INVENTER INNOVER À SUIVRE Une journée avec le patron du pôle de compétitivité Cap Digital, P. 12-13 Stéphane Distinguin. Le tour du monde des idées insolites qui pourraient changer CARTE P. 14-15 la donne. Exemple de la France industrielle en marche : le data center de FullSave, P. 17 que préside Laurent Bacca. ENTREPRISES QUAND LE DIGITAL DEVIENT SENSIBLE Plus de clavier ni de souris, les appareils numériques se dotent d’interfaces sensorielles P. 8-9 interactives. MÉTROPOLES LISBONNE, CAPITALE VERTE L 15174 - 86 - F: 3,00 € LA TRIBUNE FLOTTE D’ENTREPRISE Mobilisation générale chez les constructeurs CHIFFRE L’IMPACT DE LA FISCALITÉ La hausse de la TVA et celle de la taxe sur les véhicules de société, autant de mesures qui vont avoir une incidence P. 8 sur le coût global des flottes. DOSSIER L’ESSOR DE LA LLD FLOTTE D’ENTREPRISE Alors qu’elle joue un rôle de plus en plus important pour les immatriculations, la LLD veut maintenant séduire les PME-TPE. P. 10 MOBILISATION GÉNÉRALE Tous les constructeurs sans exception vont chercher à séduire les entreprises en 2014. Ils sont toujours plus nombreux à déployer des réseaux spécialisés et ils ne cessent d’étoffer leurs gammes de véhicules Business. Les secrets de l’entreprise 2.0 ANALYSE CROWDFUNDING À LA FRANÇAISE Le nouveau régime pour la finance participative pourrait faire de la France un modèle de l’économie P. 21 alternative. PORTRAIT RONAN PELLOUX Visioconférence, réseaux sociaux, chat… Le Web collaboratif prend pied dans l’entreprise. En facilitant le partage d’informations, il fait gagner en efficacité. À une condition : laisser plus d’autonomie aux salariés. PAGES 4 à 7 Son agence fédère déjà une communauté de 50 000 designers. À 29 ans, il vise la première P. 26 place mondiale. © STUDIOVISION/ISTOCK « LA TRIBUNE S’ENGAGE AVEC ECOFOLIO POUR LE RECYCLAGE DES PAPIERS. AVEC VOTRE GESTE DE TRI, VOTRE JOURNAL A PLUSIEURS VIES. » Voitures électriques, énergie renouvelable… La ville aux sept collines met le développement durable au cœur de P. 19 sa stratégie. .fr DU VENDREDI 11 AVRIL AU JEUDI 17 AVRIL 2014 NO 86 DEEPBLUE4YOU / ISTOCKPHOTO .fr DU VENDREDI 11 AU JEUDI 17 AVRIL 2014 - NO 86 - 3 € Vorsprung durch Technik Audi A4 Advanced. À partir de 349 €/mois avec apport*. 3 ans de Garantie inclus**. Forfait Service Entretien inclus***. Jantes alliage Audi exclusive 18’’ Pack extérieur S line Xénon plus GPS plus Location longue durée sur 36 mois. 1er loyer de 6.899 € et 35 loyers de 349 €. Offre valable du 11 avril au 30 juin 2014. *Exemple pour une Audi A4 Avant 2.0 TDI 120 ch BVM6 Advanced en location longue durée sur 36 mois et pour 45 000 km maximum, hors assurances facultatives. **Garantie 2 ans + 1 an de garantie additionnelle incluse. L’Audi A4 Advanced est une série limitée à 1 000 exemplaires. Offre réservée aux particuliers chez tous les Distributeurs présentant ce financement, sous réserve d’acceptation du dossier par Audi Bank division de Volkswagen Bank GmbH – SARL de droit allemand – Capital 318 279 200 € - Succursale France : Bâtiment Ellipse, 15 Avenue de la Demi-Lune 95 700 Roissy-en-France RCS Pontoise 451 618 904 - ORIAS : 08 040 267 (www.orias.fr), et dans la limite des stocks disponibles. Modèle présenté : Audi A4 Avant 2.0 TDI 120 ch BVM6 Advanced avec options peinture métallisée et 1 an de garantie additionnelle. 1er loyer majoré de 6.899 € suivi de 35 loyers de 379 €. Tarifs au 11/04/2014. ***Forfait Service Entretien obligatoire souscrit auprès d’Opteven Services, SA au capital de 365 878 € - RCS Lyon B 333 375 426 siège social : 35-37, rue Guérin – 69 100 Villeurbanne. Volkswagen Group France S.A. – RC Soissons B 602 025 538. Audi recommande Castrol EDGE Professional. Vorsprung durch Technik = L’avance par la technologie. Gamme Audi A4 Advanced : consommation en cycle mixte (l/100 km) : 4,5 - 5,3. Rejets de CO2 (g/km) : 117 - 138. I 3 LA TRIBUNE - VENDREDI 11 AVRIL 2014 - NO 86 - WWW.LATRIBUNE.FR SIGNAUX FAIBLES ÉDITORIAL Une information indépendante pour une économie innovante PAR PHILIPPE CAHEN PROSPECTIVISTE DR @SignauxFaibles La ferme verticale PAR JEANCHRISTOPHE TORTORA DIRECTEUR DE LA PUBLICATION @jc_Tortora DR L’idée d’une ferme verticale a une quinzaine d’années. Elle est développée par le professeur de l’université Columbia à New York, Dickson Despommier. La première ferme verticale (Sky Green) a ouvert à Singapour (automne 2012). Pourquoi une ferme verticale ? La terre arable devient rare, les villes grandissent, les transports polluent, le personnel est rare à la campagne. Produire le plus proche de la ville assure la fraîcheur des produits, la juste production et consommation, l’économie de carbone en transport, raccourcit la chaîne du froid et limite les besoins de stockage. En zone urbaine, la surface au sol coûte cher, la verticalité est une solution. Depuis de nombreuses années, les cultures de fraises, tomates, laitues, etc., sont faites hors-sol, en culture hydroponique, et les serres produisent des produits propres, mûrs à temps contrôlé. Une ferme verticale est donc une serre verticale. Sa hauteur peut être équivalente à 10, 20 ou 40 étages. De telles tours sont des ressources d’énergies éolienne et solaire. Il faut prendre en considération le volume ainsi créé et l’occuper verticalement par des « étagères » fixes ou mobiles qui tournent verticalement et captent la lumière solaire. L’intérêt d’une ferme verticale est de contrôler tous les intrants. L’eau, les nutriments et les insecticides sont distribués en juste quantité. Les déchets biodégradables sont recyclés. Certains projets intègrent la présence d’animaux (poules, porcs, poissons). Les végétaux produits sont préparés sur place, frais ou transformés. Une ferme verticale consommerait 40 fois moins d’eau et produirait 10 fois plus qu’un équivalent traditionnel. C’est une production répondant aux critères du développement durable. 1954 NAISSANCE DE LA TVA. Maurice Lauré, haut fonctionnaire des finances, invente un impôt indirect qui pèse sur le consommateur final. À l’issue de discussions houleuses à l’Assemblée nationale, la TVA est adoptée le 10 avril, il y a soixante ans. L’idée sera un élément moteur du redressement de la France et sera copiée dans tous les grands pays. des tarifs élevés imposés par le groupe G7. La thèse de Nicolas Colin, qui lui appartient, est que la résistance de G7, qui fait un lobbying intense pour imposer une loi obligeant les VTC à respecter un délai de quinze minutes pour prendre un client (finalement suspendue pour l’instant par le Conseil d’État), est en quelque sorte l’incarnation d’une France frileuse face à l’innovation. Aurions-nous donc dû censurer Nicolas Colin pour plaire à Nicolas Rousselet!? La Tribune est un média économique indépendant, qui promeut l’innovation, l’entreprise et le développement des territoires. Notre journal vit lui-même dans un écosystème bousculé par de nouveaux acteurs disruptifs sur Internet. Notre réponse a été d’innover en basculant au format numérique (ce qui a démultiplié le nombre de nos lecteurs, 1,8 million de visiteurs uniques dans la dernière enquête Médiamétrie) et en cherchant un nouveau modèle économique. Pas en réclamant à Google un délai avant de référencer nos articles!! Présent dans de nombreuses régions françaises, notre média plaide autant pour la liberté d’entreprendre que pour des formes nouvelles d’économie alternative et pour une régulation qui tienne compte de l’intérêt des consommateurs et des citoyens. Sa liberté de ton et l’ouverture constante de ses colonnes au débat d’idées l’ont toujours distingué dans le paysage de la presse économique. Cela peut irriter certains dirigeants, mais ce choix est – et restera – à la 150 LA FUITE DES CAPITAUX de Russie pourrait atteindre 150 milliards de dollars en 2014, selon la Banque mondiale, si la crise ukrainienne s’aggrave. Moscou a abaissé sa prévision de croissance pour 2014 de 2,5 % à un taux allant de 0,5 % à 1,1 %. Pour la Banque mondiale, une récession de 1,8 % est possible même cette année, si les tensions se poursuivent. 10 % base des valeurs de sa rédaction et de sa ligne éditoriale. Depuis sa création en 1985, La Tribune a toujours été en faveur d’une information économique pertinente, mais au ton impertinent. Notre site a été à l’origine de la naissance du mouvement des « pigeons » contre la surtaxation des plusvalues mobilières dans le PLF 2013. À ce que l’on sache, François Hollande n’a pas porté plainte… La réaction du patron de G7 ne peut que renforcer nos convictions et inciter notre rédaction à poursuivre son travail. Ce sera le cas en particulier dans le domaine de la ville intelligente, un secteur passionnant et riche en opportunités, qu’il s’agisse de G7, de ses concurrents VTC ou de tous les nouveaux business naissant dans ces écosystèmes changeants que sont les métropoles. Dans une période incroyablement difficile pour la presse et où est remise en question la survie d’une information indépendante de qualité, elle nous rappelle l’importance de la mission d’informer et d’encourager les acteurs de l’économie à innover, que ce soit avec ou contre ceux qui, dans les périodes de changement, pensent leur entreprise comme une forteresse assiégée. Q 1. http://bit.ly/1iwl5tp 2. Nicolas Colin est entrepreneur, coauteur de L’Âge de la multitude (éd. Armand Colin) et membre de Futurbulences, de Renaissance numérique, du Club du 6 mai et de la commission « services » du pôle de compétitivité Cap Digital. PLUS D’INFORMATIONS SUR LATRIBUNE.FR DU BRUT MONDIAL est produit par les États-Unis, 3e producteur mondial et sans doute 1er dès 2015, devant l’Arabie saoudite et la Russie, grâce à l’essor des pétroles non conventionnels. Selon l’Agence internationale de l’énergie, la concentration des ressources (Texas, Dakota, Montana) laisse supposer qu’ils ne garderont cette place que pendant dix ans. 120 MILLIONS D’EUROS sont dépensés chaque année par l’industrie financière en actions de lobbying à Bruxelles, selon le think tank Corporate Europe Observatory. La finance emploie 1 700 lobbyistes dans la capitale belge, ce qui en fait le secteur le plus représenté. L’action la plus efficace vient de la City. Sur les 700 groupes d’intérêt recensés, 140 sont issus d’Albion… L’HISTOIRE © KAZUHIRO NOGI/AFP L’ouvrage le plus récent de Philippe Cahen : Les Secrets de la prospective par les signaux faibles, éditions Kawa, 2013. P ublier une opinion dont le ton et la forme déplaisent à une entreprise peut encore conduire un média français devant la justice. La Tribune en a fait l’expérience la semaine dernière. Une remarquable tribune de Nicolas Colin consacrée à l’innovation dans le secteur des taxis, publiée d’abord sur son blog puis sur latribune.fr!1, a suscité l’ire de Nicolas Rousselet, patron du groupe G7, qui a attaqué notre média et obtenu la mise en examen pour diffamation de son directeur, ainsi que de l’auteur du texte!2. Cette réaction peut étonner de la part du fils d’André Rousselet, homme de presse et innovateur qui a fondé le quotidien InfoMatin, Canal+… et le groupe G7, à la tête duquel il a installé son fils, Nicolas, en 2006. Mais elle en dit long sur la nervosité de ce dirigeant et sur sa répugnance à laisser s’ouvrir un débat sur la concurrence dans son secteur. En position dominante à Paris depuis la reprise de Taxis bleus, souffrant d’une mauvaise image chez les clients français et étrangers, le groupe G7 découvre ces temps-ci les joies de la concurrence sur deux fronts : celle des nouvelles sociétés de VTC, comme Uber, filiale de Google, et celle des start-up qui proposent des applications mobiles permettant aux chauffeurs et clients de se mettre en contact facilement et – horreur!! – gratuitement. De quoi réjouir les taxis indépendants sous le joug BALISES L’avancement des projets de fermes verticales se fait en Amérique du Nord, dans les pays fortement urbanisés d’Asie, les pays du Golfe, voire les pays en développement d’Afrique. La France y a des opportunités formidables du fait de sa compétence dans les végétaux (Vilmorin) et de sa réputation gastronomique. D’autre part, 50 % des hypermarchés ont plus de 35 ans et sont donc de grandes surfaces devenues urbaines. Ils peuvent potentiellement abriter des fermes verticales qui compenseraient leur détestable image d’usines à vendre. Il ne faudrait pas voir que les aspects négatifs de la ferme verticale, qui existent. L’agriculture urbaine individuelle est en plein développement que ce soit les toitures végétalisées, le « home farming », le mouvement Re:Farm the City. Lorsque son modèle économique sera prouvé, son développement sera fulgurant. Je repars en plongée. Rendez-vous la semaine prochaine… pour démontrer l’inverse. TENDANCES LE CHÔMAGE FRAPPE AUSSI LES ROBOTS… Toyota, numéro 1 mondial de l’automobile, a remplacé, dans une de ses usines japonaises, ses robots par des êtres humains. « On ne peut pas simplement dépendre des machines qui répètent inlassablement les mêmes gestes. Pour être le maître de la machine, vous devez avoir la connaissance et les compétences pour apprendre à la machine », a justifié le chef du projet, Mitsuru Kawai. Le secteur automobile est pourtant connu pour sa rapide automatisation. Le Japon est même le deuxième pays le plus robotisé, derrière la Corée du Sud. Le géant japonais, fondateur d’un mode de production à flux tendu, le toyotisme, n’agit pas pour des raisons philosophiques. Plutôt que d’avoir une horde de travailleurs moyens, les robots, Toyota veut voir émerger des talents parmi les hommes. Et cela porte ses fruits : le remplacement de robots par des êtres humains sur cent postes de travail a permis de réduire les gaspillages de 10 % dans la production de vilebrequins et de raccourcir la chaîne de montage. De quoi faire sourire Charlie Chaplin… 4 I L’ÉVÉNEMENT LA TRIBUNE - VENDREDI 11 AVRIL 2014 - NO 86 - WWW.LATRIBUNE.FR Le travail collaboratif à l’heure des entreprises 2.0 LES FAITS. Des réseaux sociaux d’entreprises aux wikis en passant par les systèmes de chat ou de visioconférence, les usages du Web participatif prennent pied dans l’entreprise. LES ENJEUX. En mettant en réseau les collaborateurs, ces outils permettent de gagner en efficacité et de doper l’innovation. Mais leur utilisation optimale se heurte encore à une culture de la hiérarchie qui laisse peu d’autonomie aux employés. C ostume noir et cravate bleue, il sourit sur fond de ciel nuageux. Sous @pmaniere cette photo, une colonne de profil apparaît : « Deputy CEO & Chief Operating Officer », lit-on, avant de basculer sur les coordonnés de l’intéressé. Au milieu, un mur d’actualité. Les contributions aux hashtags fournis s’enchaînent, avec ses lots de commentaires et de « likes ». On se croirait sur Facebook… Mais il n’en est rien. Il s’agit de la « page » d’Alexandre Ricard – qui prendra les rênes de Pernod Ricard en janvier 2015 – sur Pernod Ricard Chatter. Sur ce réseau social interne lancé fin 2012, les 18"800 collaborateurs du champion mondial des vins et spiritueux sont mis en réseau. Et ce quels c’est la croissance sur un an que soient leur du marché français du réseau social branche, leur secteur d’entreprise en mode SaaS, passé d’activité, leur pays de 26 M€ en 2012 à 40 M€ en 2013. ou position hiérarchique. Alexandre Ricard mise beaucoup sur cette plate-forme. Lui qui a très activement soutenu l’initiative voit dans ces échanges directs un levier pour travailler bien plus efficacement. L’outil concerne en particulier les comPAR PIERRE MANIÈRE La multiplication des outils mobiles individuels permet de partager très facilement expériences et informations, à tout moment et où que l’on soit, en binôme comme sur les réseaux d’entreprise. 55 % © SYDA PRODUCTIONS/ SHUTTERSTOCK.COM merciaux. Répartis à travers le monde, ceuxci se connectent pour « partager leurs bonnes pratiques » en matière « de promotions, de dégradation de prix ou encore de merchandising », souligne Olivier Cavil, le directeur de la communication du groupe. À travers ce réseau, Pernod Ricard s’inscrit dans une dynamique récente : l’ère du travail « collaboratif ». C’est d’ailleurs ce qui caractérise les entreprises estampillées « 2.0 », dont l’expression est en vogue ces dernières années. Il faut dire que, de plus en plus, les outils du Web participatif prennent pied dans les sociétés et chambardent les habitudes de travail. Au quotidien, des milliers d’employés twittent, commentent et « likent » les messages de leurs collègues sur des réseaux sociaux d’entreprise. Ils recourent au chat, travaillent ensemble sur le même document via Microsoft SharePoint LENTE CONVERSION DU CAC 40 AUX RÉSEAUX SOCIAUX L es outils séduisent, mais leur mise en place s’avère difficile. Depuis 2008 et l’éclosion des réseaux sociaux d’entreprise, les groupes du CAC 40 s’intéressent de près à ces nouveaux outils collaboratifs. Mais ils peinent à les utiliser correctement. « Les réseaux sociaux d’entreprise tiennent-ils leurs promesses ? » s’interroge, dans une note, l’Institut de l’entreprise. Plus des trois quarts des sociétés du CAC 40 disposent déjà d’un ou de plusieurs réseaux sociaux d’entreprise. Sachant que 60 % de ces platesformes ont été déployées depuis deux ans, d’après une étude publiée fin janvier par Lecko, un cabinet de conseil en organisation et TIC. Mais, côté utilisateurs, le résultat n’est pas encore satisfaisant. Selon Lecko, seulement 30 % des entreprises jugent l’outil significatif en matière de « réseau ». Ce qui signifie que peu de collaborateurs interagissent régulièrement. D’après les responsables sondés par Lecko, 60 % des groupes font état de « difficultés à s’exprimer sur des espaces ouverts » et de « craintes des fuites d’informations ». Enfin, près de 70 % d’entre eux évoquent des « difficultés à exposer son identité et son activité sur le réseau », ainsi que des « pertes de repères dans l’accès à l’information ». Dans ces grandes structures, l’usage des réseaux patine. Arnaud Rayrole, le patron de Lecko, temporise : « Certains ont cru qu’en mettant en place ces outils tout le monde allait vite les adopter et devenir actif. » De fait, ces outils collaboratifs s’opposent au management traditionnel, avec des salariés bridés par des hiérarchies qui ne favorisent guère l’échange. « Ainsi déployée, la dynamique de ces réseaux internes ne repose que sur les personnes les plus motivées », constate Arnaud Rayrole. Or « ces collaborateurs volontaires ne représentent que 10 % à 15 % des effectifs ». « On se trouve dans une situation d’apprentissage », poursuit Arnaud Rayrole. D’après lui, le réseau social d’entreprise n’est que le « catalyseur » d’un « changement culturel » vers une nouvelle forme d’organisation plus participative. Malgré tout, ces solutions 2.0 ont le vent en poupe. En France, le marché des solutions de réseau social d’entreprise en mode SaaS (installées sur des serveurs et non sur les ordinateurs) a progressé de 55 % en 2013, à 40 millions d’euros, contre 26 millions en 2012. Q P.M. et alimentent des wikis internes, de véritables encyclopédies participatives en ligne. Ces nouveaux outils permettent des échanges autrefois impossibles. « À l’heure de la mondialisation, beaucoup d’entreprises répartissent leurs équipes aux quatre coins de la planète. Un projet peut être commencé en Inde, repasser à une équipe européenne et être terminé par une équipe américaine », souligne CharlesHenri Besseyre des Horts, professeur au sein du groupe de recherche et d’études en gestion de HEC. En résumé, « ces nouvelles technologies permettent d’abord à l’entreprise d’aller beaucoup plus vite », poursuit-il en pointant par exemple les avantages de la visioconférence, qui se substitue aux réunions physiques, difficiles à organiser. PARTAGER L’INFORMATION PAR « COMMUNAUTÉS » Les entreprises de l’Hexagone ont vite compris les bénéfices qu’elles pouvaient retirer de ces usages nouveaux. Dans une enquête de l’institut de l’entreprise 2.0 de l’école de management de Grenoble publiée en juin 2012, plus de 90"% d’entre elles disaient avoir lancé ou préparé un « projet 2.0 ». C’est notamment le cas d’Albéa, le leader mondial des emballages de produits cosmétiques. Vice-président des systèmes d’information de cette multinationale de 16"000 collaborateurs, Éric Lafarge explique avoir mené un projet pilote en septembre 2011 : « À l’époque, une équipe commerciale travaillait pour un gros client. Elle était totalement éclatée à travers le monde, mais avait besoin de partager des informations et des documents de référence sans que per- I 5 LA TRIBUNE - VENDREDI 11 AVRIL 2014 - NO 86 - WWW.LATRIBUNE.FR SIEMENS A SA BOÎTE À IDÉES PARTICIPATIVE C ourant 2012, Alistair Gammie, cadre de Siemens au Royaume-Uni, s’apprête à signer un contrat de 11 millions d’euros auprès d’une société brésilienne de matériel de diagnostic médical. Mais en visitant l’usine, il déchante vite en s’apercevant d’un problème de lecture de codes-barres. Selon le directeur de l’usine, un million d’entre eux sont imprimés chaque mois et vérifiés visuellement par des employés. Mais d’après lui, des erreurs d’impression passent parfois à travers les mailles du filet. Alistair Gammie se retrouve donc dans l’impasse : d’un point de vue logistique, ces erreurs sont source de gros problèmes, puisque certains produits pharmaceutiques pourraient alors être envoyés à la mauvaise personne. sonne ne soit lésé. » L’idée d’utiliser un réseau social d’entreprise est née. Et s’est imposée. Depuis janvier, « nos 5"000 collaborateurs disposant d’un PC peuvent s’y connecter via l’intranet du groupe. Aujourd’hui, la moitié y sont connectés, et plus d’une centaine de communautés par secteur, projet ou métier ont vu le jour ». Toutefois, tout le monde ne s’est pas converti au réseau social, puisque « moins de 800 collaborateurs y sont vraiment actifs pour l’instant ». Parmi les avantages de l’outil, la possibilité pour les salariés d’y centraliser des documents. Ceux-ci sont ainsi accessibles à tous les membres d’une même communauté. Éric Lafarge y voit un gage d’efficacité. « Le temps où on lisait tous ses e-mails, c’est fini, constate-t-il. En outre, à moins de mettre 40 personnes en copie, tout le monde n’a pas accès à toutes les conversations. Sachant qu’il est laborieux de retrouver une information deux mois plus tard. » RÉUSSIR UNE FUSION OU UN RAPPROCHEMENT Utiles pour fédérer de petites équipes, les réseaux sociaux d’entreprise s’imposent surtout lorsqu’il s’agit de partager des informations au sein d’une vaste communauté. C’est le défi auquel a été confronté Solvay. En septembre 2011, le chimiste belge rachète son homologue français Rhodia pour 3,4 milliards d’euros. Avec près de 30#000 employés répartis dans 55 pays, la nouvelle entité double presque ses effectifs. La société est réorganisée, des équipes sont constituées. Mais la direction est confrontée à un problème : comment mettre en place une culture d’entreprise commune pour que l’intégration se déroule sans encombre#? Et surtout, sans imposer ses vues de manière unilatérale#? À la tête de la communication interne, Martial Tardy se rappelle : « La nouvelle structure devait démarrer le 1er janvier 2013. Pour la finaliser, nous avons réuni 600 cadres du groupe pour une convention le mois précédent. Mais celle-ci devait durer deux jours. Ce n’était pas suffisant, d’autant que la plupart de ces cadres ne se connaissaient pas du tout… » À six semaines de cette grand-messe, le groupe lance alors le réseau social « Engage » à destination des participants. L’objectif#? Amorcer en amont des débats et discussions sur des thèmes de travail et d’organisation. « Nous avons utilisé la solution de l’éditeur américain Jive Software, poursuit Martial Tardy. Nous l’avions déjà expérimentée dans certains services, notamment au sein d’une usine de recyclage de produits chimiques. » Pour le chef de la communication interne, l’initiative est un succès : « Certains cadres n’ont pas hésité à interpeller la direction sur des sujets épineux… » L’étiquette « activité cyclique » accolée à certaines filiales a ainsi fait débat. Et pour cause : comme en témoigne la cession de Solvay Indupa, le premier producteur de PVC au Brésil, en décembre 2012, la direction veut diminuer la part de ces actifs « énergivores » et trop peu orientés vers les marchés en croissance. « Certains responsables de ce type d’activités nous ont dit : “avec une telle dénomination, comment voulez-vous que je motive mes troupes"?” » se souvient Martial Tardy. DOPER L’INNOVATION AVEC DES INCUBATEURS D’IDÉES Surtout, les outils collaboratifs apparaissent comme une solution miracle pour doper l’innovation, perçue comme un catalyseur de la croissance. Charles-Henri Besseyre des Horts le rappelle : « Avec l’essor des pays émergents, on ne peut plus lutter sur les coûts. La seule façon de se battre, c’est de jouer la carte de la différenciation. Or la différenciation, c’est l’innovation. » En introduisant de la transversalité entre les cerveaux des différentes branches de l’entreprise, les technologies participatives apparaissent donc comme des incubateurs d’idées neuves. Les projets en ce sens fourmillent. Parmi les précurseurs, Siemens a lancé en 1999, bien avant Facebook et Twitter, sa plate-forme TechnoWeb pour mettre en réseau ses milliers de chercheurs et d’ingénieurs (lire encadré ci-contre). Plus récemment, la branche de financement et d’investissement CIB de BNP Paribas a lancé une plate-forme collaborative dédiée à l’innovation. Et ce en toute discrétion : seuls quelques blogs relatent brièvement l’initiative sur la Toile. Chose rare – sans doute pour éviter de donner des idées à la concurrence –, la banque n’a pas souhaité répondre à nos questions. Suite p. 6 s Ne sachant que faire et pressé par le temps, Alistair Gammie jette une bouteille à la mer : il expose son problème un vendredi soir via la fonction « demande urgente » de TechnoWeb, la plate-forme collaborative dédiée aux nouvelles technologies de Siemens. Le lendemain matin, en plein week-end, il découvre pas moins de 23 messages dans sa boîte e-mail venus de collègues allemands, indiens et américains. Grâce à cette aide, il parvient à trouver une solution en deux jours pour automatiser l’inspection des codes-barres. Et décroche finalement son contrat. Le recours à TechnoWeb est solidement enraciné dans la culture de Siemens. Le géant allemand des hautes technologies – présent dans l’industrie, l’énergie et la santé – a lancé cette plate-forme interne en 1999, bien avant les succès de Facebook ou de Twitter. « Au début, l’outil n’était destiné qu’aux chercheurs et ingénieurs de la branche recherche-développement, explique Michael Heiss, du département Corporate Technology du groupe. Nous avons étendu l’outil, qui compte 37 000 utilisateurs, à tous les départements du groupe en 2009. » Siemens voit dans cette mise en réseau des cerveaux un catalyseur de l’innovation. À côté de la fonction « demande urgente » – qui permet de mobiliser les experts de domaines différents via un système de mots-clés –, TechnoWeb se présente visuellement comme une page Facebook. Une fois connecté, on y trouve son profil, son fil d’actualité, ses communautés, ses centres d’intérêt et ses hashtags favoris. « Chacun peut créer une communauté ou un sujet dédié à une technologie », détaille Michael Heiss. Si personne ne répond, le sujet passe à la trappe. C’est seulement s’il suscite débats et commentaires qu’il démontre son intérêt. Et peut ainsi remonter en haut lieu. Q P.M. CHEZ SIMPLY MARKET, DES SALARIÉS AU CŒUR DE L’INNOVATION À Installée depuis 2010 dans les supermarchés Simply Market, la tête de gondole à roulettes a été conçue par un employé et sa photo postée sur le réseau social du groupe, où elle a été repérée par un responsable. © PASCAL SITTLER/REA la rentrée 2010, un mobilier nouveau fait son apparition dans les supermarchés Simply Market du groupe Auchan. Il s’agit d’une tête de gondole à roulettes au format inclinable. Elle permet de mettre en avant « l’affaire du jour » des rayons fruits et légumes. « En fin de semaine, cela permet de faire une opération massive, sans qu’on se retrouve les autres jours avec un rayon vide lorsqu’il y a moins de débit », explique Béatrice Javary, directrice de la communication de l’enseigne. Mais la particularité de cette innovation, c’est qu’elle émane directement… d’un salarié. C’est l’employé d’un supermarché de Brive qui a eu cette idée de mobilier, l’a lui-même construit, avant d’en faire fait part sur Mysimplymarket.fr, le réseau social du groupe. « Il a posté une photo de son invention, poursuit Béatrice Javary. Au siège, le responsable de la politique commerciale des fruits et légumes du groupe l’a aperçue. Il s’est rendu sur place avec un technicien, et a finalement décidé d’étendre l’usage du mobilier aux autres magasins. » Sans le réseau social, cette innovation n’aurait probablement jamais vu le jour. Lancé en novembre 2009, celui-ci rassemble 2 400 membres, soit 20 % des effectifs, avec un taux de participation de 50 %. « Au mois de janvier, nous avons totalisé 141 000 visites et 230 000 pages vues », précise la directrice de la communication. Conjugué à une volonté forte de la direction d’impliquer davantage les salariés dans la bonne marche et la croissance de l’entreprise, cet outil permet d’abolir les barrières hiérarchiques et géographiques. Accessible par smartphone ou ordinateur personnel, le réseau fonctionne sur la confiance. Les employés, jusqu’alors présents sous pseudos (mais ils seront bientôt contraints d’afficher leur identité), y sont complètement libres. Ils peuvent y partager idées, revendications, photos et documents. Des communautés de métiers (boucherie, pain et viennoiserie…) sont apparues. L’avantage ? Permettre des discussions entre des employés qui font le même métier mais ne se voient physiquement jamais puisqu’ils sont cantonnés dans leurs magasins respectifs. Pour Béatrice Javary, l’enseigne a tout à y gagner. « Nos employés peuvent désormais échanger leurs pratiques sur la manière de mener certaines opérations commerciales, comme une foire aux vins. » Q P.M. 6 I L’ÉVÉNEMENT LA TRIBUNE - VENDREDI 11 AVRIL 2014 - NO 86 - WWW.LATRIBUNE.FR Les outils du Web participatif prennent pied dans les sociétés et chambardent les habitudes de travail en permettant des échanges autrefois impossibles. © ANDREY POPOV/ SHUTTERSTOCK.COM Directeur du cabinet de conseil en organisation et nouvelles technologies Lecko, Arnaud Rayrole s’est toutefois longuement épanché sur son blog sur cette initiative lancée fin 2012. Sur cette plate-forme baptisée « Jump », tous les collaborateurs déclarent d’abord leurs domaines de compétence, et peuvent poster des idées. Pour chacune d’entre elles, le système détermine 50 experts parmi les membres. Ceux-ci ont alors dix jours pour discuter de la proposition avec son porteur, qui décide, en fin compte, de l’enterrer ou de la poursuivre en fonction des retours. Selon leur participation, les experts récoltent une monnaie virtuelle, les « Jump $ », qu’ils investissent sur les idées ou projets auxquels ils croient. Ici, le pseudonymat est la règle : à sa première connexion, le collaborateur choisit un pseudo, sans obligation d’afficher son identité réelle. But de la manœuvre#? Développer les discussions sans crainte, par exemple, de critiquer les dires d’un supérieur hiérarchique. Selon Jérôme Dubois, le manager de BNP Paribas CIB à l’origine du projet et cité par Arnaud Rayrole, en un an, quelque 11#000 collaborateurs se sont inscrits (45#% des employés), 700 idées ont été traitées, et une dizaine sont remontées au comité d’innovation pour une mise en œuvre. s Suite de la p. 5 ATOS ET SA CROISADE ANTICOURRIELS S es déclarations ont fait le tour du monde. En février 2011, Thierry Breton déclare vouloir bannir les courriels du quotidien d’Atos. Objectif « zéro e-mail » avant 2014, lance-t-il avec fracas. Aujourd’hui, le discours est plus prudent et les 75 000 collaborateurs du groupe continuent pourtant d’y recourir. Il faut dire que la plupart des clients de l’entreprise de services informatiques sont rompus à l’usage des courriels… Difficile, donc, de s’en passer. Mais au sein de la société, ceux-ci sont effectivement de moins en moins utilisés. « En trois ans, le nombre d’e-mails internes a chuté de 60 %, précise Philippe Mareine, le secrétaire général du groupe. En 2011, nos employés en envoyaient une centaine par semaine, contre une quarantaine aujourd’hui. » On peut d’ailleurs y lire directement ses e-mails, qui apparaissent sous la forme d’un flux d’informations. Pour fluidifier les échanges, des outils de chat et de visioconférence ont été greffés à la plate-forme. Les communications sont ainsi aussi importantes qu’avant, mais plus efficaces et mieux organisées. « Au sein de blueKiwi, nous avons plus de 6 000 communautés, explique Philippe Mareine. Celles-ci épousent à la fois l’organisation de l’entreprise, avec la communauté des financiers ou des juristes. Beaucoup sont consacrées aux projets de nos clients et certaines sont thématiques, liées au développement durable ou à une technologie pointue. » À travers ces outils, c’est toute l’organisation de l’entreprise et sa manière Pourquoi cette chasse aux e-mails ? « Parce qu’ils sont source d’inefficacité, sont envahissants et génèrent une forme de pollution, poursuit le secrétaire général. Nos études ont révélé que nos employés passaient entre dix et quinze heures par semaine à les ouvrir, sachant que seuls 15 % d’entre eux leur étaient directement utiles au travail. » Pour diminuer aussi drastiquement les courriels, les employés se sont convertis au réseau social d’entreprise de blueKiwi, dont Atos a racheté la société au printemps 2012. Les employés d’abord ! Tel est le credo de Vineet Nayar. Dans son ouvrage Les employés d’abord, les clients ensuite : comment renverser les règles du management (éditions Diateino, 2011), cet ancien PDG de HCL Technologies, poids lourd indien de l’informatique, explique pourquoi redonner le pouvoir aux collaborateurs permet de surperformer. Ses résultats parlent pour lui : son groupe, qui pèse 4,2 milliards de dollars, a presque triplé son CA en quatre ans. de travailler qui a été repensée de manière plus transversale, collaborative… « Et moins militarohiérarchique », ajoute le secrétaire général. Désormais, « les collaborateurs peuvent “challenger” leurs managers » lorsqu’ils ne sont pas d’accord avec eux. Pour éviter que ceux-ci ne prennent la mouche face à cette nouvelle manière de travailler, le groupe organise des formations spécifiques. « L’objectif, c’est de leur montrer qu’on peut gagner en efficacité. » Un exemple ? « Là où il fallait avant quarante-huit heures pour mobiliser le bon expert sur un problème précis, ça ne nous prend plus qu’une heure. » De même, « on peut réunir plus rapidement les compétences pour répondre à un appel d’offres, ce qui accroît nos chances de gagner ». Q P.M. Thierry Breton, le PDG d’Atos, a mobilisé dès 2011 l’entreprise mondiale de services informatiques dans un projet « zéro e-mail ». Le réseau social de l’entreprise, blueKiwi, a permis depuis d’en réduire fortement le nombre, mais pas de s’en passer totalement. © ROSE SERRA/ATOS 563 millions de dollars C’est le poids du marché de la vidéoconférence dans le monde au premier trimestre 2013, selon le cabinet de recherche et de conseil IDC. Toutefois, celui-ci recule de 13,2 % sur un an. Si la situation économique pèse sur ces investissements, l’engouement des clients pour les communications en temps réel depuis un navigateur Web explique aussi cette dégradation. IMPLIQUER ET MOTIVER LES SALARIÉS Ces plates-formes participatives ont un autre avantage : en impliquant les salariés dans le développement de l’entreprise, elles favorisent son engagement et son sentiment d’appartenance. Or, à ce niveau-là, la France fait pâle figure. D’après le dernier rapport Gallup sur l’engagement des salariés, la France se situe au 18e rang européen avec un piètre 9#% de collaborateurs « engagés » et proactifs au travail, contre 21#% au Danemark. Selon cette étude publiée l’année dernière, 65#% des actifs français sont démotivés et viennent au travail en traînant les pieds. Surtout, ils sont 26#% à être catalogués « désengagés actifs ». En d’autres termes, ces collaborateurs manifestent un sentiment négatif, voire hostile vis-à-vis de leur entreprise. 86 % C’est la proportion des internautes qui sont inscrits sur un réseau social (Facebook, Twitter, Google+, Instagram, YouTube…) en 2013, d’après l’observatoire des réseaux sociaux de l’Ifop. Une progression fulgurante,sachant qu’ils étaient 77 % en 2009 et seulement 20 % en 2007. Chez GT Location, la démocratisation du réseau social interne SeeMy en février 2013 a largement été un facteur de « mieux-être » dans l’entreprise. Forte de 1#300 personnes, cette société basée à Bassens (Gironde) loue des véhicules industriels avec conducteurs. Ses conducteurs transportent aussi bien des matériaux pour Lafarge que des animaux vivants. « Tous les conducteurs peuvent se connecter au réseau social via leur smartphone ou un ordinateur personnel pour faire part de conseils aux plus jeunes, débattre de la stratégie métier, du camion le mieux adapté pour tel type de marchandise, organiser leurs congés ou même se plaindre des notes de frais », explique Patrice Bonte, directeur de l’école de management du groupe. D’après lui, certains conducteurs n’hésitent pas à interpeller directement Michel Sarrat, le patron du groupe, pour lui faire part de leurs problèmes. Si Patrice Bonte ne dispose pas de chiffres sur l’engagement des salariés, il constate toutefois que, certains dimanches, « une trentaine de conducteurs sont “loggés” sur le réseau"! ». Pour lui, le réseau social interne permet de souder les troupes. Dispersés sur toutes les routes de l’Hexagone, ses conducteurs ne se rendent que rarement au siège et ne se côtoient parfois jamais. UNE NOUVELLE CULTURE DE MANAGEMENT Quel que soit le secteur d’activité considéré, l’usage des outils collaboratifs n’est toutefois efficace que si la société donne davantage d’autonomie à ses salariés. Ce qui implique de bousculer la culture d’entreprise et ses méthodes de management, comme le souligne Isaac Getz, professeur de leadership et de management à l’ESCP Europe (lire son interview page 7). Tous les spécialistes le disent : à quoi bon mettre en place des outils participatifs si les salariés ne sont que de bons petits soldats, bridés par des managers « donneurs d’ordres » et peu désireux de partager les informations qui légitiment leur pouvoir#? Pour Charles-Henri Besseyre des Horts, « les managers doivent accepter de déléguer leur pouvoir. Il s’agit d’une vraie révolution en matière d’organisation ». En outre, les technologies collaboratives favorisent discussions et débats, et acceptent de facto un droit à l’erreur des salariés. Or, « en France, nous avons dans notre ADN la culture de la sanction, constate CharlesHenri Besseyre des Horts. Cela suppose donc un changement de mentalité. Mais la nouvelle génération, née avec le Net, devrait nous amener à évoluer ». Certains patrons sondés par La Tribune sont d’ailleurs souvent étonnés de voir que leurs jeunes recrues boudent parfois l’e-mail au profit d’un recours massif aux réseaux sociaux. Ceux-ci vont-ils s’imposer comme LE moyen de communication au travail des prochaines années#? Pourquoi pas#! Ray Tomlinson, l’inventeur de l’e-mail en 1971, n’avait-il pas dit à un collègue en lui présentant sa trouvaille : « N’en parle à personne. Nous ne sommes pas censés travailler là-dessus. » Q PLUS D’INFORMATIONS SUR LATRIBUNE.FR 10 minutes, 10 ans… Pour Arnaud Rayrole, à la tête du cabinet de conseil en organisation et nouvelles technologies Lecko, les réseaux sociaux d’entreprise mettront des années avant d’être totalement apprivoisés. « Il faut dix minutes pour comprendre l’interface, dix jours pour déployer l’outil, dix mois pour en retirer de la valeur. Mais il faudra probablement dix ans pour que la société se transforme. » I 7 LA TRIBUNE - VENDREDI 11 AVRIL 2014 - NO 86 - WWW.LATRIBUNE.FR L’ÉVÉNEMENT INTERVIEW Isaac Getz, professeur de leadership et d’innovation à l’ESCP Europe « La vision de l’entreprise en tant que forteresse, c’est révolu » Isaac Getz promeut le concept d’« entreprise libérée » permettant de doper la rentabilité en misant sur l’initiative et la responsabilisation des collaborateurs. Mais pour lui, la mise en place de technologies collaboratives ne sert pas à grand-chose si l’on ne change pas la manière de travailler. C’est-à-dire ? Les entreprises fonctionnent avec des formes de management héritées du XIXe siècle. La division du travail par métiers, par fonctions, a cloisonné les collaborateurs. On a la fonction logistique d’un côté et la fonction commerciale de l’autre… En outre, les employés sont déresponsabilisés : tout doit être validé par un chef, perçu comme plus intelligent, à tous les étages de la pyramide. Ce modèle de hiérarchie bureaucratique couplé à la multiplication des procédures fait que l’intelligence des collaborateurs n’est pas respectée. On ne leur fait pas confiance. On leur demande d’effectuer une tâche spécifique et d’appliquer la procédure. Pas de réfléchir. Isaac Getz, coauteur de Liberté & Cie. Quand la liberté des salariés fait le bonheur des entreprises (éd. Flammarion, 2013). © ALAIN ELORZA LA TRIBUNE – Les technologies participatives favorisent-elles vraiment l’émergence d’une intelligence collective et l’innovation ? ISAAC GETZ – Oui et non. Ces outils facilitent la collaboration et il est plus aisé de communiquer, de partager des informations, de discuter des opportunités de nouvelles affaires… Alors qu’avant, ces démarches se faisaient au rythme de réunions à répétition et au gré des feux verts de la hiérarchie. Avec ces technologies, tout peut se faire de manière plus horizontale et plus rapide. Encore faut-il toutefois que les collaborateurs veuillent bien les utiliser et y voient un avantage"! Et cela ne dépend pas de l’outil, mais de la manière dont l’entreprise est organisée. L’entreprise traditionnelle fonctionne à l’opposé de la collaboration. Elle est bureaucratique, cloisonnée « en silos » et dispose d’un long arbre de décision hiérarchique. Cela décourage implicitement les collaborateurs de prendre des initiatives et de s’organiser entre eux pour faire émerger cette intelligence collective. Dans bien des cas, l’usage des outils collaboratifs pâtit de la réticence des managers à partager des informations avec leurs subordonnés… De fait, pourquoi partager la connaissance si elle est synonyme de pouvoir"? Encore une fois, l’entreprise n’est absolument pas organisée pour encourager les collaborateurs à partager des informations. Les outils ont beau être de plus en plus intéressants et de plus en plus puissants, comme les réseaux sociaux internes, ils ne servent à rien si on ne donne pas d’autonomie de décision aux salariés. D’après vous, ce modèle de management cher à Ford et Taylor est donc révolu avec l’essor du numérique, où c’est la réactivité qui prime ? Ce modèle managérial a très bien marché pendant deux siècles : il a permis les économies d’échelle, l’explosion de la productivité… En Occident, on a multiplié par vingt le niveau de vie. Mais cette organisation atteint aujourd’hui ses limites. Le monde évolue tellement rapidement que ceux qui aperçoivent les « signaux faibles » liés à un problème, à un changement ou à une innovation sont les collaborateurs de première ligne, en contact direct avec les clients, les fournisseurs et les partenaires de l’entreprise. Mais ces signaux faibles remontent trop lentement via la pyramide hiérarchique. Et l’entreprise se retrouve incapable d’agir tout de suite. clients communiquent avec eux via ce canal de manière ouverte et transparente. Il n’y a pas de cloison ni de séparation entre l’entreprise et son écosystème. Tony Hsieh, son patron, est connu pour son livre L’Entreprise du bonheur 1. Pour lui, à l’heure des réseaux sociaux, on ne peut plus barrer les flux d’informations en mettant des garde-fous à la communication interne ou externe. La vision de l’entreprise en tant que forteresse, c’est révolu. Cela fait penser à la chute de Nokia, dont la direction n’a pas cru à la révolution des smartphones malgré les avertissements de ses ingénieurs… La lenteur de son appareil hiérarchique, embourbé dans des couches de management intermédiaires, a par la suite été très critiquée… Mais si cela fonctionne dans des sociétés moyennes et dans le secteur des nouvelles technologies, ces modes d’organisation ouverts et collaboratifs ne sont-ils pas trop difficiles à mettre en œuvre dans les grandes entreprises ? C’est un exemple emblématique. En 2008, Qualcomm, un développeur de circuits pour la téléphonie mobile, s’était notamment adressé à Nokia pour leur proposer une technologie bien plus rapide pour les portables de prochaine génération. Nokia a mis neuf mois pour répondre, alors que cette technologie était déjà devenue obsolète… Ses concurrents ont répondu bien plus rapidement. Et aujourd’hui, Nokia a disparu du paysage de la téléphonie mobile. Le Web participatif fait-il pression sur ces anciens modèles de management au profit des salariés ? C’est manifeste. Regardez l’exemple de Zappos.com. Rachetée par Amazon en 2009, cette start-up de vente de chaussures en ligne est passée de zéro à 1 milliard de chiffre d’affaires en huit ans. Chez eux, tous les salariés ont un compte Twitter et sont considérés comme des porte-parole de l’entreprise. Tous les Beaucoup d’entreprises du CAC 40 se posent des questions et ont conscience des enjeux. Certaines ont d’ailleurs décidé de passer ce cap. C’est le cas d’Auchan en septembre dernier" 2. Mais étant donné la taille du groupe, le changement d’organisation prend du temps et se fait progressivement, hypermarché après hypermarché. Q PROPOS RECUEILLIS PAR PIERRE MANIÈRE (1) Dans L'Entreprise du bonheur, (2011, éditions Leduc.s), Tony Hsieh explique sa réussite par un modèle singulier fondé sur le bonheur des employés et des clients. Dans certains hypermarchés, Auchan a mis en place un système permettant aux vendeurs de régler eux-mêmes les problèmes avec les clients. Pour gagner du temps, le groupe leur permet notamment d’interpeller l'entreprise et ses cadres sans passer par leurs managers directs. (2) CHEZ CHRONO FLEX, LES SALARIÉS PRENNENT LE POUVOIR son patron ? Il veille au respect des budgets de ses équipes. Et surtout, à ce que la « vision » de l’entreprise soit respectée. Celle-ci repose notamment sur « la performance par le bonheur », « l’amour du client ». En outre, le patron s’assure que l’autonomie et la liberté offertes à ses salariés sont bien respectées. crise s’est invitée. « Nous avons pris une porte en pleine figure, poursuit le patron. Le chiffre d’affaires a chuté de 34 % et nous avons été contraints de licencier des personnes qu’on voulait garder. » En interne, ce revers est très mal vécu. Et Alexandre Gérard songe à changer l’organisation du travail. Mais pourquoi avoir chambardé de la sorte son organisation ? « Jusqu’en 2009, les affaires étaient au beau fixe », raconte Alexandre Gérard. En moins de dix ans d’existence, son entreprise comptait alors 260 salariés pour un chiffre d’affaires de 22 millions d’euros. Mais la Lors d’une conférence, il rencontre Jean-François Zobrist, patron de 1971 à 2009 du sous-traitant automobile Favi, en Picardie. Avec succès, celui-ci a mis en place une nouvelle méthode de management, fondée sur le bien-être au travail, l’autonomie et la responsabilisation des salariés ainsi que « l’amour » du client. Pour ce faire, il a diminué fortement les contrôles en taillant dans la hiérarchie intermédiaire. Séduit par l’initiative, Alexandre Gérard reprend cette philosophie à son compte. Il décide de transformer son propre « paquebot » d’entreprise en une « armada de speed boats » régionaux, avec des équipes autogérées. Le 7 janvier 2012, il lance la transformation. Depuis, l’entreprise s’est largement redressée. « Cette année, on table sur un chiffre d’affaires de 18 millions d’euros. C’est certes inférieur à ce que nous réalisions © DR C hez eux, la pyramide hiérarchique n’est plus. Ou plutôt, elle s’est renversée. Fondé en 1995 à Saint-Herblain (LoireAtlantique), Chrono Flex est le leader français du dépannage de flexibles hydrauliques. Sa particularité ? Depuis janvier 2012, ses 240 salariés choisissent eux-mêmes leurs managers. Ils déterminent les primes, recrutent leurs pairs et prennent même des décisions liées aux affaires ou aux investissements. À eux, par exemple, de renégocier les contrats de téléphonie ou l’achat d’ordinateurs. En clair, ils décident de la marche et de la vie de l’entreprise. Et Alexandre Gérard (photo), avant la crise. Malgré tout, le résultat sera meilleur », assure-t-il, en prévoyant d’embaucher 70 personnes cette année. Q P.M. 8 I LA TRIBUNE - VENDREDI 11 AVRIL 2014 - NO 86 - WWW.LATRIBUNE.FR ENTREPRISES INVENTER Ils obéissent au doigt, à l’œil… et à la pensée D eux milliards de dollars, c’est le montant déboursé le 25 mars dernier @ErickHaehnsen par Facebook pour racheter Oculus VR. @elianekan Cette start-up américaine qui avait recouru au crowdfunding sur Kickstarter a développé l’Oculus Rift, le casque immersif qui entend révolutionner les jeux vidéo et la réalité virtuelle. Sur son blog personnel, Mark Zuckerberg, le patron du réseau social, explique qu’il veut transformer nos rapports sociaux ainsi que nous permettre de partager des expériences et aventures avec nos amis. Il est donc temps de s’intéresser de près aux interactions sensorielles avec les mondes digitaux. Minority Report, Iron Man, Avatar… certains films avaient déjà suggéré une informatique complètement affranchie de la souris, du clavier et parfois même de l’écran. Miroirs connectés, vitres transparentes, écrans tactiles, reconnaissance et synthèse vocales, caméras à reconnaissance gestuelle, commande par ondes cérébrales, dialogue par vibrations, objets connectés… Les interfaces entre l’homme et la machine se sont multipliées pour solliciter nos sens et surtout donner naissance à de nouvelles interactions numériques. Comme piloter un smartphone par vibrations tactiles, théâtraliser la vente en magasin avec un écran tactile ou gérer davantage d’informations sans perdre de vue la route… L’innovation en interaction numérique n’a jamais connu une telle accélération. « Cette accélération a démarré avec l’iPhone en 2007. Le smartphone d’Apple a sacralisé les applications tactiles », se souvient Sacha Cayre, DG d’Insign Mobility, une agence marketing spéKing Jouet disposent d’écrans tactiles géants. Cet appareillage cialisée dans les intestimule les ventes, de 5 à 10 %. ractions avec les équipements mobiles. « “Swipe” [faire défiler], “expand” [zoomer en écartant le pouce et l’index], “pinch” [rapprocher le pouce et l’index pour dézoomer]… la culture du gestuel s’est imposée. À savoir celle du geste, sur une surface tactile, associé aux icônes graphiques permettant de lancer de manière intuitive un très grand nombre d’applications à partir d’un tout petit écran. » Sept ans après l’introduction de l’iPhone, les réflexions se renouvellent. « Aujourd’hui, en fait, le tactile apparaît très limité car le seul retour qui lui est associé provient des icônes graphiques de l’écran », constate PAR ERICK HAEHNSEN ET ÉLIANE KAN 50 magasins Magie virtuelle Moulla Diabi, magicien et ingénieur, organise des spectacles dans le monde entier : « Nous créons des illusions numériques. Par exemple : je prends le téléphone d’un spectateur, je le jette dans l’écran géant et il devient virtuel. Je peux voir ses photos, accéder à ses contacts… comme si je l’avais dans la main. Sauf qu’il fait 4 mètres de haut. » Magique ! Grâce aux écrans tactiles et multipoints, aux objets connectés ou aux ondes cérébrales, les appareils numériques se dotent d’interfaces qui nous affranchissent du clavier et de la souris. L’affichage en temps réel sur écran de l’activité cérébrale de la personne, une étape vers la possibilité de stimuler ou d’inhiber des zones précises et choisies du cerveau. © MENSIA TECHNOLOGIES Nicolas Roussel, directeur de recherche en interactions homme-machine à l’établissement lillois de l’Inria (Institut national de recherche en informatique et automatique). Il participe au programme de recherche Touchit (7,2 millions d’euros), labellisé par le pôle de compétitivité Minalogic de Grenoble où l’on retrouve, entre autres, le CEA, STMicroelectronics et Orange. Objectif : industrialiser des composants microélectroniques capables de vibrer à très haute fréquence et très faible amplitude. Destiné aux tableaux de bord de voiture, smartphones ou tablettes, ce procédé « piézoélectrique » engendre un coussin d’air entre la dalle de l’écran et le doigt. Lequel procure, sur certaines parties de l’écran, la sensation de toucher une surface rugueuse. « Cela pourrait servir à interagir avec des boutons, voire des icônes tactiles qui lanceraient des applications “yeux libres”. Par exemple, pour sélectionner un numéro de téléphone ou appeler la personne quand on regarde la route au lieu d’un écran. » De son côté, l’américain Garmin, célèbre pour ses GPS et systèmes de navigation, Fenêtre interactive combine pour son prototype K2 un écran central de 10 pouces, des capteurs infrarouges et un système de visée tête haute (HUD, head-up display) présenté au dernier CES de Las Vegas en janvier. « L’INFORMATION NUMÉRIQUE REDEVIENT PHYSIQUE » « L’écran central affiche l’information détaillée, notamment les cartes routières, tandis que la visée tête haute se contente d’informations synthétiques. Pour activer la navigation, la téléphonie, voire la lecture d’e-mails ou de SMS… des capteurs infrarouges détectent le geste d’approche de la commande au volant, sur la planche de bord ou en partie centrale. L’intérêt, c’est de gérer plus d’informations tout en gardant les yeux fixés sur la route », décrit Marc Douay, responsable des relations avec les constructeurs automobiles chez Garmin France qui, depuis septembre 2013, vend en seconde monte un hub qui se branche sur l’allume-cigare et fonctionne de concert avec une application À l’occasion du salon LeWeb 2013, Sensorit a réalisé pour France Télévisions une fenêtre interactive dotée d’un écran transparent qui, grâce aux objets connectés de Netatmo, indiquait la météo, le taux d’humidité extérieure ainsi que le taux intérieur de CO2. Et en fermant le store, on pouvait bien sûr regarder la télé. mobile à télécharger. « Ici, nous proposons une version en première monte plus intégrée. » Laquelle fait l’objet de réponses aux appels d’offres lancés par les grands constructeurs automobiles pour une éventuelle mise sur le marché à partir de 2017. Pour sa part, Tangible Display, créé en 2010 à Montreuil (Seine-Saint-Denis), mise sur le créneau de la consultation sociale de contenus. « Nous concevons et fabriquons des murs ou tables tactiles multipoints mesurant jusqu’à 4 mètres de long qui peuvent accueillir 25 personnes pour des musées ou des grands comptes, indique Jimmy Hertz, le PDG de cette start-up qui a réalisé en 2013 un chiffre d’affaires de 150#000 euros avec 4 salariés et 7 associés. Les gens utilisent ainsi le même ordinateur de façon collective. Par ailleurs, en tournant des objets connectés sur l’écran, ils accèdent à des contenus de plus en plus pointus. Avec ce type d’interaction, l’information numérique redevient physique. » Fort de son expérience en écrans fabriqués à façon, Tangible Display baisse le prix de l’écran tactile grand format avec l’américain PQ Labs, qui fabrique des cadres dotés Juke-box sensoriel Sensovery, start-up basée à Compiègne (60), développe un juke-box sensoriel. L’appareil dispose d’un anneau qui fait office de manette. Suivant la force avec laquelle on l’actionne, il diffusera un répertoire musical plus ou moins endiablé. Originalité, ce juke-box puise les morceaux dans les smartphones des convives connectés par WiFi. I 9 LA TRIBUNE - VENDREDI 11 AVRIL 2014 - NO 86 - WWW.LATRIBUNE.FR d’émetteurs et récepteurs LED infrarouges capables de rendre tactile n’importe quel écran pour quatre fois moins cher – dès 8"000 euros pour 60 pouces. De son côté, sous le vocable de « Phygital », contraction de « physique » et de « digital », la start-up Improveeze (450"000 euros de chiffre d’affaires 2013, avec 8 personnes), créée fin 2010 à Tourcoing (Nord), théâtralise la cérémonie de la vente en magasin grâce à des écrans tactiles multipoints. « Le client et le vendeur sont debout, côte à côte. Grâce à des interfaces tactiles développées avec l’Inria, le vendeur arrive au même niveau de connaissance que le client qui s’est informé au préalable, explique Mickael Durand, le responsable marketing. Il peut vérifier si le produit est en stock dans le magasin ou s’il sera livrable en e-commerce. L’écran augmente virtuellement la taille du magasin sans rompre le parcours d’achat. » Déployé dans 50 magasins King Jouet, ce procédé ferait gagner de 5 à 10"% de ventes supplémentaires. Analyser le parcours clients, adapter les contenus du Web à l’interface tactile, déployer et maintenir des écrans multipoints standards… Improveeze montre comment le business des interactions numériques s’industrialise. CASQUE DE CAPTAGE ET LOGICIELS DE DIAGNOSTIC La commande sensorielle intéresse aussi les applications de sécurité. En témoigne la start-up française Novitact, qui s’apprête à lancer les premiers bracelets vibratoires d’urgence. En cas de danger, il suffit d’appuyer sur le bracelet FeelTact. « En retour, l’utilisateur recevra des vibrations, selon un code prédéfini, qui lui indiqueront que sa demande a été reçue et dans combien de temps les secours arriveront », indique Thibaud Severini, cofondateur et président de Novitact, créé en octobre dernier près de Compiègne. Les développements de ce bracelet ont été menés entre 2011 et 2013 au sein de l’UTC, qui a accueilli dans son centre d’innovation le porteur de projet, co-inventeur du brevet avec un enseignant-chercheur du laboratoire Costech de l’UTC. Sur le plan financier, le dirigeant a levé des fonds sous forme de subventions et de prêts pour réaliser des prototypes. En quête de bêtatesteurs, Thibaud Severini prévoit de com- Tangible Display a réalisé ce mur-écran interactif de 4 mètres de long pour la Cité des sciences et de l’industrie de la Villette, à Paris. © TANGIBLE DISPLAY mercialiser le FeelTact début 2015. Des déclinaisons grand public sont envisagées dans le divertissement, la domotique, etc. La palette d’outils s’enrichit avec l’arrivée d’applications pilotées par les ondes cérébrales. « L’Inria a développé un logiciel baptisé OpenViBE, qui sert essentiellement à naviguer et à contrôler des ordinateurs par la pensée », commente Jean-Yves Quentel, le président de Mensia Technologies. Créée en 2012, cette start-up rennaise de 10 personnes a eu l’idée d’acquérir une licence du célèbre institut, non pas pour piloter des ordinateurs, mais pour développer des applications médicales. L’objectif vise ainsi à aider des patients, notamment des enfants affectés par des troubles de l’attention, à prendre en compte l’état de leur cerveau en captant leurs ondes cérébrales et en les affichant à l’écran. « Ils voient ainsi en temps réel quelles sont les zones du cerveau qu’ils doivent stimuler ou inhiber, explique le dirigeant, qui a levé près de 700"000 euros pour développer son offre de solutions neurophysiologiques qui fonctionnent en temps réel. D’ici deux à trois ans, nous lancerons auprès des hôpitaux des solutions globales comprenant un casque pour capter les ondes cérébrales et des logiciels de diagnostic et de rééducation pour un coût de plusieurs dizaines de milliers d’euros. » Q LE CLAVIER RÉINVENTÉ C spécifiques – permet de réduire la taille du clavier virtuel. Et donc de consacrer une plus grande surface à l’application. » Par ailleurs, en faisant appel à la mémoire musculaire (kinesthésie), on passe de 100 à 300 caractères saisis à la minute. AlphaUi compte commercialiser son interface dorsale à 129 euros TTC dès l’automne prochain. Q E.K. hacun de nous a pesté contre le clavier virtuel de son smartphone ou de sa tablette : on tape trop souvent sur le mauvais caractère… Présenté au dernier CES de Las Vegas, le clavier Twiky de la start-up parisienne AlphaUi veut changer la donne. Sa première particularité est de se clipser au dos du smartphone ou de la tablette. des applications ou des jeux vidéo, pour naviguer ou écrire, explique Patrice Jolly, le PDG de cette entreprise créée en 2008, et qui emploie cinq collaborateurs dont deux chercheurs. Comme on conserve le retour visuel, puisqu’on est face à l’écran, notre logiciel pour Android et Windows Phone – Apple, seulement pour quelques applications La seconde, c’est qu’on l’utilise sans voir ce qu’on fait exactement avec les 8 doigts sollicités. La troisième, c’est que les touches ne sont pas réparties en AZERTY ou QWERTY. « On se sert de cette interface dorsale pour bénéficier de “raccourcis clavier” bien utiles lorsque l’on veut lancer rapidement Cette interface dorsale permet d’interagir avec l’équipement mobile en agrandissant la surface accordée à l’application sur l’écran. © ALPHAUI INNOVONS ENSEMBLE, AVEC ET En juin prochain, Formulaction fêtera ses vingt ans. Cette société basée en Haute-Garonne emploie 20 salariés, dont deux dans sa filiale aux Etats-Unis, et a réalisé 4 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2013. C’est surtout à l’international qu’elle vend ses instruments d’analyse des particules en milieu liquide, qu’elles soient solides, liquides ou gazeuses. Ces petits scanners optiques sont utilisés dans treize domaines d’application, notamment dans l’industrie pharmaceutique, cosmétique et agro-alimentaire. «Nous aidons les formulateurs à détecter très tôt les phénomènes de déstabilisation de leurs nouvelles «recettes», ce qui permet de réduire de un an à six mois la phase de mise au point de la formule, et ainsi de réduire les coûts de recherche», indique Gérard Meunier, le président de Formulaction. Il compte parmi ses clients 300 des 1000 plus grands groupes industriels du monde. Formulaction travaille à mettre au point de nouveaux instruments : l’un permettra de mesurer la viscosité sans moyen mécanique, et l’autre sera une station micro-fluidique d’autoformulation, permettant de modifier la composition d’un produit tout en mesurant ses propriétés physiques. «Pour notre programme de recherche sur les cinq prochaines années, je vais solliciter Bpifrance, qui nous accompagne depuis la création de la société, notamment avec des avances remboursables à taux zéro très avantageuses, et avec un prêt bancaire qui nous a permis de financer 50% de la recherche sur le projet microfluidique», indique Gérard Meunier. «Les équipes de Bpifrance voient au-delà du compte de résultat. Elles ont une bonne compréhension des technologies et des marchés innovants.» Formulaction entend renforcer sa présence sur ses marchés phares à l’étranger, en ouvrant des bureaux en Allemagne, en Chine et au Japon. Et elle prévoit de multiplier par trois son chiffre d’affaires d’ici à cinq ans. Entrepreneurs, Bpifrance vous soutient en prêt et capital, contactez Bpifrance de votre région : bpifrance.fr Gérard Meunier, président de Formulaction. © Formulaction FORMULACTION AUSCULTE LES PARTICULES 10 I ENTREPRISES LA TRIBUNE - VENDREDI 11 AVRIL 2014 - NO 86 - WWW.LATRIBUNE.FR CRÉER Biocon, la biopharma indienne qui défie les big pharmas Située non loin de la Silicon Valley indienne de Bangalore, cette société de biopharmacie a pour objectif d’offrir des thérapies moins chères pour des maladies chroniques et auto-immunes. PAR MATHILDE ESLIDA À BANGALORE P endant trente ans, Kiran Mazum dar-Shaw et Nilima Rovshen ont été les meilleures amies du monde. Aussi, quand Nilima s’est vu diagnostiquer un cancer du sein, Kiran a tenu à l’accompagner. « J’ai vu le combat qu’elle a mené, le fardeau financier que cela représentait, le traitement, la maladie en tant que telle. Tout cela était affreux. Et je me suis juré d’agir », se remémore Kiran. Nilima est finalement décédée en 2002. Une histoire banale comme, hélas, des milliers d’autres. Pas du tout : Kiran est une femme d’affaires influente en Inde. Et aujourd’hui elle a plus qu’honoré sa promesse. Après des années de recherche, sa société de biopharmacie, Biocon, vient en effet de mettre sur le marché un anticancéreux du sein à un prix défiant toute concurrence. Il s’agit d’un « biosimilaire » (un médicament biologique qui se veut comparable à un médicament déjà commercialisé) de Trastuzumab, un traitement produit par la firme suisse Roche. Son coût : 25"% moins cher que l’original. Si elle la touche davantage, l’oncologie n’est cependant pas la seule cause dans laquelle s’est engagée Kiran, qui s’attaque aussi au diabète et aux maladies auto-immunes. Via sa société, cette femme de 61 ans que le magazine Forbes classe parmi les plus riches de l’Inde se bat sur bien des terrains, avec chaque fois la farouche intention de lancer des médicaments moins onéreux. « J’ai beaucoup d’idées et je n’aurai sans doute pas le temps de toutes les appliquer, mais le plus important pour moi aujourd’hui reste que chaque citoyen dans ce pays puisse se soigner, insiste la femme d’affaires. Or c’est sans fin, la population est énorme, les besoins aussi, et, à mon sens, la seule façon d’y parvenir c’est d’innover… » « NOUS AVONS UN BLOCKBUSTER ! » Contrairement à d’autres qui se cantonnent à l’imitation et à la fabrication de génériques, Biocon – dont le campus est situé à deux pas d’Electronic City, la Silicon Valley de Bangalore – a longtemps mis un point d’honneur à investir 10"% de son chiffre d’affaires dans la R&D. Seules les nouvelles réglementations visant à encadrer les essais cliniques en Inde – à la suite des nombreuses dérives du secteur – l’ont contrainte en décembre dernier à réduire la voilure. « La situation en Inde est compliquée en ce moment. Plusieurs de nos essais ont dû être gelés et il nous a fallu en réaliser d’autres à l’étranger afin de ne pas interrompre notre développement, reconnaît la patronne de Biocon. Une telle délocalisation en Europe et aux États-Unis majore de 10 à 20 fois les coûts de développement. » L’important, pour Kiran Mazumdar-Shaw, PDG de Biocon : « Que chaque citoyen indien puisse se soigner. » © BIOCON Alors, que faire"? « Se battre et continuer », insiste Kiran. Ce qu’elle a fait depuis la création de son groupe, en 1978. Major de sa promotion en biologie, cette descendante de brahmane, qui s’imaginait médecin, va vite déchanter : l’université ne veut pas d’elle. Elle envisage alors d’être brasseur, comme son père. Mais cette fois, c’est le milieu macho de la profession qui la rejette. Qu’à cela ne tienne, Kiran part en Écosse pour travailler dans le whisky. C’est là que la rattrape une entreprise irlandaise en quête d’un partenaire indien pour fabriquer des enzymes industriels à partir de pépins de papaye. L’aventure Biocon commence. La microsociété voit le jour dans un garage, avec une poignée de roupies en guise de capital de départ. Aujourd’hui, son groupe pèse plus de 250 millions de dollars de chiffre d’affaires, compte 5"000 employés et… plusieurs médicaments maison à son actif. « Les vingt premières années ont porté sur l’innovation des enzymes. Puis, début 2000, nous avons fait évoluer ce business vers les biopharmaceutiques », se remémore sa fondatrice. En 2004, Biocon lance une insuline jetable fabriquée selon un procédé original et bon marché. Deux ans plus tard, elle commercialise un traitement contre les cancers « de la tête et du cou ». Enfin l’été dernier, elle met sur le marché Alzumab, un traitement contre le psoriasis 50"% moins cher que les médicaments similaires. Une nouvelle victoire. « Le procédé de découverte qui a présidé à la naissance de ce médicament pourrait s’appliquer à un spectre plus large de maladies autoimmunes », estime la présidente. Selon elle, le marché des thérapies pour traiter le psoriasis, l’arthrite et les multiples scléroses représente « plus de 20 milliards de dollars ». Biocon est d’ailleurs actuellement à la recherche de partenaires pour développer la commercialisation de sa thérapie dans le monde entier. « Cette fois, assure-t-elle, pas de doute, nous avons un “blockbuster” entre nos mains#! » Q À SUIVRE Quand le marketing écolo éphémère vise… le long terme La start-up lyonnaise Biodegr’AD bouscule le marketing avec de la publicité écolo sur le sol, le clean tag (« tag propre ») et le clay tag (craie ou peinture biodégradable). PAR MAXIME HANSSEN, À LYON, ACTEURS DE L’ÉCONOMIE @HanssenMaxime La bonne idée : des marquages au sol vraiment écolos, car ils s’effacent d’eux-mêmes au bout d’une semaine environ. © ÉMERIC MOUILLOT B iodegr’AD veut lutter contre la pollution visuelle des panneaux publicitaires. La jeune start-up lyonnaise s’est donc spécialisée dans le marketing écologique par le clean tag et le clay tag, des procédés de marquage au sol réalisés à la craie ou par projection d’eau à travers un pochoir ou de la peinture biodégradable. À l’origine de cette aventure, trois jeunes étudiants passionnés de street art qui, s’inspirant d’un concept né aux États-Unis, décident de mettre en commun leurs compétences artistiques, entrepreneuriales et leur fibre écologique pour bousculer le monde de la communication. En créant un contraste entre la propreté et la saleté, les clean tags réalisés à des endroits stratégiques offrent de fait une visibilité moyenne de sept jours, puis s’estompent naturellement"! Émeric Mouillot, Guillaume Pâris de Bollardière et Tanguy Bard de Coutance ont aussi vite compris que, en quelques années, le clean tag s’est déjà imposé dans les grandes villes européennes. Les trois jeunes entrepreneurs ont donc investi 10"500 euros dans le capital de départ, financé par un prêt familial et un prêt à la création d’entreprise (PCE). Pour leur premier exercice, en 2013, ils ont réalisé un chiffre d’affaires de 110"000 euros, porté par une quarantaine de campagnes, pour une facturation moyenne de 2"700 euros. Ses premiers clients"? Kia, Vinci, SFR, Samsung, Nespresso, UGC, Casino, etc. LE VIDE JURIDIQUE FACILITE L’ESSOR DU CLEAN TAG Pour 2014, Biodegr’AD espère réaliser un CA cinq fois supérieur (500"000 euros), un objectif « optimiste mais réalisable », estime Guillaume. Profitant du dispositif Inovizi, piloté par Rhône Développement Initiative, mis en place par la région, Biodegr’AD a levé environ 50"000 euros (prêt d’honneur) et 50"000 euros (crédit-bail) auprès de la Société générale via le principe 1 euro public/1 euro privé. Un emprunt, à taux zéro, qu’ils devront commencer à rembourser dans six mois. Biodegr’AD accueillera bientôt deux nouveaux salariés (une chargée de projet, un commercial), en CDI, et envisage de porter son effectif à 15 personnes d’ici à la fin 2014. Car, aux yeux des fondateurs, l’emploi est essentiel pour la réalisation de leur business plan, afin d’occuper vite le terrain, prendre des parts de marché et être en mesure de régler le problème des concessions. Pour l’instant, la start-up profite d’un vide juridique qui lui permet de marquer les sols publics sans autorisation préalable. Déjà présente dans sept villes françaises (Paris, Lyon, Marseille, Bordeaux, Nantes, Lille et Metz), l’entreprise souhaite mettre des équipes en place à l’échelle nationale, ce qui lui permettrait de proposer aux annonceurs des campagnes de communication d’envergure et simultanées. Q I 11 LA TRIBUNE - VENDREDI 11 AVRIL 2014 - NO 86- WWW.LATRIBUNE.FR Accélérateur de start-up : un coup de jeune pour Orange INVENTER L’opérateur historique a récemment dévoilé sa sélection des sept start-up françaises qui intégreront son Orange Fab. Une initiative déclinée en Espagne, en Pologne et en Israël, qui illustre l’ouverture de l’entreprise à l’innovation afin de s’adapter à l’ère Internet. C ’ est le PDG d’Orange qui a présenté en personne les sept start-up françaises @DelphineCuny sélectionnées par son programme d’accélérateur Orange Fab. « Une initiative symbolique, illustrant ce que je souhaite faire au cours de mon nouveau mandat, a expliqué Stéphane Richard, qui venait d’être reconduit dans ses fonctions. Ce programme n’est cependant qu’un élément d’un dispositif d’open innovation : c’est une des grandes priorités de notre stratégie consistant à devenir l’opérateur télécoms le plus avancé à l’ère Internet. » L’accélérateur Orange Fab a été lancé en 2013 dans la Silicon Valley : six start-up américaines avaient d’ailleurs présenté leurs innovations lors du show Hello, organisé par l’opérateur en novembre dernier. Le programme, lancé en février à Paris, dure trois mois pendant lesquels les startup sélectionnées bénéficient d’un soutien financier ( jusqu’à 15"000 euros en obligations convertibles), d’un accompagnement matériel (ressources informatiques à disposition), d’un parrainage d’experts spécialisés chez l’opérateur et d’un accès facilité à ses 240 millions de C’est la durée pendant laquelle clients dans le les start-up sélectionnées monde. Orange Fab bénéficieront d’un soutien financier, sera lancé bientôt en d’un accompagnement matériel Pologne et en et d’un parrainage d’experts. Espagne, et probablement en Israël, peut-être en collaboration avec Deutsche Telekom. Ce programme permet d’organiser « la rencontre entre ces innovateurs et les grands groupes comme nous, en respectant leur liberté et leur besoin d’oxygène. Orange doit devenir une entreprise plus ouverte, vers les jeunes et l’innovation », a insisté Stéphane Richard. La première start-up présentée, Afrimarket, vient concurrencer Western Union en proposant « la première solution de transfert d’argent en cash-to-goods » pour les diasporas africaines, qui leur permet de s’assurer de l’utilisation des fonds envoyés. Ceux-ci sont convertis en crédits sur téléphone mobile, utilisables par exemple dans des pharmacies, des supérettes, etc. La start-up a déjà levé 1,5 million d’euros l’an dernier auprès de divers business angels, dont… Xavier Niel (Free), via son fonds Kima Ventures, et Jacques-Antoine Granjon (Vente-privée). Lancé dans 15 villes de Côte d’Ivoire, du Bénin et du Sénégal, Afrimarket compterait quelques milliers de clients récurrents, selon sa présidente et cofondatrice, Rania Belkahia. Le marché visé est important : 60 milliards de dollars seraient envoyés par les diasporas africaines à leurs proches chaque année. Autre start-up dans le paiement « sans cash », MyBee a conçu une sorte de portemonnaie électronique pour l’événementiel, servant à régler des consommations dans des festivals, soirées, tournois, etc., sous la PAR DELPHINE CUNY 3 mois forme d’une carte ou d’un bracelet, et bientôt d’un téléphone, équipés de la technologie sans contact NFC, un des axes de développement d’Orange. Les supports sont réutilisables et peuvent être personnalisés aux couleurs d’un sponsor. Plus de sécurité et de rapidité au bar, et une mine d’or de données de consommation collectées. « Orange Fab, ce n’est pas un accélérateur, c’est un propulseur photonique"! » se sont enthousiasmés les cofondateurs de MyBee, JeanRémi Kouchakji et Bertrand Sylvestre, qui ont bénéficié de l’aide d’OBS, la filiale entreprises d’Orange, pour rencontrer de grands comptes intéressés. DU MEETIC POUR ANIMAUX À LA RÉÉDUCATION PAR LE JEU Les Bordelais de l’agence Web Octopepper, finalistes du prix La Tribune du jeune entrepreneur en Aquitaine, ont présenté leur réseau social pour animaux de compagnie Yummypets, qui aurait 200"000 membres actifs. La start-up a déjà levé 1,5 million d’euros auprès de Newfund en 2012 et voudrait récolter de l’ordre de 1 million d’euros de plus pour lancer en Allemagne et au Royaume-Uni son site à la Facebook. Quand son concurrent américain Pet360 joue la carte de l’e-commerce et du portail d’info, Yummypets mise sur la dimension communautaire, au point de se présenter comme « le Meetic des animaux » : « On a validé l’idée que l’animal est un prétexte à la rencontre, notamment entre seniors », fait valoir Matthieu Glayrouse, cofondateur et gérant associé. L’équipe a pu « pitcher » devant Iris Capital, qui gère un fonds créé par Orange et Publicis. Si son modèle est fondé sur la publicité et l’affiliation (avec un comparateur de prix), Yummypets travaille aussi sur un prototype de collier connecté pour ne pas perdre son animal et suivre son activité. « L’impression de photos devrait être gratuite », considèrent quant à eux les fondateurs de VivaPics, qui espèrent développer un modèle de financement de l’impression et de l’expédition par la publicité. Faute d’annonceurs en assez grand nombre, leur application mobile propose pour l’instant l’envoi de seulement trois photos gratuites, issues de son smartphone, de Facebook ou d’Instagram, imprimées sur papier Kodak, avec au choix un logo de marque au bas du cliché, sur la marge, ou une photo publicitaire. La start-up, qui a levé 80"000 euros, en cherche 500"000 de plus, alors que son concurrent américain, qui l’aurait copiée, Flag, vient d’empocher 170"000 dollars sur la plateforme de financement participatif Kickstarter. VivaPics revendique 50"000 photos envoyées mais doit évangéliser les annonceurs sur ce nouveau support publicitaire tout en grossissant sa base d’utilisateurs… Les Montpelliérains de NaturalPad ont, eux, développé un « jeu sérieux » de rééducation fonctionnelle et posturale, Hammer and Planks, en collaboration avec un ergothérapeute, au départ pour des patients Reconduit à la tête d’Orange, Stéphane Richard veut faire de son programme d’accélérateur de start-up une initiative symbolique de son nouveau mandat. © STÉPHANE FOULON POUR ORANGE hémiplégiques. En bêta test, le jeu, qui consiste à contrôler les mouvements d’un bateau de pirates, peut se jouer avec la Kinect de Microsoft ou la Wii Board de Nintendo, avec une manette Xbox, un PC ou une tablette. La version prête pour la commercialisation est prévue en septembre. Visant le marché à la mode de la silver économie, NaturalPad espère recruter des utilisateurs via les kinés, qui constituent le maillon avant le retour à domicile des patients, et cherche des business angels. OPEN INNOVATION ET BIG DATA DANS LA LIGNE DE MIRE Sérieux aussi, le projet des Toulousains de Pixience, qui ont conçu un « dermoscope numérique », C-Cube, un appareil de la taille d’un sèche-cheveux qui prend des photos zoomées de haute qualité selon une technologie en cours de brevetage : le but est d’effectuer à distance un diagnostic de mélanome, la photo étant prise par exemple par un généraliste, voire une infirmière en maison de retraite. Sur les conseils des experts de la branche santé d’Orange, la start-up a complètement redéfini son modèle économique. Jean-Michel Durocher, fondateur de l’éditeur de logiciel de géolocalisation Webraska, revendu à Sanef en 2007, a présenté TimeTonic, une solution de communication pour les professionnels « pour rester organisé et connecté avec son équipe. C’est un organizer personnel, un coffre-fort numérique doublé d’un espace collaboratif, dans notre cloud sécurisé », a-t-il expliqué. Le logiciel, qui s’utilise sur smartphone et PC, permet de créer des « carnets » privés thématiques qui apparaissent en page d’accueil sous la forme d’une sorte de tableau de bord en vignettes colorées (tâches, notes de frais à enregistrer, etc.), et des espaces de travail partagés sur invitation, avec de la messagerie instantanée ou par e-mail. Présenté comme « un mélange d’Evernote, WhatsApp, MS Project, Excel et Pinterest », TimeTonic vise le marché des professionnels, autoentrepreneurs et TPE. Visiblement enthousiaste devant ces projets, Stéphane Richard a voulu en tirer un message positif : « La France est très en pointe dans ces domaines. Nous avons des créateurs, des innovateurs, une agilité, un appétit et une énergie très impressionnants si on les compare à l’Allemagne ou à l’Europe du Sud. Notre pays a une carte extraordinaire à jouer dans cette révolution numérique. » Orange devrait renforcer ses actions et annoncer de « nouveaux outils » dans l’accompagnement des start-up : l’open innovation et les big data devraient se trouver au cœur du futur plan stratégique que le PDG dévoilera en mai prochain. Q 12 I ENTREPRISES LA TRIBUNE - VENDREDI 11 AVRIL 2014 - NO 86 - WWW.LATRIBUNE.FR INVENTER 24 heures avec un patron de pôle de compétitivité Un pied dans le privé, l’autre dans le public, c’est la vie des patrons de pôles de compétitivité qui doivent faire passer idées et innovations d’un monde à l’autre. Une journée dans la vie numérique de Stéphane Distinguin, président fondateur de Fabernovel et président de Cap Digital. ³ 8 heures. Paris, place de la Bastille. Le Café Français, décoré par le fameux architecte d’intérieur India Mahdavi, lieu chic programmé pour être bientôt très branché. Sur un coin du bar, les équipes de Fabernovel font tourner une imprimante 3D MakerBot Replicator, déposent des Google Glass sur les canapés, testent le prototype des lunettes d’immersion d’Oculus Rift et regrettent que les thermostats Nest soient restés coincés à Roissy par un douanier tatillon. L’univers est geek, mais on est là pour comprendre. Stéphane Distinguin, le patron fondateur de l’une des belles réussites françaises du conseil en innovation et en design d’entreprise, reçoit ce matin des clients, actuels ou potentiels, de Fabernovel. Il est calme, chaleureux, attentif, ponctuel. Pendant deux heures il va orchestrer une série de présentations. Il parle peu, pas de show à l’américaine, les gens sont là pour réfléchir et les intervenants pour « Être entrepreneur c’est faire violence à son impatience. La seule séparer le pertinent chose que les entrepreneurs ont du nouveau. Il a en commun, c’est leur impatience. » l’élégance de ne rien imposer. L’exposé sur le bitcoin de Cyril Vart, le responsable stratégie de Fabernovel, est clair, précis, philosophique, technique, critique… ça vole haut. Fabernovel se garde d’avis « éthique », ne tombe pas dans les polémiques sur le bien ou le mal, mais parle des usages et cherche à savoir si telle ou telle innovation est « plutôt utile » ou « plutôt pas utile ». Le credo Fabernovel : personne « ne peut rien contre l’usage ». On décortique le modèle business d’Uber et de quelques PAR JEAN-PIERRE GONGUET très petit milieu qui a acquis une influence énorme à cause de son immense aptitude à la discussion. Ces gens ont une capacité fabuleuse à construire des choses. Avec une nuance, je crois : être parisien, être français nous invite à avoir une approche un peu particulière, plus élégante, peut-être plus esthétique. » ³ 12 heures. Déjeuner de travail Selon Stéphane Distinguin, « le numérique, le “small is beautiful”, l’approche par les écosystèmes d’innovation, ce sont les meilleurs outils pour inverser la courbe du chômage ». 10 h 15 C’est au Café Français, haut lieu geek parisien, que Stéphane Distinguin, patron fondateur de Fabernovel, reçoit volontiers clients et prospects. © BRUNO LEVY © BRUNO LEVY entreprises de l’everything on demand, on explique les ratages des copieurs et de tous les « Uberlike » de la planète. C’est vif, jamais pédant, c’est pro, et le client en sort un peu plus intelligent qu’il n’y est entré. Toutes les sociétés de conseil ne rendent pas forcément le même service. D’ailleurs évoquant le philosophe Bernard Stiegler, qui réfléchit sur le digital, Stéphane Distinguin laissera échapper : « Stiegler, c’est comme un ostéopathe, on ne comprend pas forcément ce qu’il dit ni ce qu’il fait, mais ça fait vraiment du bien"! » ³ 10 h 15. Dans ses locaux, derrière la place de la République, Stéphane Distinguin suit le travail de la ruche Fabernovel. Toujours calme, car il a beaucoup pris sur lui. « Être entrepreneur c’est faire violence à son impatience. La seule chose que les entrepreneurs ont en commun, c’est leur impatience. Moi, cela m’a fait un bien énorme d’extérioriser, de m’impliquer dans la vie de la cité. » Il a en effet toujours eu un pied dans le privé et l’autre dans le public, une manière de mieux respirer professionnellement. D’un côté, le privé : Fabernovel a grandi, ouvert des filiales à San Francisco, New York ou Moscou, et se retrouve en concurrence avec les grands du secteur, les McKinsey et autres. C’est dur. Mais Fabernovel, avec les cent personnes qui y travaillent, continue sa jolie croissance. De l’autre côté, le public : Stéphane Distinguin a toujours travaillé collectif. Président de Silicon Sentier pendant sept ans, il a été l’un des précurseurs de la mise en place de cet écosystème pour start-up et a adoré « l’ambiance MJC du Camping ». « C’est un monde qui débat, papote et discute énormément. C’est très symptomatique de ce détendu chez Yamamoto, excellent quoique très petit restaurant japonais derrière la Bibliothèque nationale. Le patron d’un pôle de compétitivité se doit d’aller glaner des idées chez les plus performants du privé. Il déjeune avec Xavier Lazarus, autre quadra, dont l’étonnante particularité est d’être le seul patron d’un fonds d’investissement dans les start-up qui puisse suivre et comprendre les cours de n’importe quel titulaire de médaille Fields et y prendre un intense plaisir. Il est normalien, agrégé de mathématiques, et l’un des rares docteurs français en arithmétique. Reconverti dans le capital-risque en fondant Elaia Partners en 2000, il est sympathique, curieux, (très) brillant et terriblement rationnel surtout lorsqu’il discute business et stratégie. Au menu, un projet encore secret lancé par Cap Digital, Fast Track. L’idée : accompagner les entreprises sortant de l’adolescence qui n’ont pas les compétences internes pour passer à l’âge adulte. Xavier Lazarus les connaît toutes : « Elles sont dans des parcours du combattant. Si elles ont fait fonctionnaire deuxième langue, elles s’en tirent. Mais elles sont trop souvent larguées et rêvent rapidement de quitter la France pour un pays où l’État les laisse vivre. L’État français est très gentil avec les petites entreprises, mais il est féroce dès qu’elles grossissent et les traite toutes comme Total ou Bouygues. » Or ces entreprises en hypercroissance (Criteo, qui a explosé en deux ou trois ans, en est le parfait exemple) n’ont pas eu le temps de se doter des structures financières, juridiques, comptables ou RH des grandes entreprises. Elles sont perdues et Bercy les prend pour des adultes alors qu’elles ont encore de l’acné juvénile. « Les Américains ont eux parfaitement compris, confirme Xavier Lazarus. Pour eux, la valeur créée à terme est toujours plus importante que l’immédiate récupération fiscale. Donc ils arrangent tous les coups. Je ne pense pas qu’il faille du dérogatoire en France, mais l’accompagnement de ces croissances rapides est essentiel si on ne veut pas les perdre. » ³ 15 heures. Stéphane Distinguin prend le métro, direction la Défense, un client l’attend, mais à 18 heures il est à Cap Digital en réunion avec les viceprésidents du pôle. Philippe Herbert, du fonds d’investissement Banexi, est en I 13 LA TRIBUNE - VENDREDI 11 AVRIL 2014 - NO 86 - WWW.LATRIBUNE.FR Dans les locaux de Fabernovel, Stéphane Distinguin et l’une de ses collaboratrices, Sarah Nokry, chargée de projet. © BRUNO LEVY charge de Fast Track et évoque le travail en cours avec la BPI sur la mise en place de ce guichet unique pour entreprises en hypercroissance. Distinguin l’appuie : « Cap Digital est pionnier. Et honnêtement, c’est une petite révolution. Si notre idée est retenue, cela veut dire que le discours de Bercy ou de la BPI va changer. Ils vont désormais dire à ces entreprises : “Nous allons courir avec vous plutôt que de vous courir après. Dites-nous ce dont vous avez besoin, nous nous en occupons. Il ne faut surtout pas que vous vous arrêtiez tous les 30 mètres pour vous ravitailler dans votre course. Allez-y, on vous suit…” » Un patron de pôle de compétitivité est un passeur. Il doit savoir transmettre la bonne idée du privé dans la sphère du public, faire bouger le public à la vitesse du privé tout en faisant admettre au privé que le public souhaite vraiment créer l’écosystème dont il rêve. Joli challenge pour un pôle de compétitivité qui a pour ambition de faire de Paris la deuxième place internationale du numérique après la Silicon Valley. Une réunion des VP de Cap Digital a d’ailleurs un petit côté start-up. La parole y est libre, beaucoup plus libre en tout cas que dans les entreprises d’où viennent ces mêmes VP. On y analyse l’évolution du pôle, on s’aperçoit que certaines entreprises ne font plus rien dans les instances dirigeantes et qu’il faudrait en faire monter d’autres. Stéphane Distinguin glisse qu’il demandera un deuxième mandat, mais « certainement pas de troisième ». ³ 18 h 50. Benoît Thieulin, de la Netscouade, passe dans le couloir. On l’arrête pour papoter cinq minutes, puis retour à la réunion ou on se loue de l’adhésion de GDF Suez – « ils sont venus à 40 pour qu’on leur explique Cap Digital, et ils étaient parfaitement contents… » – et du retour de Casino via Cdiscount. Cap Digital innove et grandit, le privé y est de plus en plus présent, les financements publics diminuent, ça marche et ça ne se sait pas. « On pourrait peut-être peaufiner notre discours et faire une conférence de presse pour expliquer comment on a évolué », suggère le président Distinguin. Il réfléchit, regarde la jeune femme qui s’occupe de Futur en Seine, la manifestation la plus emblématique de Cap Digital, et suggère : « Et si on lançait un concours avec les start-up et qu’on fasse gagner des petits déjeuners avec Stéphane Richard ou Gérard Mestrallet"? » ³ 19 h 15. C’est le moment de la réunion où se pose la récurrente et passionnante question : « Mais au fait, qui fait quoi dans le numérique public"? » On essaie de faire le point sur l’évolution des priorités du conseil régional dont dépend Cap Digital"; on se penche sur les très administratives demandes du minis- Avec ses 40 ans, Stéphane Distinguin était le plus vieux de Fabernovel, le matin, à la réunion du Café Français ; mais le plus jeune de l’assemblée, le soir, à la réunion des vice-présidents de Cap Digital (ci-contre). tère du Redressement productif pour la nomination des responsables de ses 34 plans (le dictionnaire français-fonction publique ne suffit plus là pour comprendre les subtiles nuances entre les « plans », les « filières » ou les « priorités » annoncés dans le plus parfait désordre par Bercy)"; on se félicite de la French Tech de Fleur Pellerin, mais on est troublé par quelques plans nationaux divers et mal identifiés sur le numérique. Bref, les « professionnels de la profession » ont du mal à suivre… © BRUNO LEVY ³ 20 heures. Depuis le matin, Stéphane Distinguin est passé plusieurs fois du monde du privé à celui du public. Il n’est pas tout à fait le même dans les deux mondes : avec ses 40 ans, il était le plus vieux de Fabernovel le matin au Café Français, mais le plus jeune le soir à la réunion de Cap Digital. « Chez Fabernovel, nous, les jeunes, nous sommes écoutés car nous sommes légitimes sur nos sujets, explique Karla Macedo, qui a passé deux ans dans la filiale de San Francisco. Si nous avons une bonne intuition, Stéphane nous laisse la bride sur le cou. Il est terriblement exigeant sur les résultats, mais il nous laisse faire. » À Cap Digital c’est plus lourd : il y a encore des industriels qui se méfient du pôle, des grands du secteur qui pourraient s’impliquer plus, des idées qui n’aboutissent pas, mais, comme le dit Xavier Lazarus : « Nous regardons tous les projets labellisés par Cap Digital car on sait que ce ne seront pas forcément des météores. » En quelques petites années, la labellisation Cap Digital est devenue importante pour les investisseurs. La grande entente privé-public a quand même un petit bout de chemin devant elle. En fin de matinée, Stéphane Distinguin avait par exemple appris qu’il accompagnait François Hollande à San Francisco dans sa découverte du monde merveilleux du numérique. Il en reviendra très heureux, avec l’idée que la France peut devenir une « start-up Republic ». « Le numérique, le “small is beautiful”, l’approche par les écosystèmes d’innovation, ce sont les meilleurs outils pour inverser la courbe du chômage, explique-t-il. J’ai discuté avec Sheryl Sandberg [Facebook] ou Jack Dorsey [Twitter] et j’ai vu que l’écart se réduit entre nos deux pays. » Il a échangé quelques mots (deux fois"!) avec Barack Obama"! Mais s’il adore San Francisco, il préfère Paris où, il en est persuadé, « the future is already here… » Q PLUS D’INFORMATIONS SUR LATRIBUNE.FR LA TRANSFORMATION NUMÉRIQUE EN MARCHE C ap Digital a été créé en 2006 et ne cesse de grossir depuis. Aujourd’hui le pôle compte 703 entreprises privées adhérentes et 90 publiques. Ce sont les grandes entreprises et les Epic qui, en pourcentage, ont les adhésions qui progressent le plus : « Il y a, je pense, pour elles, la prise en compte de leur part de la transformation numérique comme le souhait de trouver dans les PME ou les start-up autour de Cap Digital les compétences dont elles ont besoin, explique Patrick Cocquet, le délégué général. Sanofi, L’Oréal, Voyages SNCF ou GDF Suez, qui viennent d’adhérer, sont dans ce schéma-là. » On peut aussi noter dans ce sens-là que beaucoup d’investisseurs adhèrent car ils ont compris que Cap Digital savait identifier les sociétés à fort potentiel. « Je pense qu’on a actuellement une dizaine de sociétés en hypercroissance qui ont besoin de notre soutien, continue-t-il, et que chaque année on identifie au moins une vingtaine de sociétés à fort potentiel. » C’est d’ailleurs pour cela que Cap Digital a pour la première fois recensé les levées de fonds opérés par des adhérentes : 20 levées en 2013 pour un montant de 33,14 millions, c’est plutôt un joli résultat. Elles sont pour l’essentiel dans le BtoB, mais de nouvelles levées devraient apparaître dans les secteurs auxquels s’ouvre le pôle et sur lesquels des fonds d’investissement sont en train de se créer : l’e-santé et le bien-être (silver économie en tête), ou l’e-tourisme. La marque Cap Digital est en train de s’affirmer et, surtout, le pôle prend de plus en plus une orientation business. La nouvelle édition de Futur en Seine, la manifestation phare du pôle, quitte le 104, un peu trop décentré (et surtout sans trop de restaurants alentours pour les déjeuners d’affaires), pour s’implanter dans le cœur de Paris à Arts et Métiers, au Cnam et à la Gaîté lyrique (un dîner d’affaires dans le musée du Cnam, à côté du pendule de Foucault, cela peut être effectivement assez classe). C’est aussi pour attirer de plus en plus une clientèle internationale que Cap Digital, qui commence à avoir un nom, installe Futur en Seine dans le temple de l’innovation industrielle de Paris. Q Patrick Cocquet, délégué général de Cap Digital : « Chaque année on identifie au moins une vingtaine de sociétés à fort potentiel. » © BRUNO LEVY 14 I LE TOUR DU MONDE DE L’INNOVATION LA TRIBUNE - VENDREDI 11 AVRIL 2014 - NO 86 - WWW.LATRIBUNE.FR Du bracelet Madame Irma à la bouteille qui se mange Chaque semaine, La Tribune vous propose de partir à la découverte des petites et grandes innovations qui annoncent l’avenir. GRANDE-BRETAGNE – Londres Le chromosome artificiel de la levure La bouteille d’eau comestible Biologie. C’est une avancée majeure pour la science. Un groupe de chercheurs internationaux de l’université de New York a réussi à créer un chromosome artificiel de la levure. Le résultat de sept ans de recherche. Selon la revue Science, cette avancée ouvre la voie à la conception de nouveaux médicaments, de nutriments ou encore de biocarburants. « Notre recherche a fait passer la biologie synthétique de la théorie à la réalité », estime Jef Boeke, directeur de l’institut des systèmes génétiques au centre médical Langone de l’université de New York. Grâce à une technique de réassemblage du chromosome, ces scientifiques vont pouvoir manipuler le génome de la levure pour fabriquer des médicaments rares ou produire certains vaccins, dont celui contre l’hépatite B. Environnement. Et si nous arrêtions de jeter les bouteilles en plastique!? Trois étudiants londoniens en design industriel ont imaginé Ooho, une bouteille d’eau entièrement biodégradable et comestible, inspirée des techniques de la cuisine moléculaire. Une innovation rendue possible grâce au concept de la sphérification, popularisée par le chef espagnol Ferran Adrià. Cette technique consiste à donner à une préparation liquide une forme de sphère. L’eau est protégée par une paroi gélifiée obtenue grâce à l’utilisation d’alginate de sodium. Il suffit de la percer pour boire le liquide. La cafétéria pour imprimantes 3D BRÉSIL – Rio de Janeiro Le réseau social des consommateurs Conso. Difficile de trouver des avis éclairés et suffisamment nombreux sur des boutiques, des restaurants, des salles de concert… Pour ne pas avoir de mauvaise surprise en testant un nouvel endroit, les Brésiliens Roberto Riccio et João de Paula ont créé Glio. Ce réseau social disponible sur mobile permet à ses membres d’échanger leurs expériences d’utilisateurs. Tous les lieux de vie et de sortie peuvent être répertoriés : bars, cinémas, restaurants, boutiques, piscines… Lancé de manière confidentielle mi-2012, Glio connaît une croissance de 40!% par mois et atteint, en 2014, 100!000 utilisateurs. Si bien que les deux entrepreneurs ont reçu le soutien financier de 26 investisseurs pour développer Glio dans toute l’Amérique du Sud. © HEIKE SCHURICHT La voiture à trois roues écolo et économique ©ELIO MOTORS ESPAGNE – Barcelone 3D. Il fallait créer un endroit pour mettre des imprimantes 3D à la disposition du grand public. C’est chose faite à Barcelone, avec l’ouverture du premier FabCafé d’Europe. Cette formule, inventée par le japonais Loftwork, consiste à combiner laboratoire de création numérique et cafétéria. Les habitants de la cité catalane peuvent désormais imprimer des objets tout en dégustant des pâtisseries. Il s’agit du troisième FabCafé dans le monde, après celui de Tokyo et de Taipei. ÉTATS-UNIS – Phoenix Automobile. 93!% des Américains se rendent seuls au travail en voiture. Pourquoi, alors, utiliser des véhicules à quatre places!? Paul Elio, le fondateur d’Elio Motors, a créé une auto au design futuriste. À mi-chemin entre la moto et la voiture, Elio a trois roues, elle dispose de tous les équipements nécessaires : deux sièges, radio, airbags… Commercialisée 6!800 dollars (près de 5!000 euros), cette voiture serait capable de parcourir plus de 1!000 km avec un seul plein d’essence. Soit l’équivalent d’un trajet de Paris à Barcelone… L’objectif : limiter les dépenses et les émissions de C02!. Reste à convaincre les Américains d’abandonner leurs légendaires grosses voitures polluantes… © OOHO ÉTATS-UNIS – New York PLUS D'ACTUALITÉS ET D'INFOGRAPHIES SUR LATRIBUNE.fr II 15 ÉNERGIE… TRANSPORTS DU FUTUR… INTERNET… BIOTECH… LA TRIBUNE - VENDREDI 11 AVRIL 2014 - NO 86 - WWW.LATRIBUNE.FR SUISSE – Berne La pile rechargeable à l’eau en cinq minutes ISRAËL – Tel-Aviv Énergie. Écologiques, économiques et pratiques, les piles AquaCell pourraient rapidement se tailler une place au soleil. Inventées par le Néerlandais Niels Bakker, elles se rechargent à l’eau par électrolyse. Il suffit de dévisser l’embout en plastique de maïs, de plonger la pile dans l’eau et de la laisser stimuler les ions négatifs et positifs qui sont à l’intérieur sous forme de poudres organiques non toxiques. La pile est chargée après cinq minutes environ. Utilisée tous les jours, dans une télécommande, par exemple, une pile dure deux ans, assure son concepteur. Disponible depuis mi-janvier en Suisse, l’AquaCell sera commercialisée en France dans le courant de l’année au prix de 5 euros le pack de quatre. Future Control, le bracelet connecté qui prédit l’avenir sociaux, etc.) : « Prends tes affaires d’entraînement, tu auras sans doute envie de jouer au basket aujourd’hui », « Ta petite amie risque d’être triste, passe lui chercher des fleurs ». Future Control donne ainsi un aperçu de ce que pourrait devenir Google Now. L’assistant personnel intelligent développé par la firme de Mountain View proposera lui aussi une série de recommandations aux mobinautes en s’appuyant sur toutes les données issues de leurs activités. © AQUACELL © CAPTURE D’ÉCRAN VIMEO/DEZEEN I maginé par le designer israélien Dor Tal, le concept Future Control semble tout droit sorti d’un film de science-fiction. Le dispositif, qui repose sur un bracelet connecté et un miniprojecteur, entend tout simplement prédire l’avenir de ses utilisateurs. La vidéo de présentation met en scène un homme qui reçoit tout au long de la journée des informations situées à la frontière entre les suggestions et les prédictions, grâce aux informations récoltées à partir de ses données personnelles (e-mails, réseaux CORÉE DU SUD – Séoul Le patch intelligent pour maladies chroniques Santé. Ne vaudrait-il pas mieux recevoir exactement la dose de médicament dont on a besoin, au moment adéquat, plutôt que d’ingérer des pilules à heure fixe$? C’est l’idée du patch intelligent développé par une équipe de chercheurs sud-coréens de l’université nationale de Séoul. Composé de nanoparticules de silice, ce patch rectangulaire est capable de surveiller l’activité musculaire d’un patient et de lui délivrer la dose de médicaments nécessaire à un moment précis. Un dispositif particulièrement adapté pour aider les personnes souffrant de la maladie de Parkinson, ou encore de diabète. Il pourrait être commercialisé d’ici cinq ans. CHINE – Pékin L’encyclopédie collective du cloud Internet. Partout dans le monde, des internautes stockent des documents en accès libre dans le cloud. Mais il n’existe aucun moteur de recherche pour accéder à ces millions – bientôt milliards – de données. Un entrepreneur togolais, Tiyab Konlambigue, a eu l’idée de créer Cloud Kite, une plateforme accessible via Google pour explorer les ressources du cloud. Il suffit d’installer l’application pour accéder à une barre de recherche qui permet de trouver les documents en accès libre sur différents services (Google Drive, Dropbox, OneDrive, Box, Evernote). Il est aussi possible d’ajouter le document à son propre Google Drive et de contacter le propriétaire. Enfin, l’auteur peut favoriser la visibilité de son document en y associant des mots-clés. Téléphonie. Si les smartphones ne cessent de gagner du terrain sur les téléphones portables classiques, leur prix élevé en fait un produit non accessible aux classes sociales les moins aisées. Xiaomi (« petit riz », en mandarin) a décidé de changer de modèle économique pour conquérir l’immense classe moyenne chinoise. Son credo : des smartphones aussi performants que ceux d’Apple et de Samsung, mais à des prix nettement inférieurs. Pour y parvenir, Xiaomi annonce ne tirer que 10$% de marge nette de profit pour chaque téléphone vendu, loin des marges de ses concurrents. La stratégie est payante. Deux ans et demi seulement après son lancement, la start-up a vendu 18,5 millions de smartphones. ©XIAOMI TOGO – Lomé Le pari réussi du smartphone à petit prix SÉLECTION RÉALISÉE PAR SYLVAIN ROLLAND @SylvRolland 16 I ENTREPRISES LA TRIBUNE - VENDREDI 11 AVRIL 2014 - NO 86 - WWW.LATRIBUNE.FR INVENTER Epsilon 3D aborde le monde réel du nautisme D’abord positionnée sur l’immobilier puis diversifiée dans le BTP, la PME spécialisée dans l’expertise conseil en média 3D mise sur un nouvel axe fort : l’ingénierie navale. PAR PASCALE PAOLILEBAILLY, À RENNES @pplmedia35 F orte d’une première diversification dans l’ingénierie industrielle il y a quatre ans, la PME rennaise Epsilon 3D s’ouvre au secteur nautique. Jusqu’alors spécialisée dans la modélisation 3D de projets immobiliers et industriels, l’entreprise a entamé une collaboration avec les chantiers JFA Yachts à Concarneau et avec l’agence Dixon Yachts Architecture pour réaliser un film d’animation présentant un projet de motor yacht de 164 pieds. Epsilon 3D a aussi produit les illustrations 3D du projet BFM 44 des chan- tiers Piriou, portant sur un navire d’intervention et de formation pour l’armée. Fin 2012, le secteur nautique représentait 10#% de l’activité de la société, il comptera pour 20#% à 22#% à la fin de cette année, et pour 40#% en 2016. Ces prévisions s’inscrivent dans la montée en puissance globale d’Epsilon 3D qui, dix ans après sa création, affiche une croissance annuelle de 10 à 15#%. La société prévoit une hausse de 40#% de son chiffre d’affaires d’ici à 2016 (1 M€ en 2013 pour 300 projets) et envisage sept embauches supplémentaires. « L’activité bateaux de travail – chalutiers, thoniers ou remorqueurs – est aussi partie prenante de cette diversification qui doit nous permettre d’aborder le marché international, notamment l’Europe et l’Asie, assure JeanCharles Bigot, fondateur et gérant de l’entreprise. Pour passer leader en 2017 dans ce domaine en tant que prestataire français, nous devons prouver notre savoir-faire. » Epsilon 3D, qui prévoit l’entrée au capital d’un investisseur d’ici à 2015, assoit cette nouvelle activité sur ce qui fait sa spécificité : vendre une solution technique en © DR ÉVOLUER Cemi ou la nouvelle vie du casque Avec son porte-casque séchant, désodorisant et parfumant, cette PME a remporté la médaille d’or du Salon international des inventions de Genève et trouvé sa voie pour sortir de la crise. @FrdericThual UN FILM D’ANIMATION POUR UN CONTRAT À 140 M¤ La modélisation en 3D, en film d’animation ou sur support web des plans architecturaux des projets immobiliers, demeure cependant le cœur de métier de la PME. Ses contrats avec Bouygues Immobilier (Ouest et Sud-Ouest), avec des promoteurs locaux et des collectivités représentent 60#% de l’activité. Sa solution, Managimmo.fr, un applicatif dédié à l’achat immobilier, est intégrée à 70 minisites de promoteurs. Depuis 2010, Epsilon 3D s’adresse aussi aux grands comptes du BTP. La signature en début d’année d’un contrat-cadre avec la Sicra, une des filiales franciliennes de Vinci Construction, lui assure même la montée en puissance de son activité d’ingénierie industrielle. La société travaille sur cinq dossiers du groupe, dont l’appel d’offres, toujours en cours, lié aux travaux de rénovation du Théâtre de Chaillot. En 2012, son film d’animation présentant le projet de réhabilitation du Ritz avait aussi permis à Bouygues Bâtiment Île-de-France de remporter ce contrat de 140 M€ signé par Mohamed al-Fayed, le célèbre homme d’affaires britannique. Q Le BFM 44, navire d’intervention pour l’armée, a été construit par la société Piriou avec l’aide des modélisations d’Epsilon 3D. PAR FRÉDÉRIC THUAL, À NANTES mettant en avant une prestation de service. « L’innovation 3D est quelque chose d’usuel, nous privilégions donc le conseil aux clients. Epsilon 3D est partie intégrante de chaque projet et fabrique, avec ses clients, la solution adaptée au besoin », ajoute JeanCharles Bigot. Outre son studio 3D, la société emploie la moitié de ses effectifs, soit 7 personnes sur 15, dans son pôle conseil et commercial. « A vant, on était transparents. Aujourd’hui, les journalistes m’appellent. Les salariés sont fiers de leur entreprise. Le regard des gens a changé… Je me suis trouvé des vocations », raconte Thierry Bonneau, 50 ans, patron de la société Cemi (12 personnes), spécialisée dans l’injection thermoplastique, à La Montagne, dans la région nantaise. Durant vingt-neuf ans, il a fourni les secteurs de l’automobile, du jouet, de l’éclairage, de l’électricité… « Tous les ans, on nous demandait de baisser les prix de 5"%, 10"%… », soupire-t-il, à l’instar de la plupart des sous-traitants. Avec la crise de 2009, le chiffre d’affaires plonge de 40#%. Intenable. Jusqu’à ce que ses enfants, de retour d’un stage de scooter, laissent traîner leurs casques trempés au milieu du salon. « Je me suis renseigné autour de moi. Rien n’existait. » L’idée du ZEF, porte- casque séchant, désodorisant et parfumant, est partie de là. Ce sera le point de départ d’une nouvelle vie pour cette modeste PME jusque-là brinquebalée au gré des aléas de la sous-traitance. La trouvaille de Thierry Bonneau rencontre son public. « Ça concerne la moto, le vélo, l’équitation… et, cette année, nous allons cibler les stations de ski à l’international », explique-t-il. APRÈS LE PORTE-CASQUE, LA LAMPE À LED INTELLIGENTE Présenté, en 2013, au Salon international des inventions de Genève, le ZEF reçoit la médaille d’or et le diplôme du salon dans le domaine sport et loisirs. Les distributeurs (Cdiscount, Tecnoglobe, Dafy moto, etc.) le référencent. « Depuis, on en vend 3"800 par mois », indique le patron de Cemi, qui estime le potentiel à 10#000 unités par mois. Le virage n’a cependant pas été facile à prendre. « Nous avons vécu quatre mois sans ressources, se souvient-il. Pour la R&D et pour créer un stock, il a fallu trouver des financements. » La région des Pays de la Loire, Bpifrance et la CCI le soutiennent. Il bénéficie d’aides remboursables (125#000 euros) et intègre plusieurs dispositifs d’accompagnement (Déclic, Dinamic Entreprises, Atlantique Initiatives Développement…) pour structurer, valider et professionnaliser la démarche. « Sans eux, nous n’y serions pas arrivés », reconnaît le dirigeant. « Nous avons investi 300"000 euros dans un logiciel de modélisation 3D et dans un centre d’usinage de moules, maintenu l’emploi de douze salariés, créé deux emplois directs pour le développement de produits et du réseau commercial. Et nous faisons travailler une dizaine de per- sonnes chez les distributeurs et sous-traitants. » Depuis, Cemi multiplie les inventions. La dernière en date s’appelle Proled : une lampe à LED intelligente et orientable dont l’intensité varie en fonction de la luminosité, capable de détecter une présence et donc d’économiser l’énergie, connectable à un ordinateur ou à un smartphone. Pensée pour l’univers avicole, elle est déclinée pour une utilisation de bureau. L’orientation vers les produits propres génère aujourd’hui 30#% de l’activité de Cemi et devrait atteindre 50#% en fin d’année. Du coup, l’entreprise vient de lancer son propre site d’e-commerce, baptisé Lanouveauté.fr, et cherche à financer le développement d’un vélo pliable, compact, tout en plastique. Inédit. À l’équilibre en 2013, le CA devrait atteindre 1,40 M€ en 2014 et permettre de dégager des profits, l’objectif étant d’atteindre 1,70 M€ en 2015 et 3 M€ en 2017. « Autrefois, il nous fallait un mois pour gagner 100"000 euros en trois-huit"; aujourd’hui, nous mettons une semaine », précise Thierry Bonneau, qui, grâce à Proled, vient de mettre un pied à l’export, sur les marchés avicoles marocains et algériens. Cerise sur le gâteau, de grands groupes industriels sollicitent la PME pour ses capacités d’innovation. Q I 17 LA TRIBUNE - VENDREDI 11 AVRIL 2014 - NO 86 - WWW.LATRIBUNE.FR En cas de surchauffe, les data centers tombent en panne. Outre son système de refroidissement novateur, le point fort du TLSoo bientôt en service à Toulouse sera sa capacité à continuer de fonctionner même en cas de panne. © MISCHA KEIJSER/ CULTURA CREATIVE/AFP Les data centers de FullSave relocalisent en France À SUIVRE Pour héberger les données numériques, les usines du futur fleurissent dans la « nouvelle France industrielle ». C’est notamment le cas à Toulouse, qui vient de se doter d’un centre de données TLSoo, moins énergivore, plus efficace et à l’abri des pannes de climatisation. C ’ est l’angoisse des chefs d’entreprise. À l’heure du tout numérique, une perte des données ou l’interruption d’un site Internet peuvent engendrer de graves consé@Hugodumez quences économiques. Pour se protéger, les entreprises hébergent leurs serveurs à l’intérieur de centres de données entièrement sécurisés. Sans pour autant être à l’abri de la panne ou de la congestion. Par exemple, relayé sur les réseaux sociaux le 9 mars dernier, l’hébergeur mondial Telehouse annonçait un problème de climatisation sur l’un de ses data centers parisiens, nœud important du Web français… Conséquence immédiate, l’augmentation de la température avait entraîné la coupure de plusieurs serveurs, gênant ainsi plusieurs opérateurs et acteurs importants du Net, avant le rétablissement du système de climatisation. Pour pallier tout risque de congestion, les data centers historiquement . C’est concentrés sur la durée de fonctionnement en autarcie la région paridu data center TLSoo, en cas de panne. sienne tissent Un argument fort pour les SSII. désormais progressivement leur toile sur l’ensemble du territoire. Tout en proposant des infrastructures de nouvelle génération qui innovent en matière de système de refroidissement ou de mesure de la consommation. « Avant d’être un élément clé de l’économie numérique, le data center est d’abord un outil industriel », insiste Laurent Bacca, PDG de l’entreprise toulousaine FullSave. Cet hébergeur vient de construire dans le nord-ouest de Toulouse un centre de données de nouvelle génération, d’une puis- PAR HUGUESOLIVIER DUMEZ, À TOULOUSE, OBJECTIF NEWS 72 heures sance de 2 mégawatts et d’une superficie de 1"600 m2. Un investissement de 5 millions d’euros, soit deux fois le chiffre d’affaires actuel de FullSave. « Nous pourrons ainsi héberger les serveurs d’entreprises régionales dont les données sont actuellement centralisées à Paris, voire à l’étranger, souligne l’entrepreneur. L’enjeu est d’abord de maîtriser les infrastructures pour que le trafic local s’échange au niveau local sans passer par le nœud parisien. » JUSQU’ALORS, TOULOUSE ÉTAIT SOUS-ÉQUIPÉ Dans sa dernière cartographie des data centers en France, le magazine spécialisé Global Security Mag comptabilisait ainsi plus d’une cinquantaine d’usines à données en Île-de-France contre uniquement trois à Toulouse. Le Sud-Ouest semble particulièrement à la traîne : à l’extrême opposé, la métropole lilloise comptabilise déjà plus d’une dizaine de centres. « Le maillage territorial des data centers est fondamental, non seulement pour conserver les données à proximité, mais surtout pour renforcer l’écosystème numérique au niveau local, insiste encore Laurent Bacca. On le voit avec le développement de la ville intelligente. Les collectivités locales ont besoin d’augmenter leur capacité de stockage des données afin d’optimiser l’éclairage public, les transports publics ou de proposer de nouveaux services aux administrés. » Encore faut-il offrir les meilleures conditions d’hébergement, et en particulier la garantie de résilience. C’est-à-dire la capacité d’une architecture réseau de continuer de fonctionner en cas de panne. Justement le point fort du nouveau centre de données toulousain, baptisé TLS00, construit dans le quartier des Minimes. Le choix du lieu est avant tout stratégique, puisqu’il est à proximité des voies de communication permettant de faire passer la fibre optique et à côté du point d’accès de l’électricité produite à la centrale nucléaire de Golfech. La peinture n’est pas encore sèche, les 260 baies, formes d’étagères à serveurs, ne sont pas encore déployées mais, déjà, Laurent Bacca loue les mérites de ce tout nouveau centre de données nouvelle génération. « Les data centers ont la réputation d’être énergivores, prévient-il. Et en cas de panne de climatisation, la température gagne au moins dix degrés par heure. Ici, c’est l’usine du futur. La chaleur produite par le data center va être isolée au sein d’un circuit fermé puis refroidie par l’intermédiaire de cinq échangeurs thermiques propageant de l’eau glacée. Par ailleurs, le data center est protégé par un système anti-incendie utilisant un brouillard d’eau, une technologie dont la maintenance est moins coûteuse que le gaz inerte utilisé d’habitude. » LE RAPATRIEMENT, UN BESOIN LÉGITIME DE SÉCURITÉ Autre approche innovante, les clients hébergés dans ce nouveau centre de données pourront mesurer en temps réel la consommation énergétique du serveur. L’objectif étant bien sûr de quantifier son empreinte carbone dans une démarche de certification environnementale. « Avec ce système de refroidissement, nous assurons une optimisation énergétique par rapport aux traditionnels moyens de climatisation, ajoute Laurent Bacca. Et cette économie est mesurée en temps réel afin d’offrir une meilleure visibilité à nos clients concernant l’empreinte carbone. C’est même l’une des principales innovations de ce data center nouvelle génération. » Lors de la visite de cet ancien entrepôt de radiateurs en fonte, entièrement réhabilité, pas question de noyer ses interlocuteurs dans le jargon du cloud computing. Laurent Bacca emploie des mots d’industriel : « Héberger des serveurs ou sécuriser les données numériques, c’est d’abord en réalité de l’infrastructure#! » Et de mettre l’accent sur la présence de quatre entrées d’adduction télécom, au lieu de deux en général, afin de permettre le raccordement à différents opérateurs. « Ce n’est pas anodin, explique Laurent Bacca. Dans les chantiers de BTP, il n’est pas rare de voir une tractopelle arracher des fibres et perturber momentanément le réseau d’un opérateur télécom. Quatre entrées d’adduction, cela permet d’assurer la pérennité du fonctionnement. » Autre facteur clé pour la résilience, le data center dispose de deux réseaux électriques, deux transformateurs et deux groupes électrogènes. De quoi se mettre à l’abri d’une panne et fonctionner en autarcie pendant plus de soixante-douze heures. Un ensemble d’arguments qui ont déjà séduit plusieurs dirigeants toulousains, à l’image de Patrick Dubois d’Enghien, PDG de la société de services informatiques Agiciel, qui développe des applications pour Danone ou Airbus Group. Le chef d’entreprise prévoit de transférer la totalité des données actuellement hébergées à Dallas vers ce nouveau centre de données TLS00. « Ce rapatriement est motivé par de nombreuses raisons, explique ainsi Patrick Dubois d’Enghien. La première est technique, car il est infiniment plus rapide de faire transiter des données de Toulouse à Toulouse sans devoir transiter par les États-Unis… Il y a ensuite un besoin légitime de sécurité, de proximité et de résilience : TLS00 utilise les dernières technologies et permet à Toulouse d’être ainsi à la pointe du progrès. » Q 18 I MÉTROPOLES LA TRIBUNE - VENDREDI 11 AVRIL 2014 - NO 86 - WWW.LATRIBUNE.FR FRANCE En soutenant les secteurs émergents et en favorisant le rayonnement de ses centres universitaires et de recherche, la capitale bretonne veut faire rimer économie avec innovation. Objectif : rendre le territoire plus compétitif, créateur d’emplois et plus ouvert sur le monde. L’agglomération rennaise veut changer d’ère Créée il y a trente ans, la technopole représente aujourd’hui 19"000 emplois privés. Membre des quatre pôles de compétitivité bretons dont Images & Réseaux et Valorial, c’est un des moteurs économiques de l’agglomération. Elle jouxte le nouvel institut de recherche technologique B-Com – spécialisé dans l’image, les réseaux fixes et mobiles ultra-haut débit et l’e-santé –, ainsi que la future pépinière dédiée aux technologies de l’information et de la communication. Cette dernière accueillera notamment le siège de Thomson Video Networks en 2015. Pour la croissance des entreprises, mais aussi dans les modes de consommation ou de transport, l’excellence numérique rennaise représente un important levier. S’appuyant sur un tissu d’entreprises dynamiques, la politique rennaise associe aussi les acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche. Le Biopôle, à Rennes, une pépinière qui accueille, à partir d’avril, une dizaine de jeunes entreprises spécialisées dans la santé, l’agroalimentaire et les matériaux de demain © PÉRIPHÉRIQUES ARCHITECTES PAR PASCALE PAOLILEBAILLY, À RENNES @pplmedia35 A « ujourd’hui, la bataille des territoires se joue sur un terrain mondial!; l’isolement, c’est la mort. Rennes s’est bien mis en mouvement. » Emmanuel Thaunier, président de la CCI de Rennes, ne se fait pas prier pour saluer la démarche proactive de l’agglomération rennaise en matière d’économie et de rayonnement territorial. Selon lui, la nouvelle stratégie de Rennes Métropole pour le développement économique, l’enseignement supérieur et la recherche est désormais sur les rails et sur une bonne voie. Adoptée au printemps 2013 et inscrite dans le cadre du projet de territoire de l’agglomération, elle accélère même la cadence des années précédentes en mettant l’accent sur la diversification de son tissu économique et l’internationalisation. Cette stratégie, qui avait trouvé un écho plutôt consensuel parmi les candidats aux récentes municipales, s’appuie sur une réalité : les piliers tels l’agroalimentaire et l’industrie automobile, sur lesquels Rennes Métropole a fondé son développement, ont été mis à mal par le contexte économique. Entre 2008 et 2009, le territoire a ainsi perdu 6"000 emplois industriels. Puis, la situation s’est de nouveau dégradée depuis 2011. Pourtant, selon l’Insee, le bassin rennais, qui compte 43 communes, reste le troisième territoire en matière de croissance de l’emploi en France. En dix ans, le nombre d’emplois a progressé de plus de 13"%, pour atteindre 231"000. Si l’agglomération rennaise, forte de 416"000 habitants et d’un solde de 1"000 entreprises créées par an, continue d’attirer et de se développer, elle doit toutefois tirer son activité économique vers le haut. NAISSANCE D’UN PÔLE DÉDIÉ AUX BIOTECHNOLOGIES Au-delà des grands chantiers publics (quartier de la gare EuroRennes, ligne à grande vitesse, seconde ligne de métro, centre de congrès), Rennes s’est mis en ordre de marche pour saisir tous les leviers de croissance dans son domaine de prédilection que sont l’informatique et les TIC, mais aussi dans de nouveaux secteurs susceptibles d’accompagner les restructurations des activités industrielles en croisant les filières. DE LA FOURCHE À LA FOURCHETTE A ller de la demande vers l’offre : c’est la démarche innovante adoptée par le Centre culinaire contemporain, ouvert il y a un an dans un bâtiment de 3 500 m2 sur la ZAC AtalanteChampeaux. Cette plateforme d’ingénierie culinaire est un lieu de recherche gastronomique pour les professionnels de la chaîne alimentaire, du producteur à l’industriel. Laboratoire « d’usages et de cocréation », il a pour objectif d’imaginer la cuisine de demain. Il est aussi accessible aux « consom’acteurs », via une école de cuisine Gault et Millau et un restaurant d’essai. Cette réalisation de 6 M€, soutenue à hauteur de 1,65 M€ par l’État et les collectivités territoriales, compte une centaine d’adhérents : marques, interprofessions, centres de recherche, organismes de formation… Q P.-P.L. Les écoactivités sont ainsi considérées comme un filon prometteur et de nature à faire évoluer la filière de l’automobile vers la mobilité décarbonée, et celle du bâtiment vers l’écoconstruction. « Tout en renforçant nos piliers, il faut soutenir les innovations, notamment dans les domaines des biotechnologies, du numérique, de l’e-santé, de la mobilité ou encore de la silver économie, qui marie domotique et bâtiment. Accompagner les entreprises dans leurs mutations, c’est déployer une logique d’usage en partant de la demande pour créer une nouvelle offre. Rennes a l’ambition d’attirer les entreprises au-delà de son territoire », ajoute Emmanuel Thaunier. Le dirigeant a d’ailleurs activement participé à l’élaboration de cette politique d’investissement dans l’emploi de demain aux côtés d’autres acteurs du territoire tels que les entreprises, la technopole Rennes Atalante, ou encore les établissements d’enseignement supérieur. Métropole éminemment universitaire dotée de plusieurs laboratoires de recherche fondamentale et forte de 63"000 étudiants, Rennes veut aujourd’hui aller un peu plus loin dans sa démarche business. Pour soutenir les biotechnologies, Rennes Métropole, avec l’aide de la région, du département et de l’État, achève la construction du Biopôle (9 millions d’euros de budget), une pépinière qui accueille, à partir d’avril, une dizaine de jeunes entreprises spécialisées dans la santé, l’agroalimentaire, les matériaux de demain. Situé dans un quartier voué à la recherche dans l’agrisanté et l’environnement, le Biopôle doit créer une synergie entre les start-up et les laboratoires. « L’objectif est de faire naître de nouveaux secteurs d’activité à l’image de ce que Rennes a effectué dans le domaine des nouvelles technologies avec Rennes Atalante », assurent les élus de la majorité municipale. 57 MILLIONS D’EUROS POUR LA RECHERCHE EN 2013 Pour rayonner à l’échelle internationale face à la concurrence, elle veut mettre en avant l’université et ses travaux en renforçant la qualité de la recherche, dans les secteurs émergents identifiés, par exemple, et par la notoriété des formations. « Un territoire qui veut faire de l’innovation un moteur de développement doit également offrir aux entreprises et aux établissements de recherche les conditions d’expérimentations auxquelles ils aspirent », assure la métropole. C’est dans cette optique qu’elle construit la Cité internationale (3,9 millions d’euros), qui accueillera en 2015 des chercheurs et doctorants étrangers venus collaborer avec les laboratoires locaux. Située sur l’esplanade Charles-de-Gaulle, elle sera aussi le siège de l’université européenne de Bretagne (UEB) et du centre de mobilité internationale. La recherche et l’enseignement supérieur font partie des postes prioritaires qui ont bénéficié l’an passé d’un investissement global de 57 millions d’euros. Les dépenses d’équipement de Rennes Métropole ont aussi concerné les transports urbains (réalisation de la ligne B du métro, notamment), la future LGV vers la Bretagne, via une participation au financement de 10,8 millions d’euros, et le développement économique (construction du centre de congrès pour 9,2 millions d’euros). Sur un budget global de 572 millions d’euros (421 millions d’euros pour la Ville de Rennes), l’agglomération a quasiment multiplié par deux ses dépenses d’équipement entre 2008 et 2012 (+ 98"%, à 162 millions d’euros en 2012). Tandis que Rennes veut accroître son attractivité en France et à l’international, les entreprises attendent aussi que le territoire crée les conditions leur assurant un développement pérenne et sans fracture (énergie, mobilité, numérique). Q I 19 LA TRIBUNE - VENDREDI 11 AVRIL 2014 - NO 86 - WWW.LATRIBUNE.FR PORTUGAL Voitures électriques, espaces verts à profusion, réduction des émissions de CO2 , énergies renouvelables, notamment photovoltaïque, pistes cyclables, vélos électriques solaires… la capitale portugaise a placé le concept de durabilité au cœur de sa stratégie. PAR MARIE-LINE DARCY, À LISBONNE Lisbonne, future capitale verte de l’Europe D ans le centre de Lisbonne, l’immense place Terreiro do Paço, dite « du commerce », s’ouvre largement sur le Tage. Depuis quelques années, la ville retrouve peu à peu son fleuve majestueux et les efforts de dépollution se révèlent payants. « Il ne manque plus grandchose pour qu’il retrouve toute sa biodiversité », assure José Sá Fernandes, adjoint au maire (PS) chargé de l’environnement, des espaces verts et du domaine public. José Sá Fernandes reçoit dans son bureau du bâtiment officiel de la mairie, non loin du fleuve et de la magnifique place. Connu pour son côté non conformiste, cet architecte de formation est un passionné de développement durable. Entre deux bouffées de vapoteuse, il développe sa vision de la Lisbonne du futur. « Une capitale avec très peu de voitures, où il sera possible de circuler d’un espace vert à un autre en utilisant la bicyclette ou des voitures électriques. Des trains et des gares fonctionnels, et des jonctions intermodales développées. » Sa préoccupation est réelle : 400#000 véhicules entrent et sortent chaque jour de la capitale. L’objectif est donc de réduire de 50#% ce flux automobile. L’une des stratégies possibles pour enrayer ce va-et-vient, c’est de fixer la population grâce à l’emploi et de rendre la ville plus accessible et plus « amie de l’environnement ». Sur le chemin de cet avenir radieux, il y a déjà des réalisations concrètes : des « couloirs verts », zones aménagées, paysagées voire cultivées, qui suivent les vallées naturelles de la région de Lisbonne. Autres faits d’armes dont José Sá Fernandes n’est pas peu fier : la « boucle » des pistes cyclables qui sera bientôt terminée – plus d’une centaine de kilomètres – et dont certaines fractions urbaines sont aménagées. Et puis la ville a remplacé son parc automo- bile traditionnel par des voitures électriques (une cinquantaine aujourd’hui). Mais Lisbonne veut aller plus loin. La ville présente son idée du futur dans le document « Lisboa/Europa 2020 », destiné à obtenir des financements auprès de l’Union européenne (budget 2014-2020). Teresa Almeida est la coordinatrice de la mission pour l’élaboration de ce document. Dans son open space du bâtiment administratif de la mairie, à Campo Grande, Teresa Almeida est contente : « L’Europe s’intéresse à la politique urbaine. Ça tombe bien, nous aussi », explique cette architecte d’un ton posé. Une trentaine d’entités – les services de la mairie, des entreprises privées et des universités – ont élaboré 400 projets structurants autour de trois axes principaux : plus de gens, plus d’emplois, une ville meilleure. Une première à Lisbonne. PIONNIÈRE DANS LA GESTION DES RISQUES SISMIQUES L’agglomération de la capitale abrite 20#% de la population portugaise et concentre 40#% du PIB du pays. Mais la métropole s’essouffle, confrontée au vieillissement de sa population, à l’exode vers les périphéries et aux difficultés à maintenir un patrimoine urbain certes de grande valeur, mais inadapté à la vie moderne. Le document « Lisboa/Europa 2020 » place le concept de durabilité au cœur de la stratégie : efficacité énergétique, réduction des émissions de CO2#, mobilité et économie d’énergie#; accessibilité pour les piétons, pour les touristes – principale ressource économique – ainsi que pour les personnes à mobilité réduite. Sans doute plus surprenant, mais au nombre des recommandations de Bruxelles, Lisbonne s’intéresse aussi de près à la gestion des risques. « En 1755, notre ville a été dévastée par un tremblement de terres suivi d’un tsunami. Nous avons dû reconstruire, en appliquant des normes antisismiques pionnières dans le monde. Nous voulons nous servir de cette expérience pour proposer à nos partenaires des instruments de prévention des risques adaptés à nos villes modernes », précise Teresa Almeida. La création d’un observatoire antisismique, des recherches sur les structures métalliques, sur de nouveaux matériaux et sur de nouvelles formes de bâtiments sont les pistes à suivre. Tous les interlocuteurs municipaux le disent : la Lisbonne de l’avenir sera solaire. Bien qu’elle dispose d’un nombre d’heures d’ensoleillement parmi le plus important d’Europe, la ville est très en retard dans l’application des énergies renouvelables, notamment solaires. Pour Miguel Águas, directeur technique au sein de l’agence urbaine E-Nova, la ville doit impérativement investir dans ce domaine, que ce soit en matière de recherche pure ou d’application de modèles grandeur nature, et travailler sur l’efficacité énergétique. Dans son bureau de la Baixa (ville basse), quartier entièrement reconstruit après le séisme de 1755, Miguel Águas détaille : « Nous avons dressé une carte des édifices urbains pouvant supporter des panneaux photovoltaïques : c’est le cas d’au moins 30"% d’entre eux. À l’heure actuelle, nous travaillons à une modélisation à partir de la centrale solaire urbaine de l’université de Lisbonne. Aujourd’hui, le photovoltaïque sert à alimenter l’édifice, et l’énergie supplémentaire est fournie au réseau. Mais nous, nous voulons que l’énergie propre soit utilisable par tout le monde. » Le gouvernement vient d’accepter de modifier la législation, restrictive en la matière, et il faudra mettre en place les changements techniques, comme le net metering, mesures « intelligentes » de la production et de la consommation d’électricité. À terme, Lisbonne espère réduire de 20#% l’émission de CO2 et fournir 17#% de l’énergie propre à la ville. « Nous travaillons au sein du projet Besos, dans le cadre du projet européen des Smart Cities. Il s’agit de créer une plate-forme intelligente destinée à gérer les données de la consommation énergétique. L’application pilote démarrera en 2015 à Lisbonne et à Barcelone », précise Miguel Águas. Qui cite d’autres exemples : l’installation de compteurs « intelligents » qui permettent de calculer toutes les quinze minutes la consommation chez 250 habitants volontaires. Ou encore une expérience d’économies d’énergie à faire dans le quartier d’intervention sociale Boavista, zone « sensible » s’il en est, mais où l’adhésion à l’efficacité énergétique est totale. Lisbonne se tient prête pour répondre aux appels d’offres européens, ceux d’Europe 2020, mais aussi ceux d’Horizon 2020 (Commission/États membres) et de Smart Cities (inclusion, bonne gouvernance). Dans la ville, les projets sont sous le signe du réalisme et de la prudence : un port de croisières pour attirer plus de touristes et donc créer des emplois#; des jardins accueillants et sûrs#; des ascenseurs pour faciliter le déplacement dans la ville aux sept collines#; des vélos électriques alimentés par des cellules photovoltaïques#; le partage des véhicules… Et même la réintroduction des trams : plus de 150 km de lignes il y a cent ans, à peine quelques dizaines aujourd’hui. Des ambitions sans doute pharaoniques. Mais, tout en tirant sur sa cigarette électronique, José Sá Fernandes l’affirme le plus sérieusement du monde : « En 2020, Lisbonne sera la capitale verte de l’Europe"! » Q Le quartiervillage de l’Alfama est l’un des plus anciens et des plus typiques de Lisbonne, réputé pour ses restaurants et ses bars où l’on chante le traditionnel fado. © TURISMO DE LISBOA/ WWW.VISITLISBOA.COM/ ARTURCABRAL I 8 L’EXPERT COMMUNIQUÉ LA TRIBUNE - VENDREDI 6 DÉCEMBRE 2013 - N 70!01!"!???@6789:;<=>@A9 - WWW.LATRIBUNE.FR 67"89:;<=>!"!#$%&'$&(!))!*#'(+!,-).!"!% O / Entretien exclusif avec Daniel Martin, Président d’Aerial !"#$%&'"'()*"&%'"+,-).'"%)/%$0".$"1-)-+%1%)*" (,+-)23$%"4"5 Daniel Martin préside Aerial, une société de conseil de direction qui aide les entreprises à traquer leurs gisements de croissance. Aerial est une société de conseil de direction que j’ai relancée avec mes associés après une longue carrière dans le conseil aux grandes entreprises. Nous réalisons, aujourd’hui, 3,5 millions d’euros de chiffre d’affaires avec une quinzaine de consultants et anciens dirigeants opérationnels. Nous apportons une approche innovante du management, fruit d’un savoir-faire qui s’est affiné avec le temps. Notre credo est la recherche de la « productivité générale », à ne pas confondre avec la productivité, issue de la simple réduction des coûts. Notre méthode repose sur l’exploitation de tous les leviers et gisements qui existent dans l’entreprise. En les identifiant puis en les activant, nous sommes capables d’améliorer le compte d’exploitation d’une activité de 20% en deux à trois ans, sans plan social et sans résistance particulière au changement. Nous avons regroupé ce savoir-faire, unique sur le marché du conseil, sous le terme de « management organique ». Pourquoi organique ? Par référence aux deux formes de croissance possibles pour une entreprise : l’organique, et l’externe - par acquisition(s). Cela signifie que l’on va aider l’entreprise à tirer les performances de son propre fonctionnement, plutôt que s’acheter de la croissance « sur étagère », ce qui marche rarement, quoiqu’on en dise. Avec le management organique, on ne touche pas aux structures. On ne remet en cause ni les organigrammes, ni les process, ni les outils… Ce n’est pas le sujet d’autant que les outils du management traditionnel ne font généralement que le constat du passé de l’entreprise : on pilote « au rétroviseur ». L’entreprise s’en sert pour restituer ce qu’elle vient de faire. C’est pourquoi on peut les laisser en place sans problème quand on intervient. Notre rôle consiste surtout à se doter de moyens d’agir sur le présent. Comment procédez-vous pour conduire le changement, dont on sait que c’est la chose la plus difficile à mettre en œuvre dans l’entreprise? En travaillant sur ce que l’on appelle dans notre langage les « événements » de l’entreprise, les dizaines voire les centaines de faits, a priori anodins, que l’on peut observer sur le terrain. Ces faits orphelins, qui n’intéressent pas toujours les grands cabinets de conseil ou l’encadrement, nos consultants les recueillent et les capturent de la façon la plus neutre et la plus brute possible, puis nous les analysons et les restituons au plus haut niveau de l’entreprise. Vous vous concentrez sur des informations qui autrement, seraient perdues ? Absolument. Prenez le cas d’un conducteur de Fenwick qui, sur son quai de chargement, n’arrive plus à entrer avec sa machine par la porte latérale d’une semi-remorque. Il va pester, jurer contre le transporteur. Il va se plaindre à son patron de quai, lequel, se sentant perturbé, va botter en touche. L’information va se perdre et on finira par charger le camion à la main. Or, il est vital de pouvoir conserver ce type d’information. Car en creusant, on va s’apercevoir que des problèmes du même type peuvent surgir à d’autres endroits, sur d’autres quais, dans d’autres antennes. Et que cela concerne toujours un certain type de transporteurs, qu’il existe un lobbying auprès de la Commission européenne pour changer des normes et ainsi de suite. En disposant de cette information, le management de l’entreprise va pouvoir agir rapidement. Est-ce une façon d’apporter au top management une meilleure connaissance de son entreprise au quotidien? Cela bouleverse effectivement beaucoup de choses même si ça crée forcément des vibrations. Le PDG va apprendre des choses qui lui étaient inconnues. Nous faisons en sorte que l’encadrement intermédiaire puisse voir remonter ces informations brutes mais sans avoir d’influence immédiate sur elles, contrairement à 99% des entreprises, ou la remontée de l’information se fait via les couches successives de l’encadrement. La plupart des outils mis en place avec les cabinets spécialisés raffinent, couche par couche, étape par étape, le reporting du management intermédiaire. Cela ne présente que peu de valeur ajoutée. Ce management n’est utilisé que comme une courroie de transmission de l’information sans apport objectif. Il va donc, en bonne conscience, la ralentir pour l’enrichir, la modifier, la présenter. Du coup, la tête ne pilote qu’avec une représentation retardée et déformée de la réalité, sans réactivité. Cela signifie qu’il faut supprimer le management intermédiaire ? Non, bien au contraire, c’est une ©Aerial Comment se positionne Aerial sur son marché ? !"#$%&'(")*$#+',)-.$/%#*'/01%)$"& ressource expérimentée mais sous-exploitée qui ne doit plus passer 80% de son temps à travailler sur la représentation de l’entreprise – le reporting traditionnel- et seulement 20% sur son activité opérationnelle. C’est au sens propre du gaspillage ! Le management organique inverse ce ratio en douceur mais de façon radicale. Bien que cher, le reporting traditionnel reste utile pour mesurer les tendances. Il faut prendre conscience que l’entreprise a basculé dans un monde de pur flux. Plus un cadre prend de galons et plus il va ressentir le besoin de contrôler son territoire devenu instable. On va aider l’entreprise à alléger ces besoins de justification en lui offrant le temps de se repositionner sur son cœur de métier. C’est aussi le savoir-faire de nos consultants. Au lieu de courir après l’information à reporter et faire les couloirs avec ses collègues, un chef des ventes prendra conscience qu’il peut délibérément retourner vers ses clients, produire des propositions, prendre le temps de lire le terrain, de faire de la veille, bref, activer, avec son expérience, des leviers plus puissants pour augmenter le chiffre d’affaires de ses équipes. Chaque entreprise est différente. Comment réussissezvous à capitaliser sur les bonnes pratiques du management organique ? Nous avons beaucoup investi, depuis quatre ans, dans un outil, Sensoris ©, qui fonctionne comme une très puissante base de connaissance numérique que l’on peut interroger simplement. Sensoris© permet de capitaliser dans des outils numériques les bonnes pratiques du management organique. Avant, nos consultants étaient seuls à pouvoir identifier, capter, remonter et traiter l’information évènementielle. Les salariés de l’entreprise ont désormais à disposition une adresse mail, Sensoris ©, sur leur téléphone, tablette ou terminal mobile pour recueillir loyalement tous les « faits » constatés dans l’entreprise. Incidemment, c’est, selon nos clients internationaux, le premier système d’exploitation des informations non structurées. Chacun peut naviguer dans les thèmes du moment, les questionner… Un directeur commercial pourra interroger préalablement Sensoris© sur des questions sur lesquelles il peut être challengé lors d’un comité de direction. Il va pouvoir sortir les seuls tableaux de bord et résultats pertinents… L’outil a été mis au point avec une soixantaine de dirigeants et testé par une dizaine d’entreprises. Le Centre de recherche public Henri Tudor, au Luxembourg, l’utilise, par exemple, pour ses activités de recherche sur l’industrie des services. Vous évoquiez cette pratique du tout reporting dans l’entreprise ? Est-ce que la crise a permis d’améliorer les choses ? Non, la crise a plutôt poussé à la sophistication des outils de reporting traditionnel. On voit arriver les premières tentatives pour aller chercher des informations non structurées mais l’approche, très technologique, est encore poussée par des fournisseurs d’outils. Le « Big Data », dont on parle beaucoup, décrit en fait deux choses bien distinctes : l’ensemble des informations structurées qu’une entreprise peut accumuler sur des thèmes précis ; elles ne l’aideront pas à conquérir de nouveaux marchés ou compétences. Et l’autre « Big Data », celui de l’information non structurée, sur lequel elle devra réellement s’appuyer pour survivre dans le monde toujours plus rapide des affaires. C’est ce que nous avons anticipé depuis quatre ans en créant Sensoris © pour apporter une réponse aux besoins fonctionnels et globaux de l’entreprise. I 21 LA TRIBUNE - VENDREDI 11 AVRIL 2014 - NO 86 - WWW.LATRIBUNE.FR VISIONS ANALYSE Vers un modèle de financement participatif à la française L’audacieuse réglementation du crowdfunding orchestrée par Fleur Pellerin n’a rien à envier à ses cousines anglo-saxonnes. Elle a de quoi faire de la France un modèle de l’économie alternative… L © DR © DR e crowdfunding, qui consiste en la rencontre (quasi) directe entre l’épargnant et l’entrepreneur, en écartant les intermédiaires traditionnels du financement, est-il en passe de devenir un nouveau catalyseur de croissance et de développement!? Les prévisions de croissance de ce secteur laissent penser qu’il dépassera le cadre de la seule finance solidaire et pourrait redéfinir les fondements des modes de financement de l’économie réelle. Ce phénomène récent accentue le foisonnement des projets innovants, paradoxal mais logique en période de crise : les jeunes talents, boudés par les grandes sociétés en réduction d’effectifs, s’expriment dans l’entrepreneuriat. PAR MEHDI OUCHALLAL ET STÉPHANIE ROY AVOCATS SPÉCIALISÉS EN CAPITALINVESTISSEMENT L’EFFET DE LA CRISE ET DE LA PRESSION DES PME 2.0 La période de crise que les pays occidentaux traversent a vu grandir une double défiance : d’une part, celle des épargnants envers les offres classiques d’épargne, dont les acteurs sont souvent jugés responsables de la crise!; d’autre part, celle des acteurs classiques et monopolistiques de la finance, dépositaires officiels de l’épargne, envers les PME jugées trop risquées. Une impressionnante montée du phénomène crowdfunding a alors été observée : poussées à contourner les circuits traditionnels de financement, les start-up et PME, en mode 2.0, sollicitent directement l’épargne via Internet. Certaines y ont trouvé non seulement les financements recherchés, mais aussi, par un effet collatéral vertueux, un vecteur marketing de leur projet entrepreneurial : l’investisseur d’aujourd’hui sera le client de demain. D’aucuns parlent même de ce phénomène comme ayant transformé la consommation : autrefois passive, elle peut désormais être active. Ce contournement par le Web, naturel dans de nombreux secteurs de l’économie, s’est heurté en matière financière à de puissants obstacles réglementaires dont les régulateurs de la finance sont les gardiens. La banque et la finance sont des métiers à risque qui, selon la réglementation en vigueur, doivent être réservés à des experts agréés, le plus souvent sous peine de sanctions pénales. Ainsi en est-il de l’exercice pour les plates-formes de l’activité d’établissement de paiement, de prestataire de services de paiement ou d’intermédiaire financier en placement de titres financiers, mais également de la violation du monopole bancaire pour les prêteurs, et de l’offre au public de titres financiers sans visa du régulateur pour les entreprises levant des fonds en capital. Autant dire qu’en pratique toutes ces opérations sont strictement réservées aux professionnels de la banque et de la finance. Nous avons alors assisté en peu de temps à une poussée des acteurs du crowdfunding, relayée par une presse attentive qui s’est fait l’écho de la cause de la finance participative et de ses vertus, principalement en matière de création d’emplois et de richesses, dans une période où les courbes de la croissance et du chômage n’esquissent aucun sourire. Cet effet médiatique, en plus de nourrir le flux d’investisseurs internautes, a fini par bénéficier d’une oreille favorable de la part des responsables politiques. Aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Italie et, enfin, en France, des travaux ont été amorcés sur ce sujet pour offrir au crowdfunding un espace de développement. En France, faisant suite aux Assises de l’entrepreneuriat en avril 2013 et à une consultation publique pour une nouvelle réglementation, Fleur Pellerin [alors ministre déléguée aux PME, à l’Innovation et à l’Économie numérique, ndlr] a annoncé, le 14 février 2014, les principes d’un nouveau régime pour la finance participative, instaurant des statuts spécifiques allégés pour les plates-formes et autorisant les entreprises à lever via cet outil jusqu’à 1 million d’euros par an : ces assouplissements constituent une véritable brèche dans la réglementation bancaire et financière. Les acteurs traditionnels de la banque et de la finance ont accordé peu d’intérêt à ces récents développements, beaucoup d’entre eux jugeant les volumes d’investissements peu significatifs et leurs marchés non concernés par ce nouvel outil de financement, assimilé à du microcrédit. Le phénomène du crowdfunding, désormais systémique en ce sens qu’il établit une connexion directe de l’économie avec l’épargne, va toutefois rapidement acquérir ses lettres de noblesse auprès de ces acteurs traditionnels, dans un cadre réglementaire favorisé et encore en évolution, avec un soutien politique marqué et d’attractifs et florissants projets à financer. FRANCE, TERRE PROMISE DU CROWDFUNDING ? Le crowdfunding est à ce jour bien moins développé en France que dans les pays anglo-saxons, mais plusieurs indices laissent penser que la France constituera un espace géographique favorable à l’essor de cette nouvelle finance. Tout d’abord, les Français sont les champions de l’épargne et les PME françaises tiennent un rang plus qu’ho- Le 14 février dernier, Fleur Pellerin, alors ministre déléguée aux PME, à l’Innovation et à l’Économie numérique, posait les bases d’un nouveau régime pour la finance participative. © ÉRIC PIERMONT/AFP norable dans les secteurs innovants. La réforme sur le crowdfunding aura ainsi pour vertu de permettre la connexion entre ces deux mondes. Par ailleurs, il existe en France une culture institutionnelle de l’investissement en PME, accentuée par l’incitation fiscale à investir en PME instaurée par la loi dite Tepa (travail, emploi, pouvoir d’achat). Les sociétés de capital-risque françaises sont parmi les plus foisonnantes et performantes en Europe. De même, certaines banques et sociétés d’assurances mutualistes françaises affichent leur politique de proximité avec le tissu des PME. La mise en place de synergies pourra apporter leurs expertises sectorielles aux secteurs de l’equity crowdfunding (plates-formes d’investissements en actions) et du lending crowdfunding (plates-formes d’investissements en prêts), notamment en matière d’analyse de rentabilité et de risques dans la sélection de dossiers à présenter aux internautes ainsi qu’en matière de savoir-faire dans la relation entre l’entrepreneur et ses prêteurs ou investisseurs actionnaires, auxquels il faudra apprendre à vivre ensemble au sein du capital d’une société. De leur côté, les fonds de capitalinvestissement et les banques de proximité sauront une fois de plus s’adapter à l’économie de demain et aux besoins de ses acteurs. En effet, leur positionnement privilégié dans le financement et le refinancement des PME les place en première ligne pour identifier bon nombre des projets ainsi que les synergies qu’ils recèlent. La mise en place d’un cadre économique et juridique de qualité satisfaisant aux équilibres entre les intérêts et les risques des investisseurs, des PME et des plates-formes sera un gage de développement de partenariat pérenne en la matière. De ces synergies pourrait découler un modèle de crowdfunding à la française. Enfin, la réforme telle qu’annoncée par le gouvernement français est en elle-même la plus audacieuse, tant en Europe que dans le reste du monde. Tout en imposant des garde-fous tenant à la transparence en matière de frais, la bonne information de l’épargnant sur les risques encourus et la modélisation d’un processus interactif permettant de guider l’investisseur dans son choix en fonction de ses objectifs et de sa situation personnelle, c’est la réglementation qui posera le moins de barrières à l’entrée pour l’investisseur (aucun plafonnement d’investissement exigé selon les ressources de l’internaute, contrairement à ce qui sera prévu aux États-Unis ou au Royaume-Uni), pour l’entreprise qui souhaite lever des fonds (aucune condition d’activité cantonnée à certains secteurs, contrairement à ce qui est prévu en Italie) et pour les plates-formes de crowdfunding (aucun minimum en fonds propres requis, hors cas spécifiques d’encaissement de fonds). Il en ressort qu’il est fort probable, non sans que cela ne soulève de nouvelles problématiques réglementaires transfrontalières, que la France attire tant les entreprises que les épargnants étrangers, la particularité bien connue d’Internet étant d’ignorer les frontières. Faire de la France un pays pionnier du financement participatif, tel était l’objectif affiché par Bercy le 14 février dernier. Ce positionnement avant-gardiste s’inscrit sans surprise dans une certaine culture française qui nourrit l’espoir de bâtir un modèle économique et financier alternatif fondé sur un subtil équilibre entre le développement de l’esprit entrepreneurial, la participation et la solidarité. Q 22 I VISIONS LA TRIBUNE - VENDREDI 11 AVRIL 2014 - NO 86 - WWW.LATRIBUNE.FR IDÉES Paris doit redevenir un point de ralliement pour jeunes inventeurs Entretien avec Mario Polèse et Richard Shearmur, auteurs, avec Laurent Terral, de La France avantagée, un essai qui porte (enfin) un regard antidécliniste sur la France. R ichard Shearmur et Mario Polèse, deux Canadiens, et Laurent Terral!1, un Français, dévoilent dans leur dernier essai!2 un territoire beaucoup moins déséquilibré économiquement qu’on ne le pense et avec un fort potentiel. À condition de ne pas prendre le Grand Paris pour la locomotive qui va tout entraîner. © DR En lançant le Grand Paris puis Paris Métropole, Nicolas Sarkozy JEAN-PIERRE puis François Hollande ont-ils pris le risque de déséquilibrer un GONGUET territoire national qui, selon vous, RÉDACTEUR EN CHEF semble enfin avoir trouvé son DE LA TRIBUNE DU GRAND PARIS équilibre économique ? MARIO POLÈSE – C’est peu probable. Pour une raison qui ne plaira pas forcément aux promoteurs du Grand Paris : les défis économiques de la région parisienne ne se résument pas à des questions de métro régional ou de transports urbains. À lui seul, le Grand Paris, en l’absence d’autres réformes économiques, ne suffira pas pour modifier sensiblement la trajectoire de l’économie parisienne. Le Grand Paris doit déclencher une réflexion plus large sur l’économie parisienne, être le début d’un processus, pas la fin. Des économistes, des géographes, des politiques plaident pour que l’investissement se fasse dans la métropole parisienne, dans une « ville-monde » capable de jouer dans la mondialisation et créant plus sûrement de la richesse que les autres métropoles ou villes moyennes. Êtes-vous réticent à l’idée de considérer Paris comme « locomotive » de la France ? Fortement réticent. La France est un espace économique intégré, beaucoup plus équilibré que ce que pensent les Français. Ôtez les régions et Paris rétrécira comme une peau de chagrin!! Prétendre que Paris tire la croissance des régions, ou l’inverse, est un débat inutile. Les investissements de l’État doivent aller là où ils sont utiles, et rien ne dit qu’ils le sont systématiquement plus à Paris. Pour aider l’exportation, des investissements dans le port du Havre ou dans des liaisons transalpines peuvent être plus prioritaires. La prétention de la grande ville à être la « locomotive » de l’économie nationale est une rengaine partagée. Montréal a la même prétention, au Québec. Mais l’idée ne tient pas la route. L’Angleterre fournit un joli contre-exemple, car si le dynamisme de la région londonienne ne se dément pas, il n’est d’aucun secours pour le nord de l’Angleterre, qui continue à sombrer dans le chômage. À l’inverse, où est la ville « locomotive » de l’Allemagne!? La vieille notion de pôle de croissance est tout aussi désuète que celle de « Paris et le désert français ». Vous estimez que l’innovation comme facteur de croissance locale est une fausse idée. Ce qui importe, c’est le développement de ces innovations. Là, la métropole a un avantage possible, mais vous n’en êtes pas sûr ? RICHARD SHEARMUR – Non, c’est très complexe. Le lien entre innovation (dans une localité ou une région) et croissance (de cette localité ou de cette région) présuppose que les retombées de l’innovation sont nécessairement locales. Or rien – hormis le désir des collectivités locales – ne nous permet de stipuler qu’elles le seront. Parfois, les raisons sont évidentes : au Canada, il existe une multitude de villes spécialisées dans l’aluminium, le papier, la forêt, qui perdent des emplois au fur et à mesure que les entreprises locales innovent et deviennent plus productives. La perte d’emploi y est attribuable au fait que les villes ne sont pas capables d’internaliser les processus de destruction créative : certains emplois y sont détruits, mais les nouvelles activités économiques sont créées ailleurs, car ces villes n’ont pas la capacité interne pour générer des alternatives. LQWHUYHQDQWVGXPRQGHHQWLHU SRXUG«GUDPDWLVHUOȇ«FKHFHQWUHSUHQHXULDO )DLO&RQȊ6WRSEHLQJDIUDLGRIIDLOXUHDQGVWDUWHPEUDFLQJLWȋ $YULO 0LQ LVW ªUHG HOȇ(FR Q R PLHHW G HV) LQ DQ FHV%HUF\3 DULV ΖQVFULSWLRQVXUIUDQFHWKHIDLOFRQFRP De manière générale, les entreprises innovent dans tous les types de territoires. Ce n’est pas un phénomène urbain. En revanche, le marketing et la croissance de l’entreprise si elle a besoin de main-d’œuvre, par exemple, passent souvent par la grande ville : on y ouvre des succursales, on est racheté par une plus grosse entreprise qui nous déménage, ou alors on collabore avec des prestataires de services qui sont en ville, et on contribue donc à la croissance urbaine, même si on demeure en région. OÙ MIEUX SE RENCONTRER QUE DANS UN CAFÉ PARISIEN? VOILÀ LA CHANCE DE PARIS… En fait, tout le monde se focalise sur « l’introduction » de l’innovation. Or la croissance économique ne provient pas de l’introduction d’une innovation, mais du développement de l’entreprise qui intervient à la suite de l’innovation. La vraie question de développement régional n’est donc pas « de quelle région proviennent les innovations!? », mais plutôt « dans quelles régions ont lieu les processus de croissance qui interviennent à la suite de l’innovation ». La réponse à la première question est complexe, et il n’est pas certain que « la grande ville » soit une réponse convenable. En revanche, la réponse à la seconde question, pour des raisons liées à la centralité des villes, aux économies d’agglomération, à l’accessibilité des marchés globaux, etc., est très probablement urbaine. Vous montrez dans votre livre que les territoires gagnent en se spécialisant et que les villes-mondes comme New York ou Los Angeles ne sont pas les plus innovantes. Quelle « spécialisation » pensez-vous possible pour Paris, une « villeagora » potentielle ? MARIO POLÈSE – Le terme de « villeagora » a été choisi pour exprimer l’idée de la grande ville comme point de rencontre et d’échange d’idées. Paris, s’il veut retrouver sa place sur l’échiquier économique mondial, doit redevenir un point de ralliement naturel pour de jeunes inventeurs, penseurs et entrepreneurs (pas seulement Français) à l’avant-garde de la nouvelle économie. Le fait est, comme nous le constatons dans l’ouvrage, que Paris joue un rôle, comme centre économique, bien en deçà de ce que commanderait sa taille. Comment donc entrevoir l’avenir de Paris dans un monde où, il faut bien l’admettre, il se trouve en marge de la culture dominante des grands acteurs économiques!? Or, vu de l’extérieur, le grand atout de Paris est « Paris », en soi une image de marque qui n’a pas besoin de plus pour se démarquer. Paris continue à exercer une attraction toute spéciale. Pour un Canadien ou un Américain, dire qu’il a vu l’Europe sans avoir vu Paris est inconcevable. Le danger – nous ne sommes pas les premiers à le dire – est que cette attractivité se limite au tourisme et aux activités de passage (colloques, conférences, expositions…) pour, à la longue, transformer Paris en vaste parc d’attractions. La bonne nouvelle, d’où l’idée de « ville-agora », est que la nouvelle économie repose, plus encore que l’économie industrielle jadis, sur des rencontres, des échanges d’idées et la proximité physique des acteurs. Et où mieux se rencontrer que dans un café parisien!? Voilà la chance de Paris, à condition qu’il sache la saisir. À New York, c’est dans les vieux quartiers de Manhattan que ça se passe, des quartiers entiers envahis et revitalisés par de jeunes startupers technos qui dirigent les futurs Google et Microsoft. Ces jeunes entreprises recherchent des milieux urbains que seule la grande ville peut offrir. Paris l’a déjà, il n’a pas besoin de l’inventer. Là où le bât blesse, c’est dans l’autre moitié de l’équation : un milieu économique et social propice aux jeunes entrepreneurs. Pourquoi des milliers de jeunes Français s’exilent-ils à New York, Londres ou Montréal pour se lancer en affaires!? Ce n’est pas, je pense, parce que Paris manque de monuments ou d’infrastructures. Q (1) Mario Polèse est professeur en économie urbaine et régionale à l’Institut national de recherche scientifique de Montréal ; Richard Shearmur est professeur de géographie à la School of Urban Planning de l’université McGill de Montréal ; Laurent Terral est chercheur à l’Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux. (2) La France avantagée. Paris et la nouvelle économie des régions, de Mario Polèse, Richard Shearmur et Laurent Terral, 224 pages, éd. Odile Jacob, 23,90 €. De haut en bas : Mario Polèse, Richard Shearmur et Laurent Terral. © CHRISTIAN FLEURY POUR L’INRS I 23 LA TRIBUNE - VENDREDI 11 AVRIL 2014 - NO 86 - WWW.LATRIBUNE.FR ANALYSE Le grand jeu des hydrocarbures Quelle indépendance énergétique pour l’Europe entre crise russo-ukrainienne à l’est et difficultés d’importation de gaz naturel liquéfié américain à l’ouest ? © DR D SÉBASTIEN LAYE HEC, IEP, INVESTISSEUR ET BANQUIER D’AFFAIRES RETROUVEZ-LE SUR LATRIBUNE.FR DANS LE BLOG « LA TRIBUNE DES EXPATS » ans son roman Kim, publié en 1901, Rudyard Kipling, évoquant les rivalités entre grandes puissances (principalement la Russie et le Royaume-Uni) pour le contrôle de l’Asie centrale, introduira une expression appelée à faire florès en géopolitique, celle du « Grand Jeu ». À cet égard, même si la Russie est une nouvelle fois au cœur de ces tensions conflictuelles, force est de reconnaître qu’au XXIe siècle, plus que la question de la puissance politique ou celle des capacités militaires, c’est bien la maîtrise des hydrocarbures qui circonscrira les ambitions des uns et l’influence des autres. Si maints observateurs ont noté comme une évidence la question des hydrocarbures dans cette crise – au premier chef les pressions exercées par la Russie sur l’approvisionnement en gaz de l’Ukraine –, rares sont ceux qui ont explicité à l’opinion publique, française en particulier, les nécessaires reconfigurations de notre diplomatie et alliances engendrées par ce renouveau de tension sur la frontière est de l’Europe. Les chiffres attestent de la symbiose existant entre le complexe énergétique russe et l’industrie européenne, en particulier allemande. Moscou fournit un tiers du pétrole consommé en Europe (soit 4,5 millions de barils par an) et 27#% de son gaz (soit 133 milliards de mètres cubes par an). L’Allemagne en absorbe un tiers, certains États baltes ou la Finlande sont dépendants à quasiment 100#% de leurs besoins. Une grande partie – 85 milliards de mètres cubes – arrive via l’Ukraine, le reste par les gazoducs Nord Stream, Yamal et Blue Stream, qui contournent tous l’Ukraine. Cette relation est bien sûr chirographaire et Moscou aurait du mal à faire abstraction de son principal client : réorienter les flux de livraison vers l’Asie et la Chine par exemple demanderait des années de construction de nouveaux pipelines. On estime que, en cas d’embargo européen sur les hydrocarbures russes, Moscou ne pourrait que réorienter la moitié des ressources actuellement vendues à l’Europe et verrait son PIB amputé de 3,7#%. Acteur prépondérant du marché des hydrocarbures, la Russie n’est cependant pas assez prolifique pour changer la donne en matière d’approvisionne- ment, et son économie de rente serait laminée si son brut ne trouvait plus preneur, en particulier si les courtiers en produits pétroliers (Vitoil, Trafigura, Mercuria) se voyaient directement visés par Washington pour leurs liens avec la Russie (Gunvor en ayant déjà fait les frais). La France, malgré un mix énergétique bien diversifié au-delà des hydrocarbures (part importante du nucléaire, mais refus pour l’instant d’explorer gaz et pétrole de schiste), continue à importer 14#% de son pétrole de Russie (les autres fournisseurs étant la Norvège, l’Arabie saoudite et le Kazakhstan), ainsi que 13#% de son gaz (les autres options venant d’Algérie, du Qatar, d’Égypte et des Pays-Bas). Afin de s’extraire de l’emprise russe sur cette question des hydrocarbures – et de forger ainsi des bases plus saines pour la future diplomatie européenne –, les Européens, qui de facto redoutent encore plus d’être dépendants du Moyen-Orient, n’ont comme solution logique que de se tourner vers le grand frère américain, béni depuis quelques années par un renouveau de sa production d’hydrocarbures par des méthodes dites non conventionnelles : ces nouvelles techniques d’extraction et de fracturation hydrauliques, désormais sévèrement encadrées par un président Obama soucieux des questions environnementales, ont donné une seconde jeunesse aux champs du Dakota du Nord (Bakken), du Texas (Eagle Ford, Permian, Woodbine) ou de Pennsylvanie. LE PARTENARIAT TRANSATLANTIQUE, MEILLEURE OPTION POUR LA SÉCURITÉ ÉNERGÉTIQUE DE L’EUROPE ? Côté européen, on a ainsi vu Manuel Barroso demander la libéralisation des licences d’exportation de gaz, et François Hollande semble sérieusement étudier la question alors que les récentes crises l’ont rapproché de Washington. Une autre option de plus long terme serait de relancer l’exploration sur la présence de gaz (et de pétrole) de schiste en Europe même. Alors que les champs polonais semblent moins prolifiques et plus complexes que prévu, demeure la question des véritables ressources dans les Balkans ou en France. Mais faute de tests sérieux, le gouvernement français n’a pas les données scientifiques pour jauger ce potentiel. Cependant, outre la sortie des Verts du gouvernement, une nouvelle ligne Valls-Montebourg, moins hostile aux pétroliers et consciente des handicaps de notre industrie, qui fonctionne avec des coûts énergétiques élevés, pourrait inaugurer la relance de la recherche en ce domaine : en tout état de cause, une production sérieuse en France ne pourrait avoir lieu avant un horizon de six, sept ans, étant donné le stade préliminaire où les tests furent arrêtés en 2011. Le pétrole – classique ou de schiste – ne présente pas les mêmes difficultés de transport que le gaz, dont la version liquéfiée (GNL) – la seule véritablement transportable – demanderait de nouvelles infrastructures (terminaux portuaires) aux États-Unis. Traditionnellement, le complexe énergétique américain n’est pas tourné vers l’exportation. Les exportations d’hydrocarbures n’y sont pas libres et soumises à l’approbation des parlementaires, avec deux exceptions : dérogation expresse du président, pour des raisons de sécurité nationale#; exportation vers un pays ayant conclu un accord de libre-échange avec les États-Unis. Dans ce contexte de tension avec les Russes, mais aussi avec une part croissante du Moyen-Orient (Iran, Syrie) et potentiellement de l’Afrique du Nord, les Européens souhaiteraient obtenir une dérogation permanente. Or réorienter les flux d’hydrocarbures du marché domestique vers l’Europe sera un travail de longue haleine et demandera des investissements colossaux en pipelines et infrastructures portuaires. Les Européens devraient eux-mêmes investir ce terrain et se soucier désormais des conditions permettant aux industries pétrolières et gazières américaines d’acheminer leurs excédents vers l’Europe, sachant que les Européens entreront en la matière en concurrence frontale avec les Asiatiques, qui certes possèdent du gaz mais à un prix deux fois plus élevé que les Américains du fait de la dichotomie locale entre la demande et l’offre. Le meilleur cadre qui s’offre aux Français et aux Européens pour résoudre ce problème de sécurité des approvisionnements en hydrocarbures, c’est celui du partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement (TTIP). Le TTIP autorisera de facto la réorientation des flux américains vers une zone ayant signé un accord de libre-échange avec les États-Unis : il devrait doper l’économie européenne de 120 milliards d’euros par an. Nul doute que les quelques différends qui demeurent sur les OGM ou le cinéma pèseront peu face aux enjeux du… Grand Jeu. Q !"!#$%$#& Une plate-forme pétrolière près de Williston, dans le Dakota du Nord. L’extraction du pétrole de schiste par fracturation hydraulique (interdite en France) a transformé cette région froide et désertique en un nouvel eldorado. © MATT NAGER/ REDUX/REA Inscrivez-vous avant le 20.05.2014 La responsabilité du chef d’entreprise face aux risques nouveaux ou en croissance : Ris q ue d’ im a ge, ris q ue e nvironne m e nta l, cybe r ris q ue, ris q ue p én al ... Jeudi 22 mai 2014 de 9h00 à 10h30 CCI de Strasbourg et du Bas-Rhin, salle Wenger Valentin. 10, place Gutenberg - Strasbourg UN ÉVÉNEMENT EN PARTENARIAT AVEC http://goo.gl/53a2tn Renseignements: parolesdexperts@latribune.fr 24 I VISIONS LA TRIBUNE - VENDREDI 11 AVRIL 2014 - NO 86 - WWW.LATRIBUNE.FR IDÉES Le modèle social français dans l’étau de la croissance faible À quelques jours de la remise du plan détaillé d’économies de 50 milliards d’euros promis pour la mi-avril, l’adaptation du fameux modèle social français apparaît comme une clé incontournable d’une maîtrise des comptes publics. ©DR C PIERREFRANÇOIS GOUIFFÈS 63/>>1IJ./@B MAÎTRE DE CONFÉRENCES À SCIENCES-PO. AUTEUR DE L’ÂGE D’OR DES DÉFICITS. 40 ANS DE POLITIQUE BUDGÉTAIRE FRANÇAISE, LA DOCUMENTATION FRANÇAISE. et État providence à la française, c’est un ensemble de solidarités institutionnelles et obligatoires entre des Français et d’autres Français : des actifs vers les personnes âgées et les jeunes, des bien portants vers les malades, des actifs au travail vers les chômeurs, des riches vers les pauvres… Ces solidarités sont organisées en prestations en argent (retraites, assurance chômage, minima sociaux) ou en services gratuits (santé), plus exactement des prestations ou des services payés non pas par leurs usagers mais par l’ensemble des contribuables présents ou futurs via les prélèvements obligatoires ou la dette provenant des déficits des comptes sociaux. On constate de la part du gouvernement un propos plutôt défensif consistant à justifier le discours sur les économies de dépenses publiques à venir, justement pour « sauver le modèle français » et non pas le fragiliser, l’éroder ou le détruire pour préserver la justice sociale. L’impératif de la préservation du modèle social a encore été rappelé par le président de la République lors de son allocution du 31 mars dernier. Mais d’autres prises de parole récentes sont beaucoup plus tranchantes, voire pessimistes. L’historien Pierre Nora considère que le modèle social français incluant une forte dose de providentialisme est atteint en profondeur. Le grand spécialiste des questions sociales Raymond Soubie, ancien conseiller social de Nicolas Sarkozy, a récemment déclaré dans La Tribune (lire La Tribune Hebdo no 84) que notre modèle social hérité de la Libération ne pourra pas surmonter une période durable de croissance inférieure à 2"%, niveau indispensable pour financer les coûts toujours plus importants d’un système de santé, de retraite, d’éducation et de chômage parmi les plus onéreux du monde. Pascal Lamy arrive aux mêmes conclusions en considérant que « la redistribution se bloque en deçà d’un rythme de croissance d’environ 2"% ». Pendant longtemps ce modèle a été soutenable, mais cette croissance n’a jamais été atteinte depuis plusieurs années et semble un objectif plutôt élevé dans les années à venir, au vu des prévisions de croissance potentielle. Enfin, les économistes Yann Algan, Pierre Cahuc et André Zylberberg considèrent que la France est devenue une « société de défiance », crispée notamment du fait de son État providence organisé de façon non universaliste (mêmes prestations pour tout le monde) mais corporatiste et segmenté conduisant chacun, prisonnier de sa case institutionnelle, à considérer que toute réforme se fait nécessairement à ses dépens. RECORDS DE DÉPENSES BATTUS CHAQUE ANNÉE Des propos de remise en question radicale sont également entendus auprès de certains de nos partenaires européens. Le président de la BCE, Mario Draghi, n’avait pas hésité à déclarer à l’occasion de sa prise de fonction de 2011 que « le modèle social européen est déjà mort, voyez le taux de chômage des jeunes qui prévaut dans certains pays », tandis que la chancelière allemande, Angela Merkel, considère que « l’Europe ne peut continuer à assurer 50"% des dépenses sociales mondiales alors qu’elle ne représente que 7"% de la population mondiale et ne produit que 25"% de la richesse mondiale ». Le roi des Pays-Bas, Willem-Alexander, lisant en septembre dernier le discours rédigé par le Premier ministre Mark Rutte, a pris acte de la transformation lente mais sûre de l’État providence classique en une « société de participation », dans laquelle chacun prend ses responsabilités pour sa vie et son entourage. Dans la même veine, David Cameron, le Premier ministre conservateur britannique, a construit sa victoire de 2010 en s’appuyant sur le thème de la « Big Society » : la société providence, constituée des communautés qui préexistaient à l’État providence de Beveridge, doit contribuer à régler les maux sociaux sans renforcement de l’État ou de la dépense publique. Les critiques de la « société de participation » ou de la « Big Society » remarquent d’ailleurs que de telles approches accom- !"#$%&'$%(')*+'*,$./!01%2134/5646701 89:;#'%<"#+-% ./!01%=47!7/>% ?@/!7471>>1 89:;#'%,)$A:)A-% B@0%C6%!073@>1DE0 "& !!8%F%G",$H pagnent un désengagement au moins partiel de l’État, mais ces approches mettent clairement sur la table l’articulation entre les solidarités institutionnelles et obligatoires incarnées par l’État et des approches plus locales, plus volontaires ou plus participatives de la solidarité ainsi que les comportements individuels. Le modèle social français, c’était, en 2012, les 664 milliards d’euros des lignes « santé » et « protection sociale » des dépenses publiques suivant la classification CFAP, représentant le tiers du PIB et 58"% des dépenses publiques. Depuis 1995, ces dépenses sociales augmentent chaque année de 0,8 point de plus que le PIB : le modèle social français, à dépense structurellement dynamique du fait du vieillissement de la population, explique la totalité de l’augmentation des dépenses publiques rapportées au PIB et bat année après année de nouveaux records : « seulement » 342 milliards en 1995, plus de 400 en 2001, plus de 500 en 2005, plus de 600 en 2009… Série en cours. En revanche, la somme de tous les autres segments de dépenses publiques a baissé en proportion du PIB : la dynamique de la dépense est dans le social et nulle part ailleurs. L’ADAPTATION DU MODÈLE, PRIX DE LA CRÉDIBILITÉ La France détient le record d’Europe et de l’OCDE des dépenses sociales publiques, désormais nettement devant l’ensemble des pays scandinaves considérés traditionnellement comme très généreux en matière d’État providence. Certes on peut objecter que d’autres pays recourent à des dépenses privées obligatoires pour les fonctions centrales du modèle social que sont la santé et la retraite, mais au final l’OCDE conclut que la France a de toute façon les dépenses sociales totales (publiques et privées obligatoires) les plus élevées. Ce niveau élevé des dépenses publiques sociales est la composante principale de l’écart de dépenses publiques entre la France et ses pairs, sachant que l’expérience grecque a démontré que des niveaux massifs de transferts sociaux pouvaient entraîner une perte de contrôle des budgets publics. Pour financer cette hausse ininterrompue aboutissant à un très haut niveau de dépenses, la France a déplafonné les cotisations sociales, puis créé la CSG, puis créé la CRDS, puis créé des prélèvements additionnels… mais cela n’a pas suffi. S’est donc constituée depuis le début des années 1990 une dette sociale via l’ingénierie de la Cades (Caisse d’amortissement de la dette sociale) à laquelle ont été transférés depuis 1996 pas moins de 265 milliards. Au total, les déficits sociaux ont induit une dette sociale représentant 211 milliards et plus de 10"% du PIB contre quasiment rien en 1990, le signe d’une tension de financement croissante. La tension croissante sur les recettes que l’on constate autant dans les discours – ras-le-bol fiscal, pause fiscale – que dans les chiffres – des prélèvements obligatoires substantiellement moins élevés que prévu en 2013 – renvoie à la question de la croissance et à sa capacité de résilience en cas de faible croissance durable. Dans un environnement dans lequel la maîtrise des dépenses publiques, pour ne pas dire le terme tabou d’austérité, devient en quelque sorte « le nouveau normal », qu’on le souhaite ou qu’on le déplore, la protection sociale constitue naturellement un terrain majeur d’action tant du fait de la taille de son périmètre (le tiers du PIB et 58"% des dépenses publiques) que de la dynamique de ses dépenses. Bref, pas de maîtrise structurelle et crédible des dépenses publiques sans adaptation significative du modèle social français. Q En 2012, les lignes « santé » et « protection sociale » représentaient 58 % des dépenses publiques. Chaque année, elles augmentent de 0,8 point de plus que le PIB. © PHILIPPE HUGUEN/AFP Je m’abonne à l’hebdomadaire papier et au Par chèque bancaire à l’ordre de La Tribune Nouvelle quotidien numérique pour 430.95€ HT soit 440€ TTC/an Par carte bancaire n° I–I–I–I–I I–I–I–I–I I–I–I–I–I I–I–I–I–I Société ________________________ M. Mme Expire fin I–I–I / I–I–I Date et signature : Nom ________________ Prénom __________________ Cryptogramme*** I I I I ––– __/__/__ Adresse ________________________________________ À réception de facture (par chèque ou virement) _______________________________________________ Si adresse de facturation différente d’adresse de livraison : CP I–I–I–I–I–I Raison sociale ______________________________________________ Ville __________________________ Tél I–I–I–I–I–I–I–I–I–I–I E-mail **________________________________________ Adresse de facturation _______________________________________ CP I–I–I–I–I–I Ville________________________________________ Bulletin à retourner à : La Tribune – Service Abonnements – 2 rue de Châteaudun – 75009 Paris * paiement à l’année sans possibilité d’échelonnement ** indispensable pour recevoir vos codes d’accès *** inscrit à l’arrière de votre CB I 25 LA TRIBUNE - VENDREDI 11 AVRIL 2014 - NO 86 - WWW.LATRIBUNE.FR VU DE BRUXELLES AU CŒUR DE L’INNOVATION Comme une histoire de famille FLORENCE AUTRET CORRESPONDANTE À BRUXELLES RETROUVEZ SUR LATRIBUNE.FR SON BLOG « VU DE BRUXELLES » DE « LA VALEUR POUR L’ACTIONNAIRE » À LA « VALEUR POUR L’ENTREPRISE » La roue avait déjà commencé à tourner. Elle a à présent accompli sa révolution : le nouveau leitmotiv de la Commission pourrait s’appeler « la valeur pour l’entreprise ». Après des décennies où l’anonymat de propriétaires uniquement guidés par le rendement de leurs titres était vu comme une incitation nécessaire à la bonne gestion, Bruxelles veut faire en sorte que les entreprises y voient clair sur l’identité de leurs actionnaires. Les gestionnaires doivent savoir pour qui ils travaillent. Et en retour, les propriétaires doivent http://www.latribune.fr La Tribune 2, rue de Châteaudun - 75009 Paris Téléphone : 01 76 21 73 00. Pour joindre directement votre correspondant, composer le 01 76 21 suivi des 4 chiffres mentionnés entre parenthèses. SOCIÉTÉ ÉDITRICE LA TRIBUNE NOUVELLE. S.A.S. au capital de 3 200 000 euros. Établissement principal : 2, rue de Châteaudun - 75009 Paris Siège social : 10, rue des Arts, 31000 Toulouse. SIREN : 749 814 604 Président, directeur de la publication Jean-Christophe Tortora. se sentir responsables de leur bien et exercer leurs droits, ne pas seulement « gérer leur propre argent » mais se sentir à leur tour comptables. Y compris – et c’est sans doute la raison pour laquelle ce texte met si longtemps à sortir – en contrôlant de près la rémunération des administrateurs, autrement dit de leurs propres représentants. Ce n’est donc pas un hasard si la Commission s’intéresse à présent aux entreprises familiales, et pas seulement sur un mode suspicieux en cherchant à montrer du doigt les risques de népotisme ou de mauvaise gestion inhérents au mélange entre propriété et gestion. Réunis à Bruxelles, leurs représentants en ont profité pour défendre leur cause. Laissez-nous en paix"! clament-ils en chœur. Nous savons gérer nos propres affaires. Comme si, en l’espèce, la (loi de la) famille, sans être une alternative au droit, devait pouvoir garder toute sa place. Ils ont quelques arguments. Prenez l’archétype de la (très) grande société familiale : au hasard, un très grand distributeur « nordiste ». Faire partie du cercle des 500 et quelques actionnaires ne s’y résume pas à une rente. Loin s’en faut. Les règles internes de l’affectio societatis familial ont été écrites pour écarter la tentation d’agir en passager clandestin. S’il le faut, les membres de la famille invités à faire partie d’un ou plusieurs conseils de surveillance des filiales du groupe ne sont pas juste triés sur le volet, leur rôle est proportionné à leur compétence, cela dût-il provoquer quelques grincements de dents lors des déjeuners dominicaux. La jeune génération se voit prestement encouragée à faire ses classes dans les rayons des « hypers », histoire que « le lien se noue et que l’on ne bascule pas dans une logique de fonds de pension », indique une source « maison ». Et quand Gérard Mulliez, le fondateur, a voulu, une seconde fois, en 2006, déroger à la limite d’âge fixée dans la charte familiale, cette même famille qu’il a enrichie au-delà de toute espérance l’a pourtant gentiment poussé vers la sortie. En somme, la Commission, gardienne du droit et défendeuse des principes de l’économie de marché, redécouvre que l’entreprise, pour être bien gérée, est un peu comme une histoire de famille. Le bon sens, en somme. Q RÉDACTION Directeur adjoint de la rédaction Philippe Mabille, éditeur de La Tribune Hebdo. Rédacteur en chef Robert Jules,éditeur de latribune.fr ( Économie Rédacteur en chef adjoint : Romaric Godin. Jean-Christophe Chanut, Fabien Piliu. ( Entreprise Rédacteur en chef : Michel Cabirol. Rédacteurs en chef adjoints : Delphine Cuny, Fabrice Gliszczynski. Alain-Gabriel Verdevoye. ( Finance Rédacteur en chef adjoint : Ivan L © DR V ous n’y aviez peutêtre pas pensé mais… « gérer votre propre argent est différent de gérer celui des autres ». Telle est une des conclusions radicales à laquelle a abouti une récente table ronde sur la gouvernance des entreprises familiales organisée par la Commission européenne. Cette « différence », justement, est par ailleurs au centre d’un projet de directive de la Commission européenne sur la gouvernance des entreprises, qui attend depuis quelques semaines l’imprimatur du collège. Le pari de la société anonyme consiste justement à réconcilier les intérêts des actionnaires (votre propre argent) avec celui des gestionnaires (celui des autres). Et la tâche est tout sauf évidente. Pendant quelques décennies, la grande question a été de rendre les gestionnaires un peu plus responsables du bien d’autrui. La « valeur pour l’actionnaire » était l’alpha et l’oméga. Le prédécesseur de Michel Barnier, le commissaire au Marché intérieur et aux Services – un Irlandais libéral en diable qui aurait aimé tordre le cou aux golden shares – avait finalement quitté Bruxelles sans avoir réussi à toucher à ces titres de propriété qui rompent l’égalité entre actionnaires. Des millions pour Las Vegas FRANCIS PISANI CHRONIQUEUR, AUTEUR, EXPERT INTERNATIONAL EN INNOVATION, CONFÉRENCIER. SON BLOG : FRANCISPISANI.NET ET SUR LATRIBUNE.FR SON BLOG « AUX CŒURS DE L’INNOVATION » @francispisani a ville – toutes les villes, et le défi de les rendre plus vivables et moins dispendieuses – est sans doute la prochaine « frontière », terme familier aux conquérants de l’Ouest américain. Aucun individu ne l’illustre mieux que Tony Hsieh, fondateur de Zappos – la première entreprise à réussir à vendre sérieusement des chaussures online – et animateur de Downtown Las Vegas. Il a tout simplement décidé de transformer le centre de Sin City (« la ville du péché », comme disaient les médias bien-pensants) en modèle de cité intelligente, innovante et durable. « Les campus de Google et de Twitter sont trop insulaires », m’a expliqué Kim Schaefer, une des responsables (personne n’a de titre précis) du Downtown Project. La référence est le campus, ouvert, de l’université de New York, au cœur de Manhattan. « Nous préférons que nos employés se promènent dans la ville », ajoute-t-elle comme un pied de nez aux grands de la Silicon Valley qui font monter les prix immobiliers à San Francisco sans contribuer à sa vraie vie. « Les interactions accroissent la créativité et les innovations de l’entreprise en même temps qu’elles bénéficient à la communauté locale », souligne-t-elle. Las Vegas ayant déversé ses banlieues autour de centres commerciaux dispersés, le centreville était en pleine décrépitude. Immeubles pourris, chômage et crimes le décrivaient mieux que les lumières scintillantes du « strip », la zone des casinos. « Nous voulons changer ça et misons sur l’entrepreneuriat pour diversifier l’économie. Mieux vaut un petit restaurant qu’un mont-de-piété », m’a expliqué Kim Schaefer. Pour inviter les gens à s’amuser et à rester, ils créent des festivals, des pièces de théâtre et ont même monté un « parc de conteneurs » plein de cafés, de boutiques, d’activités musicales et de vie. Et, dans le même temps, ils transforment de vieux casinos en espaces de coworking ou en centres communautaires. Le Dowtown Project établit des partenariats avec les petits commerçants et les aide à trouver des crédits. C’est le cas, par exemple, de Eat, lancé par une Best. Christine Lejoux, Mathias Thépot. ( Correspondants Florence Autret (Bruxelles). ( Rédacteur en chef La Tribune Hebdo Jean-Louis Alcaïde. ( Rédacteur en chef La Tribune du Grand Paris Jean-Pierre Gonguet. RÉALISATION RELAXNEWS ( Direction artistique Cécile Gault. ( Graphiste Elsa Clouet. ( Rédacteur en chef édition Alfred Mignot. ( Secrétaire de rédaction Sarah Zegel. ( ( ( jeune chef qui, faute de moyens envisageait d’aller s’installer ailleurs, ou de Moveline.com, qui facilite les déménagements avec des vidéos. Attirées par « l’attractivité » de l’initiative, 68 start-up ont démarré ici, ou se sont installées depuis le lancement, en janvier 2012. 35 petits commerces et près de 600 emplois ont été créés. Mais une ville, ça n’est pas que des commerçants, même aux États-Unis. Le transport a donné lieu à une initiative spectaculaire, le Project 100. Il permet le partage de bicyclettes, de véhicules avec chauffeur et de 100 Tesla, ces voitures de demain créées par Elon Musk et mises à la disposition du public sur le modèle Zipcar. Une école privée qui accorde une grande place aux neurosciences et à l’entrepreneuriat a été créée. « On y apprend différemment », dès le jardin d’enfants. Tony Hsieh, qui a vendu Zappos pour plus de 900 millions de dollars à Amazon, a mis 350 millions dans le projet. Pour les petits commerces, le fonds pour les start-up, l’éducation et l’achat de terrains et d’immeubles. Le magazine Wired a consacré un long article au projet en janvier et se demande comment un individu peut se lancer dans la revitalisation d’une ville, une affaire complexe et sérieuse. Il s’agirait d’un big gamble. Pas sûr. Tony Hsieh a tout pour réussir… pas nécessairement là où on l’attend. Il joue cartes sur table, mais celles qu’il montre ne sont pas nécessairement celles qui comptent le plus. Avec une partie de son argent, il donne vie à une nouvelle communauté innovante faite de start-up qui échouent dans 90"% des cas. Avec le reste, il rachète terrains et immeubles du centre-ville qui ne valent encore pas grand-chose. Une valeur plus sûre, à long terme. On ne peut que lui souhaiter bonne chance. Il montre en effet qu’on peut être riche et prendre des risques avec une partie importante de sa fortune. Et surtout, il a compris que les projets innovants partent de communautés innovantes. Son mérite est de contribuer à les créer en pariant sur la diversité, la passion d’entreprendre et une bonne dose de fun. On peut sans doute y arriver avec moins d’argent… Q Révision Colin Porcile. Iconographie Sandrine Sauvin. Cathy Bonneau. Infographies ASKmedia. ACTIONNAIRES Groupe Hima, Laurent Alexandre, JCG Medias, SARL Communication Alain Ribet/SARL, RH Éditions/Denis Lafay. MANAGEMENT Vice-président métropoles et régions Jean-Claude Gallo. Directrice Stratégie et Développement Aziliz de Veyrinas (73 26). Directeur pôle Live Média Max Armanet. Directeur nouveaux médias Thomas Loignon (73 07). Conseiller éditorial François Roche. Abonnements ventes au numéro Aurélie Cresson (73 17). Distribution MLP Cette édition comprend un supplément gratuit, LA TRIBUNE DE L’AUTOMOBILE. Imprimeries IPS, ZA du Chant des Oiseaux, 80800 Fouilloy. No de commission paritaire : 0514 C 85607. ISSN : 1277-2380. 26 I GÉNÉRATION LA TRIBUNE - VENDREDI 11 AVRIL 2014 - NO 86 - WWW.LATRIBUNE.FR RONAN PELLOUX « L’important, c’est de participer » À 29 ans, le cofondateur de l’agence de design « crowdsourcé » Creads revendique le fair-play olympien. Mais il entend bien devenir leader mondial avec sa plateforme, qui fédère déjà 50 000 designers dans le monde. PAR PERRINE CREQUY A vec une telle stature et ses mouvements lestes, on se dit que Ronan Pelloux aurait pu être basketteur. À juste titre. Quand il avait 16 ans, le cofondateur de l’agence de design participative Creads jouait au niveau national et s’apprêtait à embrasser une carrière professionnelle. Mais le jour de son match test pour entrer à l’Asvel, le club de Lyon-Villeurbanne qui dominait alors le championnat de France, il ne parvient pas à convaincre. « L’ambiance était à couteaux tirés entre les joueurs, et savoir que les examinateurs me notaient chaque fois que je touchais le ballon était déstabilisant », se souvient cet ancien premier de la classe qui a obtenu son baccalauréat avec un an d’avance. « J’ai toujours été un gentil », sourit l’entrepreneur. Aujourd’hui, à 29 ans, il codirige une équipe de 35 salariés, et son agence de design « crowdsourcé » fédère une communauté de 50"000 designers à travers le monde. À la suite du fabricant de meubles Woodeos et de la Fédération française des voituriers, plus de 2000 clients ont fait appel à ses concours d’idées pour trouver le logo ou le nom de leur entreprise. « Pour notre premier client, nous avons reçu 70 propositions de graphismes en une semaine. Nous avons tout de suite compris que notre business model était le bon. » « LA PRÉSENCE DES FEMMES ME MANQUAIT » Début avril, Ronan Pelloux a annoncé avoir bouclé une première levée de fonds pour accélérer le développement de Creads à l’international, après avoir ouvert les marchés japonais et espagnol. Il a convaincu CM-CIC d’investir 3 millions d’euros. Signer un premier deal de cette envergure en France, c’est un peu comme marquer un panier du milieu du terrain : peu commun et remarquable. Pour autant, Ronan Pelloux n’en fait pas grand cas. « Depuis la création de Creads en 2008, nous nous sommes développés sur fonds propres, car les investisseurs que nous avions rencontrés ne partageaient ni notre philosophie ni notre ambition », commente simplement cet entrepreneur dont on dit qu’il « aime gagner ». « Ronan est humble dans la victoire. Il est un homme droit, fiable, solide. Il est sérieux dans le travail et il sait faire sortir le meilleur des gens qui travaillent avec lui, dans une bonne ambiance », confie Marc Fournier, managing partenaire chez Serena Capital et directeur scientifique du master « Innover et entreprendre » à l’ESCP. C’est dans cette formation que Ronan Pelloux a rencontré son indissociable associé, Julien Mechin. « Ronan et moi formons un bon duo, animé par un esprit sportif, estime Julien Mechin. Nous ne sommes pas toujours d’accord sur les recrutements à faire ou non, les fonctionnalités à développer, telle ou telle dépense à engager… Nous en débattons sans jamais nous disputer. Ainsi, nos choix sont toujours réfléchis. » Le tandem s’est réparti les domaines d’expertise : Ronan Pelloux affûte sa vision et gère la communication, tandis que Julien Mechin s’occupe de la technique et du design de la plate-forme. Certes, Ronan Pelloux sait coder lui aussi. Au lycée déjà, il s’amusait à envoyer des virus sur les écrans d’ordinateur de ses camarades de classe quand le prof avait le dos tourné. Puis il s’est fait la main en créant des premières plates-formes, lors de sa formation à l’école d’ingénieur ECE. « Quand je repense au design de mon premier site, Bar à Paris, j’ai honte"! J’avais mis des éclairs partout… » Développant des idées à la pelle et au gré de ses centres d’intérêt du moment, il passe rapidement à un autre concept avec Parisat. « Nous voulions géolocaliser les restaurants à Paris et leur attribuer une note, notamment en fonction de la quantité de nourriture dans l’assiette. Nous avions développé une plate-forme en Java, et nous avions demandé une carte de Paris à l’IGN, qui voulait bien nous la fournir pour 70"000 euros. Nous n’avions évidemment pas cette somme. Nous nous sommes débrouillés en récupérant des images satellites libres de droits sur Inter- © MARIE-AMÉLIE JOURNEL @PerrineCrequy Zone d’influence : #crowdsourcing, #informatique, #design, #innovation net… Le site a tout de suite eu un certain succès, et Alloresto nous a contactés pour y afficher une bannière de publicité. J’en étais tellement heureux que je la leur ai offerte. » Mais six mois plus tard, Google lançait Google Maps, rendant Parisat obsolète. « Google Maps proposait une fonction zoom que nous n’avions pas », relativise Ronan Pelloux, bon joueur. Son associé de l’époque, Minh Loïc Hoang-Xuan, devenu directeur de la stratégie de Creads, souligne « la capacité de Ronan à prendre des décisions, et à les assumer quoi qu’il arrive ». En 2007, Ronan Pelloux décide d’acquérir des compétences en business. Il choisira le master « Innover et entreprendre » à l’ESCP. « J’ai hésité un temps avec un master de marketing. J’avais envie d’acquérir de nouvelles compétences, et aussi de sortir de cet univers très mas- MODE D’EMPLOI Fc\i\eZfeki\i6 Dans le quartier Montorgueil : « Je travaille, je fixe mes rendez-vous et je réside dans ce quartier parisien que j’adore. » :fdd\ekcÊXYfi[\i6« Je ne repousse jamais quelqu’un qui vient me parler. Venez me rencontrer sans hésiter, je suis gentil ! » Àm`k\iÊtre envahissant. « Je peine toujours à interrompre une conversation, même quand celle-ci m’ennuie. Alors, s’il vous plaît, évitez de me suivre pendant une soirée entière… » Et ne l’invitez pas pour un café, il n’en boit jamais. culin de l’école d’ingénieurs. La présence de femmes me manquait », sourit-il. À l’ESCP, il rencontre Arbia Smiti, la fondatrice de Carnet de mode, qu’il a épousée l’été dernier. Il a conçu pour elle un premier site Internet. Ils réseautent ensemble, en toute discrétion. Il y a un an, tous deux ont participé à l’édition moscovite du G20 Young Entrepreneurs’ Alliance (YEA). « Ils ont été sélectionnés indépendamment, chacun pour ses qualités d’entrepreneur, et c’est au retour du voyage que nous avons appris qu’ils allaient se marier », s’étonne Jean-Louis Grégoire, managing directeur de l’association Citizen Entrepreneurs et sherpa de la délégation française du G20 YEA. Ils participeront en duo à la prochaine édition, à Sydney, de ce forum qui réunit des entrepreneurs de moins de 40 ans venus de tous les pays du monde pour plancher sur des pistes de croissance qu’ils transmettent aux gouvernements à l’issue de leurs débats. « Ronan est toujours souriant, avenant. Il est force de proposition tout en restant à l’écoute des propositions des autres. Il se nourrit de ce qu’on lui dit et partage son expérience volontiers. » Notamment pour avertir les aspirants entrepreneurs des erreurs à ne pas commettre. « Creads aurait pu mourir au moins dix fois. Autant permettre à d’autres d’éviter de tomber dans les mêmes pièges. » Lui-même sait qu’il lui reste beaucoup à apprendre. Il a su créer un marché, innover, et son entreprise a généré 1,3 million d’euros de chiffre d’affaires en 2013. Mais il a conscience que la concurrence s’organise outre-Atlantique et que, pour exister durablement, un réseau social de talents créatifs comme Creads ne peut être que premier sur son marché. La compétition ne fait que commencer. Q TIME LINE Ronan Pelloux Janvier 1985 Naissance en Bourgogne 2000 Basketteur sélectionné au niveau national 2001 Obtient son bac, manque sa sélection pour devenir basketteur professionnel à l’Asvel 2007 Diplômé de l’école d’ingénieur ECE, enchaîne avec le master « Innover et entreprendre » à l’ESCP. 2008 Confonde Creads avec Julien Mechin 2014 Lève 3 millions d’euros 2016 Ouvre des bureaux en Allemagne, au Royaume-Uni, aux États-Unis, au Brésil et pourquoi pas en Russie. Emploie 100 personnes. %BAT LA TRIBUNE - HEBDO %!!%% $ % "Business%"!#% # UN CONFORT RÉVOLUTIONNAIRE Nouveau siège Business : découvrez le confort d’un lit spacieux parfaitement horizontal et un service d’exception. AIRFRANCE.FR France is in the air : La France est dans l’air. Mise en place progressive à compter de juin 2014 sur une partie de la flotte long-courrier Boeing 777. AIRF_1403088_La_Tribune_BUSINESS_256x363_PQ.indd 1 07/04/14 12:30
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