de la sécurité, ce groupe international d’origine française regroupe plusieurs dizaines de filiales réparties sur tous les continents, il emploie 66 300 personnes et a enregistré un chiffre d’affaires de 14,7 milliards d’euros en 2013. Parmi ses principaux clients figurent les plus grands intégrateurs aéronautiques, comme Boeing, Airbus, Bombardier et Dassault Aviation. En tant qu’équipementier spécialisé dans les hautes technologies appliquées à l’aéronautique, au spatial, à la défense et à la sécurité, Safran se doit de respecter des normes et des techniques de production très exigeantes. Ainsi la qualité et l’innovation forment-elles le socle de sa compétitivité – en 2013, il a consacré 1,8 milliard d’euros à la R&D, soit plus de 12 % de son chiffre d’affaires. Présent au Maghreb depuis le début des années 1980, Safran y a développé ses activités suivant une stratégie de coproduction. C’est au Maroc que le groupe réalise l’essentiel de ses activités au sud de la Méditerranée. Il y a implanté huit filiales et coentreprises avec des partenaires locaux, spécialisées dans la production de composants et d’équipements aéronautiques. Safran est devenue en quelques années le fer de lance de la filière aéronautique au Maroc, accompagnant l’émergence de partenaires marocains. Concentrées dans le cluster aéronautique de Nouaceur, près de l’aéroport de Casablanca, ses filiales représentent 40 % de l’activité du secteur et emploient plus de 3 200 personnes. Safran a rapidement fait évoluer les compétences de ses filiales. En 2005, la filiale Labinal Power Systems a implanté au Maroc un bureau d’ingénierie pour soutenir ses bureaux d’études européens. Ce bureau est aujourd’hui animé par des équipes presque exclusivement marocaines, qui ont été recrutées localement dans le cadre d’un partenariat avec l’école d’ingénieurs de Mohammedia. Les équipes de production de Labinal Power Systems Maroc ont quant à elles bénéficié d’un programme de formation visant à améliorer les compétences techniques des employés, qui supervisent désormais toute la phase d’industrialisation des produits. Au total, 15 % des effectifs de Safran au Maroc sont ingénieurs et cadres. Le groupe est appuyé par l’État marocain dans cette dynamique de montée en compétence des effectifs locaux. En 2014, il a par exemple signé un protocole d’accord sur le développement de la recherche et technologie avec le ministère de l’Enseignement supérieur. La coopération porte notamment sur la création de formations doctorales spécialisées dans les problématiques aéronautiques. Avec cette stratégie, les unités marocaines participent pleinement au développement industriel de Safran, certaines fournissant directement en produits finaux ses plus grands clients internationaux, comme Airbus, Embraer et Bombardier. Après le Maroc, Safran entreprend d’approfondir sa stratégie de coproduction en Tunisie. Morpho, filiale de Safran, y a développé depuis plusieurs années Un technicien marocain du pôle de compétitivité de Nouaceur (où sont concentrées les filiales de Safran, près de l’aéroport de Casablanca), travaillant à l’assemblage d’un avion. © AFP PHOTO/ABDELHAK SENNA un partenariat avec Telnet. En 2009, ces deux sociétés ont créé deux coentreprises où plusieurs centaines d’ingénieurs tunisiens et français collaborent à la conception de systèmes électroniques pour les avions et pour les cartes à puce. Cette collaboration a été renforcée en 2013, avec l’annonce du lancement de nouveaux programmes de R&D. Safran prévoit aussi un projet plus ambitieux, visant à faire de la Tunisie le pays pilote d’un programme de création de cartes d’identité numériques universelles, conçues puis fabriquées localement. En cas de succès du projet, la Tunisie serait alors en bonne place pour produire et exporter cette technologie. ■ 6 I L’ÉVÉNEMENT LA TRIBUNE - VENDREDI 28 NOVEMBRE 2014 - NO 110 - WWW.LATRIBUNE.FR OÙ VA LE MAGHREB ? Néanmoins, pour créer un marché large et attractif, il faut penser le concept dans une approche régionale. » L’an I de la Tunisie, c’est maintenant ! LE COÛT EXORBITANT DU « NON-MAGHREB » On en est loin ! Si le traité constitutif de l’Union du Maghreb Arabe (UMA) a été signé en février 1989 par les cinq chefs des États concernés, l’UMA n’en est pas moins restée dans les limbes, et aucun sommet ne s’est plus tenu dep uis celui de Tunis, en 1994. Pourtant, il est admis dans les milieux économiques et universitaires que le coût du « nonMaghreb » peut être estimé autour de 2 % du PIB annuel cumulé des trois principaux pays. Mais ce projet de l’UMA ne mobilise guère les dirigeants politiques. Malgré des déclarations qui affectent un positivisme de façade, les (mauvaises) raisons de la discorde entre pays voisins demeurent les plus fortes. Or le non-Maghreb handicape aussi l’approfondissement du partenariat économique avec l’Europe, ce qui cette fois représente un manque à gagner de 1 à 3 % des PIB cumulés – une estimation qui fait consensus parmi les économistes, même si tout dépendrait bien sûr du niveau d’intégration. En fait, côté Sud, c’est le roi du Maroc, Mohammed VI, qui apparaît comme le plus fervent et constant promoteur de la coopération entre les deux rives de la Méditerranée, coopération qu’il a toujours ouvertement prônée. Ce fut encore le cas dans le message adressé au IVe sommet UE-Afrique de Bruxelles, en avril 2014, où il affirme que la promotion volontariste de la coopération intra-africaine (lire pages 10-11) ne doit en aucun cas exclure « l’approfondissement, en parallèle, des rapports mutuellement bénéfiques (…) avec l’Union européenne et ses États membres. Bien au contraire… » « L’IMMOBILISME CONDAMNE À DISPARAÎTRE » Actuellement, deux éminents universitaires du Sud, le professeur algérien Abderrahmane Mebtoul et le professeur marocain Camille Sari, tentent de relancer le débat, d’attirer une fois encore l’attention des décideurs sur les avantages d’un Maghreb uni. Début novembre, ils ont publié une somme remarquable, L’Intégration économique maghrébine, un destin obligé ? (L’Harmattan, 559 pages), véritable plaidoyer de toutes les bonnes raisons pour réaliser l’Union du Maghreb arabe (UMA) attendue depuis si longtemps par les « peuples frères ». Une attente incompréhensible, si l’on considère que le Maghreb est la région du monde la moins intégrée, alors qu’elle est la plus homogène du point de vue culturel. « Il serait suicidaire pour chaque pays du Maghreb de faire cavalier seul, relève le professeur Mebtoul. L’intégration économique régionale est une nécessité historique, Et sans inclusion euroméditerranéenne, le Maghreb serait bien davantage ballotté par les tempêtes des marchés, avec le risque d’une marginalisation croissante. » Une sortie des radars de l’Histoire qui menace aussi l’Europe, si elle ne parvient pas à construire avec son flanc sud l’indispensable pacte d’avenir. L’expert Francis Ghilès, qui fut durant quinze ans le journaliste en charge de l’Afrique du Nord au Financial Times, est sur la même ligne. Dans une entrevue accordée en juin 2010 à deux chercheurs de l’Institut Amadeus (Maroc), il estimait que « ce n’est qu’en acceptant de mettre un tant soit peu en commun leur souveraineté, comme ont su le faire les pays européens après 1945, que les pays du Maghreb deviendront des acteurs de leur propre histoire sur la scène mondiale, et non de simples pions sur l’échiquier international… Quant à l’Union européenne, si elle ne montre pas plus d’ambition visà-vis de la région, eh bien, la Chine fera le Maghreb. Par les temps économiques qui courent, ceux qui se contentent de l’immobilisme sont condamnés à disparaître ». Un message que les entrepreneurs de l’EMCC ont bien intégré et qui motive leur engagement. ■ Tout commence à nouveau pour la Tunisie qui vient de réussir sa transition démocratique. Mais il lui faut encore accomplir des réformes difficiles, afin de redresser son économie. Jusqu’où l’Europe pourra-t-elle l’aider ? « A voté ! » Un électeur tunisien dans un bureau de Sousse (centre-est du pays), le 23 novembre, lors du premier tour de l’élection présidentielle. Un second succès de la transition démocratique en Tunisie, après celui des élections législatives, le 26 octobre. © ANIS MILI / REUTERS B éji Caïd Essebsi ou Moncef Marzouki ? À l’heure où nous écrivons, l’issue du second tour – probablement le 28 décembre – de l’élection présidentielle reste bien sûr inconnue. Les Tunisiens peuvent cependant déjà se féliciter d’être les seuls à avoir accompli leur transition démocratique, concrétisée par des élections libres, pour la première fois de leur histoire, et quatre ans presque après leur insurrection de janvier 2011, qui a déclenché la vague du « printemps arabe ». Ce succès leur vaut moult félicitations et une considération exprimées par de nombreux pays à travers le monde, et il leur appartient désormais de construire leur avenir… en relevant leur économie. L’URGENCE DES REFORMES Logiquement délaissé ces dernières années du fait de l’emprise des préoccupations politiques, le front économique sera l’urgence à laquelle devra s’atteler le futur gouvernement. Il aura la pleine légitimité pour déployer le processus de réformes commencé par le gouvernement provisoire de Mehdi Jomaa (installé le 29 janvier 2014), un gouvernement « de compétences » et de « service national » salué notamment par Philippe de Fontaine Vive, le vice-président de la BEI et « patron » de la Facilité euroméditerranéenne d’investissement et de partenariat (Femip), qui, en septembre dernier, qualifiait de « très courageuse la stratégie de réformes engagée ». C’est en effet un chantier immense de réformes qui attend les nouveaux dirigeants, comme l’évoquent notamment la présidente de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica), Ouided Bouchamaoui (lire l’entretien page 7) et Radhi Meddeb. Dans une tribune libre publiée en septembre dernier sur Latribune.fr, l’économiste et entrepreneur tunisien, président de l’Institut de prospective écono- mique du monde méditerranéen (Ipemed, Paris), dresse l’impressionnant catalogue des réformes de toutes sortes dont le pays a selon lui besoin – et dans l’urgence : la restauration des grands équilibres macroéconomiques. « L’État tunisien aura vu son budget augmenter de plus de 60 % en moins de quatre ans, alors que le PIB n’augmentait sur la même période que de moins de 5 % ! » relève-t-il ; la réforme d’une administration « pléthorique, plombée par les recrutements partisans » ; la restructuration des entreprises publiques ; la réforme fiscale et du secteur financier ; la réforme de la caisse générale de compensation, qui « absorbe 20 % du budget de l’État, ce qui est devenu insoutenable » ; la rationalisation des importations pour combler « un déficit commercial largement approfondi durant les quatre dernières années, avec un taux de couverture passé de près de 80 % à presque 60 % » ; la restructuration d’un secteur touristique « stratégique, contribuant pour plus de 7 % au PIB, à 12,5 % de l’emploi et à 10 % de la balance des paiements, mais malade de longue date » ; etc. L’EUROPE PEUT-ELLE FAIRE PLUS ? Sur la question cette fois du partenariat avec l’Europe, parfois contesté en Tunisie, Radhi Meddeb considère que depuis novembre 2012, date de l’accession par la Tunisie au statut de partenaire privilégié de l’Union européenne, « nous avons perdu un temps précieux, tout reste à faire. Il est urgent de donner un véritable contenu à cet accord sur la voie de l’engagement des réformes et de l’adoption des standards techniques européens. Cela pourrait être notre vrai passeport vers la modernité, la compétitivité de notre tissu économique et financier, le relèvement du niveau de notre système de formation, d’éducation et de santé. » Côté européen, dès le 20 janvier 2011, quelques jours seulement après le soulèvement démocratique, la BEI publiait un communiqué par lequel elle affirmait se tenir « à la disposition de la Tunisie, au service de ses priorités économiques et sociales ». Dès le 2 mars suivant, Philippe de Fontaine Vive se rendit à la rencontre des nouvelles autorités, déclarant : « Je suis venu à Tunis pour écouter les Tunisiens et les accompagner dans leur transition démocratique. Notre action est d’envergure, centrée sur la croissance économique et la création d’emplois. » Concrètement, cet engagement fort de la Banque européenne d’investissement se sera traduit, de janvier 2011 à ce jour, par des financements supplémentaires de plus de 1 milliard d’euros pour la mise en œuvre de projets nouveaux dans des secteurs tels que l’énergie, les PME, les infrastructures, l’éducation et le logement social. On ne saurait considérer que c’est peu, la BEI-Femip s’impliquant plus que toute autre institution, puisqu’elle est le principal financeur de la Tunisie. Mais est-ce assez ? À considérer le point de vue de la « patronne des patrons » tunisiens (lire page 7), c’est 1 milliard d’euros supplémentaires qu’il faudrait chaque année à la Tunisie, pendant dix ans, pour s’extraire de la précarité et s’engager fermement vers l’émergence. « Une ambition à la portée de nos partenaires internationaux, Européens d’abord », dit-elle… L’ALLIANCE NUMÉRIQUE, UNE COPRODUCTION RÉUSSIE Dix milliards… c’est précisément ce qu’évoquait dès le 18 janvier 2011 Radhi Meddeb, devant le comité de parrainage politique de l’Ipemed : « Il nous suffira de 10 à 15 milliards d’euros pour construire la Tunisie de demain ! » affirmait-il. Quelques jours plus tard, le professeur économiste-géographe Pierre Beckouche (Sorbonne) allait plus loin, préconisant que « la Tunisie pourrait être le laboratoire d’une première adhésion d’un pays arabe à l’Union européenne ! » Malgré les félicitations et déclarations officielles – « L’UE est prête à continuer à soutenir la Tunisie dans ses efforts vers la stabilité et le développement économique et social du pays », déclarait dès le soir du premier tour présidentiel Federica Mogherini, haute représentante à l’action extérieure de l’UE – on doute que l’Europe soit prête à aller aussi loin, tant elle est préoccupée par sa propre crise. Reste que certaines initiatives bien concrètes sont porteuses d’avenir. C’est le cas de l’Alliance numérique franco-tunisienne. Lancée en octobre 2012, « cette expérience gagnantgagnant permet à des entreprises de nos deux pays d’être plus compétitives et d’aller ensemble sur des marchés plus larges que leurs propres marchés d’origine. Cela marche très bien », se félicite Ouided Bouchamaoui. De fait, l’objectif initial d’aboutir à moyen terme à 50 partenariats sera dépassé. Un bel exemple de coproduction que la présidente de l’Utica voudrait bien élargir : « Notre ambition est d’aller au-delà du numérique, de faire cela dans le textile, dans l’agroalimentaire, dans la mécanique, dans l’aéronautique, dans l’éducation, dans la santé et dans bien d’autres secteurs encore », s’enthousiasme-t-elle. ■ ALFRED MIGNOT I 7 LA TRIBUNE - VENDREDI 28 NOVEMBRE 2014 - NO 110 - WWW.LATRIBUNE.FR ENTRETIEN Ouided Bouchamaoui, présidente de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (UTICA) « De notre sécurité et stabilisation dépendent celles de l’Europe » Créatrice à 24 ans de sa propre entreprise, « patronne des patrons » tunisiens depuis mai 2011, Ouided Bouchamaoui est la première femme à accéder à cette fonction, démontrant qu’au sud de la Méditerranée aussi, le fameux « plafond de verre » s’effrite. Elle nous livre ici sa vision des réformes nécessaires pour relancer son pays. LA TRIBUNE – Maintenant que la transition démocratique semble arrivée à terme, quelles sont les réformes économiques prioritaires que vous souhaiteriez voir mettre en œuvre ? OUIDED BOUCHAMAOUI – Il est largement temps que le prochain gouvernement mette les réformes économiques au cœur de son projet et l’entreprise au centre de ses préoccupations. Les véritables raisons qui étaient derrière la révolution en Tunisie étaient essentiellement économiques et sociales. Au premier plan de ces exigences non satisfaites, il y avait et il y a toujours l’emploi mais aussi de meilleures conditions sociales. Près de quatre ans après le 14 janvier 2011, non seulement les réformes économiques n’ont toujours pas été engagées, mais la situation s’est encore plus dégradée. Nous en avons conscience à l’Utica et avons organisé dès le 10 mai 2013 les états généraux de l’économie pour alerter les pouvoirs publics, la classe politique, les opérateurs économiques mais aussi nos partenaires sociaux sur la dégradation de la situation et la nécessaire relance économique. Aujourd’hui, il est urgent de mettre en œuvre la réforme du secteur financier, l’adoption d’un nouveau code des investissements, l’adoption de la loi sur le partenariat publicprivé, la simplification des procédures administratives, la lutte contre l’économie informelle et contre la contrebande, la réforme des caisses de sécurité sociale, de retraites et de prévoyance, la réforme de la caisse générale de compensation afin de redonner à l’État de la marge pour investir dans les infrastructures et dans les régions intérieures. Il faut aussi améliorer le climat des affaires, seul garant de la relance économique, de l’investissement et de la création de richesses et d’emplois. On sait que les banques tunisiennes financent peu les PME, on parle de 20 % des besoins satisfaits. Comment faire pour changer la donne, selon vous ? Résorber le chômage est le vrai défi de la transition économique et de la transition politique. Les jeunes qui ont porté la révolution ont d’abord exprimé leur exigence pour de meilleures conditions sociales mais également et surtout pour trouver des emplois chez eux en Tunisie. L’État ne peut plus et ne devrait plus être l’employeur n° 1 du pays. Le développement de la Tunisie passe par la création d’entreprises par des jeunes, qui ont besoin de financements, mais aussi d’un accompagnement dans la phase d’amorçage. Or, aujourd’hui, les entités chargées de garantir les prêts aux PME ne sont pas structurées et n’ont toujours pas changé de logiciels. Il faut dans le cadre d’un partenariat intelligent – État-banques et bailleurs de fonds internationaux (BEI, BAD, BM…) – mettre en place un ou des fonds destinés à la création d’entreprises. L’idée serait de sonder l’opportunité de développer des « Fonds Cluster », réunissant des capitaux publics et privés et rassemblant les compétences stratégiques et l’ingénierie nécessaires pour aider à la création et à l’installation de PME. Devenant des outils de la politique industrielle, ces fonds devraient associer des représentants du gouvernement, des banques nationales et des bailleurs de fonds européens pour faciliter l’accès au financement des investissements et développer les capacités des PME. Les PME visées par ce dispositif seraient celles qui sont en expansion, quel que soit leur secteur d’activité. Plusieurs types de garanties pourraient y être prévus : partielles de portefeuille pour les institutions financières qui augmentent leurs crédits d’investissement pour les PME ; En Tunisie comme dans plusieurs pays d’Europe, dont la France, on observe le même débat sur la nécessité de libérer l’économie des lourdeurs administratives… « LA TUNISIE A BESOIN DE 1 MILLIARD D’EUROS DE PLUS PAR AN SUR DIX ANS » Quels secteurs allez-vous privilégier pour relancer l’économie du pays ? institutionnelles sous la forme de lignes de crédit en faveur d’institutions de microfinance ; achat d’obligations par des investisseurs institutionnels ; ou une combinaison de garanties institutionnelles pour aider les banques à mobiliser du capital à long terme destiné aux PME. Quelle est la position de l’Utica sur la question de la maîtrise de l’inflation, qui tourne autour de 6 % ? L’inflation est un grand défi pour notre économie. L’augmentation des prix appelle une demande d’augmentation des salaires qui elle-même génère une augmentation des charges des entreprises et nous voilà installés dans une spirale infernale qui a pour conséquence inéluctable la dévaluation rampante du dinar, le renchérissement de nos importations et de nos emprunts extérieurs, la perte de compétitivité de nos entreprises et, en conséquence de tout cela, l’appauvrissement de la collectivité. Pensez-vous que la Tunisie puisse atteindre des taux de croissance de 5 à 7 %, comme certaines personnalités l’affirment ? Il faudrait faire la part de ce qui est souhaitable de ce qui est possible. Tout le monde sait que nous avons besoin d’une croissance de 7 ou 8 % l’an pour répondre à la demande additionnelle d’emplois et commencer à réduire le nombre de chômeurs, aujourd’hui estimés à plus de 600 000. Mais cela ne sera pas possible sans l’engagement de toutes les réformes dont j’ai esquissé certaines au début de notre entretien. Toutes les études montrent que sans ces réformes la Tunisie ne fera jamais mieux que ce qu’elle faisait déjà avant la révolution, c’est-à-dire, à terme, 4 à 5 % de croissance par an. Certes, cela ne serait pas négligeable, mais cela ne suffira pas pour redonner de l’espoir à nos jeunes et des perspectives à nos entreprises. Notre problème en Tunisie est à la fois plus complexe et plus simple qu’ailleurs. Nous avons besoin d’alléger notre administration en nombre tout en la renforçant en qualité. L’administration a été alourdie ces dernières années par des recrutements sans rapport avec ses besoins objectifs. Cela rejaillit sur les équilibres macroéconomiques de l’État, plonge les finances publiques dans une crise structurelle et durable. La Tunisie a des avantages compétitifs indéniables, notamment en matière d’expérience industrielle, d’infrastructures et de qualité de ses ressources humaines. Notre ambition est de favoriser les secteurs économiques en rapport avec ces avantages et cette expérience. Nous pensons notamment au secteur du textile qui doit s’élever en gamme, passer de la sous-traitance à la cotraitance, aller vers l’innovation et le design, au secteur des industries électriques et mécaniques où notre expérience dans les sous-secteurs des équipements automobiles et dans l’aéronautique nous met en pole position pour attirer un grand constructeur automobile mondial. Le secteur de l’agroalimentaire présente des potentialités encore largement sous-exploitées. Mais, à côté de ces secteurs traditionnels, nous estimons avoir en Tunisie un positionnement très favorable pour promouvoir les technologies de l’information et de la communication, avec l’industrie du logiciel, le nearshoring… D’autres secteurs émergents, mais extrêmement prometteurs, retiennent toute notre attention. Nous pensons notamment aux secteurs de l’éducation et de l’enseignement supérieur privé, de la santé, des infrastructures en partenariat public privé. Notre ambition est que la Tunisie se positionne de plus en plus sur des créneaux à haute valeur ajoutée. Comment la Tunisie pourrait-elle améliorer le climat des affaires ? Le climat des affaires s’est dégradé depuis ces dernières années. La confiance des investisseurs a été ébranlée du fait de la montée de l’insécurité, de la non-stabilité politique et sociale du pays. Mais il ne faut pas tout mettre sur le dos de la révolution. La question du climat des affaires soulève des questions d’ordre juridique et politique complexes. La Tunisie pourrait utilement opter pour la mise en place d’un régime de protection de l’investissement spécifique sur la seule catégorie des investissements stratégiques : investissements structurants de long terme, secteurs à haute valeur ajoutée tels que le numérique, l’agriculture, les services financiers et l’industrie en général. Si nous voulons devenir un pays attractif pour des entreprises et des investisseurs qui souhaitent s’implanter avec des logiques de partenariats stratégiques, ceci implique dans un premier temps un effort de priorisation pour sélectionner les secteurs et/ou les projets porteurs. À ce niveau, la cotation des projets eux-mêmes en termes de risques et en tenant compte de leur caractère innovant et structurant ou bien de leurs impacts environnementaux ou effets d’entrainement sur l’économie générale sont autant d’éléments à prendre en compte. Selon Ouided Bouchamaoui, « la Tunisie est un petit pays. Ses besoins sont à sa taille. Ils sont à la portée de nos partenaires internationaux, Européens d’abord… » Quel niveau d’investissements faudrait-il mobiliser pour relancer l’économie tunisienne ? © DR La Tunisie est à la fois le premier pays de la région à avoir affirmé haut et fort son refus de la dictature et son adhésion aux valeurs universelles et en même temps le dernier pays du printemps arabe à avancer sereinement sur la voie de la transition démocratique. Il est de la responsabilité de tous que cette expérience encore fragile réussisse. De notre sécurité dépend celle de l’Europe. De notre stabilisation dépend celle de l’Europe, et cela passera nécessairement par le développement, la croissance, la mise en place des infrastructures et la création des emplois dignes que nos jeunes réclament avec force. La Tunisie est un petit pays. Ses besoins sont à sa taille. Ils sont à la portée de nos partenaires internationaux, Européens d’abord. Il ne s’agira d’ailleurs pas de dons. Le retour sur investissement sera rapide et important. Audelà de ses besoins habituels, la Tunisie doit disposer de 10 milliards d’euros supplémentaires sur dix ans pour transformer son infrastructure, développer son éducation, jeter des ponts avec la modernité et cela n’est rien en regard des bénéfices qu’en tirerait le monde et l’Europe en premier. ■ PROPOS RECUEILLIS PAR ALFRED MIGNOT 8 I L’ÉVÉNEMENT LA TRIBUNE - VENDREDI 28 NOVEMBRE 2014 - NO 110 - WWW.LATRIBUNE.FR LE MAGHREB ET NOUS L'Algérie ébauche ses réformes et se rapproche de la France Confrontée une fois de plus aux fluctuations incontrôlables du cours du pétrole, l’Algérie prend conscience que son économie rentière ne peut perdurer encore très longtemps. Au-delà des aléas politiques du moment, elle s’engage dans un processus de réformes et de renouveau dans sa relation avec la France. @AlfredMignot C ertes, lorsqu’à la minovembre le président Abdelaziz Bouteflika a disparu pour se rendre incognito dans une clinique grenobloise, les spéculations sur sa succession se sont emballées. Apparemment, ce déplacement ne relevait d'aucune urgence, le président algérien se rendant à la clinique Alembert en consultation « de routine » auprès du professeur qui l’avait pris en charge au Valde-Grâce il y a sept mois, lorsqu’il y fut hospitalisé pour un AVC – professeur qui exerce depuis à Grenoble. Le déplacement n'a duré que deux jours, mais le mutisme absolu des autorités algériennes a suffi à emballer la machine médiatique et à attiser la colère des opposants, certains partis d’opposition exigeant l’application de l’article 88 de la Constitution, qui autorise la destitution pour raisons de santé. Cette perspective de l’éventuelle ouverture à court terme de la succession occupe bien sûr les esprits. Cependant, les personnalités et les journalistes avec lesquels nous avons pu échanger lors du déplacement d’une délégation de La Tribune à Oran – à l’occasion de l’inauguration de l’usine Renault, le 10 novembre – considèrent que « les institutions de l’Algérie sont solides, nous pourrons surmonter cette épreuve ». Non, ce qui (pré)occupe l’Algérie depuis plusieurs mois, c’est la question de la modernisation de son économie encore presque totalement administrée par l’État. Et d’autant plus que depuis l’été le prix du brut a chuté de 25 % pour se maintenir au-dessous de 80 dollars le baril (76,18 le 21 novembre), alors que l’Algérie a besoin d’un baril à 120-125 dollars pour boucler son budget 2014-2015, selon le professeur Abderrahmane Mebtoul (voir l’encadré ci-contre). LA QUÊTE D’UN NOUVEAU MODÈLE ÉCONOMIQUE Ainsi, la fameuse règle 51-49, en vigueur depuis juillet 2009 et qui stipule qu’un investisseur étranger ne peut détenir plus de 49 % des actions d’une entreprise algérienne, serait-elle en passe d’être considérablement aménagée, sinon abandonnée – sauf pour les secteurs considérés stratégiques –, à l’occasion de l’adoption d’un nouveau code des investissements, en cours d’élaboration. Fortement critiquée par des économistes indépendants, ainsi que par le président sortant du Forum des chefs d’entreprises (privées), Réda Hamiani – il devait être remplacé le 27 novembre par le géant du BTP Ali Haddad, unique candidat à la succession –, cette règle s’est avérée nocive pour les investissements directs étrangers, qu’elle a fait chuter, ce que personne ne conteste plus sérieusement. D’ailleurs, dès juin dernier, le Premier ministre Abdelmalek Sellal, évoquant les négociations d’adhésion à l’OMC – qui devraient aboutir en 2015 –, reconnaissait que cette dernière demandait à l’Algérie de « revenir sur la règle 51-49 (…) C’est possible… », avait-il commenté. Une deuxième question d’importance en discussion est celle du rétablissement du crédit à la consommation, dont les ménages algériens sont privés depuis des années, et qui pourrait s’opérer en 2015. Une nouveauté d’envergure, même si ce crédit sera limité aux biens produits en Algérie – une prudence presque compréhensible, car actuellement les entreprises et les ménages algériens importent déjà 75 % de leurs besoins. Mais, jusqu’au début novembre, le débat relatif à la capacité des entreprises algériennes à investir à l’étranger était peut-être le plus vif. Ces investissements étaient alors impossibles, la loi algérienne interdisant de sortir des devises du pays. Seuls les exportateurs et la Sonatrach – l’entreprise nationale d’hydrocarbures – étaient autorisés à le faire, la loi prévoyant que tout exportateur algérien a le droit d’utiliser librement 20 % de ses bénéfices, y compris pour investir à l’étranger. C’est ainsi qu’Issad Rebrab, l’emblématique patron algérien du groupe Cévital (3 Mds € de CA, 13 000 employés), a pu racheter et sauver Fagor Brandt, en perdition, en avril dernier. Mais, jusqu’ici, les entreprises non exportatrices n’avaient aucune possibilité d’investir hors d’Algérie. LE 12 NOVEMBRE, DÉBUT DU CHANGEMENT Après bien des tergiversations et déclarations contradictoires, un grand changement est intervenu le 12 novembre : via une modification du règlement de la Banque d’Algérie, © DR PAR ALFRED MIGNOT Emmanuel Macron, ministre de l’Économie, et Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères se sont rendus à Oran pour assister à l’inauguration de l’usine Renalut, le 10 novembre. Ici, lors de la conférence de presse, avec Abdeslam Bouchouareb, ministre algérien de l’Industrie. © LOUAFI LARBI / REUTERS publié au Journal officiel, le gouvernement permet désormais à des opérateurs privés d’investir à l’étranger pour acquérir des entreprises ou ouvrir des bureaux de représentation. Cependant, cette liberté nouvelle est assortie de plusieurs restrictions : les transferts de capitaux doivent servir au « financement d’activités à l’étranger complémentaires à leurs activités de production de biens et de services en Algérie » ; l’investissement dans la société étrangère doit être supérieur à 10 % du capital de celle-ci ; une autorisation préalable de la Banque d’Algérie est nécessaire et… garde-fou positif, cette fois, l’investissement dans les paradis fiscaux est interdit. Pour le professeur Abderrhamane Mebtoul, économiste et conseiller indépendant du gouvernement (voir aussi l’encadré ci-dessous), « c’est une bonne décision, mais ce n’est qu’une étape, ce n’est pas suffisant à l’heure de la mondialisation. Certes, le nouveau dispositif garantit la transparence des mouvements de fonds, les opérateurs disposeront de l’appui de la Banque d’Algérie, mais cela ne concerne que peu d’entreprises. Excepté Sonatrach, 98 % des entreprises publiques ne sont pas concernées, car elles n’ont pas les moyens d’investir. Et 97 % de nos entreprises privées sont des PME-TPE. Peu initiées au management stratégique, elles ont souvent un résultat brut d’exploitation négatif et sont endettées vis-à-vis des banques. L’assouplissement de cette procédure est nécessaire. D’autre part, je pense qu’il serait pertinent de créer un fonds souverain, comme je l’ai proposé aux pouvoirs publics. Il serait alimenté par 15 à 20 % des réserves de change qui, avec les réserves d’or, ENTRETIEN PROFESSEUR ABDERRAHMANE MEBTOUL, économiste, conseiller indépendant du gouvernement : « L’usine Renault d’Oran, un symbole… à parfaire » Professeur, vous vous félicitez de l’ouverture de l’usine Renault d’Oran, mais vous exprimez aussi des réserves sur sa compétitivité… ABDERRAHMANE MEBTOUL — Oui, c’est un beau symbole des retrouvailles entre la France et l’Algérie, mais je crains que le projet ne soit sous-dimensionné. D’abord, il ne s’agit pour l’instant que d’une unité de montage, cela exclut donc toute valeur ajoutée. D’autre part, l’objectif à terme d’une production annuelle de 75 000 véhicules est insuffisant pour assurer la compétitivité de l’usine, surtout lorsque les subventions d’État auront cessé, dans quatre ans. Enfin, si l’on veut atteindre à terme un taux d’intégration souhaitable de 50 % à 60 %, l’Algérie devra prévoir une formation adéquate dans les techniques de pointe, car on ne construit plus une voiture comme dans les années 1970. Et côté français, le groupe Renault devra accepter d’opérer un réel transfert technologique et managérial, afin de permettre la montée en gamme de l’usine d’Oran, si l’on veut aller vraiment vers de la « coproduction ». À ce stade, l’usine est donc un symbole, mais qui reste à parfaire. Comment expliquez-vous l’importance du débat actuel en Algérie sur les questions économiques ? Notre pays vit presque exclusivement de la rente des hydrocarbures, pétrole et gaz, qui représentent 98 % de nos exportations et couvrent quelque 80 % de notre budget 2014, prévu sur la base de 71 Mds €. Or, nous allons vers l’épuisement des réserves de pétrole, vers 2025, et de gaz, vers 2030. Après de longues années de déni, facilité par la hausse des cours du baril qui a atteint jusqu’à 140 dollars, les autorités semblent décidées à affronter ce défi de libérer notre économie de la prison de la rente. C’est d’autant plus urgent que le prix du baril tourne autour de 80 dollars, il a perdu 60 dollars depuis l’été. Et s’il devait descendre jusqu’à 70 dollars, nous serions confrontés à de graves difficultés budgétaires. C’est pourquoi les réformes visant à libérer notre économie sont si urgentes. ■ I 9 LA TRIBUNE - VENDREDI 28 NOVEMBRE 2014 - NO 110 - WWW.LATRIBUNE.FR AVEC LA FRANCE, LE TEMPS DES RETROUVAILLES Outre l’intense débat sur les réformes, un autre marqueur significatif de l’état d’esprit des décideurs algériens est sans conteste le sentiment, très largement partagé, de l’intérêt d’un rapprochement avec la France. L’inauguration de l’usine Renault d’Oran, le 10 novembre, concrétise une avancée significative en ce sens. Cette usine – 350 emplois directs pour une production de 25 000 véhicules par an, puis 75 000, essentiellement destinés au marché africain –, les Algériens la voulaient depuis longtemps. Que le projet ait enfin abouti ne doit rien au hasard, c’est bien plutôt la conséquence d’un patient travail de dentellière accompli depuis des années. Tout d’abord par Jean-Pierre Raffarin, le « Monsieur Algérie » unanimement apprécié côté algérien – nommé en 2011, il vient de passer la main à Jean-Louis Bianco. Ensuite par François Hollande lui-même, dont le voyage officiel en Algérie, en décembre 2012, a convaincu les Algériens de la sincère volonté française de rapprochement. Enfin par Jean-Louis Levet, le haut fonctionnaire en charge de l’Algérie à la Dimed (Délégation interministérielle à la Méditerranée), lui aussi très apprécié, au point d’avoir décroché le titre de personnalité franco-algérienne de l’année, décerné par l’association France-Algérie (créée dès 1962, à la demande de Charles de Gaulle, elle est présidée par Jean-Pierre Chevènement). Le déplacement à Oran de deux poids lourds du gouvernement français, Laurent Fabius et Emmanuel Macron, s’inscrit dans le continuum de cette action volontariste de rapprochement, à laquelle les Algériens se montrent désormais de plus en plus sensibles. Ainsi, à Oran, lors de la conférence de presse suivant la réunion du Comefa (Comité mixte économique franco-algérien, qui se réunira à nouveau le 4 décembre, à Paris), les ministres ont affirmé un engagement fort : « Nous voulons porter notre partenariat avec l’Algérie à un niveau d’exception », déclara Laurent Fabius. « Le rôle de la France est d’être au cœur de cette modernisation de l’Algérie », releva Emmanuel Macron, qui fit aussi remarquer que son voyage à Oran était son premier déplacement hors d’Europe. Et côté algérien ? Abdesselam Bouchouareb, ministre de l’Industrie et des Mines, et l’une des figures de proue des réformistes, réitéra sa satisfaction, déjà affichée à Paris dès le 18 octobre lors d’un colloque à l’Assemblée nationale : « Nous avons posé les bases d’une nouvelle vision [de partenariat] (…) Nos deux pays sont en mesure de constituer un binôme structurant pour remporter les défis du xxie siècle. » France-Algérie, un nouveau couple en gestation, côté sud ? ■ ENTRETIEN Guillaume Josselin, directeur général de Renault Algérie « L’usine d’Oran est l’amorce d’une filière automobile algérienne » L’usine Renault d’Oran relève d’une stratégie globale d’implantation industrielle et de coproduction dans un pays qui devrait devenir le premier marché d’Afrique. LA TRIBUNE — Que représente l’usine d’Oran-Oued Telilat pour Renault ? GUILLAUME JOSSELIN – C’est d’abord une grande fierté d’être les premiers à avoir implanté une usine de fabrication automobile en Algérie, d’être un peu les pionniers dans ce domaine. Ce qui cadre avec notre ambition générale d’amorcer les premiers pas d’une filière automobile en Algérie. Une grande fierté aussi d’avoir tenu nos engagements en réalisant ce projet dans les délais, C’est-à-dire moins de deux ans entre la première signature des accords en présence de nos deux présidents, l’inauguration de l’usine et la fabrication du premier véhicule. En Algérie, Renault n’a pas pour seule ambition d’être un concessionnaire comme les autres, mais bien d’être une entreprise citoyenne qui ne se contente pas d’importer et de distribuer des véhicules. Nous avons l’ambition de créer de la valeur ajoutée. Elle est déjà réalisée à travers les emplois qu’on crée. Renault Algérie, et là je mets de côté l’usine, c’est 700 collaborateurs au siège et 3 000 collaborateurs dans l’ensemble des réseaux de distribution sur tout le territoire national. On crée de la richesse aussi à travers la formation et le transfert de technologie. Au-delà de ces aspects, nous sommes aussi une entreprise. On est là pour gagner de l’argent, pour se développer et grandir. Il n’y a aucune raison de le cacher. L’usine d’Oran est, pour certains, plus un geste politique qu’un investissement stratégique… On est pionniers, il est normal qu’on subisse des critiques. Renault ne peut pas être aimé par tout le monde. Mais, probablement aussi, ce projet peut gêner certains intérêts. Renault est une entreprise qui fait du business et des affaires. En fait, je ne vois pas bien la dimension politique dans ce projet. Renault ne fait pas de politique. Sur le plan financier, qu’apporte ce projet à Renault ? Quand on lance un projet industriel, on vise le long terme. Il n’y a pas de gain sur le court terme. Lorsqu’on installe une usine, on se projette sur plusieurs décennies. Notre objectif en Algérie est de réaliser un projet en plusieurs phases. Les gains viendront grâce notamment au taux d’intégration qu’on réalisera au niveau local. Plus le taux d’intégration augmentera, plus on diminuera notre logistique qui est aujourd’hui élevée. Là encore, on est dans la relation gagnant-gagnant. C’est l’intérêt de Renault d’augmenter le taux d’intégration local, ce qui nous permettra de faire des économies et de baisser les coûts de production. C’est aussi l’intérêt de la filière automobile en Algérie de voir se développer un tissu de sous-traitance ou de fournisseurs autour de notre projet industriel, sur lequel nous avons investi 50 millions d’euros. Peut-on parler d’une voiture algérienne lorsque l’essentiel du travail est effectué à l’étranger ? Elle est fabriquée en Algérie. Elle est fabriquée par des Algériens. 350 emplois directs et près de 500 emplois indirects ont été créés. On est dans une phase de démarrage. Il y aura d’autres phases avec un taux d’intégration plus important. Il faut bien commencer par quelque chose. Je réponds à ceux qui nous critiquent : qu’ils fassent la même chose que nous ! J’insiste : l’usine d’Oran est l’amorce de la création d’une filière automobile en Algérie. Le prix de la Symbol est jugé trop élevé… Notre volonté est de commercialiser une version haut de gamme du segment des petites berlines familiales. On a choisi de fabriquer pour l’instant cette version qu’on a appelée « Extrême », tout équipée et disposant des dernières technologies. C’est une voiture qui a l’ABS, le double airbag, le radar de recul, un GPS intégré, etc. En termes de rapport qualité-prix, elle est extrêmement bien positionnée. L’année prochaine, nous commercialiserons d’autres versions, moins équipées et plus accessibles financièrement. Mais sachez que c’est une intention délibérée de notre part que de positionner le véhicule dans le haut du segment. C’est un choix qu’on assume parfaitement. Il fallait lancer la meilleure pour montrer aussi que cette usine, qui répond à tous les standards et normes internationales en termes de qualité, peut fabriquer un véhicule au top de son segment. © DR s’élèvent actuellement à quelque 200 milliards de dollars, l’Algérie connaissant un endettement extérieur très faible, du fait du remboursement anticipé de sa dette. » Peut-on parler de transfert de technologies et de compétences managériales quand l’usine sert seulement à assembler les pièces ? Chez Renault, le transfert de compétences se fait tous les jours et tout le temps, à travers notamment le développement de notre réseau, la création d’emplois et la formation de notre personnel. Récemment, un accord a été signé entre la Fondation Renault et trois pôles universitaires en Algérie – université d’Oran, HEC et l’École polytechnique d’Alger –, qui va permettre à Renault de proposer des bourses d’étude aux étudiants. Cela va contribuer au développement des compétences. Sans oublier le centre de formation de l’Académie Renault. Comment évaluez-vous l’évolution du marché algérien de l’automobile ? Le marché automobile en Algérie a du potentiel. C’est un marché qui a connu une très forte croissance. En dix ans, les ventes ont été multipliées par dix. Vous avez deux indicateurs qui mesurent le potentiel du marché automobile dans un pays. Le premier, c’est le taux d’équipement automobile pour 1 000 habitants. En Algérie, ce taux est de 100 véhicules pour 1 000 habitants. En Europe, en moyenne, il est de 600 véhicules pour 1 000 habitants. Ça laisse de la marge. Le deuxième indicateur, c’est l’âge moyen du parc roulant. Il est de seize ans en Algérie. En France, c’est huit ans. Ces deux indicateurs nous laissent penser que sur le moyen terme il y a un véritable potentiel de croissance du marché automobile algérien, le deuxième d’Afrique, après l’Afrique du Sud. Il dispose de potentialités pour devenir le premier. ■ PROPOS RECUEILLIS PAR ACHIRA MAMMERI, Tout sur l’Algérie (tsa-algerie.com, Alger), en partenariat avec La Tribune AVIS FINANCIER INFORMATION à l’attention des actionnaires de la SICAV LIBERTES & SOLIDARITE (ISIN : FR0000004962) La Banque Postale Asset Management, gestionnaire financier, administratif et comptable par délégation de la SICAV LIBERTES & SOLIDARITE, vous informe des modifications suivantes qui seront apportées à la SICAV à compter du 05 décembre 2014 : 1/ Modification apportée à l’objectif de gestion liée à l’augmentation de l’exposition actions La limite maximale d’exposition aux marchés actions passe de 30 à 40%. L’objectif de gestion de la SICAV précise dorénavant une exposition aux marchés actions pouvant aller de 0 à 40% de l’actif net.L’indicateur composite de référence auquel la performance de la SICAV peut être comparée a posteriori est dorénavant 70% EuroMTS 3-5 ans + 30% MSCI World (il était précédemment composé pour 80% EuroMTS 3-5 ans et 20% MSCI World). L’impact de l’ensemble de ces modifications sur le profil rendement risque de la SICAV est inférieur ou égal à 20% de l’actif net. Les autres caractéristiques de la SICAV demeurent 2/ Mise à jour de la rubrique « Titres de créance et instruments inchangées. du marché monétaire » Vous retrouverez la totalité de ces informations dans La description de la sélection des titres de créance et instrument les documents d’information clé pour l’investisseur et le du marché monétaire a été revue, en adéquation avec les prospectus de LIBERTES & SOLIDARITE qui seront mis à dispositions du Règlement UE n° 462/2013 visant à limiter le jour en date du 05 décembre 2014 et disponibles à compter recours exclusif aux notations des agences de notation dans de cette date sur le site internet : l’analyse du profil rendement/ risque de crédit pour décider de www.labanquepostale-am.fr l’acquisition d’un titre, de sa conservation ou de sa cession. LA BANQUE POSTALE ASSET MANAGEMENT société de gestion de portefeuille ayant obtenu l’agrément COB n° GP 95015 - 34 rue de la Fédération - 75737 Paris cedex 15 S.A. à directoire et conseil de surveillance au capital de 5 099 733euros - RCS : Paris B 344 812 615 10 I L’ÉVÉNEMENT LA TRIBUNE - VENDREDI 28 NOVEMBRE 2014 - NO 110 - WWW.LATRIBUNE.FR Maroc, le royaume émergent à l’avant-garde de l’EurAfrique OÙ VA LE MAGHREB ? Depuis une dizaine d’années, le Maroc enchaîne sans discontinuer les réformes institutionnelles et sociétales. Le pays s’équipe aussi en infrastructures qui le projettent de plain-pied dans la modernité, tandis que sa vision économique et géopolitique de long terme lui confère un rôle essentiel dans le devenir de l’émergence de l’Afrique et de sa coopération avec l’Europe. PAR ALFRED MIGNOT @AlfredMignot V u d’Europe, le Maroc, cinquième puissance économique d’Afrique, paraît certes un pays relativement modeste, avec un PIB de seulement 113 milliards de dollars en 2013 (source FMI), tandis que celui de son voisin algérien atteint plus du double (228 Mds $) et pour une population d’importance comparable (33 millions au Maroc, 39 millions en Algérie). Mais, on le sait bien, le Maroc ne dispose pas de la colossale rente d’hydrocarbures de l’Algérie – même en baisse, celle-ci représente encore 63 milliards de dollars de recettes en 2013, soit 98 % des exportations du pays –, et, si le PIB dit le présent, il n’énonce pas l’avenir, en ce sens que l’accomplissement du potentiel d’un pays relève aujourd’hui de bien d’autres paramètres : capacité à en réformer les structures, à améliorer la gouvernance publique et le climat des affaires, à inspirer la confiance aux investisseurs, à réaliser des infrastructures, à faire progresser les droits universels et à faire accepter des réformes sociétales avec un consensus suffisamment large pour préserver la paix sociale et la stabilité du pays… LE CHANTIER DES RÉFORMES ET DES INFRASTRUCTURES Tout cela, le Maroc l’a accompli ou engagé depuis une quinzaine d’années. Que l’on se rappelle par exemple la réforme du statut de la famille (Mudawana, 2004) qui a fortement atténué la possibilité de polygamie sans toutefois l’interdire formellement – le candidat polygame doit prouver devant un tribunal qu’il a les moyens matériels de faire vivre dignement sa deuxième femme, alors qu’avant la polygamie allait de soi. Une avancée renforcée par la Constitution de 2011, qui affirme l’« égalité civile et sociale entre l’homme et la femme ». Adoptée par voie de référendum – et même plébiscitée, avec 97,58 % de oui et un taux de participation de 75,50 % –, cette Constitution, lancée au moment même où d’autres pays s’embrasaient sous l’effet du « printemps arabe », marque aussi une avancée certaine vers la monarchie parlementaire, le roi ayant accepté de se défaire de certaines prérogatives. Par exemple, la Constitution énonce formellement que le chef du gouvernement doit être issu du parti majoritaire à l’Assemblée, alors que le choix du roi n’était soumis jusque-là à aucune obligation ; de même, c’est au chef de gouvernement qu’est désormais dévolu le droit de dissoudre la Chambre basse du Parlement. Qu’on se rappelle enfin la mise en chantier, par cette même Constitution de 2011, d’une organisation territoriale modernisée, l’article premier stipulant que « l’organisation territoriale du royaume est décentralisée, fondée sur une Le roi Mohammed VI à l’aéroport d’Abidjan (Côte d’Ivoire), le 23 février, étape d’une tournée diplomatique très constructive qui aura duré trois semaines, en Afrique subsaharienne (Côte d’Ivoire, Guinée Conakry, Gabon et Mali). © THIERRY GOUEGNON / REUTERS régionalisation avancée », réforme dont l’entrée en vigueur est programmée pour 2015. « Le pays a franchi d’importantes étapes en ce qui concerne son développement économique et social », lit-on dans le rapport 2013 du Femise, le Forum euroméditerranéen des instituts de sciences économiques. En fait, la capacité du pays à accélérer sa modernisation est devenue l’un des indicateurs majeurs du royaume, voire un élément constitutif de son image de marque. Dix ans après le lancement, en 2004, du plan Émergence – il rassemble plusieurs plans sectoriels de long terme – piloté par Mounir Majidi, le dirigeant, depuis 2002, de la holding royale Siger et secrétaire particulier du roi, les résultats sont patents. En effet, côté infrastructures, plusieurs initiatives à caractère exemplaire témoignent de la considérable avancée marocaine. C’est le cas du port de Tanger Med, inauguré en 2007. Son succès dépasse les meilleurs pronostics de trafic (+ 30 % dès 2009, d’où la création de Tanger Med II, livrable en 2015) et la vaste zone industrielle adjacente (935 hectares), réalisée en partenariat publicprivé (une première au Maroc), a déjà permis de créer plus de 30 000 emplois, dans le sillage de l’installation de l’usine Renault – bel exemple de coproduction réussie –, qui a déjà généré à elle seule « 6 000 emplois directs et quelque 30 000 emplois indirects », nous confiait en juillet 2013 Fouad El Omari, député et maire de Tanger. C’est aussi le cas du TGV Casablanca-RabatTanger, en cours de réalisation : son inauguration est prévue pour 2016 – il sera alors le premier TGV de tout le continent africain. Troisième exemple d’importance, la réalisation du site phare du plan solaire marocain, plus vaste parc photovoltaïque d’Afrique (33 km2), en construction à Ouarazate, dans la région de Souss-Massa-Draâ, au sud-est de Marrakech. Livrable en 2015, la centrale est conçue pour produire 500 MW, soit l’équivalent de la demande d’une ville de 250 000 habitants. À tout cela, il faut encore ajouter la construction des autoroutes – 2 000 km aujourd’hui, contre… 70 en 1999 – et les performances remarquables du pays dans des activités de haute technologie, comme c’est le cas de la jeune industrie aéronautique. Née au début des années 2000 d’un processus de coproduction avec Safran (lire l’encadré, page 5) elle compte à ce jour une centaine d’entreprises générant 10 000 emplois et ses exportations ont progressé de plus de 12 % en 2013. Cerise sur le gâteau : en 2013, les investissements directs étrangers (IDE) au Maroc se sont élevés à quelque 3,5 milliards de dollars, un record qui fait du royaume alaouite le leader des récipiendaires de la région MENA (Afrique du Nord et Proche-Orient) durant cette période. C’est que « le processus démocratique au Maroc renforce son attractivité économique », estime le député européen Gilles Pargneaux, président du groupe d’amitié Maroc-UE. CRÉATION D’UN FONDS NATIONAL D’INVESTISSEMENT Aujourd’hui, le Maroc veut se donner les moyens d’avancer encore. C’est le sens de la toute récente réorientation stratégique de la holding royale Siger, dont la structure et les objectifs ont été totalement revus. L’homme porteur de ces changements, Mounir Majidi, en a donné la feuille de route en octobre dernier : la SNI (Société nationale d’investissement) se positionne désormais comme un fonds d’investissement de long terme, en soutien à de nouvelles activités de développement, et tourné vers un essor national et régional. Ainsi la SNI va-t-elle déployer pleinement son soutien au développement économique international du Maroc, et d’abord en Afrique. Côté finances, le groupe Attijariwafa Bank, filiale du groupe SNI, incarne à lui seul le rêve africain du royaume, puisqu’il apporte déjà son expertise et sa contribution dans 13 pays du continent. Mais d’autres champions nationaux sont aussi « portés » par la holding royale : Maroc Télécom, Alliances (1er groupe immobilier et touristique intégré), ONE et ONEP (offices nationaux de l’eau et de l’électricité), Addoha (n° 1 de l’immobilier), l’OCP (l’Office chérifien des phosphates, dont il est l’un des premiers exportateurs mondiaux)… accompagnaient le roi Mohammed VI lors de sa tournée diplomatique de trois semaines en Afrique subsaharienne (en Côte d’Ivoire, Guinée Conakry, Gabon et Mali), en février-mars. Une tournée au cours de laquelle le Maroc a engrangé pas moins de quelque 80 conventions et accords dans les secteurs les plus divers : agriculture, santé, habitat, formation professionnelle, banque et finance, mines, TIC, transport, tourisme… Si autant d’accords ont pu être signés dans des secteurs aussi divers, c’est bien parce que depuis des années le Maroc a pu capitaliser expertises et savoir-faire (aéronautique, automobile, banques, tourisme, télé- I 11 LA TRIBUNE - VENDREDI 28 NOVEMBRE 2014 - NO 110 - WWW.LATRIBUNE.FR coms…) acquis notamment grâce à son ouverture économique et à sa coopération avec l’Europe – et la France en particulier, son premier partenaire. Ces atouts expliquent l’attractivité et le rayonnement d’un pays dont le monarque porte une vision africaine. La « crédibilité veut que les richesses de notre continent bénéficient, en premier lieu, aux peuples africains. Cela suppose que la coopération Sud-Sud soit au cœur de leurs partenariats économiques (…) accompagnés par une action crédible et un engagement constant », déclarait-il dans son discours d’ouverture du Forum économique d’Abidjan. Dans cette perspective africaine, la marge de progression du Maroc est immense, car à ce jour le royaume ne réalise que 2,5 % de son commerce extérieur avec l’Afrique, alors même que 85 % des investissements marocains à l’étranger se font déjà sur ce continent où le royaume se place au deuxième rang, après l’Afrique du Sud. DE L’AFRIQUE À L’EUROPE, UN DOUBLE ARRIMAGE Le rapport 2013 sur l’état de la politique européenne de voisinage (PEV) avec le Maroc confirme une fois de plus son côté « premier de la classe ». Le document relève en effet qu’en 2013 « la majorité des recommandations du rapport de l’année précédente ont été suivies [par le Maroc] ». Il cite par exemple le plan gouvernemental pour l’égalité (PGE), ainsi que le projet de loi sur l’Autorité pour la parité et la lutte contre toutes les formes de discrimination (APALD), approuvés en Conseil de gouvernement. Cette progression constante du Maroc dans l’assimilation des valeurs et standards européens s’inscrit dans un mouvement désormais engagé depuis deux décennies et dont un premier aboutissement tient au « statut avancé » de partenaire de l’Europe dont le Maroc bénéficie depuis 2008. Ce mouvement de fort rapprochement avec l’Europe, pour ne pas dire vers l’intégration, continue de se déployer : depuis avril 2013, un accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA) est en négociation avancée. S’il aboutit comme prévu (la dernière réunion s’est tenue en juillet 2014), il reviendra à intégrer presque totalement le royaume au marché unique européen. À cela s’ajoutent encore un partenariat de migration et de mobilité (depuis juin 2013) et un accord de pêche, renouvelé en décembre dernier. Autre élément porté au crédit du Maroc : le royaume s’est toujours JET ALU MAROC, UN SUDISTE QUI INVESTIT EN FRANCE En 2013, le groupe Jet Alu Maroc a racheté plusieurs entreprises françaises afin de compléter son appareil productif et développer de nouvelles compétences qui lui permettront de partir à la conquête de nouveaux marchés. J et Alu Maroc est la principale filiale de la holding industrielle et financière AR Corporation, qui regroupe des participations dans une quinzaine d’entreprises marocaines de BTP et emploie plus de 2 000 personnes. Jet Alu Maroc a réalisé un chiffre d’affaires de 450 millions de dirhams en 2013. Spécialisé dans les métiers du second œuvre, en ossature, structure et enveloppe du bâtiment, l’entreprise propose à ses clients une offre clés en main, où elle prend en charge à la fois la conception des projets et l’achat, la construction et l’installation des éléments nécessaires à la réalisation d’un ouvrage. Jet Alu Maroc a engagé en 2013 son internationalisation par des opérations de croissance externe en France et en Algérie. En France, cette démarche s’est concrétisée par la reprise de sociétés en liquidation judiciaire dans des secteurs connexes de ses métiers traditionnels (menuiserie aluminium, serrurerie, métallerie, maintenance) en Île-de-France et dans le Nord-Ouest. Au travers de Jet Alu SAS (ex-Leblanc SA), Silver Constructions, Micjet et Sotrajet, Jet Alu Maroc emploie une centaine de collaborateurs en France. Le développement algérien a été opéré par coentreprise, Jet Alu Algérie, créée avec le groupe algérien Cevital. fortement impliqué dans la construction du partenariat euroméditerranéen, autant avec le processus de Barcelone (1995) qu’avec la plus récente Union pour la Méditerranée (2007), dont l’actuel secrétaire général est d’ailleurs l’un de ses brillants diplomates, ancien ambassadeur en Belgique et en France, Fathallah Sujilmassi. Rien de surprenant, donc, que Mohammed VI affirme que l’engagement fort du Maroc pour l’Afrique ne saurait être exclusif d’une ouverture tout aussi conséquente vis-à-vis des autres espaces de partenariat, et particulièrement de l’Europe : « La promotion volontariste de la coopération intraafricaine et de l’intégration sous-régionale sur notre continent n’exclut en aucun cas, et tant s’en faut, l’approfondissement, en parallèle, des rapports mutuellement bénéfiques de l’Afrique avec ses multiples partenaires et en particulier avec l’Union européenne et ses L’intégration des filiales françaises s’inscrit dans une démarche de coproduction. La stratégie s’articule autour de trois volets, liés à la fabrication, à la conception et à la R&D. Jet Alu Maroc a entrepris de rapatrier au Maroc certains sous-segments à plus faible valeur ajoutée, afin de viabiliser les entreprises rachetées. Ces transferts doivent permettre de réduire les coûts de production en France pour restaurer les marges. Ils occasionneront aussi le recentrage de la production française sur les activités à plus haute valeur ajoutée, qui exigent la maîtrise des technologies et des normes européennes. Parallèlement, Jet Alu Maroc a transféré au Maroc certaines des opérations les moins complexes de son activité de bureau d’études, comme celles des mesures réalisées lors de la phase de devis et de conception des projets. Pour mettre en œuvre cette reconfiguration, l’entreprise a organisé des sessions de formation pour ses employés marocains, qui ont été dispensées par les ingénieurs français du groupe. Par ces transferts de compétences et cette fragmentation du segment « études », Jet Alu Maroc a pu réduire le coût global de son activité de conception des projets. Des ingénieurs ont été recrutés au Maroc, tandis que le maintien des activités à plus forte valeur ajoutée en France a permis d’y conserver les emplois les plus qualifiés. États membres. Bien au contraire, les deux processus s’enrichissent l’un et l’autre et se complètent vigoureusement. » Avec cette vision clairement affirmée, Mohammed VI illustre ainsi, une fois de plus, la célèbre métaphore de son père, le roi Hassan II, qui se plaisait à répéter : « Le Maroc est un arbre qui plonge ses racines en Afrique et dont les feuilles respirent en Europe. » Une évidence, vue du Maroc, que le souverain alaouite a encore réaffirmée dans son adresse au sommet UEAfrique, le 3 avril : « De par son histoire et sa position géographique, le Maroc a, depuis toujours, joué un rôle de trait d’union entre l’Europe voisine et l’Afrique et plaidé, dès la première heure, pour un partenariat novateur, équitable et mutuellement bénéfique entre une Europe unie et une Afrique émergente. » Ces propos étant déjà en grande partie en phase avec la réalité. C’est en cela que le Maroc est à l’avant-garde d’une EurAfrique que Les implantations françaises de Jet Alu lui permettent de se rapprocher des donneurs d’ordre internationaux, dont les sièges sociaux sont le plus souvent établis en Europe. Les filiales françaises, qui maîtrisent les standards internationaux de production, pourront ainsi servir de base pour la réponse aux appels d’offres de ces groupes. Les efforts seront concentrés sur les projets au Moyen-Orient et en Afrique, pour lesquels Jet Alu Maroc pourra valoriser les complémentarités de son modèle de coproduction et de sa présence simultanée au sud et au nord de la Méditerranée. ■ MAXIME WEIGERT EXPERT COPRODUCTION POUR IPEMED La piscine sports-loisirs-santé de Fougères (35), un ouvrage construit avec la participation de Jet Alu. © JET ALU certains prospectivistes, notamment proches de l’Ipemed, espèrent voir se concrétiser en ce xxie siècle. Ce faisant, le Maroc, de loin le plus ancien État-nation d’Afrique (douze siècles), renouerait avec les plus riches heures de son histoire, illustrée en Europe par la magnificence de sa civilisation d’El Andalous, qui concerna les deux tiers de l’actuelle Espagne, du viiie au xve siècle ; illustrée aussi en Afrique, par le rayonnement des empires de ses dynasties successives, dont certaines étendirent leur influence sur l’ensemble du Maghreb jusqu’à l’actuelle Libye et, au sud, jusqu’au Sénégal – et cela dès l’avènement (1672) de Moulay Ismaïl, deuxième souverain de l’actuelle dynastie alaouite. Un roi puissant, administrateur et bâtisseur que l’on comparait volontiers à son contemporain… Louis XIV. ■ ZODIAC AEROSPACE RÉSULTATS DE L’EXERCICE 2013/2014 (AU 31 AOÛT 2014) UN NOUVEL EXERCICE DE CROISSANCE ORGANIQUE Plaisir,le25novembre2014-LeConseildeSurveillancedeZodiacAerospaceaapprouvélescomptesduGroupepourl’exercice2013/2014. CROISSANCE ORGANIQUE DE L’ACTIVITÉ ET DU ROC EN 2013/2014 • • • Chiffred’affairesenhaussede+7,3%à4174,5M€;+7,7%enorganique RésultatOpérationnelCourantenhausseorganiquede+2,1%malgrélesdifficultésopérationnellesrencontréesdanslesactivités AircraftInteriors LeRésultatnetpartduGroupes’établità354,4M€ UNE STRUCTURE FINANCIÈRE SOLIDE • • • Troisacquisitionsréaliséesen2013/2014:TriaGnoSys,PPPetGreenpointTechnologies Unendettementfinanciermaîtrisé:leratiodettenettesurfondspropresressortà0,43 RatioDette/EBITDAde1,42contre1,26 Lors de l’Assemblée Générale des Actionnaires, le Conseil de Surveillance proposera un dividende de 0,32 € par action. Pour 2014/2015, Zodiac Aerospace profitera de la croissance du trafic aérien et de la montée en cadence des programmes civils. Grâce aux plans industriels mis en place dans ses activités Sièges, ZodiacAerospace anticipe un retour progressifàunniveauderentabilitéopérationnelleconformeauxstandardsduGroupeaucoursdel’exercice. Retrouvez l’intégralité du communiqué sur : www.zodiacaerospace.com Chiffre d’affaires 4 174,5 M€ 2013/2014 résultat opérationnel courant (avant IFRS3) 549,9 M€ 2013/2014 résultat net part du groupe 354,4 M€ 2013/2014 12 I ENTREPRISES LA TRIBUNE - VENDREDI 28 NOVEMBRE 2014 - NO 110 - WWW.LATRIBUNE.FR lités – croient encore que la relance se fait par le déficit budgétaire et la reprise par une politique monétaire pour faire baisser les taux d’intérêt. Or, le déficit et la dette accumulés empêchent le retour de la croissance et la politique monétaire européenne actuelle, ultra-accommodante, s’avère inefficace. Les taux d’intérêt quasi nuls ne se traduisent pas par de la consommation ou des investissements. Retrouver la croissance, c’est décider le retour à l’accumulation sous toutes ses formes : des connaissances (réformes de l’éducation, de la recherche, de l’enseignement supérieur), du capital (baisse « La grandeur d’une nation, c’est d’anticiper les grandes évolutions » Denis Kessler était l’invité de la Matinale La Tribune/FNTP, mercredi 19 novembre. © SCOR-N.OUNDJIAN DENIS KESSLER, PDG de SCOR SE, ANCIEN VICE-PRÉSIDENT DU MEDEF « Pas de compétitivité des entreprises françaises sans compétitivité de l’État » À la veille des manifestations des chefs d’entreprise pour la croissance et l’emploi, Denis Kessler sonne la mobilisation générale. Très sévère sur ce quinquennat à sa mi-temps, il estime que « c’est l’inaction et la procrastination qui fragilisent le pays et désespèrent les citoyens ». Il appelle à redessiner un « pacte de confiance » entre l’État et les entreprises. PROPOS RECUEILLIS PAR PHILIPPE MABILLE ET SYLVAIN ROLLAND @phmabille @SylvRolland LA TRIBUNE – Quel diagnostic faitesvous de la situation de la France ? DENIS KESSLER – La situation économique du pays est catastrophique à tous les niveaux. Il n’y a pas un seul indicateur économique dans le vert : emploi, croissance, comptes extérieurs, investissement, productivité, logement, rien ne va plus. Dans l’entreprise, le climat des affaires est plus que morose et les prévisions d’investissement sont au point mort. L’économie est bloquée, grippée, encalminée… Les comptes publics sont désastreux, les dépenses publiques et sociales dépassent 57 % du PIB, la dette publique dépasse 95 % du PIB et le déficit atteint 4,4 % du PIB, bien loin de l’objectif des 3 %. La compétitivité est en berne, et ne parlons plus d’attractivité… Le pays est affaibli, suscite l’inquiétude parmi tous ses partenaires et, si rien n’est fait, la probabilité de se retrouver sous tutelle augmente… Malheureusement, l’attitude de déni permanent de la gravité de la situation per- dure. On ne veut pas entendre le diagnostic pour éviter de devoir suivre la thérapie radicale que la gravité de la situation exigerait. Il faut en effet revenir sur des choix historiques erronés, des organisations dépassées, des structures périmées. Vaste programme, aurait dit le Général… Le déclin ne date certes pas d’aujourd’hui, et les responsabilités sont partagées. On n’a pas voulu tirer les conséquences d’évolution fondamentales tels l’européanisation, puis la globalisation, les changements technologiques, le vieillissement de la population… Alors qu’il fallait se préparer à ces défis, on a même régressé sur de nombreux sujets : abaissement de l’âge de la retraite, 35 heures, dépenses publiques et sociales, déclin de l’enseignement… Ce diagnostic-catastrophe est malheureusement partagé par beaucoup d’observateurs et de décideurs étrangers. Sans remise en marche de l’économie, point de salut. Il faut donner toute la priorité au secteur productif, développer le secteur des entreprises, reprendre l’accumulation des richesses. Les outils sont pourtant connus depuis longtemps : réduire la dette et les déficits, supprimer les blocages du marché du travail, développer l’épargne longue et soutenir massivement le secteur privé, encourager l’innovation et promouvoir l’esprit d’entreprise, s’adapter aux mutations de la société liées aux nouvelles technologies et au vieillissement de la population. Mais nous avons un État impuissant – alors qu’il laisse croire aux citoyens qu’il est omnipotent –, en difficulté dans l’accomplissement de ses tâches régaliennes, captateur des richesses créées, incapable de se restructurer – alors qu’il donne des leçons d’adaptation aux entreprises. Comment expliquez-vous ces blocages ? Une très large partie de la classe politique est inspirée d’une idéologie keynésienne et colbertiste. Trop de dirigeants – en poste ou aspirant à prendre les responsabi- des prélèvements, investissement productif, épargne longue)… Même l’État devrait accumuler, sous forme d’infrastructures, alors qu’il se consacre principalement à des dépenses de transfert. La grandeur d’une nation, c’est d’anticiper les grandes évolutions. L’impact du vieillissement de la population sur les retraites par répartition, les conséquences de l’immigration sans politique d’intégration, la concurrence accrue avec la mondialisation, tout cela était prévisible il y a trente ans. Mais on a procrastiné, sport national très pratiqué ! Et trop de citoyens pensent que si la France ne décolle pas c’est uniquement à cause des pilotes – qu’on change fréquemment – alors que le problème, c’est l’avion France : il ne décolle pas parce qu’il est en plomb. Il est grand temps de le redessiner et de l’alléger. Quelle solution préconisez-vous pour retrouver la croissance ? Je le répète, il faut recréer les conditions d’une société de croissance : choisir le retour à l’accumulation sous toutes ses formes, éradiquer les déficits publics et sociaux, redonner la priorité à la société civile, qui a rétréci comme peau de chagrin… et réunir les conditions d’une société de confiance, en repensant et redéfinissant le pacte social français. La France a besoin d’un projet positif, engageant, mobilisateur. Réduire la dette et les déficits, ce n’est pas une fin en soi mais seulement un moyen pour pouvoir commencer à reconstruire l’avenir, retrouver la maîtrise de son destin. Il faut une vision claire de l’avenir, une volonté sans faille pour atteindre les objectifs, des valeurs prouvées et respectées. Sans vision de long terme, pas de cohérence de la politique. Le pire du pire, c’est la navigation à vue, les décisions prises au jour le jour, dans l’urgence souvent. La vision indispensable pour créer de la croissance ne peut être appliquée qu’en s’appuyant sur des valeurs très fortes et sur une volonté irréfragable pour passer outre les blocages. Les citoyens pourraient accepter des mesures douloureuses s’ils en comprenaient la nécessité et la finalité et s’ils avaient le sentiment qu’elles s’inscrivent dans un projet de long terme mobilisateur. C’est pourquoi je pense qu’il est prioritaire de redéfinir d’une part les droits et les devoirs de chacun et, d’autre part, les domaines d’intervention de l’État. Le domaine du politique, c’est la justice, la sécurité, la diplomatie et tous les autres problèmes régaliens, ce n’est pas les entreprises. Or, l’État continue sans cesse de vouloir contrôler, régenter, encadrer les entreprises. Pour retrouver la croissance, il I 13 LA TRIBUNE - VENDREDI 28 NOVEMBRE 2014 - NO 110 - WWW.LATRIBUNE.FR faut élaborer un nouveau pacte fondamental de confiance entre l’État et les entreprises : il reste à construire. En quoi consisterait ce pacte de confiance ? Moins d’intervention de l’État dans l’économie ? L’État doit arrêter de légiférer à tout va et laisser les entreprises travailler. Il faut viser la « dépolitisation » de l’entreprise en France. L’entreprise a été l’objet permanent des politiques, ce qui se traduit par une législation aujourd’hui beaucoup trop lourde et une fiscalité excessive. L’Europe a déjà défini les grands principes de l’ordre public social, c’est suffisant. L’État doit faire confiance aux acteurs économiques, c’est-àdire les entreprises et les auteurs qui les animent pour ériger à leurs niveaux les règles concrètes à respecter, à l’instar de ce qui se passe chez nos partenaires européens. Ériger les règles du marché du travail avec les acteurs concernés, n’est-ce pas l’objectif du dialogue social prôné par le gouvernement ? La sphère de la loi est boursouflée, celle du contrat étriquée… Il y a quinze ans, lors de la refondation sociale, nous disions qu’il fallait que l’État redonne la liberté contractuelle et conventionnelle aux partenaires sociaux directement impliqués dans le secteur productif. Car, pour défaire une loi, un règlement, il faut une nouvelle loi et un nouveau règlement, processus éminemment politique et politisé, souvent autobloquant… Il y a une chose à laquelle je ne crois plus vraiment, c’est le dialogue au niveau national. Les grandes messes sociales, les sommets, cela ne marche pas. Trop de partenaires sociaux autour de la table, trop de postures, qui freinent toute dynamique de construction, toute recherche d’un consensus. Les sommets sont souvent venteux et arides, dans la nature comme dans le social. C’est dans le fond des vallées que la vie se développe. En revanche, je crois profondément au dialogue social dans l’entreprise. Cela fonctionne, en permanence et non en intermittence, il y a moins d’interlocuteurs, un dialogue plus direct et une meilleure prise en compte de l’intérêt général. Et on se retrouve tôt ou tard autour de la même table. Et les deals sont multidimensionnels. Je crois en la pyramide inversée : on devrait négocier dans l’entreprise, puis dans les branches, mais très rarement au niveau national. Pourtant, le gouvernement multiplie les déclarations bienveillantes à l’égard des entreprises et affiche une volonté de réforme et de simplification, notamment avec la loi Macron qui a pour ambition de s’attaquer à de nombreux blocages… Les deux années du gouvernement Ayrault ont été une « cata », comme on dit dans les cours de récré. Le choc fiscal a déstabilisé toute l’économie et a miné la confiance. Aujourd’hui, le gouvernement annonce faire marche arrière, pourquoi faudrait-il applaudir, alors qu’il est allé si loin dans le mauvais sens au cours des deux premières années du mandat et que dans les faits peu de chose a changé ? Beaucoup d’annonces, peu de changements réels à ce stade. Expliquez-moi « On devrait négocier dans l’entreprise, puis dans les branches, mais très rarement au niveau national » pourquoi on fait des déclarations sur la suppression des retraites dites « chapeau », qui sont en capitalisation, déjà surtaxées et payées par les entreprises ? On ferait mieux de s’occuper des retraites du secteur public, qui coûtent fort cher au contribuable ! Enfin, les grandes transformations historiques sont toujours l’objet d’une équipe soudée, déterminée, et se développent sur le long terme, animées à tous les niveaux des organisations publiques et sociales : on en est loin ! Les rapports entre le gouvernement et le patronat se tendent. La frange la plus contestataire du Medef prévoit des manifestations au mois de décembre. Pourquoi cette radicalisation ? Les difficultés des entreprises de terrain sont très graves, comme en témoigne le nombre record de faillites. Le taux de marge est extrêmement bas, les carnets de commandes dégarnis, les difficultés de trésorerie croissantes, l’investissement en berne, la concurrence de plus en plus dure, et l’on s’interroge doctement sur le fait que les troupes ont le moral dans les chaussettes ? Seules les entreprises qui ont réussi à se diversifier internationalement arrivent à s’en sortir, c’est le cas de la plupart des sociétés du CAC 40 et du SBF 120. Celles dont le principal site de production est en France souffrent terriblement. Ce qui explique le ras-le-bol des chefs d’entreprise face à la situation politique et économique du pays. En 2000, vous aviez lancé au Medef la refondation sociale, pour tenter de réformer par le dialogue social entre le patronat et les syndicats. Cela n’a pas suffi pour avancer. À quoi ressemblerait en 2014 le « pacte Kessler » ? Ceux qui n’arrivent à s’exprimer que par slogans – ils sont nombreux en France – m’ont reproché de vouloir « casser » le modèle social français parce que j’ai dit que les ordonnances de 1945 avaient mis en place des institutions et organisations qui n’étaient plus adaptées au monde actuel. Il faut reconstruire tout ce qui apparaît daté, dépassé, obsolète, en donnant du sens à ces transformations. Notre organisation sociale et économique doit s’adapter en permanence, parce que le réel est changeant : évolutions démographiques, technologiques, sociales, internationales. Comparez la situation de 1945 au sortir de la Seconde Guerre mondiale et la situation actuelle ! Il faut remettre la société en mouvement, pour qu’elle connaisse des transformations permanentes, plutôt que des grandes réformes… toujours annoncées, rarement mises en œuvre. Le mot de réforme ne s’applique pas à l’entreprise qui doit évoluer en permanence, sous la contrainte de la compétitivité. L’État français est désormais en compétition, en concurrence avec les autres États-nations : les systèmes éducatifs, judiciaires, sociaux, fiscaux… rentrent en résonance les uns avec les autres. C’est l’ère de la compétitivité globale. Pas de compétitivité des entreprises françaises sans compétitivité de l’État français. INNOVONS ENSEMBLE, AVEC Vous insistez sur l’importance d’une vision claire pour l’avenir. Qui, en France, aurait les épaules pour porter un tel projet ? En politique, l’offre ne correspond pas toujours à la demande, comme on dit en économie… Il faut un homme ou une femme d’État avec des valeurs, une vision et une volonté. Il faut qu’il ait de l’autorité et qu’il soit entouré d’une équipe soudée. Il ne faut pas quelqu’un qui soit en avance sur son temps, mais une personnalité qui comprenne le nouvel ordre mondial, les conséquences de la globalisation, l’impact des nouvelles technologies, les effets de la coexistence inédite dans l’histoire de quatre générations, les exigences nouvelles de la société de la connaissance, etc. La responsabilité des dirigeants, c’est avant tout de redonner un cap, du sens à l’avenir de notre pays, et pour cela il faut d’abord et avant tout de l’autorité. L’autorité, c’est la mise en mouvement de l’homme par l’homme, sans avoir à recourir à la force ou à la violence physique ou symbolique. Aujourd’hui, la société française souffre d’un excès de pouvoir et d’un déficit d’autorité. Et il va en falloir pour éviter que notre pays connaisse « la maladie sénile des crises économiques » que j’appelle les « 3 P » : le protectionnisme, le populisme et le (mauvais) patriotisme. Évitons à tout prix ces dérives. Est-il possible d’opérer un tel changement ? Je le crois. Ce qui me rassure, c’est d’avoir vu des pays comme la Suède ou le Canada mettre les bouchées doubles et réussir à reprendre le chemin de la croissance et de la compétitivité. Je reste optimiste quand je regarde l’évolution du RoyaumeUni. Depuis 2010, lorsque David Cameron est arrivé au pouvoir, le Royaume-Uni a impulsé une ligne économique et politique cohérente qui produit ses effets : croissance, compétitivité et baisse du chômage. Tout n’est pas parfait, mais le pays a été remis sur de bons rails, et il est devenu attractif, notamment pour les talents. Je n’aime pas les excuses répétées à l’envi, selon lesquelles « les Français ne sont pas prêts » ou que « la société est fragile » : c’est l’inaction et la procrastination qui fragilisent les pays et désespèrent les citoyens. ■ ET Dans quelques jours, Lyra Network ouvrira une nouvelle filiale. Après le Brésil, l’Inde, l’Allemagne et la Chine, c’est au Chili que cet opérateur de monétique indépendant a choisi de s’implanter. Avec les 77 personnes qui travaillent à Labège (Midi-Pyrénées), où se trouve son siège, le groupe fondé en 2001 comptera alors 130 salariés. « A l’origine, Lyra Network était spécialisé dans les réseaux de télécommunications pour les banques. Nous avons diversifié notre offre au fil du temps, et nous proposons aujourd’hui une plateforme en ligne de paiement multimodal », explique Alain Lacour, le PDG de Lyra Network. Début 2015, il prévoit de lancer une offre de paiement mobile en Europe, et d’ajouter de nouveaux services autour du protocole « Sepa Mail », avec une intégration dans la plateforme Payzen, pour régler une facture depuis la banque en ligne de l’utilisateur. Choisie par l’Association Nationale des chèques Vacances (ANCV) pour implémenter le paiement sur internet des chèques vacances dématérialisés, Lyra Network déploiera cette nouvelle offre dès février. Un groupe de transport s’intéresse lui aussi au savoir-faire de Lyra Network. Pour mener cette diversification, Lyra Network a mené d’importants efforts de recherche. « Bpifrance nous a accompagné à nos débuts, avec des avances remboursables », précise Alain Lacour. Membre actif du réseau Bpifrance Excellence, qui fédère 3000 entreprises innovantes sélectionnées en France, il contribue chaque semaine aux discussions sur ce forum. « Les équipes de Bpifrance s’impliquent beaucoup pour faciliter les rencontres entre les chefs d’entreprises, et font en sorte de nous donner de la visibilité. » En 2015, Lyra Network prévoit de réaliser un chiffre d’affaires supérieur à 60 millions d’euros, en croissance de 10% par rapport à celui de 2014, qui a été une « année de consolidation ». Entrepreneurs, Bpifrance vous soutient en prêt et capital, contactez Bpifrance de votre région : bpifrance.fr Alain Lacour, PDG de Lyra Network © Lyra Network LYRA NETWORK, CRÉATEUR DE MODES DE PAIEMENT 14 I LA TRIBUNE - VENDREDI 28 NOVEMBRE 2014 - NO 110 - WWW.LATRIBUNE.FR LE TOUR DU MONDE DE Du casque connecté purificateur d’air à la voiture « transparente » du futur Chaque semaine, La Tribune vous propose de partir à la découverte des petites et grandes innovations qui annoncent l’avenir. 1 4 WASHINGTON – États-Unis Un vélo électrique contrôlé par les battements du cœur PALO ALTO – États-Unis Sport. Faire du vélo n’aura jamais été aussi efficace. Pour mieux adapter les séances de cyclisme au rythme et aux objectifs de chacun, l’entreprise américaine Falco a développé un système de vélo électrique qui prend en compte les battements du cœur pour régler l’intensité du pédalage. Le « Falco Electric Wheel » est un kit qui se compose d’une roue reliée à un boîtier équipé de plusieurs capteurs. Le boîtier analyse les données biométriques de l’utilisateur pour adapter son effort grâce à un système de propulsion électrique. Il suffit d’indiquer sur l’application smartphone dédiée le nombre de pulsations à atteindre ou à ne pas dépasser. Si votre cœur s’emballe, le dispositif enclenchera l’aide électrique. Si, au contraire, vous ne vous donnez pas à fond, le boîtier augmentera la difficulté du pédalage. Plastc card, la carte bancaire connectée et intelligente Paiement. Cartes de paiement, cartes de fidélité… Trouver la bonne carte au bon moment peut parfois tourner au casse-tête, sans compter qu’il est facile de les perdre. Pour y remédier, une start-up californienne commercialisera au printemps prochain la Plastc card, une carte intelligente qui remplace toutes vos cartes en une seule. L’utilisateur doit entrer en amont leurs propriétés sur l’application smartphone dédiée. Lors d’un achat, il peut ainsi choisir la ou les cartes à utiliser. La Plastc card dispose d’une sorte d’écran tactile protégé par un code PIN. Pour payer, il faut déverrouiller la carte et choisir celle dont on a besoin. Si vous l’oubliez quelque part, une alerte SMS vous est envoyée. Vous pouvez même bloquer votre carte à distance, si nécessaire. 2 4 1 7 6 5 © PLASTC © FALCO 3 2 3 Un mini-robot capable de porter secours aux hommes CALGARY – Canada Un bracelet connecté convoqué comme « témoin » à un procès Intelligence artificielle. Et si des robots intelligents étaient capables de trouver des humains au milieu des décombres et de leur porter secours ? Ce sera bientôt possible grâce à des chercheurs de l’université de Guadalajara. Ces scientifiques ont mis au point le robot idéal pour aider les secouristes dans les zones accidentées. Contrôlable à distance et doté d’une petite taille pour se faufiler partout, il fonctionne grâce à un algorithme complexe qui lui permet de reconnaître le visage, la voix ou la silhouette de n’importe quel humain. Le prototype peut ainsi identifier un homme même s’il est recouvert de gravats. Il peut aussi évoluer dans un environnement dangereux, comme les zones radioactives ou les endroits escarpés ou en altitude. © DR Justice. C’est une première dans le monde des objets connectés et dans celui de la justice. Des données issues d’un bracelet connecté de marque Fitbit seront utilisées comme témoins lors du procès d’une Canadienne. La jeune femme, victime d’un accident, entend utiliser son bracelet pour prouver que son activité physique a diminué, et ainsi obtenir des dommages et intérêts. Ce « témoin » original sera entendu grâce à l’intervention d’un analyste neutre d’une société spécialisée dans l’analyse des données, qui les interprétera à la barre. En plus de souligner le flou juridique qui entoure les objets connectés, ce précédent pourrait ouvrir la porte à d’autres utilisations de ce genre de données pour d’autres procès, comme les affaires criminelles. PLUS D'ACTUALITÉS ET D'INFOGRAPHIES SUR LATRIBUNE.fr GUADALAJARA – Mexique 5 HAMMAMET – Tunisie Du wi-fi gratuit si la plage est propre Environnement. Quand la technologie se met au service de l’environnement, cela donne l’opération « Gardons nos plages propres », lancée l’été dernier par l’opérateur Tunisie Télécom et l’agence de communication Mindshare. L’objectif : sensibiliser les touristes et les locaux au recyclage en appliquant le vieux principe de la carotte. Ainsi, pour chaque kilogramme de déchets collectés, l’opérateur offrait 1 Go d’Internet mobile aux touristes, grâce à l’installation d’une immense poubelle connectée au milieu du sable. Les utilisateurs étaient aussi invités à partager l’expérience sur les réseaux sociaux pour inciter à leur tour leurs connaissances à ne pas salir les plages. I 15 LA TRIBUNE - VENDREDI 28 NOVEMBRE 2014 - NO 110 - WWW.LATRIBUNE.FR L’INNOVATION 6 TRENTE – Italie Une méthode pour éviter le vin bouchonné Viticulture. Ouvrir une bonne bouteille… et se rendre compte que le vin est bouchonné. Pour éviter ce gâchis, la société brentinoise Brentapack et l’université de Trente ont breveté un système de décontamination du liège. Car le goût bouchonné provient du TCA, le trichloroanisole, une molécule fabriquée par des moisissures nichées dans le liège s’il a été en contact avec des insecticides ou des produits chlorés utilisés dans les chais. La méthode des chercheurs, qu’ils gardent confidentielle, s’applique aux bouchons et consiste à les décontaminer de toute forme de TCA. Les premiers résultats ont permis de diminuer drastiquement le taux de TCA dans les bouchons contaminés, mais pas de le supprimer entièrement. Il va sans dire que les amateurs de vin attendent leurs progrès avec impatience. 7 BERLIN – Allemagne Taxer l’épargne des plus riches pour les inciter à investir Banque. La banque Deutsche Skatbank vient de prendre une décision originale et controversée pour inciter les épargnants à investir dans l’économie. Depuis le 1er novembre, les clients fortunés de cette petite banque sont pénalisés par un taux d’intérêt négatif de 0,25 % sur les dépôts supérieurs à 500 000 euros. En faisant payer le droit de déposer des avoirs sur ses comptes, l’institution suit l’impulsion donnée par la Banque centrale européenne (BCE), qui avait décidé en juin d’appliquer un taux de - 0,1 %, puis de - 0,2 % aux liquidités déposées au jour le jour par les établissements financiers de la zone euro. Pour l’heure, seule la Deutsche Statbank a osé répercuter cette décision. 9 La voiture du futur sera-t-elle transparente ? 8 8 Automobile. Finis, les angles morts ! Deux chercheurs de la Graduate School of Media Design de l’université de Keio viennent de mettre au point une voiture qui donne l’impression d’être transparente de l’intérieur. Leur « Transparent car », testée avec succès dans les rues de la ville début novembre, est recouverte de miroirs réfléchissants sur les portes et les sièges. Grâce à un ensemble de caméras installées à l’extérieur et à des vidéoprojecteurs posés à l’intérieur, l’habitacle disparaît pour laisser place au paysage environnant. Idéal pour les claustrophobes, les amoureux de la nature et pour régler le problème des angles morts une fois pour toutes. Les deux créateurs tentent de vendre leur invention pour commercialiser leur voiture révolutionnaire dans les prochaines années. 9 PÉKIN – Chine Un purificateur d’air qui se porte comme un casque © WINDSIX © IEEE E n Chine, la pollution de l’air devient telle que de nombreux citadins ne sortent plus sans porter un masque. Pour davantage d’efficacité et de confort, la start-up Anyair vient d’inventer un purificateur d’air connecté et portable. Baptisé Wind Six, ce prototype de 200 grammes au design moderne ressemble à un casque que l’on place sur sa tête. Il est équipé d’un filtre à particules fines capable de retenir 99,9 % des particules PM2.5, les plus dangereuses pour la santé, et 90 % du formaldéhyde présent dans l’air. Grâce à une petite extension, l’utilisateur reçoit dans ses narines un air purifié à un débit de 3 m3/h, soit environ deux fois la quantité d’air nécessaire à une respiration normale. Le filtre se nettoie et n’a donc pas besoin d’être remplacé. Seul inconvénient : sa batterie ne tient que six heures. L’appareil devrait entrer en production au début de l’année 2015. KEIO – Japon 10 10 BRISBANE – Australie Une blanchisserie mobile pour les sans-domicile-fixe Solidarité. Lucas Patchett et Nicolas Marchesi, 20 ans, trimballent une drôle de camionnette dans les rues de Brisbane depuis le début du mois d’octobre. À la place des sièges, les étudiants ont installé deux machines à laver et deux sèche-linge. Le dispositif, baptisé « Orange Sky Laundry », vise à aller à la rencontre des 300 SDF de la ville pour leur proposer de laver gratuitement leurs vêtements grâce à un générateur électrique installé dans la camionnette et en utilisant l’eau publique. Des bénévoles s’occupent des rondes tous les jours. Ils peuvent laver les vêtements de dix personnes par heure et proposent des repas aux sans-abri pendant la lessive. Les deux créateurs ambitionnent désormais de mettre en place une véritable flotte avec des camions ou des vans plus grands pouvant accueillir six machines à laver et six sèche-linge dans tout le pays d’ici à la fin de l’année 2015. SÉLECTION RÉALISÉE PAR SYLVAIN ROLLAND @SylvRolland 16 I ENTREPRISES LA TRIBUNE - VENDREDI 28 NOVEMBRE 2014 - NO 110 - WWW.LATRIBUNE.FR SPÉCIAL TROPHÉES DE L’INNOVATION DE L’INPI YVES LAPIERRE, directeur général de l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) « Le brevet constitue un levier stratégique de croissance » Début décembre, l’INPI remettra ses désormais fameux Trophées de l’innovation 2014. Pour Yves Lapierre, son directeur général depuis 2010, la propriété industrielle n’est pas un simple outil juridique qu’on garde au coffre-fort pour se défendre, c’est l’un des piliers de la politique d’innovation des entreprises. PROPOS RECUEILLIS PAR ISABELLE BOUCQ @Kelloucq L e 2 décembre, l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) récompensera trois PME et un laboratoire de recherche qui ont mis la propriété industrielle au cœur de leur stratégie de développement. Depuis vingt-quatre ans, ce coup de projecteur sur les « bons élèves » met en avant l’importance du capital immatériel de l’entreprise pour créer de la valeur et améliorer la crédibilité des PME auprès de leurs clients, de leurs financeurs et de leurs concurrents sur le plan mondial. LA TRIBUNE – Quel est le bilan des dépôts de brevets en France ? YVES LAPIERRE – En 2013, ce sont 16 500 brevets déposés à l’INPI, dont en gros 12 000 issus de grands groupes, 1 832 issus de PME et le reste de sociétés étrangères qui déposent en France ou de particuliers. C’est un chiffre à peu près constant depuis quatre ou cinq ans, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas une progression, car il y a d’autres voies pour déposer : la voie européenne et la voie internationale. On voit poindre deux tendances. Depuis une dizaine d’années, les grands groupes ont tendance à déposer d’abord au niveau européen, car leur langue de travail est l’anglais. Depuis quelques années, les entreprises des TIC déposent d’abord aux États-Unis, où il y a cette capacité à breveter le logiciel et où se trouve le marché. Une autre raison est l’existence des « trolls » des entreprises dont l’unique activité consiste à engager des litiges sur les brevets. Ils empoisonnent les entreprises créatrices de valeur en faisant du chantage au litige. Quelles sont les tendances au niveau international ? Il y a une tendance mondiale forte à l’utilisation du brevet. Entre 2009 et 2012, à l’OMPI [Organisation mondiale de la propriété intellectuelle], on est passé de 155 000 à 205 000 dépôts de brevets, une croissance de 30 %. Un des facteurs est les pays émergents, puisque depuis 2013 la Chine est le premier déposant à l’OMPI. Les États-Unis et le Japon sont revenus dans la course et sont d’euros, c’est le chiffre d’affaires de l’INPI, sur une croissans « aucune subvention de l’État ». sance forte. Avec un bémol à la suite à d’un arrêt de la Cour suprême des États-Unis de juillet dernier qui a remis en cause la possibilité de breveter les logiciels et a entraîné une chute des dépôts. Il s’agit de lutter contre les trolls avec des litiges qui s’élèvent à 60 milliards de dollars par an. Aux trois niveaux, les entreprises françaises déposent entre 25 000 et 27 000 brevets par an, ce qui met la France au 215 millions sixième rang mondial des déposants. Par contre, dans les classements mondiaux de l’innovation, la France se place entre le 17e et le 23e rang. On voit qu’il y a un vrai sujet entre l’invention et l’innovation en France. Comment se comportent les PME ? Depuis une dizaine d’années, il y a une prise en compte plus importante par les PME et par les centres de recherche, avec par exemple le CEA qui est le troisième déposant en France. Entre 2011 et 2012, il y a eu une croissance de 5 % du nombre de PME qui déposent des brevets. Mais ça reste notoirement insuffisant. Si on estime qu’il y a environ 20 000 PME innovantes en France, il n’y en a que 1 800 qui déposent tous les ans. L’angle d’attaque est de cibler les PME et les ETI pour leur faire prendre conscience que le brevet n’est pas quelque chose qu’on garde au coffre-fort pour se défendre, mais que c’est un levier stratégique de croissance pour aller à l’international, pour lever des fonds grâce à son capital immatériel, pour nouer des partenariats à égalité, pour se défendre contre un donneur d’ordres puissant. C’est un investissement stratégique. Que voudriez-vous changer dans l’image du brevet chez les PME ? C’est un investissement qui représente 3 à 5 % du coût de la R & D et le coût n’est pas très important. Il est d’environ 7 000 euros sur les vingt ans de vie du brevet contre 15 000 euros en Allemagne et 30 000 euros « Les brevets, ce n’est que 3 à 5 % du coût de la R & D » aux États-Unis. S’ajoute le coût d’accompagnement de l’entreprise d’environ 3 000 à 5 000 euros. Notre conseil est d’intégrer le coût de la propriété intellectuelle dès le démarrage. Une autre objection est que la PME n’a pas les moyens de se défendre. C’est un vrai argument quand on sait que le ticket d’entrée pour un litige aux États-Unis est de plusieurs centaines de milliers de dollars. Comment peut-on aider les entreprises à trouver le financement ? Nous menons un axe de réflexion sur une « assurance contrefaçon ». Le troisième argument est le délai de dépôt. En France, on délivre un brevet en vingt-sept mois environ avec le délai d’instruction, les délais pour que les tiers fassent opposition après la publication et le travail pour qu’il soit juridiquement solide. Il y a un délai, mais vous êtes protégés à partir du moment où vous déposez. Quelles actions menez-vous auprès des PME ? On va les voir sur le terrain. On a fixé comme objectif cette année de visiter 5 000 entreprises. La deuxième d’étape est d’identifier parmi elles celles qui ont un talent, pour les accompagner et leur faire partager leurs bonnes pratiques entre elles. La démarche d’accompagnement est le « coaching INPI », un ensemble de services du prédiagnostic (« Access PI ») aux premières étapes qu’on aide à financer à concurrence de 5 000 euros (« Pass PI »), aux Master Class pour une formation-action sur six mois avec un tronc commun et des problématiques particulières pour des entreprises de croissance. Nous avons commencé le prédiagnostic en 2014 et aidé environ 8 000 entreprises. Ce qui est nouveau, c’est que nous avons une gamme continue. Pour les plus emblématiques, on arrive aux Trophées pour mettre en avant de belles histoires sélectionnées par un jury. La propriété industrielle ne se résume pas aux brevets… Les titres de propriété industrielle, c’est trois choses. Les brevets couvrent le champ technique – il faut que la création soit nou- I 17 LA TRIBUNE - VENDREDI 28 NOVEMBRE 2014 - NO 110 - WWW.LATRIBUNE.FR UN QUART DE SIÈCLE DE TROPHÉES L’ velle, ait une application industrielle et une activité inventive. Ce sont des critères internationaux. Le deuxième titre est la marque, l’emblème de l’entreprise ou du produit, la vitrine marketing. On protège la création et l’image. En 2013, nous avons eu 86 500 dépôts de marque. La France est le troisième ou quatrième déposant de marques au monde, nous avons un goût particulièrement fort pour la marque. Le troisième titre, ce sont les dessins et modèles qui protègent la création à travers la forme. C’est très utilisé dans le design, la mode, la bijouterie, mais aussi le mobilier ou le design automobile. Ce sont 8 000 dépôts par an couvrant 80 000 dessins. La loi dite Hamon introduit une nouvelle notion d’indications géographiques dans le domaine industriel et artisanal (la dentelle de Calais ou la pierre de Bretagne). On attend le décret dans les semaines à venir et on va gérer ce nouvel outil. Retournons au brevet et à l’innovation. Quelle est la relation entre les deux ? L’innovation est créatrice de richesse et la propriété industrielle sous toutes ses formes est aussi créatrice de richesse. Innover, c’est mettre en adéquation les besoins du marché et quelque chose de nouveau. La propriété industrielle est un des outils pour démontrer la création de richesse. Ça caractérise le capital immatériel de l’entreprise, c’est la preuve que son innovation provient bien de son travail de R & D. L’innovation et la propriété indus- trielle sont consubstantielles. Cela veut dire qu’il faut l’intégrer dès le démarrage du processus d’innovation. La stratégie de propriété industrielle accompagne la stratégie d’innovation. On l’intègre dans le budget. On regarde comment la protéger avec des titres de propriété ou avec le secret qui fait partie des outils. Je peux utiliser l’enveloppe Soleau qui donne la liberté d’exploitation avec une date certaine de création. Je réfléchis à quand et comment déposer le titre, en France ou ailleurs. Une fois sur le marché, je vais surveiller que des concurrents ne viennent pas me copier. La propriété industrielle intervient tout au long du cycle de vie du produit et relève de la stratégie de l’entreprise. Malheureusement, la propriété industrielle s’est enfermée dans un monde juridique de spécialistes. Il faut prendre de la hauteur, c’est transversal à l’entreprise. Fruit de l’alliance de l’expertise médicale du Professeur Carpentier dans les valves cardiaques, et de l’expertise technologique d’EADS, le coeur artificiel Carmat figure parmi les innovations pré-sélectionnées pour les Trophées INPI 2014. © FOTOLIA Quels sont les engagements de l’INPI envers l’État ? Pour notre troisième contrat d’objectifs pour 2013-2016, les engagements, outre notre mission de base, s’attachent à deux aspects. Le premier est de se tourner vers l’entreprise dans l’identification des besoins et la création de produits et services en se focalisant sur l’innovation, les entreprises de croissance et l’accompagnement dans la durée. L’autre aspect est la modernisation interne de l’établissement en perfectionnant l’outil industriel que nous représentons. Nous sommes une unité de INPI décerne ses Trophées depuis 1991 pour récompenser des PME et des laboratoires qui se distinguent par l’utilisation de la propriété industrielle comme stratégie de développement. L’année dernière, les lauréats étaient Devialet pour son amplificateur mixte protégé par cinq brevets mondiaux, Minima pour les branches pivotantes de ses montures de lunettes invisibles, Fermob, dont la moitié des collaborateurs contribuent à l’innovation sur ses produits de mobilier d’extérieur en métal et le Ceisam, laboratoire de chimie moléculaire nantais. Faisant le lien entre protection de la propriété industrielle et la création de valeur, l’INPI avait noté que « l’analyse économique des performances de l’ensemble des lauréats régionaux montre que les PME ont créé 386 emplois depuis 2009, quadruplé leur chiffre d’affaires ces quatre dernières années et vu leur part à l’export représenter en moyenne 40 % de leur chiffre d’affaires ». En 2014, le fil conducteur des nominés (neuf PME et trois centres de recherche) pourrait être l’hybridation : le mélange des genres et des talents, production présente dans les 22 régions et dans 10 zones à l’international. Dans les régions, il y a une modification. Nous sommes plus présents auprès des entreprises, avec les visites entre autres, car nous avons dématérialisé les procédures. Nous dégageons ainsi des ressources pour aller au plus près de l’entreprise. Au passage, l’INPI, c’est 750 employés, 215 millions d’euros de chiffre d’affaires et aucune subvention de l’État. L’argent que nous recevons est réinjecté dans le tissu économique à travers les formations et le coaching. Vous avez récemment fait une annonce sur les données ouvertes. Les bases de données de la propriété industrielle étaient en libre-service depuis 2009 sur le site de l’INPI. Depuis juillet, dans le cadre de l’open data voulu par le gouvernement, des opérateurs peuvent accéder à ces bases de manière massive pour les intégrer dans d’autres services et créer de la richesse en développant de nouveaux produits ou services pour le monde économique. Auparavant, nous faisions payer des licences à ces opérateurs. l’exploration de nouveaux univers à partir de compétences d’origine. Les nominés concourent dans quatre catégories (design, marque, brevet et recherche). Parmi eux, la PME Mathieu Lustrerie (20 salariés, 5 millions d’euros de chiffre d’affaires) qui a inventé l’ampoule-bougie en mêlant le classique et le contemporain. Ou encore KissKissBankBank, la plateforme de financement participatif dans la catégorie marque. Résultats lors de la soirée de remise des trophées, le 2 décembre… ■ I.B. http://www.inpi.fr/ fr/l-inpi/trophees-inpi. html Vous vous rendez régulièrement en Chine, où la contrefaçon est considérée comme très répandue. Quelles sont les évolutions récentes ? Nos représentants dans les ambassades font vivre des partenariats, en Chine et ailleurs. L’intérêt est de comprendre comment fonctionne la propriété industrielle dans ce pays pour travailler ensemble de la manière la plus intelligente possible pour les entreprises. On a un rôle d’influence pour faire en sorte que la Chine aille vers les meilleures pratiques. Nous allons travailler avec eux pour éradiquer la contrefaçon, qui est un fléau mondial. Les Chinois ont une politique extrêmement volontariste en termes de propriété industrielle au plus haut niveau de l’État parce que la Chine est sortie d’une économie de la production pour aller vers une économie de l’innovation. Tout n’est pas rose. Mais la Chine a une politique de qualité des brevets délivrés et de lutte contre la contrefaçon sur son territoire, avec une formation des juges. On lui demande de faire en dix ans ce que nous avons mis cent cinquante ans à faire. Je dirais la même chose du Brésil. ■ © ANTOINE LORGNIER THIERRY MARX, chef étoilé « L’innovation est notre oxygène » Si Thierry Marx est président du jury 2014 des Trophées INPI, c’est parce que l’artiste culinaire est aussi un partisan convaincu de l’intégration de la science dans la cuisine. P our ce chef qui officie dans plusieurs restaurants au sein du Mandarin Oriental, le palace situé rue Saint-Honoré à Paris, l’idéal serait d’avoir des cellules d’innovation un peu partout dans l’entreprise et d’y inviter toutes les personnes dont on ne soupçonne pas les talents. « Ancien cancre » qui a fait l’expérience du plaisir d’apprendre sur le tard en découvrant la philosophie à 24 ans, Thierry Marx est à l’origine du Centre français d’innovation culinaire à l’université Paris Sud avec son complice Raphaël Haumont, chercheur en physico-chimie. Leur ambition est ni plus ni moins que d’inventer la cuisine du futur. Une des premières réalisations de leurs recherches est la cryoconcentration, objet d’un premier brevet et d’un autre dépôt en cours, dont tout l’intérêt est de conserver la saveur et la valeur nutritionnelle des aliments (un indice, « il faut piéger l’eau »). « Pourquoi les artisans boulangers, pâtissiers, cuisiniers n’ont-ils pas accès à l’université et à la recherche ? Il faut fusionner l’artisanat et la science », explique-t-il avec une force tranquille, installé en tenue civile dans une alcôve du Mandarin Oriental. « Escoffier a intellectualisé la cuisine, il voulait apprendre la chimie pour continuer à innover. C’est un outil de compréhen- sion pour aller plus loin. » Ancien parachutiste au Liban, compagnon du devoir et grand connaisseur du Japon où il se rend souvent, il ne voit aucun conflit entre tradition et innovation. LA RENCONTRE DE DEUX MONDES Pour encourager la rencontre des deux mondes, il fait venir un universitaire dans ses cuisines deux fois par semaine. Avec un cahier d’essai pour noter leurs expériences, les cuisiniers cherchent à comprendre le pourquoi derrière les recettes et à repousser les fron- tières. C’est le cas par exemple quand il leur demande de réinventer le soufflé sans blancs d’œufs. « Faire rencontrer un gamin qui a un CAP et un universitaire, c’est merveilleux. » En parlant de mélanger les mondes, il est persuadé que les chefs doivent s’intéresser à l’agriculture et à la pêche, à la santé et au tourisme, au design et à l’emballage. « Il faut être innovant dans tous ces domaines et évidemment le débat n’est pas franco-français. » Que l’INPI ait demandé à l’un des chefs les plus innovants de France de présider le jury de ses trophées 2014 coule de source car il se fait naturellement le porte-parole des principes de l’INPI. « Il faut se pro- téger le plus tôt possible, car l’innovation appartient à celui qui la met en œuvre économiquement », affirme-til avec la conviction de celui qui s’est déjà fait brûler. « D’ailleurs l’INPI devrait communiquer plus vers les jeunes, les lycéens. » ■I.B. EN SAVOIR PLUS. La vidéo de l’interview de Thierry Marx à l’occasion de l’événement : innovation. inpi.fr/linnovation-par-th-marx 18 I ENTREPRISES LA TRIBUNE - VENDREDI 28 NOVEMBRE 2014 - NO 110 - WWW.LATRIBUNE.FR SPATIAL GENEVIÈVE FIORASO, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Espace « La France ne pouvait pas faire Ariane 6 sans les Allemands » PROPOS RECUEILLIS PAR MICHEL CABIROL @mcabirol LA TRIBUNE – Rosetta est un succès incroyable. Quels enseignements en tirez-vous ? GENEVIÈVE FIORASO – Trois enseignements ! Le premier, c’est que Hubert Curien [ministre de la Recherche et de la Technologie en 1984-1986 puis 1988-2003, ndlr] a eu une intuition formidable de faire de l’espace un dossier européen avec l’Agence spatiale européenne (ESA) et donc de pousser les compétences françaises à travers l’Europe. Le deuxième, c’est que Rosetta démontre que la France, en s’appuyant sur ses organismes de recherche, son agence spatiale, le CNES, son opérateur Arianespace, ses industriels, peut être fer de lance des meilleurs talents de l’Europe du spatial, tant sur le plan scientifique qu’industriel. Pour saluer l’exploit européen de Rosetta, la Nasa a félicité l’ESA. Rosetta a peut-être été moins spectaculaire que les premiers pas de l’homme sur la Lune, mais elle est au même niveau quand on connaît la prouesse scientifique et technologique de cette mission. La France est-elle condamnée à jouer collectivement dans l’espace ? Il ne faut surtout pas jouer tout seul parce que ce n’est pas la bonne échelle. Quand l’Europe s’unit, elle peut faire de grandes choses. Et pour le faire, il faut être Européen car c’est la bonne taille critique. La France ne perd donc pas son âme quand elle est européenne. Au contraire, une mission comme Rosetta valorise les atouts de la filière spatiale française, fondée sur l’excellence scientifique du CNES et de ses partenaires de recherche publique comme sur celle de ses industriels. Elle est même l’une des meilleures armes antipopulistes : c’est l’Europe de l’excellence qui tire vers le haut. C’est pour cela qu’il faut pérenniser dans la constance les investissements de moyen et long terme dans l’espace. Il ne faut surtout pas lâcher, même dans les périodes de contrainte budgétaire. Il faut donc continuer à investir dans des domaines de recherche fondamentale, et l’espace en fait partie. Pas facile en période de crise d’investir dans la recherche fondamentale… C’est mon troisième enseignement. Il ne faut pas opposer recherche technologique et recherche fondamentale. Rosetta est le meilleur exemple de la rencontre de la technologie et de la recherche scientifique fondamentale au plus haut niveau. Concrètement, les astrophysiciens ont travaillé sur la mission Rosetta avec des informaticiens, des électroniciens, des spécialistes de l’optronique, des matériaux… La technologie accélère la science fondamentale et celle-ci stimule la technologique. Aujourd’hui, l’Europe peut-elle consacrer 1,3 milliard d’euros à un projet de l’ampleur de Rosetta dans une période où les budgets sont contraints ? Mais Rosetta a coûté à la France 14 millions d’euros par an depuis le début de la mission, en 1996. Il faut relativiser. Le ministère de la Recherche gère des budgets récurrents plus importants. Quels sont les prochains défis ? Nous sommes aujourd’hui dans la dimension des exoplanètes. Avec la grande exploration spatiale, les nouveaux défis sont là. Et ce ne sont pas seulement des questions scientifiques, politiques, de souveraineté ou ARIANE 6 SUR LE PAS DE TIR LUXEMBOURGEOIS C hat échaudé craint l’eau froide. On ne reprendra plus la ministre en charge de l’espace, Geneviève Fioraso, à arriver à une conférence ministérielle de l’Agence spatiale européenne (ESA) sans un gros travail de préparation, comme en novembre 2012 à Naples où la tension avait été paroxystique entre la France et l’Allemagne. « Nous sommes bien plus avancés que la dernière fois, où la conférence n’avait pas été anticipée par mes prédécesseurs », a-t-elle rappelé. Du coup, elle a beaucoup travaillé, à la fois © FRANCIS PETIT / XR PICTURES À la veille de la conférence ministérielle de l’Agence spatiale européenne, les 2 et 3 décembre, la ministre en charge de l’espace est soulagée : Ariane 6 devrait enfin décoller avec l’aide de Berlin. Elle revient aussi sur l’aventure de Rosetta, la visiteuse de la comète Tchouri, grand succès de l’Europe spatiale. en franco-français avec les industriels et le CNES pour dégager une stratégie française commune, mais aussi avec nos principaux partenaires européens dans le spatial, dont l’Allemagne, pour trouver avant le sommet de Luxembourg des compromis sur les dossiers les plus chauds. Notamment le prochain système de lanceur européen, Ariane 6. Chaque dimanche, y compris lors de ses déplacements à l’étranger, la ministre a donc eu au téléphone son homologue allemande, Brigitte Zypries, pour la rassurer et la convaincre de lancer le développement d’Ariane 6, sans passer par la case Ariane 5 ME. Avec succès. Car sauf aléas de dernière minute, selon nos informations, la répartition de la charge de travail sur Ariane, qui devrait être décidée à Luxembourg, est pratiquement calée entre les différents partenaires. La France aura entre 50 et 52 %, l’Allemagne entre 20 et 22 % et l’Italie entre 10 et 12 %. L’Espagne a quant à elle envie d’un peu plus que ce qu’elle a d’habitude (5 %) dans les lanceurs Ariane. Tout au plus, quelques ajustements seront possibles. ■ M.C. encore de prestige des États, ce sont également des questions quasi métaphysiques qui touchent tout le monde. Ces grands projets nous renvoient à nos origines, à la possibilité de vie ailleurs que sur la Terre, font rêver et réfléchir. Aujourd’hui, il y a de nombreuses aventures en cours, dont Galileo, le grand GPS européen, qui sont de véritables défis scientifiques, technologiques, industriels. Justement, Galileo, c’est compliqué… Ce n’est pas une raison pour ne pas s’y engager. Au contraire. Le risque zéro n’existe pas, même si, dans le spatial, compte tenu des investissements, tous les dispositifs de sécurité sont poussés au maximum. Galileo est-il aujourd’hui un échec ? C’est un projet très ambitieux. Il y a des difficultés mais une partie de la constellation était prévue comme satellites de réserve en cas de problème… Mais il manque déjà au moins six satellites… Nous n’avons pas complètement perdu les deux derniers satellites : ils envoient des données, même s’ils ne sont pas sur la bonne orbite. Ce n’est pas forcément en adéquation avec les objectifs initiaux, mais ils ne sont pas inutiles et nous donneront des informations précieuses. S’agissant des satellites de validation en vol et d’une façon générale, il est encore trop tôt pour tirer un diagnostic. Mais nous allons y arriver. Il faut persévérer sur ce type de projets très ambitieux et apprendre à rebondir après des difficultés. Nous n’allons pas abandonner maintenant. Les agences spatiales et les scientifiques doivent faire au préalable un point précis, stabiliser la situation et indiquer la feuille de route. À ce moment-là, la Commission européenne validera ou pas. J’ai confiance dans ce programme. En revanche, il y a un projet sur les rails semble-t-il, c’est Ariane 6. Comment avez-vous convaincu l’Allemagne de se lancer sans passer par Ariane 5 ME ? Cela fait plusieurs mois que nous parlons régulièrement, mon homologue Brigitte Zypries et moi, pour avancer ensemble vers une solution convergente. Deux arguments l’ont convaincue. Le premier, c’est la concurrence internationale qui s’accélère. Ce qui implique que nous n’avons plus le temps de prendre des chemins de traverse. Il faut aller droit au but. Et droit au but, c’est Ariane 6. Car il faut aller tout de suite vers le lanceur le plus compétitif, le plus modulaire et le moins cher. Le second argument, c’est la fiabilité de la feuille de route. Elle a fait l’objet d’une convergence, d’une coconstruction entre les agences et les industriels, mais pas d’un chèque en blanc. C’est la première fois qu’un programme de lanceur fait l’objet d’une coconstruction entre les agences, les industriels et les utilisateurs. Mais, in fine, I 19 LA TRIBUNE - VENDREDI 28 NOVEMBRE 2014 - NO 110 - WWW.LATRIBUNE.FR ce qui emporte l’adhésion, c’est bien la vision politique commune. no go » en 2016 mais la décision politique sera prise à Luxembourg. Pourquoi cette feuille de route est-elle la plus fiable ? Vous avez donc gagné… Il faut attendre le 2 décembre, mais je suis raisonnablement optimiste. C’est l’Europe qui est gagnante, sa souveraineté, son industrie, avec des emplois à la clé. On a davantage anticipé qu’en 2012. Et nous sommes bien plus avancés que la dernière fois, où la conférence n’avait pas été anticipée par mes prédécesseurs. Le programme Ariane 6 tel qu’il est défendu par la France est le mieux à même de faire face à la concurrence internationale qui s’est accélérée. Il offre moins de ruptures technologiques que la solution qui avait précédemment été proposée par les agences, le PPH. Avec le PHH, nous sommes dans une configuration validée. Les technologies utilisées par la propulsion sont connues et déjà expérimentées. En outre, les retours industriels sont plus équilibrés au niveau qualitatif entre la France et l’Allemagne. Nous sommes davantage dans un partage. Il y a un socle franco-allemand : la France ne pouvait pas faire Ariane 6 sans les Allemands, ni sans le soutien des autres pays européens, bien entendu. En outre, il fallait, comme le demandait l’Allemagne, une intégration industrielle plus importante, une prise de risques plus grande des industriels – les deux tiers du marché relèvent du secteur commercial et un tiers de l’institutionnel. Quand les deux tiers du marché proviennent du marché commercial, il est normal que l’industrie prenne plus de risques. Et si elle prend davantage de risques, il est normal qu’elle participe davantage à la conception et qu’elle partage la stratégie. mand Sigmar Gabriel, dont elle est proche. Et nous sommes arrivés le 13 novembre à une orientation favorable à Ariane 6. L’autorité de conception est-elle confiée aux industriels ? Comment les pays se répartissent-ils le programme Ariane 6 ? Il y a une démarche partagée. Les agences vont définir les spécifications de haut niveau et les industriels auront plus de marge dans la manière de mettre en œuvre et de répondre à ces spécifications. Pour faire simple, l’ESA garde la coordination générale, fixe les grandes lignes, parle au nom des États membres et ensuite les industriels s’engagent sur des objectifs… qu’ils s’engagent à tenir. Chacun est dans son périmètre de responsabilités. Enfin, la société commune proposée par Airbus Defence and Space et Safran pour les lanceurs augmente la fiabilité de la feuille de route. Elle permet une meilleure intégration industrielle ainsi qu’une meilleure cohérence et cohésion industrielle. Et l’Allemagne a été convaincue… J’ai fait valoir à mon homologue allemande que tous les prérequis demandés par l’ESA et voulus par l’Allemagne avaient été pris en compte. La France a fait plusieurs pas en direction de l’Allemagne en modifiant la solution initiale PPH, en faisant en sorte que les industriels s’engagent vers plus d’intégration tout en partageant davantage les risques. Tous les pas ont donc été faits « Il ne faut pas jouer tout seul, ce n’est pas la bonne échelle ! » en direction de l’Allemagne. Il devait ensuite y avoir des pas de l’Allemagne en direction de la France. Cela a été fait dans un esprit résolument européen, avec l’ensemble des États membres. Les Allemands ont quand même récupéré de la charge… Mais ils l’auraient eue. À partir du moment où la solution technique avec PHH a été proposée, nous savions que OHB allait récupérer de la charge de travail. En Allemagne, ce n’était pas complètement homogène non plus. La DLR, qui avait participé aux travaux de cet été, était plutôt favorable. C’était plutôt du côté du BMWI que s’exprimaient les réticences les plus fortes. Nous avons emporté la décision politiquement grâce à Brigitte Zypries, en accord avec le ministre alle- Quels sont les droits et devoirs de la société commune entre Airbus et Safran ? Nous ne pouvons pas encore donner les pourcentages de répartition. Mais il y a encore une marge de négociations à la ministérielle, mais la situation n’est pas bloquée contrairement à la dernière ministérielle de Naples. Les participations seront du même ordre, même si des ajustements sont encore en cours. Au centre spatial de Kourou, en Guyane, une équipe prend la pose pour une photosouvenir juste avant un lancement d’Ariane, en juillet. © CNES La répartition des responsabilités entre l’ESA et les industriels est en train d’être formalisée. Il y aura un Memorandum of Understanding (MoU) sur les principes de gouvernance entre l’ESA, les industriels en tant qu’autorités sur les lanceurs et le CNES en tant qu’autorité de conception sur le segment sol. Tout sera formalisé : les interfaces, la définition des interfaces, les modes de contrôle, les modes de suivi, le partage des risques en cas d’échec, les paiements, qui seront débloqués après franchissement de livrables technologiques. Il n’y aura pas de micromanagement de projet. L’ESA gardera une vision globale pour les États membres sur l’ensemble du projet et sera l’autorité de contractualisation des développements, l’industrie deviendra maître d’œuvre du lanceur et le CNES maître d’œuvre du pas de tir, en concertation avec Arianespace. Aucun chèque en blanc n’est donné, ni d’un côté ni de l’autre. Il n’est pas question de privatiser le spatial, comme je le lis parfois. Nous ne déléguons pas une ambition spatiale aux industriels. Nous avons besoin d’eux et ils ont besoin de nous, la filière étant duale. Allez-vous garantir cinq lancements institutionnels ? Est-ce possible ? Cela fait partie de l’accord. Les Allemands, ils ont obtenu un point d’étape, à mi-2016. Pourrait-il y avoir un blocage pour Ariane 6 ? Mais cinq lancements institutionnels, cela paraît énorme… C’est toujours le cas pour les grands projets. Cela me paraît normal qu’il y ait des points d’étape pour de tels investissements, publics et privés. Il y a effectivement un « go- Ce sont les ordres de grandeur entre l’ESA, Eumetsat, la commission et les États membres. Nous avons pris des ordres de grandeur réalistes. Le nombre de lancements institutionnels annuels pour Ariane 6 ne sera pas augmenté par rapport à aujourd’hui pour atteindre cet objectif chiffré. Mais cela signifie, tacitement, que chaque pays membre accepte le principe d’une préférence européenne. Mais ce n’est pas obligatoire… On ne peut pas écrire obligation, à cause des règles européennes. Mais préconiser la préférence européenne est déjà un signe fort. Quand Arianespace va-t-elle rejoindre la société commune ? Et le CNES ? J’ai rencontré des salariés de la direction des lanceurs du CNES à la Cité des sciences de la Villette lors de l’atterrissage de Philae. Ils n’étaient pas opposés au projet. Personne n’a compris que la DLA allait déménager ou être absorbée. Ce n’est pas du tout l’état d’esprit. Ils ont bien compris qu’il y aurait des compétences et des expertises qui seraient peut-être sollicitées. Mais personne ne sera contraint. Les choses vont se faire progressivement. Quant à Arianespace, elle n’est pas concernée par la première étape de la société commune. Mettons déjà en œuvre la première étape et on verra ensuite pour la deuxième. Allons-y pas à pas. Je pense que la nouvelle gouvernance sera beaucoup plus simple et cohérente. Les femmes sont-elles bien représentées dans les métiers de l’espace ? Non, et la situation doit évoluer. Je voudrais lancer un appel pour que les jeunes filles se dirigent davantage vers les professions de l’espace. Ce n’est pas normal que les filles, plus nombreuses à obtenir des bacs scientifiques, avec un meilleur niveau que les garçons, s’orientent majoritairement vers les sciences de la vie, la biologie, la chimie et les professions de santé quand elles choisissent des carrières scientifiques. Elles ne vont pas suffisamment vers les maths, la physique, l’espace, l’astrophysique… c’est dommage ! La mixité des équipes est toujours un plus. C’est plus productif, plus créatif. Il faut soutenir toutes les initiatives stimulant l’accès des femmes aux professions scientifiques, en particulier dans l’espace. ■ AVIS FINANCIER INFORMATION à l’attention des porteurs du FCP LBPAM VOIE LACTEE 1 (code ISIN : FR0007014212) La Banque Postale Asset Management, Société de gestion du FCP LBPAM VOIE LACTEE 1, vous informe des modifications suivantes qui seront apportées au FCP à compter du 05 décembre 2014 : 1/ Modification de la dénomination du FCP Le FCP sera dénommé LBPAM VOIE LACTEE, sans que le chiffre 1 soit ajouté, ceci dans le cadre de la rationalisation de la gamme prévoyant une fusion de LBPAM VOIE LACTEE 1 et LBPAM VOIE LACTEE 2. 2/ Modification apportée aux rubriques «objectif de gestion» et «indicateur de référence : La limite maximale d’exposition aux marchés actions passe de 30 à 40%. L’objectif de gestion du FCP précise dorénavant les limites d’exposition aux marchés actions entre 0 et 40% de l’actif net. L’indicateur composite auquel la performance du FCP peut être comparée, sans que cela ne puisse être considéré comme un indicateur de référence, est dorénavant 75% EuroMTS 3-5 ans + 25% Euro Stoxx (il était précédemment composé pour 82,5% EuroMTS 3-5 ans et 17,5% SBF 120). Ce changement d’indicateur composite permet de prendre en compte, aux fins de comparaison de performances a posteriori, l’augmentation du niveau maximal d’exposition aux marchés actions ainsi que la zone géographique d’exposition aux marchés actions décrite dans la rubrique « actifs » du prospectus. 3/ Mise à jour de la rubrique « Titres de créance et instruments du marché monétaire » La description de la sélection des titres de créance et instrument du marché monétaire a été revue, en adéquation avec les dispositions du Règlement UE n° 462/2013 visant à limiter le recours exclusif aux notations des agences dans l’analyse du profil rendement/risque de crédit pour décider de l’acquisition d’un titre, de sa conservation ou de sa cession. 4/ Mise à jour de la rubrique « profil de risques » Le risque de change a été ajouté en risque accessoire au niveau du profil de risque. Il est spécifié que le risque action maximal est dorénavant de 40 au lieu de 30%. Le risque spécifique aux instruments de titrisation (ABS…) devient par ailleurs un risque accessoire, et non plus un risque principal, le recours à ces instruments étant limité. L’impact de l’ensemble de ces modifications sur le profil rendement risque du FCP est inférieur à 20% de l’actif net et modifie le niveau du SRRI (indicateur synthétique du profil de risque et de rendement) dans le DICI qui passe de 3 à 4 sur une échelle de 7. Les autres caractéristiques du FCP demeurent inchangées. Vous retrouverez la totalité de ces informations dans les documents d’information clé pour l’investisseur et le prospectus de LBPAM VOIE LACTEE qui seront mis à jour en date du 05 décembre 2014 et disponibles à compter de cette date sur le site internet www.labanquepostale-am.fr (1). (1) Coût de connexion selon le fournisseur d’accès. LA BANQUE POSTALE ASSET MANAGEMENT société de gestion de portefeuille ayant obtenu l’agrément COB n° GP 95015 - 34 rue de la Fédération - 75737 Paris cedex 15 S.A. à directoire et conseil de surveillance au capital de 5 099 733euros - RCS : Paris B 344 812 615 20 I MÉTROPOLES LA TRIBUNE - VENDREDI 28 NOVEMBRE 2014 - NO 110 - WWW.LATRIBUNE.FR CHINE La capitale de la deuxième puissance mondiale se veut la vitrine de la Chine moderne. Mais, entre la pollution et les embouteillages, la réalité est tout autre et même les Chinois aisés fuient la mégalopole. La ville géante est un condensé des contradictions de la Chine d’aujourd’hui. Pékin, ou le rêve incertain d’une « smart city » PAR VIRGINIE MANGIN À PÉKIN @v_mangin Embouteillages monstres et hyper-pollution, deux réalités inquiétantes et fréquentes de la vie quotidienne dans la capitale chinoise. © REUTERS/ JASON LEE (CHINA) U ne pollution épaisse à couper au couteau, des embouteillages à n’en plus finir, des ruelles insalubres qui jouxtent des artères flamboyantes et neuves… Pékin, désormais la plus grande ville du monde, est à l’image de la Chine : grande, puissante, grouillante et sale. Pourtant, question d’image oblige, les dirigeants chinois veulent en faire la vitrine de la Chine moderne, sûre d’elle, qui rayonne et s’impose sur la scène mondiale. Un défi gigantesque quand on voit que, malgré une réelle volonté politique, la pollution ne cesse de croître, les queues de voitures s’allongent et les immeubles à peine érigés s’écroulent au bout de quelques années. Rappelons que le dernier marathon de Pékin, en octobre, s’est couru avec un masque antipollution sur le visage… DES AVANCÉES RÉELLES MAIS PARTIELLES Pourtant, la ville intelligente, la municipalité y pense. Comme dans toutes les grandes métropoles-monde, le plan « Smart city Beijing » est une des priorités de la municipalité, consciente que la ville doit se réinventer pour faire face à ses énormes besoins énergétiques et une population qui ne cesse d’affluer des campagnes. Le plan s’étale de 2011 à 2015 avec des axes de développement autour de l’efficacité, l’innovation et l’économie numérique. Il s’ajoute au 12e plan quinquennal, lui aussi centré sur le développement d’une économie durable. Les progrès réalisés sont considérables. Les services de santé ont été informatisés, les infrastructures informatiques et numériques étendues à toute la zone. Et le gouvernement a mis en place des platesformes accessibles par Internet pour les services de l’emploi, la sécurité sociale et l’assistance sociale. En un clic, le voyageur sait quand passe le prochain bus ou métro, connaît l’état du trafic routier et même pédestre – les sites touristiques peuvent être particulièrement bondés. Il peut désormais prendre un rendez-vous chez le médecin et éviter des heures d’attente. Un rapide coup d’œil aux applications lancées entre autres par Baïdu, le « Google chinois », montre qu’en termes de services au consommateur et de géolocalisation Pékin n’a rien à envier à New York, Londres ou Paris. « À travers notre service de cartographie, on peut désormais trouver le cinéma le plus proche, choisir son film et acheter son ticket en ligne », explique Kaiser Kuo, porte-parole du géant de l’Internet. Le moteur de recherche développe actuellement une technologie de reconnaissance visuelle et de paiement sans contact. Il suffit de passer le téléphone sur un article (vêtement, livre ou autres) pour l’acheter directement. Il propose aussi des mégadonnées qu’il nomme « trends ». L’utilisateur y trouve des informations sur le meilleur moment pour partir en vacances ou encore des pronostics fabriqués à partir d’algorithmes sur les gagnants des championnats de football. « Ce qui se passe à Pékin n’est pas très différent des autres grandes villes du monde : e-gouvernement, informatique en nuage, développement de l’économie locale grâce à l’innovation… », explique Tom Saunders, analyste Chine pour Nesta, une ONG qui se spécialise dans l’innovation et qui revient tout juste d’un voyage à Pékin. La ville planche même sur une sorte de centre de données ouvertes gigantesque qui rassemblerait toutes les données de la ville, comme il y en a au Danemark et en Écosse. Elle prévoit aussi d’équiper ses fonctionnaires de téléphones mobiles personnalisés liés à une plate-forme pour pouvoir travailler hors du bureau. LES FREINS DE L’URBANISME ET DE LA POLITIQUE Quant à la lutte contre la pollution atmosphérique, priorité des habitants excédés, plusieurs projets sont en place au niveau municipal et régional : électrification du chauffage dans le centre-ville et en banlieue ou développement d’un parc de transport en commun électrique. La ville s’est engagée à dépenser 160 milliards de dollars (128 milliards d’euros) et de réduire les émissions polluantes de 25 % par rapport au niveau de 2012 d’ici à 2017. Objectif que, pour l’instant, la ville est très loin d’atteindre. En dépit de ses efforts, la pollution augmente d’année en année. Difficile de revendiquer l’appellation « smart » quand la population peut à peine respirer… « Pékin doit faire face à une multitude de défis », explique un diplomate européen, qui suit le dossier. La localisation géographique de la ville n’aide pas à les résoudre. Située dans un bassin entouré de montagnes, Pékin récupère l’essentiel des émissions de la province du Hebei, au sud, grand centre industriel. Pékin bénéficie aussi d’un climat continental : c’est-à-dire qu’il faut chauffer l’hiver et climatiser l’été. Il y a aussi la conception urbaine de la ville elle-même, dont une partie a été conçue dans les années 1950 à 1970 dans un style soviétique, avec une série de boulevards périphériques, peu adaptée aux besoins du nouveau siècle. D’autant que petit à petit d’autres axes s’y sont greffés, sans réelle réflexion d’ensemble sur les transports. « Il n’y a jamais eu comme à Paris de vrai dessein pour la construction du métro par exemple », explique le diplomate. Les lignes construites il y a une dizaine d’années ont rejoint les sites olympiques au nord de la ville, où, de fait, peu de voyageurs se rendent. Le sud, fortement peuplé et où les besoins sont importants, a été le dernier desservi. Aujourd’hui, les stations restent éloignées l’une de l’autre et peu pratiques d’accès. Ajoutons une urbanisation peu efficace et des constructions sans normes et qui consomment bien plus d’énergie que nécessaire. Ainsi qu’une myriade de hutongs, petites ruelles traditionnelles, difficile à rénover. Et puis il y a le système politique lui-même. Le Parti communiste n’aime pas communiquer, encore moins dévoiler les données publiques. Les données ouvertes restent un sujet de méfiance. Or, l’économie de la smart city repose sur l’utilisation de ces données. « C’est un vrai frein, explique Tom Saunders. Il faudrait que tous les ministères impliqués travaillent ensemble, ce qui n’est pas vraiment le cas. » En effet, la planification des smart cities en Chine dépend de plusieurs départements : le ministère de l’Information et de la Technologie, le Développement urbain et rural, qui a débloqué un total de 1 milliard de yuans, à cet effet et enfin le NDRC, la puissante agence de planification. Résultat : les projets se superposent, restent dans les cartons et parfois se contredisent. Concrètement, cela donne une ville sans vraie harmonie. Par exemple, il n’y a aucune connexion entre les différents moyens de transport : métro, bus, tramways. Un trajet d’un point de la ville à l’autre peut nécessiter jusqu’à cinq changements de bus et de métro et prendre plusieurs heures. Pas de quoi inciter un conducteur d’automobile à abandonner sa voiture… « Le ministère de l’Information ne pense ni à la mobilité, ni à l’habitation. Plutôt que de chercher la nouvelle technologie à la mode, il devrait se pencher sur les problèmes et comment mieux travailler avec la population », explique Tom Saunders. LES GRANDES ENTREPRISES RÉTICENTES AU CHANGEMENT Mais le vrai défi pour le gouvernement de la ville est une résistance des mentalités au développement durable. « Pendant des années, on a répété aux entreprises qu’elles devaient être grandes avant tout. Maintenant on leur demande d’être efficaces et rentables. Ce n’est pas si facile que ça », explique Qiao Liu, professeur de finance à l’école de management Guanghua, liée à l’université de Pékin. C’est une chose de produire des plans et c’en est bien une autre de les appliquer, particulièrement en Chine, pays de privilèges et de passe-droits. « Les entreprises ne sont pas prêtes à changer leur mode de fonctionnement. Elles mentent sur les données qu’elles fournissent au gouvernement sur leurs émissions de CO2. Elles ont même mis en provision les amendes qui leur seront infligées », raconte encore le diplomate européen. Le coût pour Pékin est considérable. À cause d’une image écornée à l’international, elle peine désormais à attirer des talents. Les chiffres du tourisme sont en baisse chaque année. Et les Chinois euxmêmes cherchent à fuir leur capitale pour raison de santé. ■ I 23 LA TRIBUNE - VENDREDI 28 NOVEMBRE 2014 - NO 110 - WWW.LATRIBUNE.FR LE TOUR DE FRANCE DES PLUS BELLES ETI MÉTROPOLES PROVENCE-ALPES-CÔTE D’AZUR (9/10) L’aire métropolitaine d’Aix-Marseille, terre de croissance des ETI Industrielles, familiales, tournées vers l’international, performantes mais pas assez nombreuses… Telles sont les ETI du bassin d’Aix-Marseille. Il n’empêche que le potentiel de croissance des PME est bien réel et que les ETI sont une locomotive à suivre. I « l n’y a pas assez d’ETI sur le territoire. » Le constat est général. Outre les acteurs économiques eux-mêmes, c’est un rapport commun réalisé par la CCI Marseille Provence et l’UPE 13 (Union pour les entreprises des Bouches-du-Rhône) qui le dit. Sur le périmètre aixo-marseillais, les ETI ne représentent même pas 1 % de la totalité des entreprises quand les PME, elles, avoisinent les 4 %. Insuffisant que tout cela. D’autant que, selon le même rapport, pour pouvoir égaler le Grand Lyon, Aix-Marseille devrait comptabiliser 3 500 PME et 200 ETI de plus et équilibrer ainsi le poids des TPE qui constituent l’essentiel du tissu économique. Une situation qui est à l’image de celle de la France, le déficit en entreprises de taille intermédiaire étant criant par rapport à l’Allemagne, pays PAR LAURENCE BOTTERO @l_bottero modèle. « Pour structurer un pays, nous avons besoin d’ETI », prévient Pierre GrandDufay, président de Tertium, fonds de capital-développement qui investit dans les entreprises régionales à fort potentiel. CES FREINS QUI GÊNENT L’ÉMERGENCE DES ETI Et les freins, Pierre Grand-Dufay les égrènent : « Les marges des entreprises sont trop faibles, elles ne peuvent alors réaliser les investissements nécessaires. Pour croître, il faut également pouvoir recruter. Or la réglementation est trop dure et le coût du travail freine le chef d’entreprise qui se prive d’embauches de compétences qui lui permettraient de lui ouvrir de nouveaux marchés. » Sans parler de la fameuse question des seuils. « Le salut du territoire vient des ETI », ren- Malgré les obstacles réglementaires qui contrarient le passage des PME locales au statut d’ETI, le territoire marseillais est vif et contient le terreau nécessaire au développement de pépites. © PIERRE-JEAN DURIEU / FOTOLIA chérit Patrick Siri. Chef d’entreprise, il a cocréé P.Factory, un accélérateur consacré aux PME déjà fort actif avec dix entreprises dans son giron. Car « il faut aider les startup à devenir des PME et les PME à devenir des ETI ». Et donc encourager les entreprises, souvent familiales, à aller jusqu’au bout de leur croissance et à ne pas passer la main avant d’atteindre le stade d’ETI. Pour autant, le territoire est vif et contient le terreau nécessaire à la croissance des pépites. « Nous avons des atouts dont un marché naturel qui se situe de l’autre côté de la Méditerranée. Ce serait bien que les entreprises de la région s’y intéressent. » Et ces entreprises ont tout autant intérêt à accep- ter de se faire accompagner, car « celles qui le sont par un fonds sont plus performantes », souligne Pierre Grand-Dufay. Plus optimiste, Pierre Villefranque, le directeur régional de Bpifrance en Paca dit ne pas voir de freins majeurs et considère que « c’est l’origine racinaire et familiale de certaines PME qui ne les a pas incitées à grandir. La dernière génération des chefs d’entreprise est en revanche plus ouverte sur le monde ». « Nous avons un positionnement géographique assez central en Europe, continue Patrick Siri. On peut voir émerger ici un Dropbox ou un Google. » n La semaine prochaine : Bordeaux INTERVIEW Jean-Claude Gaudin, maire de Marseille et sénateur des Bouches-du-Rhône © JEAN-PAUL PELISSIER / REUTERS « Marseille pourra tirer parti de tous ses atouts » LA TRIBUNE – Le tissu local est composé de très belles PME mais pas suffisamment d’ETI. Quels sont les freins et les atouts du territoire ? Si le tissu économique de l’agglomération marseillaise se caractérise par la présence majoritaire de PME, comme sur l’ensemble du territoire national, il compte aussi des sièges de grands groupes (150) et plus de 700 entreprises à capitaux étrangers. Les freins au développement des PME tiennent au contexte économique général, à l’inflation réglementaire qui bloque l’embauche et à l’incertitude fiscale. Ils relèvent aussi des besoins en infrastructures de transports et d’aménagement du territoire. La mise en place effective de la métropole comme outil de programmation, de mutualisation et de financement des grands équipements marquera une avancée déterminante. Marseille pourra alors tirer le meilleur parti de ses atouts : un redressement économique indéniable, une croissance démographique constante, un rôle de plate-forme d’échanges maritimes et terrestres, le succès de l’opération Euroméditerranée, la première université de France, les pôles de compétitivité, l’explosion des diverses formes de tourisme (8 millions de visiteurs et 1 350 000 croisiéristes en 2013). De plus, notre ville accueille de grands événements de portée internationale : le succès de l’année 2013 où Marseille était capitale européenne de la culture est dans toutes les mémoires et prépare celui de 2017, Marseille capitale européenne du sport. Comment le territoire peut-il impulser le développement de ces petites entreprises et les aider à atteindre le stade d’ETI ? Le rôle de la collectivité est de définir une perspective dans laquelle les entreprises puissent inscrire leurs propres projets de développement. C’est ainsi que la Ville de Marseille s’est dotée du « Plan Marseille Attractive 2012-2020 ». Il propose aux acteurs publics et privés de relever trois défis : faire de Marseille la première métropole « centre d’affaires et plate-forme d’échanges du Sud européen » ; faire de Marseille une ville de la connaissance et de la créativité ; faire de Marseille une ville de destination incontournable en Europe. Cette démarche d’attractivité économique et de rayonnement culturel a déjà porté ses fruits lors de Marseille-Provence 2013 capitale européenne de la culture ou la création d’Aix-Marseille Université. Plus récemment, le territoire d’Aix-Marseille s’est vu attribuer le label des métropoles numériques « French Tech ». Le projet retenu est fondé sur l’engagement de plusieurs grandes entreprises numériques d’accélérer la croissance de start-up innovantes par des actions d’accompagnement, de tutorat, d’échanges d’expertises, voire de financements. De quelle façon les ETI existantes, souvent tournées vers l’international, contribuent-elles à l’attractivité du territoire ? Déjà, dans de nombreux secteurs d’activité, les entreprises marseillaises portent haut les couleurs de la ville sur les marchés internationaux. Elles occupent une place enviable dans les filières d’excellence : la logistique et l’ingénierie maritime, l’agroalimentaire, l’économie numérique, les sciences de la vie, l’e-santé, la chimie fine… sans oublier la mode ou la cosmétique. Leur réussite contribue au rayonnement de Marseille et renforce son attractivité. D’ailleurs, dans le classement 2013 des villes les plus business-friendly, celles où il fait bon entreprendre, Marseille occupe la deuxième place – derrière Lyon et devant Bordeaux et Nantes – pour la qualité de ses infrastructures. n 24 I MÉTROPOLES LA TRIBUNE - VENDREDI 28 NOVEMBRE 2014 - NO 110 - WWW.LATRIBUNE.FR LA PLUS DÉPAYSANTE LA PLUS AUDACIEUSE WYPLAY joue dans la cour des grands Créatrice de solutions logicielles pour les principaux opérateurs de télévision payante, Wyplay affronte gaillardement des géants tels Cisco. C’ © CIS CIS Secteur : services Spécialité : restauration sur sites extrêmes et hôtellerie Effectifs : 11 600 salariés CA 2013 : 291,4 millions d’euros PDG : Régis Arnoux CIS nourrit les travailleurs de l’extrême 35 pays tels que la Mongolie, le Tchad, le Mozambique, le Mali, le bloc de l’ex-URSS, la Sierra Leone, le Brésil, le Pérou, la Nouvelle-Calédonie… « Toutes ces avancées se sont effectuées petit à petit. Nous apportons notre expérience opérationnelle et sociale. Nous sommes souvent le premier employeur dans la zone dans laquelle nous intervenons. Par exemple, même avec la est l’histoire d’un homme passionné de grands menace Ebola, nous n’avons pas interrompu nos services. De espaces qui l’avoue comme un enfant confessant même les tensions qui peuvent exister entre la France et certains sa faute : « Je suis attiré par les pays neufs et les zones pays ne facilitent pas toujours nos opérations », souligne Régis pittoresques. » C’est comme cela que naît CIS en 1992, après Arnoux dont la volonté de grandir encore est vive. « L’objecque Régis Arnoux, qui a jusqu’alors dirigé la filiale d’une tif est de continuer à développer l’entreprise en l’emmenant à un entreprise à Kourou, en Guyane, a créé sa niveau encore supérieur que celui qu’elle atteint première société, entre-temps revendue. CIS LA SPÉCIALITÉ aujourd’hui » et avec un chiffre d’affaires de – pour Catering International & Services – éta500 millions d’euros dans les cinq années blie à Marseille, va donc se spécialiser dans DE LA MAISON : LES à venir, contre 291,4 aujourd’hui. « Nous la fourniture de services de restauration et PAYS « DIFFICILES » jetons des regards aiguisés sur la croissance d’hôtellerie dans des pays plus ou moins externe », avoue le PDG marseillais qui à exotiques, plus ou moins sensibles, mais toujours pour des 76 ans n’élude pas le sujet du passage de relais. Mais attengrands noms de l’industrie pétrolière, minière et du BTP. En tion, uniquement pour assurer le quotidien, de sorte qu’il 1998, c’est l’entrée en Bourse, une étape qui va donner puisse se consacrer alors exclusivement « aux alliances straencore plus de souffle à CIS, aujourd’hui implantée dans tégiques et aux partenariats ». Aventurier un jour… Son métier : fournir des services de restauration et d’hôtellerie. Ses clients : les professionnels de l’industrie pétrolière, minière et du BTP. Son terrain d’action : l’international exclusivement et souvent dans des pays sous tensions politiques. C’ est en 2006 que la jeune PME naît et se positionne comme une spécialiste des solutions logicielles pour les opérateurs de télévision payante. Le marché est prometteur, la croissance de Wyplay aussi. Huit années plus tard, les deux ont réussi leur pari, l’entreprise, implantée à Allauch, près de Marseille, ayant même annoncé dernièrement avoir été choisie par Canal + pour une mise à jour de sa base de données. Le succès est sans nul doute le résultat de la philosophie de Jacques Bourgnignaud, président-fondateur, qui se résume en un mot : oser. « Nous avons appris sur le tas, explique le dirigeant, et notre première levée de fonds nous a PROCHAINE donné une certaine ambition. C’est ÉTAPE : L’ENTRÉE autour de cette valeur qu’il faut EN BOURSE travailler pour pousser ses propres limites. Nous portons la culture du possible. » Une première signature avec SFR en 2008 va rapidement positionner la PME qui ne va ensuite cesser d’engranger des clients comme Sky, Vodafone ou Canal +, donc. La réussite, outre le fait d’oser, c’est aussi « avoir une vision stratégique de ce que l’on veut faire, se projeter à trois ou cinq ans. Savoir que le chemin ne sera jamais droit, mais que du moment que l’on sait, comme en voile, autour de quelle bouée on veut tourner, ne pas paniquer ». Vision donc, et compétences aussi. « Il faut mettre l’équipage capable de tenir le cap. Certains salariés peuvent accompagner l’entreprise d’un point A à un point B mais pas d’un point B à un point C. » Prochaine étape : l’entrée en Bourse, programmée pour début 2015. « Nous allons sur le marché boursier pour valoriser la gouvernance de l’entreprise et pour donner une taille critique à Wyplay », annonce Jacques Bourgnignaud. De quoi permettre à WYPLAY l’entreprise, qui possède, outre Allauch, Secteur : TIC une implantation à Montpellier et Spécialité : solutions logicielles Sophia-Antipolis, de grandir encore et Effectifs : 190 salariés d’atteindre l’objectif visé de 40 millions CA 2013 : 12 millions d’euros d’euros de chiffre d’affaires en 2017 Président : Jacques Bourgnignaud contre 12 millions actuellement. © CANAVESE LA PLUS VITAMINÉE CANAVÈSE, la force du fruit C’est l’une de ces entreprises familiales qui ont su percevoir avant l’heure les mutations des secteurs dans lesquels elles évoluent. Dans le négoce, Canavèse est devenu aujourd’hui un acteur pluridisciplinaire, qui produit, importe, fait mûrir, distribue et expédie… P renez trois frères prêts à entreprendre, une activité qui se nourrit du métier paternel, ajoutez-y une touche d’esprit visionnaire et vous obtenez l’un des plus francs succès du secteur agroalimentaire provençal. C’est en 1975 que Jean-Pierre, René et Gérard créent Canavèse, une entreprise spécialisée dans le négoce de fruits et légumes. Comme dans une équipe, chacun des trois frères va endosser une casquette en fonction de ses compétences. Celle de président échoit à Gérard Canavèse, Aujourd’hui, Canavèse c’est sept implantations en Paca et Languedoc-Roussillon, quatre sites en Afrique, trois sites de quand Gérard gère le commerce et René mûrissage. « Notre réussite tient à notre la logistique. En 1988, la PME d’alors com- grande entente familiale, au partage de mence à prendre du poids et implante à projets. Nous avons été proactifs sur cerAubagne sa première plate-forme régio- tains métiers et cela nous a permis de nale de distribution. Le Groupe Canavèse nous légitimer », explique Gérard Canaest né et avec lui le fameux slogan qu’on vèse, qui a ajouté aux fruits et légumes lui connaît bien : « la force verte ». Car, une activité de distribution des produits bien insp irée, la fratrie sent rapidement de la mer, lancée en mars dernier. « Nous que le métier de négoce avons également le souci ne suffira pas à faire de l’innovation », ajoute grandir l’entreprise et AU CŒUR le PDG. « Cela peut s’ilqu’il faut multiplier les lustrer par un conditionDU GROUPE, compétences. Et qu’il nement adapté aux besoins de différents faut aussi ne pas hésiter DIVERSIFICATION à aller voir ailleurs. En ET INNOVATION consommateurs, comme l’occurrence, ce sera en les petites portions pour Afrique et en Côte les enfants, ou faire resd’Ivoire, où le groupe marseillais produit sortir les qualités nutritionnelles. » Mais bananes (60 000 tonnes aujourd’hui) et dans les cartons, il y a aussi des projets ananas (4 000 tonnes). Dans les années de croissance externe, « pour fortifier 2000, c’est du côté du Maroc que Cana- notre maillage territorial », précise vèse va produire oranges et mandarines. Gérard Canavèse. Formule inTégrALe Avec l’édition abonnés La Tribune, prenez les bonnes décisions CANAVÈSE Secteur : agroalimentaire Spécialité : production, distribution, importation, expédition de fruits et légumes Effectifs : 450 salariés CA 2013 : 127 millions d’euros PDG : Gérard Canavèse Abonnement 21 € /mois seuLemenT Vite, j’en profite ! pendAnT 1 An abonnement.latribune.fr I 25 LA TRIBUNE - VENDREDI 28 NOVEMBRE 2014 - NO 110 - WWW.LATRIBUNE.FR LA PLUS PARTICIPATIVE © X-TU & ADELINE RISPAL TPF-I Secteur : BTP Spécialité : ingénierie Effectifs : 450 salariés CA 2014 : 40 millions d’euros Président : Frédéric Lassale TPF-I parie sur l’« ingénierie cocréative » Des opérations de croissance externe, un changement de dénomination fin juillet dernier comme pour asseoir le désir de grandir… Le groupe établi à Marseille affine fermement sa stratégie et s’imagine volontiers comme le précurseur d’une ingénierie davantage collaborative. T out commence il y a pratiquement cinquante-cinq ans à Marseille avec Beterem, société d’ingénierie du bâtiment spécialisée en études d’urbanisme et infrastructure et intervenant en Paca et Languedoc-Roussillon. Beterem suit son bonhomme de chemin jusqu’en 1998, année où le dirigeant d’alors rachète la branche ingénierie du bâtiment. L’histoire est lancée. Car dès lors, à coups de fusion et acquisitions, le groupe TPF – le changement de nom intervient en 2009 – va peu à peu se constituer. En 2008, Secmo, bureau d’études techniques qui dispose d’une expertise dans les structures complexes de bâti- ments en béton armé et charpentes métalliques, passe sous l’énergie et la maintenance et se positionner sur des projets signibannière TPF. Deux ans plus tard, c’est au tour du bureau ficatifs. TPF-i intervient ainsi sur des chantiers d’envergure tels d’études Ouest Coordination. L’année suivante, Mipi, société de la tour Odéon à Monaco, le centre pénitentiaire d’Orléans, le montage et ingénierie de projets immobiliers, nouveau siège d’Iter à Cadarache ou encore le est créée. En 2014, c’est TPF Infrastructures qui pavillon de la France pour l’Exposition univernaît de la fusion de trois entités pour devenir selle de Milan en 2015… L’identité spécifique de un expert en acoustique, foncier et études régle- UNE STRATÉGIE la PME marseillaise a un nom : l’ingénierie mentaires. Concomitamment, Betek, bureau PRÉCISE : RÉUNIR cocréative. « C’est un concept que nous voulons d’études pluridisciplinaires, est lui aussi porté TOUS LES MÉTIERS développer afin de repositionner les ingénieurs et les sur les fonts baptismaux. Avec une spécialisa- DE L’INGÉNIERIE collaborateurs au cœur du processus créatif, dès la tion : opérer dans la principauté de Monaco et naissance du projet, affirme Frédéric Lassale, son alentour. Si l’égrenage des rapprochements peut président. Et ce afin d’intervenir le plus en amont donner le tournis, il n’en reste pas moins que le tout répond à possible avec nos partenaires. La cocréativité est un état d’esprit, une une stratégie très précise : réunir en une seule structure tous les philosophie, de nouvelles méthodes de travail qui doivent bénéficier au métiers de l’ingénierie pour intervenir dans des secteurs tels projet. » Et qui booste le chiffre d’affaires, lequel s’affiche à 40 milque le bâtiment, les infrastructures, l’eau, l’environnement, lions d’euros, tandis que les effectifs comptent 450 collaborateurs. LA PLUS TOURISTIQUE VACANCES BLEUES vise les 50 ans et plus et… l’international La chaîne hôtelière revient à ses premières amours : les 50 ans et plus, un marché dynamique qui porte la consommation touristique. I l n’est à la présidence du directoire sites additionnels. » Vacances Bleues que depuis un an et demi, mais Nicolas possède 26 hôtels gérés en direct dont Dechavanne a déjà secoué le cocotier 7 en propriété. Ils pourraient bientôt Vacances Bleues. Né en 1971, le groupe être 30. Et acquérir pour acquérir n’est spécialisé dans le tourisme connaît pas la démarche du président du groupe depuis les dix-huit derniers mois une qui souhaite également « améliorer [le] dynamique de croissance qui ne doit taux d’occupation, aujourd’hui de rien au hasard mais tout à la politique 70 % ». Mais l’autre axe de développede son nouveau dirigeant qui a décidé ment est évidemment le positionnement de replacer Vacances Bleues à l’international avec en sur son orbite originelle. ligne de mire l’Europe et « Nous nous recentrons sur LES 50 ANS des pays tels que le Royaume-Uni, la Suisse, notre cœur de métier. Et dans ET PLUS ONT l’Italie, la zone Benelux, ce contexte morose, la DES MOYENS l’Espagne et les pays consommation qui tient le scandinaves. « Notre choc est celle des 50 ans et plus, celle qui possède les moyens finan- clientèle est à 92 % française et donc à ciers, le temps et qui est capable de 8 % internationale. C’est cette part que maintenir un niveau de dépenses », ana- nous voulons faire grandir, notre objectif lyse Nicolas Dechavanne. L’entrée en étant d’atteindre 20 % de clientèle étranjuillet de la Caisse des dépôts au capital gère d’ici à trois ans. » de la filiale patrimoine du groupe « un Repensé aussi, le site VACANCES BLEUES partenariat structurant » lui donne l’air Internet du groupe sera Secteur : tourisme financier nécessaire au développement désormais multilingue. Spécialité : hôtellerie de sa stratégie. « Nous voulons nous « Aujourd’hui, les briques Effectifs : 900 salariés renforcer à la montagne et dans les sont posées. Nous vouCA 2013 : 87,5 millions grandes villes intra-muros. Nous exami- lons construire un grand d’euros nons des dossiers à Lyon, Strasbourg ou groupe », affirme NicoPrésident du directoire : Paris. Nous sommes à la recherche de las Dechavanne. Nicolas Dechavanne Club Entreprises en partenariat avec Gérard Delmas Président de la CCI Val-de-Marne Pierre-Antoine Gailly Président de la CCI Paris Ile-de-France « L’inDustrie : queLLe PLACe DAns Le GrAnD PAris ? » Le Point De Vue Des entrePrises Du VAL-De-MArne animé par Jean-Pierre Gonguet Rédacteur en chef La Tribune du Grand Paris Mercredi 17 décembre 2014 de 8h30 à Accueil café à partir de 8h 10h30 à la Chambre de commerce et d’industrie du Val-de-Marne 8, place Salvador Allende à Créteil Un rendez-vous Nombre de places limité. Inscription obligatoire avant le 10 décembre 2014. Inscriptions et renseignements : http://club-entreprises-cci-paris-idf.latribune.fr 26 I MÉTROPOLES LA TRIBUNE - VENDREDI 28 NOVEMBRE 2014 - NO 110 - WWW.LATRIBUNE.FR LA PLUS ÉCOLOGIQUE LA PLUS NUMÉRIQUE SYNCHRONE TECHNOLOGIES croît dans le conseil en ingénierie informatique Née de l’union professionnelle de Laurent Leconte et Pierre Lacaze, la SSII a fait du conseil optimisé en direction des entreprises sa plus-value. Un credo qui fonctionne depuis sa naissance. N © URBATP « ous avions 25 ans et la volonté de créer une entreprise capable de conjuguer dynamisme et innovation », se souvient Pierre Lacaze. C’est en juin 2001 que URBATP Synchrone Technologies voit le jour à Aix-en-Provence. Peu Secteur : bâtiment à peu, la société trouve sa place et ses clients. « Notre rôle Spécialité : aménagement est d’accompagner les entreprises – exclusivement des grands urbain comptes – pour plus de performance dans leurs services inforEffectifs : 120 salariés matiques, numériques et cloud », résume le directeur général. CA 2013 : 22 millions d’euros Des grands comptes tels que Veolia Environnement, IBM, Président : Denis Marconnet Amadeus, la SNCF, la RATP, Axa, Bouygues ou encore ASF, Telindus… et à 60 % des groupes bancaires. « En quatre ans, nous UN TRÈS avons recruté 100 personnes. À partir de ce moment-là nous avons accéléré GROS Spécialisée dans le revêtement urbain en pierres naturelles, la PME implantée à Meyreuil est également notre développement, raconte Pierre EMPLOYEUR le distributeur exclusif de dalles antipollution, conjuguant ainsi construction et cadre de vie durables. Lacaze, notamment en créant une base de données en interne de 150 000 CV. » Une structuration ai toujours fait de l’aménagement urbain qualitatif dépolluantes et autonettoyantes qui permettent de purifier qui permet à l’entreprise de se distinguer par sa grande et j’ai toujours été attiré par la pierre », explique l’air en réduisant 80 % des gaz polluants. « Les dalles dépolréactivité. Depuis les six dernières années, l’investissement Denis Marconnet. Cet ingénieur béton armé a luent par photocatalyse, un procédé naturel qui s’apparente à porte également sur la force commerciale. Deux axes qui donc trouvé la possibilité de lier les deux en créant en 2005 celui de la photosynthèse pour les plantes », précise Denis permettent à Synchrone Technologies de recruter fortement UrbaTP. Il quitte pour cela son ancien employeur, lui Marconnet. Ces dalles de nouvelle génération sont même chaque année, 200 ingénieurs et consultants rien qu’au rachète la filiale qu’il gérait alors et qui était déjà spécia- capables de repousser la saleté. « Notre différenciation se cours du dernier semestre, 500 sur l’année 2014. « Notre lisée dans l’aménagement qualitatif et comsitue dans notre capacité à apporter une réflexion croissance s’explique par notre positionnement technologique, mence à multiplier les chantiers à Puget-surà nos clients dès l’élaboration des projets », avance avance Pierre Lacaze, ainsi que par notre organisation. Nous CONSULTÉ Argens, dans le Var, à Montpellier, dans le PDG, dont l’ambition est claire : être avons un modèle qui fonctionne et une vision stratégique que l’Hérault, ou encore au Bourget. En parallèle, DANS LE reconnu nationalement comme un aménageur nous partageons depuis le départ avec Laurent Leconte. Nous il développe des participations dans certaines CADRE DU urbain qualitatif. Consulté dans le cadre des assurons un suivi client rigoureux, proactif si problèmes. » Le des carrières qui l’approvisionnent en pierres GRAND PARIS réflexions autour du Grand Paris, Denis Mardépartement R & D – qui emploie une cinquantaine de peret qui se situent en Italie, en Espagne, en Turconnet ne cache pas davantage ses envies de sonnes – travaille sur les transferts d’inSYNCHRONE TECHNOLOGIES formation, la refonte de sites d’e-comquie ou encore en Chine. Elles sont six croissance : « Nous aimerions doubler nos effecSecteur : informatique aujourd’hui à constituer le réseau d’approvisionnement tifs [120 salariés actuellement], cela fait partie de nos ambimerce ou l’oculométrie. Avec un chiffre Spécialité : d’UrbaTP. Une démarche structurée qui permet aussi à tions. Seulement la conjoncture est un vrai frein. » « Je rêve de d’affaires qui se monte à 90 millions conseil en ingénierie Denis Marconnet de travailler à des solutions d’aménage- travailler en Europe », avoue-t-il, persuadé que le dévelopd’euros, Synchrone Technologies penseEffectifs : 900 salariés ment durables et innovantes. C’est comme cela qu’il pement durable appliqué à l’aménagement urbain est la t-elle à l’international ? « Pourquoi pas…, CA 2013 : 90 millions d’euros devient distributeur exclusif d’une dalle appelée ecoGra- solution de demain. Un créneau sur lequel UrbaTP compte répond Pierre Lacaze. Tout est question Président : Laurent Leconte d’opportunité. » nic. Développée en Espagne, elle présente des propriétés bien faire la différence. URBATP réinvente l’aménagement urbain « J’ LA PLUS BRANCHÉE AMPÉRIS ÉNERGIES fait preuve de génie Spécialisée en génie électrique et climatique, la PME dirigée par Thierry Persia a pris du volume au printemps dernier après une levée de fonds de 2 millions d’euros et le rapatriement sous une même bannière des acquisitions précédemment réalisées. Objectif : être capable de répondre aux appels d’offres nationaux. E lles sont quatre et constituent un nouvel ensemble : climatique, en travaux et en maintenance, et EPM, active dans depuis mars dernier, LB Entreprises, EPM, Ampéris le domaine de la maintenance et la réalisation de réseau de Réseaux et GEI ne font plus qu’une : Ampéris Énergies. distribution d’éclairage qui dispose d’une expertise assez poinAu pilotage : Thierry Persia. Un diplômé de l’Institue : la pose de dispositifs antihélicoptères dans tut national des sciences appliquées de Rennes, les centres pénitentiaires. Dans le même temps passé par un grand groupe de BTP qu’il quitte en L’UNION Ampéris Réseaux est créée, devenant le spécialiste des travaux des réseaux aériens et souter2009 pour se lancer dans l’aventure en solo. C’est POUR ÊTRE rains moyenne et basse tension pour le compte d’abord au sein de GEI qu’il développe sa vision de PLUS FORT l’entreprenariat, créant trois nouveaux métiers, d’ERDF. Mais c’est parce qu’il est conscient que multipliant les implantations géographiques et surtout s’en- l’union des compétences fait la force de sa petite entreprise tourant de compétences de haut niveau. L’année suivante est que Thierry Persia décide d’officialiser les rapprochements et celle des acquisitions : LB Entreprise, spécialisée en génie de plus n’apparaître que sous un seul nom. Pour se faire il lève 2 millions d’euros auprès du fonds de capital-développement Tertium – lequel obtient ainsi 40 % du capital – et devient officiellement Ampéris Énergies. « Cette nouvelle organisation nous permet la souplesse et la réactivité d’une PME, mais aussi d’avoir la taille d’un groupe nous permettant de répondre aux appels d’offres nationaux », explique Thierry Persia qui ne dit pas non à de nouvelles opérations de croissance externe. « Nous avons déjà examiné quelques dossiers avec nos partenaires bancaires. Mais il faut que cela corresponde à notre stratégie en AMPÉRIS ÉNERGIES termes de complémentarité géogra- Secteur : bâtiment phique et que les entreprises soient Spécialité : génie climatique, tournées vers la haute technologie. La génie électrique croissance du chiffre d’affaires doit être Effectifs : 250 salariés la conséquence de notre activité et non CA 2013 : 30,7 millions d’euros le but. » Président : Thierry Persia UN CLUB ACTIF À L’ÉCOUTE DES DRH Retrouvez le contenu des débats « Comment passer d’une PME à une ETI : lever les freins de la croissance » organisés en partenariat avec La Tribune sur www.pole-emploi.org I 29 LA TRIBUNE - VENDREDI 28 NOVEMBRE 2014 - NO 110 - WWW.LATRIBUNE.FR PHOTOS - DAVID BORDES Portraits de citoyens d’une ville intelligente Max Armanet,, Directeur du Forum Smart City Jean-Luc Beylat, PDG d’Alcatel-Lucent Bell Labs France Françoise Colaitis, Déléguée adjointe de Cap digital Jean-Luc Aschard, Directeur interrégional Île-de-France d’EDF Albert Asseraf, DG stratégie, études et marketing, JC Decaux Muriel Barnéoud, PDG de Docapost, membre de Syntec Numérique Fabrice Benoît, Président de Clameur François Blanc, DG du programme évolution numérique d’EDF Cofondatrice de Hopways Chargée de l’économie à la mairie de Bordeaux Virginie Calmels, Bruno Cavagné, Fédération nationale des travaux publics Directeur strategy & transformation à E & Y Bruno Corinti, Brigitte Courtehoux, Jérôme Coutant, Pôle Jean-Charles Decaux, Jean-Marc Dubouloz, Directeur général adjoint de Nexity Anne Buffetaud, Benjamin Azoulay, Directeur général de Philips Lighting France Directrice services connectés à PSA numérique, Société du Grand Paris Président du directoire de JCDecaux Nicolas Clinckx, Directeur général et marketing de Navidis D ynamique, tournée vers l’avenir et l’innovation ; citoyenne, soucieuse de ses habitants et du vivre-ensemble : voilà la définition de la ville intelligente telle qu’elle émerge à l’issue du premier Forum Smart City du Grand Paris. Aux questions concrètes des 10 000 inscrits qui s’étaient inscrits les dirigeants des entreprises concernées ont répondu, loin des caricatures matérialistes qui réduisent cet enjeu majeur à des problèmes de tuyauterie ou à la présence de capteurs. Le concept de ville connectée dessine le futur de nos territoires et de leurs cœurs battants, les métropoles. Voici la vision volontariste portée par Anne Hidalgo pour la capitale : transports, réseaux, éducation, logement, culture, accueil des jeunes entrepreneurs dans un écosystème les mettant à l’abri des lourdeurs bureaucratiques du siècle dernier et surtout réinvention des façons de travailler entre partenaires privés et publics. À ce plaidoyer pour accélérer les transformations jugées indispensables renvoyaient les expérimentations réussies dans la ville de Medellin, en Colombie. La venue spéciale de son maire, Anibal Gaviria, dans les salons de l’Hôtel de Ville fut l’un des moments les plus forts de cette édition. Photos à l’appui, Gaviria nous fit passer en revue comment cette capitale mondiale de la drogue et du crime avait réussi à faire chuter de 95 % son taux de criminalité et à décrocher coup sur coup le prix de la ville la plus innovante décerné par le Wall Street Journal en 2013 et, le même prix, décerné par le Forum de Barcelone en 2014. Sa recette : utiliser toutes les facettes de la modernité au service de l’éducation, de la solidarité, du développement économique. Et surtout un système de gouvernance dans lequel toutes les forces vives, quelles que soient leurs sensibilités politiques, se reconnaissent MOBILITÉS et parviennent à œuvrer ensemble pour le bien public. Une leçon très applaudie qui constituera un pilier de notre prochaine édition. ■ présente CITOYENNETÉ / ÉNERGIES / INFRA STRUCTURES / RÉSEAUX Jeudi 20 noVe mbre Hôtel de Ville de 9H à 18H de Paris Programme & inform ( Ouvert au public ations sur inscription ) http://smartcity.latr ibune.fr Jean-Pierre Frémont, Antoine Frérot, PDG de Veolia environnement Etienne Guyot, Préfet et directeur général de la CCI Paris Île-de-France Anne Hidalgo, Maire de Paris Président-fondateur de Wayz-up Ludovic Le Moan, Augustin de Romanet, Directeur du marché des collectivités à EDF PDG de Sigfox PDG d’AdP Patrick Gatellier, Olivier Gatelmand, Anibal Gaviria, Programmes smart mobility à Thales Cofondateur de Game in Town Julien Honnart, Marc Jalabert, Directeur Nathalie Leboucher Guillaume Mathieu, Jean-Louis Missika, Adjoint à la maire de Paris Professeur, spécialiste de la ville intelligente William Rosenfeld, Antoine Rouillard, Philippe Sajhau, Chargé Bertrand Serp, Directrice smart cities d’Orange Président de Zenpark Président-fondateur de Cityzen Mobility Directeur commercial de Berger Levrault division grand public de Microsoft France de l’initiative smarter cities, IBM France Emmanuel Grégoire, Maire de Medellin, en Colombie Adjoint au maire de Paris Alain Krakovitch, Éric l’Helguen, Directeur de Transilien à la SNCF Carlos Moreno, Président d’Open Data France Directeur général d’Embix Guillaume Parisot, Directeur innovation, Bouygues Immobilier Michel Sudarskis, Secrétaire général de l’INTA David Lacombled, Directeur à la stratégie contenus d’Orange Francis Pisani, en partenariat avec #ForumSmartCity MAX ARMANET Laurence Lafont, Denis Laplane, Directeur clientèle entreprises de BNP Paribas Directrice secteur public de Microsoft Journaliste, écrivain Cofondateur de Sharette Hugues Pouillot, Gabriel Riboulet, Chief transmedia architect de Flamefy Jean-Christophe Tortora, Julien Varin, Laure Wagner, Président de La Tribune Directeur général adjoint Autolib’ Communication, BlaBlaCar 28 I GÉNÉRATION LA TRIBUNE - VENDREDI 28 NOVEMBRE 2014 - NO 110 - WWW.LATRIBUNE.FR RICHARD OLLIER Visionnaire audacieux À 34 ans, le président de la société lilloise Giroptic a reçu en juillet 1,4 million de dollars de précommandes sur Kickstarter pour la caméra 360°, qu’il présentera au salon CES de Las Vegas en janvier. PAR PERRINE CREQUY C et homme détient un record de France. Richard Ollier, le président de Giroptic, a finalisé en juillet dernier la plus grande campagne de préventes réalisée par un entrepreneur français sur Kickstarter, la plateforme américaine de financement participatif, pour un montant de 1,4 million d’euros. En 45 jours, près de 4 000 unités de sa caméra haute définition enregistrant des images à 360° ont été commandées par les consommateurs, pour la plupart américains. « Mener une campagne sur Kickstarter pour un produit destiné au grand public est une opération à quitte ou double : soit l’engouement est massif et votre campagne est un succès, soit l’objectif de collecte n’est pas atteint et, dans ce cas, vous devez ramer pour convaincre vos partenaires que votre produit trouvera son marché », analyse l’entrepreneur lillois de 34 ans. Méthodique, cet ingénieur en chimie diplômé de HEI Lille a donc soigné la préparation de l’opération, lancée en mai. « Nous avons investi 50 000 dollars en marketing dans cette campagne. Nous avons mobilisé quatre experts américains dans le storytelling, les médias sociaux et la presse pour assurer la visibilité de notre campagne. Notre objectif affiché était d’atteindre 150 000 dollars collectés, mais nous espérions secrètement atteindre le million. Notre campagne s’est achevée le 4 juillet, jour de l’Independance Day – la fête nationale aux États-Unis –, qui est désormais aussi notre ‘‘Financial Independance Day’’ », sourit Richard Ollier. Cette collecte est arrivée à point nommé après deux années consacrées à la recherche et au développement de ce nouveau pro- duit, très simple d’utilisation car destiné au grand public, et à une consommation de masse. « Avec l’iPhone et les réseaux sociaux, les usages ont changé. Nous avons repensé notre offre et avons planché sur le produit parfait qui aurait des yeux, des oreilles et un système de géolocalisation. Nous avons travaillé avec Sculpteo, pour modéliser des prototypes améliorés chaque semaine. En cinq mois, nous avions un prototype opérationnel. Ce n’est pas une caméra que nous dévoilerons au Consumer Electronics Show de Las Vegas, en janvier prochain, mais un objet connecté en wi-fi qui édite des fichiers .jpg et .mp4. », détaille le jeune entrepreneur, qui emploie 17 salariés et envisage de lever 2 millions d’euros pour consolider son capital. À sa création, en 2008, Giroptic avait un autre président et proposait ses appareils « RICHARD OLLIER PORTE LES VALEURS DES LUMIÈRES » de vision panoramique pour les professionnels de l’immobilier, du tourisme… et du monde pénitentiaire. « Nous suivons Giroptic depuis le début, et cela n’a pas toujours été un long fleuve tranquille, confie Pierre Spittael, directeur du centre d’affaires entreprises au Crédit du Nord. Richard Ollier a toujours été au cœur du projet, mais depuis qu’il a pris les rênes, l’entreprise connaît un nouvel © MARIE-AMÉLIE JOURNEL @PerrineCrequy Zone d’influence : #Optique & électronique ; #Grand Public ; #Kickstarter ; #Lille élan. Outre sa maîtrise technique et sa vision avant-gardiste, il est un fin négociateur : il est venu m’exposer son projet de campagne sur Kickstarter pour que j’aille moi-même défendre le dossier auprès des engagements. Pour nous, ce type d’opérations sur cette plateforme américaine était nouveau, mais il s’est montré très convaincant. » Dans les moments difficiles, Richard Ollier s’est fait serveur à La Royale, dans le VieuxLille, pendant les week-ends. « J’ai pris goût à ce métier simple qui consiste à faire plaisir aux gens. Aujourd’hui, j’ai investi dans ce restaurant », confie cet homme élancé et humble, qui a pendant longtemps organisé ses rendez-vous d’affaires dans ce lieu, entre deux coups de feu. Pierre-Guy Hourquet, son conseil depuis une formation à Euratechnologies, où est établie Giroptic, en partenariat avec l’université américaine Stanford, peut en témoigner : « Richard a une grande détermination, de la créativité et une curiosité intellectuelle insatiable. Il est un humaniste, un homme qui porte les valeurs des Lumières. La réalité du monde n’est pas toujours à la hauteur de la grande confiance qu’il accorde à tous. Mais les difficultés n’ont jamais altéré son optimisme. » « Richard Ollier est un battant. Son ambition et son audace se conjuguent à une grande maturité. Il a constitué une équipe d’une compétence rare et sait agir sur tous les continents pour trouver ses marchés comme pour son approvisionnement », souligne Antoine Harleaux, le directeur général de Finorpa – fonds régional qui accompagne les entreprises innovantes Nord-Pas-de-Calais, dont Giroptic depuis 2009. En effet, c’est à Bangalore, en Inde, que Richard Ollier a trouvé le prestataire qui construit la solution logicielle de la 360cam. « Je passe un tiers de mon temps aux ÉtatsUnis, et un tiers en Asie, notamment en Chine », précise ce passionné du Japon qui a vécu cinq ans au pays du Soleil-Levant, après un premier stage effectué dans l’Oregon, chez un fournisseur d’accès à Internet durant la guerre d’Irak. Parlant le japonais, il était salarié d’une agence de marketing services, Tequila – désormais intégrée à TBWA Paris –, quand il a choisi de rentrer en France : « Au bout de quelques années, je me suis senti vivre dans une prison dorée, au sein d’une société dont je ne ferais jamais vraiment partie. On me rappelait constamment que j’étais étranger : par exemple, dans l’ascenseur, en me félicitant pour ma maîtrise de la langue. » Pour accompagner la commercialisation de son nouveau produit – prévue en juin prochain –, Richard Ollier activera en janvier la filiale américaine de Giroptic, existante depuis la création de la société mais demeurée en sommeil. Il entend tripler son chiffre d’affaires l’an prochain, pour atteindre 6 millions d’euros en 2015. Déjà, il prévoit la suite : une deuxième version de la 360cam sera présentée au CES 2016. ■ TIME LINE Richard Ollier Mars 1980 Naissance à Lille. 1999 Intègre HEI, école d’ingénieurs à Lille. 2003 Part vivre au Japon Avril 2008 Cofonde Giroptic. 2012 Lance un programme de R&D pour une caméra 360° grand public. 4 juillet 2014 Finalise une campagne de préventes sur Kickstarter pour 1,4 million de dollars. MODE D’EMPLOI • Où le rencontrer ? Dans son restaurant, La Royale, à Lille. « Sinon, vous pourrez me rencontrer à San Francisco ou à Shenzen. Je passe les deux tiers de mon temps à l’étranger. » • Comment l’aborder ? Challengeante. « J’aime quand, à la fin d’une conversation, les deux interlocuteurs ont évolué dans leurs positions, qu’ils ont révisé leurs avis. » • À éviter ! Les postures. « Il n’y a rien de pire que la stratégie de ‘‘vente à la chinoise’’ : quand quelqu’un m’aborde sous couvert d’attentions amicales alors que son intention est de faire du business. » 2016 présente la V2 de sa caméra 360° et la commercialise en juin. I 8 l’expert COMMUNIQUé O la tribune tribune -- VeNDreDI 6 Décembre 2013 - 2014 No 70 -- N www.latribune.fr la VENDREDI 28 NOVEMBRE 110 - www.latribune.fr Entretien exclusif avec Bertrand Letartre, Président des Laboratoires Anios « Hôpitaux, industries, collectivités… Quels sont les enjeux de la lutte contre les bactéries ? » Bertrand Letartre préside les Laboratoires Anios, dans le Nord, une entreprise française de plus de 200 millions d’euros de chiffre d’affaires spécialisée depuis plus de cent ans dans la lutte contre les microbes. Vous présidez Anios, une entreprise créée en 1898 par votre arrière grand-père. Quel est son positionnement ? Mon arrière grand-père a créé l’entreprise à Lille avec l’objectif de fabriquer des produits de nettoyage et de désinfection pour les brasseries, qui étaient très nombreuses à l’époque dans le nord de la France et en Belgique. A l’époque, les gens utilisaient des produits comme le chlore ou le formol, très agressifs. Il a eu l’idée de mettre au point un produit inodore pour nettoyer les cuves, les conditionneuses, les sols... Et il a appelé ce produit, qui n’était pas toxique, l’Anios désinfectant sans odeur. Anios signifie « contre le microbe » en grec. Nous sommes toujours dans tous les métiers de l’antimicrobien. L’entreprise s’est d’emblée positionnée sur des produits qui respectent l’environnement. C’est dans son ADN. Nous visons 300 millions d’euros de chiffre d’affaires, pour moitié à l’étranger. Même si les brasseries sont moins nombreuses… Nous sommes restés dans l’industrie agro-alimentaire en élargissant notre clientèle aux laiteries, fromageries, ou conserveries. Avec toujours cette idée d’apporter des produits permettant de nettoyer les process de fabrication: cuves, locaux, et machines de conditionnement, comme les containers. Anios s’est ensuite diversifiée vers les industries cosmétiques et pharmaceutiques. Dans les années 80, nous avons commencé à développer une gamme de produits pour les hôpitaux, au moment où on commençait juste à parler d’infection nosocomiale, et non plus de simple complication après une opération. Nous sommes désormais présents partout à l’hôpital : blocs opératoires, stérilisation, urgence, réanimation, chambres de malades… Avec une batterie de produits pour les surfaces, les mains – comme les gels hydroalcooliques, les endoscopes… bref, tout ce qui est nécessaire pour avoir une bonne hygiène et désinfection. L’hôpital représente plus de la moitié de notre marché aujourd’hui. Nous avons aussi développé une gamme pour les dentistes. Nous venons d’ailleurs de racheter Soluscope, une entreprise qui réalise des machines à nettoyer les endoscopes. L’entreprise, qui compte environ 600 salariés, couvre maintenant toutes les professions médicales ou paramédicales, du kiné à l’ophtalmo, en passant par le tatoueur. Combien pèse ce marché de l’hygiène à l’hôpital ? Une centaine de millions d’euros en France. Nous n’y sommes d’ailleurs plus très nombreux à le couvrir. Les américains sont très présents à l’étranger et nous avons quelques concurrents en Allemagne. Mais nous sommes optimistes, avec une croissance de la société de 7 à 8% par an. L’export, également en très forte hausse, représente aujourd’hui 35% de notre chiffre d’affaires de 200 millions d’euros. Notre activité est très sensible à l’actualité, comme la fièvre Ebola, dont on parle beaucoup. Au moment du virus H1N1, en 2009, nos ventes de solutions hydro-alcooliques ont explosé, nous étions en rupture de stock. Comment voyez-vous évoluer ce marché de l’hygiène, notamment à l’hôpital ? A l’exception de la France, qui est, comme d’autres pays européens, très structurée en matière d’hygiène santé, tout reste à faire dans le monde, et notamment les pays émergents. La classe moyenne s’y développe de façon très rapide. Elle exprime une demande de soins. Les hôpitaux et les médecins sont excellents, mais l’hygiène est clairement à revoir. Il y a des marchés à conquérir, comme en Chine, où les perspectives de croissance sont très importantes. Qu’est-ce qui différentie Anios de ses concurrents ? Si on se compare aux américains, nous avons toujours eu un temps d’avance sur les molécules. Nous avons aussi l’avantage d’être très spécialisé, là ou d’autres ont beaucoup plus de produits, insecticides ou raticides que nous ne faisons pas. Car nous sommes surtout au bloc opératoire, où la société est très connue. Nous avons évidemment réfléchi à élargir nos produits au grand public mais c’est un autre marché. Bertrand Letartre, Président des Laboratoires Anios Quel est le principal enjeu de votre entreprise pour les cinq ans qui viennent ? Le développement international. Notre part de marché est déjà très importante en France. Pour l’instant, nous enregistrons une forte croissance en Afrique, Maghreb compris, et au Moyen Orient. La croissance est également très forte en Amérique du sud, notamment en Argentine, où on fabrique nos produits, et en Asie, en Chine. On y va par croissance organique. Nous avons ainsi créé des filiales en Turquie, en Suisse ou à Hong Kong. Mais on n’exclut pas des rachats pour accélérer notre présence. Nous avons beaucoup à apporter en matière d’hygiène, tant sur le plan des produits que sur celui de l’éducation. En France, par exemple, nous avons deux infirmières qui forment les gens à se laver les mains. Nous organisons beaucoup de formations auprès des cliniques. Et en matière de recherche et développement, quels sont les enjeux ? La grosse contrainte aujourd’hui, c’est la toxicité et l’aspect environnemental, avec des produits qui doivent être biodégradables. De plus en plus de molécules sont réputées dangereuses. Nous devons faire évoluer nos produits vers autant d’efficacité avec des molécules différentes. C’est un gros travail de recherche. La société ne veut pas de produits dangereux pour l’environnement. La réglementation devient très dure, il faut adapter les produits en permanence. L’autre enjeu est de trouver des parades à tous ces nouveaux virus, comme Ebola. Nous travaillons notamment avec l’Institut Pasteur, à Lille. Sur Ebola, nous venons d’ailleurs de publier une documentation de tous les produits que l’on peut recommander contre la propagation du virus. Nous croyons à la prévention en amont. Plus les procédures d’hygiène et de désinfection sont correctes et moins on a besoin d’avoir recours à des antibiotiques, par exemple. Les solutions hydroalcooliques que les gens utilisent un peu partout ont entrainé une baisse significative de la consommation d’antibiotique. Ne devenez-vous pas vous même obsessionnel, à force de lutter ainsi contre les microbes ? Oui, bien sûr, mais c’est important de se battre sur tous les fronts. A part la fabrication de Roquefort, le monde n’a pas besoin de microbes ! Humour mis à part, une bonne hygiène est cruciale à l’hôpital, notamment celle des mains. C’est une catastrophe : on ferme la porte, on touche son clavier d’ordinateur… Nos mains sont de vrais nids à microbes. Comment voyez-vous votre entreprise dans cinq ans ? Nous étions, avec mon frère, minoritaire dans l’entreprise jusqu’en décembre dernier, date à laquelle nous avons racheté sa majorité à Air Liquide. Nous avons monté un LBO, d’ailleurs assez conservateur, avec le fonds de capital-investissement Ardian (ex Axa Private Equity). C’est une belle entreprise, avec une belle croissance et rentabilité mais tout a changé, notamment au niveau de la motivation des équipes. Nous sommes remontés sur la selle du cheval ! Certains managers sont devenus actionnaires. Nous sommes très heureux de cette opération, le remboursement de notre dette ne nous pose pas de problème, et nous allons continuer à grossir, notamment par croissance externe. Avec un objectif de chiffres d’affaires d’environ 300 millions d’euros dans les cinq ans, au moins pour moitié de l’étranger. Nous avons la capacité d’être plus international. I 31 LA TRIBUNE - VENDREDI 28 NOVEMBRE 2014 - NO 110 - WWW.LATRIBUNE.FR WOMEN’S AWARDS PARITÉ Femmes dirigeantes : le plafond de verre se brise ! LES FAITS. Les femmes commencent à accéder aux postes de premier plan dans des entreprises françaises. Sophie Bellon bientôt à la tête de Sodexo, Isabelle Kocher à GDF Suez et quelques autres : le CAC 40 se conjugue enfin au féminin. LES ENJEUX. Elles sont par ailleurs de plus en plus nombreuses à franchir le pas de la création d’entreprise. La preuve avec notre galerie de 40 portraits de femmes d’entreprise, en préambule à la cinquième édition des prix La Tribune Women’s Awards 2014. E PAR ISABELLE LEFORT ncore un effort, messieurs… D’ici à deux ans, courant 2016 donc, deux femmes, Isabelle Kocher aux commandes de GDF Suez, Sophie Bellon aux manettes de Sodexo, feront leur entrée dans le monde feutrée et encore très masculin des PDG des plus grandes entreprises françaises. Le signal positif ne trompe pas : le temps de la féminisation des entreprises françaises est venu. La gent masculine, qui refusait jusqu’ici de laisser les femmes prendre le pouvoir, a entendu le message, après dix ans de mobilisation. Il a fallu la multiplication des réseaux de femmes, les engagements forts de personnalités telles que Christine Lagarde, la directrice générale du FMI, mais aussi de Sheryl Sandberg, directrice de l’exploitation de Facebook, ainsi que des textes de lois pour la féminisation des instances dirigeantes, dans le privé et la fonction publique, incluant des quotas de femmes dans les conseils d’administration. Mais, cette fois, c’est sûr : le plafond de verre explose. Il était temps ! Les Français, dans leur grande majorité, reconnaissent qu’un meilleur accès des femmes aux postes de responsabilité est légitime. Car elles ont non seulement tout autant de capacités que les hommes, mais aussi, dixit l’étude réalisée par l’Ifop du 22 au 25 octobre auprès d’un millier de Français, parce que le courage est la première qualité des femmes. Adieu preux chevaliers ? Pour quatre personnes sur dix, cette faculté à ne pas avoir peur d’affronter les difficultés et à aller de l’avant, contre vents et marées, arrive en tête des points forts des femmes, suivie par l’engagement, la conviction, la créativité et l’audace. LA PARITÉ À L’ASSAUT DES ENTREPRISES De plus en plus de dirigeants sont convaincus de l’importance de promouvoir le travail des femmes. Preuve en est ? Selon le palmarès établi par Ethics & Boards, l’Observatoire international indépendant de la gouvernance des sociétés cotées, devançant les exigences fixées par la loi Copé-Zimmermann, attentes confirmées par la loi du Liberté, égalité, mixité C e mercredi, 26 novembre 2014, les députés ont voté une résolution pour réaffirmer le droit à l’avortement, quarante ans tout juste après que Simone Veil a convaincu une assemblée surtout composée d’hommes de donner force de loi à ce combat des femmes. Quatre décennies plus tard, la cause des femmes reste un combat, en particulier dans le monde de l’entreprise. Pourtant, la réussite des femmes dans le monde professionnel est un indice fort du degré de développement d’un pays. Notre dossier, qui met à l’honneur 40 femmes – par référence au CAC 40, dont les PDG sont encore exclusivement des hommes –, le démontre : les femmes sont des dirigeantes d’entreprise comme les autres. Et l’espoir, avec l’arrivée de la jeune génération, est que dans une économie de plus en plus horizontale et collaborative, le sujet de la mixité (et celui de la diversité) ne soit plus, demain, un sujet… ■ PHILIPPE MABILLE « Le communisme et le capitalisme ont échoué. Je pense que le temps est venu d’une nouvelle société matriarcale. Croyez-vous que les gens continueraient à mourir de faim si les femmes s’en mêlaient. Ces femmes qui mettent au monde avec cette fonction de donner vie, je ne peux m’empêcher de penser qu’elles pourraient faire un monde dans lequel je serais heureuse… ». Niki de Saint-Phalle. Exposition au Grand Palais, Paris, jusqu’au 2 février 2015 © 2014 NIKI CHARITABLE ART FOUNDATION / ADAGP, PARIS POUR PETER WHITEHEAD © ADAGP, PARIS 2014 4 août 2014 pour l’égalité réelle, trois entreprises françaises, PSA Peugeot Citroën, Publicis et Virbac, affichent une parité exemplaire en matière de féminisation de leurs conseils. Neuf autres (dont Nexity, Technip, Eurofins et Hermès International) ont dépassé la barre des 40 % prévue par la loi. Pour ce qui est des comités exécutifs, Icade et Sodexo sont ex aequo avec 42,9 % de femmes ; CNP Assurances, JC Decaux, Orange et Technicolor ont dépassé le seuil des 30 % prévu par la loi, tandis qu’Areva, CGG Veritas, Club Méditerranée et Kering ne l’ont atteint que depuis peu. Les femmes elles-mêmes démontrent leur détermination en étant de plus en plus nombreuses à se lancer dans l’aventure entrepreneuriale. Selon l’APCE, désormais 32 % des entreprises sont créées par des femmes. La tendance ne se limite pas à nos frontières. D’après l’enquête Hiscox 2014, menée dans cinq pays d’Europe (Allemagne, Royaume-Uni, Espagne, Pays-Bas, France) et les États-Unis, le chef d’entreprise type des start-up et des PME, en d’autres termes l’entrepreneur d’aujourd’hui, est à 56 % une femme âgée de moins de 40 ans. Ce qui les motive ? >>> Les Ves prix La Tribune Women’s Awards P lus de 1 000 participants, femmes et hommes, sont attendus au Théâtre de Paris le 1er décembre pour la cérémonie de remise des prix nationaux aux lauréates des LTWA. Au total, 21 dirigeantes sont nominées dans les sept catégories : Entrepreneure de l’année, Manager de l’année, Finance, Défense, Industrie, Numérique, Responsable et solidaire. 32 I WOMEN’S AWARDS © DR Selon Ethics & Boards, en septembre dernier, cinq femmes cumulaient le maximum de mandats autorisés par la loi (quatre en tout) dans des conseils du SBF 120. Qui sont-elles ? Agnès Lemarchand © DR Diplômée de l’ENSCP, du MIT, titulaire d’un MBA de l’Insead, cette ingénieure de formation cumule aujourd’hui quatre mandats avec Saint-Gobain, CGG Veritas, Areva et Biomerieux SA. Anne-Marie Idrac © DR Titulaire d’une licence en droit, diplômée de l’IEP Paris et de l’ENA (promotion Simone Weil), Anne-Marie Idrac a occupé deux secrétariats d’État, aux Transports et au Commerce extérieur, a été députée de 1997 à 2002 avant de présider la RATP et la SNCF. Aujourd’hui, elle siège aux conseils de quatre entreprises du SBF 120 : Saint-Gobain, Total SA, Vallourec et Bouygues. Colette Lewiner © DR Normalienne, agrégée de physique et docteur ès sciences, Colette Lewiner a commencé sa carrière à EDF avant de devenir PDG de SGN-Réseaux Eurisys, puis de rejoindre Capgemini. Cette experte de l’énergie, reconnue internationalement, siège désormais au sein de Bouygues, Nexans, EDF, groupe Eurotunnel SA. Monique Cohen © DR Polytechnicienne, Monique Cohen a commencé sa carrière à la Banque de Paris et des Pays-Bas (aujourd’hui BNP Paribas) avant de devenir secrétaire générale de la société de Bourse Courcoux-Bouvet, puis responsable mondial du métier actions de Paribas. Depuis 2000, elle a rejoint Apax Partners en qualité de directeur associée. Après avoir démissionné en août dernier du collège de l’AMF, elle détient quatre mandats auprès de BNP Paribas, Hermès International, JC Decaux SA et Safran. Rose-Marie Van Lerberghe Surdiplômée – l’ENA, l’ENS, l’IEP et l’Insead – avant de rejoindre la haute fonction publique, puis Altedia, de diriger l’Assistance publique-HP, de présider le directoire du groupe Korian et depuis 2013 de devenir présidente du conseil d’administration de l’Institut Pasteur. Au sein du SBF 120, elle siège aux conseils de Bouygues, CNP Assurances, Casino Guichard Perrachon et Klepierre SA. >>> Être indépendantes. Deux tiers des femmes qui aspirent à se lancer affirment vouloir créer leur entreprise pour des raisons de fierté. Mais aussi, selon l’étude réalisée par PayPal, au Mexique et en France, parce qu’elles se disent passionnées (47 %). Dans le micro-entrepreneuriat, où les femmes sont nettement majoritaires, on ne parle pas d’affect, mais de survie. Jacques Attali, président de Planet Finance, ne cesse de saluer le courage et la détermination des femmes qui, au Népal, au Ghana, en Inde, à Madagascar, au Liban, s’inventent ici garagistes, là créent, grâce au microcrédit, une coopérative pour vendre leur récolte de noix de karité à l’international. « Partout dans le monde, a-t-il répété aux participantes du Tedx ChampsElyseesWomen, on assiste à un sursaut ; les femmes refusent de se laisser écraser. Elles sont des entrepreneures dans l’âme, car la famille et la nécessité de la faire vivre les obligent naturellement à déployer des qualités entrepreneuriales et de s’inscrire dans le long terme. » À l’issue d’une étude menée dans 108 pays, auprès des trois générations (W, X et Y, nées entre 1945 et 1995), en partenariat avec ONU Femmes, Muriel de Saint Sauveur, directrice de la diversité du groupe Mazars, confirme : « En moins d’un siècle, la place des femmes a totalement changé. Elles ont conquis le monde du travail, bien qu’elles ne représentent encore que 40 % de la population active mondiale. Instruites et diplômées, elles ont investi le domaine public et y apportent un nouveau regard. Si le choix du métier semble désormais acquis pour 79 % des femmes, les inégalités résident autre part : plus de la moitié déclarent s’être déjà senties victimes de discrimination par rapport à un homme et pensent que leur ascension professionnelle n’est pas identique à celle de leurs homologues masculins. » PLUSIEURS FREINS À LA FÉMINISATION DEMEURENT Des pans entiers de l’économie manquent cependant de femmes. En France, seuls 12 % des métiers sont mixtes. Les femmes sont surreprésentées dans l’éducation, la santé et le « social » et sous-représentées dans la production et l’ingénierie. Comme le démontre et le détaille l’ouvrage Les Métiers ont-ils un sexe ? du Laboratoire de l’égalité (Belin), les jeunes filles ne se précipitent pas dans les écoles d’ingénieurs et se destinent encore moins aux carrières du numérique. Pourtant, 86 % des Français interrogés pour le baromètre Syntec Numérique-BVA déclarent que ces métiers offrent des perspectives intéressantes pour les femmes. Soixante-douze pour cent croient en leurs compétences et les qualifient de polyvalentes (39 %), d’avant-gardistes (27 %) et d’entrepreneures dans l’âme (13 %). Autre frein à l’épanouissement des femmes dans la sphère professionnelle : à la sortie des écoles, à diplômes et postes équiva- Sophie Bellon L’aînée qui a fait ses preuves Vice-présidente de Sodexo Fille aînée de Pierre Bellon, le fondateur du leader international de la restauration collective, Sophie Bellon prendra la présidence de l’entreprise en 2016. La tête sur les épaules, elle ne souhaite qu’une chose : mener à bien, dans un esprit collectif, ce fleuron du CAC 40 toujours plus haut vers les sommets. P rès de 20 milliards d’euros de chiffre d’affaires, 400 000 salariés, une présence sur 34 000 sites et dans 80 pays… En 2016, Sophie Bellon va prendre la présidence de Sodexo, le géant mondial de la restauration collective et des services aux entreprises. Pour la fille aînée de celui qui a fondé Sodexo, l’enjeu est colossal. Diplômée de l’Edhec, mère de quatre enfants, elle a parfaitement conscience du poids qui pèse sur ses épaules. « Je suis née en 1966, l’année même où mon père a créé Sodexo à Marseille. Mon frère, mes deux sœurs et moi avons grandi avec l’entreprise. Nous avons vu mon père partir tous les matins pour faire de Sodexo un géant. Il nous a toujours élevés avec l’idée qu’il ne fallait pas confondre arbre généalogique et organigramme. Après mes études, je suis partie aux États-Unis. Entre 1984 et 1994, j’ai eu mes propres expériences, j’ai travaillé à New York, dans la banque et le milieu de la mode. Et puis, un jour, je suis rentrée. Mon père a tout fait pour veiller à la pérennité de l’entreprise. Il l’a dotée d’une équipe dirigeante hors pair : autour de Michel Landel, l’avenir est assuré, il est tracé. Ma désignation comme future présidente a fait l’objet d’un processus de désignation complexe et rigoureux, qui a fait appel à des administrateurs indépendants ; elle a été approuvée par mon frère et mes sœurs et l’ensemble des administrateurs. Quand j’ai su que j’allais reprendre la présidence, bien sûr que j’ai senti le poids sur mes épaules. Qui ne prendrait pas peur devant une telle responsabilité ? C’est humain. Et puis, je me suis redressée. J’aime © DR Les grandes cumulardes du SBF 120 LA TRIBUNE - VENDREDI 28 NOVEMBRE 2014 - NO 110 - WWW.LATRIBUNE.FR fondamentalement le monde de l’entreprise et le travail. Je suis ce que je suis. Je vais reprendre les rênes en douceur. Nous allons opérer un changement dans la continuité. Sodexo est une formidable aventure humaine et entrepreneuriale. Avec l’ensemble des femmes et des hommes qui forment cette entreprise, nous allons la porter le plus loin possible. La diversité est un des points forts de Sodexo. Demain, notre objectif est de veiller à l’épanouissement de tous. Nous fêterons nos 50 ans en 2016. Le monde a changé, le management n’est plus à l’heure du top-down, les prises de décision demandent de la concertation, nous sommes à l’heure du bottom-up. Seule, je ne suis rien. Place au collectif. EnI. L. semble, nous serons forts. » ■ VOX FEMINA POUSSE LES EXPERTES DANS LES MÉDIAS E n France, 60 % des diplômés sont des femmes, mais étonnamment, lorsque les médias sollicitent des experts, ils donnent à 80 % la parole aux hommes. « Nous vivons, explique Valérie Tandeau de Marsac, présidente de Vox Femina, dans l’illusion d’un monde où l’égalité hommes-femmes serait effective. C’est un leurre. La réalité se dévoile chaque jour à la télévision, la radio et dans les journaux. On reste dans un monde clivé. Le sujet n’est pas nouveau, mais les médias persistent dans leur aveuglement. Pour faire bouger les lignes, il faut les rendre visibles. » C’est pourquoi Vox Femina a entrepris, en partenariat avec La Tribune, l’Académie France Médias Monde, Orange et CNP Assurances, de lancer le concours « Femmes en vue ». Le principe est simple : vous êtes experte, postez un selfie dans lequel vous mettez en scène votre expertise. Un jury de journalistes sélectionnera les meilleures, leur fera bénéficier d’un media training et réalisera avec elles une vidéo qu’elles pourront utiliser pour faire valoir leurs compétences ; cette dernière sera diffusée sur le site Femmes en vue. Mymajorcompany est également de la partie et soutient l’opération : l’entreprise souhaite lancer huit sessions de media training pour révéler au grand public 50 femmes expertes. Pour ce faire, l’objectif est de collecter 2 000 euros (ce qui représente 50 % du budget pour réaliser la première session). Les internautes recevront en contrepartie des invitations à la soirée de remise des prix des femmes en vue, en présence des expert(e)s et des journalistes, la possibilité d’assister à une séance de media training et la visite des studios d’enregistrement. ■ I. L. POUR EN SAVOIR PLUS : WWW.VOXFEMINA.ASSO.FR © FOTOLIA I 33 LA TRIBUNE - VENDREDI 28 NOVEMBRE 2014 - NO 110 - WWW.LATRIBUNE.FR Les comités exécutifs les plus féminisés Top 10 des entreprises du SBF 120, en % de féminisation LE FORUM DE LA MIXITÉ, UN ESPACE DE RÉFLEXION PARTICIPATIVE P Source : Palmarès de la féminisation des instances dirigeantes des grandes entreprises / Ethics & Boards Governance Analytics, Septembre 2014. lents, pour leur premier emploi, elles demandent en moyenne 5 000 euros de moins par an que les hommes. Cette différence de salaire va les poursuivre tout au long de leur carrière. Dans les entreprises, le décrochage des femmes intervient avec la naissance de leur premier enfant. C’est à ce moment-là que les entreprises perdent nombre de leurs salariées. Les entreprises qui caracolent en tête des performances en matière de féminisation l’ont bien compris. Il faut accompagner, car être mère et ambitieuse n’est pas incompatible. Savoir jouer de la flexibilité, du coaching organisationnel et mettre à disposition des structures d’accueil profitent à tous. Aux salariés en général et à l’entreprise en particulier. Puisque, là encore les statistiques l’attestent, qui dit diversité dit performance. Indéniablement, des chantiers restent à mener ; des résistances persistent. La réussite des femmes continue à susciter des commentaires dépréciatifs sur le mode « une femme qui réussit est trop ou pas assez ». Des propos haineux et sexistes, ici et là, nécessitent des rappels à l’ordre aussi bien à l’Assemblée nationale que dans les médias. Comme le démontre le Dictionnaire de l’école des femmes, conçu et écrit par une trentaine de cadres dirigeantes sous la direction de Catherine Blondel, qui décortique de A à Z ce qu’elles entendent au jour le jour, « d’ambitieuse à vulgaire en passant par autoritaire, hystérique, trop masculine… », la discrimination, le harcèlement et la dévalorisation sont encore des sujets d’actualité. Le neuvième rapport mondial sur la parité entre hommes et femmes publié mardi 28 octobre par le Forum économique mondial a refroidi celles qui s’imaginaient que le combat était gagné. Cette recherche, menée dans 142 pays, conclut qu’il faudra attendre encore quatre-vingt-dix ans – soit 2095 – pour que nous puissions nous réjouir d’une égalité réelle entre les femmes et les hommes au travail. AUX FEMMES DE PRENDRE LEUR DESTIN EN MAIN Certes, pour l’heure, la France peut s’enorgueillir, d’être passée de la 45e à la 16e place en une année, mais pour combien de temps ? La parité du premier gouvernement de François Hollande, confirmée dans le gouvernement Manuel Valls II, a permis de faire bouger les lignes. On ne peut que s’en satisfaire, mais l’ambition affichée en début de quinquennat a perdu de sa superbe. Exit les déclarations et la communication, les femmes ne disposent plus d’un ministère à part entière. Certes, bien sûr, Marisol Touraine veille, avec Pascale Boistard comme secrétaire d’État, aux droits des femmes. L’une et l’autre sont volontaires, mais, remaniement gouvernemental oblige, la cam- our réussir à faire avancer le sujet de l’égalité, l’ensemble des acteurs de l’entreprise doit se mobiliser. De la haute hiérarchie aux directions opérationnelles, en passant par les RH, le marketing, la communication et l’innovation. Pour réfléchir à la meilleure manière d’y parvenir, de comparer les bonnes pratiques, d’échanger les expériences, analyser les échecs et les réussites des uns et des autres, ici et ailleurs, Carole Michelon et Emmanuelle Gagliardi, cofondatrices de Connecting Women, organisent depuis 2011 le Forum de la mixité. L’édition 2014 aura lieu le 1er décembre au Forum des images, à Paris. L’an dernier, c’est autour des neuf régions qui proposaient des « territoires d’excellence » qu’elles avaient mobilisé la ministre des Droits des femmes et un parterre de professionnels. Cette année, elles invitent le grand public à participer, écouter, échanger avec 80 experts et 85 réseaux qui ont répondu présent. En présence de Marisol Touraine, de représentants des pouvoirs publics, d’entreprises, de chercheurs et de penseurs, la journée entière va s’articuler autour de dix conférences, en accès libre, pour réfléchir en profondeur sur des sujets aussi variés que la finance, la santé, la performance, les stéréotypes et le numérique. Parallèlement, le forum proposera une réflexion, en accès payant, destinée aux avocates et aux juristes ainsi que cinq sessions de formation pour faire progresser sa carrière. ■ Inscriptions sur www.forumdelamixite.com © FOTOLIA pagne pour la mixité des métiers qui avait été actée, en partenariat avec l’organisation Face, a pris six mois de retard. Il reste donc aux femmes à prendre leur destin en main. Les initiatives, les conférences, les publications, les mouvements foisonnent. Pas une journée sans qu’un événement vienne soutenir la cause des femmes. Le grand public suit-il le mouvement ? Pas toujours. Le chacun(e) pour soi prédomine. La solidarité entre les femmes n’est pas toujours de mise. Les mouvements s’opposent là où ils devraient s’unir. Face aux querelles desaînées, les jeunes ne se sentent pas véritablement concernées. Question de vocabulaire et de préoccupation quotidienne également. Seuls le volontarisme de quelques-unes – comme l’illustre l’initiative Happy Happening destinée à la « génération Y » –, le martèlement au sein des entreprises et des réseaux, la mise en valeur des exemples emblématiques, la pression des politiques permettront de parvenir à une égalité indiscutable. En France, comme l’avait affirmé Najat Vallaud-Belkacem, lors du Global Summit of Women 2014, en juin dernier, « la convergence des taux d’activité des hommes et des femmes contribuerait à accroître de 10 % l’économie de la France d’ici à 2030 ». ■ © DR 30% Kering 30% Club Méditerranée SA 30% CGG Veritas 30% Areva 33,3 % Technicolor 33,3% Orange 33,3% JC Decaux SA 38,5% CNP Assurances 42,9% Sodexo Icade 42,9% Isabelle Kocher Symbole de l’excellence à la française Directrice générale déléguée, en charge des opérations, de GDF Suez C’est elle, en qualité de numéro deux de GDF Suez, qui succédera d’ici à deux ans à Gérard Mestrallet à la présidence du géant énergétique. R igoureuse, courageuse, inspirée… Isabelle Kocher est le prototype même de l’excellence à la française. À 48 ans, tout nouvellement désignée successeur de Gérard Mestrallet à la tête de GDF Suez, celle que l’on surnommait jusqu’à peu « la discrète » attaque ce défi, avec calme, humilité et conviction. Son ambition ? Faire du groupe français un leader du monde de demain, un acteur majeur de la transition énergétique non seulement en Europe mais aussi dans tous les pays en forte croissance, en Asie particulièrement. L’enjeu est de taille, mais ne semble pas l’impressionner. Née en décembre 1966 à Neuilly-sur-Seine, de l’union d’un cadre dirigeant et d’une catholique érudite passionnée par les Saintes Ecritures, c’est presque naturellement qu’Isabelle Kocher est entrée à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm. Et qu’inspirée par l’astrophysicienne et astronaute américaine Sally Ride, elle est reçue première à l’agrégation de physique. Mais il en faut plus pour satisfaire son appétit de savoir et pouvoir passer de la paillasse de la recherche à la complexité productive de l’ingénierie. Cap donc sur l’École des Mines pour ensuite faire ses armes dans l’industrie chez Safran puis se frotter aux fusions et acquisitions à la banque Rotschild. Désireuse de faire quelque chose de sa vie, mère de cinq enfants, Isabelle Kocher ne le cache pas, elle a grandi et développé une sympathie à gauche, sans pour autant s’encarter au parti socialiste. Conseillère industrielle de Lionel Jospin quand il est à Matignon entre 1999 et 2002, elle acquiert sa légitimité auprès de ses pairs par les capacités de travail et la rigueur (certains sont impressionnés par sa rigidité scientifique, d’autres pointent sa froideur intellectuelle) dont elle fait preuve sur des dossiers aussi difficiles que la création d’Areva ou la naissance du fonds de démantèlement du CEA. Au lendemain de la débâcle du 21 avril 2002, c’est Patrick Buffet, ancien conseiller industriel de François Mitterrand à l’Élysée, qui la fait entrer à Suez. « La discrète » avance pas à pas, mais, très vite, on la remarque pour ses analyses et sa puissance de travail. En 2007, quand Bertrand Delanoé décide de récupérer la gestion des eaux de Paris, Suez perd alors un des marchés historiques ; Gérard Mestrallet lui donne pour mission de réinventer le marché de la gestion des eaux de sorte qu’elle soit à l’avenir considérée comme un facteur clé du développement durable. Sept ans plus tard, le succès est là. Et Isabelle Kocher n’a jamais cédé aux sirènes extérieures qui lui promettaient gloire et argent, comme à Areva ou Bpifrance. Elle a choisi de poursuivre sa carrière auprès de celui qui est devenu son mentor, Gérard Mestrallet. Sa stratégie aujourd’hui s’avère gagnante. La directrice générale adjointe chargée des finances depuis 2011, mais aussi administratrice de Suez Environnement, d’International Power et d’Axa, a fini par évincer Jean-François Cirelli, l’ex-président de Gaz de France. C’est elle désormais la numéro deux du groupe et c’est elle qui, au printemps 2016, à l’aube de ses 50 ans, sera la première femme PDG d’un groupe du I. L. CAC 40. Chapeau bas. ■ 34 I WOMEN’S AWARDS LA TRIBUNE - VENDREDI 28 NOVEMBRE 2014 - NO 110 - WWW.LATRIBUNE.FR © PIERRE WAYSSER Delphine Ernotte-Cunci La connectée Directrice générale adjointe d’Orange France Centralienne au royaume des X-Télécoms, son nom a été cité pour prendre un jour la tête d’Orange. Delphine Ernotte-Cunci gravit les échelons tout en s’impliquant pour la cause des femmes en créant Innov’Elles. P lus encore que Stéphane Richard, le PDG d’Orange, c’est elle, Delphine ErnotteCunci, qui a incarné la solidité de l’opérateur historique pendant le tsunami Free Mobile en 2012, par sa capacité à tenir le choc face à l’arrivée fracassante du nouvel entrant qui a bousculé les acteurs en place. Affichant sa sérénité et sa détermination, toujours avec le sourire, la directrice exécutive d’Orange France a tenu fermement la barre de ce paquebot de 80 000 salariés, aux deux tiers fonctionnaires, tout juste remis de la terrible « crise des suicides. » Ce pur produit France Télécom, où elle est entrée en 1989 comme analyste financier, a su lui faire traverser ces turbulences, sans trop d’encombre, en soudant les équipes et en leur redonnant l’envie d’en découdre. ORANGE : SOUS LE SIGNE DU LEADERSHIP AU FÉMININ De quoi définitivement asseoir sa légitimité, elle, la centralienne au royaume des X-Télécoms. Au point que son nom se murmurait il y a quelques mois pour succéder à Stéphane Richard en cas d’empêchement judiciaire dans l’affaire de l’arbitrage Tapie-Adidas-Crédit lyonnais. « Une femme PDG d’une boîte du CAC 40, ça aurait de l’allure », se prêtait à imaginer à l’époque un haut fonctionnaire à Bercy. C’est d’ailleurs Stéphane Richard qui a Les métropoles Fatima Bellaredj MONTPELLIER ANTHONY REY © DR Cofondatrice de Bime © FLORENT GARDIN Rachel Delacour Aux manettes de Bime, Rachel Delacour est un visage dans le nuage, au centre d’une révolution : le cloud computing. Une ère nouvelle où l’informatique se dématérialise pour être consommée au besoin. Bime s’est hissée au sommet de cette vague en anticipant le boom de la business intelligence (ou BI, informatique décisionnelle, ndlr), un marché générant 15 milliards de dollars par an. Elle est une des seules start-up du secteur à proposer ses services en mode cloud (sur serveurs distants). Créée en 2009 à Montpellier sous le nom administratif de WeAreCloud, la société a signé ses premiers clients en 2010, et bouclé ses premières levées de fonds en 2011, puis en 2013. Le succès de sa solution Bime a poussé la start-up à adopter ce nom pour l’imposer, notamment aux États-Unis, où elle a ouvert une agence à Kansas City l’an passé. L’avènement de Bime signale une nouvelle façon de modéliser l’entreprise. « En passant par l’infrastructure de providers comme Google ou Amazon, Bime arrive à surdistribuer son offre par rapport à ce qu’on prévoyait, analyse Rachel Delacour. On a pu se structurer d’emblée comme une grosse entreprise. Je suis passionnée par le saut technologique actuel. » Sans surprise, elle s’est impliquée dans la candidature de Montpellier Méditerranée Métropole pour la labellisation French Tech, décrochée le 12 novembre. ■ DES BOSS ET DES OVOCYTES… Directrice de l’URSCOP-LR Féministe militante côté face, Fatima Bellaredj débroussaille, côté pile, le secteur de l’innovation sociale, encore en friche il y a peu. Sa devise est la suivante : « Ensemble, c’est mieux ! » Directe et sans artifice, la directrice de l’Union régionale des sociétés coopératives et participatives (URSCOPLR) depuis janvier 2014 est une femme engagée qui porte ses combats avec la simplicité des justes. Arrivée de la région du Nord à Montpellier il y a quinze ans, elle a mis un pied dans l’économie sociale et solidaire (ESS) en intégrant une scop, et a été la cheville ouvrière d’Alter’Incub, un incubateur d’entreprises centrées sur l’innovation sociale dont il n’existait encore aucun modèle en France. Mais Fatima Bellaredj n’est pas du genre à tirer la couverture à elle. « Je suis partisante du renouvellement dans les fonctions électives. C’est important de se dire qu’on a fait son temps. Sinon, les choses se sclérosent. » Un principe qu’elle applique aussi dans son engagement militant. Celle qui carbure aux valeurs humanistes se qualifie sans détour de féministe, et défend l’éducation populaire, a été bénévole pendant quinze ans et présidente pendant sept au planning familial de l’Hérault. Elle qui « ne raterait jamais un vote » a aussi goûté de la politique en s’engageant sur l’une des listes aux dernières élections municipales. ■ CÉCILE CHAIGNEAU propulsé cette femme de terrain plutôt discrète sans être effacée, accessible tout en gardant ses distances, au comité exécutif en 2010, en la nommant directrice adjointe d’Orange France avant de lui en confier l’entière responsabilité opérationnelle un an plus tard. Elles sont quatre femmes au comité exécutif sur douze membres. Delphine Ernotte-Cunci ne transige pas sur la parité. Elle a d’ailleurs créé Innov’Elles, un réseau interne de femmes, et s’agace parfois du « sexisme ordinaire » auquel il lui arrive d’être confrontée dans une entreprise encore majoritairement masculine. Celle qui rêvait, petite fille, d’être archéologue, doit surtout son ascension à ses compétences, reconnues, son expérience de terrain et sa qualité d’écoute, mais elle cite volontiers le coup de pouce de JeanPaul Cottet, à l’époque directeur d’Orange, qui lui a « changé la vie » professionnelle en lui donnant sa chance dans l’opérationnel. Et c’est Thierry Breton, alors PDG, qui l’a repérée parmi les hauts potentiels et lui a confié en 2004 une grosse direction régionale, Centre Val de Loire, alors qu’elle n’a pas 40 ans. Ayant pour mots d’ordre le pragmatisme, le respect et le collectif, cette mère de deux adolescents pilote aujourd’hui une entité générant quelque 20 milliards d’euros de chiffre d’affaires — cinq fois celui de Free. Très demandée, elle siège aussi aux conseils d’administration de Suez Environnement, de l’École Centrale Paris et de l’étaDELPHINE CUNY blissement artistique le 104. ■ E n annonçant, en octobre dernier, leur intention de proposer à leurs salarié(e)s la possibilité de financer la congélation de leurs ovocytes pour retarder leur grossesse et ainsi mieux faire carrière, Apple et Facebook ont fait défaillir nombre de féministes, penseurs, chefs d’entreprise et autres sociologues. Quarante ans après les mouvements de libération des femmes, qui ont proliféré simultanément en France, en Europe et aux États-Unis pour revendiquer le droit de disposer de leurs corps, serions-nous dans le monde d’Orwell ? À l’heure de Barbarella ? Est-ce désormais aux entreprises d’intervenir auprès de leurs salariées pour déterminer quand elles devraient être mères ? Où commence et où s’arrête la frontière entre vie privée et vie professionnelle ? Déontologiquement, malgré l’allongement de la durée de vie prouvé par les scientifiques, le sujet ne paraît pas défendable. Être mère et faire carrière ne serait donc pas compatible ? Sherryl Sandberg, la directrice des opérations (COO) de Facebook, mondialement saluée pour son best-seller Lean In (Bougez-vous), cautionne-t-elle cette idée ? Difficile à croire. En France, Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales, de la Santé et des Femmes, a balayé le débat d’un trait : « La congélation des ovocytes n’est certainement pas un débat pour directeurs de ressources humaines. » ■ © FOTOLIA ASSURANCE VIE (1) PATRIMOINE ACCESSIBLE DÈS 150 000 € (2) DÉLÉGUEZ LA GESTION DE VOTRE CAPITAL À DES EXPERTS SI VOUS LE SOUHAITEZ DES SERVICES EXCLUSIFS ET DES OPTIONS POUR PERSONNALISER VOTRE CONTRAT M&C SAATCHI.GAD MON ASSURANCE VIE EST À LA MESURE DE MON PATRIMOINE. 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(1) (3) 36 I WOMEN’S AWARDS Les métropoles © DR TOULOUSE LA TRIBUNE - VENDREDI 28 NOVEMBRE 2014 - NO 110 - WWW.LATRIBUNE.FR Nathalie Andrieux L’impératif de la réussite Directrice générale adjointe de La Poste, présidente de Mediapost Communication Directrice générale de Teknimed © DR Son goût de la création, Carole Léonard, directrice générale de la société Teknimed, spécialisée dans les biomatériaux implantables pour la chirurgie, le tire de son enfance. « Je rêvais d’imaginer, de développer, de construire et de concrétiser des objets, des innovations », confie-t-elle. Un rêve que cette architecte titulaire d’un MBA en management de projets traduira tout d’abord pendant dix ans dans le secteur de la construction. Avant de choisir de reprendre l’entreprise familiale en 2011. « J’ai décliné un poste de directrice d’agence pour Eiffage Monaco pour rejoindre mon père à la direction de Teknimed », explique-t-elle. Aujourd’hui, la société de biomatériaux innovants fournit 40 % du marché mondial des ciments destinés à la chirurgie de la colonne vertébrale. Elle est le seul fabricant à cumuler quatre savoir-faire : polymères résorbables, textiles, ciments acryliques et phosphates de calcium. L’entreprise de 45 salariés, présente dans 120 pays, réalise 90 % de son chiffre d’affaires (8 millions d’euros en 2013) à l’international et enregistre une croissance annuelle de 15 %. La plus grande fierté de Carole Léonard ? « Que l’esprit familial de l’entreprise perdure malgré l’intégration des préceptes de management d’autonomie, d’organisation et de gestion. » ■ ALEXANDRE LÉOTY Agnès Timbre Directrice générale de Celso « Vouloir, c’est pouvoir. » Ces mots, Agnès Timbre, directrice générale de la société Celso — spécialisée dans la transformation de mousses pour l’aéronautique, le médical et l’industrie — les a faits siens depuis longtemps. Pendant ses études d’ingénieure, elle faisait déjà ses armes au sein de l’entreprise familiale implantée à Bressols. Avant de racheter finalement la société industrielle à son père en 2006. Un passage de témoin que cette perfectionniste a d’ailleurs tenu à préparer avec le plus grand sérieux. « Je me remets beaucoup en question, confie-t-elle. Avant le rachat, j’ai suivi une formation en gestion de PME. Et depuis cinq ans, je suis très impliquée au sein du club APM [Association progrès du management, ndlr]. Pour moi, le management n’est pas seulement technique. L’humain est un atout majeur ». Aujourd’hui, cette mère de deux enfants, à la tête d’une entreprise de 45 personnes générant 8 millions d’euros de chiffre d’affaires, se dit fière du chemin parcouru. « Dans le monde entier, tous les pilotes des avions fabriqués par Airbus sont assis sur nos coussins ! », sourit-elle. Son prochain challenge : « Préparer autour de moi ceux qui vont reprendre le flambeau, afin d’assurer la pérennité de l’entreprise. » ■ A.L. N athalie Andrieux est une femme de conviction. Son credo ? Les entreprises ont été conçues par des hommes pour des hommes. Pour changer les mentalités et faire progresser les femmes dans les instances dirigeantes, il faut tout bonnement modifier les organisations et faire évoluer les mentalités. Qu’il s’agisse de recrutement, de promotion, de management ou d’accompagnement de carrière, c’est à tous les niveaux que cette ingénieure, née en 1965 et diplômée en 1988 de l’École supérieure d’information Supinfo, souhaite intervenir. © DR Carole Léonard Cette ingénieure en informatique conduit la révolution de l’une des plus vieilles entreprises françaises sur la voie du numérique et de l’Internet. C’est loin d’être un job facile. À LA POSTE, LE NUMÉRIQUE EST UN DÉFI CULTUREL Sa réussite personnelle est exemplaire. Après avoir débuté sa carrière dans le groupe des Banques populaires, elle a rejoint le groupe La Poste en 1997. Aujourd’hui, elle en est l’un des piliers, puisque en qualité de directrice générale adjointe, directrice du numérique pour l’ensemble du groupe et présidente de Mediapost Communication, elle supervise le devenir de cette colossale entreprise à l’heure du numérique. Son job est stratégique. Il s’agit ni plus ni moins d’accompagner et de transformer l’une des plus vieilles entreprises françaises (née au xve siècle avec le relais de poste) sur la voie du xxie siècle et de convaincre les 267 000 salariés que l’avenir tend vers la technologie des mégadonnées notamment, et donc la modification en profondeur de la relation avec les clients de La Poste. Face à la chute des volumes des activités traditionnelles, dont la distribution du courrier (– 6 % par an) et la concurrence des entreprises privées, l’entreprise n’a pas d’ alternative, il lui faut accélérer sa mutation et son adaptation face aux nouveaux modes de vie. Elle est la première surprise de la rapidité et de l’ampleur de la pénétration d’Internet en France. En avril dernier, le baromètre de la confiance de La Poste réalisée par TNS Sofres démontrait point par point la relation des Français avec le numérique. « Le résultat est sans ambiguïté. Huit Français sur dix sont des internautes. Avant, on disait que l’on se connectait. Aujourd’hui c’est indéniable, nous sommes connectés. Et plus nous sommes connectés, plus nous en redemandons. » Internet a changé nos vies. Et particulièrement celle des femmes. Qu’il s’agisse de faire ses courses, des relations avec les administrations, de la réservation de ses vacances, le digital a tout chamboulé. Malgré vents et bourrasques, un emploi du temps qui la mobilise quasi 24 heures sur 24, membre du Conseil national du numérique depuis 2003, Nathalie Andrieux poursuit sa mission avec conviction et détermination : le numérique est un des relais de croissance essentiels de La Poste. Elle n’a pas d’autre choix ; il lui I.L. faut réussir. ■ RENCONTRES AU SOMMET, EN BIRMANIE P our la deuxième année d’affilée, le Women’s Forum repart à l’aventure en créant un nouveau mini-forum en Birmanie, les 5 et 6 décembre, avec une journée à Naypyidaw et une autre à Rangoun. L’affaire n’est pas simple. Alors que les dirigeants birmans président cette année l’ASEAN, désireux d’ouvrir leur pays à l’économie de marché et d’attirer à moyen terme autant de touristes qu’en Thaïlande, 200 participants se sont d’ores et déjà inscrits à la manifestation. L’an dernier, en présence de Christine Lagarde, directrice du FMI, la première édition avait été qualifiée d’historique. Dans les salles, il est vrai devant un parterre d’invités prestigieux venus d’Europe, 600 personnes écoutaient subjuguées des femmes et des hommes, en particulier les jeunes, prendre la parole librement, interpellant ici et là les représentants de l’État sur les questions sociales, de droit à l’éducation, d’égalité des chances, etc. Qu’en sera-t-il cette année ? Pour la première fois, le président lui-même, le général Thein Sein et Aung San Suu Kyi, Prix Nobel de la paix 1991, députée de la Ligue nationale pour la démocratie, siégeront côte à côte pour débattre, en ouverture, sur les opportunités et les difficultés d’une société en transition. L’événement ne manquera pas de piquant et d’intérêt diplomatique. Et ce d’autant que dans la salle Emma Bonino, ancienne commissaire européenne aux côtés d’Annick Girardin, secrétaire d’État au Développement et à la Francophonie, et de Valérie Pécresse, députée UMP des Yvelines, répondront en direct aux questions et aux interrogations des un(e)s et des autres. À suivre, donc. ■ I.L. www.womens-forum.com © HVA Conseil 2014 - 5198 - Photo : Graine de Pastel Graine de Pastel, le partenaire douceur de La Tribune Women’s Awards À l’occasion de La Tribune Women’s Awards, Graine de Pastel vous réserve une offre exclusive et limitée pour vous faire découvrir sa gamme exceptionnelle de produits de beauté, élaborés à partir de graines de Pastel. Textures fondantes, parfums végétaux, vertus ancestrales… chaque produit vous révelera un secret de beauté oublié. Pour Noël, découvrez ou faîtes découvrir les soins visages & corps Graine de Pastel, aux formules simples et naturelles. 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D © DR iplômée de l’École polytechnique (promotion 1995) et de l’École nationale des ponts et chaussées (promotion 2001), elle conseille de grandes entreprises sur la transformation de leurs départements informatiques, la gestion des grands projets et la digitalisation des processus. L’idée, anticiper, rationaliser pour en faire non seulement de meilleur facteur de productivité et de réactivité. Convaincue, elle en a même fait un livre, intitulé Se transformer ou disparaître : le darwinisme de l’IT, paru en 2010, aux Éditions Lignes de repères aux côtés d’Antoine Gourévitch et d’Éric Baudson, respectivement directeur associé senior et directeur expert au Boston Consulting Group. PROMOTION DES FEMMES AU BCG : UN ENJEU CRUCIAL Les métropoles BORDEAUX Anne-Sophie Catherineau A DG des établissements Catherineau © DAVID THIERRY © FOTOLIA FEMMES, LIBERTÉS ET RELIGIONS lors que le pape François s’est engagé à augmenter le nombre de femmes parmi les décideurs de l’Église, suscitant la critique des traditionalistes, dans de nombreux pays, sur les zones de conflits, les femmes sont les premières victimes des extrémistes religieux. Théorie du genre, éducation, port du voile, liberté de circuler, viols collectifs et prises de guerre… Toutes les religions sont concernées. Dans leurs prêches, les conservateurs voudraient cantonner les femmes au foyer. Tel le rabbin Shalom Cohen, chef spirituel du parti israélien Shass, déclarant que les « jeunes étudiantes ne devraient même pas songer à suivre des études quel que soit leur domaine, parce que ce n’est pas la voie de la Torah… », Dès lors, quantité d’entre elles, comme en Irak, s’engagent contre les radicaux. Au risque de leur vie. L’attribution du prix Nobel de la paix 2014 à la Pakistanaise de 17 ans Malala Yousafzai illustre la volonté des humanistes de s’opposer aux barbaries faites aux femmes. Le phénomène va grandissant et s’intensifie dans le monde entier. Pour en savoir plus et suivre l’actualité, avec un regard distancié et une analyse fine de l’évolution des faits religieux, Sophie Gherardi (ancienne journaliste au Monde des religions, Courrier international et La Tribune) a lancé en 2012 le site fait-religieux.com. C’est une mine d’enseignements et de réflexions. ■ I.L. © DR Après avoir fait ses premiers pas sur l’optimisation logistique des chaînes de montage des maquillages Lancôme et la refonte des SAT pour L’Oréal, Vanessa Lyon a rejoint le monde du conseil par amitié, au Boston Consulting Group. C’était en 2005. J’aimais l’idée de me lancer dans des missions d’environ trois mois et, au fur et à mesure, de me frotter à des business models aussi variés que les véhicules électriques ou la restructuration des contrats d’une chaîne de magasins franchisés. Référente en matière de technologies de l’information, Vanessa Lyon anime également, depuis 2012, et le bureau de Paris la Women’s Initiative, le réseau mondial visant à promouvoir la place des femmes au sein du BCG. « Au début des années 2000, Boston Consulting Group comptait à peine 10 % de femmes. En 2006, nous avons lancé un plan d’actions ambitieux pour féminiser le plus rapidement possible à hauteur de 30 à 35 % nos instances. La première femme Partner a été nommée en 2007, aujourd’hui nous sommes cinq à la direction à Paris (notre plus gros bureau) et 30 % de nos chefs de projet sont des femmes. » « J’ai été élue partner, en juillet 2013, alors même que j’étais enceinte de six mois et que j’allais accoucher en novembre. J’ai eu mes trois enfants à la suite en quatre ans. Cela correspond tout à fait à l’esprit Boston Consulting Group. Dans ce monde du conseil et de l’audit, nous avons un sens de l’équipe et du collectif. Chacun pousse les sujets qui lui sont plus proches dans une logique collective. » Le plan d’actions pour attirer les jeunes diplômées est ambitieux. BCG organise des soirées, des dîners et des tables rondes chaque année dans les plus grandes écoles (École polytechnique, HEC, Essec, Sciences Po, ENS…) et tous les deux ans, dans un amphithéâtre, une séance magistrale. La centaine de consultantes qui travaillent pour BCG est coachée dans leur carrière. « Ici, pas de réunion à des heures indues. On devrait bientôt atteindre 30 à 35 % sans pour autant jamais déroger à un principe clé : pas de discrimination positive. Ça prendra le temps que ça prendra. Il nous faut déployer un cercle vertueux et I.L. sortir du cercle vicieux. » ■ À seulement 33 ans, elle travaille pour les « grands » de ce monde : émirs, stars, puissants patrons et chefs d’État. Depuis trois ans et demi, Anne-Sophie Catherineau dirige d’une main de maître le leader européen dans l’aménagement des avions VIP. L’entreprise familiale affiche désormais 9,5 millions d’euros de chiffre d’affaires et vient d’atteindre le cap des 100 salariés. « J’avais 14 ans quand mon père m’a demandé de reprendre la société familiale, fondée en 1750 », raconte-t-elle. Diplômée de la prestigieuse École nationale des arts et métiers et d’un MBA gestion des entreprises, Anne-Sophie Catherineau a commencé par s’illustrer à Louis Vuitton en 2005, comme contrôleuse de gestion. Puis elle a intégré à 24 ans la société, d’abord comme chargée d’affaires pour le client Eurocopter, avant de prendre en charge la branche aménagement intérieur VIP et de piloter, avec brio de 2009 à 2011, le transfert vers la nouvelle usine de 4 600 m2 à SaintMédard-en-Jalles. Pleine de p ro j e t s , A n n e -S o p h i e Catherineau, qui a su s’imposer dans le milieu très masculin de l’aéronautique, songe désormais à se diversifier dans la rénovation de yachts de luxe. ■ N.C. Agnès Grangé Déléguée Régionale du Groupe La Poste (DRG) en Aquitaine « La révolution numérique bouleverse tous les métiers et impacte la relation client », explique Agnès Grangé, 44 ans. Ingénieure en management des produits financiers de formation, la déléguée du groupe La Poste en Aquitaine est passionnée par les technologies digitales et s’est illustrée dans l’entreprise par sa capacité à accompagner le changement. Notamment lors de la délicate création de La Banque postale. Dotée d’une vraie « capacité à vulgariser les usages du numérique pour le grand public », appréciée dans le tissu économique local, élue au bureau du CESER (Conseil économique social et environnemental régional), elle est devenue le fer de lance de la candidature de Bordeaux au label French Tech. Lauréate dans la catégorie Manageur de La Tribune Women’s Awards 2014 en Aquitaine, elle promeut les méthodes collaboratives, le rapprochement entre PME et grands groupes dans le secteur du numérique. La déléguée régionale du groupe La Poste en Aquitaine dirige habilement pas moins de 16 000 personnes. ■ N.C. 38 I WOMEN’S AWARDS LA TRIBUNE - VENDREDI 28 NOVEMBRE 2014 - NO 110 - WWW.LATRIBUNE.FR Vanessa Lyon Ensemble, on fait plus ! Directrice associée au BCG, Paris Vanessa Lyon est une femme épatante, passionnée, enjouée pour des sujets aussi arides que les systèmes d’information et les SAT. En qualité de directrice associée au bureau de Paris, c’est elle qui orchestre la féminisation de la société d’audit et de conseil à l’échelle mondiale. D © DR iplômée de l’École polytechnique (promotion 1995) et de l’École nationale des ponts et chaussées (promotion 2001), elle conseille de grandes entreprises sur la transformation de leurs départements informatiques, la gestion des grands projets et la digitalisation des processus. L’idée, anticiper, rationaliser pour en faire non seulement de meilleur facteur de productivité et de réactivité. Convaincue, elle en a même fait un livre, intitulé Se transformer ou disparaître : le darwinisme de l’IT, paru en 2010, aux Éditions Lignes de repères aux côtés d’Antoine Gourévitch et d’Éric Baudson, respectivement directeur associé senior et directeur expert au Boston Consulting Group. PROMOTION DES FEMMES AU BCG : UN ENJEU CRUCIAL Les métropoles BORDEAUX Anne-Sophie Catherineau A DG des établissements Catherineau © DAVID THIERRY © FOTOLIA FEMMES, LIBERTÉS ET RELIGIONS lors que le pape François s’est engagé à augmenter le nombre de femmes parmi les décideurs de l’Église, suscitant la critique des traditionalistes, dans de nombreux pays, sur les zones de conflits, les femmes sont les premières victimes des extrémistes religieux. Théorie du genre, éducation, port du voile, liberté de circuler, viols collectifs et prises de guerre… Toutes les religions sont concernées. Dans leurs prêches, les conservateurs voudraient cantonner les femmes au foyer. Tel le rabbin Shalom Cohen, chef spirituel du parti israélien Shass, déclarant que les « jeunes étudiantes ne devraient même pas songer à suivre des études quel que soit leur domaine, parce que ce n’est pas la voie de la Torah… », Dès lors, quantité d’entre elles, comme en Irak, s’engagent contre les radicaux. Au risque de leur vie. L’attribution du prix Nobel de la paix 2014 à la Pakistanaise de 17 ans Malala Yousafzai illustre la volonté des humanistes de s’opposer aux barbaries faites aux femmes. Le phénomène va grandissant et s’intensifie dans le monde entier. Pour en savoir plus et suivre l’actualité, avec un regard distancié et une analyse fine de l’évolution des faits religieux, Sophie Gherardi (ancienne journaliste au Monde des religions, Courrier international et La Tribune) a lancé en 2012 le site fait-religieux.com. C’est une mine d’enseignements et de réflexions. ■ I.L. © DR Après avoir fait ses premiers pas sur l’optimisation logistique des chaînes de montage des maquillages Lancôme et la refonte des SAT pour L’Oréal, Vanessa Lyon a rejoint le monde du conseil par amitié, au Boston Consulting Group. C’était en 2005. J’aimais l’idée de me lancer dans des missions d’environ trois mois et, au fur et à mesure, de me frotter à des business models aussi variés que les véhicules électriques ou la restructuration des contrats d’une chaîne de magasins franchisés. Référente en matière de technologies de l’information, Vanessa Lyon anime également, depuis 2012, et le bureau de Paris la Women’s Initiative, le réseau mondial visant à promouvoir la place des femmes au sein du BCG. « Au début des années 2000, Boston Consulting Group comptait à peine 10 % de femmes. En 2006, nous avons lancé un plan d’actions ambitieux pour féminiser le plus rapidement possible à hauteur de 30 à 35 % nos instances. La première femme Partner a été nommée en 2007, aujourd’hui nous sommes cinq à la direction à Paris (notre plus gros bureau) et 30 % de nos chefs de projet sont des femmes. » « J’ai été élue partner, en juillet 2013, alors même que j’étais enceinte de six mois et que j’allais accoucher en novembre. J’ai eu mes trois enfants à la suite en quatre ans. Cela correspond tout à fait à l’esprit Boston Consulting Group. Dans ce monde du conseil et de l’audit, nous avons un sens de l’équipe et du collectif. Chacun pousse les sujets qui lui sont plus proches dans une logique collective. » Le plan d’actions pour attirer les jeunes diplômées est ambitieux. BCG organise des soirées, des dîners et des tables rondes chaque année dans les plus grandes écoles (École polytechnique, HEC, Essec, Sciences Po, ENS…) et tous les deux ans, dans un amphithéâtre, une séance magistrale. La centaine de consultantes qui travaillent pour BCG est coachée dans leur carrière. « Ici, pas de réunion à des heures indues. On devrait bientôt atteindre 30 à 35 % sans pour autant jamais déroger à un principe clé : pas de discrimination positive. Ça prendra le temps que ça prendra. Il nous faut déployer un cercle vertueux et I.L. sortir du cercle vicieux. » ■ À seulement 33 ans, elle travaille pour les « grands » de ce monde : émirs, stars, puissants patrons et chefs d’État. Depuis trois ans et demi, Anne-Sophie Catherineau dirige d’une main de maître le leader européen dans l’aménagement des avions VIP. L’entreprise familiale affiche désormais 9,5 millions d’euros de chiffre d’affaires et vient d’atteindre le cap des 100 salariés. « J’avais 14 ans quand mon père m’a demandé de reprendre la société familiale, fondée en 1750 », raconte-t-elle. Diplômée de la prestigieuse École nationale des arts et métiers et d’un MBA gestion des entreprises, Anne-Sophie Catherineau a commencé par s’illustrer à Louis Vuitton en 2005, comme contrôleuse de gestion. Puis elle a intégré à 24 ans la société, d’abord comme chargée d’affaires pour le client Eurocopter, avant de prendre en charge la branche aménagement intérieur VIP et de piloter, avec brio de 2009 à 2011, le transfert vers la nouvelle usine de 4 600 m2 à SaintMédard-en-Jalles. Pleine de p ro j e t s , A n n e -S o p h i e Catherineau, qui a su s’imposer dans le milieu très masculin de l’aéronautique, songe désormais à se diversifier dans la rénovation de yachts de luxe. ■ N.C. Agnès Grangé Déléguée Régionale du Groupe La Poste (DRG) en Aquitaine « La révolution numérique bouleverse tous les métiers et impacte la relation client », explique Agnès Grangé, 44 ans. Ingénieure en management des produits financiers de formation, la déléguée du groupe La Poste en Aquitaine est passionnée par les technologies digitales et s’est illustrée dans l’entreprise par sa capacité à accompagner le changement. Notamment lors de la délicate création de La Banque postale. Dotée d’une vraie « capacité à vulgariser les usages du numérique pour le grand public », appréciée dans le tissu économique local, élue au bureau du CESER (Conseil économique social et environnemental régional), elle est devenue le fer de lance de la candidature de Bordeaux au label French Tech. Lauréate dans la catégorie Manageur de La Tribune Women’s Awards 2014 en Aquitaine, elle promeut les méthodes collaboratives, le rapprochement entre PME et grands groupes dans le secteur du numérique. La déléguée de La Banque postale en Aquitaine dirige habilement pas moins de 16 000 personnes, dont la direction informatique des services financiers. ■ N.C. I 39 © ANTOINE DOYEN LA TRIBUNE - VENDREDI 17 OCTOBRE 2014 - NO 110 - WWW.LATRIBUNE.FR Les métropoles © DR NANTES Carine Chesneau, PDG de Lambert-Manufil Responsable de la banque de détail de BNP Paribas en France Marie-Claire Capobianco est la preuve que le fameux plafond de verre auquel se heurtent nombre de femmes aspirant à de hautes fonctions n’est pas une fatalité. E n janvier 2012, cette « quinqua » ultraélégante, qui a fait toute sa carrière chez BNP Paribas, fut non seulement bombardée à la tête des réseaux France, l’une des activités les plus importantes de la première banque de l’Hexagone, mais devint également la première femme à entrer au sein du comité exécutif du groupe. Une ascension d’autant plus spectaculaire que Marie-Claire Capobianco n’a pas le pedigree classique des dirigeants de banque, nombreux à être X-Mines ou énarques, elle qui s’est faite toute seule. « Ma légitimité vient de ma connaissance intime du métier de la banque de détail, des équipes et des clients », confiait à La Tribune Hebdo du 8 juin 2012 celle qui a débuté au sein de l’agence bancaire de la rue Saint-Ferréol, à Marseille, dès la fin des années 1970, parce qu’elle voulait être « autonome financièrement. » Alors chargée d’affaires auprès des entreprises, Marie-Claire Capobianco en concevra un goût profond pour l’entrepreneuriat. Ce qui lui fera relever avec enthousiasme, en 2002, le défi de mettre sur pied l’activité de banque privée (gestion de patrimoine) de BNP Paribas, un projet qui « sera un peu [sa] start-up » à elle. Un peu de chance – Marie-Claire Capobianco n’est pas du genre à se vanter –, beaucoup de travail, une détermination sans faille et la capacité à profiter de petits bonheurs quotidiens, comme la lumière sur les ponts de Paris : tels sont les ingrédients qui ont permis à cette autodidacte de s’imposer dans un secteur qui compte peu de femmes à de très hauts postes. ENTREPRENEURIAT FÉMININ : OSEZ ET LANCEZ-VOUS ! Justement, quelle dirigeante pense-t-elle être, elle qui chapeaute quelque 31 460 collaborateurs, soit plus de la moitié (52 %) des effectifs de BNP Paribas en France ? « Je suis un manager exigeant mais chaleureux, je crois. J’essaie de donner à mes équipes l’envie d’avancer, de les accompagner », témoignait Marie-Claire Capobianco dans La Tribune Hebdo du 8 juin 2012. « Il faut avoir confiance dans ses propres capacités, défendre ses convictions, oser, faire preuve d’ouverture d’esprit », insistait-elle alors. Son expérience et sa réussite professionnelles, Marie-Claire Capobianco souhaite les transmettre : en mars, elle a publié aux Éditions Eyrolles, avec Martine Liautaud, présid ente de la banque privée Liautaud & Cie, Entreprendre au féminin - Mode d’emploi, un guide pratique destiné aux femmes qui souhaitent devenir chefs d’entreprise. Ce que sera peutêtre un jour le cas de Marie-Claire Capobianco. N’occupe-t-elle pas aujourd’hui le poste qui était, il y a un peu plus de six ans, celui de Jean-Laurent Bonnafé, aujourd’hui directeur général de BNP PariCHRISTINE LEJOUX bas ? ■ LES FEMMES S’ÉPANOUISSENT-ELLES DANS LA FINANCE ? D epuis 2011, la fédération des femmes dans la finance, Financi’Elles, soutient la promotion féminine dans le secteur de la finance. En septembre dernier, elle a présenté son étude 2014. Résultats ? Si des progrès sont visibles, les avancées restent lentes. Mais plus on grimpe dans la hiérarchie, plus on observe de différences. Dans les instances dirigeantes, les hommes dominent à 95 %, contre 61 % à N—1 et N—2, 57 % à N—3 et N—4 alors qu’en début de carrière, hommes et femmes sont à quasi-égalité. Le décrochage apparaît à l’âge de la maternité. Les femmes déclarent à 65 % vivre leur grossesse comme une difficulté alors que seuls 33 % des hommes y voient un problème. Point positif : 85 % des femmes sont de plus en plus nombreuses à déclarer que la situation de l’égalité professionnelle dans l’univers de la finance s’améliore (+ 3,4 %). Et bonne nouvelle, les actions mises en place depuis 2011, grâce aux textes de loi et aux actions des réseaux, aboutissent à un vrai changement de perception : 57 % (contre 46,7 %) considèrent que leurs entreprises sont de plus en plus enclines à confier des postes à responsabilité aux femmes. ■ I.L. www.fiancielles.org © OLIVIER EZRATTY Marie-Claire Capobianco L’autodidacte Elle y faisait des remplacements l’été, mais n’avait pas imaginé en prendre la direction un jour. Il y a cinq ans pourtant, Carine Chesneau prend les rênes de l’entreprise familiale Lambert-Manufil, fondée à Couéron (44) en 1924 par son arrière-grand-père. Une PME industrielle de 60 personnes (chiffre d’affaires de 14 millions d’euros) spécialisée dans la fabrication de clous, de fils d’acier et le négoce de clôtures pour les paysagistes ! « J’avais envie de prendre mon destin en main », dit-elle. En 2002, après des expériences dans l’accompagnement de dirigeants pour la transmission d’entreprise et dans le transport, elle entre comme directrice administrative et financière. Très vite, elle change le système informatique, revoit l’organisation… Sept ans plus tard, à la direction générale, elle équipe les commerciaux d’outils numériques, fonde deux agences en Bretagne et investit dans la R&D pour créer son propre produit : une clôture innovante. Cette stratégie compense ainsi les difficultés liées aux importations de clous. « Aujourd’hui, mon quotidien, c’est la mise en place de la méthode de management Lean et la modernisation de l’outil de production. Pour continuer à faire du made in France », souligne la nouvelle présidente du CJD (Centre des jeunes dirigeants) de Nantes. ■ F. T. Séverine Pirault, Cofondatrice d’Intuiti et de Keople Dix ans après avoir créé l’agence nantaise de conseil en tactique digitale Intuiti avec deux associées, Séverine Pirault vient de lancer Keople. Une start-up vouée à acculturer les salariés et dirigeants aux enjeux et à la pratique du numérique. « Surtout, on va mesurer la maturité numérique des entreprises et des organisations », s’enthousiasme la jeune entrepreneure, désireuse de se lancer dans une nouvelle aventure en solitaire. En 2004, déjà, ce goût pour l’entreprenariat avait incité cette spécialiste du référencement naturel à voler de ses propres ailes. « J’avais des compétences assez rares à l’époque que j’avais envie de mettre au service des PME », indique la directrice administrative et financière d’Intuiti. Veolia, La Mie câline, les thalassothérapies de Carnac... lui font appel pour gagner en visibilité. Associée à Arnaud Chaigneau et Vincent Roux, elle développe des unités d’études (Personae User Lab) et de veille métiers (Serenpedia). L’agence réalise un chiffre d’affaires de 3 millions d’euros. Impliquée dans les réseaux pour l’égalité homme-femme, le CJD ou l’association 100 000 entrepreneurs pour transmettre la culture d’entreprendre dans les écoles, Séverine Pirault mise aujourd’hui sur Keople pour déverrouiller les blocages liés au numérique. ■ F.T. 40 I WOMEN’S AWARDS LA TRIBUNE - VENDREDI 28 NOVEMBRE 2014 - NO 110 - WWW.LATRIBUNE.FR © ANTOINE DOYEN Isabelle Kuster La méritocratie pour toutes et tous ! Directrice générale des opérations et des systèmes d’information de McDonald’s France Cette membre du conseil d’administration de McDonald’s France qui a commencé en tant qu’assistante en restaurant a suivi toutes les étapes au sein de la société américaine pour parvenir au sommet. S ’il est une entreprise où la question de l’égalité femmes-hommes et de la féminisation des directions ne se pose pas, c’est bien à McDonald’s. Dans un système de promotion à la méritocratie, purement à l’américaine, la devise est « que le meilleur gagne ». Fille ou garçon, peu importe. Isabelle Kuster illustre à merveille ce propos. Titulaire d’une licence d’allemand, diplômée de l’EBS (European Business School) à Paris, la directrice générale des opérations et des systèmes d’information a comme des milliers d’autres jeunes débuté dans la chaîne de restauration rapide en bas de l’échelle, comme assistante en restaurant, avant d’être promue un an plus tard (en 1986) directrice d’un restaurant. Comme le veut là encore la culture de cette entreprise, elle a peu à peu grimpé dans la hiérarchie jusqu’à rejoindre le siège en 1992 pour prendre en charge les opérations na- LILLE Véronique Laury © DR Kingfisher En janvier 2015, Véronique Laury remplacera Sir Ian Cheshire à la direction générale du groupe Kingfisher dont font partie les enseignes B & Q, Castorama, Brico Dépôt et Screwfix. Un groupe international qui génère un chiffre d’affaires annuel de près de 14 milliards d’euros. Elle sera la cinquième femme à diriger un groupe du FTSE-100, l’indice britannique des valeurs boursières londoniennes vedettes. Comment a-t-elle réussi à briser le plafond de verre auquel beaucoup de femmes se heurtent dans les grandes entreprises ? À cette question, Véronique Laury répond qu’elle n’a rien fait différemment des hommes. « Je dois mon ascension à mon tempérament. Depuis mon enfance, je suis quelqu’un de passionné. » Son parcours hors du commun pour une femme dans le monde du bricolage y est sans doute aussi pour beaucoup. Entrée il y a onze ans chez Castorama après avoir passé quinze ans chez Leroy Merlin, cette diplômée de Sciences Po Paris a vite gravi les échelons. Après avoir géré les marques Castorama et Brico Dépôt, puis assuré la direction commerciale de la branche britannique B & Q du groupe, elle a pris la tête de Castorama France en mars 2013. À ce poste, elle a réussi à faire croître le chiffre d’affaires de l’enseigne dans une conjoncture plutôt défavorable. Comment ? En s’attelant à la tâche avec passion… ■ G. H. Frédérique Grigolato Clic and Walk « Être femme et noire n’a pas freiné ma carrière professionnelle. Je ne l’ai jamais ressenti », affirme tout de go cette mère de famille de quatre enfants à l’origine d’une des dix start-up les plus innovantes au monde en 2014 selon l’Unesco. Avant cette aventure entrepreneuriale, Frédérique Grigolato avait quitté son poste de salarié faute d’avancement à sa mesure. Après vingt ans passés en grande distribution jusqu’à devenir chef de groupe achats à Castorama, cette Lilloise d’origine décide de concrétiser un de ses rêves : créer son entreprise sur un concept innovant en vue de la faire grossir à l’international. Avec un designer, elle lance une première société, All Trends, de conseil en création de produits de grande consommation. Mais le métier est trop artisanal pour elle. En février 2012, elle crée Clic and Walk, un service de collecte d’informations recueillies en temps réel par les consommateurs à l’aide de photos ou de vidéos prises sur leur smartphone. En moins de deux ans, le chiffre d’affaires atteint le million d’euros et la communauté monte à 200 000 « clicwalkers » en France, au Royaume-Uni et en Allemagne. L’objectif ? « Devenir le leader mondial de la collecte de données n’importe où, n’importe quand. Pour ça, je dois m’entourer de managers compétents et leur faire partager ma vision et mes valeurs. » Frédérique Grigolato tient déjà un discours de grand patron. ■ G. H. © DR Les métropoles tionales. Avant d’être nommée directrice régionale d’abord pour le sud-est de la France puis le sud-ouest. Après l’expérience sur le terrain, au plan national, c’est en Belgique qu’elle prend la direction de la filiale locale du géant américain avant d’accéder en 2008 au poste de vice-présidente en charge des opérations nationales pour la France et la division Europe du Sud. Aujourd’hui, en charge des opérations et des systèmes d’information, elle est membre du conseil d’administration et du comité exécutif de McDonald’s France. Le sujet des femmes n’est pas un sujet en soi. C’est celui de la diversité et de l’égalité des chances pour tous qui prime avant tout. Pour le succès des uns et des autres, à tous les niveaux, au bénéfice de chacun et au profit de l’entreprise, comme il se doit. McDonald’s s’adresse à toutes et tous et se veut être le reflet de la société. I. L. La diversité est une richesse. ■ VERS UN SCANDALE SANITAIRE ET SOCIAL AU FÉMININ P our mémoire, si en haut de la pyramide, dans les instances dirigeantes, les progrès sont spectaculaires, grâce à une succession de textes de loi (les lois successives dues à CopéZimmermann, François Sauvadet et Najat VallaudBelkacem), en bas de l’échelle sociale, en revanche, la situation s’aggrave. La pauvreté en France a le visage des femmes. Sur 8 millions de pauvres, 4 millions sont des femmes et 2 millions des enfants. Travail à temps partiel, femmes célibataires avec enfants, écarts de salaires qui se répercutent d’autant à l’âge de la retraite (en moyenne, les Françaises perçoivent 49 % de moins que les hommes), le diagnostic d’un futur scandale sanitaire à venir est confirmé par toute la classe politique. « Oui, on sait », répondentils en substance, aucun ne biffe le sujet, mais tous ajoutent en chœur : « On n’a pas l’argent ! Où voulez-vous qu’on en trouve ? » Qui financera ? Les réseaux de femmes qui s’intéressent aux promotions des plus privilégiées vont-ils jouer la solidarité ? Les entreprises vont-elles pouvoir faire comme si de rien n’était et rester silencieuses ? Le secteur de l’assurance sera-t-il sollicité ? Les associations de lutte contre la pauvreté et le Samu social en appellent à la responsabilité. Qui va s’emparer du débat ? Quand va commencer à exploser cette bombe sociale à fragmentation ? ■ I. L. I 41 © DR LA TRIBUNE - VENDREDI 28 NOVEMBRE 2014 - NO 110 - WWW.LATRIBUNE.FR Les métropoles © STEPHANIE JAYET LYON Juliette Kopp Boccard La cordillère des Andes s’offre à Juliette Kopp, du bureau de Mandoza où elle est venue rencontrer ses collaborateurs argentins en ce début novembre. La directrice exécutive de la branche Food & Pharma de Boccard a rejoint, en 2011, cet ensemblier industriel lyonnais, attirée précisément par la dimension mondiale des activités dont elle a la responsabilité. Sa division est installée dans huit pays et réalise à l’international plus de 85 % de ses 150 millions d’euros des ventes. Diversité des approches commerciales selon les nations et multiculturalisme de ses équipes totalisant 500 personnes plaisent à la quadragénaire (43 ans), mariée et mère de deux enfants. « Je me situe davantage comme un coach cherchant à transmettre mon énergie que comme un chef », assure l’ingénieure de formation passionnée par l’industrie, depuis ses débuts professionnels. À 22 ans, jeune titulaire du diplôme de Grenoble INPG (complété plus tard par un programme en stratégie d’entreprise de dix-huit mois AMP/CPA de l’EM de Lyon), elle est embauchée par les Laboratoires Fournier, à Dijon, où elle entre de plain-pied dans les modes opératoires industriels, déjà. Assystem, Rhodia et Eras Ingénierie seront ses employeurs suivants. ■ M-A. D. Alexandra Palt Sur la voie du changement durable Directrice de la responsabilité sociétale et environnementale de L’Oréal « J e travaille à ma propre disparition. Ce projet veut que chacun au sein du groupe s’investisse dans la recherche et l’innovation pour trouver de nouvelles matières premières et que l’innovation durable soit à l’origine de chaque projet. Mon rôle est de fédérer, d’impulser. » Alexandra Palt, directrice de la responsabilité sociétale et environnementale, chargée de la mise en œuvre du développement durable à l’échelle du groupe L’Oréal, rien de moins que le numéro un mondial des cosmétiques, est pour le moins modeste. C’est à cette diplômée de Cambridge, experte en inno- vations sociales et environnementales que Jean-Paul Aghion, le président du groupe, a confié la mission d’insuffler les notions durables à tous les niveaux du groupe. Et de réorienter cet énorme paquebot vers la voie du respect écologique et l’innovation sociale. « Nous avons un projet très clair. Nous avons commencé par nous interroger sur notre métier et sur les différents jalons de notre chaîne de valeurs en dialoguant avec nos parties prenantes partout dans le monde. Comment innover durablement ? Comment réduire l’empreinte environnementale de notre outil de production ? Comment sensibiliser les consommateurs à la consom- mation durable ? Notre programme répond à ces différents enjeux : chaque marque entre dans une nouvelle logique de développement et de rénovation de ses gammes de produits pour améliorer leur performance environnementale, en particulier l’empreinte eau et la biodégradabilité des formules. Parallèlement, notre engagement durable se déploie sur le plan social avec le développement de projets de solidarité, les pratiques de commerce équitable, les achats solidaires, des modèles de business inclusif. À l’échelle d’un groupe tel que L’Oréal, avec 75 000 salariés et 22 milliards d’euros de chiffre d’affaires, le changement de culture est un enjeu crucial. Nos engagements sont sincères, simples à vérifier, car mesurables quantitativement. Tout notre objectif est de réduire notre empreinte en apportant une contribution positive aux communautés qui nous entourent. Comment y parvenir ? En aidant 100 000 personnes à accéder à un emploi ou à créer une activité d’ici à 2020. C’est l’engagement que nous avons pris. Notre ambition s’inscrit dans le temps long. Nous voulons que “Sharing Beauty with All” soit l’un des piliers du L’Oréal de demain. » ■I. L. © CLÉMENCE HEROUT PDG de Femmes & Pouvoirs Pour briser définitivement le plafond de verre, les femmes doivent se professionnaliser et maîtriser les codes de l’innovation et du pouvoir d’influence. J neuriat. Avec Femmes & Pouvoirs, notre objectif, au travers d’événements et de formations destinés aux élues et aux femmes cadres, vise à promouvoir de nouvelles pratiques pour aider les femmes à accéder au leadership et à s’investir dans l’innovation ». Pour lancer Femmes & Pouvoirs, « j’ai commencé avec un petit apport personnel et cette année j’ai réussi à lever des premiers fonds. L’incubateur Paris Pionnières et la Fédération Pionnières sont de vrais appuis pour les jeunes entrepreneures. Femmes & Pouvoirs est un mouvement Juliette Jarry Adea Présence Julia Mouzon ulia Mouzon a créé Femmes & Pouvoirs en 2012. Polytechnicienne, diplômée de l’École d’économie de Paris, elle a commencé sa carrière au ministère de l’Économie et des Finances auprès d’Éric Woerth et de Christine Lagarde. « C’est là que j’ai pris conscience du plafond de verre et que j’ai eu envie de m’engager », explique-t-elle. Mais « il reste un très gros travail à mener sur les stéréotypes qui doit concerner toutes les campagnes des structures d’accompagnement à l’entrepre- © DR Alexandra Palt a pour mission la mise en œuvre du développement durable de tout le groupe L’Oréal. Le plan dénommé « Sharing Beauty with All » est ambitieux, à la mesure du numéro un mondial des cosmétiques. collectif. Des élues comme Chantal Jouanno mais aussi de grands dirigeants d’entreprise ont compris notre démarche et apportent leur soutien. Nous sommes sur la bonne voie. Il y a un gros travail à faire sur l’ensemble de l’écosystème de banalisation et de légitimation du féminin. En ne se laissant pas enfermer dans une optique de développement durable et de RSE pour ouvrir les possibles et encourager une femme à créer le Facebook ou Google de I. L. demain. » ■ Juliette Jarry fonde Adea Présence, un peu de guerre lasse, en 2007. Les quatre à cinq mois à rechercher un emploi, à la fin de ses études, épuisent vite sa patience. Toujours la même réponse : « Vous n’avez pas d’expérience », se souvient-elle. Son cursus, à Sciences Po Lyon et à l’école des Hautes Études internationales et politiques de Paris, ne la prédisposait pas, a priori, à se lancer dans l’entreprenariat. Six mois de formation supplémentaire au management et elle valide son projet d’entreprise consacrée à l’accompagnement des personnes âgées dans les gestes de la vie quotidienne à domicile. À l’époque, « ma grandmère venait de perdre son autonomie et avait dû entrer dans un établissement. Elle ne se retrouvait pas dans l’image que lui renvoyaient les autres résidents. L’idée m’est alors venue de travailler sur les liens intergénérationnels », raconte la tout juste trentenaire. Huit ans plus tard, Adea Présence a élargi son spectre aux handicapés et compte 42 salariés. Juliette Jarry s’occupe plus particulièrement de la gestion financière et du développement et continue d’innover : un pôle autisme, un autre sur les troubles cognitifs et bientôt un troisième pour les personnes atteintes de maladies psychiques. ■ M.-A. D. 42 I WOMEN’S AWARDS Les métropoles © NORBERT HUFFSCHMITT NICE LA TRIBUNE - VENDREDI 28 NOVEMBRE 2014 - NO 110 - WWW.LATRIBUNE.FR Cécile de Guillebon optimise les murs de Renault Directeur de l’immobilier et des services généraux du groupe Renault À 53 ans, Cécile de Guillebon est animée par la passion pour son métier dont elle aimerait qu’il soit reconnu à sa juste valeur. Pour ce faire, elle n’hésite pas à militer pour sa revalorisation. La Verrerie de Biot La Verrerie de Biot est bien connue pour le verre bullé, ce procédé né par hasard et qui a fait sa notoriété mondiale. Depuis 2000, c’est Anne Lechaczynski qui préside la PME au chiffre d’affaires de 3,2 millions d’euros et à la trentaine de salariés. Farouche avocate de l’entreprenariat, elle multiplie les casquettes : trésorière du Club des dirigeants de Sophia-Antipolis, vice-présidente de l’Union pour l’entreprise 06 avec la responsabilité du bassin sophipolitain justement, membre de la commission CCI International au sein de la CCI Provence-Alpes-Côte d’Azur, membre du conseil de direction du fonds de capital-risque Paca Émergence mais aussi du GES de l’Agence régionale de l’innovation et de l’internationalisation des entreprises Paca… « Mon rôle dans toutes ces instances est de donner une autre vision de ce que peuvent être ces vieux métiers. L’an dernier, la verrerie a innové avec une ligne luminescente, nous sommes allés chercher le financement dont nous avions besoin. L’innovation, ce n’est pas que la hightech. Le chef d’entreprise doit s’investir pour dire au politique ce qu’il faut faire et ne pas faire en matière entrepreneuriale. » ■ L. B. A DANS SES MAINS, DES ENJEUX CONSIDÉRABLES © DR « Mon rôle consiste à manager les équipes d’experts et les équipes opérationnelles en charge du bon fonctionnement des installations et des services : le défi est d’optimiser la gestion des actifs immobiliers en maîtrisant l’ensemble des risques associés et en contrôlant les coûts. Ma priorité est de livrer des sites performants pour l’activité industrielle et commerciale du groupe. Récemment, après le Brésil et le Maroc, j’ai coordonné la construction de sites en Algérie, en Inde et en Chine. » Engagée, membre de plusieurs associations, dont VoxFemina et HEC Alumni, elle encourage la mixité. C’est un métier très largement masculin. « Je veux Audrey Lieutaud © DR yant reçu une éducation classique dans une famille ouverte d’esprit, j’ai eu à cœur de rester fidèle à mes valeurs et de faire fructifier mes talents, à l’écoute et au service de tout mon entourage dans une démarche de leader authentique. Mon rêve d’adolescente était d’être médecin : je m’occupe donc des autres, mais d’une autre façon ! » Diplômée d’HEC, de la Société française d’analyse financière et du Royal Institute of Chartered Surveyors (RICS), Cécile de Guilllebon a commencé sa carrière chez J.P.Morgan à Paris et New York, puis Marceau Investissements, avant de rejoindre PPR. C’est en 2013 qu’elle rejoint le groupe Renault pour s’y occuper de l’immobilier et des services généraux. Dans son périmètre, tous les types d’actifs : usines, entrepôts, succursales, centres de recherche, pistes d’essai et bureaux, soit 12 millions de mètres carrés construits et 6 milliards d’actifs immobiliers au bilan consolidé du groupe, 650 sites dans 40 pays, avec un budget annuel en coûts de fonctionnement de 1 milliard d’euros. Monpetitbikini.com Maëva Tordo C’est parce qu’elle cherchait désespérément un maillot de bain en hiver qu’Audrey Lieutaud décèle l’opportunité de créer sa petite entreprise. Un désir qu’elle a toujours eu chevillé au corps et que sa première expérience professionnelle auprès de la créatrice de bijoux fantaisie Les Néréides n’a fait que confirmer. Monpetitbikini.com entre sur la Toile en 2010. Quatre ans plus tard, la croissance est à trois chiffres et le chiffre d’affaires 2014 atteint 2 millions d’euros. Se revendiquant chef de file de la vente en ligne de maillots de bain, Monpetitbikini.com propose un catalogue de 4 000 produits et 35 marques. Au printemps, Audrey Lieutaud lancera sa propre marque. « J’ai toujours eu le projet en tête. Mais j’ai voulu croître pas à pas comme me l’ont enseigné mes professeurs à l’école de commerce Skema [dont elle a intégré l’incubateur en 2011, ndlr]. Entre ce que l’on désire et la réalité, il y a un écart. Lorsqu’on entreprend, il ne faut pas être frileux, au risque de brider la croissance et de freiner les investissements. Mais il ne faut pas non plus brûler toute la trésorerie. » Actuellement, la PME emploie sept salariés et envisage de passer à l’international. ■ L. B. Qui à 20 ans ne voudrait pas changer le monde serait déjà vieux avant l’âge. Maëva Tordo n’a pas ce problème. C’est une passionnée de l’entrepreneuriat. Sa vocation ? Promouvoir l’innovation sociétale avec le Noise, le Nouvel Observatoire de l’innovation sociale et environnementale. Maëva Tordo a un sourire qui signe sa marque de fabrique. Une fleur rouge dans les cheveux qui l’identifie où qu’elle soit. Même Muhammad Yunus l’a ainsi repérée. L’énergie chevillée au corps, cette jeune diplômée de l’ESCP s’emploie depuis 2011 à développer le Noise. Avec pour ambition de changer le monde. Né sur le campus de l’ESCP Europe, ce réseau est aujourd’hui présent sur quatre autres campus, à Dauphine, l’ESSEC, AgroParisTech et Sciences Po. Son objectif ? Promouvoir l’entrepreneuriat. Aller de l’avant. Oser, que l’on soit fille ou garcon, l’avenir est à l’audace. « Ce sont véritablement les étudiants de ces établissements qui ont souhaité créer ces avoir l’opportunité de faire mieux connaître le secteur de la gestion de l’immobilier d’entreprise au-delà de la presse professionnelle. Nous avons toujours été considérés comme les parents pauvres des entreprises. Or, nous gérons des enjeux considérables, c’est un métier qui souffre d’être méconnu. Je veux mettre en avant ma profession qui doit s’affirmer et ga- gner en légitimité. Mes prochains défis ? Attirer des talents, en interne et en externe, au sein de mes équipes, pour renouveler et renforcer les expertises. Être visionnaire sur l’évolution des métiers de l’immobilier et des services généraux, au sein des grands groupes : faire preuve d’ambition et d’une I. L. capacité d’innovation. » ■ © DR Anne Lechaczynski « Fondatrice du Noise associations dans une démarche totalement entrepreneuriale, voire intrapreneuriale. Ce sont eux qui nous ont contactés et nous ont dit “nous voulons créer un Noise dans notre école !” Notre vocation est d’ouvrir les étudiants aux enjeux sociétaux contemporains et de leur faire découvrir les initiatives d’innovation sociétale en émergence à travers le monde qui réinventent la manière de vivre ensemble, touchent tous les domaines et nous passionnent. Nous parlons d’innovation sociétale, car cela permet d’englober tout, de l’entrepreneuriat social à l’économie collaborative, à la finance alternative, à la démocratie participative, à l’art, etc. Notre philosophie est le “Change (It) Yourself” qui invite les étudiants à changer le monde à leur échelle ici et maintenant. C’est aussi un parcours d’apprentissage qui leur permet de se former et de se transformer en découvrant au fil de leurs actions leur voie/voix et le talent qu’ils souhaitent déployer dans le monde. » ■ I. L. I 43 LA TRIBUNE - VENDREDI 28 NOVEMBRE 2014 - NO 110 - WWW.LATRIBUNE.FR © SNCF MÉDIATHÈQUE - BERTRAND JACQUOT Sophie Boissard rentabilise les actifs immobiliers de la SNCF DG déléguée de la stratégie et du développement Sophie Boissard a de l’ambition. La membre de l’équipe dirigeante de la SNCF vient de l’annoncer : pour permettre à ce mastodonte, l’un des plus grands propriétaires de l’immobilier en France, il faut savoir alléger les coûts de fonctionnement pour gagner en souplesse et en efficacité. 12 MILLIONS DE MÈTRES CARRÉS DE BÂTIMENTS Elle vient de l’annoncer, désormais son objectif est clairement défini, il faut alléger le poids de l’entreprise et donc mieux gérer les actifs immobiliers de la SNCF. L’idée ? Accélérer les cessions de terrains et mieux organiser la gestion des bureaux, des entrepôts, des ateliers et des loge- ments. Une branche dédiée, SNCF Immobilier, va être spécifiquement créée pour mener à bien ce chantier. Le groupe possède à lui seul 12 millions de mètres carrés en France, qu’il s’agisse de bâtiments industriels ou tertiaires. Cela représente une charge annuelle de 1 milliard d’euros. « Deux mille hectares sont libérables à court terme », affirme Sophie Boissard. Le tout est de savoir ce qui est le plus opportun : que faut-il vendre ? La filiale de bureaux gère pas moins de 300 millions d’euros d’actifs et le parc de logements se compose de 100 000 appartements, dont 90 % en logements sociaux occupés à 25, voire 30 % par des cheminots actifs. L’objectif est donc d’optimiser en bâtissant et rénovant sur quatre ans 3 000 logements par an. L’idée est d’unifier, d’alléger pour améliorer ses revenus de l’immobilier. Son souhait est clairement affiché : il s’agit de doubler à terme ces sources de revenus pour se concentrer sur le cœur de métier de la SNCF : transporter des biens et des I. L. personnes. ■ Les métropoles Deshons Hydraulique © DR © FOTOLIA Berceaumagique.com Sophie Deshons V ous voulez créer votre entreprise ? Avec votre conjoint, vous vous apprêtez à présenter votre dossier à des investisseurs. Attention, ce n’est pas forcément une bonne idée. Pourquoi ? Parce que, pour les sociétés qui vont investir sur votre projet, c’est un risque potentiel. « Dans la sélection des dossiers, lorsqu’une femme apparaît, explique cet investisseur, c’est souvent parce qu’elle est en couple et est associée à son partenaire. Or, pour nous, la possibilité d’une séparation constitue un risque majeur pour un investisseur. Quand on a deux fondateurs qui se séparent, c’est difficile. Lorsque les deux fondateurs non seulement se séparent professionnellement, mais qu’en plus ils divorcent, c’est beaucoup plus compliqué. Dans un pays où un mariage sur trois, voire sur deux, selon les régions, se termine par un divorce, ce n’est pas facile. Souvent, quand les femmes se lancent, elles le font en famille. Il y a peu de femmes seules qui osent se lancer. C’est dommage. » ■ I. L. Charlotte Gaillard MARSEILLE QUAND LES COUPLES ET LES INVESTISSEURS NE FONT PAS BON MÉNAGE Ingénieure, « fille de », PDG de l’entreprise que son grand-père Henri a créé et que son père André a également dirigé. Lorsqu’elle arrive aux manettes de Deshons Hydraulique, en 2010, Sophie Deshons a déjà fait ses preuves au sein de la PME depuis trois ans en restructurant l’organisation afin de la rendre compatible avec les contraintes de l’aéronautique, le marché auquel elle s’adresse. Spécialisée dans la conception, la fabrication, la commercialisation et le SAV de moyens d’essai au sol, Deshons Hydraulique connaît depuis quelques mois un regain d’activité qui met du baume au cœur de celle qui a réussi à positionner la petite entreprise sur des prestations pour les Rafale notamment. « Nous accompagnons également nos clients dans tous les projets qu’ils ont dans leurs cartons », sourit Sophie Deshons. Conséquence : de l’activité assurée pour les mois à venir. « L’aéronautique est un métier porteur et nous arrivons à tirer notre épingle du jeu. » Faisant fi des stéréotypes, elle avoue être respectée par ses équipes. Femme chef d’entreprise ? « Il nous faut faire nos preuves à chaque étape, être performantes. Mais, quand le fond est là, les a priori s’évanouissent. » ■ I. B. Lorsqu’elle lance Berceaumagique.com en 2004 à Toulon, Charlotte Gaillard propose 1 000 produits moyen et haut de gamme pour bébés. Aujourd’hui, le site référence 350 marques pour plus de 32 000 produits et affiche plus de 500 000 visiteurs uniques par mois. Son chiffre d’affaires à fin 2014 devrait bondir de 38 % pour atteindre 4 millions d’euros. « Notre objectif est d’avoir le site Internet avec l’offre la plus large sur l’univers du bébé, avec des services différenciants associés, et de devenir le leader sur le thème de la liste de naissance », explique Charlotte Gaillard, qui a fondé la société Mégara, éditrice de Berceaumagique .com, après avoir été confrontée à un plan social à son retour de congé maternité. Un gain d’indépendance qu’elle défend depuis en autofinançant son développement. Face à l’accroissement de son activité, Charlotte Gaillard entame à 37 ans une nouvelle étape : la construction d’un bâtiment ouvert au public, où elle pourra organiser « des groupes de discussion avec les parents », pour renforcer la proximité avec les clients et tisser un lien avec le territoire où l’entreprise est implantée. ■ I. B. © DR C onseillère d’État, ancienne élève de l’ENS et de l’ENA, précédemment directrice du cabinet du ministre du Travail Gérard Larcher et directrice adjointe au cabinet du ministre de l’Économie et des Finances Christine Lagarde, Sophie Boissard a rejoint la SNCF en 2008 où elle a dirigé la branche gares et connexions avant d’être nommée directrice générale déléguée pour superviser la stratégie et le développement de ce mastodonte. 44 I WOMEN’S AWARDS LA TRIBUNE - VENDREDI 28 NOVEMBRE 2014 - NO 110 - WWW.LATRIBUNE.FR © DR Lena Henry Une visionnaire française en Asie Directrice de la stratégie d’Essilor Un CV international, une mission à vocation futuriste, un ancrage en Asie, un mari qui n’hésite pas à la soutenir dans sa carrière… Lena Henry a toutes les cartes en main pour devenir une grande dame des affaires dans le monde. L a voix est enjouée, le rythme naturel, la maîtrise de l’exercice médiatique rodé, mais pas plus qu’il n’en faut. Lena Henry a l’énergie et l’enthousiasme chevillés au corps, le sentiment d’accomplir son devoir. La bonne personne à la bonne place. Son CV ? Il a de quoi impressionner : celle qui désormais siège au comité exécutif d’Essilor, pilote la stratégie du lunetier pour être au plus près de ces pays où la demande de la classe moyenne explose, a nourri son goût pour l’international dès sa sortie de l’École centrale de Paris. Direction la côte ouest des États-Unis pour l’université de Berkeley puis cap sur Harvard pour parfaire sa formation. Passer un été (en 2003) dans la division fusion et acquisitions de Goldman Sachs allait presque de soi, mais c’est depuis Les métropoles Téléphone : 01 76 21 73 00. Pour joindre directement votre correspondant, composer le 01 76 21 suivi des 4 chiffres mentionnés entre parenthèses. SOCIÉTÉ ÉDITRICE LA TRIBUNE NOUVELLE. S.A.S. au capital de 4 850 000 euros. Établissement principal : 2, rue de Châteaudun - 75009 Paris Siège social : 10, rue des Arts, 31000 Toulouse. SIREN : 749 814 604 Président, directeur de la publication Jean-Christophe Tortora. Vice-président métropoles et régions Jean-Claude Gallo. © CAROLINE ABLAIN la croissance de demain. Très active sur son territoire, via son soutien à la filière numérique rennaise et à la French Tech, la dirigeante s’emploie à attirer les talents et accompagner les jeunes chefs d’entreprise. ■ P. PL. C’est en perdant ses illusions sur l’organisation et la flexibilité des grands groupes, où elle a démarré comme cadre, qu’Emmanuelle Legault reprend, à 30 ans, l’entreprise familiale du Finistère (120 personnes, 10 millions d’euros de chiffre d’affaires). Spécialisée dans les p o r ta i l s, l es c l ô tu res e n PVC et l a chaudronnerie plastique, Cadiou compte, huit ans plus tard, 250 salariés et 38 millions d’euros de chiffre d’affaires. Associée à son mari et à son beau-frère, la dirigeante de 38 ans, titulaire d’un master de gestion, met d’abord en place une stratégie de rentabilité. L’entreprise génère du chiffre (+ 20 % par an), étoffe ses équipes commerciales, multiplie les marques et assoit son référencement national. Depuis 2010, Cadiou accélère sur l’innovation produit et améliore son organisation (logistique, informatique, réduction des délais de production). Adepte du lean manufacturing et du lean management, Emmanuelle Legault dit former des salariés fidèles. Elle se félicite aussi de l’attractivité de ses postes de cadres et de commerciaux. Le lancement d’une gamme de garde-corps de terrasse leur offre de nouvelles perspectives à l’exportation. ■ © ERWAN PIANEZZA Artefacto http://www.latribune.fr Le monde des lunettes est très concurrentiel, mais aussi en pleine effervescence. Dans les pays dits développés, le besoin en montures est toujours aussi grand, le temps passé devant les écrans, l’allongement de la vie assurent un bel avenir financier, mais Essilor voit plus grand. Et c’est en Asie qu’il veut devenir un poids lourd du marché des lunettes. Là-bas, Cadiou Valérie Cottereau La Tribune 2, rue de Châteaudun, 75009 Paris ANTICIPER ET S’ADAPTER AU PLUS PRÈS les différences entre les pays, les habitudes culturelles varient du tout au tout. Entre un Chinois des provinces lointaines et un Nippon aguerri à ce qui se fait de plus pointu et raffiné, il faut savoir adapter l’offre, fournir le meilleur service au juste prix. Et surtout anticiper. À Singapour, Lena Henry a tout d’abord organisé ses équipes avec un responsable marché par marché. Et autour d’elle, elle dispose de l’un des laboratoires de recherche parmi les mieux dotés au monde. La planète est un village à ses yeux. Elle voit loin, tout en veillant avec son mari à l’équilibre familial. La décision de quitter Londres pour installer toute la petite famille en Asie, ils l’ont prise ensemble. Dans dix ans, où sera-t-elle ? Où iront-ils ? Sans doute loin, car sa carrière est plus que I. L. prometteuse. ■ Emmanuelle Legault RENNES « L’impératif est de toujours regarder devant, d’être constamment dans l’innovation ». L’action, c’est le moteur de Valérie Cottereau, 42 ans. En seize ans, cette architecte de formation, passionnée d’informatique et d’images virtuelles, a poussé Artefacto – l’entreprise qu’elle a fondé seule en 1998, avant de s’associer en 2000 à Erwan Mahé – au rang de pépite technologique de l’agglomération rennaise. Spécialisée dans la conception et la production d’outils de communication 3D, Artefacto a démarré grâce aux marchés publics (métro de Rennes, Cité de la mer de Cherbourg) avant de s’imposer, grâce à sa R & D, comme pionnière en réalité augmentée extérieure. Cette technologie a d’ailleurs pris une importance prépondérante dans le développement de l’entreprise dans les secteurs de l’immobilier, de l’urbanisme, du design, du tourisme. Artefacto (47 personnes) achève 2014 à 3 millions d’euros, dont 250 000 à l’exportation, aux États-Unis notamment. Sa nouvelle activité d’édition de logiciels en mode SaaS prend aussi tournure. En veille permanente, Valérie Cottereau investit aussi dans les hommes, pour mieux piloter Londres au sein de McKinsey qu’elle forge sa stature de manager. Nommée associée en 2010, elle y est restée jusqu’en 2013, date à laquelle les dirigeants d’Essilor décident de la convaincre de mettre son talent à leur service. P. PL. RÉDACTION Directeur adjoint de la rédaction Philippe Mabille, éditeur de La Tribune Hebdo. Rédacteur en chef Robert Jules, éditeur de latribune.fr ( Économie - Rédacteur en chef adjoint : Romaric Godin. Jean-Christophe Chanut, Fabien Piliu. ( Entreprise- Rédacteur en chef : Michel Cabirol. Rédacteurs en chef adjoints : Delphine Cuny, Fabrice Gliszczynski. ( Finance - Rédacteur en chef adjoint : Ivan Best. Christine Lejoux, Mathias Thépot. ( Correspondants Florence Autret (Bruxelles), Jean-Pierre Gonguet. ( Conseiller éditorial François Roche. ( Édition La Tribune Hebdo : Rédacteur en chef Alfred Mignot. Chef de studio : Mathieu Momiron. Secrétaires de rédaction et révision : Éric Bruckner, Séverine Le Cochennec, Jean-Luc Favreau. Infographies : ASKmedia. COMITÉ DE DIRECTION Max Armanet, directeur éditorial Live Media. Cécile Chambaudrie, directrice Hub Media. Robert Jules, rédacteur en chef. Thomas Loignon, directeur des projets numériques et du marketing de la marque. Philippe Mabille, directeur adjoint de la rédaction. Aziliz de Veyrinas, directrice stratégie et Développement Live Media. CONTACTS Directeur commercial Hub Média : Luc Lapeyre (73 28) Responsable Abonnements : Martin Rivière (73 13) Abonnements et ventes au numéro : Aurélie Cresson (73 17). ACTIONNAIRES Groupe Hima, Laurent Alexandre, JCG Medias, SARL Communication Alain Ribet, SARL RH Éditions/Denis Lafay. Imprimeries IPS ZA du Chant des Oiseaux 80800 Fouilloy. Distribution MLP. No de commission paritaire : 0519 C 85607. ISSN : 1277-2380. I 45 LA TRIBUNE - VENDREDI 28 NOVEMBRE 2014 - NO 110 - WWW.LATRIBUNE.FR Emmanuelle Duez Serial entrepreneure de choc Les métropoles © DR PARIS À la tête du Boson Project, de WoMen’Up, et co-initiatrice du Happy Hapening, Emmanuelle Duez est une femme pleine d’énergie et d’idées qui s’attache à faire entendre ses concitoyens, ses amis, la génération Y. © DR Dans d’autres pays, un fossé persiste entre les hommes et les femmes, notamment en matière d’égalité et d’accès aux soins, mais des actions à plus petite échelle voient également le jour. Si la mixité n’est pas encore pleinement réalisée, les jeunes femmes de la génération Y sont de loin les femmes les plus indépendantes et les plus libres de tous les temps : accès à l’éducation, aux soins, au monde du travail… jusqu’à la participation aux plus hautes sphères du pouvoir ! La route est encore longue, mais la voie déjà bien tracée. » Fanny Picard Alter Equity Le corps fluet, la voix douce, Fanny Picard est une femme qui n’a pourtant rien de faible. C’est le roseau qui plie, mais ne casse jamais. Diplômée de l’Essec et de la Sfaf, titulaire d’une maîtrise de droit et ancienne auditrice du Collège des hautes études de l’environnement et du développement durable à l’École centrale Paris, elle a commencé sa carrière chez Wendel et Danone avant de rejoindre le département des fusions et acquisitions de la banque Rotschild. À son actif, elle a construit ou participé à plus de 50 opérations et pris place dans de nombreux conseils d’administration ou comités d’audit. Fellow Ashoka en 2007 pour Mozaïk RH, récompensée du prix de l’économie positive au LH Forum en 2012, elle veut aujourd’hui, avec ses associés, soutenir et accompagner les entreprises qui s’engagent pour une croissance responsable. Son objectif ? Démontrer que rentabilité et éthique ne sont pas antinomiques. Alter Equity a déjà levé plus de 20 millions d’euros auprès d’entrepreneurs et institutionnels. ■ I. L. UN LABORATOIRE AU SERVICE DU CAPITAL HUMAIN C ette fille a du chien et du panache. Dans les années à venir, on ne va pas manquer de la citer, elle va faire parler d’elle ! Déjà, à moins de 30 ans, elle a cofondé deux organisations (WoMen’Up et The Boson Project) et dirige le programme de Happy Happening « Fabrique à héroïnes », aux côtés de deux grandes dames de la communication et de l’événementiel que sont Marie-Laure Sauty de Chalon et Aude de Thuin. Son credo ? Dépoussiérer le féminisme et s’adresser à la génération Y. Elle se veut leur parole, elle connaît naturellement leur langage, c’est le sien ; celui d’une génération qui refuse le fatalisme et désire associer bienêtre et bien-vivre que ce soit sur un plan personnel ou professionnel. En clair, se réaliser, au-delà des diktats des générations plus âgées. Comme elle l’écrit ellemême, « le xxe siècle a été dans de nombreux pays le siècle de l’émancipation des femmes. Un siècle de conquêtes, qui a fait d’elles des actrices incontournables de la vie politique, économique et intellectuelle. Dans de nombreux pays, les femmes ont investi le marché du travail jusqu’alors réservé aux hommes. © DR Directrice digital & market management Allianz France Au sein d’Allianz France, c’est elle qui mène à bien le chantier de la rupture numérique. O tal & market management et fait entendre sa voix au comité exécutif. Sa mission ? Mener à bien la rupture numérique du groupe. Sa devise « Don’t be evil », une doctrine empruntée à Google. La bienveillance et le professionnalisme doivent aller de pair avec la fluidité et l’élégance. Ces traits de caractère, à son avis, se marient très bien avec efficacité. Ils signent sans doute sa marque de fabrique. En qualité d’ingénieure, experte du numérique, geek affichée, elle se veut être une bâtisseuse qui construit et contribue à l’élaboration du renouveau de l’assurance dans le monde de demain. Pour ce faire, elle le Fany Péchiodat My Little Paris Virginie Fauvel n le sait, la société Allianz est l’une des compagnies d’assurances parmi les plus engagées en faveur de la féminisation de ses équipes managériales. Avec un réseau et un système de mentorat finement huilé, en France et en Europe. Virginie Fauvel illustre cette réussite. Énergique, rapide, efficace, cette diplômée de l’école des Mines de Nancy a rejoint Allianz en juillet 2013 après seize années consacrées à BNP Paribas, avec notamment le lancement de Hello bank! à son actif. Membre du Conseil national du numérique, elle dirige, au siège de la filiale française, la division digi- © DR Son parcours est atypique, pour le moins énergique. Après Sciences Po et l’Essec, elle a parfait sa formation en Italie à l’université Bocconi à Milan. Elle parle aussi bien l’anglais que l’espagnol et l’italien et possède des notions de mandarin. Membre de multiples organisations (ambassadrice pour la France de One Young World notamment), elle a cofondé et préside WoMen’Up, qui œuvre à la mise en œuvre d’un triptyque génération Y, mixité et réseautage, au travers d’une association qui revendique être la première association créée pour et par la génération Y. Autre initiative : The Boson Project qu’elle a lancé en 2012 et qui se veut être un laboratoire de développement du capital humain. L’idée ? « Nous expérimentons, dans une démarche de cocréation et de collaboration, des solutions ultra-innovantes visant à créer de la valeur et des valeurs en misant sur les individus. Avec une ambition : anticiper les tendances de fond et fabriquer le futur. » À part ça ? Emmanuelle Duez n’est rien de moins que réserviste d’une enseigne de vaisseau 1re classe de la Marine nationale. En clair, elle est une bénévole citoyenne qui a choisi de servir en faisant bénéficier l’armée de son expertise et de sa connaissance du tissu socio-économique local. ■ I. L. sait, elle ne peut être rivée 24 heures sur 24 à son écran. Elle sait qu’elle doit garder la bonne distance et, dès qu’elle le peut, c’est dans la lecture et les paysages du Var I. L. qu’elle puise son énergie. ■ Devenir directrice marketing d’un groupe de cosmétiques ou monter sa boîte ? Entre la sécurité et « le risque de passer à côté de [sa] vie », Fany Péchiodat n’a pas hésité. En 2008, cette diplômée de l’ESCP-EAP, alors âgée de 31 ans, quitte Jean-Paul Gaultier Parfums pour créer avec sa sœur Amandine My Little Paris, une newsletter électronique de bons plans parisiens. Six ans plus tard, My Little Paris, c’est 1,5 million d’abonnés, un chiffre d’affaires de 14,4 millions d’euros en 2013, des bénéfices depuis le début, 90 collaborateurs et, consécration, un rachat de 60 % du capital par Aufeminin.com en janvier, pour près de 22 millions d’euros. Au départ, pourtant, Fany ne connaissait pas grand-chose au numérique et n’avait pas plus de 5 000 euros en poche. « Ce ne sont plus les experts qui innovent, mais des personnes qui ont un œil neuf : ce ne sont pas Lagardère ou Amaury qui ont créé My Little Paris, mais deux sœurs dans leur chambre de bonne, avec un simple ordinateur », explique la jeune femme. Pour elle, c’est la vertu du « power of zero » : « Lorsqu’on a zéro moyen financier et zéro expertise, on doit compenser par l’imagination, la créativité. » Résultat, « nous avons un vrai ton, une âme, qui font que le bouche-à-oreille fonctionne très bien », se félicite Fanny Péchiodat. Si bien que « My Little Paris s’est complètement affranchi du référencement de Google. » Un vrai tour de force. ■ C. L. 46 I WOMEN’S AWARDS LA TRIBUNE - VENDREDI 28 NOVEMBRE 2014 - NO 110 - WWW.LATRIBUNE.FR Marie Ekeland Le risque maîtrisé Les métropoles © OLIVIER MIRGUET STRASBOURG Experte indépendante en capital-risque Fondatrice de Defymed À l’origine, Marie Ekeland n’a jamais rien fait comme tout le monde : « Je suis entrée à Dauphine en maths et informatique avant d’intégrer J.P.Morgan pour finalement faire un DEA d’économie à l’EHESS. » Une première expérience chez J.P.Morgan à Paris et à New York, celle dont tous les jeunes économistes rêvent, la déçoit, elle veut être au plus près des entreprises. L’argent pour l’argent n’est pas sa tasse de thé. Ce qu’elle aime, c’est accompagner une entreprise. En 2000, elle rejoint Elaia Partners et, très tôt, elle a le nez pour soutenir une jeune société à l’avenir prometteur : Criteo, la plus belle entrée en Bourse au Nasdaq l’année écoulée. Aujourd’hui, elle siège aux conseils d’administration d’une dizaine de start-up numériques. Mais, depuis juillet, elle a décidé de faire cavalier seul et de monter sa propre société. Séverine Sigrist, chercheuse au Centre européen d’étude du diabète et fondatrice de Defymed, a presque gagné son pari. La levée de fonds (2 millions d’euros) annoncée auprès d’investisseurs qui ne se dévoileront qu’en fin d’année va permettre à sa société de biotechnologie de poursuivre la mise au point du pancréas bioartificlel et de mener à terme ses essais cliniques européens. « Si le dispositif fonctionne, fin 2016, nous pourrons le céder en licence à une big pharma, ou vendre notre société pour quelques millions ou dizaines de millions d’euros, annonce Séverine Sigrist. Il y a 370 millions de diabétiques dans le monde, dont 10 % d’insulino-dépendants qui attendent un traitement alternatif à la greffe ou à la pompe à insuline. Ils seront 592 millions en 2035. Le pancréas artificiel, c’est un confort de vie qu’aucune prise en charge existante ne peut égaler. » Séverine Sigrist a accédé cet été à la présidence du pôle de compétitivité Alsace Biovalley, qui pilote 43 projets collaboratifs de recherche et développement dans la région. « Je n’oublie jamais le collectif, j’essaie d’ouvrir des portes à notre communauté », annonce cette jeune chercheuse (41 ans), qui a construit toute sa carrière en pharmacologie sans quitter l’Alsace. ■ O. M. REMETTRE L’ASCENSEUR SOCIAL EN MARCHE © OLIVIER MIRGUET C’est une promotrice du numérique, avec d’autres entrepreneurs et investisseurs, elle a fondé en juillet 2012 France Digitale en partant de deux constats. Le premier : il existe une très grande méconnaissance des politiques, du grand public et des médias quant au potentiel économique du numérique. « C’est l’un des réservoirs de croissance sur lequel il faut absolument miser. Le baromètre de la performance des start-up du numérique que l’on publie chaque année démontre que ces entreprises enregistrent + 40 % de croissance, + 30 % à l’international et engagent 25 % d’effectifs en plus tous les ans. Les emplois créés sont des jeunes de 32 ans d’âge moyen, c’est beaucoup moins que la moyenne nationale, à 90 % en CDI, donc d’emplois pérennes. Les modèles d’entreprises formées sont à 180 degrés des structures traditionnelles, puisque, dans leur très grande majorité, ils s’établissent sur des partenariats et le partage des risques. L’écart salarial entre les dirigeants et les salariés est de 2,7 %. Et 83 % de ces entreprises distribuent des stock-options aux tiers de leurs salariés. Il s’agit de projets communs où l’on partage la valeur créée. Ces chiffres nous ont permis d’être très actifs dans le débat public, notamment lors de l’épisode des “pigeons”. » Son deuxième constat ? Il n’y a plus d’ascenseur de croissance en France. Entre les entreprises du CAC 40 qui ont 101 ans d’âge moyen et les PME, il n’y a plus de passage entre les unes et les autres qui permettraient à ces petites entreprises de devenir des ETI et des grands groupes. « Nous voulons nous attaquer à ces points de friction qui bloquent l’ascenseur économique. Dans notre baromètre, on compte seulement 7 % de femmes entrepreneurs sur 125 start-up. Et 27 % au sein des salariés. Donc, c’est beaucoup moins qu’au niveau Les métropoles NANCY-METZ Annick Holtz et Anne-Claire Cieutat Nathalie Galampoix Bande à part ISM Conseil © PATRICIA FRANCHINO Comment s’imposer sur le créneau encombré de la presse consacrée au cinéma ? Les Strasbourgeoises Anne-Claire Cieutat et Annick Holtz ont mobilisé 45 000 euros de capital pour fonder le magazine numérique Bande à part, dont le 20e numéro sort en décembre. « On a été le premier et on a la volonté de rester leader », annonce Anne-Claire Cieutat, ancienne journaliste à Radio France. Avec 10 000 téléchargements par mois, le magazine propose un modèle économique construit sur des recettes publicitaires autour de 20 000 euros par mois. L’aide de Bpifrance et le prêt de la Sodiv, société régionale d’amorçage (80 000 euros au total), ont permis aux deux créatrices, accompagnées par deux co-investisseurs, d’embaucher quatre personnes et de consolider l’activité dans l’édition numérique pour tiers et l’édition jeunesse. « Nous sommes déjà l’agence leader dans le Grand-Est », annonce Annick Holtz, graphiste et plasticienne de formation. Le graphisme élaboré du magazine inclut chaque mois des contenus rédactionnels (15 journalistes) ou vidéo (les coulisses du décor du Hobbit) exclusifs. « Nous sommes prêtes à accueillir un partenaire au capital. Une bonne association peut créer des dynamiques », proposent ses fondatrices. ■ O. M. Femme d’affaires luxembourgeoise, membre de réseaux féminins transfrontaliers, messine et fière de l’être, Nathalie Galampoix incarne un exemple de réussite « made in Lorraine ». Successivement commerciale à Clichy et restauratrice à Maisons-Alfort, la jeune femme est revenue dans sa ville natale en 2006 pour reprendre ses études à l’Institut d’administration des entreprises de Metz. Comme de nombreux étudiants lorrains, elle a émigré au grand-duché où elle dirige depuis 2009 ISM Conseil, structure de huit salariés spécialisée dans les enquêtes de solvabilité financière à l’international et dans la formation des équipes de ventes et de management à la prévention des risques d’impayés. « Il existe au Luxembourg une dynamique à l’anglo-saxonne. Dans ce petit pays, l’ouverture à l’international est quasi immédiate, les contacts se nouent rapidement et les décisions se prennent vite. Je n’en suis pas moins lorraine. La Fédération des femmes cheffes d’entreprise du Luxembourg, dont je fais partie, compte de nombreuses frontalières. Le Luxembourg est une composante de l’économie lorraine », estime la dirigeante. ISM Conseil intervient pour le compte d’entreprises luxembourgeoises et lorraines, compte des clients en France entière et développe son activité en Belgique. ■ P. B. national. Cela reflète les 15 % de femmes ingénieurs. Plutôt que de sensibiliser, il faut donner envie aux femmes d’entreprendre, de se faire plaisir dans le travail. Cela passe par les exemples emblématiques, les représentations des femmes au sein des médias où l’on retrouve tous les stéréotypes des actrices et des mannequins. Comment rendre glamour une chef d’entreprise et démontrer que cela ne signifie pas abandonner une vie de famille. Il y a eu des films sur Mark Zuckerberg et Steve Jobs, alors que l’on n’en trouve pas sur des success stories de femmes entrepreneures. On a besoin d’avoir une exposition différente des femmes dans les médias. Sur le financement, le monde de la finance est très masculin. Aux conseils d’administration des entreprises, où je siège, je suis la seule femme. Lorsqu’on a fait la présentation pour Criteo, on a reçu 300 investisseurs et aucune femme. Là aussi on a un vrai I. L. problème. » ■ Isabelle di Florio Immoville Solidement enracinée dans la région rurale et montagneuse de SaintDié-des-Vosges, où son père construisit quelque 2 000 maisons, Isabelle di Florio a opéré en début d’année un revirement radical. La dirigeante a cessé l’activité des Maisons di Florio pour recentrer sa société Immoville sur la promotion de programmes immobiliers destinés aux personnes âgées autonomes. « L’adaptation au vieillissement représente l’avenir de ma société, mais aussi l’avenir de notre société tout entière », estime la directrice générale. L’équipe de quatre personnes a engagé en moins de un an deux programmes représentant 95 habitations à Saint-Dié et dans la banlieue de Nancy, chaque projet mobilisant une quinzaine d’entreprises locales. La structure développe également la marque Silver Home dédiée à la rénovation des maisons où les propriétaires souhaitent rester. Membre de la Fédération française du bâtiment et de la chambre de commerce et d’industrie des Vosges, cette fille de maçon défend les constructions en béton, s’attache à respecter les leçons de l’habitat ancien et milite pour l’élaboration des politiques du logement à l’échelle territoriale. ■ P. B. © DR Séverine Sigrist © JEAN-FRANÇOIS ROBERT Marie Ekeland est une pro du capital-risque. Le lancement spectaculaire et l’entrée en Bourse de Criteo avec Elaïa Partners, c’est elle. Aujourd’hui, cette femme qui n’hésite pas à aller là où on ne l’attend pas, entreprend depuis juillet de créer en solo sa propre société de capital-risque. Développement Économique : la Région Midi-Pyrénées lance ses 6 appels à projet EASYNOV Les appels à projets INNOVATION de la Région Midi-Pyrénées SILVER ÉCONOMIE silvereco@cr-mip.fr Adressez votre candidature avant le 20 janvier 2015 AGROALIMENTAIRE epicure@cr-mip.fr NUMÉRIQUE agileit@cr-mip.fr ÉCONOMIE VERTE ecoinnov@cr-mip.fr AÉRONAUTIQUE, SPATIAL & SYSTÈMES EMBARQUÉS aerosat@cr-mip.fr ROBOTIQUE digifab@cr-mip.fr Pour tout renseignement complémentaire : Qui peut candidater ? > Les entreprises de Midi-Pyrénées qui s’associent avec des organismes de recherche ou d’autres entreprises Quels projets concernés ? > Pour le développement collaboratif de technologies innovantes proches du marché > Délai de développement : 24 mois > Le porteur de projet doit être une entreprise de la filière régionale Vorsprung durch Technik Très e-fficiente. Nouvelle Audi A3 Sportback e-tron. La technologie e-tron est la combinaison parfaite entre la puissance d’un moteur thermique et l’efficience d’un moteur électrique, pouvant fonctionner ensemble ou séparément. En mode électrique, le moteur a une autonomie de 50 km, parfaitement adaptée à un usage quotidien. En conduite hybride, la puissance des moteurs atteint 204 ch avec une autonomie maximale de 940 km, pour une consommation de seulement 1,5L/100 km et une émission de 35 g de CO2/km. Deux moteurs pour une mobilité sans compromis. Plus d’informations sur Audi.fr/e_tron Change le monde. Pas votre quotidien. Volkswagen Group France S.A. – RC Soissons B 602 025 538. Audi recommande Castrol EDGE Professional. Vorsprung durch Technik = L’avance par la technologie. Audi A3 Sportback e-tron : consommation combinée (l/100km) : 1,5 – 1,7. Consommation électrique (kWh/100 km) : 11,4 – 12,4. Rejets de CO2 combinés (g/km) : 35 – 39.
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