Le Monde du mardi 07 octobre 2014

14-18
NOUVELLE
FORMULE
LE JOURNAL
DU CENTENAIRE
LESVIOLENCES DE GUERRE
FAITESAUXCIVILS
Mardi 7 octobre 2014 ­ 70e année ­ No 21685 ­ 2 € ­ France métropolitaine ­ www.lemonde.fr ―
Fondateur : Hubert Beuve­Méry
Affaire Bygmalion : Sarkozy
directement menacé
INTERNATIONAL
QUALIFICATION
SURPRISE DE
LA DROITE AU BRÉSIL
▶ Les enquêteurs évoquent un «financement illégal de la campagne» 2012 et s’interrogent sur le rôle du candidat
→ LIRE
PAGE 5
ÉCONOMIE
L’
affaire Bygmalion est bien une
affaire Sarkozy. Les policiers qui
enquêtent sur un soupçon de fi­
nancement occulte de la campagne pré­
sidentielle de Nicolas Sarkozy en 2012 par
des fausses factures imputées à l’UMP
évoquent l’infraction de « financement
illégal de la campagne électorale » et plus
seulement celle d’« abus de confiance ».
Dans un procès­verbal de synthèse ré­
digé le 1er octobre, la chef de l’Office cen­
tral de lutte contre la corruption et les in­
fractions financières et fiscales, Chris­
tine Dufau, affirme que « les deux parties
ont établi de fausses factures [à hauteur
de plus de 18 millions d’euros] pour éviter
de devoir comptabiliser dans le compte de
campagne des factures de prestations
liées à cette campagne ».
Elle précise, comme pour répondre à
Nicolas Sarkozy et Jean­François Copé –
patron de l’UMP au moment des faits –
qui ont démenti avoir eu connaissance
du système frauduleux : «Etant donné le
nombre de meetings, l’enjeu financier
qu’ils représentaient, il peut paraître très
surprenant que personne ne se soit préoc­
cupé de leur financement, et que les res­
ponsables du groupe Bygmalion n’aient
pas pris contact avec ceux de l’UMP.» p
LIRE L’ ENQUÊTE DE GÉRARD DAVET
ET FAB R I C E L H O M M E PAG E S 7 E T 8
Face aux djihadistes, Paris a cherché l’aide de Damas
▶ La reprise de
contact pour
obtenir des
renseignements
a échoué à cause
des conditions
fixées par Assad
LA MACHINE
À RÊVES D’EURO
DISNEY VIRE
AU CAUCHEMAR
→ LIRE
CAHIER ÉCO PAGE 4
ISRAËL
COMPROMET
LA CRÉATION
D’UN ÉTAT
PALESTINIEN
→ LIRE PAGE 23
▶ Notre enquête :
parcours de trois
Français partis
combattre
en Syrie
DOSSIER
PROFESSIONS
RÉGLEMENTÉES,
UN MAL FRANÇAIS
L I R E PAGES 2, 12 ET 13
→ LIRE
CAHIER ÉCO P. 1 , 8 -9
INTERNATIONAL
L’ACCUEIL DES
DIVORCÉS REMARIÉS,
UN TEST POUR
LE PAPE FRANÇOIS
Des partisans du Front
Al­Nosra protestent
contre le régime syrien
et l’offensive occidentale,
le 26 septembre,
à Alep.
→ LIRE
FADI AL-HALABI/AFP
UK price £ 1,90
À NOS LECTEURS
LE MONDE CHANGE,
L’ESPRIT DEMEURE
par gilles van kote
L’
évolution des usages et la métamor­
phose du paysage des médias nous obligent
en permanence à nous réinventer et à re­
penser notre façon d’exercer le métier de journa­
liste. Lundi 6 octobre, Le Monde franchit une nou­
velle étape dans sa transformation en média multi­
support, qui se déploie aussi bien sur le papier (le
quotidien, le magazine M et les hors­séries) que sur
le numérique (Lemonde.fr, l’application mobile
pour tablette et smartphone).
Ce journal que, chaque jour, deux millions de lec­
teurs tiennent entre leurs mains ou consultent sur
Internet se veut plus audacieux et mieux hiérar­
chisé. Il ose l’article au long cours, mais aussi la
photo, le dessin ou l’infographie grand format, au ris­
que de faire grincer les dents de ceux de nos lecteurs
qui nous préfèrent austères. Il assume ses choix,
dans la forme comme sur le fond. Contrairement à ce
que des experts éclairés annonçaient, le papier n’a
pas disparu. Il offre aujourd’hui une expérience de
lecture différente de celle proposée par les supports
numériques. Il doit jouer la complémentarité avec
ceux­ci. Le succès des smartphones accentue la né­
cessité de cette différenciation. → LIRE PAGE 16
LE REGARD DE PLANTU
PAGE 4
Olivier
ROLIN
Luc Besson,
après le
triomphe
de «Lucy»
PORTRAIT
La critique l’a souvent incendié.
Mais Lucy a été un succès plané­
taire: il a rapporté 400 millions
de dollars au réalisateur et lui a
permis de se renflouer. Le ci­
néaste et homme d’affaires re­
çoit Le Monde, tel un Orson Wel­
les volontairement débraillé.
L’homme se confie peu. Il renoue
avec le temps des succès, lorsque
Le Cinquième Elément et Le
Grand Bleu faisaient de lui le fer
de lance du cinéma français à
Hollywood.
« Un livre bouleversant. »
Raphaëlle Leyris, Le Monde des Livres
« Un récit sobre à broyer le coeur. »
Marie-Laure Delorme, Le Journal du Dimanche
roman
→ LIRE L’ENQUÊTE DE
LAURENT CARPENTIER P. 18-19
Algérie 180 DA, Allemagne 2,40 €, Andorre 2,20 €, Autriche 2,50 €, Belgique 2 €, Cameroun 1 800 F CFA, Canada 4,50 $, Côte d'Ivoire 1 800 F CFA, Croatie 19,50 Kn, Danemark 30 KRD, Espagne 2,30 €, Finlande 3,80 €, Gabon 1 800 F CFA, Grande-Bretagne 1,90 £, Grèce 2,40 €, Guadeloupe-Martinique 2,20 €, Guyane 2,50 €, Hongrie 950 HUF, Irlande 2,40 €,
Italie 2,40 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2 €, Malte 2,50 €, Maroc 12 DH, Norvège 28 KRN, Pays-Bas 2,40 €, Portugal cont. 2,30 €, La Réunion 2,20 €, Sénégal 1 800 F CFA, Slovénie 2,50 €, Saint-Martin 2,50 €, Suède 35 KRS, Suisse 3,40 CHF, TOM Avion 450 XPF, Tunisie 2,40 DT, Turquie 9 TL, USA 4,50 $, Afrique CFA autres 1 800 F CFA
2 | international
0123
MARDI 7 OCTOBRE 2014
A Damas,
le 12 septembre.
OLGA KRAVETS/SALTIMAGES
POUR « LE MONDE »
Le jour où Paris a voulu renouer avec Damas
Le régime syrien a conditionné la coopération antiterroriste à la réouverture de l’ambassade de France
L
es interférences entre
les impératifs de la lutte
antiterroriste et les enga­
gements diplomatiques
de la France confinent parfois à la
schizophrénie. Alors que l’Elysée
et le Quai d’Orsay continuent de
proclamer qu’il n’est pas question
de coopérer avec Bachar Al­Assad,
le dictateur syrien ayant causé près
de 200 000 morts et perdu « toute
légitimité », les services de police et
du renseignement intérieur aime­
raient relancer la coopération avec
leurs homologues syriens.
Pressée d’éviter que des djiha­
distes français partis en Syrie ne
reviennent sur le sol natio­
nal commettre des attentats, la
Direction générale de la sécurité
intérieure (DGSI) a tenté, à la fin
du premier trimestre 2014, selon
les informations du Monde, de ré­
tablir un lien direct avec les servi­
ces de renseignement syriens afin
d’obtenir des informations per­
mettant d’anticiper les éventuel­
les menaces.
Le régime de Bachar Al­Assad a
répondu à ce souhait en indi­
quant qu’il était prêt à coopérer
dès lors que la France déciderait
de rouvrir son ambassade en Sy­
rie, fermée depuis le 6 mars 2012.
Cette éventualité a été rejetée
par François Hollande, qui reste
très engagé contre le régime
de Damas tout en ayant rejoint la
coalition internationale contre
l’« Etat islamique » (EI), la princi­
pale force djihadiste en Syrie, op­
posée tant à l’Occcident qu’à Ba­
char Al­Assad.
Maillon manquant
Si la DGSI dispose de moyens
techniques et humains impor­
tants pour surveiller sur le sol
français les candidats au djihad
syrien et leurs communications,
il lui manque, en revanche, un
maillon précieux : celui de leurs
activités et de leurs mouvements
en Syrie. La rupture brutale des
contacts entre Paris et Damas a
asséché la source syrienne d’in­
formation et prive, depuis deux
ans et demi, la DGSI d’éléments
jugés importants.
D’autres pays occidentaux,
comme l’Allemagne, par exem­
ple, ont poursuivi leurs relations
avec les autorités syriennes, et
notamment leurs services de ren­
seignement. Berlin a, de la même
manière, maintenu le contact
avec le Hezbollah et l’Iran. La
DGSI a dû, dans certains cas, pas­
ser par son partenaire allemand
pour obtenir, indirectement, des
informations sur des Français au
cœur d’enquêtes en cours. Mais
cette procédure indirecte consti­
tue un frein à l’efficacité du tra­
vail de la DGSI.
Aussi, alors que le flux de dé­
parts djihadistes atteignait déjà
des niveaux jugés très inquiétants
par les autorités françaises, et plu­
sieurs semaines avant que Mehdi
Nemmouche ne soit arrêté, fin
mai, à Marseille, les services de
renseignement français se sont
rendus à Damas. La délégation
comprenait notamment l’officier
de liaison de la DGSI à Amman, en
Jordanie, où ont été réaffectés les
fonctionnaires précédemment en
poste à Damas, et son collègue de
la Direction générale de la sécu­
rité extérieure (DGSE).
Selon une source issue du ren­
seignement français, « l’objectif
était de renouer le dialogue, car le
besoin de renseignement opéra­
tionnel est réel et pouvait au
moins se faire sous forme
d’échanges ».
Mais le régime de Damas a con­
ditionné son aide, toujours selon
la même source, à un signe de re­
connaissance de la France et « à
l’arrêt des critiques publiques à
son encontre du chef de l’Etat,
François Hollande, et du ministre
des affaires étrangères, Laurent
Fabius ». Des exigences inaccepta­
bles pour Paris.
Ali Mamlouk, conseiller spécial
pour la sécurité du président sy­
rien, Bachar Al­Assad, et chef de la
sécurité nationale, inspirerait lar­
gement cette ligne. Au cours des
mois qui ont suivi la visite des re­
présentants de la DGSI et de la
DGSE à Damas, d’autres canaux
ont été activés par Damas pour
promouvoir, en France, l’idée
La rupture
des contacts
entre Paris
et Damas prive,
depuis deux ans
et demi, la DGSI
d’éléments jugés
importants
d’une réouverture de l’ambas­
sade française contre une coopé­
ration antidjihadistes.
Des intermédiaires classiques,
tels que certains parlementaires,
membres d’associations d’ami­
tié franco­syrienne, ont été solli­
cités ainsi que d’anciens hauts
responsables du renseignement
français.
Parmi eux, l’ancien patron de la
DGSI (alors appelée Direction de
la surveillance du territoire, puis
Direction centrale du renseigne­
ment intérieur, de 2007 à
2012) Bernard Squarcini a con­
firmé au Monde avoir été appro­
ché pour tenter de faciliter la coo­
pération entre Paris et Damas sur
le terrain du renseignement. Il
s’est refusé à fournir tout détail
sur les autorités syriennes qui
l’avaient sollicité ou sur les per­
sonnes à qui il a transmis le mes­
sage. Il a seulement indiqué qu’il
entendait « laisser les services faire
leur travail ».
Un Français, négociant interna­
tional de pétrole, Xavier Houzel,
qui fut pendant plus de trente ans
le plus gros acheteur de pétrole
syrien, a également confirmé, au
Monde, avoir été destinataire d’un
message similaire de la part de
proches de la présidence sy­
rienne. « La position de Damas est
claire, ils disent : nous sommes un
gouvernement légitime et souve­
rain, nous ne sommes pas des clan­
destins, ouvrez votre ambassade et
nous sommes ouverts à tout,
même discrètement. »
« Aucun projet de réouverture »
Au sommet de l’Etat français, la
manœuvre syrienne pour rom­
pre son isolement international
en monnayant l’aide dans la lutte
contre le terrorisme a été moyen­
nement appréciée. La DGSE, qui
n’était pas en pointe dans la délé­
gation partie à Damas, conserve
une réserve inhérente à sa posi­
tion au sein du monde du secret.
A la différence de la DGSI, qui
joue un rôle de défense du terri­
toire, la DGSE est un service « of­
fensif ».
Interrogée sur la démarche con­
jointe menée, au printemps,
auprès de Damas avec la DGSI, la
DGSE a assuré au Monde qu’elle
« n’envisage aucune reprise de
contact avec les services syriens ».
Le principal intéressé, le minis­
tère de l’intérieur, qui a autorité
sur la DGSI, a choisi, pour sa part,
de caler sa réaction officielle sur
celle de la présidence de la Répu­
blique. « Nous n’avons pas de con­
tact avec les services syriens », s’est
borné à répondre son porte­pa­
role, sans démentir la tentative de
reprise de contact lancée par le
poste de la DGSI à Amman.
Enfin, le Quai d’Orsay, le plus ré­
tif à ce type de contact, même si
formellement Paris n’a pas
rompu ses relations diplomati­
ques avec Damas, a précisé qu’« il
n’y a aucun projet de réouverture
de l’ambassade de France à Da­
mas » avant d’ajouter : « Nous rap­
pelons que nous soutenons l’oppo­
sition modérée en Syrie qui se bat
sur deux fronts, contre la barbarie
de Daech [l’acronyme arabe de
l’Etat islamique] et contre le ré­
gime de M. Bachar Al­Assad, qui en
est à l’origine. » p
LES DATES
2000
Jacques Chirac est le seul chef
d’Etat occidental à assister aux
funérailles du président syrien
Hafez Al-Assad.
2005
L’ex-premier ministre du Liban
Rafic Hariri est tué dans un attentat à Beyrouth. La communauté
internationale y voit la main de
Damas. M. Chirac tente d’isoler
diplomatiquement la Syrie.
2008
Bachar Al-Assad est invité à Paris par Nicolas Sarkozy et assiste
au défilé du 14-Juillet dans la
tribune officielle.
2012
Fermeture de l’ambassade de
France à Damas.
jacques follorou
L’armée syrienne tente d’encercler définitivement Alep
alep subira­t­elle le même sort que
Homs, reconquise en mai par l’armée sy­
rienne après deux ans de siège et un assaut
final de deux mois ? Les forces de sécurité de
Bachar Al­Assad ont lancé, vendredi 3 octo­
bre, l’offensive sur cette ville du nord­ouest
du pays, dont les secteurs orientaux ont été
conquis par l’opposition en 2012.
Après l’avancée des forces gouvernemen­
tales sur des petites localités au nord de
l’ancienne capitale économique syrienne,
les combats contre des groupes de l’oppo­
sition armée se concentraient, dimanche,
à Handarat et aux abords de Sifat, autour
de la dernière grande voie d’approvision­
nement dont disposent les rebelles d’Alep
vers la Turquie. La prise de cet axe routier
par les forces loyalistes pourrait prendre au
piège opposants et civils dans la ville.
« La situation est inquiétante mais pas irré­
versible », a indiqué, dimanche, l’Armée sy­
rienne libre (ASL). « Le régime a fait une
avancée dans le but d’assiéger Alep, mais
l’ASL et les autres forces révolutionnaires se
défendent bien. » L’ASL affirme avoir capturé
des soldats du régime, dont des miliciens li­
banais et afghans, et détruit des chars.
Au moins 28 rebelles tués
Selon l’Observatoire syrien des droits de
l’homme (OSDH), les brigades proches de
l’ASL combattent aux côtés des brigades is­
lamistes du Front Ansar Al­Din et du Front
Al­Nosra contre les forces du régime, ap­
puyées par le mouvement libanais Hezbol­
lah et des combattants chiites iraniens et
afghans. L’aviation syrienne a bombardé
dimanche les secteurs de Hayan et Halak
au moyen de barils d’explosifs. La télévi­
sion d’Etat syrienne avait annoncé, ven­
dredi, la prise de contrôle par les forces
gouvernementales des localités de Mouda­
fah, Handarat et Sifat, ainsi que de quatre
carrefours à l’ouest de Sifat, tuant « de
nombreux terroristes et détruisant des di­
zaines de voitures ». Au moins 28 rebelles
et 16 combattants loyalistes auraient été
tués, selon l’OSDH.
Au nord­est de la province d’Alep, les
combats se poursuivaient entre forces kur­
des et djihadistes autour de la ville kurde
de Kobané, assiégée par l’Etat islamique.
Une combattante kurde des Unités de pro­
tection populaire (YPG) a commis, diman­
che, un attentat­suicide contre un barrage
du groupe djihadiste à l’est de la ville. p
hélène sallon
international | 3
0123
MARDI 7 OCTOBRE 2014
Le régime iranienest«sourcede déstabilisation»
Pour Reza Pahlavi, fils du chah d’Iran, Téhéran est indirectement responsable de l’émergence de l’EI
E
ENTRETIEN
n exil depuis 1979, Reza
Pahlavi, 53 ans, fils du
chah d’Iran, est le prési­
dent du Conseil national
iranien pour les élections libres.
Cette coalition d’opposition, créée
en avril 2013, compte dix­huit or­
ganisations politiques, allant des
républicains aux monarchistes en
passant par les sociaux­démocra­
tes et des représentants du « mou­
vement vert ». M. Pahlavi revient
pour Le Monde sur l’Etat islamique
(EI), le dossier nucléaire iranien et
la présidence d’Hassan Rohani.
L’EI menace l’Irak et la Syrie
ainsi que les pays voisins
comme l’Iran. La stratégie de la
coalition internationale vous
semble­t­elle adaptée ?
Il faut chercher la source des cri­
ses actuelles. L’islam politique, la
radicalisation, la déstabilisation de
la région ont été provoqués par
l’arrivée du régime islamique en
Iran. Avant la révolution de 1979, le
Moyen­Orient était une zone sta­
ble. La question de l’affrontement
sunnite­chiite n’existait pas. Le ra­
dicalisme chiite du régime iranien,
qui a toujours cherché à imposer
son hégémonie régionale, a en­
gendré une réaction au sein du
bloc sunnite, qui s’exprime de la
pire manière avec le radicalisme
des groupes sunnites.
Si l’on regarde les choses par le
petit bout de la lorgnette, jamais
cette crise ne sera réglée. C’est un
peu comme faire la guerre aux
moustiques sans assécher le maré­
cage. Il faut une solution plus
profonde qui repose sur deux
facteurs : la libéralisation démo­
« La République
islamique a
soutenu de façon
claire le régime
de Bachar
Al-Assad dans
la répression
de ses citoyens »
cratique des pays de la région et la
laïcité.
L’Iran, par son influence en Sy­
rie et en Irak, n’a­t­il pas un
rôle à jouer dans la résolution
de ces crises ?
La République islamique a sou­
tenu de façon claire le régime de
Bachar Al­Assad dans la répression
de ses citoyens. Des milliards de
dollars ont été envoyés, sans parler
de munitions et d’armes, pour le
soutenir contre l’opposition sy­
rienne. La même chose en Irak. Le
régime des mollahs prétend pou­
voir aider alors qu’il est lui­même
la source de cette déstabilisation !
Il fait partie du problème et non
de la solution. Il n’y a aucun dialo­
gue possible. La survie de la Répu­
blique islamique dépend de la
destruction de son ennemi : l’Oc­
cident avec toutes ses valeurs
− droits de l’homme, libertés dé­
mocratiques, laïcité − qui sont un
poison pour lui. La solution est à
trouver dans les peuples de cette
région qui sont victimes de ces ré­
gimes. Ils sont vos meilleurs alliés
naturels, mais ils ne sont pas inté­
grés au dialogue.
Les négociations sur le pro­
gramme nucléaire iranien doi­
vent s’achever le 24 novembre.
Les talibans pakistanais se rallient à l’EI
Les talibans pakistanais se sont ralliés, samedi 4 octobre, à
l’« Etat islamique » (EI) et ont appelé les combattants islamistes de toute la région à soutenir la cause du mouvement djihadiste en faveur de l’instauration d’un califat transnational. « Oh
frères, nous sommes fiers de vos victoires. Nous sommes avec vous
dans la joie comme dans la peine », a déclaré Chahidullah Chahid,
porte-parole du Tehrik-e-Taliban Pakistan (TTP), dans un message transmis à l’occasion de la fête musulmane de l’Aïd el-Adha.
« De grâce, renoncez à toutes vos rivalités. Tous les musulmans du
monde nourrissent de grands espoirs à votre sujet (…). Nous sommes avec vous. Nous vous fournirons des moudjahidin et tout le
soutien possible », ajoute-t-il dans ce communiqué.
Rien n’atteste pour le moment l’existence de liens directs entre
le TTP et l’EI, mais des membres du mouvement ont été vus récemment distribuant des tracts à Peshawar, capitale de la province de Khyber Pakhtunkhwa, l’une des « agences tribales » du
nord-ouest du Pakistan frontalières de l’Afghanistan. Des drapeaux de l’EI ont par ailleurs été vus dans le Cachemire indien.
Pensez­vous un accord final
possible ?
Pensez­vous qu’un régime qui
développe un programme nu­
cléaire uniquement civil amène­
rait son pays au bord de conflits
militaires et imposerait à son
peuple les conséquences des
sanctions économiques qui en
découlent ? Il y a un manque de
transparence sur ses intentions.
Le dernier rapport de l’Agence
internationale pour l’énergie ato­
mique indique que les experts
n’ont pas accès à l’information
nécessaire.
Récemment, M. Khamenei [le
Guide suprême] a ordonné l’aug­
mentation du nombre de centrifu­
geuses. Le régime maintient ses
installations à Qom, Natanz et
Arak. C’est contradictoire avec ses
déclarations de développer uni­
quement du nucléaire civil.
Le régime cherche comme
d’habitude à gagner du temps,
pour faire de sa capacité nucléaire
militaire un fait accompli. La seule
façon d’éviter la prolifération
nucléaire dans la région est de
soutenir le peuple iranien dans ses
aspirations démocratiques. C’est
dans l’intérêt vital de l’Occident,
comme de la Russie et de la Chine.
démocratie. Car, finalement, le ré­
gime tient, et qui souffre ? Les
gens disent : « On est prêts à se
serrer la ceinture, mais si cela
nous aide à nous débarrasser de
ce régime. »
Pensez­vous que des sanctions
soient la solution pour faire
pression sur l’Iran ?
La stratégie est mauvaise. Si les
sanctions sont appliquées dans
l’espoir d’un changement de com­
portement du régime, cela signi­
fie que l’on n’a pas encore com­
pris que ce régime ne peut pas
changer. Une politique de sanc­
tions n’est efficace que si l’objectif
est d’aider le peuple à parvenir à la
« Peu importe
qui représente
le régime
islamique.
Tous servent
la même
dictature
théocratique »
Quel bilan tirez­vous de la pré­
sidence d’Hassan Rohani, un
an et demi après son élection ?
Dans la première année de la
présidence Rohani, il y a eu plus
d’emprisonnements politiques et
d’exécutions que lors de la der­
nière année d’Ahmadinejad.
C’était la même chose à l’époque
de Mohammad Khatami [prési­
dent iranien entre 1997 et 2005],
qui lui aussi disait qu’il n’y avait
pas de prisonniers politiques.
C’est pourquoi qui représente le
régime islamique – qu’il sourie un
peu plus aux Nations unies ou
qu’il soit plus antipathique – im­
porte peu. Tous servent la même
dictature théocratique.
Les intentions de la République
islamique sont par nature mau­
vaises. Dans l’islam chiite, le ta­
ghiyeh (« dissimulation ») vous
donne le droit de dissimuler vos
intentions. L’Occident tombe
dans ce piège à chaque fois.
Quelle alternative proposez­
vous pour l’Iran ?
Le peuple iranien doit être maî­
tre de sa destinée. La seule façon
d’y arriver est l’organisation d’élec­
tions libres. Il n’y a pas, en Iran,
d’espace de liberté politique qui
permette de mesurer la volonté du
peuple. Il faut aider la société à se
libérer par un mouvement de dé­
sobéissance civile, non par des scé­
narios militaires ou de coup d’Etat.
Le régime, miné par les dissen­
sions, ne pourrait pas résister face
à une nation qui se soulève.
L’instauration de la démocratie
en Iran amènerait les puissances
sunnites de la région au constat
qu’elles n’ont plus besoin de faire
contrepoids à la théocratie ira­
nienne. Cela mettrait fin au conflit
chiite­sunnite, à la discrimination
ethnique ; la menace nucléaire dis­
paraîtrait et le processus de paix
israélo­palestinien pourrait enfin
aboutir.
Pour atteindre cet objectif, le dia­
logue avec les nations démocrati­
ques est primordial. Cet investisse­
ment n’a pas été fait. Ne trouvez­
vous pas étrange qu’en trente­
cinq ans il n’y ait eu aucun
dialogue officiel avec l’opposition
démocratique iranienne, qu’elle
soit à l’intérieur ou à l’extérieur du
pays ? Chaque fois que les peuples
du Moyen­Orient demandent de
l’aide, on les ignore, puis devant les
conséquences catastrophiques, on
réagit trop tard et trop faiblement.
L’exemple de la crise syrienne et de
l’émergence de l’EI sont parlants.
Hélas, les Etats démocratiques
n’ont pas de véritable vision straté­
gique sur ces questions. p
propos recueillis par
hélène sallon
EnSomalie,lesislamistes chababperdentleur dernierport
La chute de Baraawe prive les djihadistes de leur dernière ouverture sur la mer, mais ils contrôlent toujours de nombreuses zones rurales
johannesburg ­
C
correspondant régional
e n’est qu’un petit port dé­
crépi aux pierres centenai­
res, une trouée dans la
barrière de corail qui longe la côte
somalienne, et où le commerce
des esclaves et celui des bananes,
qui firent sa prospérité, sont dé­
sormais oubliés, au profit d’activi­
tés plus modernes : Ba­
raawe (Brava), sur la côte sud de la
Somalie, entre Mogadiscio et la
frontière kenyane, était jusqu’à
dimanche 5 octobre un centre
d’exportation de charbon de bois
vers la péninsule Arabique, et la
« capitale » informelle des insur­
gés somaliens du groupe Al­Cha­
bab, affilié à Al­Qaida. C’était
aussi, depuis des mois, l’un des
objectifs principaux de la coali­
tion des troupes gouvernementa­
les et de l’Amisom, la force de
l’Union africaine.
En dépit de quelques accrocha­
ges, les Chabab ont quitté le port
sans combattre, laissant la coali­
tion en prendre possession. C’est
le second coup sérieux qui leur est
porté en cinq semaines. Le 1er sep­
tembre, leur émir, Ahmed Abdi «
Godane » (Mokhtar Abou Zuber),
était tué, non loin, par une frappe
américaine. Depuis dimanche, les
membres du Harakat Al­Chabab
Al­Moudjahidin (le Mouvement
des jeunes combattants, autre
nom d’Al­Chabab) ont aussi perdu
Baraawe, leur petite « capitale ». Ils
ne sont pas partis très loin : des lo­
calités à moins de vingt kilomètres
sont encore sous leur contrôle. Les
insurgés se promettent aussi de re­
venir attaquer à la première occa­
sion, au besoin par des attentats,
depuis Jilib ou Dinsor (à 100 km).
Les Chabab
continuent
à prélever
des taxes le long
de routes
où la coalition ne
s’aventure qu’en
gros convois
Cela faisait des mois que l’opéra­
tion « Océan Indien » devait per­
mettre à la coalition au sein de la­
quelle l’Amisom, avec un fort ap­
pui occidental, joue un rôle mili­
taire de premier plan, de prendre
le dernier port contrôlé par les
Chabab dans le Sud somalien,
même si ces derniers contrôlent
toujours des couloirs vers des
zones de contrebande au Nord.
Plusieurs fois, l’offensive prévue
avait avorté.
La prise de Baraawe était stratégi­
quement indispensable. D’abord,
la ville était la dernière ouverture
sur la mer pour les Chabab depuis
la perte de Mogadiscio, Kismayo et
Merka. Le port est accessible toute
l’année, et permet la circulation
d’hommes et d’armes, notam­
ment avec le Yémen. Depuis Ba­
raawe, il est également possible
d’envoyer des embarcations vers le
Kenya. Récemment, le pays voisin
– qui est intervenu militairement
en Somalie et dont les alliés locaux
contrôlent Kismayo – a vu la filiale
locale des Chabab attaquer sur son
propre sol, près de Lamu. Des sour­
ces kenyanes estiment qu’une par­
YÉMEN
DJIBOUTI
Golfe d'Aden
OCÉAN
INDIEN
ÉTHIOPIE
SOMALIE
KENYA
Marka
Mogadiscio
Baraawe
Kismaayo
250 km
tie de la logistique, alors, a été assu­
rée depuis Baraawe. Le port était
aussi crucial pour les finances des
djihadistes, qui y prélevaient des
taxes sur les exportations de char­
bon de bois, recueillant plusieurs
dizaines de millions de dollars par
an, selon les Nations unies.
Mais Baraawe était aussi un cen­
tre nerveux du commandement
insurgé. C’est là, en 2009, que Sa­
leh Ali Saleh Nabhan, un des res­
ponsables d’Al­Qaida pour la ré­
gion, co­organisateur des atten­
tats de Nairobi et Dar es Salaam
(1998), avait été tué lors d’une
opération héliportée américaine.
En 2013, une autre tentative simi­
laire avait tourné au désastre :
l’équipe des Navy Seal américains,
responsable de l’opération au Pa­
kistan ayant entraîné la mort
d’Oussama Ben Laden, échouait
dans l’opération de capture d’un
commandant local, et parvenait à
rembarquer en évitant de justesse
de se faire massacrer.
Depuis, les Chabab conti­
nuaient à tenir leur choura (con­
seil) dans le vieux port du réseau
commercial swahili. Si les princi­
pales villes de Somalie sont tom­
bées aux mains de la coalition
pro­gouvernementale, les campa­
gnes appartiennent toujours aux
insurgés, de même que des peti­
tes villes de moindre importance.
Les Chabab continuent à prélever
des taxes le long de routes où la
coalition gouvernementale ne
s’aventure qu’en gros convois. De­
puis leurs zones rurales, les Cha­
bab continuent à organiser atta­
ques et attentats, même si le
temps n’est plus aux grandes of­
fensives. La perte de Baraawe,
même si elle constitue un re­
vers et complique leur logistique,
ne signifie donc pas la fin de leur
mouvement.
Celui­ci avait été réorganisé
sous la poigne de fer de « Go­
dane » après une série de défaites,
lorsque les Chabab avaient perdu
Mogadiscio en 2011, puis Kismayo
en 2012. L’ex­émir avait imposé
son autorité et celle de l’Amniyat,
une force chargée du renseigne­
ment et des assassinats, y com­
pris à l’intérieur du mouvement.
L’émir évitait de se montrer, et en­
core plus de communiquer, pour
éviter d’être assassiné par les for­
ces étrangères. Il a finalement été
tué sur la route de Baraawe. Les
Chabab avaient alors annoncé
qu’ils « feraient payer chèrement
cette mort » – un attentat, deux
jours plus tard à Mogadiscio, avait
fait 16 morts. La décision de nom­
mer à la tête de leur mouvement
son ex­adjoint, Ahmed Diriye
« Abou Oubaida », avait ensuite
été prise lors d’une choura à Ba­
raawe. Ce fut la dernière de cette
ampleur, alors qu’approchait la
chute de la ville. p
jean­philippe rémy
4 | international & europe
0123
MARDI 7 OCTOBRE 2014
ARome, lesynodesur la familles’annonce tendu
Le débat, lancé par le pape François, s’est cristallisé sur l’accueil des divorcés remariés
A
près
l’expectative,
l’épreuve des faits. Le
synode des évêques
qui s’est ouvert au Vati­
can, dimanche 5 octobre, pour
deux semaines, est le premier
pour le pape François. Il sera l’oc­
casion pour lui de prendre le pouls
des conférences épiscopales et de
tester sa capacité à faire bouger les
lignes dans l’Eglise catholique.
Sur le terrain de la doctrine tout
d’abord. Ce synode extraordinaire
sera consacré à « la famille dans le
contexte de l’évangélisation ». Le
modèle catholique du mariage in­
dissoluble entre un homme et
une femme, en vue de faire des en­
fants, est aujourd’hui défié par
toutes sortes d’évolution. Depuis
un an, le pape a provoqué le débat.
A l’automne 2013, Rome avait en­
voyé aux diocèses un question­
naire très ouvert (de la cohabita­
tion hors mariage aux couples de
même sexe avec enfants, en pas­
sant par les familles monoparen­
tales, la contraception, les maria­
ges interreligieux ou la polyga­
mie). Les réponses ont fait appa­
LEXIQUE
SYNODE
Institué après le concile de Vatican II, le synode des évêques
réunit périodiquement les représentants des conférences épiscopales. Convoqué par le pape sur
un sujet donné, il est consultatif.
Qualifié d’« extraordinaire », celui
du 5 au 19 octobre est composé
de 181 membres, surtout des
présidents des conférences épiscopales (114). Présidé par le
pape, il a trois présidents délégués, dont le français André
Vingt-Trois, archevêque de Paris.
Un second synode « ordinaire »
sur la famille se tiendra dans un
an. Plus large, il comprendra
plusieurs représentants de chaque conférence épiscopale.
« La division est
un péché très
grave, elle
est l’œuvre
du diable »
LE PAPE FRANÇOIS
raître un fossé entre la famille telle
que la conçoit l’Eglise et la réalité.
Lors d’une veillée de prière, sa­
medi, place Saint­Pierre, le pape a
appelé les évêques à « entendre le
cri du peuple » et à avoir « un débat
sincère, ouvert et fraternel qui con­
duise à prendre en charge les inter­
rogations dont est porteur ce chan­
gement d’époque ».
Le débat s’est cristallisé ces der­
niers mois sur la place des divor­
cés remariés. La doctrine leur re­
fuse l’accès aux sacrements de la
réconciliation (la confession) et
de l’eucharistie (la communion),
car elle les considère en état per­
sistant de péché grave. Beaucoup
le vivent mal. François ne cesse
d’engager l’Eglise à accueillir et à
« soigner les blessures » avant de
juger. Est­il possible d’envisager
une « procédure » leur permet­
tant d’accéder aux sacrements
sans exiger la rupture de leur nou­
velle union ou la chasteté ?
François a d’abord évoqué de­
vant la presse, en juillet 2013, la so­
lution adoptée par l’Eglise ortho­
doxe, qui permet aux divorcés de
contracter une seconde union en
conservant l’accès aux sacre­
ments. Puis il a choisi, en février,
un partisan d’une évolution, le
cardinal théologien Walter Kasper,
pour introduire la question de­
vant les cardinaux. Depuis, les thè­
ses s’affrontent avec virulence, par
cardinaux interposés. Cinq d’entre
eux, dont Gerhard Müller, préfet
de la Congrégation pour la doc­
trine de la foi, proche de
Benoit XVI, et Raymond Burke,
préfet du Tribunal suprême de la
signature apostolique, ont publié
un ouvrage prônant le statu quo,
Des cardinaux et des évêques assistent à la messe d’ouverture du synode, le 5 octobre, à Rome. TONY GENTILE/REUTERS
des aménagements risquant, se­
lon eux, de menacer l’édifice doc­
trinal. Des proches du pape sont
du même avis.
« Climat électrique »
Il faut remonter à 1971 et au débat
sur le célibat des prêtres pour
trouver un affrontement aussi
tendu. Au point que le cardinal Lo­
renzo Baldisseri, secrétaire géné­
ral du synode, a appelé, le 29 sep­
tembre, à « la sérénité, à la pondé­
ration et au calme » en reconnais­
sant « un climat électrique qui a du
mal à s’apaiser ». « La division
dans une communauté chrétienne
est un péché très grave, elle est
l’œuvre du diable », a twitté le
pape le lendemain.
Le débat ne sera pas non plus
sans effets sur la gouvernance de
l’Eglise. François a exprimé son
souhait d’une plus grande collé­
gialité qui s’appuierait sur des
« consultations réelles, pas formel­
les » du synode des évêques. Pour
inciter les évêques à une véritable
« confrontatio », selon le terme la­
tin qu’il a employé samedi, les or­
ganisateurs ont fait savoir que
leurs interventions ne seront pas
diffusées. « Les assemblées syno­
dales ne servent pas à discuter
d’idées belles et originales, ou à voir
qui est le plus intelligent », a averti
Bulgarie :l’éternelretourdeBoïkoBorissov
Le parti de l’ancien premier ministre de droite remporte les élections législatives du 5 octobre
L
sofia ­ envoyée spéciale
a Bulgarie, membre le plus
pauvre de l’Union euro­
péenne, minée par la cor­
ruption et l’instabilité, n’est pas
un pays comme les autres. Et
Boïko Borissov, 55 ans, chef du
parti de droite GERB (Citoyens
pour le développement européen
de la Bulgarie), n’a rien d’un « can­
didat normal ». Allure massive,
cheveux ras, ancien pom­
pier ceinture noire de karaté, l’ex­
premier ministre chassé du pou­
voir par la rue en février 2013 de­
vrait être à nouveau le chef du
gouvernement après la victoire de
son parti aux élections législatives
anticipées, dimanche 5 octobre.
Avec 32,6 % des suffrages, le
GERB a distancé le Parti socialiste
(15,3 %) et le Mouvement pour le
droit et les libertés (MDL), parti de
la minorité turque (14,9 %). Un
score qui n’offre toutefois pas à
l’homme fort de la Bulgarie la ma­
jorité absolue. M. Borissov devra
donc former une coalition. Une al­
liance avec le Bloc réformiste, petit
parti de droite, est possible si ces
derniers acceptent la primauté
de M. Borissov. « Qui d’autre
peut être premier ministre ? », a lâ­
ché ce dernier, crânement.
Redoutable animal politique
Mais cela pourrait ne pas suffire et
toutes les options restent ouver­
tes, y compris des accords avec
le petit parti populiste Bulgarie
sans censure ou les nationalistes
du Front patriotique. Une grande
coalition avec les socialistes est
même évoquée. « Presque tous
peuvent intégrer une coalition.
C’est le signe de la promiscuité ex­
trême du monde politique bul­
gare », constate Daniel Smilov, po­
litologue du Centre pour les straté­
gies libérales à Sofia.
Ainsi, de crises en crises, d’élec­
tions en élections, les Bulgares re­
trouvent les mêmes visages au
Un futur Parlement émietté
Huit partis devraient être présents au Parlement, selon les résultats des législatives du 5 octobre portant sur 94 % des suffrages.
Le parti GERB (droite) de Boïko Borissov arrive en tête
avec 32,6 % et devance le Parti socialiste bulgare (PSB),
à 15,29 %. Le PSB est talonné par le Mouvement pour le droit et
les libertés, parti de la minorité turque, avec 14,91 %. Les autres
résultats : Bloc réformiste (droite) : 8,91 % ; Front patriotique (nationaliste) : 7,32 % ; Bulgarie sans censure : 5,58 % ; Ataka (nationaliste) : 4,56 % ; ABV (socialiste) : 4,18%.
gouvernement. Et si Boïko Boris­
sov n’est pas l’homme providen­
tiel qu’il prétend être, il fait figure
de moindre mal. Moins populaire
qu’à ses débuts, il démontre, avec
cette nouvelle victoire, qu’il est un
redoutable animal politique. Et un
fin tacticien.
En février 2013, après des semai­
nes de manifestations contre la
hausse du prix de l’électricité, des
« émeutes de la misère », disent
certains, il a démissionné, à la sur­
prise générale. « Sa sortie était cal­
culée », pense le politologue Dimi­
tar Betchev. Quelques mois plus
tard, en dépit d’une courte victoire
aux élections anticipées, incapable
de former une coalition, il laisse le
pouvoir à ses rivaux du Parti socia­
liste, forcés de s’allier avec le parti
de la minorité turque et tacite­
ment soutenus par les xénopho­
bes du parti Ataka.
Leur gestion désastreuse jettera
à nouveau les Sofiotes dans la rue,
faisant presque oublier les dérives
de M. Borissov. Dans une campa­
gne où aucun candidat n’a ré­
pondu aux questions de fond sur
l’avenir de la banque CCB fermée
depuis des mois, sur le prix de
l’électricité ou sur le redressement
économique. « Les gens n’ont plus
confiance dans les politiques mais
ils sont fatigués, ils veulent de la sta­
bilité », commente Svetlomira
Gyurova, journaliste à l’hebdoma­
daire bulgare Capital.
La stabilité, voici justement le
slogan de M. Borissov. Faire régner
l’ordre est, de fait, l’une de ses qua­
lités. L’ancien garde du corps du
dictateur communiste Todor Ji­
vkov jouit de sa réputation de « su­
perflic » acquise lorsqu’il fut secré­
taire général de la police en 2001. A
l’époque, les règlements de comp­
tes entre mafieux se multiplient,
les rues de Sofia se jonchent de ca­
davres et la légende urbaine ra­
conte que Boïko Borissov ne serait
pas étranger à ce « nettoyage ». Les
dépêches de l’ambassade améri­
caine révélées par WikiLeaks dé­
nonçaient en 2006 la proximité de
M. Borissov avec certains mafieux.
« C’est un type autoritaire, fustige
Valeri Zablyanov, du Parti socia­
liste. M. Borissov mêle le business et
les affaires intérieures ». Il n’empê­
che, sa « gueule » et sa carrure sé­
duisent les femmes, tandis que
son parler simple le fait apprécier
des petits entrepreneurs.
Son charisme suffira­t­il à apai­
ser le climat social ? « Le problème
de M. Borissov est qu’il n’a pas
d’idéologie. Lors de son précédent
mandat, hormis des mesures popu­
listes, il n’a mené aucune réforme
nécessaire dans la santé, les retrai­
tes, l’électricité… », souligne M. Bet­
chev. « Les gens voient de plus en
plus que les élections ne changent
rien », se désole Antony Todorov,
professeur de sciences politiques,
doutant que M. Borissov par­
vienne à terminer son mandat. p
claire gatinois
le pape, dimanche, en demandant
aux participants une « sagesse qui
va au­delà de la science » et « une
vraie créativité ». Un document fi­
nal sera mis au vote à la fin du sy­
node, puis diffusé pour une vaste
consultation avant un second sy­
node, à l’automne 2015.
Mais, au bout du compte, c’est
au pape qu’il reviendra de tran­
cher. Jusqu’à présent il s’est gardé
de dévoiler ses intentions. Il est
évident que d’autres sujets que
celui des divorcés remariés, sur­
tout porté par les représentants
des Eglises occidentales, émerge­
ront. « La majorité des familles ca­
tholiques dans le monde sont pau­
vres, rappelle Eric de Moulins­
Beaufort, évêque auxiliaire de Pa­
ris. Elles sont dans la survie et ont
d’autres problèmes. »
Cependant, la question des di­
vorcés remariés a cristallisé les at­
tentes. Au point de faire
aujourd’hui figure de test sur la
capacité du pape François à faire
bouger l’Eglise catholique. « Le
pape a envoyé des signaux qui ont
fait naître de l’espérance, analyse
Thibaud Collin, auteur d’un livre
sur le sujet. Mais il aura peu de
marges de manœuvre, car la ques­
tion mobilise très profondément la
doctrine. » p
cécile chambraud
LesdeuxCorées
reprennentcontact
Une délégation nord­coréenne s’est rendue
au Sud pour la clôture des Jeux asiatiques
L
tokyo ­ correspondance
a visite surprise en Corée
du Sud, samedi 4 octobre,
de personnalités nord­co­
réennes s’est traduite par la pro­
messe d’une reprise, fin octobre
ou début novembre, des échanges
au plus haut niveau entre les deux
voisins. Dimanche, le ministre
sud­coréen de la réunification,
Ryoo Kihl­jae, a qualifié la visite
d’« avancée significative ». La
veille, il s’était entretenu avec
Hwang Pyong­so, nouveau vice­
président de la Commission na­
tionale de défense et considéré
comme le numéro deux du ré­
gime, Choe Ryong­hae, un proche
du dirigeant Kim Jong­un, et Kim
Yang­gon, du Parti du travail.
Une délégation de si haut ni­
veau n’était pas venue au Sud de­
puis 2009 et les funérailles du
président Kim Dae­jung, l’artisan
du rapprochement intercoréen.
Les envoyés nord­coréens ont
rencontré M. Ryoo et le premier
ministre, Chung Hong­won.
M. Hwang a transmis « de chaleu­
reuses salutations » du leader Kim
Jong­un à la présidente sud­co­
réenne, Park Geun­hye, mais ils
n’ont pas rencontré la dirigeante,
par « manque de temps ». Outre la
reprise du dialogue, la délégation
semble avoir voulu rassurer sur
l’état de santé de Kim Jong­un, qui
n’a pas été vu en public depuis
plus d’un mois. Park Jie­won, l’un
des architectes sud­coréens du
sommet intercoréen de 2000, a
estimé que Kim Jong­un avait en­
voyé la délégation pour « montrer
qu’il contrôle totalement le Nord et
n’a aucun problème de santé ».
Levée des sanctions
« C’est une occasion en or pour
Mme Park, estime John Delury,
spécialiste de l’Asie à l’université
sud­coréenne de Yonsei, si elle
veut vraiment améliorer les rela­
tions bilatérales. » Les relations
sont perturbées depuis le début
de l’année par des tirs de missiles
par le Nord, des manœuvres amé­
ricano­sud­coréennes et de vifs
échanges verbaux. Les discus­
sions à venir devraient notam­
ment porter sur la levée des sanc­
tions imposées à Pyongyang.
Depuis plusieurs semaines, la
Corée du Nord semble plus active
sur le front diplomatique. Des né­
gociations sont en cours avec le
Japon. Le ministre nord­coréen
des affaires étrangères, Ri Su­
yong, est intervenu, fin septem­
bre, à la tribune de l’ONU, une pre­
mière depuis quinze ans. p
philippe mesmer
international | 5
0123
MARDI 7 OCTOBRE 2014
Au Brésil,DilmaRousseff domine lepremier tour
La présidente sortante est en ballottage favorable. Marina Silva, éliminée, sera en position d’arbitre
rio de janeiro ­ correspondant
L
e suspense a duré jus­
qu’au bout. Au terme
d’une campagne aux in­
cessants
rebondisse­
ments, marquée par le décès acci­
dentel du candidat Eduardo Cam­
pos, l’ascension, puis la chute ver­
tigineuse de Marina Silva qui lui a
succédé à la tête du Parti socialiste
brésilien (PSB), la présidente sor­
tante, Dilma Rousseff, a large­
ment remporté, dimanche 5 oc­
tobre, le premier tour de la prési­
dentielle, avec 41,5 % des voix. La
candidate du Parti des tra­
vailleurs (PT) devance de huit
points Aécio Neves, le chef de file
du Parti social­démocrate brési­
lien (PSDB, centre droit), la princi­
pale formation d’opposition,
qu’elle affrontera au second tour
le 26 octobre.
En écartant Marina Silva, l’ex­fa­
vorite surprise de cette élection,
les électeurs brésiliens ont ex­
primé leur choix en faveur d’un
duel classique PT­PSDB, les deux
partis qui alternent au pouvoir
depuis près de vingt ans. Le signe
d’une continuité revendiquée. Ce
face­à­face entre l’héritière de l’ex­
président Luiz Inacio Lula da Silva
(2003­2010) et le petit­fils de l’an­
cien président Tancredo Neves
(1985) oppose deux personnalités
fortes, originaires de l’Etat du Mi­
nas Gerais, le deuxième bassin
électoral du pays.
Deux économistes de forma­
tion, mais aux parcours et points
de vue très dissemblables, ce qui
laisse entrevoir une campagne de
Dilma Rousseff
a insisté sur
les avancées
sociales de son
gouvernement
et rappelé qu’elle
a créé 11 millions
d’emplois
second tour fortement polarisée.
D’après différentes enquêtes
d’opinions, les électeurs du géant
d’Amérique latine se montrent
partagés entre fidélité au bilan
des conquêtes sociales lancées
par le mentor de Mme Rousseff, et
défense d’un coup de barre libéral
pour relancer une économie
atone. Un clivage qui pourrait
placer Mme Silva en position de
faiseuse de roi éphémère du se­
cond tour.
Dimanche soir, l’ancienne mi­
nistre de l’environnement de
Lula n’a pas souhaité se pronon­
cer immédiatement. « Nous al­
lons organiser des réunions, dialo­
guer entre nous » avant de pren­
dre une « décision conjointe », a­
t­elle expliqué. Et d’ajouter : « Le
pays a clairement signifié qu’il
n’était pas d’accord avec la situa­
tion actuelle. »
De fait, une récente enquête
d’opinion a révélé que près de
74 % des Brésiliens souhaitaient
un « changement ». Mais cette
même enquête, publiée fin sep­
tembre, indiquait que plus d’un
tiers d’entre eux estimaient que
Dilma Rousseff était en mesure
d’incarner un tel changement.
Singulier retournement de situa­
tion pour celle qui incarne douze
ans de politique du PT.
L’ampleur du score de la prési­
dente sortante illustre la formi­
dable efficacité du PT et de sa ma­
chine électorale. C’est le parti qui,
dès le début septembre, soit un
peu plus de deux semaines après
le décès accidentel en avion
d’Eduardo Campos, a décidé de
prendre pour cible Marina Silva
et de retirer de sa mire le candi­
dat du PSDB. Le PT a immédiate­
ment compris le danger
qu’elle représentait.
Mme Silva atteignait alors 50 %
des intentions de vote au second
tour. Ordre a été donné de décons­
truire et désacraliser l’icône Ma­
rina. Fin stratège, Lula répète que
« son électorat est volatil ». Dilma
Rousseff décide de parler davan­
tage aux médias.
Pleurs
Elle insiste sur les avancées socia­
les de son gouvernement. Rap­
pelle que 11 millions d’emplois
ont été créés au cours de son man­
dat alors que, pendant la même
période, l’Europe en supprimait
62 millions. Avec un temps d’an­
tenne six fois plus important que
sa principale challenger, la prési­
dente pointe, sans relâche, les
failles du programme du PSB.
Dilma Rousseff attaque « quand
elle se sent menacée », précise le
quotidien Valor. De fait, elle re­
proche à son adversaire de vou­
loir mettre un terme à l’explora­
tion du « pré­sal », les très pro­
metteurs gisements pétroliers en
eaux profondes découverts
en 2007. Elle l’accuse de vouloir
rendre la Banque centrale indé­
pendante ou encore d’envisager la
suppression de la Bolsa Familia
(bourse familiale), le programme
phare du gouvernement d’alloca­
tions familiales lancé par Lula. Les
ficelles sont parfois un peu gros­
ses mais Marina recule. Elle
pleure même devant les attaques
formulées par Lula, son vieil ami.
« Moi aussi, j’aime Marina, lâche
quelques jours plus tard le fonda­
teur du PT. Mais une élection n’est
pas une question d’amour. »
Après des semaines de silence,
le PSDB s’attaque à son tour à la
candidate du PSB. Aécio Neves dé­
laisse ses notes lors des débats té­
lévisés. Direct, d’un ton simple et
clair, il pointe ses errements. Ma­
rina paraît isolée. Elle ne s’en re­
mettra pas. A charge désormais
pour Aécio Neves de montrer ses
qualités de rassembleur pour es­
sayer de récupérer les 22 millions
d’électeurs de Marina Silva. p
nicolas bourcier
Marina Silva n’a pas tenu le choc de la campagne
que s’est­il passé ? Archi­fa­
vorite dans les sondages, consi­
dérée comme quasi invincible
il y a encore à peine trois semai­
nes, celle qui se voulait l’apôtre
d’une « nouvelle politique » en
rupture avec le jeu des grands
partis a échoué pour la
deuxième fois devant la pre­
mière marche du scrutin prési­
dentiel. Avec à peine 20 % des
voix, la vertigineuse ascension
de Marina Silva vient de se sol­
der, dimanche 5 octobre, par
une chute fracassante. Un
échec personnel dont elle aura
du mal à se relever.
Ancienne du gouvernement
Lula, candidate du petit parti
des Verts en 2010 avant de re­
joindre le Parti socialiste (PSB),
elle avait aggloméré une coali­
tion hétéroclite de Brésiliens
épris de changement, de l’ex­
trême gauche (issue des Forums
sociaux) à la droite (évangéli­
que) en passant par les milieux
d’affaires. Devant ses promes­
ses contradictoires, la coalition
s’est progressivement effritée.
Frénésie
Lorsqu’elle décide d’assumer, le
21 août, la candidature du PSB,
huit jours après la mort
d’Eduardo Campos, une vérita­
ble frénésie s’empare du pays.
L’écologiste, Noire, originaire
d’Amazonie et de confession
évangélique, fait jeu égal avec la
présidente Dilma Rousseff au
premier tour, et la distance de
dix points au second.
Le 29 août, le lancement de
son programme attire une
foule compacte à Sao Paulo.
Mais l’euphorie est de courte
durée. Deux « erreurs » annon­
cent les premiers nuages. L’une
au sujet d’un éventuel recours à
l’énergie nucléaire et l’autre sur
une loi criminalisant l’homo­
phobie. Mme Silva, qui n’avait
pas lu la version imprimée, re­
tire les deux projets. Elle paiera
le prix de son revirement.
Sous le feu des critiques,
elle paraît soudainement sur la
défensive. Dilma Rousseff, sui­
vie par le candidat d’opposition
Aécio Neves, s’engouffre dans
les brèches. Malgré les injonc­
tions de ses conseillers,
Mme Silva refuse d’entrer en
confrontation directe avec ses
adversaires. « Je ne gagnerai
pas une élection à n’importe
quel prix », dit­elle. Et cède neuf
points en dix jours.
Héritière d’une campagne
déjà lancée par le PSB, elle ne
parvient pas à imprimer sa
marque. Elle reste même étran­
gement silencieuse sur des su­
jets comme l’économie dura­
ble. Ses absences et approxima­
tions finissent par détourner
un électorat qui a préféré s’en
tenir aux valeurs sûres. p
n. bo.
6 | international & planète
0123
MARDI 7 OCTOBRE 2014
Ebola: laMaison Blanche doitrassurerl’opinion
Dans un état critique, le premier malade arrivé aux Etats­Unis a révélé les défaillances du système de vigilance
washington ­ Correspondant
E
n quelques semaines, son
visage est devenu fami­
lier aux Etats­Unis. Tho­
mas Frieden, le responsa­
ble des Centres pour le contrôle et
la prévention des maladies (CDC),
a donné, dimanche 5 octobre, des
nouvelles alarmantes du premier
cas de virus Ebola diagnostiqué
hors d’Afrique. Il a fait part d’une
détérioration de l’état de santé
de Thomas Eric Duncan, un Libé­
rien venu à Dallas rendre visite à
sa famille. Son état avait déjà été
qualifié de « critique », samedi,
par l’établissement où il est hospi­
talisé, le Texas Health Presbyte­
rian Hospital, à Dallas. M. Duncan
a été mis en contact avec le virus
au Liberia en menant une voi­
sine enceinte contaminée dans
un centre de santé de Monrovia.
Revenu
aux
Etats­Unis,
l’homme âgé d’une quarantaine
d’années s’est rendu à l’hôpi­
tal dès les premiers symptômes,
quelques jours après son arrivée
au Texas, le 20 septembre, en pro­
venance du Liberia, l’un des
foyers les plus virulents de l’épi­
démie. Mais l’équipe médicale,
pourtant informée de son séjour
en Afrique de l’Ouest, a commis
une erreur de diagnostic et le ren­
voie chez lui avec une prescrip­
tion d’antibiotiques. Deux jours
plus tard, son état s’étant aggravé,
il est hospitalisé. Le 30 septembre,
il est identifié comme porteur du
virus.
Erreur de diagnostic
Cette erreur initiale a obligé les
autorités texanes à retrouver de
toute urgence les personnes
ayant été en contact avec Thomas
Duncan. La comptabilité dressée
par les CDC, dimanche, faisait
état de dix personnes concer­
nées : des proches avec lesquels il
avait séjourné dans un apparte­
ment de Dallas, et des personnels
médicaux. Toutes sont en obser­
vation. Outre ces dix cas rappro­
chés, trente­huit personnes qui
ont pu également être en rela­
tion avec le malade sont sur­
veillées. La dernière personne
Le nombre
d’appels
aux Centres pour
le contrôle et
la prévention
des maladies
est passé de 50
à 800 par jour
20 %
C’est le risque d’importation
d’un cas d’Ebola en France
L’équipe du professeur
Alessandro Vespignani, de
l’université Northeastern
de Boston, a modélisé le risque
d’importation du virus Ebola par
le biais des transports aériens.
Leur modèle est actualisé en
permanence sur le site Internet
www.mobs-lab.org/ebola.html.
Le scénario de loin le plus
plausible, selon Alessandro
Vespignani, correspond à une
réduction de 80 % du trafic
aérien en provenance et vers
les pays d’Afrique de l’Ouest
touchés par l’épidémie, soit le
maintien de la situation actuelle.
Dans cette hypothèse, le risque,
d’ici au 24 octobre, pour la
France, serait d’environ 20 %.
Elle est le deuxième pays le plus
menacé, derrière le Ghana
(40 %), et est suivie de la Côte
d’Ivoire (15 %), du Royaume-Uni
(11 %) et de la Belgique (9 %).
Désinfection, le 5 octobre, de l’appartement où a séjourné le Libérien Thomas Eric Duncan, à Dallas. JOE RAEDLE/AFP
identifiée dont on était sans nou­
velles a été retrouvée dimanche.
A Dallas, les autorités ont ren­
contré des difficultés pour trouver
un local approprié à l’accueil
des proches du malade mis en qua­
rantaine. Ils ont été acheminés,
vendredi, dans une résidence sé­
curisée sous surveillance policière.
Et ce n’est que le lendemain qu’une
société spécialisée dans le traite­
ment de matériels contaminés a
pu s’occuper de l’appartement où
Thomas Duncan avait séjourné.
Tout ce qui s’y trouvait a été placé
dans des conteneurs scellés.
Les premières hospitalisations
aux Etats­Unis, cet été, avaient déjà
alerté sur la nécessité de mettre au
point un dispositif logistique
adapté pour les déchets générés
par les traitements. Stericycle, la
société en question, installée dans
l’Illinois, avait dans un premier
temps refusé de prendre en charge
le matériel usagé des hôpitaux qui
avaient reçu des patients touchés
par Ebola. Un nouveau protocole a
dû être mis au point en coordina­
tion avec les CDC.
Sans qu’il soit question de psy­
chose, la médiatisation de l’hospi­
talisation de Thomas Duncan a
cependant plus que décuplé les
appels reçus par les CDC, comme
l’a indiqué dimanche le profes­
seur Frieden. De cinquante par
jour avant le 30 septembre, ce
nombre est passé à huit cents.
Vendredi, la Maison Blanche
avait lancé un premier appel au
calme, insistant sur le fait que la
transmission du virus était com­
plexe et que les Etats­Unis dispo­
saient des capacités pour juguler
sa propagation. La Maison Blan­
che s’était exprimée après
les propos alarmistes tenus par
un sénateur républicain, qui
compte parmi les candidats po­
tentiels du parti pour la présiden­
tielle de 2016. Rand Paul (Ken­
tucky) s’était interrogé, mercredi,
sur le degré de mobilisation des
autorités. Le lendemain, un autre
prétendant républicain, Ted Cruz
La volontaire française de MSF guérie
La jeune infirmière française infectée par le virus Ebola est sortie
guérie, samedi 4 octobre, de sa chambre confinée de l’hôpital militaire Bégin, à Saint-Mandé (Val-de-Marne), aux portes de Paris.
Cette volontaire pour l’organisation non gouvernementale Médecins sans frontières (MSF), première Française à avoir été infectée
par le virus qui a tué plus de 3 431 personnes en Afrique de l’Ouest
depuis la fin du mois de mars, était en mission au Liberia.
Déclarée malade le 16 septembre, elle avait été rapatriée en France
le 19 septembre. Dès samedi, Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, « très heureuse
de cette évolution favorable », saluait « l’engagement et le courage
de cette jeune femme, ainsi que la mobilisation de toutes celles et de
tous ceux qui se battent sur le front de la terrible épidémie d’Ebola
en Afrique de l’Ouest ». Selon l’ONG, plus de 373 personnels
médicaux ont été infectés depuis le début de l’épidémie, dont
16 volontaires MSF, et 208 sont décédés, dont 9 volontaires MSF.
(Texas), avait écrit à la direction
fédérale de l’aviation pour lui de­
mander de prendre les disposi­
tions nécessaires afin d’éviter de
nouvelles arrivées de malades
aux Etats­Unis.
« Stopper la maladie »
L’administration américaine a
profité des talk­shows de diman­
che pour répéter son message. Le
professeur Anthony Fauci, direc­
teur de l’Institut des allergies et
des maladies infectieuses, Daniel
Pfeiffer, l’un des conseillers du
président Obama, et le profes­
seur Frieden se sont succédé sur
les écrans. « Il n’y a aucun doute
sur le fait que nous pouvons stop­
per la maladie », a répété diman­
che matin, sur CNN, le responsa­
ble des CDC. Ce dernier a as­
suré que le cas du Libérien hospi­
talisé à Dallas reste le seul
recensé aux Etats­Unis.
Vendredi, l’hôpital universitaire
Howard, à Washington, a fait état
de l’hospitalisation d’un homme
ayant séjourné au Nigeria et pré­
sente des symptômes proches de
ceux d’Ebola. Dans le Massachu­
setts, un médecin qui avait guéri
d’une contamination par le virus,
a aussi été admis dans un établis­
sement hospitalier, le UMass Me­
morial Medical Center, à Worces­
ter, pour une infection respira­
toire, les médecins craignant une
nouvelle contamination. Les
tests se sont révélés négatifs à
Ebola. En outre, un avion trans­
portant 250 passagers a été blo­
qué durant deux heures, samedi,
à l’aéroport de Newark (New Jer­
sey) à cause d’une fausse alerte.
Quatre ressortissants améri­
cains contaminés en Afrique par
Ebola ont déjà été traités aux
Etats­Unis. Le cinquième en date,
un cameraman pigiste travaillant
pour la chaîne NBC au Liberia, a
été orienté vers un établissement
du Nebraska qui dispose d’une
unité spécialisée de dix lits et a
déjà reçu des malades touchés par
le virus. Le premier malade hospi­
talisé début août aux Etats­Unis,
un médecin américain conta­
miné alors qu’il combattait l’épi­
démie au Liberia, avait été traité
au Emory University Hospital
d’Atlanta, en Géorgie, équipé
pour ce type de cas. p
gilles paris
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ARINE | MARIA | EMILE | FLORIANE | BÉATRICE | SÉBASTIEN | ELODIE | VICTOR | GUILLAUME | INHWA | GILDAS | EVELYNE | ALINE | ADRIEN | LUCAS | ROMAIN | GAËTAN | GAËLLE |
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AXIME | CAMILLE | LAURINE | LUCAS | BERTILLE | YAELLE | CAROLINE | SANDRINE | CANDICE | FLORENCE | LOUISE | YANNICK | LOUISE | FABRICE | SOUADE | LAURE | MARIE | CHRY
URORE | CLÉO | ALEXANDRE | JOHANNA | VIRGINIE | BÉRÉNICE | NICOLAS | MARGAUX | LÉA | PHILIPPE | DAMIEN | HÉLÈNE | TALIP | IRIS | JULIEN | LOUIS | MATHIEU | ANNE-LINE |
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LORIANE | MARIE | MANON | CLÉMENTINE | KATIA | MATHILDE | LOUISE | FABIEN | STEPHEN | CHLOÉ | MARION | VICTORIA | MATHILDE | CAROLINE | DANIEL | AUDREY | DAVID | DEN
LAIN | FABIEN | MARICHKA | LAURA | LUCAS | MATHIEU | CHLOÉ | VALÉRIE | LOÏC | JULIE | TITOU | PHILIPPE | LAURE | JULIE | MARIE HÉLÈNE | ROBIN | AYMERIC | ROMAIN | KARIM
MARGUERITE | ADRIEN | MATHIEU | JULIEN | MÉGANE | NICOLAS | ANNE | AIMÉE | ANOUK | AUDREY | BENJAMIN | CÉLINE | CLAIRE | CLEM | COLINE | DELPHINE | ELODIE | FREDERIC
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YRIAM | ASTRID | FABIEN | MATHIEU | FABRICE | AMÉLIE | ALEXANDRA | ALEX | MORGANE | FRANK | LIKA | ARIANE | FABIEN | CLAUDE | FREDERIC | ROBERT | CATHERINE | ALIX | P
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MICHELLE
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AURENCE | FABIENNE | GUILLAUME | THOMAS | JEAN CLAUDE | THIERRY | BERNARD | JACQUES | FRÉDÉRIC | CHRISTIANE | CLÉMENT | DOMINIQUE | MARCEL | DENIS | SAMUEL | MAH
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FRANCK
RANCK | LÉA | BENOIT | SÉBASTIEN | AMAURY | GILLES | CÉDRIC | BERNARD | JEAN CLAUDE | ALAIN | MARGAUX | JEAN-PAUL | LAURE | CLAIRE | SYLVAIN | BÉATRICE | VINCENT | AAUDREY |
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USTINE | MARIE CHRISTINE | DOMINIQUE | CHRISTOPHE | RÉMY | SYLVIE | AYMERIC | ROGER| JEAN | MICHEL | NICOLE | PHILIPPE | MATHIEU | FRÉDÉRIC | CORRINE | LAURENT | CLÉ
Nous célébrons la diversité des familles
en France et appelons à l'égalité pour
TOUTES
LES FAMILLES
« Un phénomène
de contagion »
djihadiste en Afrique,
selon l’ONU
PARIS. Le représentant du se­
crétaire général de l’ONU pour
l’Afrique centrale, Abdoulaye
Bathily, invité de l’émission
« Internationales » sur TV5
Monde, en partenariat avec Le
Monde et RFI, dimanche 5 oc­
tobre, estime que les groupes
djihadistes en Afrique bénéfi­
cient d’« un phénomène de
contagion depuis la Libye, le
Mali, le Niger – le Sahel et le Sa­
hara de manière générale – et
les régions du golfe de Gui­
née ». « Il n’y a plus de frontiè­
res… On pensait que le mouve­
ment Boko Haram allait se
circonscrire au Nigeria, mais
on constate que le Cameroun
commence à subir les contre­
coups », dit­il. Selon lui, « les
terroristes sont mieux organi­
sés que les Etats… Il est donc in­
dispensable que les Etats cons­
truisent une solidarité dans le
domaine sécuritaire et que
soient revus les modèles de
gouvernance ». Concernant la
République centrafricaine,
M. Bathily constate que
« même si la date de fé­
vrier 2015 ne peut pas être te­
nue pour les élections, il ne
faut pas s’en éloigner de trop
loin car le risque d’une aggra­
vation de la crise est là ».
RUSSIE
Cinq policiers tués dans
un attentat à Grozny
MOSCOU. Cinq policiers ont
été tués et douze blessés, di­
manche 5 octobre, en Tchét­
chénie, dans le Caucase russe,
en déjouant un attentat­sui­
cide à l’explosif près d’une
salle de concert à Grozny, où
étaient attendues des milliers
de personnes. Le kamikaze –
un Tchétchène, selon le co­
mité d’enquête russe – s’est
fait exploser après que les po­
liciers ont tenté de contrôler
ses papiers. La capitale tchét­
chène n’avait pas connu d’at­
tentat­suicide depuis 2012.
L’attaque est aussi le premier
acte de violence majeur dans
la république depuis la mort
du chef rebelle islamiste Do­
kou Oumarov, en mars.
– (AFP, Reuters.)
LETTONIE
La coalition
de centre droit conserve
sa majorité
RIGA. Le Parti des russopho­
nes lettons est arrivé en tête
des élections législatives, sa­
medi 4 octobre, sans pour
autant ravir le pouvoir à la
coalition de centre droit sor­
tante. Selon les résultats com­
plets, le parti Harmonie, allié
au parti au pouvoir en Russie,
s’adjuge 23,13 % des voix, soit
24 sièges au Parlement, qui
en compte 100. La principale
force de la coalition au pou­
voir, le parti Unité, obtient
21,76 %, soit 23 sièges. Ses par­
tenaires (Verts et Paysans et
l’Alliance nationale) sont cré­
dités de 21 et 17 sièges, ce qui
donne à la coalition un total
de 61 sièges. – (AFP.)
france | 7
0123
MARDI 7 OCTOBRE 2014
A F FA I R E B YG M A L I O N
Bygmalion: M. Sarkozy directement visé
Les enquêteurs évoquent, dans une synthèse du 1er octobre, un «financement illicite de la campagne» de 2012
L’
affaire Bygmalion est
bien
une
affaire
Sarkozy. Les policiers
qui enquêtent sur un
soupçon de financement occulte
de la campagne présidentielle de
Nicolas Sarkozy en 2012 par des
fausses factures imputées à
l’UMP, évoquent désormais l’in­
fraction de « financement illégal
de la campagne électorale » et plus
seulement celle d’« abus de con­
fiance ».
Or, l’article 113­1 du code électo­
ral dispose que « sera puni d'une
amende de 3 750 euros et d'un em­
prisonnement d’un an, tout candi­
dat en cas de scrutin uninominal
qui aura dépassé le plafond des dé­
penses électorales, n'aura pas res­
pecté les formalités d'établisse­
ment du compte de campagne, (…)
aura fait état, dans le compte de
campagne ou dans ses annexes,
d'éléments comptables sciemment
minorés ».
Après avoir mis en examen les
cadres de la société de communi­
cation Bygmalion et de sa filiale
Event & Cie, soupçonnés d’avoir
émis ces fausses factures, puis
ceux de l’UMP, les juges Serge
Tournaire, Roger Le Loire et Re­
naud Van Ruymbeke vont donc
maintenant s’intéresser à l’éche­
lon politique, et plus particulière­
ment à Nicolas Sarkozy.
Les conclusions du procès­ver­
bal de synthèse, rédigé le 1er octo­
bre par la chef de l’Office central
de lutte contre la corruption et les
infractions financières et fiscales
(OCLCIFF), Christine Dufau, lèvent
le voile sur les intentions des en­
quêteurs : « Les investigations
confirment les constatations fai­
tes au cours de l’enquête prélimi­
naire selon lesquelles la société
Event & Cie, à la demande de
l’UMP, a adressé au parti des faus­
ses factures à hauteur de 18 556
175,95 euros TTC courant 2012, fai­
sant référence à des prestations
liées notamment à des conven­
tions, alors que les prestations
réelles correspondaient à l’organi­
sation de meetings pour la campa­
gne présidentielle de Nicolas
Sarkozy », commence la commis­
saire Dufau.
Outre le délit d’« abus de con­
fiance », retenu contre les cadres
de l’UMP, « ces fausses factures
adressées par Event & Cie à l’UMP
constituent également l’infraction
de financement illégal de la cam­
pagne électorale de Nicolas
Sarkozy puisque, sciemment, les
deux parties ont établi de fausses
factures pour éviter de devoir
comptabiliser dans le compte de
campagne des factures de presta­
tions liées à cette campagne », af­
firme la patronne de l’OCLCIFF.
« Surprenant »
Evoquant les divers protagonistes
poursuivis dans cette affaire,
Mme Dufau va jusqu’à évoquer
« leur participation au finance­
ment illégal de la campagne de Ni­
colas Sarkozy et la présentation de
comptes de campagne inexacts à
la Commission nationale des
comptes de campagne et des fi­
nancements
politiques
et
[au] Conseil constitutionnel ». Elle
précise, comme pour répondre à
Nicolas Sarkozy et Jean­François
Copé – patron de l’UMP au mo­
Six mis en examen
Après avoir
mis en examen
les cadres
de Bygmalion,
les juges vont
s’intéresser
à l’échelon
politique
ment des faits – qui ont démenti
avoir eu connaissance du système
frauduleux : « Etant donné le nom­
bre de meetings, l’enjeu financier
qu’ils représentaient, il peut paraî­
tre très surprenant que personne
ne se soit préoccupé de leur finan­
cement, et que les responsables du
groupe Bygmalion n’aient pas pris
contact avec ceux de l’UMP. »
Si l’enquête devait être étendue
à des faits de « financement illégal
de campagne électorale », voire de
« fraude électorale », la menace se
préciserait donc encore un peu
plus pour M. Sarkozy. Les juges
vont maintenant s’attacher à éva­
luer son degré de connaissance
du « système » délictueux mis en
place.
De ce point de vue, la mise en
examen de l’un de ses proches,
Eric Cesari, ex­directeur général
de l’UMP – où il était surnommé «
l’œil de Sarkozy » – n’est pas de na­
ture à le rassurer… D’autant que
les magistrats devraient prochai­
nement convoquer Guillaume
Lambert, directeur de la campa­
gne présidentielle de l’ex­chef de
l’Etat, et Jérôme Lavrilleux, son
adjoint, qui a reconnu, publique­
ment puis devant les policiers,
lors de l’enquête préliminaire, la
mise en place d’une double factu­
ration.
« Candidat idéal »
Ce n’est pas tout : les enquêteurs
ont découvert que non seule­
ment Bygmalion (et sa filiale
Event & Cie) travaillait de longue
date pour l’UMP, mais aussi que le
système de fausse facturation
avait été institué bien avant la
campagne présidentielle de 2012.
Le rapport de l’OCLCIFF souligne
que « la société Event & Cie a établi
à la demande de l’UMP des faus­
ses factures en 2012 pour inclure le
coût de prestations faites en 2011.
Durant les auditions, les presta­
tions concernées faites en 2011
n’ont pas pu être clairement préci­
sées ».
Cette découverte, évoquée par
Le Journal du dimanche du 5 octo­
bre, a conduit, selon nos informa­
tions, le parquet de Paris à accor­
der aux juges, le 1er octobre, un ré­
quisitoire supplétif afin d’élargir
leur enquête à ces faits nouveaux,
qualifiés de « faux et usage de
faux ». Elle signifie surtout, pour
les enquêteurs, que le procédé il­
légal mis en place pour masquer
l’explosion des dépenses de cam­
pagne de M. Sarkozy n’a pas été
élaboré par hasard avec la société
Bygmalion.
Les policiers l’ont d’ailleurs fait
observer au patron d’Event & Cie,
Franck Attal, au cours de sa garde
à vue, le 30 septembre : « Début
janvier 2012, vous avez accepté,
avec Sébastien Borivent et Mat­
Trois anciens cadres de l’UMP ont été mis en examen, samedi
4 octobre, pour « faux et usage de faux » et « abus de confiance ».
L’ancien directeur général de l’UMP, Eric Cesari, l’ex-directrice financière du parti, Fabienne Liadzé, et l’ancien directeur de la
communication du mouvement, Pierre Chassat, sont astreints à
un contrôle judiciaire leur interdisant de communiquer entre eux,
mais aussi de s’entretenir avec Nicolas Sarkozy, Jean-François
Copé, Guillaume Lambert (ex-directeur de la campagne présidentielle) et son ancien adjoint, Jérôme Lavrilleux. Mercredi 1er octobre, Bastien Millot et Guy Alvès, fondateurs de la société Bygmalion, avaient été pour leur part mis en examen pour « complicité
de faux et complicité d’usage de faux ». Franck Attal, l’ancien patron d’Event & Cie, filiale de Bygmalion, est, lui, poursuivi pour
« faux et usage de faux ».
Les protagonistes* de l’affaire Bygmalion
Relation
de proximité
personnelle
Equipe de campagne
Nicolas SARKOZY
Fabienne LIADZÉ
Mis en examen
Candidat
Philippe BRIAND
Trésorier
de la campagne et maire
de Saint-Cyr-sur-Loire
Directrice financière
Responsable du pôle
finances de la campagne
Direction de l’UMP
Jean-François COPÉ
Guillaume LAMBERT
Directeur
de campagne
Secrétaire
général
au moment
des faits
Bygmalion
Bastien MILLOT
Fondateur
Guillaume
BAZAILLE
Chargé de presse
Matthieu FAY
Comptable
Jérôme LAVRILLEUX
Directeur adjoint
de la campagne
Directeur de
cabinet de J.-F. Copé
Guy ALVÈS
Cofondateur
Pierre CHASSAT
Directeur de la communication et directeur
adjoint du cabinet de
J.-F. Copé
Franck ATTAL
Patron d’Event & Cie,
la filiale de Bygmalion
chargée de l’organisation
des meetings de campagne
Eric CESARI
Directeur général
(depuis 2008)
*fonctions au moment des faits (campagne présidentielle 2012)
thieu Fay [respectivement direc­
teur général d’Event & Cie et
comptable de Bygmalion], de faire
des fausses factures à la demande
de l’UMP. Event & Cie a été choisie
par l’équipe de campagne du can­
didat UMP début février 2012 pour
organiser les meetings du candi­
dat. Cela donne l’impression
qu’Event & Cie était le candidat
idéal pour un montage de sous­
évaluation des dépenses de cam­
pagne »…
PHOTOS : AFP
Dans les locaux de l’OCLCIFF,
M. Attal, le 30 septembre, a dé­
douané – en termes prudents –
MM. Sarkozy et Copé. « Je n’ai
aucun élément factuel qui me per­
met de dire qu’il était au courant »,
a­t­il dit à propos de l’ex­secréatire
général de l’UMP. S’agissant de
l’ancien chef de l’Etat, il s’est borné
à déclarer : « J’ai tendance à croire
qu’il n’était pas au courant. »
Mais, pour Guy Alvès, cofonda­
teur de Bygmalion, c’est moins sûr.
« Est­il envisageable que les plus
hautes autorités de l’UMP, donc M.
Copé lui­même, et de la campagne,
donc M. Lambert, voire M. Sarkozy,
n’aient pas été associés à cette déci­
sion [de faire des fausses factu­
res] ou tout au moins que leur ac­
cord n’ait pas été obtenu ? », ont
ainsi demandé les policiers à M. Al­
vès. « Je suis incapable de répondre.
(…) Pour moi, les deux scénarios
sont techniquement possibles », a­
t­il répondu.
« Son livre se dévore
comme un festin. »
le point
« Il est sans conteste, le plus
chevronné, le plus assidu, le
plus sagace des observateurs
politiques français. » le monDe
« Le roman national de nos
passions partisanes. En fait,
son Histoire personnelle,
c’est la nôtre. » le figaro
« Un sens aigu du récit. »
Plon
w w w. p l o n . f r
Direct matin
Disponible en librairie et en numérique
Estimant avoir été « pris au piège
par l’UMP et la campagne », M. Al­
vès s’est posé en « victime de l’UMP
et de ses agissements ». Et de con­
clure, à propos de la décision de re­
courir aux fausses factures : « Elle
n’a pu être prise que par des diri­
geants à l’UMP et/ou de la campa­
gne. Je ne peux pas imaginer qu’une
telle décision ait été prise que par
M. Lavrilleux. » p
gérard davet
et fabrice lhomme
8 | france
0123
MARDI 7 OCTOBRE 2014
A F FA I R E B YG M A L I O N
La défensedeJean­FrançoisCopé fragilisée
L’ancien patron de l’UMP conteste avoir eu connaissance du système de fausses factures
L’
ancien patron de l’UMP,
Jean­François Copé, va
devoir bientôt répon­
dre aux questions pré­
cises des enquêteurs, qui sem­
blent douter de sa version des
faits, si l’on en croit les procès­ver­
baux d’interrogatoire. M. Copé a
toujours contesté avoir eu con­
naissance, avant leur révélation
publique, des fausses factures réa­
lisées par la société Bygmalion
pour minorer les frais de la cam­
pagne présidentielle de Nicolas
Sarkozy, en 2012. Mais le parti
qu’il dirigeait est désormais égale­
ment suspecté d’avoir couvert un
« système » – terme utilisé par les
policiers – de détournement de
fonds, par des surfacturations.
La question est ainsi posée le
30 septembre à Bastien Millot,
l’ancien patron de Bygmalion et
très proche de M. Copé : « N’est­il
pas surprenant que (…) Jean­Fran­
çois Copé n’ait pas été informé du
dépassement des comptes de cam­
pagne du candidat soutenu par le
parti qu’il dirige, la solution trou­
vée étant d’imputer à son propre
parti au détriment de ses adhé­
rents ces dépenses, à savoir
18 556 175 euros ? » M. Millot élude,
comme il conteste, en dépit de
nombreux témoignages, avoir eu
connaissance du processus délic­
tueux. Confronté par les policiers à
Guy Alvès, l’autre patron de Byg­
malion, qui l’accuse sur procès­
verbal d’avoir autorisé les fausses
factures, il continuera à nier.
Mais les enquêteurs disposent
d’éléments nouveaux. Un person­
nage retient désormais leur atten­
tion : il s’agit de Guillaume Ba­
zaille, chef du service de presse de
M. Sarkozy à l’Elysée pendant
deux ans, passé ensuite au service
de M. Copé, à l’UMP. Le jeudi 27 ou
le vendredi 28 février, une réunion
est organisée au domicile de M. Ba­
zaille, le soir, après les premières
révélations du Point concernant
les fausses factures.
Franck Attal, directeur adjoint
d’Event & Cie, filiale de Bygmalion,
Les enquêteurs
semblent avoir
mis au jour
un « système »
de surfacturations
antérieur
à la campagne
de 2012
raconte la scène aux policiers. Sont
présents, selon lui, MM. Millot et
Alvès, les fondateurs de Bygma­
lion, et Jérôme Lavrilleux, ancien
directeur adjoint de la campagne
de M. Sarkozy. « Nous avons parlé
du système de ventilation des factu­
res, rapporte M. Attal. Bastien
Millot avait pleinement connais­
sance de ce sujet. » Le dimanche
2 mars, une deuxième réunion,
toujours liée à Bygmalion, a en­
core lieu chez M. Bazaille. Et cette
fois, M. Copé est bien présent.
Les enquêteurs s’interrogent, se
reportent aux déclarations sur
procès­verbal de M. Copé, qu’ils
avaient entendu comme témoin le
26 mai. Celui­ci leur avait assuré
n’avoir été mis au courant des mal­
versations que le 16 mai, lors d’une
réunion à l’UMP. Est­il possible que
quatre de ses proches, anciens ou
actuels collaborateurs, à savoir
MM. Lavrilleux, Bazaille, Alvès et
Millot, l’aient totalement tenu à
l’écart du processus ?
Manifestement, les policiers
n’en sont pas persuadés…
D’autant que l’agenda de M. Copé
porte la trace de deux rendez­
vous avec Franck Attal, les 8 mars
et 11 mai 2012. Réaction de M. Al­
vès, devant les dénégations de M.
Copé : « Je ne m’attendais pas à
autre chose. (…) J’estime qu’il
aurait pu prendre, au nom de
l’UMP, ses responsabilités. »
En saisissant de nouvelles pièces
comptables, les enquêteurs sem­
blent avoir mis au jour un « sys­
tème » d’évasion de fonds anté­
rieur à la présidentielle de 2012, qui
pourrait avoir été le support d’en­
richissements personnels. Plu­
sieurs doubles factures ont été éta­
blies, relatives à des événements
liés à l’UMP. « Il y a effectivement
un problème. (…) Je ne comprends
pas ce montage », concède M. At­
tal, quand les enquêteurs lui pro­
duisent les factures suspectes.
Bygmalion semble avoir sciem­
ment surfacturé des réunions pu­
bliques. Dans un procès­verbal de
synthèse du 1er octobre, les poli­
ciers, pointant les « marges brutes
dégagées par Event & Cie [qui] s’élè­
vent entre 11,98 % et 52,98 % », évo­
quent deux chèques de l’UMP, éta­
blis les 16 et 24 février 2012, pour
un montant de 997 628 euros. Et
posent cette question : « Quelle
était la destination de ces fonds ? »
Contactée, l’UMP, par la voix de
son avocat, Me Antonin Lévy, n’a
pas souhaité « commenter une ins­
truction en cours ». p
gérard davet
et fabrice lhomme
VERBATIM
“
Tout ceci a été une révélation
sidérante, je n’avais jamais
été informé d’irrégularités dans
les dépenses et les procédures de
l’UMP. Dans le cas contraire, je
l’aurais bien évidemment interdit.
Jusqu’au 15 mai, je n’avais
aucune information (…). Dans
mes fonctions de secrétaire général puis de président de l’UMP, je
n’avais pas les moyens de déceler
ces opérations litigieuses. Les
pratiques mises en place avant
mon arrivée dans le circuit de décisions n’impliquent pas le secrétaire général ni sur les devis ni
sur les engagements de dépenses
ni sur les factures »
Jean-François Copé, alors président de l’UMP, dans ses déclarations sur procès-verbal devant
les policiers, le 26 mai, lors de
l’enquête préliminaire.
CommentSarkozy
finance sa campagne
L’affaire Bygmalion oblige à faire sobre:
moins de 10 000 euros par déplacement
La Poste – Société anonyme au capital de 3 800 000 000 euros – 356 000 000 RCS PARIS – Siège social : 44, boulevard de Vaugirard – 75757 PARIS CEDEX 15.
–
C
Tous les Français sont différents
mais pour La Poste, ils ont tous
la même valeur avec MonTimbraMoi.
Une nouvelle idée de La Poste.
laposte.fr
DÉVELOPPONS LA CONFIANCE
omment Nicolas Sarkozy
finance­t­il sa campagne
pour la présidence de
l’UMP ? Dans le contexte de l’af­
faire Bygmalion, le sujet est sensi­
ble. Jusqu’à l’élection interne, pré­
vue le 29 novembre, la campagne
de l’ancien chef de l’Etat sera entiè­
rement prise en charge par l’Asso­
ciation de soutien à l’action de Ni­
colas Sarkozy (Asans). Créée
en 2000, cette association a pour
président Brice Hortefeux et
pour trésorier Michel Gaudin, le
directeur de cabinet de M. Sarkozy.
« C’est lui qui signe les chèques », in­
dique un proche de l’ex­président.
En 2012, l’UMP avait versé
50 000 euros à François Fillon et
Jean­François Copé pour financer
leurs campagnes pour la prési­
dence du parti. Ce temps est ré­
volu. Endettée à hauteur de
74 millions d’euros, l’UMP ne peut
plus se le permettre. Les trois can­
didats – Bruno Le Maire, Hervé
Mariton et Nicolas Sarkozy – ne
touchent rien du mouvement
et doivent donc se débrouiller
avec leurs propres associations de
financement.
Celle de Nicolas Sarkozy, l’Asans,
dispose d’une réserve de plus de
200 000 euros. Financée par des
dons, elle doit servir à toutes les
dépenses de fonctionnement de
la campagne, sachant que le bud­
get prévisionnel pour les deux
mois à venir s’élève à près de
200 000 euros.
Alors que l’ancien chef de l’Etat a
prévu de tenir une quinzaine de
meetings d’ici au 29 novembre,
une enveloppe de moins de
10 000 euros est prévue pour cha­
que déplacement. Dans le con­
texte de l’affaire Bygmalion, il
convient de faire dans la sobriété.
La révélation d’un système pré­
sumé de fausses factures durant
la campagne de 2012 a modifié la
donne. « Le climat n’est pas bon,
grimace un proche de M. Sarkozy.
Nous sommes donc très attentifs
aux questions financières car nous
savons qu’on ne nous fera pas de
cadeau sur ce point. »
Cette fois, aucune société de
communication n’est chargée de
l’organisation des événements.
Pas question de prendre de ris­
ques en reproduisant le scéna­
rio de 2012. « On veut une campa­
gne efficace et sobre », explique
Frédéric Péchenard, le directeur
Les candidats ne
touchent rien du
parti et doivent se
débrouiller avec
leurs propres
associations
de financement
de la campagne, en précisant vou­
loir s’appuyer sur les réseaux so­
ciaux, « des outils très peu chers ».
Le premier meeting, qui a eu
lieu le 25 septembre à Lambersart
(Nord), dans une salle polyvalente
sans prétention, devait refléter ce
nouveau style, volontairement
modeste. « Cela a coûté moins de
10 000 euros au total », assure
l’équipe de M. Sarkozy, en comp­
tant la location de la salle et des
jeux de lumière, ainsi que les frais
de délégation, réduits au mini­
mum puisque seules trois per­
sonnes accompagnaient le candi­
dat dans le train : Frédéric Péche­
nard, l’attachée presse Véronique
Waché et un officier de sécurité.
Les autres ont dû payer
leur billet ou se déplacer par leurs
propres moyens.
Salles louées « à prix d’ami »
Pour le deuxième meeting, jeudi
2 octobre, le porte­parole de la
campagne, Gérald Darmanin, a
ainsi prévu de se rendre à Troyes
avec sa propre voiture. Afin de li­
miter les coûts, tous les membres
de l’équipe de campagne sont bé­
névoles. Autre source d’écono­
mie : les salles sont louées « à prix
d’ami » dans des villes détenues
par l’UMP. Ce devait être encore le
cas lors du troisième meeting de
M. Sarkozy, lundi 6 octobre, à Véli­
zy­Villacoublay (Yvelines).
Pour éviter les accusations de
conflits d’intérêts, l’équipe du
candidat s’est installée au 13, rue
Lancereaux, dans le 8e arrondisse­
ment de Paris. Les bureaux de l’ex­
président, situés au 77, rue de Mi­
romesnil, dans le même arrondis­
sement, n’ont pas vocation à ser­
vir pour la campagne. C’est la
République qui paie à l’ancien
chef de l’Etat la location de cet ap­
partement de 320 m2, à hauteur
de 15 000 euros par mois. p
alexandre lemarié
france | 9
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MARDI 7 OCTOBRE 2014
Pas d’«effetFN» surlapressed’extrêmedroite
Les trois principaux titres connaissent de graves difficultés et sont menacés de faillite
« PRÉSENT »
Quotidien créé en 1980, il incarne
l’extrême droite catholique traditionaliste. Il revendique un tirage
de 10 000 exemplaires. Selon sa
direction, « Présent a besoin chaque année de 100 000 euros pour
équilibrer son budget ». Il reçoit
des subventions de l’Etat, « inférieures à 300 000 euros par an ».
« MINUTE »
Populiste, xénophobe et islamophobe, l’hebdomadaire créé en
1962 milite officiellement pour
l’union de toutes les droites
mais il a la dent dure contre le
FN. Minute revendique un tirage
de 40 000 exemplaires, ce qui
semble largement surestimé.
« RIVAROL »
L’hebdomadaire, né en 1951, revendique un tirage de 10 000
exemplaires. Antisémite et pétainiste, il a durement attaqué Marine Le Pen. Pour son directeur,
elle est « un démon », « une gourgandine sans foi ni loi (…) dont
l’entourage n’est composé que
d’arrivistes sans scrupule, de juifs
patentés et d’invertis notoires ».
«Minute», la provocation per­
manente Minute est la publica­
tion la plus « grand public ». Cet
hebdomadaire fait régulièrement
parler de lui avec ses « unes » pro­
vocatrices. L’une d’elles risque
bien de le faire fermer, celle de
novembre 2013 contre Christiane
Taubira : « Maligne comme un
singe, Taubira retrouve la ba­
nane. » La provocation vaut à Mi­
nute des poursuites pour incita­
tion à la haine raciale.
Le parquet a requis trois mois
de prison avec sursis et
10 000 euros d’amende contre le
directeur de la publication, Jean­
Marie Molitor, qui n’a pas ré­
pondu à nos nombreuses sollici­
tations. Si les réquisitions sont
suivies, l’hebdo ne survivra pas.
La situation est telle que Minute
appelle aux dons pour pouvoir
faire face à ses condamnations.
Ayant toujours plaidé pour
l’union de toutes les droites, Mi­
nute accueillait jusqu’à récem­
ment des durs de l’UMP, comme
Nadine Morano et Thierry Ma­
riani lorsqu’ils étaient ministres
de Nicolas Sarkozy. Quelques
mois plus tôt, c’était Bruno Goll­
nisch, du FN, ou Fabrice Robert,
du groupusculaire Bloc identi­
taire qui étaient mis à l’honneur.
Mais l’émergence de Valeurs ac­
tuelles a coupé Minute de l’UMP.
Les ténors les plus droitiers préfè­
rent en effet s’exprimer dans Va­
leurs, moins marqué que Minute.
Dans le même temps, Mi­
nute s’est fâché avec le Front na­
tional et Marine Le Pen. Non seu­
lement l’hebdo a soutenu
M. Gollnisch lors du congrès de
2010, mais il s’est fait une spécia­
lité des attaques ad homi­
GAUCHE
Cécile Duflot se dit « plus
socialiste » que M. Valls
La députée EELV Cécile Duflot,
ex­ministre du gouvernement
Ayrault, a dit, le 5 octobre, se
sentir « plus socialiste » que
Manuel Valls. Présente à
Vieux­Boucau (Landes) lors de
la clôture de l’université d’été
d’Un monde d’avance (cou­
rant de l’aile gauche du PS),
elle a aussi lancé au ministre
du travail, François Rebsa­
men : « Si tu n’y crois plus,
laisse nous faire ! » – (AFP.)
UMP
Valérie Pécresse votera
finalement Sarkozy
Valérie Pécresse, proche de
François Fillon, a affirmé au
Journal du dimanche
du 5 octobre qu’elle votera
pour Nicolas Sarkozy le
29 novembre au congrès de
l’UMP. « C’est lui le plus à
même de rassembler le parti
et de lui donner l’élan néces­
saire », explique­t­elle. Mais
elle refuse de se prononcer
sur la présidentielle, disant
vouloir « continuer à tra­
vailler avec François Fillon ».
RETRAITES
Xavier Bertrand veut
une part de
capitalisation
Xavier Bertrand, candidat à la
primaire UMP pour la prési­
dentielle, a déclaré, dimanche
5 octobre, sur France 5, être fa­
vorable à une part de capitali­
nem contre Florian Philippot, le
numéro 2 du parti. Isolé, Minute
n’a eu d’autres choix que de pro­
voquer pour exister.
«Rivarol», l’impasse du philo­
nazisme Rivarol est en très mau­
vaise posture. Accumulant les
procès pour incitations à la haine
raciale, l’hebdomadaire dénonce
un « acharnement » pour le
« tuer ». « Le risque de fermer est
réel, nous avons une toute petite
trésorerie », affirme le directeur,
Jérôme Bourbon.
Rivarol est un journal antisé­
mite et pétainiste. Il a adopté un
tour encore plus radical depuis
que M. Bourbon en a pris la direc­
tion en 2010. Certaines manchet­
tes sont explicites : « L’ère de la ju­
déocentrie » ; « L’insupportable
police juive de la pensée » – ex­
pression attribuée à l’historienne
Annie Kriegel ; « Lobby juif et
lobby gay : l’overdose »… Dans les
pages, il n’est pas rare de trouver
des articles élogieux à propos du
«Rivarol» assume
ses éloges
du IIIe Reich
ou de l’apartheid,
même s’ils
lui coûtent
des lecteurs
IIIe Reich, de collaborateurs, des
négationnistes ou encore de
l’apartheid. Jérôme Bourbon as­
sume sa ligne politique philona­
zie, au risque de perdre des lec­
teurs. « Nous en avons perdu,
mais nous en avons gagné
d’autres, assure­t­il. Ça s’est équili­
bré, du moins à court terme. »
Rivarol est devenu un ennemi
de Marine Le Pen. La présidente
du FN a quatre procédures en
cours contre lui. « Les Le Pen n’ont
jamais accordé d’importance à la
presse proche. Nous sommes un
journal marqué à l’extrême droite
et ce n’est pas la stratégie de Ma­
rine Le Pen. Nous sommes un bou­
let plus qu’autre chose pour elle.
Elle pense que tout se fait à la télé
et sur Internet », selon M. Bour­
bon, qui n’hésite jamais à atta­
quer Mme Le Pen et « la forte domi­
nante homosexualiste » du FN.
« Présent », le quotidien en
pleine crise de foi C’est le seul
quotidien d’extrême droite. Ca­
tholique traditionaliste, Présent
n’a pas de procédure judiciaire
pendante menaçant son exis­
tence. Mais ses finances sont
dans le rouge même si elles se
« sont stabilisées », selon Samuel
Martin, le nouveau rédacteur en
chef. « On a freiné la chute », ajou­
te­t­il. Présent n’a pas su profiter
du mouvement anti­mariage ho­
mosexuel dont il était, pourtant,
partie prenante. Une nouvelle
tentative de s’accrocher à cette
mobilisation a été effectuée lors
de la manifestation du 5 octobre :
de nombreuses affiches promo­
tionnelles du quotidien jalon­
naient le parcours du cortège, an­
nonçant un « numéro souvenir »
pour 2,50 euros.
Présent sort à peine d’une grave
crise interne. Des historiques
comme Jeanne Smits et Olivier
Figueras ont été poussés vers la
sortie au printemps. La nouvelle
équipe a aussi réorienté la ligne
en l’ouvrant à d’autres courants
d’extrême droite, justement pour
élargir le lectorat.
« On veut être le reflet de ce qui
se passe dans notre mouvance. On
peut être d’accord seulement en
partie avec des gens et leur donner
la parole. Des points communs
existent », avance M. Martin pour
justifier les deux entretiens con­
sacrés à Dominique Venner, théo­
ricien d’extrême droite, païen as­
sumé et qui a commis l’acte sacri­
lège de se suicider à Notre­Dame
en 2013. Pas sûr que le lectorat de
Présent le comprenne. p
sation dans le système de re­
traite. Alors que MM. Sarkozy
et Fillon se sont prononcés
pour un âge légal du départ à
la retraite porté respective­
ment à 63 et 65 ans, il a es­
timé que ces solutions ne suf­
firaient pas. – (AFP.)
CENTRE
Rama Yade soutient
Hervé Morin pour la
présidence de l’UDI
L’ex­secrétaire d’Etat aux
sports et à la jeunesse de
M. Sarkozy, vice­présidente
de l’UDI, a annoncé son sou­
tien à Hervé Morin, lui aussi
ancien ministre de
M. Sarkozy, dans la course à la
présidence du parti centriste.
Le nom du futur président
sera connu le 13 novembre.
E N VIR ON N EMENT
Ségolène Royal dénonce
le relèvement de la taxe
sur le gazole
La ministre de l’écologie, Sé­
golène Royal, opposée à une
hausse de la taxe sur le ga­
zole, a déploré de n’avoir
« pas été entendue », diman­
che 5 octobre, sur France 3. Le
gouvernement a confirmé
qu’il procéderait à une aug­
mentation de 2 centimes par
litre dans le cadre du projet
de loi de finances 2015. « Je
préfère un prélèvement sur les
sociétés d’autoroute », a dit
Mme Royal, ajoutant qu’elle
était opposée aux mesures
« d’écologie punitive ».
–
L’ESSENTIEL
Surtout, ils sont tous victimes
de la forte utilisation d’Inter­
net par les militants d’extrême
droite. « La plupart des jeunes mi­
litants, qui sont très présents dans
La Manif pour tous par exemple,
s’informent sur le Net et pas sur le
support papier », explique Jeanne
Smits, ancienne patronne de Pré­
sent. Chacune de ces publications
représente une sensibilité diffé­
rente de l’extrême droite et con­
naît une crise qui lui est propre.
La Poste – Société anonyme au capital de 3 800 000 000 euros – 356 000 000 RCS PARIS – Siège social : 44, boulevard de Vaugirard – 75757 PARIS CEDEX 15.
C’
est une situation pa­
radoxale. L’extrême
droite ne s’est jamais
aussi bien portée
électoralement mais sa presse,
elle, est au bord de la faillite. Le
quotidien Présent et les hebdo­
madaires Minute et Rivarol – les
trois principales parutions qui in­
carnent ce courant d’opinion –
sont menacés de disparaître.
Aucun de ces titres historiques
n’a su tirer profit de la bonne
santé électorale du Front national
– qui s’en tient éloigné – ni des
succès de la mobilisation de La
Manif pour tous. Sans publicité,
ils ne doivent leur survie qu’à
leurs lecteurs, qui se font de plus
en plus rares.
Votre colis vous donne de ses
nouvelles tout au long de son voyage.
Une nouvelle idée de La Poste.
laposte.fr
DÉVELOPPONS LA CONFIANCE
abel mestre
10 | france
0123
MARDI 7 OCTOBRE 2014
LesDoumbia,
six frères
quiaffolent
la justice
La remise en liberté du cadet est
examinée mardi. La corruption
d’une matonne est suspectée
C’
est un coup de fil qui
fut tout sauf diplo­
matique. Le 13 août,
un magistrat de la
cour d’appel de Paris téléphone à
la maison d’arrêt de Fresnes (Val­
de­Marne) pour demander une
explication. L’avocat du détenu
Ismaïl Doumbia vient de faire va­
loir à la cour qu’une demande de
remise en liberté, formulée par
son client le 7 mai, n’a toujours
pas été examinée. Le délai de
deux mois prévu par l’arti­
cle 148­2 alinéa 2 du code de pro­
cédure pénale étant dépassé, Is­
maïl Doumbia, 28 ans, devrait
donc automatiquement quitter le
milieu carcéral.
Au regard du pedigree du dé­
tenu, en train de purger plusieurs
peines de prison dont une pour
avoir participé à un enlèvement­
séquestration, le magistrat de la
cour d’appel exige un éclaircisse­
ment sur ce qui s’apparente à un
raté de l’administration péniten­
tiaire. Dans une note, la directrice
adjointe du centre pénitentiaire
de Fresnes répond qu’une de­
mande de remise en liberté a bien
été formulée mais qu’« aucune
trace de transmission à l’autorité
judiciaire compétente n’a pu être
retrouvée ». Surtout, elle précise
que la surveillante Nelly D., char­
gée de ladite transmission, vient
d’être révoquée « en raison de la
relation inappropriée qu’elle a en­
tretenue dans l’exercice de ses
fonctions » avec un autre détenu,
un certain Kassoum Doumbia, le
frère d’Ismaïl…
Une enquête préliminaire est
alors diligentée pour corruption
de fonctionnaire. Dans son rap­
port de synthèse, la sûreté territo­
riale du Val­de­Marne conclut que
le dépassement du délai s’appa­
rente « plus à un acte volontaire
qu’à une simple erreur ». Le greffe
de la maison d’arrêt gère près de
3 000 demandes de remises en li­
berté par an, sans que jamais ce
type de méprises surviennent.
Nelly D. a été placée en garde à vue
le 25 septembre. L’ex­gardienne
de prison a avoué que, vis­à­vis de
Kassoum, elle était « totalement
confuse au niveau des senti­
ments » mais, concernant la de­
mande de remise en liberté d’Is­
maïl, a rejeté la responsabilité de
la faute sur une autre sur­
veillante. Elle est ressortie libre,
mais l’enquête préliminaire se
poursuit.
En attendant, la cour d’appel de
Paris va avoir à statuer mardi 7 oc­
tobre dans l’après­midi sur le sort
d’Ismaïl Doumbia. Sa remise en
liberté va de soi, d’après son avo­
cat, Me Joseph Cohen­Sabban : « Il
y a eu un loupé. Pour se couvrir,
l’administration
pénitentiaire
tente maintenant de faire porter le
chapeau à la famille de mon client.
On jette des suspicions sans aucun
élément de preuve. Cela se résume
à un procès d’intention. » Un avis
que ne partage pas Me Thibault de
Montbrial, qui représente un
agent de change torturé et laissé
pour mort par trois frères et leurs
71
le nombre d’années de prison cumulées par la fratrie
Selon le décompte du Monde, les six frères Doumbia ont fait l’objet
d’au moins vingt-deux condamnations. Tous ont déjà été condamnés pour trafic de stupéfiants. Cinq d’entre eux ont eu les honneurs
d’une cour d’assises. Ces enfants de la cité des Francs-Moisins à
Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), qui ont fini par investir dans des
commerces sur les Champs-Elysées, ont démarré dans les sports de
combat avant de faire fortune en vendant cannabis et cocaïne.
Contrepartie du succès dans leur secteur d’activité, au moins trois
frères ont essuyé des coups de feu de la part de concurrents. A
peine sorti de prison, Ahmed, le seul frère à être libre à l’heure actuelle, s’est ainsi fait tirer dessus à huit reprises le 5 septembre. Témoin de la scène, un des avocats du polémiste Dieudonné qui rentrait chez lui a jugé plus opportun de déclarer aux enquêteurs qu’il
n’avait rien vu.
NOUVEAU
Richard Strauss,
Opéra de Lyon
contera que ce dernier avait en­
voyé des hommes de main mena­
cer ceux qui l’accusaient.
Fausse reconnaissance de dette
Dans une autre affaire, une de ses
compagnes se présente devant la
juge d’instruction qui doit l’inter­
roger en décembre 2009, coiffée
d’une perruque masquant une
oreillette branchée à un télé­
phone connecté à celui de Kas­
soum Doumbia qui, depuis sa cel­
lule, dicte les réponses à la jeune
femme.
Peu avant, inquiété pour blan­
chiment lié au trafic de stupé­
fiants, le caïd francilien fait éta­
blir une fausse reconnaissance de
dette par un ami canadien pour
justifier de ses 200 000 euros en
liquide. M. Doumbia poussant le
raffinement jusqu’à payer l’avo­
cat et l’huissier censés représen­
ter les intérêts de son créancier
qui, afin de rendre plus crédible
son histoire, l’assigne pour non­
paiement de sa dette…
Dans la fratrie Doumbia, Kader,
30 ans, est le plus m’as­tu­vu. En
cavale, il fait la fête avec le proxé­
nète ayant conduit la prostituée
Zahia Dehar au footballeur
Franck Ribéry. Mais, lorsque Ka­
der se trouve impliqué dans une
C’
Dès aujourd’hui, des offres promotionnelles réservées aux abonnés
de réduction
Les Doumbia ont
à leur palmarès
une série très
variée d’entraves
à la justice,
allant de la
subordination
de témoins
aux menaces
à magistrat
L'HISTOIRE DU JOUR
Un site pour sortir la diaspora
chinoise de l’entre­soi
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de Télérama sont sur billetterie.telerama.fr
-60%
complices. Le conseil considère
que « la famille Doumbia n’a
aucune limite ni dans la violence,
ni dans les manœuvres les plus
audacieuses pour échapper à la
justice. Ils font peur aux témoins
comme à leurs victimes. Il faut que
cela cesse. »
Au cours d’une carrière crimi­
nelle démarrée à la fin des années
1980, les six frères Doumbia ont à
leur palmarès une série très va­
riée d’entraves à la justice, allant
de la subornation de témoins aux
menaces à magistrat en passant
par l’escroquerie au jugement.
A chaque fois, les policiers
croient y voir la patte de Kassoum,
43 ans, l’aîné de la fratrie. Ils ne lui
ont jamais pardonné le non­lieu
qu’il a obtenu à propos d’une fu­
sillade mortelle devant l’Atlantis,
une boîte de nuit antillaise de Pa­
ris, le 11 août 2002. En cours d’ins­
truction, quatre témoins sont re­
venus sur leurs déclarations et
Kassoum Doumbia va toucher
20 000 euros de l’Etat pour déten­
tion abusive. Des années plus
tard, un proche de Kassoum ra­
Jusqu’à
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Miossec,
Paris, Lyon,
Angers
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Antoine Duléry
fait son cinéma,
Paris
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François Truffaut, l’exposition,
La Cinémathèque française,
Paris
est une petite révolution pour la communauté chi­
noise de France : un site de petites annonces d’un
genre nouveau vient de voir le jour sur la Toile : Ave­
nuedasie.fr. Le concept reprend le principe du très populaire Le­
boncoin.fr. A une différence près : cette plate­forme d’échanges
est dévolue à la location ou à la vente d’objets et de services en­
tre les membres de la diaspora chinoise et des Français non si­
nophones.
Plus de 40 000 annonces sont déjà en ligne. Location d’ap­
partements, vente de voitures d’occasion, services de garde
d’enfants, cours de chinois, de français, de piano… On peut,
comme sur d’autres sites, tout vendre, tout acheter. Un onglet a
même été mis en place pour les rencontres amoureuses. Une
application Android devrait être prête d’ici à la mi­octobre.
L’internaute francophone n’aura qu’une barrière à franchir
pour se sentir à l’aise : beaucoup d’annonces sont en mandarin.
Pour ne pas faire fuir les clients, les programmateurs du site ont
ajouté un onglet afin d’obtenir instantanément une traduction
en français.
Principal intérêt d’Avenue d’Asie :
être directement connecté à l’un des
sites participatifs les plus actifs de la
LE CONCEPT
diaspora, Huarenjie.com (« rue de
D’AVENUEDASIE.FR,
Chine », en chinois). « Toutes les an­
nonces postées sur Avenue d’Asie sont
DE PASCAL REN,
immédiatement synchronisées avec
REPREND LE PRINCIPE Huarenjie », explique Pascal Ren, ini­
tiateur du projet. Arrivé en France à
18 ans, le créateur de 41 ans a galéré
DU TRÈS POPULAIRE
dix ans sans papiers, notamment
LEBONCOIN.FR
dans des ateliers de confection, avant
de trouver sa voie.
Le site veut gagner de l’argent, mais Avenue d’Asie a aussi une
visée plus sociale, à l’image des convictions de M. Ren, très in­
vesti dans l’associatif. « Le but est de créer des ponts entre les
Français et la diaspora chinoise afin que des échanges puissent se
faire dans les deux sens », détaille­t­il. Une ambition grandis­
sante chez les Chinois de France, de plus en plus soucieux de
s’émanciper de l’image d’une communauté repliée sur elle­
même.
Parmi les actionnaires d’Avenue d’Asie, on trouve l’un des en­
trepreneurs ayant le mieux réussi de la diaspora : Ruojin Liu,
patron de la marque de vêtement Miss Coquine. M. Ren prévoit,
lui, en plus de la France, de vite développer son site sur des pla­
tes­formes en Italie, en Espagne et au Royaume­Uni, où Huaren­
jie a déjà des déclinaisons. Puis dans toute l’Europe.
Dans un autre domaine, une radio en français et en chinois
devrait voir le jour : Radio mandarin d’Europe. Le projet, porté
depuis des années par Huong Tan, un Cambodgien d’origine
chinoise très investi au sein de la diaspora, a obtenu le feu vert
du CSA début 2013. Huong Tan en est aux finitions. Il est même
à la recherche de stagiaires d’écoles de journalisme. p
elise vincent
fusillade, Kassoum le répri­
mande, parce qu’il ne s’est pas fait
arrêter en même temps qu’un
complice : « S’ils vous pètent en
même temps, toi t’es là pour lui
mettre la pression. Mais là, si ça se
trouve, il est en train de dire : “C’est
pas moi qui ai tiré.” Et tu te retrou­
ves au placard pour tentative
d’homicide… Faut réfléchir ! A
chaque fois, je vous le dis ! »
Quand c’est au tour d’Adams
(34 ans) et Mohamed (37 ans)
d’être recherchés pour avoir poi­
gnardé à mort un homme qui
tentait de les empêcher de ven­
dre de la drogue, Kassoum tente
de faire passer la victime de ses
petits frères pour un dealer. Le ca­
det, Ismaïl, se promène, lui, avec
un mouchoir sur lequel sont ins­
crites les réponses très précises à
donner dans l’affaire pour la­
quelle la police le traque.
Durant le procès de l’enlève­
ment de l’agent de change, le té­
moin sous X qui incriminait Kas­
soum et deux de ses frères a in­
sisté pour dévoiler son identité
en pleine audience. Là, il a assuré
avoir été manipulé par les poli­
ciers et n’aurait jamais dit le
moindre mal des Doumbia.
Un jour, un chef d’entreprise a
expliqué à un juge d’instruction
pourquoi il se rétractait face à un
membre de la fratrie. « J’ai peur et
je ne voudrais pas que mes décla­
rations soient dans le dossier.
Cette personne est vraiment très
dangereuse. J’aimerais vous dire
des choses, mais j’ai peur que cette
personne ait accès au dossier. »
Sur ce, son avocat lui conseille
de se taire et reproche au magis­
trat de mettre la vie de son client
en danger. L’audition se termine
au bout de sept minutes. Sur sa
chaise, le chef d’entreprise, ami
d’enfance
des
Doumbia,
pleure. p
matthieu suc
JUSTI C E
Une adolescente partie
pour le djihad rattrapée
à Marseille
Disparue depuis quatre jours
de son domicile dans l’Isère,
une jeune fille de 15 ans a été
rattrapée samedi 4 octobre à
Marseille. Elle a confirmé en
garde à vue avoir voulu partir
« faire le djihad en Syrie », tout
en n’ayant aucun discours re­
ligieux « construit », selon le
procureur de Vienne, Mat­
thieu Bourrette. Sa garde à
vue pour le vol de la carte
bancaire de ses parents a été
prolongée dimanche 5 octo­
bre en début de soirée. – (AFP)
POLICE
Interpellations à
Toulouse liées aux
règlements de comptes
Des policiers sont intervenus
lundi 6 octobre à l’aube dans
plusieurs quartiers de Tou­
louse, dont la Reynerie, dans
le cadre des enquêtes sur les
règlements de comptes entre
bandes rivales sur fond de
trafic de drogue. France 3 Mi­
di­Pyrénées, qui rapporte l’in­
formation, précise qu’il y a eu
plusieurs interpellations. En
moins d’un an, Toulouse et sa
banlieue ont connu quatre as­
sassinats et deux tentatives,
« avec des modes opératoires
relativement similaires », se­
lon le parquet.
FA IT DIVERS
Un accident de
montgolfière fait un
mort et trois blessés
Une personne est morte et
trois autres ont été griève­
ment blessées, dont une en­
fant de 10 ans, dimanche
5 octobre dans la chute de
leur montgolfière qui survo­
lait un village touristique du
Quercy, dans le Tarn­et­Ga­
ronne. Onze personnes se
trouvaient à bord, dont le pi­
lote, ont précisé les pompiers.
Le pronostic vital de deux des
trois blessés est engagé. Les
sept autres occupants ont été
légèrement blessés. – (AFP)
france | 11
0123
MARDI 7 OCTOBRE 2014
«LaManifpourtousconfisqueledébatsurlafamille»
Pour le chercheur Claude Martin, le mouvement anti­mariage gay illustre «une poussée conservatrice»
E
ENTRETIEN
ntre Manif pour tous du
dimanche 5 octobre et
examen du projet de loi
de financement de la Sé­
curité sociale à partir de mercredi,
la politique familiale est propulsée
en première ligne du débat public.
C’est l’occasion, au­delà des slo­
gans, d’en redécouvrir les enjeux.
Entretien avec Claude Martin, so­
ciologue et directeur de recher­
ches au CNRS, spécialiste des poli­
tiques de l’enfance, de la famille et
de la vieillesse. Il est l’auteur d’Etre
un bon parent. Une injonction con­
temporaine, à paraître en novem­
bre aux Presses de l’EHESP.
Que vous inspire la mobilisa­
tion de La Manif pour tous ?
C’est une forme de campagne
contre l’exécutif. Ce mouvement
confisque le débat sur la question
familiale qui ne se limite pas, loin
s’en faut, au « mariage pour tous »
ou à la PMA [procréation médica­
lement assistée] et à la GPA [gesta­
tion pour autrui], et aux préten­
dues menaces que ces mesures fe­
raient peser sur « la civilisation ».
Rappelons que seulement 7 000
mariages entre personnes de
même sexe ont été célébrés au
cours des six premiers mois de la
loi. Une minorité bruyante, ados­
sée sur de nombreux quiproquos
et simplifications, masque la ma­
jorité silencieuse.
Dans quelle mesure ce mouve­
ment est­il en adéquation ou
en décalage avec la réalité de la
société française, d’une part,
ses inquiétudes, d’autre part ?
Ce mouvement est surtout en
phase avec une poussée conserva­
L’ESSENTIEL
PLFSS
Le gouvernement prévoit de réduire plusieurs prestations familiales dans le cadre du budget de
la « Sécu » pour 2015.
MESURES
La prime de naissance sera divisée par trois à partir du
deuxième enfant. Le congé parental devra être davantage partagé entre père et mère. Les allocations familiales seront
majorées à 16 ans, contre 14 ans
actuellement. Les aides à la
garde d’enfant seront diminuées
pour les familles les plus riches.
« Toutes les
mesures du
gouvernement
n’ont qu’une
logique : réduire
les dépenses.
D’autres finalités
sont délaissées »
trice et réactionnaire. Une réac­
tion qui agite des peurs. Le désir de
restauration d’une famille pré­
tendument menacée dans ses fon­
dations par des aspirations liber­
taires est profondément en déca­
lage avec les principales préoccu­
pations des Français. L’immense
majorité d’entre eux est moins
sensible à ces questions de valeurs
que préoccupée par les contrain­
tes que font peser sur leurs fa­
milles la crise et les transforma­
tions des conditions de travail et
d’emploi. Leurs préoccupations
concernent plutôt le chômage, en
particulier chez les jeunes, l’aug­
mentation des inégalités, ainsi
que l’articulation des temps de la
vie (familiale, sociale, profession­
nelle). La question des temps so­
ciaux est importante, car il faut du
temps pour faire une famille, pour
s’occuper des enfants, pour être en
couple, pour soutenir ses proches
et parents, etc.
La politique familiale est­elle
un marqueur du clivage droi­
te­gauche ? Si oui, comment se
caractérise une politique fami­
liale de droite ou de gauche ?
La famille et la politique fami­
liale ont longtemps été considé­
rées comme des thématiques de
droite ; la gauche privilégiant la
question des inégalités ou préfé­
rant parler du peuple. Les choses
sont en fait plus complexes. Il faut
rappeler le rôle joué par le catholi­
cisme au sein des droites et des
gauches, en somme les places res­
pectives de la démocratie chré­
tienne et des sociaux­démocra­
tes, de part et d’autre d’une fron­
tière poreuse. Dans ce débat, Fran­
çois Mitterrand a manifesté dès la
campagne de 1981 le souhait de
définir un discours de gauche sur
la famille en défendant une pré­
occupation nataliste, une volonté
de reconnaître le pluralisme des
formes de vie en famille et la cen­
tralité de la condition féminine.
L’alternance droite­gauche a­t­
elle modifié les choix en ma­
tière de politique familiale ?
L’enjeu : durer jusqu’en 2017
A la fin de la précédente Manif
pour tous, le 2 février, la présidente
du mouvement, Ludovine de la
Rochère, avait appelé à un nou­
veau rassemblement. Pas cette
fois. Son pari est pourtant réussi.
Le 5 octobre, la Manif pour tous a
mobilisé presque autant qu’en fé­
vrier : 70 000 personnes à Paris,
7 500 à Bordeaux, selon la police
(500 000 et 30 000 selon les orga­
nisateurs), alors qu’aucun projet
touchant la famille n’est envisagé.
Mais les foules qui combattaient
la loi sur le mariage pour tous
en 2013 ne sont pas redescendues
dans la rue. C’est le noyau dur des
défenseurs de la famille tradition­
nelle qui a défilé. Leurs revendica­
tions : l’abrogation de la loi
Taubira et un durcissement de la
législation afin d’empêcher le re­
cours à la gestation pour autrui
pour les Français à l’étranger, et à
la procréation médicalement as­
sistée pour les couples de femmes.
Infléchir la ligne des candidats
Spectaculairement exposées, el­
les restent minoritaires : 6 Fran­
çais sur 10 estiment que les cou­
ples homosexuels vivant avec
leurs enfants sont des familles « à
part entière », selon un sondage
IFOP paru dimanche 5 octobre.
L’enjeu pour La Manif pour
tous est de voir ses proposi­
tions reprises par des élus dans la
durée. Elle veut infléchir la politi­
que du gouvernement, mais aussi
la ligne des candidats en 2017. Pour
l’instant, sa stratégie de pression
dans les rues fonctionne.
Avant même la manifestation,
Manuel Valls a annoncé une initia­
tive internationale contre la GPA et
refusé la transcription « automati­
que » de l’état­civil des enfants
ainsi conçus, comme le demande
la Convention européenne des
droits de l’homme (CEDH). Deux
candidats à la primaire de l’UMP
souhaitent une consultation des
militants sur l’abrogation de la loi.
Marine Le Pen cherche à ramas­
ser la mise : favorable à l’abroga­
tion de la loi, elle plaide mainte­
nant pour une sortie de la CEDH.
Le risque pour La Manif pour tous
est de voir ces engagements vite
oubliés. Il lui faudra alors à nou­
veau appeler à la mobilisation, au
risque de l’essoufflement. p
gaëlle dupont
Des participants
de La Manif pour tous,
le 5 octobre,
à Paris. RAFAEL YAGHOBZADEH/
HANS LUCAS POUR « LE MONDE »
Au­delà des effets d’annonce
pendant les campagnes, des ten­
dances de fond dominent, qui dé­
passent les clivages politiques.
Ainsi s’est affirmée, depuis le mi­
lieu des années 1980, une volonté
de redonner une fonction redis­
tributive aux instruments de la
politique familiale, ou encore d’en
faire des outils de la politique de
l’emploi. Cela aussi bien à droite
qu’à gauche, ce qui montre le rôle
particulièrement important des
hauts fonctionnaires en charge de
la définition de ces politiques.
Au plan de l’affichage, la théma­
tique familiale continue et conti­
nuera sans doute d’être politisée,
utilisée comme un marqueur
brandi par les acteurs politiques
pour signifier leurs fronts de lutte,
leurs différences. Mais le plus sou­
vent sur des thématiques à forte
résonance idéologique et à faible
coût, comme la manière dont no­
tre droit civil définit la famille.
Peut­on parler d’une politique
de gauche au vu des mesures
du gouvernement ?
La logique budgétaire qui do­
mine toutes les politiques publi­
ques en France écrase les idées
auxquelles est attachée la gauche.
Les mesures annoncées n’en re­
tiennent que ce qui va dans le
sens de la réduction des dépenses
publiques et du coût de l’Etat so­
cial. On le constate, par exemple,
sur la réforme du congé parental.
Le gouvernement aurait pu cher­
cher à éviter la trappe à inactivité
pour les femmes en réduisant sa
durée, mais surtout en offrant un
meilleur niveau de rémunéra­
tion, avec un taux de remplace­
ment du salaire antérieur compa­
rable à ce qui se pratique dans les
pays scandinaves, mais aussi en
Allemagne et dans d’autres pays
de l’Union européenne. Au lieu de
cela, le gouvernement affiche
l’égalité de genre tout en sachant
que, vu le faible niveau de rému­
nération du congé parental, en
imposer une partie aux hommes
revient à opérer un nivellement
par le bas qui a peu de chance
d’avoir des effets d’égalité. Quant
à l’idée d’abaisser le plafond d’ac­
cès à des prestations sociales, elle
vise certes à concentrer les efforts
sur les plus modestes ; mais ce
n’est pas pour faire mieux, ni
même autant.
Toutes ces mesures n’ont donc
qu’une logique : réduire les dé­
penses. D’autres finalités sont dé­
laissées comme le mieux­être, la
qualité de service ou même l’in­
vestissement social ; argument
auquel auraient pourtant pu être
sensibles des hauts fonctionnai­
res du ministère des finances,
puisque cela permettrait d’éviter
des dépenses futures. Il est sur­
tout question d’aujourd’hui, pas
assez de demain. p
propos recueillis par
jean­baptiste de montvalon
PUBLICITÉ
L’Espagne a trouvé
son paradis
Cuisine parfumée, senteurs d’orangers, sports nautiques,
plages immaculées, soleil toute l’année… tous les plaisirs
semblent réunis sur cette terre si convoitée et bénie,
nommée Andalousie.
Baignés de lumière, ses 900 kilomètres de côtes sont aussi
variés qu’étonnants, constellés de plages, de criques préservées,
de marais luxuriants et d’eaux agitées par le vent. Comme
les Phéniciens, Grecs, Romains et Arabes avant vous,
laissez-vous séduire par l’infini beauté du littoral andalou.
Depuis la frontière avec le Portugal, la Costa de la Luz
déploie ses vastes étendues de sable fin, pinèdes et eaux
cristallines aux amateurs de planche à voile et de pêche
sous-marine. Et quand certains profitent de ces recoins
sauvages, d’autres cultivent l’art de la fiesta dans les
nombreux bars des villes côtières. Juste à côté, la Costa del
Sol porte bien son nom avec ses 325 jours d’ensoleillement
par an. Entre les plages animées ou vierges, les marinas et
les parcours de golf, on comprend facilement pourquoi
Andalousie rime avec… paradis.
'+0,*!#. $.2,.
'+0,*!#. %!32,.#1
(!)!1,*/!.- &+."
%*"#.(+0# ,1'0*3 41-&#-" &0)2 $(-1/!
Sable blanc et sports de glisse
La Costa Tropical, protégée des vents du Nord par la montagne,
invite les voyageurs au creux de ses falaises, baies et plages pour
des vacances dynamiques. Avis aux sportifs, vous pourrez ici vous
adonner à la planche à voile, au surf, à la plongée, la pêche, le ski
nautique, etc. Tournez la tête ! La Sierra Nevada – littéralement
chaîne de montagnes enneigée - culmine à 3400 mètres et attend
les skieurs sur ses 87 pistes. A l’Est, la Costa de Almería offre un
paysage singulier, avec ses déserts, ses marais salants appréciés
des flamands roses et ses plages aux eaux transparentes. Envie de
plonger ? Vous pouvez ! L’Andalousie possède 98 drapeaux bleus,
signe d’une excellente qualité des eaux. Envie de plus d’aventure ?
Entre amis ou en famille, vous pouvez découvrir des paysages de
rêve, en quad ou 4X4, faire des randonnées à vélo ou à cheval, du
canyoning, de la spéléologie ou de l’escalade, accompagnés d’un
guide spécialisé.
Des saveurs simples et authentiques
Après le sport, le réconfort… par les papilles ! La gastronomie est
ici un véritable art de vivre. Légumes et fruits du soleil, poissons,
ail et huile d’olive vierge sont les atouts fondamentaux de la
cuisine andalouse. A l’image de son histoire, elle est riche, complexe et fortement influencée par l’empreinte des Arabes.
Laissez-vous surprendre par le goût exceptionnel du jambon pata
negra ; par les arômes intenses du salmorejo cordouan, crème
élaborée à partir de mie de pain, ail, huile d’olive, sel et tomate ;
par les fèves tendres de Grenade, le gibier de Cordoue ou les poissons de la côte. Enfin, comment résister à l’art du tapeo, cette
coutume si conviviale qui consiste à passer de bars en tavernes en
mangeant quelques tapas, un verre de vin (de Jerez) à la main.
Vous ne vous lasserez pas de ces petites assiettes, fritures ou
tartines élaborées à partir de charcuteries, fromages ou fruits de
mer. De vraies bouchées de plaisir.
L’Andalousie se vit et se respire, selon vos envies. Sur cette terre
de couleurs et de saveurs, oui, tout est bien réuni pour faire de
votre séjour, un moment inoubliable.
12 | enquête
0123
MARDI 7 OCTOBRE 2014
Retour de djihad
I
émeline cazi
ls sont partis pour la Syrie comme
d’autres s’en vont en week­end : avec
une carte d’identité, deux pantalons,
deux pulls et un billet d’avion à
79 euros acheté sur un coup de tête.
Ibrahim et Kader, un Français et un
Franco­Tunisien de 24 et 26 ans, ont quitté
Marseille un lundi de septembre 2012, par le
vol du soir, avec leur sac à dos pour seul ba­
gage. Le djihad est à quatre heures d’avion et,
si l’on se débrouille bien, à moins de
100 euros. A Istanbul, Pegasus Airlines, la
compagnie locale, assure la liaison avec Hatay
(Antioche). C’est là, dans cette ville de l’ex­
trême sud de la Turquie, qu’à cette époque
convergent les apprentis moudjahidin.
Les jeunes volontaires, pleins d’enthou­
siasme et d’allant, arrivent du monde entier.
Ils ont reçu leur feuille de route sur Internet.
La Syrie est au bout de la rue. L’aventure s’an­
nonce exaltante. Enfin, leur vie prend tout
son sens. Combattre Bachar Al­Assad, sauver
le peuple syrien du joug du dictateur, voilà
qui a de l’allure. C’est dangereux, certes. Peut­
être mourront­ils avant l’heure. Mais quand
on a 20 ans, qu’importe de vivre vieux si l’on a
vécu intensément. Et s’ils mouraient, ce serait
en martyrs, sur la terre de « Shâm » (Syrie, en
arabe) là où la mort est paraît­il délicieuse, où
le sang se transforme en musc. Jamais, en re­
vanche, ils n’ont envisagé l’option prison. Ils y
sont pourtant depuis leur retour en France,
en février.
Rached, 24 ans, est parti quelques jours
après Ibrahim et Kader. Ces trois­là ont grandi
à Cannes. Leurs noms sont apparus au cours
de l’enquête sur l’attentat à la grenade contre
une épicerie juive à Sarcelles, en septem­
bre 2012. Plusieurs fidèles de la mosquée de
Cannes avaient en effet côtoyé Jérémie Louis­
Sidney, le cerveau de la cellule terroriste dé­
crite par le procureur de Paris comme «la plus
dangereuse depuis les attentats de 1995 ».
L’histoire et le parcours des trois hommes
sont retracés dans leur dossier judiciaire. La
mer et les baignades dans les gorges de la Sia­
gne ont longtemps servi d’occupation à leurs
longues après­midi d’été, mais dans les quar­
tiers noyés de soleil on entend le même re­
frain qu’ailleurs : rien à faire pour les jeunes.
Pas de boulot, pas d’avenir, personne pour of­
frir ne serait­ce qu’un stage. Kader a perdu
son père alors qu’il n’avait pas 11 ans. Mort sur
un chantier. Sa mère fait des ménages. Il rê­
vait d’entrer dans la marine, mais a échoué au
BEP « méca’bateau ». L’Hôtel Martinez, le
grand palace de Cannes, lui a donné sa
chance, malgré un 9,87/20 au CAP cuisine. Le
garçon a tenu quatre mois, avant de tout en­
voyer valser pour une histoire de jour férié
travaillé. Ses amis partaient six semaines en
vacances en Thaïlande. Il les a suivis.
DU BON CÔTÉ DE LA MER
Les parents, nés sur l’autre rive de la Méditer­
ranée, avaient rêvé d’un brillant avenir pour
leurs garçons. Ils grandiraient du bon côté de
la mer, iraient à l’école de la République, dé­
crocheraient des diplômes. Ibrahim, troi­
sième d’une fratrie de quatre, n’a pas dépassé
la première année de BEP. Les horaires « trop
lourds » et l’ambiance « quasiment militaire »
en cuisine ont découragé l’apprenti cuistot. Il
Ibrahim, Kader et Rached ont grandi
à Cannes. Tous trois sont partis
«faire de l’humanitaire en Syrie»,
comme ils disent
a longtemps vivoté grâce à son business de
tee­shirts contrefaits made in China, achetés
10 euros et revendus le double, ou en passant
quelques journées payées de 80 à 100 euros à
assembler des tuyaux sur les chantiers avec
son père. Il fut aussi « facteur en Mobylette »,
« manutentionnaire » ou « jardinier au
black ». Voire tout à la fois.
Autant dire que partir « faire de l’humani­
taire en Syrie », selon leurs propres mots, c’est
l’aventure. Quelque chose d’exotique pour
cette jeunesse en mal de repères. « Soit tu
prends tes affaires, et tu bouges, et tu pars (…)
c’est c’qu’ils te disent à chaque fois, si t’es pas
content, t’as qu’à partir », relève l’un d’eux au
téléphone sans savoir qu’il est sur écoute,
comme en écho à la phrase de Philippe de Vil­
liers, « la France, tu l’aimes ou tu la quittes ».
Mais « si tu pars, ils vont direct te mettre sur
une liste comme j’sais pas quoi, djihadiste. C’est
devenu un métier djihadiste, comme on dirait
boulanger ou plombier. » Kader jure aux en­
quêteurs que, s’il est parti pour la Syrie, c’est
pour aider. Eux le soupçonnent d’avoir voulu
mener le djihad armé et de n’avoir jamais
croisé une ONG. Kader se récrie et raconte
que, à peine arrivé en Turquie, il a acheté 5 kg
de riz pour les familles syriennes. L’armée
turque les a aidés à porter leurs sacs et à trou­
ver un taxi pour passer la frontière, précise­
t­il. Aucun groupe armé ne les attendait. Ja­
mais il n’a souhaité rejoindre des combat­
tants. D’ailleurs, lorsqu’il s’est aperçu que les
Syriens « ne manquaient de rien, sauf d’électri­
cité », il a pensé rentrer en France.
Mais alors pourquoi avoir besoin de
4 000 et 8 000 euros lorsqu’on va « distribuer
tentes et couvertures dans un hôpital proche
de la frontière » ? Pourquoi garder sur une clé
USB un manuel de fabrication de bombes ar­
tisanales, s’ils ne voulaient qu’aider les
autres ? A Cannes, ils portaient une lon­
gue barbe. Pourquoi la tailler avant de pren­
dre l’avion si ce n’est pour mieux se mêler aux
touristes ? Les testaments rédigés sur le che­
min de l’aéroport et remis à leur ami Sofien
ne plaident pas non plus en leur faveur. Sur
deux feuilles d’un cahier à grands carreaux,
Ibrahim « fils d’Azzedine » envisage le pire :
« Au nom d’Allah, le miséricordieux, le très mi­
séricordieux », il lègue « tous ceux [sic] qu[’il]
possède » à sa mère, à son frère et à ses sœurs,
« mise [sic] à part [sa] télé qu[’il] donne à Sa­
lomé [sa] bien­aimée qu[’il a] laissé [sic] ».
Mais qu’il « espère vraiment retrouver au pa­
radis ». Rached lui aussi explique à son « BB
d’amour », avoir « demand[é] à Allah de [les]
réunir au paradis ».
Tous les candidats au départ ne naissent pas
musulmans. Mais ceux qui le sont devenus se
rappellent avec précision du jour de leur con­
version. Pour Ibrahim, ce fut l’année de ses
19 ans, un jour qu’il se trouvait au bord d’une
piscine, à Marrakech. Un Français l’aborde et
« ON ENTEND LES
BOMBES, ÇA TIRE
À CÔTÉ DE NOUS,
C’EST LA NUIT,
Y A PAS DE LUMIÈRE,
HURLE MÉLANIE
AU TÉLÉPHONE.
J’EN PLEURE, J’EN
PLEURE, MAMAN,
C’EST HORRIBLE ! »
lui fait remarquer que sa main droite, celle
avec laquelle il tient sa cigarette, est normale­
ment réservée aux « choses pures, comme ten­
dre l’index pendant la prière ou serrer la
main ». L’homme n’a rien ajouté, s’est levé et
s’en est allé. Il avait bu, était « quasiment dé­
foncé », se rappelle Ibrahim, mais « il allait
prier ». « Je me suis dit, pourquoi pas moi ? »
Kader, lui, ne tient pas l’alcool en soirée, de­
vient mauvais. Il s’est senti visé par le prêche
d’un imam qui blâmait les « gens qui se dégra­
dent eux­mêmes ». Du jour au lendemain, il
est devenu un autre homme.
Plus radicale fut la conversion de Rached,
dernier du trio, et de Mélanie (le prénom a été
modifié), son amour d’adolescence. Quand ils
se sont connus, lui ne jurait que par ses jeans
Armani, ses polos Tommy Hilfiger et ses
chaussures Ninja. Elle ne portait pas le voile.
Ils fumaient, sortaient dans ces soirées où
l’on « se bourre la gueule » et l’on « sniffe de la
coke ». Une autre vie, d’autres mœurs. De­
puis, ils se sont mariés devant l’imam. Méla­
nie ne sort plus sans ses gants, porte un long
voile noir – « les couleurs, ça fait Arlequin » –
et ne fête plus les anniversaires de quiconque.
« J’suis rentrée dans une religion, c’est pas pour
la faire à moitié », assène­t­elle, cinglante, de­
vant son père qui s’en désole. Une virée chez
le coiffeur, une sortie en ville, tout est revu à
l’aune des interdits que l’islam, croit­elle, lui
impose. Se teindre les cheveux en noir, cou­
leur sacrée, n’est pas autorisé. Va pour la bai­
gnade, mais seulement dans les piscines pri­
vées des copines, à l’abri des regards.
STAGE EN EGYPTE
Ils forment un clan, avec ses coutumes et ses
codes. Leur signe de ralliement : le drapeau
noir de l’islam, affiché en fond d’écran sur
leur portable, quand ce n’est pas la photo
d’un combattant en armes. La « citadelle du
musulman », recueil des invocations du Co­
ran et de la Sunna (loi de Dieu), est leur best­
seller. « Innocence of Muslims », un brûlot
anti­islam diffusé sur Internet, le film améri­
cain à combattre. Ils ont vu et revu ces vidéos
prosélytes où des jeunes coiffés d’un keffieh,
assis en demi­cercle, leur vantent les bien­
faits du djihad et les exhortent à les rejoin­
dre. Ils les ont transférées, affichées sur leur
mur Facebook. Le voyage en Egypte est un
must et sert souvent de stage initiatique. On
y suit des cours d’arabe – 45 euros les trois
heures – dans des écoles du Caire, on y loue
pour une centaine d’euros des appartements
« entre frères ». On s’autorise même quelques
excursions. Au printemps 2012, Rached a étu­
dié quatre mois à la madrasa Kalima, où se re­
trouvent des étudiants du monde entier. Ka­
der et Ibrahim l’ont rejoint. Au retour, les
amis d’Ibrahim ont noté un net change­
ment : « Il parlait de guerre, c’était [devenu]
un besoin. »
Lorsque les trois Cannois débarquent quel­
ques semaines après à Hatay, à l’automne
2012, le gouvernement turc n’a pas encore
lancé la construction du mur censé freiner les
ardeurs de l’internationale djihadiste. Le pas­
sage de la frontière n’est qu’une formalité.
Ibrahim et Kader trouvent refuge dans une
villa désertée par ses occupants où logent
déjà une vingtaine d’autres Français. Le con­
fort est sommaire. L’hiver, pour se chauffer,
on jette des pommes de pin dans les chemi­
nées. L’air devient vite irrespirable. Ces ma­
tins de grand froid, les ablutions sont en op­
tion et les repas frugaux. Une soupe ou des
macaronis enchantent l’ordinaire.
DÉBROUILLE ET MAGOUILLES
Chacun organise sa journée entre débrouille
et magouilles. Ibrahim achète et revend des
voitures sur le marché de Sarmada, bourg des
collines du nord­est syrien, à un jet de pierre
de la Turquie. Rached s’est offert une moto « à
pédales », a craqué pour un cheval… On
trouve de tout dans les boutiques syriennes :
un ordinateur à 400 euros, des « colts » turcs
enquête | 13
0123
MARDI 7 OCTOBRE 2014
matin de décembre, elle en a eu assez de pas­
ser ses journées à scruter son téléphone. Sans
rien dire à personne, elle s’est envolée pour Is­
tanbul. Persuadée que tout serait plus simple
là­bas. En réalité, c’est un choc. Pour ne pas ef­
frayer leurs familles, les garçons ne l’ont pas
assez dit, c’est la guerre, en Syrie. On n’en a pas
vraiment conscience lorsqu’on téléphone de
son canapé. Les bombardements frappent
surtout le soir. « Les avions, ils sont au­dessus
de la maison, on entend les bombes, ça tire à
côté de nous, c’est la nuit, y a pas de lumière,
hurle Mélanie au téléphone. J’en pleure, j’en
pleure, maman, c’est horrible. »
En arrivant en Syrie, elle est devenue « Oum
Jafar », « femme de Jafar », du nom de con­
verti de Rached. « Oum Jafar » dort avec
d’autres femmes. La maison où loge Rached
n’est pas suffisamment grande pour l’ac­
cueillir. La cohabitation avec les sœurs est dif­
ficile. Elle ne parle pas anglais, ni arabe. Ses
coloc’portent le voile mais n’ouvrent pas un
Coran, ne prient pas, médisent à longueur de
journée et gavent leurs enfants de somnifères
dès le réveil, quand elles ne les battent pas à
coups de ceinture, raconte­t­elle à une amie.
Les nuits de panique, impossible de trouver
du réconfort auprès d’elles. Le jour revenu,
elle reprend ses esprits, lègue ses jilbeb (« voi­
les ») et la moitié de son recueil de hadiths
– les paroles du Prophète – à sa meilleure
amie. « Ça me fera quelques hassanates [bon­
nes actions]. » « Au pire, si demain, j’me prends
une bombe dans la tête, c’est pas grave, j’meurs
en martyre », relativise Mélanie.
LES FEMMES DONNENT LA « BARAKA »
RAPHAEL URWILLER
pour 40 euros, des maillots de corps, des ves­
tes. Mais pour les extras, rien ne vaut la Tur­
quie. Les virées de l’autre côté de la frontière
sont une fête. Les djihadistes viennent récu­
pérer les mandats Western Union envoyés
par leurs familles, auxquelles ils réclament ré­
gulièrement 150, 200, 300 euros.
Le djihad leur coûte cher… En France, des
quêtes s’organisent dans les quartiers et à la
sortie des mosquées. Même les collégiens
puisent dans leurs maigres économies. Une
partie de cet argent est aussitôt dépensée en
fringues et nuits d’hôtel. La guerre est une
aubaine pour le commerce turc. Certains
marchands ont profité des allées et venues de
ces étrangers en mal de sensations pour s’ins­
taller au plus près de la frontière. Avant de re­
tourner au front, les apprentis djihadistes se
délassent dans des bains bouillants. « Depuis
que je suis parti, j’ai pas fait de bain, frère, c’est
que des douches (…), l’eau chaude, on la chauffe
sur la cheminée, raconte Kader à un ami, au té­
léphone. On n’a pas lâché l’eau chaude à l’hô­
tel, le lit confortable, le coussin, les couvertures,
on était au chaud. »
En Syrie, chercher du réseau et trouver de
quoi recharger son téléphone est devenu un
sport national. « Il n’y a pas d’électricité, ni à la
maison ni dans le village en entier. L’électricité
ne vient qu’une à deux heures maximum par
jour. C’est l’Etat qui loue », explique Rached à
sa fiancée, qui s’inquiète de son silence. Sans
réseau, impossible aussi de créditer son for­
fait. L’opération « ne se fait pas par carte, mais
par opérateur en texto », lui précise­t­il. Son
ordinateur, il le recharge grâce à un fil relié à
la batterie de sa moto, qu’il doit laisser tour­
ner pendant l’opération. Du coup, les nouvel­
les sont rares et erratiques.
A 3 000 km de là, en France, on guette la pe­
tite lumière verte qui s’allume sur Skype ou
sur Facebook, signe que le correspondant est
connecté. « Tu as eu des nouvelles, inch Al­
lah ? » En cas de silence prolongé, on compte
les jours sans appel. « Moi, des fois, j’m’al­
longe, j’laisse le téléphone sur moi (…) et j’rac­
croche et je fais [le numéro], et j’raccroche et
j’refais », explique la sœur de Rached. Il est ar­
rivé à Mélanie de tenter cinquante appels d’af­
filée avant de réussir à joindre son fiancé. Un
IBRAHIM AVAIT
MOHAMED MERAH
POUR MODÈLE.
IL AVAIT PRÉVENU
SES PROCHES :
S’IL ÉCHOUAIT
EN TERRE D’ISLAM,
IL PRENDRAIT
SA REVANCHE
EN FRANCE
« J’ai déménagé. Inch Allah, on est dans une
belle maison et tout. Avec mon mari, ils nous
ont donné une grande pièce », annonce toute
guillerette « Oum Jafar » à ses copines, ce ma­
tin de janvier 2013. Un soir, Rached l’a emme­
née à moto dîner dans un kebab. Un rêve. Ici,
les femmes ne sortent pas à la nuit tombée.
Rached ambitionne d’intégrer les brigades de
Jabhat Al­Nosra (le Front Al­Nosra), le groupe
de rebelles affilié à Al­Qaida. Mais rejoindre
une katiba (une brigade de combattants)
comme on dit là­bas, se mérite. Il s’entraîne
trois, quatre, cinq jours d’affilée sans donner
de nouvelles. La nuit, du fond de sa tranchée,
il surveille les avancées de l’ennemi pour
80 euros par mois. L’émir, son chef, lui fait
confiance et lui a délégué l’entraînement des
nouvelles recrues. Celles­ci arrivent de par­
tout : Kazakhstan, Ouzbékistan, Pakistan.
Certains combattants ont plus de 60 ans. S’il
intègre le groupe, a expliqué Rached à sa bien­
aimée, on lui confisquera son téléphone et il
n’aura droit qu’à un appel par mois.
« Ce n’est pas une vie de couple que tu peux
avoir avec un moudjahid, c’est pas possible »,
insistent les copines de Mélanie quand elle
leur raconte ses longues journées à attendre
le retour de son fiancé. Jamais il n’annonce la
durée de ses absences. La connaît­il lui­
même ? Combien de temps va­t­elle encore
tenir ? « Le peu que je pourrais encore profiter,
et si je réussis ne serait­ce qu’à tomber en­
ceinte », leur répond la jeune femme. Elle rêve
d’un garçon, « au moins, il va combattre ». La
mère de Mélanie ne veut pas une petite fille,
sinon, « la pauvre, elle va devoir avoir le
voile ». L’échographie annonce une fille. Ra­
ched est ravi : les femmes donnent la « ba­
raka », elles portent chance. Pour le prénom,
ce sera celui d’une femme du Prophète.
Rached a pleuré lorsque fin janvier Mélanie
a quitté la villa, sa valise à la main. C’était
mieux pour elle et l’enfant, sont­ils convenus.
Les collines syriennes ne sont pas le meilleur
endroit pour une femme enceinte. Il y fait
froid, on n’y mange pas tous les jours à sa
faim. Mieux valait que Mélanie parte l’atten­
dre en Turquie. Il ne serait pas loin, il pourrait
leur rendre visite après la naissance de la pe­
tite. Mélanie a fini par rentrer en France. En
voulant passer par la Tunisie, elle a appris
qu’elle y était interdite de territoire, en raison
de sa relation avec une personne « suspectée
de terrorisme international ».
Kader a épousé Rim, « une femme respec­
tueuse [qui] entretient bien son foyer » – et hé­
rité d’une petite maison dans le village de sa
belle­famille, dans le nord­est de la Syrie. Ibra­
him a nourri les mêmes projets et épousé
cette jeune fille dont il se rappelle à peine le
nom, « Zahib, ou quelque chose comme ça ».
Mais la maison dont il a héritée n’avait pas de
toiture. Quand Kader a annoncé être blessé et
qu’Ibrahim, touché par un éclat d’obus, n’a
plus répondu au téléphone, tous – familles et
amis – à Cannes, se sont affolés. Ils ne sont pas
les seuls. Kader ne voyait plus l’intérêt de res­
ter s’il ne pouvait plus courir. Il risquait de re­
tarder les autres. Autour de lui, le nombre de
blessés augmentait, il a vu des garçons ampu­
tés de leurs deux jambes et un jeune de 16 ans
mourir sous ses yeux. Leur blessure leur fait
prendre le même chemin que Mélanie, quel­
ques mois plus tard, laissant en Syrie les bal­
butiements de leur nouvelle vie.
Sur le chemin du retour, un samedi de jan­
vier, près de dix­huit mois après son départ
pour la Syrie, Ibrahim est contrôlé à Ores­
tiada, dans le nord­est de la Grèce. Dans sa po­
che, la fameuse clé USB sur laquelle un mode
d’emploi de 55 pages donne tous les détails de
la « réalisation de bombes artisanales au nom
d’Allah ». Il dit venir d’Italie, aller en Turquie.
On le relâche. Les policiers français l’arrêtent
un mois plus tard, au pied de l’immeuble de
son père, à Mandelieu­la­Napoule. Que se se­
rait­il passé, sinon ? Ibrahim avait Mohamed
Merah pour modèle. Il avait prévenu ses pro­
ches : s’il échouait en terre d’islam, il pren­
drait sa revanche en France. Le temple franc­
maçon du boulevard de la République, à Can­
nes, était sa cible. Il l’avait choisi parce qu’il le
croyait sioniste. Il « s’imaginait entrer dans le
bâtiment et tuer tout le monde un par un jus­
qu’à ce que la police vienne pour le tuer », a re­
connu un ami devant les enquêteurs. C’est
précisément ce type de comportement sur le­
quel les avocats des djihadistes veulent attirer
l’attention. Kader, lui, est arrêté au port d’An­
cône, en Italie, sans avoir eu le temps de rega­
gner Cannes.
RETROUVAILLES AU PARLOIR
Les parents de ces garçons rêvaient du jour où
ils franchiraient le seuil de la maison pour les
étreindre dans leurs bras. Les retrouvailles
ont eu lieu au parloir. Kader voudrait repren­
dre sa vie de cuistot et rêve de « manger des
grosses langoustes » à Cuba. Il sait qu’il en a
pour quelques années. Rien que pour un colis
de pulls, caleçons et chaussettes envoyé en
Turquie (qui ne lui est jamais arrivé), son frère
a fait six mois de détention provisoire. Alors
combien pour dix­huit mois passés là­bas ?
Du trio, Rached fut certainement celui qui a
approché de plus près les groupes armés. A­
t­il intégré sa katiba, comme il en rêvait, avant
de se blesser à la cheville ? En juin, logé dans
une « maison sécurisée » par les combattants,
tout près de la frontière turquo­syrienne, ne
se déplaçant plus qu’avec des béquilles, il a
pensé prendre un bus et rentrer en France.
« Avant, y avait les frères et tout, mais là, y en a
beaucoup qui sont partis. Y en a, ils sont morts,
raconte­t­il au téléphone. Moralement, j’suis
pas bien, j’suis blessé et tout. J’suis loin de com­
battre. » Il sait déjà qu’il ne pliera plus jamais
sa jambe comme avant. « Dis­moi, la loi, elle
est passée à la télé, la loi pour les terroristes,
trois ans, là ? », demande t­il à Mélanie, de­
puis la Syrie, « la loi pour ceux qui vont sur les
terres du djihad et qui reviennent ? », précise­
t­il. L’idée d’un retour en France commence à
faire son chemin. Où est­il ? Que projette­t­il ?
Nul ne le sait. p
14 | débats
0123
MARDI 7 OCTOBRE 2014
La «révolution des parapluies »contre Pékin
A Hongkong, le mouvement Occupy Central, du nom
du district financier de l’ancienne colonie britannique, se
réclame du « printemps arabe », de la démocratie et des
libertés. Le mouvement, devenu la « révolution des
parapluies », appelle à la désobéissance civile contre Pékin,
mais craint une forte répression. Les manifestants
pacifiques réclament aux autorités locales et centrales
chinoises un vote démocratique en 2017
R
teng biao
ares sont ceux qui ont cru que
le mouvement Occupy Central
allait prendre la forme qu’il a
prise. Encore plus rares sont
ceux qui auraient pu croire
que le mouvement allait se
transformer en « révolution des para­
pluies ». En juin 2013, le professeur Tai Yiu­
ting a conçu le projet d’Occupy Central. A
partir du 27 mars 2014, il s’est transformé en
une « déclaration d’intention ». Le plan cor­
respondant au slogan « Que l’amour et la
paix occupent le Centre » est resté en gesta­
tion pendant dix­huit mois. Il a donc été mû­
rement réfléchi ! La population a proposé
des référendums populaires et a attendu une
réaction de la part du gouvernement. Ils ont
répété les gestes de la désobéissance civile.
Si le mouvement avait concerné de simples
demandes, les Hongkongais se seraient trou­
vés en face d’un gouvernement respectueux
des lois. Mais cette fois, dans le processus de
démocratisation de Hongkong, ce qu’ils at­
tendent, ce n’est pas Leung Chun­ying – élu le
25 mars 2012 par 689 voix sur les 1 200 que
compte le collège des électeurs hongkongais
et soutenu par le premier ministre chinois de
l’époque, Wen Jiabao –, mais le pouvoir du
Parti communiste chinois, qui a déjà utilisé
tanks et mitraillettes pour réprimer les ma­
nifestations des étudiants à Tiananmen dans
la nuit du 3 au 4 juin 1989.
SENS DES RESPONSABILITÉS
Ceux qui ont lancé le mouvement d’Occupy
Central ne peuvent éviter de prendre des
précautions par rapport à la désobéissance
civile. Même si ces leaders s’inspirent de l’es­
prit de Gandhi et de Martin Luther King,
même s’ils utilisent la conscience à l’encon­
tre de la loi et sont prêts à assumer les consé­
quences de leurs actes, tout cela sert à attirer
l’attention du monde sur une perle de
l’Orient affaiblie et à provoquer la réforme
de leur système politique. Les leaders d’Oc­
cupy Central ont établi des plans précis liés
au contexte particulier de Hongkong. Dans
l’évolution du mouvement, les leaders ont
rassemblé les concepts de démocratie di­
recte, démocratie représentative et démo­
cratie délibérative, faisant ainsi apparaître la
détermination de la révolte, donnant corps
à un sens des responsabilités et de la ratio­
nalité du mouvement. Lors de la prépara­
tion du projet, ceux qui sont au cœur de l’or­
ganisation prennent les plus gros risques. Ils
n’opposeront aucune résistance à ceux qui
viennent les arrêter. Une fois arrêtés, ils ne
feront pas appel à un avocat, ne demande­
ront pas de libération sous caution et ne se
défendront pas devant le tribunal. En revan­
che, pour ceux qui seront dans le deuxième
cercle de l’organisation, les dirigeants pré­
voiront avocats et plaidoiries en cas d’arres­
tation. Ceux qui ont des vieux parents ou
Les trois obstacles à une élection démocratique à Hongkong
POURQUOI LE PROCESSUS D’ÉLECTION DU CHEF DE L’EXÉCUTIF EST CRITIQUÉ PAR LES MANIFESTANTS PRO-DÉMOCRATIE
1
La représentativité du comité de nomination est contestée
7%
1 200
MEMBRES
ÉLUS PARMI 1 734 CANDIDATS EN 2011
(239 089 VOTANTS)
UN COLLÈGE ÉLECTORAL
RESTREINT ÉLIT
des enfants à charge, et qui se trouveraient
en difficulté en cas d’emprisonnement, res­
teront à la marge des manifestations. Ainsi
ils n’auront pas enfreint la loi. Et en tant que
simples badauds, ils augmenteront le nom­
bre des manifestants lors des rassemble­
ments.
Et pourtant, Occupy Central reste illégal
aux yeux de certains. Il s’agit de ces déla­
teurs payés 50 centimes par le pouvoir, ces
bavards inutiles et autres lèche­bottes.
Même s’il est illégal, Occupy Central est en
fait conforme à l’esprit de la loi. La popula­
tion ne doit entrer en désobéissance civile
que lorsqu’elle aura épuisé toutes les voies
légales d’expression. A­t­on organisé des
manifestations autorisées ? Oui.
LE COMITÉ DE NOMINATION
DES CANDIDATS AU POSTE
DE CHEF DE L’EXÉCUTIF
2
Le processus d’élection des candidats est durci
1 200
MEMBRES DU COMITÉ DE NOMINATION
DE L’EXÉCUTIF
Après 2017
LE COMITÉ ÉLIT
CHAQUE CANDIDAT
À LA MAJORITÉ
ABSOLUE
601 votes = majorité absolue
3
Un nombre limité de candidats est soumis au suffrage universel
CHINE
3,5 millions
2 3
À
CANDIDATS SEULEMENT
DE PERSONNES
DE PLUS DE 18 ANS
PEUVENT VOTER
POUR
HONGKONG
¶
Le choc entre deux systèmes
Si l’on réprime le mouvement dans le sang
comme en 1989, il sera de nouveau montré du
doigt, isolé comme le paria de l’histoire.
Même si ce pouvoir paraît fort, pourra­t­il
supporter les effets négatifs d’un écrasement
du mouvement ? On peut en douter. Si le pou­
voir fait des compromis, cela sauvera la démo­
cratie de Hongkong et encouragera les désirs
de démocratie de la société chinoise. On a dé­
passé le moment où ce mouvement peut être
contrôlé par des individus ou des organisa­
tions. Cette révolution démontre les particu­
larités de l’époque contemporaine et des mou­
vements sociaux du Web 2.0 : une organisa­
À L’ÉLECTION
DU CHEF
DE L’EXÉCUTIF
SOURCE : JOANNA WONG
tion sans direction centralisée ; un mouve­
ment à plusieurs têtes ; une union de
l’organisation et de la spontanéité.
Ce que démontre ce mouvement, c’est le choc
entre deux systèmes. Sous la dictature, il ne
peut pas y avoir de système où règne la liberté.
Permettre aux Hongkongais d’exercer leur droit
au suffrage universel, c’est ouvrir une brèche
dans la digue de la dictature. Cette brèche finira
par provoquer l’effondrement de la dictature.
Sur une autre pancarte, on peut lire : « N’en­
voyez plus de gaz lacrymogène ! Nous pleurons
déjà assez comme ça ! » Les Hongkongais ont
ému la planète. Ils ont besoin de l’aide du
monde entier – médias, gouvernements, ci­
toyens, organisations humanitaires – dans ce
bras de fer bouleversant. Chaque fois qu’une
dictature massacre des citoyens pacifiques, la
responsabilité de chaque citoyen du monde
est engagée. p
Traduit du chinois par Marie Holzman
Traduit du chinois par Marie Holzman
Teng Biao est un avocat
chinois spécialisé dans
la défense des droits de
l’homme. Il préside l’organisation La Chine contre la peine de mort à Pékin et a cofondé, en 2003,
l’ONG Open Constitution
Initiative (Gongmeng).
Teng Biao, également
chercheur associé à Havard, est l’un des 303 intellectuels chinois signataires de la Charte 08
la démocratie de demain. » Même si l’on n’en­
visage pas une répression brutale, on ne peut
s’empêcher de penser que la patience des ci­
toyens et l’énergie des organisateurs connaî­
tront leurs limites. Pékin devra aussi faire un
choix déterminant.
ABOUTISSANT
s’était révélé lors du mouvement contre
« l’instruction patriotique » en 2012, a fran­
chi les barrières fermant l’accès à la place pu­
blique. Après l’arrestation de ceux qui ont
violé cette interdiction, les trois cofonda­
teurs du mouvement – Joshua Wong, Tai
Yiu­ting et Chan Kin­man – et les démocra­
tes ont exigé la libération des étudiants pen­
dant que les rassemblements atteignaient
quelque 500 000 personnes. De plus en plus
de monde convergeait vers la manifesta­
tion. Le 28 septembre au matin, Occupy Cen­
tral a démarré plus tôt que prévu. Les poli­
ciers ont encerclé les manifestants mais les
citadins ont accouru en urgence pour en­
tourer à leur tour les policiers. La contesta­
tion gagnait aussi les avenues adjacentes.
Tout cela s’est accompli en quatorze heures
depuis l’annonce officielle d’Occupy Cen­
tral. Le mouvement s’était déjà diffusé à Jin­
zhong et Wanchai. Dans la nuit du 28 au
29 septembre, la police a lancé 87 bombes la­
crymogènes sur les manifestants. Ces der­
niers ont aussitôt sorti leurs parapluies
qu’ils avaient pris soin d’emporter avec eux
pour se protéger des gaz. Ainsi est née l’ex­
pression de « révolution des parapluies ».
Pourtant, les bombes lacrymogènes n’ont
pas suffi à disperser la foule. Des dizaines de
milliers de citoyens, choqués par les coups
portés contre les étudiants et les images de
tabassage diffusées à la télévision, sont ve­
nus grossir leurs rangs en solidarité. Les ma­
nifestations se sont élargies jusqu’à Ton­
gluowan, Mongkok, Jinshatsui.
Qu’on le veuille ou non, tout le monde sait
que le véritable ennemi se trouve au cœur de
la plus grande dictature de la planète. Ce pou­
voir a assassiné les étudiants sur la place Tia­
nanmen en juin 1989 à coups de tanks et de
baïonnettes. Il est maintenant à Shenzhen et
sur la rive opposée, à Hongkong. En fait, il
s’est déjà depuis longtemps glissé dans les ar­
tères de Hongkong, y compris dans l’admi­
nistration et l’armée. Même si personne ne
veut le voir, Occupy Central a depuis long­
temps été désigné par les autorités de Pékin
comme un mouvement « séparatiste », « al­
lié aux forces ennemies de l’intérieur et de l’ex­
térieur du pays ». Cela n’évoque­t­il pas la
condamnation à perpétuité de l’intellectuel
ouïgour pacifique et modéré Ilham Tohti ? p
déclaration conjointe sino­britannique de
1984. Ce que Deng Xiaoping, l’ancien leader
chinois, avait décrit comme une simple pas­
sation des pouvoirs qui se limiterait à un
échange de drapeau au sommet de Hon­
gkong – pendant que les « courses de che­
vaux se poursuivraient et que les danseurs se
réjouiraient dans leurs bals » – s’est trans­
formé en un « tu peux aller te brosser » uni­
latéral. Néanmoins, les organisateurs du
mouvement ont poursuivi leur recherche
de dialogue avec les autorités, espérant que
l’annonce du mouvement d’Occupy Central
servirait de moyen de pression et que leurs
appels émouvants suffiraient à ébranler le
pouvoir. S’il avait été possible d’obtenir des
résultats sans « occuper le centre », ils s’en
seraient bien passés !
Pendant ce temps, les sentiments de ré­
volte qui s’étaient immiscés dans le cœur
des Hongkongais avaient fini par tourner à
l’aigre. La patience était épuisée. Le 22 sep­
tembre 2014, les associations d’étudiants et
de la société civile ont lancé la grève. Le
26 septembre au soir, Huang Zhifeng, qui
« Printemps arabe » à Hongkong
les hongkongais ne peuvent plus reculer.
S’ils ne se rebellent pas, leur démocratie sera
repoussée aux calendes grecques. Ce dont ils
sont le plus fiers – liberté, droits de l’homme et
indépendance de la justice – disparaîtra. La ré­
volution n’attend pas qu’on l’invite. Mainte­
nant qu’elle est là, nous devons faire avec.
Sans s’en rendre compte, le mouvement de
Hongkong est devenu l’héritier des « prin­
temps arabes ». Le monde le regarde. Les ma­
nifestants se battent pour la démocratie de
Hongkong, mais aussi pour la Chine. Le poids
de cette révolution est trop lourd pour les
Hongkongais.
Le déséquilibre des forces entre Hongkong
et le cœur du pouvoir communiste à Zhon­
gnanhai [Kremlin chinois] est dispropor­
tionné. Si le mouvement se poursuit, le far­
deau économique deviendra insupportable
pour la vie des Hongkongais. Sur une pan­
carte, il est écrit : « Excusez­nous. Le désordre
de la rue d’aujourd’hui prépare le boulevard de
LE CHEF
À LA MAJORITÉ
SIMPLE
HÉRITÉE DE LA COLONISATION
Le 1er juillet 2014, la manifestation a battu
tous les records, avec une participation de
plus de 500 000 personnes. Le rôle des mé­
dias ? Même s’ils ont été infiltrés par le pou­
voir communiste et que de plus en plus de
journalistes ont subi des attaques violentes
ces derniers temps, les citoyens de Hon­
gkong peuvent toujours se tourner vers eux
pour exprimer leurs desiderata. La voie lé­
gislative ? Même si les collèges socioprofes­
sionnels, cette forme étrange de la représen­
tation politique héritée de la colonisation
britannique, continuent à orienter les élec­
tions à Hongkong, ceux qui relèvent des
partis démocratiques – comme le Parti dé­
mocratique – représentent encore un tiers
des élus. Cela ne s’est pas fait sans efforts ! Le
Conseil législatif est plus un symptôme de la
maladie qu’un remède. Parler avec le gou­
vernement chinois ? Tout ce qui a pu être dit
a été dit. Ceux qui n’ont pas d’atout en main
et qui doivent affronter un adversaire qui ne
craint ni de manipuler ni de revenir sur ses
promesses ne peuvent qu’échouer. La grève
des cours et des usines ? Tout a été tenté jus­
qu’à l’épuisement des troupes.
Pourtant, l’espoir de se faire entendre ne
cesse de s’éloigner. Pékin ne fait que reculer
la date de l’échéance du suffrage universel à
Hongkong. Dans le Livre blanc publié le
10 juin – sur la mise en œuvre de la politique
« un pays, deux systèmes » à Hongkong – le
concept de « pouvoir de tout contrôler » a
émergé. La stupéfaction a frappé tous les mi­
lieux de Hongkong. Le 31 août, la « décision »
du Comité permanent de l’Assemblée natio­
nale marque un réel pas en arrière par rap­
port à l’ancien système d’élection indirecte
par les administrateurs locaux. En appa­
rence, le principe « un électeur, une voix » est
respecté. En fait, ce sont des élections à l’ira­
nienne, où tous les candidats auront été dé­
signés par les représentants du pouvoir qui
sont en train de s’organiser.
Les tergiversations de Pékin se sont trans­
formées en tromperie et humiliation pour
Hongkong. Le pouvoir central a fini par
montrer son vrai visage en déchirant les ar­
ticles concernés de la loi organique et de la
LE COMITÉ ÉLIT
Avant 2017
eclairages | 15
0123
MARDI 7 OCTOBRE 2014
Barack Obama et les risques de la guerre à reculons
ANALYSE
gilles paris
washington ­ correspondant
CHEF DE GUERRE
MALGRÉ LUI,
LE PRÉSIDENT A
TENTÉ DE LIMITER
L’ENGAGEMENT
AMÉRICAIN
À SON MINIMUM
L
e terme emprunté à l’argot militaire
remonte à la Somalie. Il est revenu
avec insistance depuis que le prési­
dent des Etats­Unis, Barack Obama,
s’est donné l’objectif le 10 septembre « d’affai­
blir et de finalement détruire l’Etat islamique »
en Irak et en Syrie. « Mission creep », c’est
la dérive d’une mission en dehors du cadre ini­
tial et dont le prix politique est généralement
particulièrement élevé. Cette crainte de perte
de contrôle est profondément ancrée dans la
réflexion du président des Etats­Unis. Elle ex­
plique sa réticence avérée à se saisir d’un outil
militaire dont la surpuissance peut précipiter
dans le piège de l’hubris : l’ivresse précédant
l’erreur, l’erreur précipitant l’échec.
La décision de Washington d’étendre ses
frappes aériennes contre l’Etat islamique à la
Syrie, et d’élargir au passage son action à un
autre groupe djihadiste encore inconnu il y
a peu, Khorasan, ramène au pre­
mier plan cette menace de « mis­
sion creep ». Contrairement à l’Irak, où les
Etats­Unis interviennent à la demande d’un
gouvernement allié, la Syrie, théâtre d’une ef­
froyable guerre civile depuis trois ans, est en
effet devenue sur une bonne partie de son ter­
ritoire une « zone grise » à la somalienne.
Sur ce terrain incertain, le guerrier réti­
cent qu’est Barack Obama n’est guère à son
avantage. Trois de ses décisions en attes­
tent. La première a consisté le 9 août pour le
président à s’absoudre de toute faute dans la
décision de retirer la totalité des troupes amé­
ricaines d’Irak en décembre 2011, un an avant
la présidentielle de 2012. M. Obama, pressé
d’en finir, s’était pourtant privé d’un puis­
sant levier vis­à­vis d’un pouvoir irakien déjà
engagé dans une surenchère sectaire, ter­
reau sur lequel l’Etat islamique a prospéré.
DÉBATS SURRÉALISTES
Le président a ensuite opéré un revirement
brutal le 10 septembre à propos de l’opposi­
tion « modérée » syrienne. Cette dernière
avait été décrite jusqu’alors comme un re­
groupement un peu pathétique « de médecins,
pharmaciens et paysans », coincé entre la puis­
sance de feu du régime de Bachar Al­Assad et
celle des djihadistes. Cette présentation justi­
fiait l’attentisme adopté par la Maison Blan­
che sur la Syrie alors qu’une partie de son
équipe, fin 2012, prônait une intervention aux
côtés des insurgés. Faute de mieux et du fait
de la promotion de l’Etat islamique comme
menace directe pour les intérêts américains,
cette opposition a été érigée à la dernière mi­
nute en alternative, à raison d’un peu d’équi­
pement et d’entraînement, mais sans con­
vaincre.
Enfin, le président s’est un peu commodé­
ment défaussé sur ses services de renseigne­
ments qu’il a rendu responsables, le 28 sep­
tembre, d’avoir sous­estimé la menace consti­
tuée par le mouvement djihadiste. Usant
d’une méthaphore sportive, M. Obama l’avait
qualifié en février d’équipe de « remplaçants »
(« JV ») par rapport à Al­Qaida. Une expression
malheureuse qu’il traîne comme un boulet.
Devenue inévitable à la suite des progrès des
djihadistes, la mission américaine, qui n’a tou­
jours pas reçu de nom de code officiel, a ali­
menté des débats parfois surréalistes avec les
porte­parole du département d’Etat et de la
Maison Blanche sur le fait de savoir s’il s’agis­
sait, ou non d’une « guerre ». Elle a égale­
ment souligné la relation délicate entrete­
nue par le président avec ses généraux.
Cette relation avait débuté dans la difficulté
en 2009 sur la question du « surge » afghan, à
une époque où l’Irak était considéré, après les
heures sombres de 2004­2005, comme un
théâtre d’opérations relativement stabilisé.
Sujet du livre de Bob Woodward, Obama’s
Wars (Les Guerres d’Obama, éditions Denoël
2011), une interminable négociation avait op­
posé les militaires au président sur les effectifs
qui devaient être déployés pour préparer un
retrait en bon ordre. Les tensions d’alors ont
été ravivées ces derniers jours par l’affronte­
ment entre logique politique et logique mili­
taire.
Chef de guerre malgré lui, le président a
tenté de limiter l’engagement américain à son
minimum pour éviter de se détourner de ce
qu’il considère toujours comme la mission
principale de ses deux mandats et qu’il a évo­
qué d’une manière décalée dans la seconde
partie de son discours du 10 septembre : la re­
mise en ordre de la maison Amérique. Il s’est
retrouvé de ce fait en porte­à­faux avec les ex­
perts militaires, qui ont en moins d’un mois
remis en cause le cadre défini par le président :
un effort limité, réduit à l’Irak ; une pro­
messe de ne pas engager de troupes américai­
nes au sol.
M. Obama a dû rapidement céder sur le pre­
mier point puisqu’il était impossible de recon­
naître le moindre sanctuaire à la cible visée.
Combien de temps pourra­t­il tenir sur le se­
cond alors que les voix ne cessent de s’élever,
et pas seulement celles d’officiers de réserve,
pour douter de la pertinence opérationnelle
d’un tel choix et du sens tactique qu’il y a
à le claironner ? L’engagement américain con­
tre le califat marqué de sang d’Abou Bakr Al­
Bagdadi a tardé. Il sera long. Le risque est qu’en
voulant éviter à toute force une dérive, l’effort
de guerre soit bridé, puis finalement brisé par
la réticence.
M. Obama sera parvenu bientôt à la moitié
de son second mandat. Il sait pertinemment
que la partie qui se joue sur les deux rives de
l’Euphrate, en partie héritée de son prédéces­
seur et qu’il transmettra sans doute à celui ou
celle qui lui succédera à la Maison Blanche,
contribuera en grande partie à son bilan. Mais
le moins que l’on puisse dire est qu’il ne s’y en­
gage pas en position de force. p
paris@lemonde.fr
LE GRAND RENDEZ-VOUS EUROPE 1, LE MONDE, I-TÉLÉ
Michel Sapin: «Je suis radicalement contre la GPA»
Au printemps 2013, la France avait obtenu
un délai, à condition d’être au rendez­
vous des 3 % de déficits en 2015. Mainte­
nant, c’est 2017. De délai en délai, on n’a
pas confiance dans la France. N’est­ce pas
choquant ?
D’un certain point de vue, je peux le com­
prendre, puisque le plus grave n’a pas été du
tout en 2013, mais une dizaine d’années avant,
lorsque deux des plus grands pays sont venus,
c’était avec Jacques Chirac, mais déjà Mme Me­
rkel, voir la Commission en disant : « Les rè­
gles que vous appliquez aux autres ne s’appli­
quent pas à nous. »
C’était Gerhard Schröder…
Oui, c’était Gerhard Schröder, vous avez rai­
son. Ils sont venus en disant : « Ces règles ne
s’appliquent pas à nous. » Moi, je ne dis pas :
« Les règles ne s’appliquent pas à nous. » Les
règles de l’Europe s’appliquent à tous.
Mais il faut les changer pour la France ?
Pas du tout. Si je disais ça, je serais d’une hy­
pocrisie absolue. En 2003, deux grands pays
demandent de ne pas se voir appliquer les rè­
gles. L’un fait les réformes. L’autre pays, qu’il
s’agisse de Chirac ou de Sarkozy qui clamait
partout qu’il voulait faire des réformes, n’a
pas fait de réformes. Personne ne peut cacher
LES INDÉGIVRABLES PAR GORCE
la difficulté aujourd’hui, mais il ne faut pas ca­
cher non plus les responsabilités.
En fait, vous n’allez pas respecter les rè­
gles sans demander la permission…
Je ne demande aucun changement des rè­
gles. Ces règles, nous les avons voulues, ce sont
des traités. Ces règles doivent s’appliquer de la
même manière pour tout le monde, les grands
comme les petits pays. Ce que je demande, et
c’est le grand débat : dans quelle situation est
aujourd’hui l’Europe ? L’Europe, et la plupart
des pays d’Europe dont la France, ont une
croissance beaucoup trop faible, qui risque de
l’être durablement. On est sorti de la crise fi­
nancière, difficilement ; on est sorti, je pense,
de la crise dite de l’euro ; mais nous sommes
rentrés dans une période qui nécessite une ap­
plication, une doctrine économique au niveau
européen adaptée à cette situation.
Comment concilie­t­on le fait que la gesta­
tion pour autrui (GPA) est interdite en
France mais qu’on reconnaît les enfants
nés de GPA ou, en tout cas, on ne fait pas
appel d’une décision qui a décidé que les
enfants devaient être reconnus ?
Ce sont deux choses différentes. Autoriser la
GPA en France est une chose : nous sommes
contre, je suis radicalement contre, parce qu’il
y a peut­être des drames personnels, une envie
d’enfants parfaitement compréhensible, mais
la conséquence de cela, c’est une exploita­
tion insupportable, d’une autre femme qui le
fera. Pourquoi ? Pour rendre service ? Non, la
plupart du temps parce qu’elle a besoin d’ar­
gent. La marchandisation du corps de la
femme est insupportable.
Mais pourquoi ne faites­vous pas appel de
la décision de la Cour européenne des
droits de l’homme (CEDH) ?
Lorsqu’un enfant est né − je ne dis pas
avant −, lorsqu’il est sur le sol français, vous
imaginez qu’on considère qu’il n’existe pas ?
Qu’il n’est pas un être humain ? C’est la ques­
tion qui avait été posée à la CEDH.
Manuel Valls dit : « Pas de transcription
automatique ». Et au cas par cas, oui ?
C’est ce qu’il se passe aujourd’hui. Pourquoi
il ne faut pas de transcription automatique ?
Ce serait une forme de reconnaissance du
principe même de la GPA, même si elle a lieu
dans un autre pays. Par contre, lorsque vous
êtes dans une situation humaine, lorsque
vous avez un monsieur et une dame qui ont
dans leur foyer un enfant, il n’a pas le droit
d’avoir une nationalité ? On créerait un apa­
tride ? Il devient quoi cet apatride ? Non, on
n’encourage rien. Simplement, il faut dire la
conviction : c’est non à la gestation pour
autrui. Le gouvernement n’a jamais changé
d’avis depuis deux ans. Il faut éviter que cer­
tains brandissent un épouvantail unique­
ment pour mobiliser des gens dans la rue.
Comment jugez­vous le retour sur la
scène politique de Nicolas Sarkozy ?
Je ne veux pas juger la personne, tout le
monde a compris qu’il n’avait pas changé, sauf
peut­être en pire. Mais je voudrais juste dire
un mot sur ses propositions dans le domaine
économique : effarantes. Le même qui a fait
ces centaines de milliards de dettes, il vou­
drait, tout d’un coup, tout casser, tout suppri­
mer. Il sait lui­même qu’il se ment à lui­même.
Je disais ce matin : on n’est jamais au bout de
son étonnement avec Nicolas Sarkozy. p
« LA GESTATION
POUR AUTRUI,
C’EST LA
MARCHANDISATION, QUI EST
INSUPPORTABLE,
DU CORPS
DE LA FEMME »
propos recueillis par michaël darmon,
jean­pierre elkabbach
et arnaud leparmentier
¶
Michel Sapin
Ministre des finances et des comptes publics
Le Grand Rendez-Vous avec « Le Monde »
est diffusé chaque dimanche
de 10 heures à 11 heures
sur Europe 1 et i-Télé
HillaryetBill,jamais l’unesans l’autre
H
illary Clinton ne s’est toujours pas
officiellement déclarée candidate
à la présidentielle de 2016 aux
Etats­Unis, mais ce faux suspens
ne trompe personne : la Maison Blanche lui
semble promise. Bill et Hillary se relanceront
bientôt en campagne. Et ce couple déjà mille
fois contraint de se réinventer devra de nou­
veau renaître.
Comment fonctionnera alors cet intriguant
duo ? Certains fins stratèges y réfléchissent
sans doute, mais on peut déjà trouver certains
éléments de réponse dans l’enquête menée par
l’américaniste Thomas Snégaroff, Bill et Hillary
Clinton. Le mariage de l’amour et du pouvoir.
Tout l’intérêt de ce livre est de rassem­
bler deux destins intimement liés qui se sont
raconté chacun de leur côté dans une abon­
dante littérature. Cette biographie d’un couple
accompagne sa transformation, au moment
où les rôles pourraient bien s’inverser, Bill first
husband et Hillary commander in chief.
S’il est coutumier de présenter l’ancien pré­
sident comme le cœur de ce couple et l’ex­ pre­
mière dame comme son esprit, il faudra
qu’Hillary sache remiser son sérieux pour sa­
voir séduire les Américains. A l’inverse, Bill de­
vra savoir modérer ses élans pour se mettre au
service de sa femme.
Il a certes commencé à le faire depuis 2000,
date de l’entrée de plain­pied d’Hillary en poli­
tique, lorsqu’elle a été élue au Sénat, après le
second mandat de son mari. Jusqu’alors, ils
étaient tous les deux liés par leur « pacte de
vingt ans », conclu dans les années 1970, avec
l’objectif de faire élire Bill à la présidence
en 1992. La femme ambitieuse et combative
qu’est Hillary a accepté de se mettre en retrait
pour permettre à Bill de briller.
UN COUPLE TUMULTUEUX
L’apprentissage a été dur et amer. Hillary n’est
pas parvenue à s’imposer politiquement en
tant que première dame, comme en témoigne
son échec à faire adopter une réforme de la
santé, un dossier que lui avait confié son prési­
dent de mari. Mais, si la liaison de Bill avec Mo­
nica Lewinsky a été particulièrement humi­
liante pour elle, c’est aussi ce qui lui a permis
de retrouver la sympathie de l’opinion publi­
que américaine, qui ne voyait en elle qu’une
femme cassante et autoritaire.
Bill a pour sa part encore des apprentissages
à faire pour bien servir les ambitions de sa
femme. Lors des primaires démocrates de
2007­2008, ses colères et certains de ses pro­
pos avaient donné l’impression que les Clin­
ton estimaient que le pouvoir leur revenait de
droit. Contre le cliché de la duplicité de ce cou­
ple tumultueux, Thomas Snégaroff montre
un mariage certes uni par la politique, mais
aussi plein d’humanité. Au moment de livrer
bataille, ils sont plus près que jamais l’un de
l’autre.
Il résume en une formule la mentalité d’as­
siégés qui lie ces deux êtres, « seuls contre tous,
mais ensemble ». Les combats qu’ils ont me­
nés ont permis de ressouder leur mariage,
comme s’il reposait sur l’adversité. Hillary, ex­
chef de la diplomatie, a su se tailler une image
de femme d’Etat, à Bill de trouver dans la phi­
lanthropie les ressorts d’un énième retour
sur l’avant­scène. p
Bill et Hillary Clinton.
Le mariage de l’amour
de Thomas Snégaroff
Tallandier, 372 p., 20,90 euros.
16 | à nos lecteurs
0123
MARDI 7 OCTOBRE 2014
« Le Monde » change, l’esprit demeure
Un nouveau «Monde» multisupports
suite de la première page
La lecture du quotidien constitue un mo­
ment à part, un arrêt sur image, dans le
flux continu de l’information. Avec cette
nouvelle formule, nous voulons conju­
guer l’information exclusive, les angles et les
reportages originaux, l’approfondissement
des grands sujets d’actualité et le plaisir de
lecture, car il n’y a pas de raison que celle du
Monde soit rébarbative.
Il ne s’agit pas pour
autant de dérouter le
lecteur : Le Monde con­
A PARTIR
tinue de reposer sur ses
quatre piliers que sont
DU 6 OCTOBRE,
ses services Internatio­
nal, France, Economie
UN JOURNAL
et Culture. Mais il ne
PLUS AUDACIEUX
s’arrête pas là et joue la
diversité, l’ouverture :
ET MIEUX
le service Planète
& Sciences continue
HIÉRARCHISÉ
d’apporter des éclaira­
ges originaux sur l’éco­
système dans lequel évolue l’humanité, la
place réservée à la culture s’accroît, le sport
sera au rendez­vous de l’actualité, les pages
Styles sont repensées et s’ouvrent davan­
tage aux thématiques de la vie quoti­
dienne.
Une page quotidienne et quatre pages
hebdomadaires (dans le journal du samedi
daté dimanche­lundi) consacrées à l’univers
de la télévision et de la radio font leur appa­
rition dans le premier cahier du journal. La
façon dont nous regardons la télévision a
considérablement évolué ces dernières an­
nées, le regard du Monde devait donc chan­
ger lui aussi.
Notre supplément « Télévisions » s’arrête,
mais ses contenus demeurent : les sélections
quotidienne et hebdomadaire d’émissions
et de films ainsi que les choix critiques de
nos spécialistes doivent aider chacun et cha­
cune à mieux s’y retrouver dans l’offre plé­
thorique de programmes. Le rythme quoti­
dien permet de mieux coller à l’actualité du
monde de l’audiovisuel.
De la télévision à la révolution numérique
en cours, il n’y a qu’un pas. Raconter les bou­
leversements provoqués par les nouvelles
technologies, notamment dans les médias,
c’est l’objectif de la nouvelle page quoti­
dienne baptisée Pixels, qui vient clore le se­
cond cahier du quotidien, Eco & Entreprise,
et s’inspire de la réussite que constitue la ru­
brique du même nom sur Lemonde.fr.
Autres nouveautés : deux rendez­vous
hebdomadaires, chaque mercredi dans le
premier cahier. L’un avec la géopolitique in­
ternationale, sous la forme d’une page très
visuelle ; l’autre avec les universités et les
grandes écoles, le secteur de l’éducation res­
tant un des points forts du Monde, comme le
montre le succès de la nouvelle chaîne Cam­
pus sur notre site Internet.
Enfin, les pages Enquête, les débats et les
analyses de nos journalistes regagnent le
centre du journal, entre l’actualité nationale
et la culture. Vous y retrouverez régulière­
ment les « Lettres de » rédigées par notre ré­
seau de vingt correspondants à l’étranger.
Quant à notre éditorial quotidien, il vous
donne désormais rendez­vous en dernière
page du premier cahier.
Il s’agit d’offrir un journal plus agréable à
lire, complet mais pas indigeste, qui donne à
ses lecteurs, à travers des angles et des sujets
originaux, les clés d’une meilleure compré­
hension de l’actualité, des failles qui traver­
sent nos sociétés, des enjeux et mutations
qui dessinent leur avenir.
M, le magazine du Monde, s’apprête de son
côté, dès son prochain numéro, à faire évo­
luer sa maquette pour mieux mettre en ma­
jesté, lui aussi, articles au long cours et pho­
tos grand format. Il va également investir
l’univers numérique avec le lancement, le
10 octobre, d’une chaîne M, articulée autour
du regard décalé du magazine sur l’actualité
et des grandes thématiques « styles », que
l’on retrouve également dans les pages du
quotidien.
Mais le plus grand changement, pour ce
journal qui fêtera ses 70 ans le 18 décembre,
demeurera paradoxalement invisible à ses
lecteurs. Ce lundi 6 octobre, un nouveau sys­
tème éditorial commun à nos supports im­
primé et numérique entre en vigueur. Jus­
qu’à présent, nos journalistes devaient utili­
ser deux systèmes différents, selon qu’ils tra­
vaillaient pour le quotidien ou pour le site
Internet.
Cela pourrait sembler anecdotique, mais il
n’en est rien. Cette évolution doit accélérer la
transformation du Monde en un média dont
la qualité de l’information et le degré d’exi­
gence, d’expertise et de rigueur se déploient
sur tous les supports. Elle doit permettre qu’à
terme il n’y ait plus de journalistes « print »
ou de journalistes « Web », mais des journa­
listes dont le seul objectif est de produire (un
verbe qui heurte les oreilles de certains, mais
il est parlant) la meilleure information possi­
ble dans le délai le plus court possible.
Un objectif qu’auraient partagé sans hési­
tation toutes les générations de journalistes
du Monde. Les temps et les journaux chan­
gent, mais l’esprit demeure. p
Un site rénové pour «M»
M Le magazine du Monde a décidé de refondre
son site Web à compter du 10 octobre. Il s’agit
de permettre à nos lecteurs d’approfondir l’expérience du magazine autour des thématiques
qui ont fait son succès depuis septembre 2011 :
un regard décalé sur l’actualité, de longs articles fouillés et un panorama des nouveautés de
l’univers du style au sens large, soit tout ce que
les Anglo-Saxons rassemblent sous le label
« lifestyle ». Ce nouveau site de M Le magazine
sera aussi l’occasion d’explorer la dimension
individuelle à travers une nouvelle rubrique,
Perso. Avec distance, malice et humour autant
que sérieux et volonté d’informer, on y traitera
de tout ce qui questionne, travaille, perturbe et
aiguillonne nos existences modernes :
sexualité, famille, réseaux et vie numériques.
A travers cet univers de M sur le Web, le magazine entend se rapprocher de ses lecteurs, partager avec eux ses choix, ses goûts, ses lubies,
bref son état d’esprit. Evidemment, des contenus inédits et exclusifs seront mis à disposition
des internautes : photos, vidéos, éclairages
complémentaires aux articles du magazine.
Si M a su, depuis quelques années, compléter
intelligemment l’offre du quotidien dont il est
l’émanation, le site de M espère proposer aux
internautes du Monde.fr le même contrat de
lecture : une zone nouvelle, rafraîchissante
autant qu’instructive et pertinente.
Marie-Pierre Lannelongue,
directrice adjointe des rédactions
gilles van kote
directeur du « monde »
Réinventer notre modèle économique
I
nnover, investir, se transformer :
autant de priorités menées de front par
les équipes du Groupe Le Monde depuis
sa recapitalisation il y a quatre ans, et
dont nous récoltons en cette année anniver­
saire de nouveaux fruits.
Si, comme tous les quotidiens français et
étrangers, Le Monde doit intégrer à son équa­
tion économique la fermeture de nombreux
points de vente et l’extrême fragilité de notre
système de distribution, les dernières études
montrent un vrai rebond de notre audience,
à la mesure des nombreuses innovations
lancées mois après mois par la rédaction : of­
fre week­end, avec, au centre, la réussite ex­
ceptionnelle de M le magazine du Monde, ca­
hier quotidien « Eco & Entreprise », cahier
« Science & médecine »,
et, sur le digital, les
chaînes Pixels et Déco­
IL NOUS FAUT
deurs, qui, moins
de six mois après leur
DÉSORMAIS ÉLARGIR
lancement,
enregis­
trent chacune plus de
ET DIVERSIFIER NOS
3 millions de visites
ACTIVITÉS ET NOS
mensuelles.
Autant
d’innovations cohéren­
SAVOIR-FAIRE
tes avec notre stratégie
de montée en gamme,
et qui expliquent large­
ment la progression de
+ 5,9 % de notre audience (source étude
Audipresse One 2014), avec notamment les
performances de M (+ 19,1 %) et notre pro­
gression auprès des publics féminins
(+ 12,7 %) et de nos lecteurs « affaires et ca­
dres » (+ 19,2 %). Ce succès s’étend aussi
au digital, avec une croissance forte de nos
abonnés numériques (145 000 abonnés, et
+ 32 % des abonnés purement numériques),
la première place de l’application du Monde
pour son audience mobile, et enfin une pré­
sence inégalée sur les réseaux sociaux, avec
près de 5 millions de fans et de followers,
gage de notre présence auprès des nouvelles
générations de lecteurs.
Au centre de ces succès figurent les deux
priorités d’investissement de notre groupe :
l’excellence rédactionnelle et notre muta­
tion numérique.
A un moment où la profusion d’informa­
tions gratuites disponibles nous impose
plus que jamais de justifier la valeur de nos
contenus, et alors que beaucoup de titres
sont amenés à amputer leurs ressources ré­
dactionnelles, nous avons ainsi veillé cette
année à sanctuariser les effectifs perma­
nents des rédactions du Monde dans le cadre
d’un accord signé avec les organisations syn­
dicales.
Dans le même temps, nous nous sommes
engagés dans la transformation de notre ré­
daction avec un plan de mobilité et une prio­
rité désormais donnée dans nos recrute­
ments aux profils plus digitaux. En fin d’an­
née, cette transformation devrait s’incarner
par la fusion de la Société éditrice du Monde
(SEM) et de sa filiale Le Monde interactif
(MIA), rendue possible par la sortie du
Groupe Lagardère de son capital et par l’ac­
cord signé avant l’été sur l’harmonisation
des statuts des rédactions. Cette dynamique
collective, sous la houlette de Gilles van Kote
à la direction du journal et de Jérôme Feno­
glio à la direction des rédactions du Monde, a
donné en cette rentrée, servie par une actua­
lité exceptionnelle à défaut d’être heureuse,
des résultats positifs dont témoigne la diffu­
sion France payée du Monde, qui devrait être
en progression cette année − chose rare en
ces temps de reflux et hors période électo­
rale !
Nous sommes convaincus que les dévelop­
pements que nous vous présentons
aujourd’hui, dans le quotidien, sur le digital
et, le week­end prochain, sur M, vont prolon­
ger et amplifier cette dynamique vertueuse,
en dépit d’un contexte économique très in­
certain.
Mais ces performances ne suffiront pas à
elles seules à pérenniser notre groupe, qui
affichait encore sur l’exercice 2013 une perte
d’exploitation de 1,9 million d’euros pour
des revenus de 367 millions d’euros. C’est
pourquoi, en parallèle de ces innovations,
nous menons en cette rentrée plusieurs
chantiers structurants, qui peuvent, il est
vrai, perturber par moments nos parutions.
D’abord, il nous faut réformer notre schéma
industriel, et, à cette fin, nous menons de­
puis plusieurs semaines avec les organisa­
tions syndicales des discussions préalables à
la fermeture de notre imprimerie historique
d’Ivry­sur­Seine, qui pourrait intervenir dès
le début de 2015, pour autant que des solu­
tions sociales et d’emploi soient trouvées et
que la puissance publique accompagne réel­
lement cette évolution majeure qui touchera
toute la filière.
OUVERTURE À L’INTERNATIONAL
Dans ce contexte chahuté, nous savons
combien les problèmes de distribution pè­
sent sur vous, fidèles lecteurs et abonnés.
Sachez que nous en sommes très conscients
et que nous nous employons quotidienne­
ment à y remédier avec l’ensemble des par­
tenaires concernés par cette partie
(Poste, sociétés de portage, équipe logisti­
que).
Il nous faut aussi rassembler toutes les for­
ces de ce groupe, construit au fil des années
autour du Monde, de Télérama, de Courrier
international, de La Vie et du Huffington
Post, tout en préservant les identités respec­
tives de ces titres. Chacun ici a conscience
que les transformations accélérées des usa­
ges et de notre secteur nous forcent à réin­
venter sans délai notre modèle économi­
que. Cela doit être pour nous l’occasion de
poursuivre l’évolution de nos organisa­
tions, avec la perspective prochaine de ras­
sembler l’ensemble des 1 200 salariés du
groupe dans un siège social nouveau, capa­
ble aussi d’accueillir les nouveaux métiers
qu’il nous appartiendra de saisir.
Notre ambition collective de construire un
groupe pérenne et indépendant, conjuguée
aux efforts de tous pour construire un dialo­
gue social respectueux de chacune des par­
ties, doit nous permettre de sortir rapide­
ment d’un impossible statu quo. C’est
même essentiel pour notre avenir.
Mais la rationalisation de nos activités ne
peut être le seul vecteur de notre redresse­
ment. Il nous faut élargir et diversifier nos
activités et nos savoir­faire.
En cela, l’ample réussite du « Monde Festi­
val » le week­end des 20 et 21 septembre, avec
plus de 10 000 participants, tout comme le
succès exceptionnel de « Télérama Dialo­
gue », organisé le 29 septembre, ou la master
class organisée par le Huffington Post le
15 novembre nous ouvrent de nouvelles
perspectives à un moment où lecteurs et in­
ternautes attendent de nous que nos titres
soient des acteurs du débat public.
Il nous faut maintenant construire des al­
liances en France et à l’international, renfor­
cer notre savoir­faire, élargir notre périmè­
tre. La poursuite de notre redressement en
dépendra aussi. C’est pourquoi nous tra­
vaillons désormais sur notre développe­
ment au­delà de nos frontières naturelles, et
qu’en particulier nous préparons avec la ré­
daction et sous la responsabilité de Serge Mi­
chel, pour la fin d’année, une série d’initiati­
ves en direction de l’Afrique, à un moment
où la francophonie peut être pour nous un
nouvel horizon, avec toujours la même exi­
gence de rigueur et d’excellence.
C’est enfin dans cette logique de conquête
de nouveaux marchés et de développement
que l’acquisition du Groupe Nouvel Observa­
teur par Pierre Bergé, Xavier Niel et Matthieu
Pigasse, actionnaires majoritaires du Groupe
Le Monde, tout comme leur récente offre de
reprise de la chaîne d’information en con­
tinu LCI sont porteuses d’avenir pour les sa­
lariés de ces entités, pour nous, et donc pour
vous, chers lecteurs, dont la fidélité et la con­
fiance constituent notre moteur principal.
Vous pouvez compter sur nous pour
veiller, cette année encore, à être à la hauteur
de cette histoire que nous célébrons. p
louis dreyfus,
président du directoire
Retrouvez
désormais
la météo
et les grilles de
programmes
télé sur
Lemonde.fr
disparitions & carnet | 17
0123
MARDI 7 OCTOBRE 2014
JacquesThollot
Musicien
Bernard, Sylvain et Olivier Dreyer
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AU CARNET DU «MONDE»
Naissance
M Nicole DARGNAT,
est heureuse d’annoncer la naissance de
me
Joséphine,
chez
Flavien et Virginie LANGUILLAT,
En 1975. CHRISTIAN ROSE/FASTIMAGE
le 10 juillet 2014.
N
é à Vaucresson (Hauts­
de­Seine), le 9 octobre
1946, le batteur et
compositeur de jazz
Jacques Thollot est mort à Main­
neville (Eure), le 2 octobre 2014,
d’une crise cardiaque. Avec sa
frange blonde, ses yeux dans les
étoiles, ce son d’envol de mésan­
ges qu’il imprime aux cymbales,
sa danse aux tambours ; avec le
tempo et ses légendes, on pour­
rait vous faire le coup du poète
écorché et toutes les fanfreluches
de l’hélas.
Or, Thollot, c’est le contraire.
D’une extrême distinction, d’une
élégance recherchée, il portait en
lui l’idée la plus haute de la musi­
que. Il l’était. Citant des poètes que
personne n’avait lus, peaufinant,
comme sa compagne Caroline de
Bendern, des points de vue iné­
dits sur l’Afrique ou le vaste
monde qu’ils avaient traversés en
compagnie de Barney Wilen, rare.
Thollot fait peur à ceux qu’ef­
fraie la dimension d’être. Ou
alors, on l’adule : sans conditions,
avec ses colères, ses exigences, sa
beauté, cette insensée drôlerie
qu’il aurait dû breveter. Photo,
1959 : Thollot joue debout, frelu­
quet bien peigné, caisse claire et
cymbale, au milieu d’un groupe
de grands assez sapés. Ils célè­
brent la tombe de Sidney Bechet à
Garches.
Son premier « gig », c’est au Sa­
lon de l’Enfance en 1959, avec un
quartet très moderne (déjà,
J.­F. Jenny­Clark à la contrebasse,
plus son frère et la fille des cha­
peaux Corcelles au piano). Son
père le pousse partout. Lui, il est
d’une timidité de primevère. Il se
retrouve au club de la rue d’Artois,
près de l’Etoile, le Blue Note. Il a
13 ans.
Disciple favori du batteur Kenny
Clarke, cofondateur du bebop
(Charlie Parker, Dizzy Gillespie,
Monk), il lui sert de doublure.
Jouant, blondinet, sous les con­
seils du trompettiste Donald Byrd,
il accompagne Bud Powell, Chet
Baker, René Thomas, les héros du
jazz qui l’adorent, comme l’aime­
ront les contrebassistes (Jean­Paul
Céléa, Claude Tchamitchian).
Dans le temple des Américains
de Paris, il découvre les magi­
ciens, leurs potions et suit une
formation accélérée en matière
de sexe. Pendant la guerre d’Algé­
rie, Siné devient son mentor
comme François Tusques, plus
tard, son interlocuteur. L’entrée
en free­jazz se fait naturellement.
Steve Lacy est son Virgile (Moon,
gravé à Rome en 1969). Sa rencon­
tre avec Don Cherry aboutit à une
longue tournée et quelques dis­
ques. En 1969, il enregistre Our
Mme Nicole Dargnat,
8, Grande Rue,
23260 La Villeneuve.
9 OCTOBRE 1946 Naissance
à Vaucresson
(Hauts-de-Seine)
1959 Devient le remplaçant
à 13 ans de Kenny Clark
au Bluenote
1969 Enregistre « Moon »
avec Steve Lacy
2 OCTOBRE 2014 Mort
à Mainneville (Eure)
Meaning, Our Feeling (Michel Por­
tal). Toujours présents, François
Jeanneau, Bernard Vitet, Siegfried
Kessler, Steve Lacy et l’inséparable
Barney Wilen (album Zodiac).
Quand Barney, J.­F. et Thollot en
expérimentaient les possibles à
venir, au Requin Chagrin, près de
la Contrescarpe, on écoutait au
soupirail de la rue Blainville
(1965). A l’été 1964, Eric Dolphy,
passeur inspiré entre Mingus et
Coltrane, l’élit comme drummer
pendant une semaine insensée
au Chat qui pêche. Il meurt bien
vite.
Le « poète des drums »
Thollot, « poète des drums »,
comme l’appelait Siné, va vers In­
tra Musique (duo avec Eddy Gau­
mont). Il enregistre Quand le son
devient aigu, jeter la girafe à la mer
(1971), Watch, Devil Go, Résur­
gence, Cinq hops (François Jean­
neau). Grands gouffres, dispari­
tions, détresse. En 1979, au festival
de Nîmes, mis à l’écart par Wea­
ther Report, annulé pour absence
de Stan Getz dont il devait assurer
la première partie, le groupe de
Thollot triomphe. Après quoi, il
disparaît du paysage.
Jac Berrocal le ramène au jour
avec un album perçu comme
« punk », qui fit quelque bruit et
pas mal de concerts (La Nuit est au
courant, In Situ, 1993). Quand, au
milieu des années 1990, Jean Ro­
chard, l’indéfectible ami des édi­
tions nato va le chercher pour
produire Tenga Niña, avec sa fille
Marie, sur deux titres, les raffinés
tendance Raffarin lui glissent :
« Tu ne crois pas avoir assez d’em­
merdements comme ça ? » Suivent
A Winter’s Tale (1993), Les films de
ma ville (1995), Configuration
(1996, Sam Rivers).
En 2011, en compagnie de Na­
than Hanson, sax de Minneapo­
lis, Tony Hymas (piano) et Claude
Tchamitchian, Thollot donne au
Sunset un concert sublime. Sans
suite. Peu de festivals, pendant
quarante ans, aucun des «
grands », en tout cas, à l’engager.
Signe d’élection ? Sans doute,
mais, Jacques Thollot en aura bien
souffert. p
francis marmande
Décès
Avrillé. Paris 14e.
Bruxelles.
Mme Josette Bigorgne,
son épouse,
Claude et Hugues, Anne et Benoît,
ses enfants,
Emma, Pauline, Raphaël et Louise,
ses petits-enfants,
ont la grande tristesse de faire part
du décès de
M. Jean-Claude BIGORGNE,
professeur des Universités,
doyen honoraire
de la Faculté de médecine d’Angers,
survenu le 2 octobre 2014,
à l’âge de soixante-treize ans.
Une messe sera célébrée le mardi
7 octobre, à 14 h 30, en l’église SaintGilles d’Avrillé, suivie de l’inhumation
au cimetière de l’Ouest, à Angers.
La famille remercie le service de
pneumologie du CHU d’Angers pour
sa gentillesse et son dévouement.
Condoléances sur registre à l’église.
Cet avis tient lieu de remerciements.
La Tremblade.
Mme Denise Borie,
son épouse,
Marie-Laurence et Jean-Jacques,
Michèle et Philippe,
Isabelle et Jean-Louis (†),
ses enfants et conjoints,
Marine et Alexandre, Claire et Louis,
Rémi, Alexandre, Maud et Yassine,
Baptiste, Lucas, Agathe et Marius,
ses petits-enfants et conjoints,
ont la profonde tristesse de faire part
du décès de
M. Guy BORIE,
survenu le 2 octobre 2014,
à l’hôpital de Rochefort,
à l’âge de quatre-vingts ans.
En respect de ses volontés, la crémation
aura lieu le mardi 7 octobre, à 14 h 15,
à Saintes.
M. Borie repose à la chambre funéraire
Lotte Baudouin, Zac les Brégaudières,
à La Tremblade où un dernier hommage
lui sera rendu au moment de
la mise en bière, le mardi 7 octobre,
à 11 h 45.
Ni fleurs ni plaques.
Le frère
Bernard DUPUY o.p.,
est entré dans la Paix du Seigneur,
le 3 octobre 2014,
dans sa quatre-vingt-dixième année
et la soixantième année
de sa profession religieuse.
L’Eucharistie a été célébrée ce lundi
6 octobre, à 10 heures, au couvent
Saint-Jacques, 20, rue des Tanneries,
Paris 13e.
De la part
Du frère Michel Lachenaud,
prieur provincial
de la Province dominicaine
de France,
Du frère Gilles Berceville,
prieur,
Des frères du couvent Saint-Jacques
Et de ses neveux et nièces.
ont le chagrin d’annoncer le décès de
Franceline DREYER-LEDOUX,
professeur agrégé d’italien,
survenu le 25 septembre 2014,
après une vie remplie d’amour,
de rayonnement, de gentillesse
envers ses proches et ses élèves.
Une cérémonie a eu lieu en tout petit
cercle, le 29 septembre 2014.
Vos dons à Vivre et Grandir,
Association Loi 1901, à but humanitaire,
5, impasse Dupont, 13005 Marseille,
aideront à perpétuer son souvenir en
finançant des projets de cette association
au Burkina Faso, dans les domaines
de la santé et de l’éducation.
Familles Dreyer-Ledoux et Mangin,
Palais Lumière,
13600 La Ciotat.
Marseille.
Les Familles Magne et Escure,
Parents, alliés
Et amis,
ont la tristesse de faire part du décès de
Mme Josette ESCURE,
survenu le 2 octobre 2014, à Sète,
dans sa quatre-vingt-onzième année.
Nous avons la profonde tristesse
de faire part du décès de
M. Edmond FISCHER,
ancien de la brigade Alsace-Lorraine
de Malraux,
chevalier de la Légion d’honneur,
chevalier
dans l’ordre des Palmes académiques,
croix de guerre,
médaille de la Résistance,
ingénieur en chef du génie rural retraité,
survenu le 29 septembre 2014,
dans sa quatre-vingt-dix-septième année.
De la part de
Jacqueline,
son épouse,
Ses enfants
Et ses petits-enfants.
Cet avis tient lieu de faire-part et de
remerciements.
Jacqueline Fischer,
9, rue d’Ypres,
67000 Strasbourg.
Le Rayol (Var).
Conférence
Brigitte Pauvert-Lozerec’h,
son épouse,
Dominique, Corinne,
Mathias (†), Camille,
ses enfants
Et ses petits-enfants,
ont l’immense chagrin de faire part
du décès de
Jean-Jacques PAUVERT,
survenu le 27 septembre 2014.
briloz@numericable.fr
(Le Monde du 1er octobre.)
Grenoble.
Alphonse PEUCHMAUR,
1927-2014,
ingénieur AM, EIH, ISF
et génie atomique.
Homme libre, il est parti dans un espace
sans contraintes.
La cérémonie aura lieu le mardi
7 octobre, à 14 heures, en la chapelle
de l’hôpital de La Tronche, chemin
de l’Agnelas (Isère).
Donatienne,
son épouse,
Pascale et Michel,
ses enfants.
La Direction de l’information légale
et administrative organise une conférence
débat sur le thème
« Les européens aiment-ils (toujours)
l’Europe ? »,
avec Jean-Louis Bourlanges,
ancien député européen,
Bruno Cautrès, chercheur CNRS
au CEVIPOF et enseignant à Sciences po,
et Alberto Toscano, journaliste
et écrivain italien, président
du Club de la presse européenne,
le mercredi 15 octobre 2014, à 17 h 30,
29 quai Voltaire, Paris 7e.
Réservation obligatoire par courriel :
mdf@dila.gouv.fr
ou par téléphone :
01 40 58 77 08 - 01 72 69 59 63
Communication diverse
Les familles Divandary, Muir,
Doutrellot,
ont l’immense tristesse de faire part
du décès de
Mme Jean PHILIPPON,
née Christiane GHEERAERT,
survenu le 2 octobre 2014,
dans sa quatre-vingt-onzième année.
La cérémonie religieuse sera célébrée
le vendredi 10 octobre, à 14 h 30,
en l’église Sainte-Eulalie de Mireval
(Hérault).
L’inhumation aura lieu dans le caveau
de famille, au cimetière de Mireval.
Michelle Muir,
114, rue de Verdun,
76230 Bois-Guillaume.
Rencontre
autour de la rentrée littéraire,
dimanche 12 octobre 2014,
à partir de 11 heures,
en présence des auteurs
Philippe Hayat,
Mireille Abramovici, Ariane Bois,
David Doma, Jean Rouaud,
Pierre Assouline, Maryse Wolinski,
Frederika Amalia Finkelstein,
Hervé Le Corre,
Sandrine Treiner, Éric Paradisi.
Animée par Eduardo Castillo,
journaliste.
Entrée libre sur réservation
au 01 53 01 17 42 ou sur
www.memorialdelashoah.org
Agnès et Bruno Toïgo,
Pierre et Sylvia Roux-Lasfargeas,
ses enfants,
Thomas, Camille, Jeanne, Simon
et Emma,
ses petits-enfants
Et toute la famille,
ont la tristesse de faire part du décès de
Jacqueline ROUX,
née SOISSON,
survenu le 1 octobre 2014.
er
Daniel Pszenny,
son compagnon
Elie Pszenny,
son fils,
Rodolphe Nussbaum,
son frère,
Les familles Pszenny, Petit, Nussbaum,
Chneiweiss,
leurs enfants
Et ses nombreux amis,
Dans le cadre de son cycle
« les mercredis
de la Documentation française »
Les obsèques religieuses seront
célébrées le mercredi 8 octobre, à 10 h 30,
en l’église Notre-Dame-de-Lorette,
18 bis, rue de Châteaudun, Paris 9 e ,
suivies de la crémation, à 13 h 30,
au crématorium du cimetière du
Père-Lachaise, 71, rue des Rondeaux,
Paris 20e.
61, rue des Martyrs,
75009 Paris.
Colloque
Colloque du Centre Sèvres
Facultés jésuites de Paris
« Les jésuites aujourd’hui.
Deux siècles après leur rétablissement
(1814-2014).
Aller, rencontrer, servir. »
Vendredi 10 octobre 2014,
de 19 h 30 à 21 h30,
samedi 11 octobre, à partir de 9 heures.
Entrée libre.
35 bis, rue de Sèvres, Paris 6e.
Tél. : 01 44 39 75 00.
www.centresevres.com
ont la douleur de faire part du décès de
Evelyne NUSSBAUM,
« Youyou »,
survenu à Paris, le 3 octobre 2014,
après une longue maladie,
à l’âge de soixante-quatre ans.
Les obsèques auront lieu le jeudi
9 octobre, à 12 h 45, au crématorium
du cimetière du Père-Lachaise, 71, rue des
Rondeaux, Paris 20e (métro Gambetta).
Ni fleurs ni couronnes.
« Ceux qui vivent,
ce sont ceux qui luttent, ce sont
Ceux dont un dessein ferme
emplit l’âme et le front.
Ceux qui d’un haut destin
gravissent l’âpre cime.
Ceux qui marchent pensifs,
épris d’un but sublime. »
Victor Hugo.
Le Carnet
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grandes écoles, concours nationaux...
Cet avis tient lieu de faire-part.
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18 | culture
0123
MARDI 7 OCTOBRE 2014
«Lucy» Luc
Le carton planétaire de «Lucy»,
qui ressort le 8 octobre en 3D,
a rasséréné Luc Besson, après
plusieurs flops et déceptions.
Le cinéaste et homme d’affaires
profite de l’aubaine
pour redorer son image
PATRICK SWIRC/MODDS POUR « LE MONDE »
C’
laurent carpentier
est lui qui voulait nous
rencontrer. Il est là,
110 kg qu’il aimerait res­
treindre pour 1,73 m. Une
sorte d’Orson Welles en
tenue volontairement dé­
braillée, tee­shirt noir, pantalon noir, chaus­
sures de sport noires, cheveux en bataille. Il
est cool. Très cool. Bizarre pour un « mogul ».
Cela tranche avec l’inquiétude de ses troupes,
avant son arrivée : « Il n’a pas été prévenu pour
la photo. Tu sais comment il est. Il voudra choi­
sir l’endroit. Enfin, c’est lui qui décide… » Il a fi­
nalement laissé le photographe choisir son
cadre… et juste fait venir une maquilleuse
pour arranger un peu sa face d’ours maratho­
nien. Il rassure, de son petit rire d’enfant : « Je
ne comprends pas : souvent les gens que je
rencontre tremblent de peur devant moi, mais
je suis un type normal, je ne suis vraiment que
Luc Besson. »
Ce n’est que Luc Besson, donc. Ce n’est que la
481e fortune de France en 2014, producteur,
réalisateur, scénariste (l’un, ou l’autre, ou les
trois combinés). Il débarque de Moscou, où il
est allé lancer sa Lucy, le succès planétaire de
l’été, produit par EuropaCorp, sa société, dis­
tribué par Universal (3 700 copies aux Etats­
Unis, 600 en France, 1 500 en Russie, 4 000
en Chine…). Un film à 40 millions de dollars
(32 millions d’euros), qui en comptabilise déjà
www.monde-diplomatique.fr
OCTOBRE 2014
PROCHE-ORIENT
Guerre contre le terrorisme,
acte III
Par Alain Gresh
Chaque mois, avec Le Monde diplomatique,
on s’arrête, on réf léchit.
Chez votre marchand de journaux, 28
pages, 5,40 €
400 millions au box­office. « Dans tous les
pays, les compteurs ont explosé… », sourit­il.
De quoi renflouer la maison qui a multiplié
ces dernières années les investissements – et
les flops. De quoi faire oublier Malavita,
Adèle Blanc­Sec, The Lady ou Angel­A et reve­
nir au bon temps où Le Cinquième Elément,
Léon, Nikita ou Le Grand Bleu faisaient de lui
le fer de lance d’un cinéma français damant
le pion à Hollywood. De quoi remonter le
cours de l’action en Bourse, en ballottage dé­
favorable ces derniers temps. De quoi effacer
surtout la mauvaise image de marque après
qu’un rapport de la Cour des comptes, en dé­
cembre 2013, a dénoncé la façon dont les de­
niers publics avaient été investis dans le pro­
jet de La Cité du cinéma, à Saint­Denis (Seine­
Saint­Denis), « qu’une société privée (Europa­
Corp) portait pour son seul bénéfice ».
Délivrer un message politique
La vérité, c’est que l’année a été dure et, qui
plus est, avec Lucy, Luc Besson s’est fait peur.
Tout Luc est dans Lucy. Son patronyme, son
savoir­faire – des films rentre­dedans, à gros
moyens, avec effets spéciaux, héroïne hors du
commun, courses­poursuites, flingues… – et
son désir profond : arriver, à l’image de Ste­
ven Spielberg (son modèle), à délivrer derrière
la comédie d’action un message politique. Or,
justement, c’est ce côté Liste de Schindler, Lin­
coln, sur lequel il a toujours buté. Lui, son
message, c’est l’avenir de la planète, l’être con­
tre l’avoir, ce qu’on laisse à nos enfants… Ce
pari­là était risqué, le sujet compliqué, il le sa­
vait. Miracle, on peut juger le résultat bancal,
il se révèle un carton.
S’il veut nous rencontrer, c’est que Luc Bes­
son est de retour, et qu’il a compris qu’il est
temps de soigner son image. Car, de fait,
l’homme est un mal­aimé. Autodidacte, il n’a
pas le langage et les manières d’un monde ci­
néphilique qui ne lui a jamais pardonné de ne
pas jouer selon les règles. La France, c’est le
pays des petits budgets, des Cahiers du ci­
néma, de l’analyse critique. Lui veut grand, il
rêve d’action, de films qui pétaradent, qui se
donnent les moyens de le faire. Son rêve, c’est
Hollywood. Du coup, il fait des films made in
« SI DANS LE CINÉMA
FRANÇAIS LES GENS
SONT AMERS
VIS-À-VIS DE LUI,
CE N’EST PAS À
CAUSE DE SES FILMS,
MAIS POUR QUELQUE
CHOSE DE PLUS
LARGE. ON LUI EN
VEUT DE CE QU’IL
A CONSTRUIT »
ÉRIC ROCHANT
Réalisateur
France, mais à gros budget, mélangeant ac­
teurs français et stars américaines, tournant
parfois en français, parfois en anglais, rache­
tant un distributeur aux Etats­Unis, vivant
avec ses enfants entre Los Angeles et Paris.
Besson l’Américain (« citoyen du monde, plu­
tôt »). Self­made­man aux rêves de gamin qui
mettra tous ses talents d’homme d’affaires à
leur service. « Il y a quelques années, j’étais
avec une demoiselle qui s’appelait Milla [Milla
Jovovich, héroïne du Cinquième Elément et de
Jeanne d’Arc, fut sa compagne pendant quel­
ques années]. Elle était jeune. On regardait des
oiseaux et j’ai vu qu’elle était en train de pleu­
rer. Je lui ai demandé pourquoi ? Elle m’a dit
parce que je ne volerai jamais. Et moi aussi je
me suis mis à pleurer, parce que cela m’a ren­
voyé à mes rêves d’enfant. Quand on est petit,
on dit : “Je serai cosmonaute” ; adolescent, on
dit : “Je serai peut­être cosmonaute” ; et, de­
venu adulte, on dit : “Quand j’étais jeune,
j’étais con, je voulais être cosmonaute.” C’est
terrible. Moi, si j’avais vraiment eu le choix,
j’aurais aimé être un dauphin. »
Une méfiance indicible
Il n’a pas eu ce choix­là, alors il est devenu ci­
néaste. Luc Besson a 17 ans lorsqu’il entre
comme stagiaire sur un tournage, quitte
l’école à deux mois du bac et décide que ce
sera sa vie. Il veut voir Hollywood, prend un
billet pour New York et traverse l’Amérique en
cars Greyhound pour rallier Los Angeles. « Six
jours ! Je croyais que c’était plus près. J’étais
mauvais en géographie », dit­il. L’histoire est
connue, parce qu’au fil des années le self­ma­
de­man a barricadé son intimité derrière une
histoire officielle, pour se fabriquer un per­
sonnage de Petit Prince innocent et artiste.
Une enfance heureuse sur les rives de la
grande bleue, en Grèce et en Yougoslavie, avec
des parents profs de plongée au Club Med…
Un mérou et une murène pour camarades de
jeu… Au retour en France, une adolescence
grise et solitaire, lors de laquelle il se met à
écrire tous ces scénarios qu’il recrachera plus
tard… Ce qu’il ne dit pas, ou très peu, c’est que
ses parents se sont séparés et ont chacun re­
fondé une famille. Lui, le fils unique de cette
culture | 19
0123
MARDI 7 OCTOBRE 2014
Les performances des principaux films de Luc Besson depuis « Le Cinquième Elément »
RECETTES MONDIALES, EN MILLIONS DE DOLLARS
264
67
LE CINQUIÈME ÉLÉMENT
JEANNE D’ARC
113
10
ANGEL-A
ARTHUR ET LES
MINIMOYS
51
ARTHUR 2
34
31
3
ARTHUR 3 THE LADY
57
MALAVITA
LES AVENTURES
EXTRAORDINAIRES
D'ADÈLE BLANC-SEC
1997
LES DATES
1959
Naissance le 18 mars à Paris.
1983
Premier long-métrage Le Dernier Combat, distingué au Festival d’Avoriaz.
1988
A Cannes Présente Le Grand
Bleu.
2000
Crée EuropaCorp.
2012
Inauguration des studios de La
Cité du cinéma à Saint-Denis.
2013
Premier multiplexe à Tremblay-en-France
(Seine-Saint-Denis).
2014
Création de RED (Relativity
EuropaCorp Distribution), une
société de distribution de films
aux Etats-Unis.
union, a été mis en pension, près de Coulom­
miers. « C’est pas très habile », dit­il, avachi au
fond du grand fauteuil club. « Je ne leur en
veux pas, c’était compliqué pour eux… »
Le regard est tendre, la voix est douce, le
geste accueillant. Mais en permanence filtre
de ses yeux un rayon de méfiance indicible.
L’homme ne se laisse pas déchiffrer. Il a tôt
appris à se défendre contre les désillusions et
les faux amis. Derrière sa cool attitude – il ne
boit jamais, ne fume pas –, il y a la nécessité
enfouie de garder le contrôle. « Il suffit de
compter le nombre de films pour savoir le
nombre de verres de champagne qu’il a bus
dans sa vie », se marre le compositeur Eric
Serra, qui a signé la musique de son premier
court­métrage, L’Avant­Dernier, et de tous ses
autres films depuis. Les deux hommes sont
amis depuis qu’ils ont 18 ans, le genre à partir
en vacances ensemble (« même si Luc est un
tel fondu de boulot qu’avec lui, le terme de “va­
cances” est parfois un peu abstrait… »), mais
jamais, au grand jamais, ils n’ont franchi le
degré de cette intimité­là, celle des ressorts
profonds qui vous structurent.
Il a beau vouloir jouer le jeu, essayer de lâ­
cher prise, montrant sur son smartphone une
photo de son beau gosse de père posant en
M. Muscle en « une » d’un magazine spécia­
lisé des années 1960, Luc Besson n’arrive pas à
1999
sortir du cadre, à tenter l’introspection. Ce
n’est pas qu’il ne veut pas, il ne peut pas. « Luc
te racontera volontiers en long et en large que,
ce week­end, il a fait du kart, mais jamais il ne
te confiera sa vie sentimentale », témoigne un
(ancien) proche.
Amours, séparations – avec Anne Parillaud,
l’héroïne de Nikita, Maïwen, qu’il épousa lors­
qu’elle avait 16 ans, Milla Jovovich… –, sa vie
avec Virginie Silla, sa femme actuelle et pro­
ductrice, ce sont les magazines people qui en
parlent, pas lui. L’enfant qui voulait avoir dix
enfants en a déjà cinq n’est un habitué ni du
confessionnal ni des divans des psys :
« Quand je déprime, j’ai plutôt tendance à
m’isoler », avoue­t­il sobrement.
Même si ses amis reçoivent parfois un MMS
le montrant barbotant aux Bahamas, à Little
Norman’s Cay, un îlot qu’il a acheté (« Un
vieux rêve. Il n’y a rien là­bas, pour l’instant.
C’est pour ma retraite… », sourit­il), l’homme
est un monstre de travail. Tous en témoi­
gnent avec effarement. « A 5 heures du matin,
raconte l’ingénieur du son Martin Boissau,
alors qu’épuisés on finissait de mixer Arthur et
les Minimoys dans son domaine normand du
château des Lettiers, dans l’Orne, lui s’en allait à
l’auditorium mixer le film qu’il avait promis à
Villepin pour soutenir la candidature de Paris
aux Jeux olympiques ! » « Aujourd’hui, Luc est
cent fois plus riche que moi, cela doit avoir un
rapport… », risque, rigolard, Eric Serra.
Intelligence des réseaux
Luc Besson fonctionne à l’intuition. On lui
prête du flair ; on lui sait un faible pour l’aven­
ture, une intelligence des réseaux et une habi­
leté autocratique à prendre une route bien à
lui. « Il est incroyable. Il a toujours eu le goût du
business et des solutions rocambolesques, ra­
conte un vieux de la vieille qui a travaillé avec
lui du temps du Grand Bleu et du Cinquième
Elément. Avec Bernard Grenet, son directeur de
production à l’époque, ils avaient imaginé fa­
briquer des “talkies” ou monter une boîte de
coursiers pour éviter de les louer. Ils auraient
ensuite monnayé leurs services aux autres pro­
ductions. Finalement, ils ne l’ont pas fait. Mais il
a pris des parts dans les laboratoires Eclair, il
monte des studios… Il a toujours voulu maîtri­
ser toute la chaîne de production. »
Un joueur. De ceux qui montent des empi­
res. « Ce qui m’intéresse, c’est toujours le coup
2005
2006
« ON A EN COMMUN
L’AMOUR
DES OCÉANS,
UNE CERTAINE
INQUIÉTUDE POUR
L’AVENIR DU MONDE
ET UN REGARD
CRITIQUE
SUR LA CRISE DE
SENS QUE TRAVERSE
NOTRE ÉPOQUE »
L’enquête sur La Cité du cinéma
se poursuit
NICOLAS HULOT
écologiste
L’inauguration de La Cité du cinéma, « Cinecittà 9-3 », son projet
fou d’installer Hollywood en bord de Seine, maintes fois reportée
après le désengagement des premiers investisseurs, a eu lieu le
21 septembre 2012. Mais, fin 2013, le parquet de Paris ouvrait
deux enquêtes préliminaires. La première vise « les conditions de financement de la construction et du fonctionnement » de La Cité. La
seconde, ouverte pour « diffusion de fausses informations », concerne EuropaCorp, dont Besson préside le conseil d’administration, et relève du délit boursier. La Cour des comptes avait dénoncé le « financement public [de La Cité] décidé contre l’avis des
services de l’Etat et de la Caisse des dépôts et consignations, principal financeur ». L’argent aurait été mis dans le seul but de faire
aboutir le projet « qu’une société privée [EuropaCorp] portait pour
son seul bénéfice ». Des proches de Nicolas Sarkozy, Claude Guéant
– ex-secrétaire général de l’Elysée – et Christophe Lambert, directeur d’EuropaCorp, ont joué un rôle-clé dans l’affaire.
2009
2010
2011
Le paradoxe Besson
Il est homme d’affaires. Dans les conflits, le
« nounours » se révèle griffu. Et, sur un tour­
nage, il peut vite se transformer en despote.
Tout pour le film. « Physiquement imposant, il
fout un peu les jetons… » « Il peut humilier les
gens de façon terrible, les accessoiristes, sur­
tout. Parce qu’en général il s’énerve pour une
vraie raison, un truc qui ne marche pas, mais ça
rend vite la tension insupportable… » « Son di­
recteur de la photographie, Thierry Arbogast,
on l’avait surnommé “Mère Courage”. » « C’est
un gentil tyran, mais un tyran aux humeurs in­
transigeantes… » Techniciens unanimes. Et
anonymes : l’homme est puissant et sa ran­
cune tenace.
Règles de base : se soumettre et rester dispo­
nible. Un ancien raconte ainsi comment,
après les années qu’ils avaient passées ensem­
ble, il avait pensé « bêtement » qu’il pouvait
parler « d’égal à égal » avec « Luc », lui annon­
çant en confiance qu’il ne pourrait pas faire le
prochain projet parce qu’il avait accepté un
autre tournage. Besson n’avait rien dit, mais,
alors qu’il ne restait que quelques jours avant
la fin du film, la directrice de production lui
avait signifié dès le lendemain qu’il était rem­
placé sine die… « Il gère les relations profes­
sionnelles comme dans la cour de récré : tu n’es
plus dans ma bande, tu te casses… », soupire le
désormais banni.
« Avec moi, il est adorable », s’agace le réali­
sateur Eric Rochant (Un monde sans pitié,
Mœbius…), qui débute ces jours­ci à La Cité du
cinéma le tournage du « Bureau des légen­
des », une série télévisée. « On peut aussi dire
de moi que je suis dur, méchant, caractériel…
De Pialat à Kechiche, le cinéma est plein de réa­
lisateurs qui se traînent de sales réputations. La
seule différence entre nous, c’est que lui est très
exposé. Si dans le cinéma français les gens sont
amers vis­à­vis de lui, ce n’est pas à cause de ses
films, mais pour quelque chose de plus large.
On lui en veut de ce qu’il a construit. »
Martin Boissau aussi a fini par tomber en
disgrâce. L’ingénieur du son garde pourtant la
nostalgie de ces années­là. « Je me rappelle
et remise du Prix France Musique-Sacem de la musique de film
Vendredi 10 octobre à 20h, salle Pleyel (Paris 8) Réservations : 01 56 40 15 16 - concerts.radiofrance.fr
LUCY
2014
d’après », répond Luc Besson lorsqu’on l’inter­
roge sur le succès de son dernier film et la sa­
tisfaction qu’il saurait en tirer. Les Chinois
veulent sortir Lucy en 3D alors que le film n’a
pas été fait pour ça ? Il demande un petit bout
d’essai et les laisse faire pour 4 000 copies. Et
puis, comme il ne s’agit pas de s’endormir sur
ses lauriers et ses déjà 5 millions d’entrées en
France, il décide de « ressortir » le film ici
aussi en 3D, le 8 octobre.
« Le nerf de la guerre, ce n’est pas l’argent,
martèle­t­il comme un slogan, ce sont les
idées. » Il ne regarde jamais de séries ? Il en a
néanmoins confié la production à une équipe
au sein du groupe. Il croise Mathias Malzieu,
le petit démon du groupe de rock Dionysos,
sur un plateau de Canal+ ? Séduit par cette
boule d’énergie dont il découvre l’existence, il
décide ni une ni deux de produire le film que
ce dernier a en projet. Ça marche ou pas, peu
importe, il donne sa chance. A des nouveaux
venus, à des techniciens, à des chefs opéra­
teurs, comme Louis Leterrier ou Olivier Mega­
ton. Par audace, vanteront ses amis ; par cal­
cul, diront ses ennemis, parce que ceux­là
coûtent moins cher.
Concert des musiques
de
films
de
Roman
Polanski
Avec l’Orchestre Philharmonique de Radio France
+ de 400
2013
SOURCE JP'S BOX OFFICE
quand je suis arrivé pour la première fois dans
les locaux d’EuropaCorp. A l’époque, c’était rue
du Faubourg­Saint­Honoré, pas loin de l’Ely­
sée : un hôtel particulier, la Maserati garée
dans la cour… J’avais l’impression de débarquer
à Hollywood. Il faut le dire, c’était excitant. Les
Minimoys, c’était le plus gros budget du ci­
néma français de cette année­là. J’étais payé
40 % de plus que sur les autres tournages où
j’avais travaillé. On aime ou on n’aime pas,
mais moi qui ai surtout travaillé dans le ci­
néma d’auteur, j’y ai appris beaucoup. »
« Un mauvais procès »
Le paradoxe Besson. Ni blanc ni noir. Sans pri­
ses auxquelles vous accrocher. Si vous n’êtes
pas sur un plateau ou dans une négociation
serrée avec lui, son corps se détend, il reprend
des forces, ses traits s’apaisent, il vous raconte
les derniers films qu’il a vu avec ses enfants
(Les Tortues Ninja et Les Gardiens de la Galaxie
– « personne ne me reconnaît dans les salles, je
suis passé maître dans cet art­là… »), et ses in­
quiétudes pour la planète. « Je ne le connais­
sais pas, raconte Nicolas Hulot. Un jour, il ap­
pelle : “Si tu as besoin d’un soldat, je suis là.”
Alors, lorsque j’ai lancé le Pacte écologique et
que je cherchais du soutien, je lui ai laissé un
message. On a toujours des clichés et des préju­
gés : je ne pensais pas qu’il viendrait. Erreur : il
était au premier rang à la conférence de presse.
Depuis, à chaque fois que j’ai besoin d’un relais,
d’un coup de main, d’une comédienne pour un
clip, il est là. C’est un homme de parole. J’ai
beaucoup d’estime pour ce garçon. »
La séparation douloureuse des parents, la
jeunesse solitaire, un appareil photo qui sert
de révélateur, la rencontre d’un succès popu­
laire qui les fige tous deux dans une image
d’icône alors qu’ils sont d’une pudeur mala­
dive, et la tribu pour se protéger : entre les
deux hommes, une identité de parcours. « On
a surtout en commun l’amour des océans, une
certaine inquiétude pour l’avenir du monde et
un regard critique sur la crise de sens que tra­
verse notre époque », rectifie Nicolas Hulot.
Au journaliste qui l’interroge, Luc Besson si­
gnifie qu’il lui fait confiance. Il ne demande
pas à relire, comme c’est souvent le cas. « Vous
en ferez ce que vous voulez. » Mais quelque
chose dans le regard dit : « Ne me décevez
pas. » L’ogre dit se moquer de la critique
comme de son premier sweat­shirt à capuche.
Les attaques sur La Cité du cinéma ? « Un
mauvais procès. Je ne suis absolument au cou­
rant de rien concernant un rapport de la Cour
des comptes. Moi, personne ne m’a contacté.»
Les critiques de cinéma qui l’ont si peu en­
censé ? « Avant, il y avait Pierre Tchernia, c’était
bien… » Pourquoi alors, s’il a le cuir si dur
qu’on le dit, ce sentiment de tristesse qui vous
enveloppe au fil des méandres de La Cité du ci­
néma – bureaux, plateaux modulables pour
équipes de scénaristes, ateliers pour les dé­
cors, studios pour les tournages, cafés pour les
égarés et une nef immense et vide que l’on
cherche à rentabiliser en la louant à des gran­
des entreprises pour des événements – le long
desquels il vous raccompagne ? « J’ai d’abord
fait du cinéma pour ne pas disparaître. Après
est venue la notion de plaisir. Aujourd’hui j’ai
vieilli, et je filme, je crois, pour transmettre
quelque chose, comme Lucy. » Sans doute. Jus­
qu’au coup suivant. p
en direct sur
20 | culture
0123
MARDI 7 OCTOBRE 2014
Grincementsentre le « Philhar» et RadioFrance
Après l’annulation du concert de la Salle Pleyel, le 3 octobre, un nouveau préavis de grève a été déposé
L
DEUX ORCHESTRES
L’ONF et le « Philhar »
Les deux orchestres de Radio
France sont l’Orchestre national
de France (ONF) et l’Orchestre
philharmonique de Radio
France – le « Philhar », au cœur
du mouvement social actuel.
A partir du 14 novembre, ils
seront dotés d’un nouvel auditorium, au siège de Radio France,
à la Maison de la radio, à Paris.
Un nouveau directeur,
Jean-Pierre Rousseau
Ancien directeur général de l’Orchestre philharmonique de Liège
(Belgique), Jean-Pierre
Rousseau, 58 ans, a été nommé,
en mai, directeur de la musique
de Radio France par son PDG,
Mathieu Gallet, remplaçant
Jean-Pierre Le Pavec.
COLCANOPA
mais dénoncent l’absence de con­
certation et la brutalité de la mé­
thode.
« A Radio France, on est à deux
doigts de la crise de nerfs », s’in­
quiète Jean­Paul Quennesson, dé­
légué SUD de Radio France et cor­
niste à l’ONF. « Mathieu Gallet a
installé une désorganisation com­
plète. En face de cette réforme, il
n’avance aucun projet artistique,
éditorial, ni social. »
A un mois de l’ouverture du
nouvel auditorium de Radio
France à la Maison de la radio, le
14 novembre, la programmation
et le répertoire pour les concerts
d’ouverture ne sont toujours pas
arrêtés. On ne sait pas encore si
l’ONF va rejoindre, ou pas, le
mouvement des musiciens du
« Philhar ».
Pour Jean­Pierre Odasso, trom­
pettiste au sein de l’Orchestre
philharmonique et représentant
non syndiqué des musiciens, il y a
urgence à déminer le terrain.
« L’idée générale de la réforme,
ou ce que l’on croit deviner, est
d’instaurer une direction artisti­
que unique pour les deux orches­
tres, qui serait pilotée par Jean­
Pierre Rousseau. Or, chaque or­
chestre a besoin d’une équipe spé­
cifique. Les projets se planifient au
moins deux ans à l’avance, les
aléas de dernière minute nécessi­
tent d’avoir un directeur artistique
à temps plein, doté d’un carnet
d’adresses à la hauteur des en­
jeux. Les projets pédagogiques de­
mandent aussi du temps et de
l’énergie. On est inquiets pour la
saison 2015­2016, qui n’est pas en­
PHOTO GRAPHIE
Fréquentation en baisse
aux Rencontres d’Arles
du 30
sept
au 11
oct
de Witold
GombroWicz
mise en scène
Jacques
Vincey
Les Rencontres photographi­
ques d’Arles ont attiré
83 000 personnes pour l’édi­
tion 2014, soit une fréquenta­
tion en baisse de 12,5 % par
rapport à 2013, ont annoncé,
vendredi 3 octobre, les orga­
nisateurs. du festival Cette
baisse est attribuée par la di­
rection aux « turbulences su­
bies par les Rencontres d’Arles
depuis plusieurs mois », aux
« menaces de grève qui ont
pesé sur les festivals » en rai­
son du conflit des intermit­
tents et à « l’absence d’une
partie des lieux d’exposition
mis à leur disposition depuis
douze ans ». Le festival avait
connu, en 2013, année de son
trentième anniversaire, une
fréquentation record avec
96 000 visiteurs, en hausse
de 28 % par rapport à l’année
précédente. – (AFP.)
M US I Q U E
Concert de stars
en l’honneur des
vétérans, à Washington
Un concert géant et gratuit
avec des dizaines de stars tels
Bruce Springsteen, Eminem,
Rihanna aura lieu le 11 no­
vembre à Washington, en
l’honneur des vétérans. Le
« Concert of Valor » (le « con­
cert en l’honneur des valeu­
reux ») se tiendra sur le Mall,
l’immense esplanade au
cœur de la capitale améri­
caine. Le but de la manifesta­
tion est de récolter des fonds
pour les 20 millions de vété­
rans américains. – (AFP.)
Le mouvement
de protestation
est lié
aux réformes
en cours,
menées,
de l’avis général,
au pas de charge
ARTS
Une sculpture
de Giacometti vedette
des enchères d’automne
chez Sotheby’s
Chariot, une sculpture d’Al­
berto Giacometti estimée à
plus de 100 millions de dol­
lars (80 millions d’euros), de­
vrait être la vedette des en­
chères d’automne chez
Sotheby’s à New York en no­
vembre, a annoncé, vendredi
3 octobre, la maison d’enchè­
res. Ce bronze, conçu en 1950
et moulé en 1951­1952, qui re­
présente une déesse filiforme
debout sur un char aux très
grandes roues, est l’un des
deux seuls appartenant en­
core à des particuliers. Le prix
estimé est comparable au re­
cord mondial pour une sculp­
ture aux enchères : L’Homme
qui marche I, de Giacometti,
adjugé, en 2010, 104,3 mil­
lions de dollars chez Sothe­
by’s, à Londres. – (AFP.)
Le prix Orisha décerné
au Béninois Kifouli
Dossou
Le prix Orisha pour l’art con­
temporain africain a été attri­
bué pour sa première édition
au sculpteur béninois Kifouli
Dossou, pour l’ensemble de
son œuvre, ont annoncé,
vendredi 3 octobre, les orga­
nisateurs. Ce prix récom­
pense « un artiste emblémati­
que de la scène africaine
subsaharienne ». Le jury a
choisi le lauréat « pour son
art d’allier les représentations
guélédé aux éléments de la
culture visuelle contempo­
raine ». – (AFP.)
core validée dans son ensemble. »
Car, entre­temps, l’Orchestre
philharmonique a été « déca­
pité », selon M. Odasso. Eric Mon­
talbetti, son directeur artistique
depuis dix­huit ans, a dû accepter
la rupture de son contrat à la mi­
septembre, et il n’a pas été rem­
placé. Son départ a créé un vif
émoi. Sous sa direction, l’Orches­
tre philharmonique est devenu
une scène majeure (plus attrac­
tive que l’Orchestre national, di­
sent certains), attirant les plus
grands chefs, et fidélisant de jeu­
nes recrues. C’est Montalbetti qui
a fait venir le nouveau directeur
musical du « Philhar », le Finlan­
dais Mikko Franck, 35 ans, qui
remplacera officiellement l’actuel
chef Myung­Whun Chung, en
septembre 2015.
C D
Déminer le terrain
Radio France comprend trois for­
mations musicales permanentes
– l’Orchestre national de France
(ONF), l’Orchestre philharmoni­
que et le Chœur, auxquels s’ajoute
la Maîtrise (chœur des enfants).
Chacun des deux orchestres dis­
pose d’une équipe spécifique,
avec son propre directeur artisti­
que, qui construit la saison avec le
directeur musical (le chef de l’or­
chestre).
Or, la direction de Radio France
souhaite créer une direction uni­
que pour les deux orchestres et
réaliser des économies d’échelle –
la fusion des deux orchestres, re­
doutée en interne, ne serait pas à
l’ordre du jour, se défend la direc­
tion.
Dans un contexte de budget
serré, les musiciens se disent
prêts à envisager une réforme,
LE CONTEXTE
S É L E C T I O N
a colère est unanime chez
les musiciens de l’Orches­
tre philharmonique de
Radio France : vendredi
3 octobre, le concert unique,
prévu Salle Pleyel, à Paris, en hom­
mage au compositeur vénitien
Luigi Nono (1924­1990), a été an­
nulé à la suite du préavis déposé
par les syndicats SUD, CGT et
UNSA. Evénement du Festival
d’automne, ce concert était
très attendu : cela fait plus de dix
ans que la musique de Luigi Nono,
compositeur avant­gardiste, en­
gagé, n’avait pas trouvé le chemin
des salles parisiennes.
Les musiciens du « Philhar »
ont voulu taper du poing sur la ta­
ble. Et un nouveau préavis de
grève est déposé pour le vendredi
10 octobre. Le mouvement de pro­
testation est lié aux réformes en
cours, menées de l’avis général au
pas de charge par le nouveau di­
recteur de la musique, Jean­Pierre
Rousseau, nommé par le prési­
dent de Radio France, Mathieu
Gallet. M. Rousseau a d’ailleurs
admis, dans Le Figaro du 3 octo­
bre, avoir « voulu réformer trop
vite ».
Mais, pour signifier son profond
désaccord avec la direction, Mikko
Franck a suspendu deux contrats
qui le lient pour la saison 2014­
2015 – il doit diriger six concerts. Il
a refusé de diriger celui du 3 octo­
bre, s’en expliquant dans un com­
muniqué : « Il est difficile de com­
prendre comment deux grands or­
chestres symphoniques pourraient
être gérés par une administration
unique (…). La réorganisation ad­
ministrative des orchestres ne rem­
plit pas les conditions de mon con­
trat de directeur musical », écrit­il.
Il prévient : « Je ne signerai pas
d’autres contrats tant que la situa­
tion ne sera pas résolue », tout en
soulignant avoir eu « des échan­
ges longs et positifs » avec Mathieu
Gallet. p
clarisse fabre
TS AR TEH-YUN
Chine : Tsar Teh-yun,
maître du qin
Aquatique ou aérienne, mysté­
rieuse et minimaliste, la musique
que l’on entend dans ce double al­
bum publié par le Musée d’ethno­
graphie de Genève procure une dé­
licieuse sensation d’apesanteur.
Raffinées, élégantes, ce sont les mélodies du qin, cithare à sept
cordes, emblème de la Chine des lettrés, au même titre que la
poésie ou la calligraphie.
Un instrument sérieusement malmené, voire muselé, pendant
la Révolution culturelle (1966­1976), où les seules musiques
tolérées étaient celles servant de support à la propagande
maoïste. Tsar Teh­yun (1905­2007), née dans l’est de la Chine,
s’est consacrée d’abord à la calligraphie, puis à la poésie, avant
de se mettre au qin, qu’elle a enseigné à partir des années 1960
à Hongkong. La plupart des enregistrements réédités
dans ce double album ont été réalisés entre 1956 et 1989
par ses élèves. p patrick labesse
2 CD VDE-Gallo/DOM.
M A R I A N N E FAITHFULL
Give My Love to London
Marianne Faithfull tombe parfois, se
casse la cheville, s’empiège dans des
plâtres, et cite Shakespeare de sa voix
grave. La cheville, ce fut pour l’excel­
lent Before the Poison en 2004 ; la
hanche, ce fut cet été, pendant des
vacances sur l’île de Rhodes après un
entretien donné au magazine Mojo,
où Faithfull met les points sur les « i » concernant la mort par
overdose de Jim Morrison.
Marianne Faithfull est une figure essentielle du rock, et elle pu­
blie son vingtième album, Give My Love to London, un hom­
mage à Londres, qu’elle n’aime pas. L’opus s’ouvre sur des mo­
dèles d’énergie, du grand art : le premier titre écrit avec Steve
Earle est très proche de Bob Dylan et traite sur un mode folk
des émeutes londoniennes de 2011 ; le deuxième, Sparrows Will
Sing, sans bavure, signé de Roger Waters, ramène le Velvet Un­
derground au royaume des vivants. Produit par Rob Ellis et Di­
mitri Tikovoi, mixé par Flood, l’album a attiré dans ses phares
Adrian Utley (Portishead), Brian Eno, etc. La voix est claire, le
propos droit, Faithfull est une reine. p véronique mortaigne
1 CD Naïve
K Lire les 5 CD de la semaine sur Lemonde.fr
télévisions | 21
0123
MARDI 7 OCTOBRE 2014
Industriedutabac:lagrandemanipulation
Une enquête sur les liens qui unissent les cigarettiers et le pouvoir politique européen
FRANCE – 1970 – 110 MIN.
Les lobbyistes de l’industrie
Les mémos du cigarettier mon­
trent que la plupart des amende­
ments destinés à affaiblir la direc­
tive européenne sur le tabac ont
été rédigés, à la virgule près, par
les lobbyistes de l’industrie. Parmi
les eurodéputés adeptes du co­
pier­coller, Gaston Franco (UMP)
et Jean­Pierre Audy (UMP) dont
les prestations, face à la caméra de
Laurent Richard, constituent un
spectaculaire désastre.
Le premier reconnaît sans am­
bages avoir repris intégralement à
son compte 16 des 18 propositions
d’amendement, que lui ont sou­
mis les lobbyistes de Philip Mor­
ris. «Seize sur dix­huit, cela mon­
tre que nous avons quand même
une marge d’appréciation, répond
paisiblement M. Franco. J’ai l’im­
Ce film décrit la rencontre, dans un
village du Sud-Ouest, entre une
institutrice solitaire et le boucher
local, alors qu’une série de meurtres
ensanglante la région. La jeune
femme soupçonne son ami
d’être l’auteur des crimes.
Le Boucher mêle un naturalisme
d’une précision cruelle à une
dimension fantastique sourde et
subtile. L’une des réussites les plus
incontestables de Claude Chabrol.
PARIS PREMIÈRE – 22 H 25.
TÉLÉFILM & SÉRIE
« Homeland »
(saison 4)
série d’Alex Gansa
et Howard Gordon,
avec Claire Danes,
Mandy Patinkin,
Rupert Friend.
ETATS-UNIS – 2014 –
1 ET 2/12 × 52 MIN.
Après une saison 3
souvent critiquée,
les créateurs de «Homeland»
promettent une suite plus politique,
l’agent de la CIA, Carrie Mathison,
décidant de repartir au Pakistan. Le
fil de l’histoire reprend six mois après
la fin de la saison 3, alors que son
ancien protecteur au sein de la
maison, Saul Berenson, a été mis en
retraite forcée.
J. FISCUS/SHOWTIME
Première cause de mortalité évitable dans le monde, le tabagisme tue quelque 700 000 Européens chaque année. JOEL SAGET/AFP
pression d’être mieux informé, pré­
cise­t­il, quand un lobbyiste sort de
mon bureau. » S’indigne­t­il
d’avoir été fiché? Pas le moins du
monde. «N’importe quel commer­
cial a un fichier client, répond­il à
Laurent Richard. Et dans cette
affaire, le client c’est moi.»
Au­delà de l’attitude de tel ou tel
parlementaire, le film met égale­
ment au jour – c’est probable­
ment l’information la plus per­
turbante du documentaire – les
relations financières nouées de
longue date entre les quatre
géants du tabac et la Commission
européenne qui, selon le docu­
mentaire, reçoit plusieurs dizai­
nes de millions d’euros par an, au
titre d’accords contractuels pas­
sés avec Philip Morris et consorts,
dont les détails ne sont pas
publics.
Le film éclaire aussi l’épisode du
« Dalligate » – le limogeage par
l’ancien président de la Commis­
sion, José­Manuel Barroso, en
octobre 2012, de John Dalli, le
commissaire européen à la santé
MOTS CROISÉS
N°14-237
SOLUTION DU N°14-236
La caméra capte
impitoyablement
les regards
fuyants,
les fronts
en nage, les
sourires crispés,
les dénégations
maladroites
des consommateurs. M. Dalli
avait été accusé d’avoir tenté de
monnayer ses bonnes grâces
auprès de l’industrie du tabac.
Mais les documents internes de
Philip Morris cités dans le film
montrent au contraire que le ciga­
rettier, selon les termes de ses
propres mémos, entendait
en 2012 « cibler le commissaire
européen à la santé», et ce «en uti­
lisant les médias locaux et interna­
tionaux». D’autres mémos inter­
nes du cigarettier n’excluent pas
de «mettre en œuvre des mesures
extrêmes dissimulées» pour lutter
contre la directive honnie.
Dans une fuite éperdue
L’«affaire John Dalli» est d’autant
plus dérangeante que l’essentiel
des accusations portées contre
l’intéressé sont tombées d’elles­
mêmes alors que, dans le même
temps, des membres du cabinet
de M. Barroso ont eu, au cours de
cette période, plusieurs réunions
non déclarées avec les lobbyis­
tes des cigarettiers.
On pourrait faire aux auteurs le
grief de manier l’insinuation,
mais la possibilité est toujours
laissée aux mis en cause de répon­
dre. Parfois sans succès. N’ayant
pas réussi à obtenir un rendez­
vous avec M. Barroso, Elise Lucet
le poursuit littéralement à la sor­
tie du Parlement de Strasbourg.
Lui est lancé dans une fuite éper­
due, refuse de répondre, s’enferre
dans le silence. Pour l’image de
l’ancien président de la Commis­
sion, la scène est dévastatrice.
Lorsqu’ils sont acceptés, certains
face­à­face tournent au jeu de
massacre. La caméra capte
impitoyablement les regards
fuyants, les fronts en nage, les
sourires crispés, les dénégations
maladroites. Le porte­parole de
Philip Morris et le directeur géné­
ral de l’Office européen de lutte
antifraude (OLAF) n’y échappent
pas. Même l’ancienne déontolo­
gue de l’Assemblée nationale,
Noëlle Lenoir, se retrouve prise au
piège de ses contradictions et de
ses conflits d’intérêts.
Le film n’est cependant pas
d’une irrémédiable noirceur. On y
voit aussi des parlementaires sou­
cieux de l’intérêt général soutenir
des adversaires politiques atta­
qués par les cigarettiers. De
même, l’actuelle ministre de la
santé, Marisol Touraine, se sort
avec honneur de l’exercice et,
signe que la caméra n’a pas menti,
elle vient de présenter un plan
antitabac des plus ambitieux. p
stéphane foucart
D O CU M E N TA I R E
DR
« Des patrons et des hommes »
de Jean-Michel Meurice, Benoît
Collombat et David Servenay.
FRANCE – 2014 – 70 MIN ET 94 MIN.
Du capitalisme paternaliste au
néolibéralisme, sont retracés
soixante ans d’histoire du patronat
français, éclairée par celle de la
mondialisation et de la montée en
puissance de l’économie de marché.
Où comment l’argent a remplacé
l’homme et l’outil de travail au cœur
de l’entreprise.
ARTE – 20 H 50.
du « Monde » SA
Durée de la société : 99 ans
à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 94.610.348,70 ¤.
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n° 0717 C 81975 ISSN 0395-2037
0123
Les Unes du Monde
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0123 est édité par la Société éditrice
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N°14-237
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65 e Année
Encyclopéd
ie
Universalis
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L’investiture
de Barack
Nouvelle édition
Tome 2-Histoire
---
Jeudi 22 janvier
Uniquement
2009
Fondateur
Premières mesures
Le nouveau président
américain a demandé
la suspension
: Hubert Beuve-Méry
En plus du «
en France
- Directeur
Monde »
métropolitaine
: Eric Fottorino
Obama
des audiences
à Guantanam
o
Présidente :
Corinne Mrejen
PRINTED IN FRANCE
Barack et
Michelle Obama,
à pied sur
Pennsylvania
Avenue, mardi
20 janvier,
se dirigent
montré. Une
vers la Maison
evant la foule
nouvelle génération
Blanche. DOUG
tallée à la tête
s’est insqui ait jamais la plus considérable
MILLS/POOL/REUTERS
a Les carnets
transformationde l’Amérique. Une ère
d’une chanteuse.
national de été réunie sur le Mall
de Angélique
a
Washington,
Des rives du commencé.
Kidjo, née au
Obama a prononcé,
a Le grand
Barack lantique,
Pacifique à
jour. Les cérémonies
celles de l’At- aux Etats-Unis pendant Bénin, a chanté
discours d’investituremardi 20 janvier,
toute l’Amérique
la liesse ; les
la campagne
de Barack Obama
;
ambitions d’un
presque modeste.un sur le moment
s’est arrêtée
a Feuille
force d’invoquer
en 2008,
la première
rassembleur
qu’elle était
pendant les
A vivre :
décision de
; n’est jamaisde route. « La grandeur
Abraham
en train de
festivités de et de nouveau administration:
Martin Luther
l’accession
la nouvelle
Lincoln,
un
l’investiture,
au poste
du 18 au
dant en chef
Avec espoir et dû. Elle doit se mériter.
avait lui même King ou John Kennedy,
pendant cent la suspension
des armées, de comman- raconte 20 janvier. Pour Le Monde,
(…)
vertu,
il
placé la barre
responsable
vingt
: les cérémonies,
elle
de plus les courants bravons une fois
discours ne
très haut. Le l’arme nucléaire, d’un
de Guantanamo. jours des audiences
passera probablement
les rencontres
jeune sénateur de – elle a croisé l’actrice
glacials et endurons
cain-américain
Pages 6-7
les tempêtes à
postérité, mais
afri- le chanteur
page 2
et l’éditorial
de 47 ans.
Lauren
venir. » Traduction
il fera date pour pas à la
Harry Belafonte… Bacall,
du discours
ce qu’il a
inaugural du e intégrale
miste Alan Greenspan.
Lire la suite
et l’écono- a It’s the economy...
des Etats-Unis.
44 président
page 6 la
Il faudra à la
velle équipe
taraude : qu’est-ce Une question
nou- a Bourbier Page 18
beaucoup d’imagination
Corine Lesnes
pour sortir de
que cet événement
va changer pour
irakien. Barack
a promis de
l’Afrique ? Page
Obama
et économiquela tourmente financière
retirer toutes
3
qui secoue la
de combat américaines
les troupes
Breakingviews
planète.
page 13
d’Irak d’ici
à mai 2010.
Trop rapide,
estiment les
hauts gradés
de l’armée.
WASHINGTON
CORRESPONDANTE
D
Education
L’avenir de
Xavier Darcos
UK price £ 1,40
D
FILM
« Le Boucher »
de Claude Chabrol, avec Stéphane
Audran, Jean Yanne, Antonio Passalia.
FRANCE 2
MARDI 7 – 20 H 50
MAGAZINE
ans le cadre de son
magazine « Cash In­
vestigation», France 2
diffuse une enquête
sur les liens étroits tissés entre les
industriels du tabac et le pouvoir
politique – en France, mais sur­
tout en Europe. Le film, qui plon­
gera les téléspectateurs dans une
profonde sidération, est excep­
tionnel à plusieurs titres.
Il l’est d’abord par son sujet : le
tabagisme est la première cause
de mortalité évitable dans le
monde et tue prématurément
quelque 700 000 Européens cha­
que année. Il l’est ensuite par la
vigueur de l’enquête conduite,
par la portée de ses révélations et,
enfin, par la nature même des
sources qui le nourrissent.
Laurent Richard et Elise Lucet
ont eu accès à quelque 600 pages
de documents internes de Philip
Morris, certains ne remontant
qu’à 2012. Une petite part du
contenu de cette archive (un
fichier détaillé des 750 députés
européens) avait déjà été révélée
par Le Parisien, en septem­
bre 2013. L’examen des fiches
montre une surveillance systé­
matique et méthodique des parle­
mentaires. Celui­ci est « à sur­
veiller », tel autre est « en recher­
che de visibilité politique » ou « a
provoqué un accident de la route
sous l’emprise de l’alcool»…
SÉLECTION DU MARDI
Ruines, pleurs
et deuil :
dans Gaza dévastée
« Mission terminée
»:
le ministre
de
REPORTAGE
ne cache pas l’éducation
considérera qu’il se
GAZA
bientôt en
ENVOYÉ SPÉCIAL
disponibilité
pour
ans les rues
tâches. L’historien d’autres
de Jabaliya,
les
enfants ont
de l’éducation
trouvé
veau divertissement.un nouClaude
Lelièvre explique
lectionnent
les éclats d’obusIls colcomment la
missiles. Ils
et de
déterrent du
rupture s’est
sable des
morceaux d’une
faite entre les
enseignants
qui s’enflamment fibre compacte
et Xavier Darcos.
immédiatement
au contact de
Page 10
l’air
D
Automobile
Fiat : objectif
Chrysler
et qu’ils tentent
difficilement
d’éteindre avec
pieds. « C’est
du phosphore. leurs
dez comme ça
Regarbrûle.
Surles mursde »
cetterue,destracesnoirâtres
boutique.
sont
bes ont projeté visibles.Les bom- victime, Le père de la septième
âgée de 16 ans,
chimique qui partout ce produit re
ne décolèa incendié
pas. «
Bonus
Les banquiers
ont cédé
19
27 000 profs
partiront chaque
année
à la retraite,
d’ici à 2012.
Page 14
Edition
Dites bien aux
une
fabrique de
Au bord de
dirigeants
papier. « C’est petite des nations occidentales
la
mière foisque
que ces sept
je voiscela après la pre- innocents sont
il y a quelquesfaillite
huit ans d’occupation
trentemorts pour
semaines,
rien.
l’Américain
israélienne », Qu’ici, il n’y a jamais
s’exclame Mohammed
Chrysler
eu de tirs de
roquettes. Que
négocie l’entrée
Abed
bo. Dans son
c’est
costume trois Rab- nel. Que les Israéliensun acte crimidu
cette figure
constructeur
nous en don- La parution
du quartier pièces, nent la preuve,
italien Fiat
deuil. Six membres
porte le
puisqu’ils sur- de deux
dans son capital,
textes inédits
de sa famille veillent tout depuis le ciel
ont été fauchés
», enrage de Roland
Rehbi Hussein
de 35 %. L’Italie à hauteur devant
par
Barthes,
Heid.
un magasin, une bombe mains,
de cette bonne se réjouit
il tient une Entre ses mort en 1980,
le 10 janvier.
Ils étaient venus
enflamme
feuille de le
s’approvisionner papier avec tous
cercle de ses
pour l’économienouvelle
pendant
disciples.
nationale. décrétéesles trois heures de trêve morts et des blessés,les noms des Le demi-frère
Chrysler, de
de
son côté, aura tre aux par Israël pour permet- âge, qu’il énumère ainsi que leur l’écrivain,
Gazaouis
accès à une
à plusieurs
reprises, comme
qui
technologie
Le cratère de de souffler.
pour se persua- la publication, en a autorisé
der qu’ils sont
plus innovante.
la bombe est
jours là. Des
bien morts.
essuie
touPage 12
éclats
les foudres
Michel Bôle-Richard
mur et le rideau ont constellé le
de l’ancien
Algérie 80 DA,
métallique
éditeur de Barthes,
Allemagne 2,00
Lire la suite
¤, Antilles-Guyane
de la
2,00 ¤, Autriche
page
2,00 ¤, Belgique
et Débats page 5 François Wahl.
1,40 ¤, Cameroun
Maroc 10 DH,
1 500 F CFA,
17 Page
Norvège
25 KRN, Pays-Bas
Enquête page
Nicolas Sarkozy
des dirigeants a obtenu
françaises qu’ilsdes banques
renoncent
à la « part variable
de leur rémunération
».
En contrepartie,
les banques
pourront
bénéficier d’une
aide
de l’Etat de
10,5
d’euros. Montantmilliards
équivalent à
celle accordée
fin 2008.
Barthes,
la polémique
20
Le livre-enquête
incontournable
pour alimenter
sur l’avenir de
le débat
l’école.
Canada
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F CFA, Croatie
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Montpellier (« Midi Libre »)
22 | styles
0123
MARDI 7 OCTOBRE 2014
La salledebainsprend enfinsoind’elle
Celle qu’on nommait autrefois la salle d’eau devient un lieu de plaisir pour le corps et l’esprit
E
DESIGN
st­ce une baignoire ou
bien une fontaine, taillée
dans un marbre vert
venu d’Italie ? Est­ce une
salle de bains ou bien un ham­
mam où recevoir ses amis, avec
un canapé vert d’eau, une table
basse en forme de galet, un ta­
bleau de Lucio Fontana et une su­
blime suspension d’Ettore Sott­
sass (1917­2007) ?
Le décorateur Charles Zana a
brouillé les pistes pour inventer
cette salle d’eau – car c’en est une,
exposée sous la nef du Musée des
arts décoratifs, à Paris, dans le ca­
dre de « AD Intérieurs 2014, Dé­
cors à vivre » (jusqu’au 23 novem­
bre). Elle fait écho, par ses cou­
leurs et son luxe inouï, à celle de la
couturière Jeanne Lanvin, nichée
au quatrième étage du même mu­
sée, dans la collection perma­
nente Art nouveau.
La créatrice de mode avait fait
appel en 1920 au décorateur Ar­
mand­Albert Rateau (1882­1938),
qui avait utilisé les précieux mar­
bre blanc de Sienne, marbre noir
et ivoire pour créer sa salle de
bains. « J’ai imaginé pour une ma­
dame Lanvin d’aujourd’hui, collec­
tionneuse d’art, cette folie dans la­
quelle le marbre émeraude répond
au travertin beige du sol, ou le doré
du laiton ensoleille la bibliothèque
et jusqu’aux robinets créés sur me­
ÉDITION
Livre lumière
Inspiré par l’origami, l’archi­
tecte designer installé à San
Francisco, Max Gunawan, a
créé un livre qui se trans­
forme en lampion. Plus on
ouvre les pages du Lumio, à
couverture en bois de noyer
ou d’érable, plus la lumière
douce s’intensifie. Cette
lampe nomade de
500 grammes scintille pen­
dant huit heures et se re­
charge sur prise USB.
En exclusivité du 15 octobre
au 15 novembre, à la boutique
du Centre Pompidou, à Paris,
au prix de 195 euros.
Salle de bains Charles Zana. JACQUES PEPION
« La salle de bains
sera bientôt
le pôle santé
de la maison »
DOMINIQUE BARUÉ
directrice du showroom
B’bath
machine à café, remplie d’huile
essentielle parfumée (SkinJay).
On fait la part belle aux douches
hydromassantes, comme celles
du japonais Toto ou du belge
Aquamass, et jusqu’au sauna­
hammam­douche,
désormais
compacté à l’extrême pour se glis­
ser dans « seulement » 3 m2
(Sasha Mi chez Jacuzzi).
La cabine de douche a laissé la
place aux espaces plus vastes,
avec banc maçonné et anfractuo­
sités dans le mur pour ranger les
flacons. Tandis qu’apparaissent
de toutes petites baignoires qui
s’installent en majesté dans la
pièce, comme des grandes (Edge,
du britannique Victoria + Albert,
mesure moins d’1,50 m).
« La Cabine » conçue par les designers de La Fonction avec Line Art, spécialiste du meuble de salle de bains. DR
sure par la maison Volevatch, dans
la Somme », précise Charles Zana,
pour qui la salle de bains doit quit­
ter le blanc hygiéniste et devenir
« une pièce d’art ». « J’ai ouvert l’es­
pace comme un prétexte à mon­
trer que l’on peut lire un bon bou­
quin dans son bain, dans un lieu de
vie sensuel, partagé en couple ou
en famille », s’enflamme l’archi­
tecte.
Ce faisant, Charles Zana ne fait
que théâtraliser la place que la
salle de bains occupe désormais
dans le cœur des Français. Ce n’est
plus une pièce « technique », des­
tinée à se « débarbouiller », mais
un havre de paix et de sérénité où
l’on prend soin de soi, nu devant
son miroir. Objectif : être bien
dans sa peau. « Depuis deux ou
trois ans, le concept a évolué : si la
salle de bains est toujours fonc­
tionnelle, on lui demande d’éveiller
les sens et d’apporter du bien­
être », confirme Dominique Ba­
rué, directrice du showroom
B’bath, parmi les plus chics de la
capitale. Ici, on privilégie l’épure :
il ne s’agit pas de se lasser d’une
pièce rénovée tous les trente ans
environ, c’est­à­dire moins sou­
vent que la cuisine !
Eclairage intelligent
Du mur au plafond, sont plébisci­
tés les camaïeux de beige, blanc ou
taupe. Les couleurs s’effacent
comme passées au soleil, tels les
carreaux très graphiques « Azu­
lej » en grès cérame de Patricia Ur­
quiola. Carreaux lisses au sol, ratu­
rés dans la douche, dentelle de
marbre au mur… C’est un jeu de
textures et de formats de dalles
différents qui rompt la monoto­
nie. La robinetterie disparaît dans
les cloisons, les vasques sont mou­
lées dans le plan suspendu, pour
donner l’illusion d’espace. Rien ne
doit arrêter le regard, c’est pour­
quoi on limite les joints au mini­
mum avec de grands carreaux, du
béton ciré ou du papier peint sur
mesure pour pièce humide (OUT,
de l’italien Wall & Déco).
Cabine de curiosités
Si la baignoire posée dans la chambre ne convainc pas encore
tout le monde, il reste la possibilité de planter fièrement au milieu d’une pièce cette armoire de toilette XXL en chêne, repérée
au dernier Salon Maison & Objet : « La Cabine » a été inventée par
les jeunes designers de La Fonction, à Roubaix, avec Line Art,
spécialiste du meuble de salle de bains en bois massif. Ouverte,
elle dévoile un lavabo en céramique, des tablettes en marbre,
moult rangements et deux miroirs. Fermée, elle dissimule l’éventuel désordre. Elle peut même tourner le dos au visiteur, faisant
apparaître une psyché.
La lumière est vive au­dessus du
lavabo pour se raser ou se ma­
quiller le matin, mais elle doit
pouvoir être tamisée ailleurs.
Eclairage intelligent, enceintes
intégrées dans les miroirs, bai­
gnoire ou douche gardant en mé­
moire le bain idéal (jets, débit et
température de l’eau) ? Ce n’est
plus de la science­fiction. « La
salle de bains sera bientôt le pôle
santé de la maison », promet Do­
minique Barué. « On prendra sa
température automatiquement,
on surveillera son rythme cardia­
que et on travaillera sa gym à tra­
vers un miroir connecté avec un
coach sportif… De fait, certains WC
japonais permettent déjà de réali­
ser des analyses d’urine. »
En attendant, le citadin s’offre
une pause nature, avec des becs
cascade ou des pommeaux
« ciel de pluie », dans lesquels sont
incrustés des LED qui diffusent
une lumière apaisante ou énergi­
sante. On insère dans le flexi­
ble une dosette, façon capsule de
« Un théâtre aux milles vies »
Les salles d’eau ouvertes sur la
chambre font la « une » des maga­
zines, mais Serge Lecat, président
du Salon Idéo Bain, convient que
peu de particuliers sont prêts à
dormir dans une pièce humide et
dépourvue d’intimité. « L’appar­
tement bourgeois avait été conçu
autour de la représentation, c’est­
à­dire des salons, et on collait la
salle de bains dans un coin, sou­
vent sans fenêtre. Désormais, c’est
un théâtre aux mille vies où, le ma­
tin, déboulent les enfants, avec
bruit et éclaboussures, et où, le soir
venu, une femme se maquillera
tranquillement avant de sortir.
C’est le lieu unique des retrou­
vailles avec le corps », résume la
designer Mathilde Bretillot.
Pour les Françaises, qui passent
quarante­six minutes par jour
dans la salle de bains, et les Fran­
çais, qui accordent trente et une
minutes à leur toilette, elle a eu
l’idée d’alcôves qui abritent la
douche ici, le coin gym là, la vas­
que rétro­éclairée là encore, et qui
s’ouvrent, chacune à leur tour, sur
l’appartement. « Il faut remettre la
salle de bains au centre de la cons­
truction », estime cette architecte
et scénographe d’espace. p
véronique lorelle
ENCHÈRES
Mobilier de légende
Artcurial mettra en vente, du
25 au 28 janvier 2015, le mobi­
lier de l’Hôtel de Paris­Mo­
naco, datant de 1864. Trois
mille lots sont proposés aux
enchères, comme le mobilier
des 130 chambres dont celui
de la suite Winston Churchill
ou celle de Sarah Bernhardt,
400 pièces de vaisselle de ser­
vice et du linge de bain brodé
aux initiales de l’hôtel. Le ca­
talogue sera disponible à par­
tir de décembre sur www.art­
curial.com
CRÉATION
Concours de bésicles
A quoi ressembleront les lu­
nettes de demain ? Voilà la
question sur laquelle de jeu­
nes étudiants en design vont
se pencher à l’occasion de la
10e édition du Concours in­
ternational du design, orga­
nisé par le Syndicat des lune­
tiers du Jura. Cette année,
c’est le thème «Fenêtre sur le
monde», qui devra inspirer
les futurs designers, tandis
que Carole Favart, responsa­
ble du service design Kansei
chez Toyot, succède à Ma­
thieu Lehanneur à la prési­
dence du jury. Au cours de
ses neuf premières éditions,
près de 6 500 jeunes créa­
teurs de 51 pays ont déjà con­
couru. www.design­jura.com
0123 | 23
0123
MARDI 7 OCTOBRE 2014
PLANÈTE | CHRONIQUE
par st é p han e foucart
L’amour
du risque (2/2)
A
insi, dans les repas de
famille,
on
ne
s’écharpe plus seule­
ment sur des ques­
tions de politique économique et
d’immigration, sur le mariage gay
ou la procréation médicalement
assistée. A ces sujets de discorde
s’en sont ajoutés d’autres ces der­
nières années. On s’affronte éga­
lement, et de manière croissante,
sur le gaz de schiste, le change­
ment climatique, les OGM, etc.
Avec, comme dénominateur
commun à ces passes d’armes, le
principe de précaution, inscrit
dans la Constitution française de­
puis 2005 et objet, depuis quel­
ques années, des plus extrava­
gants fantasmes.
Ce texte mérite­t­il de voir tant
de parlementaires se coaliser con­
tre lui ? Exige­t­il le « risque
zéro » ? Est­il ce redoutable frein à
l’innovation et à la créativité
scientifique et technique ? Est­il
la cause de tous nos maux ?
D’abord, avant d’être « pour ou
contre » le principe de précau­
tion, peut­être faut­il commencer
par être capable de l’énoncer. Or,
le fameux principe est un peu
comme le monstre du loch Ness :
il est capable de susciter une terri­
ble aversion sans qu’on soit vrai­
ment capable de dire à quoi il res­
semble.
L’examen des archives de la
presse quotidienne nationale et
des principaux hebdomadaires
est, à ce titre, éloquent. Parmi les
tribunes hostiles au fameux prin­
cipe, publiées au cours des quatre
dernières années, il a été impossi­
ble à l’auteur de ces lignes d’en
trouver une seule prenant la
peine de rappeler précisément en
quoi il consiste. Voici donc un
scoop à peu de frais, le voici tel
qu’inscrit dans la Constitution :
« Lorsque la réalisation d’un dom­
mage, bien qu’incertaine en l’état
des connaissances scientifiques,
pourrait affecter de manière grave
et irréversible l’environnement, les
autorités publiques veilleront, par
application du principe de précau­
tion et dans leur domaine d’attri­
bution, à la mise en œuvre de pro­
cédures d’évaluation des risques et
à l’adoption de mesures provisoi­
res et proportionnées afin de parer
à la réalisation du dommage. »
« C’est tout ? », est­on fondé à
demander, vu l’hostilité focalisée
ces derniers mois sur le malheu­
reux principe. Oui, c’est tout. Et, à
s’en tenir au texte, il est bien diffi­
cile d’y trouver à redire. Imagine­
t­on, comme exemple de bonne
gestion, que face à la possibilité
d’un « dommage grave et irréver­
sible », les autorités s’abstiennent
de mettre en œuvre des procédu­
res d’évaluation des risques et des
mesures « provisoires et propor­
tionnées » pour l’éviter ?
Inquiétude et écho médiatique
On pourra objecter que, si bénin
qu’il puisse paraître, son applica­
tion a pu être si maximaliste et
déraisonnable qu’elle aurait con­
duit à des dommages économi­
ques. Est­ce la réalité ? La Fabrique
de l’industrie – un think tank fi­
nancé par la fine fleur de l’indus­
trie française, coprésidé par Louis
Gallois (PSA) et Denis Ranque (Air­
bus Group) – a commis un groupe
de scientifiques et d’industriels
IGNORER
LES RISQUES
A EU UN COÛT
SUPÉRIEUR
À L’EXCÈS
DE PRÉCAUTION
LE PRINCIPE
DE PRÉCAUTION
EST
UN PRINCIPE
RAISONNABLE
chargés d’explorer, entre autres
choses, cette question. Le résultat
de ce travail est un bref opuscule,
remarquable par son souci des
faits et son esprit d’ouverture, qui
paraît ces jours­ci aux Presses des
Mines (Précaution et compétiti­
vité : deux exigences compati­
bles ?, par Alain Grangé­Cabane et
Brice Laurent). L’un des constats
tirés par le think tank, qui n’est
pas précisément un repaire d’éco­
lo­décroissants et de crypto­com­
munistes, est qu’« aucune loi à ce
jour n’a été déclarée inconstitu­
tionnelle sur la base du principe de
précaution » et que « son invoca­
tion par la jurisprudence reste pru­
dente et limitée ».
Le principe de précaution est
donc un principe raisonnable, rai­
sonnablement appliqué. Le pro­
blème, s’il y en a un, est donc
ailleurs. Selon le think tank, « ce
n’est pas le principe de précaution
au sens juridique du terme » qui
est en cause, mais « l’inquiétude
exprimée par des citoyens ou des
consommateurs devant certaines
technologies » qui « poussent les
politiques ou l’administration à
produire des règles qui sont pour
les industriels une source de con­
trainte et de coûts ». Cette inquié­
tude et l’écho médiatique qu’elle
rencontre sont le fait, ajoute le
think tank, d’« une perte de con­
fiance dans les institutions char­
gées de [la] protection » des ci­
toyens et des consommateurs.
En 2012, dans le second volet de
son rapport « Signaux précoces et
leçons tardives », l’Agence euro­
péenne de l’environnement (EEA)
a rassemblé quatre­vingt­huit cas
d’école historiques, ayant été con­
sidérés par certains commenta­
teurs comme de « fausses aler­
tes », c’est­à­dire des situations
dans lesquelles l’alarme donnée
était trompeuse ou exagérée. En
réalité, l’analyse conduite avec le
recul du temps montre que seuls
quatre cas, parmi les quatre­
vingt­huit examinés, ont vu des
mesures coûteuses et injustifiées
être prises : la vaccination de
masse, en 1976 au Etats­Unis, con­
tre la grippe porcine, ou encore
l’obligation d’étiquetage de la sac­
charine, etc.
Dans une trentaine de cas, la
réalité des risques n’est toujours
pas tranchée, mais au total, selon
l’EEA, ignorer les risques a eu un
coût économique et humain très
largement supérieur à l’excès de
précaution. Le principe honni
n’est donc en réalité guère plus
qu’un symbole, brandi dans quel­
ques situations où les enjeux po­
litiques et idéologiques sont sou­
vent plus prégnants que les en­
jeux sanitaires ou environne­
mentaux.
A voir l’altération rapide du cli­
mat terrestre, la dégradation à
grande échelle des océans ou
l’érosion actuelle de la biodiver­
sité – on apprenait la semaine
dernière, dans le dernier rapport
du WWF, que les populations sau­
vages de vertébrés se sont rédui­
tes de moitié au cours des qua­
rante dernières années –, il est
permis de se demander par quelle
sorte de miracle des parlementai­
res ou des commentateurs peu­
vent encore penser sérieusement
que notre principal problème est
l’excès de précaution. p
foucart@lemonde.fr
Tirage du Monde daté dimanche 5­lundi 6 octobre : 355 438 exemplaires
ISRAËL
COMPROMET
LA CRÉATION
D’UN ÉTAT
PALESTINIEN
B
enyamin Nétanyahou passe pour
être un homme politique de statu
quo. Quand il s’agit de la recherche
de la paix, le premier ministre israélien
n’aurait qu’un programme : geler la situa­
tion en l’état, enterrer politiquement toute
tentative de négociation sérieuse avec les
Palestiniens. Rien n’est plus inexact.
M. Nétanyahou vient encore de prouver
qu’il avait un programme, poursuivi avec
assiduité : développer sans cesse plus avant
les implantations israéliennes en Cisjorda­
nie et dans la partie arabe de Jérusalem.
Autrement dit, empêcher physiquement la
possibilité d’un Etat palestinien.
La semaine dernière, le gouvernement de
droite que dirige « Bibi » Nétanyahou a
donné son accord à la construction de
2 610 unités de logement dans une partie
très disputée de Jérusalem­Est. Cette nou­
velle implantation rendra très difficile, si­
non impossible, d’aller vers un règlement
de paix fondé sur la solution dite « des
deux Etats» : un Etat palestinien aux côtés
d’Israël.
L’ensemble prévu va séparer les Palesti­
niens de Jérusalem du reste de la Cisjorda­
nie, brisant la continuité entre la Ville
sainte et le territoire qui pourrait accueillir
l’essentiel d’un Etat palestinien.
L’annonce de ce programme immobilier
est intervenue mercredi 1er octobre, le jour
même où M. Nétanyahou, de retour de l’As­
semblée générale de l’ONU, à New York,
était reçu à Washington par le président Ba­
rack Obama. Il n’est rien sorti de cet entre­
tien, sinon un communiqué rageur de la
Maison Blanche dénonçant la dernière dé­
cision du gouvernement israélien. Celle­ci
« empoisonne l’atmosphère » et « conduit à
s’interroger sur la sincérité de l’engagement
d’Israël à arriver à un règlement négocié, pa­
cifique, avec les Palestiniens », a dit la prési­
dence américaine.
La Maison Blanche aura rarement con­
damné aussi clairement la politique du
gouvernement Nétanyahou. Elle avait im­
plicitement déjà reconnu que la colonisa­
tion continue était à l’origine de la rupture,
en avril, de la médiation entre Israéliens et
Palestiniens à laquelle le secrétaire d’Etat,
John Kerry, s’est efforcé durant neuf mois.
Deux jours plus tôt, à l’ONU, le premier
ministre avait assimilé le Hamas au groupe
djihadiste dit « Etat islamique » – une ma­
nière d’exclure à l’avance toute possibilité
de négociation entre Israël et un gouverne­
ment palestinien d’unité représentant à la
fois le Fatah et le Hamas. Il avait aussi fait
part de toute sa méfiance à l’égard des né­
gociations nucléaires en cours avec l’Iran
– qualifié d’un des pays les plus dangereux
du monde.
Sans doute était­ce là sa manière de ré­
pondre à M. Obama qui, quelques jours
plus tôt à la même tribune, avait fait cette
remarque attristée : « La violence qui sub­
merge aujourd’hui la région [le Moyen­
Orient] conduit trop d’Israéliens à abandon­
ner le difficile chemin de la paix [avec les Pa­
lestiniens]. Ce devrait être un sujet de
réflexion en Israël. »
Benyamin Nétanyahou est assuré d’un
soutien sans faille au Congrès américain,
notamment du côté des républicains.
Ceux­là s’apprêtent à élargir encore leur
majorité à la Chambre des représentants et
peut­être à gagner le Sénat lors du scrutin
législatif de mi­mandat, le 4 novembre. Le
premier ministre profite de la faiblesse de
Barack Obama. p
Pour paraphraser ce dernier, cela devrait
être un sujet de réflexion à la Maison Blan­
che. p
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