SCIENCE & MÉDECINE BURULI : L’ULCÈRE DE L’AFRIQUE SUPPLÉMENT → Mercredi 17 février 2016 72e année No 22111 2,40 € France métropolitaine www.lemonde.fr ― Fondateur : Hubert BeuveMéry Directeur : Jérôme Fenoglio Aux origines des attaques du 13 novembre En grande difficulté, EDF appelle l’Etat à l’aide ENQUÊTE ▶ Le bénéfice net d’EDF a ▶ EDF n’est pas en mesure ▶ Il faut « purger l’excédent ▶ Le PDG demande à été divisé par trois en 2015, à 1,2 milliard. L’horizon est très incertain et le groupe n’a pas, pour l’heure, les moyens de ses ambitions d’investir les 51 milliards nécessaires pour moderni ser ses centrales françaises et être un acteurclé de la transition énergétique de capacités en Europe », explique JeanBernard Lévy, alors que la chute des prix rend « l’équation financière d’EDF difficile » l’Etat, son premier action naire, « un rattrapage sur les tarifs réglementés des particuliers » → LIR E LE C A HIE R É CO PAGE 3 Des liens semblent évidents entre l’attentat du Caire, où une lycéenne française avait perdu la vie en 2009, le projet d’attaque du Bataclan la même année, la fusillade envisagée contre une église de Villejuif en mars 2015 et la tuerie du 13 novembre. Trois avocats de victimes ont demandé le versement de ces anciennes affaires à l’enquête sur les attentats de Paris. Un dossier hanté par un lieu, le Bataclan, et un prédicateur, Fabien Clain. → LIR E PAGE 8 POLITIQUE L’ODYSSÉE INACHEVÉE D’EMMANUEL MACRON Ave, George ! ▶ Clooney joue un acteur de péplum alcoolique et infidèle dans « Ave, César ! », le dernier film des frères Coen, parodie de l’âge d’or des studios hollywoodiens → LIR E NOTRE-DAME-DES-LANDES L’IMPOSSIBLE RÉFÉRENDUM ▶ Egalement dans les salles cette semaine, un subtil marivaudage d’Hang Sangsoo, « Un jour avec, un jour sans » → LIR E PAGE 9 → LIR E PAGE 7 PAGE S 1 6 À 1 9 GUERRE DE L’ORTHOGRAPHE, ANGOISSE EXISTENTIELLE → LI R E P A G E 22 George Clooney. ALISON ROSA/UNIVERSAL PICTURES REPORTAGE RÉFUGIÉS : LE GRAND RETOURNEMENT DE LA SUÈDE par jean-baptiste chastand nyköping (suède) - envoyé spécial I ls se sont installés dans un coin discret de la petite salle qui sert d’espace de vie commun aux réfugiés. Lars Wallin, 73 ans, et sa femme Siv, 72 ans, sont venus ce samedi aprèsmidi au camping de Nyköping, une petite ville de 50 000 habitants située à 100 kilomètres au sud de Stoc kholm, pour proposer aux demandeurs d’asile de venir partager un repas chez eux. « Ce serait bien qu’ils viennent un jour où nos petits-enfants sont là », glisse Siv, une ancienne principale de collège, en regardant les réfugiés et leurs enfants préparer dans une bonne humeur communicative des semlor, ces beignets à la crème que les Suédois dé vorent pour mardi gras. Lars et Siv incarnent cette générosité suédoise qui a fait du pays la terre d’asile privilégiée de nombreux réfugiés. Avant que la Suède ne décide brutalement de fermer ses portes au début de l’année, sous le poids du nom bre et de l’influence de l’extrême droite. → LIR E L A S U IT E PAGE 2 UNE PÉPITE. PASSIONNANT. MAGNIFIQUE. Télérama Première L’Express FESTIVAL DE CANNES PRIX DE L’AVENIR UN CERTAIN REGARD LE REGARD DE PLANTU CONSEIL CONSTITUTIONNEL LAURENT FABIUS SE RÉSIGNE À ABANDONNER LA COP21 → LIR E un film de Ida Panahandeh PAGE 7 SYRIE NOUVEAU BOMBARDEMENT D’UN HÔPITAL DE MSF → LIR E PAGE 6 Algérie 200 DA, Allemagne 2,80 €, Andorre 2,60 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,40 €, Cameroun 2 000 F CFA, Canada 4,75 $, Côte d'Ivoire 2 000 F CFA, Danemark 32 KRD, Espagne 2,70 €, Espagne Canaries 2,90 €, Finlande 4,00 €, Gabon 2 000 F CFA, Grande-Bretagne 2,00 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique 2,60 €, Guyane 3,00 €, Hongrie 990 HUF, Irlande 2,70 €, Italie 2,70 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,40 €, Malte 2,70 €, Maroc 15 DH, Pays-Bas 2,80 €, Portugal cont. 2,70 €, La Réunion 2,60 €, Sénégal 2 000 F CFA, Slovénie 2,70 €, Saint-Martin 3,00 €, Suisse 3,60 CHF, TOM Avion 480 XPF, Tunisie 2,80 DT, Turquie 11,50 TL, Afrique CFA autres 2 000 F CFA 2 | international 0123 MERCREDI 17 FÉVRIER 2016 Un jeune réfugié dans le camping de Nyköping, qui accueille 46 demandeurs d’asile, le 6 février. LOULOU D’AKI POUR « LE MONDE » Réfugiés : le grand retournement suédois Alors que le royaume scandinave durcit sa politique vis-à-vis des droits des demandeurs d’asile, l’extrême droite monte dans les sondages et de nombreux Suédois se sentent déboussolés suite de la première page Comme quatre autres lieux à Nyköping, le camping de la plage a été transformé dans l’urgence à l’automne 2015 pour accueillir des réfugiés pour l’hiver. Quarante-six d’entre eux – sur les 1 000 arrivés dans la commune – sont désormais hébergés dans quelques huttes en bois situées au milieu des pins, face à la mer. Björn Littmarck, le responsable de l’accueil des réfugiés dans la commune, est fier de la façon dont les habitants de sa ville se sont mobilisés cet automne, à une époque où la Suède était encore un pays massivement ouvert aux réfugiés. « Cela a été fantastique : ils sont venus apporter par dizaines des vêtements pour l’hiver, donner des cours de suédois ou jouer au football », se souvient, encore ému, le fonctionnaire. Nyköping n’est qu’une petite ville de Suède, mais la solidarité qui s’y est manifestée est emblématique de la mobilisation des Suédois pour accueillir et aider, en 2015, les 164 000 réfugiés arrivés dans le pays. Un flot énorme pour un pays au territoire étendu mais peuplé de moins de 10 millions d’habitants. CAPACITÉS D’HÉBERGEMENT À BOUT La Suède en a-t-elle trop fait ? A l’automne, débordées, les municipalités en première ligne aux frontières du pays et l’office de l’immigration – l’agence qui s’occupe de trouver et de financer des places d’hébergement dans tout le pays – tirent la sonnette d’alarme. Les capacités d’hébergement sont saturées, des milliers de réfugiés passent les nuits dehors, les bénévoles et les fonctionnaires ne dorment plus, les migrants ne sont plus enregistrés : le système d’asile suédois explose. « Il était prévu pour 5 000 réfugiés par mois, on en avait 2 000 par jour », résume George Joseph, coordinateur de l’aide aux réfugiés chez Caritas. A Nyköping, « la plupart des écoles et des hôtels vides de la ville ont été transformés en centre d’accueil, rappelle M. Littmarck, de la mairie. Même si l’office de l’immigration nous le demande, on ne pourra en prendre que quelques-uns cette année ». Le 24 novembre, après des semaines de tergiversations, le premier ministre social-démocrate, Stefan Löfven, et sa vice-première ministre Verte, Asa Romson, annoncent une décision spectaculaire : le pays renonce à sa longue tradition d’asile. La Suède rétablit les contrôles systématiques d’identité aux frontières. Et prévoit un durcissement des droits des demandeurs d’asile. « La législation va être adaptée aux standards minimaux prévus par les directives européennes », indique M. Löfven, dans une déclaration sidérante pour un pays qui, depuis les années 1970, a fait de la défense des droits de l’homme une valeur fondamentale. Son alliée, Asa Romson, est en larmes. Pour les Verts, renoncer à cette tradition de « superpuissance humanitaire » est particulièrement difficile à digérer. « J’ai été très surprise, c’était inimaginable », se souvient Siv, qui a toujours voté pour ce parti. Mais y avait-il une autre solution ? Très prudemment, elle convient « qu’il y a des limites ». « Il y a une grosse pression sur la société et on n’avait pas les capacités de tous les héberger. Surtout si on veut leur donner à tous un bon futur… En fait, on est un peu perdus », avoue-t-elle. Le projet de loi, qui doit être présenté au Parlement dans les prochaines semaines, prévoit de donner presque uniquement des permis de résidence temporaires et de limiter le regroupement familial. Le gouvernement a par ailleurs annoncé qu’il ex- pulserait sans état d’âme les dizaines de milliers de réfugiés qui recevront probablement une réponse négative. Un brutal changement d’ambiance, même si le texte ne devrait normalement être appliqué que pour deux ans. « Les politiques discutent de tellement de choses profondément non suédoises, telle que l’idée de limiter l’accès aux aides sociales pour les réfugiés », regrette George Joseph, de Caritas. « Beaucoup de Suédois ne se reconnaissent plus dans la Suède d’aujourd’hui, abonde Daniel Poohl, rédacteur en chef de la revue Expo, le journal fondé par l’écrivain Stieg Larsson pour lutter contre l’extrême droite. Il y a ceux qui trouvent qu’il y a des migrants partout et craignent pour leur identité, et ceux qui sont attachés aux valeurs fondamentales d’ouverture de la Suède, à son rôle de superpuissance humanitaire, et qui ne se reconnaissent pas dans la politique du gouvernement. » FAIRE SAUTER LE « CORDON SANITAIRE » « BEAUCOUP DE SUÉDOIS NE SE RECONNAISSENT PLUS DANS LA SUÈDE D’AUJOURD’HUI » DANIEL POOHL rédacteur en chef de la revue « Expo » Celui-ci a certes réussi à réduire le flot de réfugiés – ils ne sont plus que 100 en moyenne à arriver chaque jour dans le pays –, mais ses atermoiements et ses divisions internes l’ont fait plonger à un niveau historiquement bas dans les sondages. Minoritaires au Parlement, les sociaux-démocrates n’ont jamais été aussi faibles dans l’histoire politique de la Suède et se voient désormais talonnés par l’extrême droite. Depuis ses bureaux situés au-dessus de la boutique du groupe de rock viking Ultima Thule, connu pour sa proximité avec l’extrême droite, Thom Zetterström, responsable du parti des Démocrates de Suède (SD) à Nyköping, salue avec ironie « les bonnes décisions prises par le gouvernement, même si c’est beaucoup trop tard ». « Depuis qu’ils font ce qu’on leur a dit de faire, ils ne peuvent plus nous reprocher nos idées, ça a cassé la glace », ajoute celui qui se souvient encore des quolibets reçus quand il a adhéré au SD. Comme ses dirigeants, il espère bien désormais profiter du retournement suédois pour faire sauter le « cordon sanitaire » qui empêchait jusqu’ici son parti de gouverner. L’extrême droite veut toutefois aller plus loin. Pour le parti SD, il faudrait fermer totalement les frontières et renvoyer tous les réfugiés, ceux-ci étant passés par des « pays sûrs » avant d’arriver en Suède. Le parti SD dénonce aussi le budget considérable – 4,3 milliards d’euros – prévu pour héberger les réfugiés en 2016. Mais plus que ces arguments budgétaires, le parti surfe sur les doutes de la société suédoise. Dans un pays qui a fait du féminisme une autre de ses valeurs fondamentales, le comportement de certains réfugiés inquiète, surtout depuis les agressions du Nouvel An à Cologne. Comme en Allemagne, la police et les médias ont été accusés d’avoir tu l’origine étrangère d’agresseurs sexuels lors de festivals. Un homme en particulier focalise les critiques. Dan Eliasson, le chef de la police suédoise, un fonctionnaire tolérant qui n’a jamais caché son hostilité envers l’extrême droite. Depuis qu’il a appelé les Suédois à se montrer compréhensifs « sur les circonstances dans lesquelles a grandi » un jeune réfugié qui a poignardé son éducatrice dans un foyer pour mineurs, les responsables du parti SD demandent sa démission. En plus de sa percée dans les sondages, l’extrême droite a fait sa réapparition dans la rue. Les attaques contre les centres de réfugiés se multiplient et, le 29 janvier, des dizaines de hooligans ont fait une descente dans le centre de Stockholm pour s’en prendre aux adolescents d’origine maghrébine accusés d’alimenter la délinquance. Du jamais-vu depuis les années 1990. Le lendemain, une manifestation a réuni quelques centaines de personnes, dont des représentants de groupuscules radicaux d’extrême droite. Si le parti SD avait officiellement appelé ses membres à s’en tenir éloignés, plusieurs cadres locaux, comme Thom Zetterström, y ont participé. « L’atmosphère a énormément changé », constate M. Joseph, de Caritas. Sur son portable, il ne cesse de recevoir des appels anonymes de Suédois lui reprochant de défendre « l’islamisation » du pays. « Quand je suis arrivé, en 1991, l’extrême droite obtenait 4 % des voix et les autres partis quittaient les plateaux télé quand leur représentant arrivait », se souvient de son côté Temmam Asbai, président de l’Association des musulmans de Suède, un ancien réfugié de la Tunisie de Ben Ali. Tout cela lui semble bien loin. « Aujourd’hui, beaucoup de partis ont repris les idées des Démocrates de Suède parce qu’ils pensent que c’est comme ça qu’ils peuvent gagner des voix. » p jean-baptiste chastand international & europe | 3 0123 MERCREDI 17 FÉVRIER 2016 Migrants: les Européens tentent d’apaiser les tensions Le groupe de Visegrad atténue son discours avant le Conseil européen des 18 et 19 février LES CHIFFRES prague - correspondant bruxelles - bureau européen L es dirigeants européens essaient d’aplanir leurs différences sur la ques tion des réfugiés, avant le Conseil européen des jeudi 18 et vendredi 19 février à Bruxelles. Juste avant, un mini-sommet devrait réunir, jeudi à midi, dix pays. L’Allemagne, l’Autriche, la Suède, mais aussi la Grèce, la Hongrie et probablement la France, entre autres, se réuniront pour évoquer avec les dirigeants turcs l’exode de nouveaux réfugiés syriens après les bombardements sur Alep. « Des signes nous indiquent qu’un nouvel afflux massif est possible », explique une source ministérielle. La veille, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, doit recevoir à dîner les dirigeants des Balkans pour évoquer la route migratoire empruntée par la plupart des réfugiés. Enfin, la Grèce, sous la menace d’une expulsion de Schengen, essaie de montrer qu’elle est déterminée à agir pour ralentir les flux migratoires et mieux les contrôler. Athènes a annoncé mardi que quatre « hot spots » (sur les cinq centres de tris et d’accueil prévus) sont « prêts à fonctionner et à accueillir les réfugiés ». Les quatre pays du groupe de Visegrad (Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie) ont essayé de faire preuve de diplomatie pour défendre leur position hostile à la politique de la chancelière allemande, Angela Merkel, qu’ils jugent trop généreuse à l’égard des réfugiés. Lundi 15 février, à Prague, à l’occasion du 25e anniversaire de ce « V 4 », ils ont tenté de réparer leur réputation de partenaires récalcitrants. Peut-être parce qu’à Bruxelles court la rumeur de mesures de rétorsion financière : « Le débat sera abordé si tous les pays ne s’engagent pas pour résoudre une crise humanitaire, car la solidarité est indivisible », résumait, lundi, un haut responsable de l’Union. Les quatre dirigeants se sont efforcés de prouver que leur position 79 % des Européens en faveur de la répartition des réfugiés Une écrasante majorité des Européens se déclarent favorables à une répartition équitable des réfugiés entre les pays de l’Union européenne (UE), selon une étude de la fondation allemande Bertelsmann, menée sur un échantillon représentatif de 11 410 citoyens de l’UE interrogés en décembre 2015, et publiée mardi 16 février. Les Européens des nouveaux Etats membres (54 %) sont toutefois bien moins nombreux à y être favorables que ceux des anciens (85 %). 87 % De gauche à droite, la première ministre polonaise, Beata Szydlo, le premier ministre hongrois, Viktor Orban, le chef du gouvernement tchèque, Bohuslav Sobotka et le président du gouvernement slovaque, Robert Fico. DAVID WCERNY/REUTERS commune n’était dirigée contre aucun pays de l’Union ni contre les efforts de Bruxelles de définir une politique commune. « La crise des migrants n’a pas d’autre solution qu’une solution européenne », a souligné l’hôte de la rencontre, Bohuslav Sobotka, chef du gouvernement tchèque, la voix la plus modérée du groupe de Visegrad. « Plan B » Les participants de la réunion, à laquelle avaient aussi été conviés le président macédonien, Gjorge Ivanov, et le premier ministre bulgare, Boïko Borissov, ont adopté une déclaration appelant l’UE et la Turquie à « réaliser rapidement les termes de l’accord signé » pour éviter le départ de migrants et à aider la « Grèce à remplir les conditions de son appartenance à l’espace « La crise des migrants n’a d’autre solution qu’européenne » BOHUSLAV SOBOTKA chef du gouvernement tchèque Schengen ». Ils ont également demandé à l’Europe de soutenir davantage les efforts de la Bulgarie et de la Macédoine pour contrôler leurs frontières. Beata Szydlo, première ministre polonaise, a assuré qu’un « plan B » éventuel, à savoir la construction d’un mur aux frontières gréco-bulgare et gréco-macédonienne, ne ciblait aucun pays. Cela isolerait pourtant Athènes. Le chef du gouvernement hongrois, Viktor Orban, qui représente la ligne dure, a surtout souligné que le « renforcement de la ligne secondaire » passait par l’intégration « indispensable et méritée » de la Bulgarie dans l’espace Schengen. Finalement, seul le Slovaque Robert Fico, qui a parlé en dernier, a haussé le ton. « Nous espérons que nos amis grecs nous surprendrons agréablement, mais je doute fort qu’ils y parviennent », a-t-il déclaré, confirmant son refus d’accueillir le moindre réfugié. Il a d’ailleurs attaqué, devant la Cour européenne de justice, le plan de relocalisation de 160 000 réfugiés adopté par le Conseil, et le leitmotiv de sa campagne pour les législatives, qui se dérouleront le 5 mars dans son pays, est : La Pologne envisage de déchoir de l’ordre du Mérite un historien de la Shoah Les thèses de Jan T. Gross sur l’antisémitisme polonais sont régulièrement dénoncées par le PiS varsovie - correspondance D epuis le retour au pouvoir des ultraconservateurs du PiS (parti Droit et Justice) en Pologne, à l’automne 2015, la bataille de la mémoire, toujours vive dans le pays, est repartie de plus belle. Le président Andrzej Duda envisage de retirer l’ordre national du Mérite au sociologue et historien polono-américain Jan Tomasz Gross, professeur à Princeton et spécialiste des questions liées à l’Holocauste. « Le président a envoyé au ministère des affaires étrangères une demande d’avis à ce sujet, et nous sommes dans l’attente de sa réponse, précise Marek Magierowski, le porte-parole du président. Aucune décision n’est encore prise. » Jan T. Gross avait été décoré en 1996 pour son action dans l’opposition au communisme – membre actif du mouvement estudiantin de 1968, il avait dû quitter le pays l’année suivante – ainsi que pour ses travaux d’historien. En 2001, il s’est retrouvé au centre d’une controverse après la publication de son livre Les Voisins : 10 juillet 1941, un massacre de juifs en Pologne (Fayard, en 2002), des Européens en faveur d’une sécurisation commune des frontières extérieures Les Européens se déclarent aussi favorables à une sécurisation commune des frontières extérieures et à un maintien de la liberté de circulation au sein de l’espace Schengen (79 %). dans lequel il décrivait le pogrom de près de 1600 juifs par des citoyens polonais dans le village de Jedwabne, sous occupation allemande. Le livre avait fait l’objet d’un vif débat en Pologne, avant que l’Institut de la mémoire nationale (IPN) ne vienne confirmer, avec quelques nuances, les postulats de Gross. Depuis cette date, Jan T. Gross est une cible récurrente des conservateurs polonais, qui voient en lui le promoteur de thèses « anti-polonaises ». En octobre 2015, l’historien avait suscité une nouvelle polémique en qualifiant d’« intolérants, antilibéraux et xénophobes » les pays d’Europe centrale qui refusaient les quotas migratoires européens. Selon lui, ce refus trouvait sa source dans la relation ambiguë des pays d’Europe centrale au génocide des juifs : cette thèse a été assez largement condamnée dans les milieux intellectuels polonais, même parmi ses habituels partisans. « Les Polonais, fiers à juste titre de leur mouvement de combat contre le nazisme, ont durant la guerre tué davantage de juifs que d’Allemands », est-il allé jusqu’à écrire dans les colonnes du quotidien allemand Die Welt. Le gouvernement libéral de la Plateforme civique avait alors dénoncé un texte « mensonger, nuisible historiquement, et offensant pour la Pologne ». L’initiative du président Duda semble être la conséquence de cette dernière polémique. Mais pour le politologue Aleksander Smolar, « le dernier article de Gross ne semble être qu’un prétexte pour remettre en cause ses travaux passés, qui eux sont beaucoup moins discutables ». Victimes et bourreaux Le 13 février, Jan T. Gross a reçu le soutien de vingt-cinq universitaires polonais de renom. « La reprise de l’ordre du mérite serait un signal dangereux pour la liberté du travail scientifique et une réglementation politique de la liberté de parole », écrivent-ils dans une tribune du quotidien Gazeta Wyborcza. L’historien américain Timothy Snyder, décoré du même titre que Jan T. Gross, s’est joint à la vague de soutien. « S’ils reprennent à Gross son Ordre, je rendrai aussi le mien », a-t-il écrit sur Twitter. L’affaire ravive en Pologne le débat autour de la politique historique du pays et de la question juive. Comme l’explique Aleksander Smolar, « le sort des juifs de Pologne pose un défi à l’identité nationale des Polonais, dont la narration tend à souligner qu’ils ont été en permanence les victimes innocentes de l’Histoire. Elle n’envisage pas que dans certains cas, les victimes puissent aussi avoir été des bourreaux. » Selon lui, sur ces questions, « un travail important a été effectué ces vingt dernières années, par des historiens, des artistes, certains politiques, mais il s’avère encore insuffisant. » L’anthropologue Joanna Tokarska-Bakir, spécialiste des questions judéo-polonaises, déplore pour sa part que ce travail « n’a eu aucune répercussion sur le système d’enseignement ou d’éducation civique, ce qui créé un terreau propice à la remise en cause de travaux historiques sérieux. » L’affaire inquiète d’autant plus que le ministère de la justice polonais prépare un projet de loi qui donne la possibilité à l’Etat de poursuivre en justice certaines « atteintes à la réputation de la Pologne et du peuple polonais. » Un délit qui serait puni d’une peine allant jusqu’à cinq années de prison. p jakub iwaniuk « Nous ne voulons pas de communauté étrangère. » M. Fico a aussi souhaité que le groupe de Visegrad soit « le moteur » du Conseil européen car, dit-il, « il semble que certains dirigeants européens vivent en dehors de la réalité ». Le dirigeant populiste a enfin reproché à l’Allemagne d’avoir « invité les migrants ». A Bruxelles, où se tenait parallèlement une réunion des ministres des affaires étrangères, on a minimisé la teneur de cette rencontre. « Je pense qu’il n’y a pas de réelle unanimité au sein du groupe de Visegrad », affirmait quant à lui le ministre belge Didier Reynders, en soulignant toutefois la nécessité d’une traduction dans les faits des décisions déjà prises pour éviter « les décisions individuelles de certains Etats membres ». Le Luxembourgeois Jean Asselborn égrène la liste de ces mesures urgentes qui devraient être prises afin de préserver l’espace Schengen et, en même temps, d’appliquer le plan de relocalisation de 160 000 réfugiés : le contrôle par la Grèce (mais aussi l’Italie) de tous les arrivants, une politique de retour conduite par Frontex, l’agence européenne de surveillance des frontières pour les déboutés du droit d’asile et une réunion de tous les ministres de l’intérieur et de l’immigration avec la Commission. « Cette discussion viserait à déterminer ce qu’on pourrait faire, ce qu’on devrait faire et les conséquences négatives de ce qu’on ne ferait pas », explique-t-il. p BI ÉLOR USS I E L’UE lève ses sanctions contre Minsk L’Union européenne (UE) a levé, lundi 15 février, les sanctions économiques imposées depuis plusieurs années à la Biélorussie, justifiant sa décision par l’amélioration de la situation des droits de l’homme dans ce pays, proche allié de Moscou. Les sanctions avaient déjà été suspendues à la fin octobre 2015 à titre provisoire, pour une période de quatre mois, après le bon déroulement de l’élection présidentielle, la libération de prisonniers politiques et l’organisation par Minsk de pourparlers de paix sur l’Ukraine. L’UE a changé de stratégie à l’égard de la Biélorussie après l’annexion de la Crimée par la Russie et le début du conflit en Ukraine, voyant en Alexandre Loukachenko, le président biélorusse, un possible frein à l’agressivité russe dans cette région. – (AFP.) C AMER OU N L’armée annonce avoir tué 162 djihadistes L’armée camerounaise a annoncé, lundi 15 février, avoir tué 162 djihadistes lors d’une incursion dans un bastion de l’organisation Etat islamique en Afrique de l’Ouest, anciennement connue sous le nom de Boko Haram, selon Radio France internationale. Les combats se sont déroulés en- martin plichta et jean-pierre stroobants tre le 11 et le 14 février en territoire nigérian, à une vingtaine de kilomètres de la frontière avec le département camerounais du Logone-etChari. L’opération aurait permis la destruction d’engins explosifs et d’éléments de l’arsenal militaire du groupe djihadiste et serait la plus importante offensive menée par Yaoundé contre les djihadistes opérant dans la région. R OYAU ME- U N I Pas de percée dans les négociations pour empêcher le « Brexit » Les négociations pour le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne se sont intensifiées, lundi 15 février sans percer, malgré une visite surprise à Paris de David Cameron. L’entretien, dans la soirée, du premier ministre britannique avec François Hollande n’a pas aplani les divergences entre Londres et Paris. Il reste « encore du travail » à effectuer, « en particulier sur la gouvernance économique », a indiqué l’entourage du président français. Peu avant, Donald Tusk, président du Conseil européen, avait fait monter la pression en estimant que l’UE était à « un moment crucial ». « Le risque d’un éclatement est réel », a-t-il ajouté. « Nous avons fait des progrès [dans les négociations], mais il reste des détails à régler », a souligné de son côté Downing Street. – (AFP.) 4 | international 0123 MERCREDI 17 FÉVRIER 2016 Au Chiapas, le pape prend la défense des Indiens Au Mexique, François a appelé à « faire un examen de conscience » REPORTAGE san cristobal de las casas (mexique) - envoyé spécial A ntonio Luna Mendez a revêtu son manteau d’apparat en laine d’agneau noir pour assister, lundi 15 février, à la messe célébrée par le pape François dans la ville de San Cristobal de las Casas, au sud du Mexique. « Francisco nous respecte », se félicite ce Tzeltal quinquagénaire dans un espagnol approximatif. Comme lui, des milliers d’Indiens sont descendus des montagnes de l’Etat du Chiapas pour écouter le plaidoyer du pape en faveur du respect des VERBATIM “ Souvent, de manière systématique et structurelle, vos peuples ont été incompris et exclus de la société. Certains ont jugé inférieures vos valeurs, votre culture et vos traditions. D’autres, étourdis par le pouvoir, l’argent et les lois du marché, vous ont dépossédés de vos terres ou ont posé des actes qui les polluent. C’est si triste ! Que cela nous ferait du bien, à tous, de faire un examen de conscience et d’apprendre à dire : pardon ! (…) Les jeunes d’aujourd’hui, exposés à une culture qui essaie de supprimer toutes les richesses et caractéristiques culturelles en vue d’un monde homogène, ont besoin que la sagesse de leurs anciens ne se perde pas ! » cultures et des terres indigènes. L’enjeu est de taille pour le pape, dans une région où l’Eglise catholique perd du terrain face aux protestants et aux évangéliques. C’est au son de marimbas que le pape a été accueilli par des dizaines de milliers de fidèles dans le complexe sportif de San Cristobal de las Casas, où 75 % des 160 000 habitants sont indiens. « Vos peuples ont été incompris et exclus de la société », a déclaré le pontife argentin, qui portait une mitre et une étole brodées de motifs indigènes. Sous une immense nef en plein air, il a appelé à « faire un examen de conscience » sur la condition des peuples indigènes. « Certains ont jugé inférieures vos valeurs, votre culture et vos traditions. D’autres, étourdis par le pouvoir, l’argent et les lois du marché, vous ont dépossédés de vos terres. » Dans la continuité de son discours prononcé en Bolivie en 2015, le pape a appelé à « demander pardon » aux peuples indigènes marginalisés depuis des siècles. « Crise environnementale » Enoncée devant une grande réplique de la façade baroque de la cathédrale de cette ville coloniale, son homélie a été accueillie avec émotion par la foule, composée en grande partie d’Indiens. Le Chiapas en compte la plus forte concentration (27 % de la population) dans un pays où 68 peuples indigènes représentent 16,9 millions de Mexicains (15,1 % de la population). C’est dans cette région montagneuse qu’en 1994, l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN), menée par le sous-com- Le pape François salue la foule après la messe célébrée à San Cristobal de las Casas, au Chiapas, lundi 15 février. EDUARDO VERDUGO/AP mandant Marcos, s’était soulevée pour défendre les droits des Indiens. Vingt-deux ans plus tard, les trois quarts de la population du Chiapas restent pauvres. Coiffé d’un chapeau tzotzil avec des rubans multicolores, José Diaz, paysan de 42 ans, remarque que « c’est la première fois qu’un pape défend à la fois les pauvres et la “Madre Tierra” (terre mère) ». Dans son homélie, le souverain pontife a tiré le signal d’alarme : « Nous ne pouvons plus faire la sourde oreille face à l’une des plus grandes crises environnementales de l’histoire. » Célébrée devant un Christ noir placé à côté de la Vierge métisse de la Guadalupe et de sculptures de jaguars, sa messe de carême comportait de nombreuses lectures et chants liturgiques en langues indiennes. A la fin de la cérémonie, le pape s’est vu remettre par deux prêtres jésuites des Bibles traduites en tzeltal et en tzotzil. Un décret du Vatican vient d’autoriser l’utilisation des langues autochtones dans la liturgie. « Il était temps de mieux reconnaî- « Il était temps de mieux reconnaître les peuples indigènes, qui tournent le dos à l’Eglise » ALBA MAYELA sœur franciscaine tre les peuples indigènes, qui tournent le dos à l’Eglise », commente Alba Mayela, sœur franciscaine d’une congrégation située à une quarantaine de kilomètres au nord de San Cristobal de las Casas. Seuls 58 % des habitants du Chiapas se déclarent catholiques, contre 83 % au niveau national. « Les Indiens sont déçus par le clergé traditionnel, qui a longtemps privilégié les classes favorisées de la société, évitant notamment d’introduire des éléments culturels indigènes dans les messes, explique Bernardo Barranco, spé- Thaïlande : l’armée accusée de torture « systématique » dans le Sud insurgé Selon un rapport, le recours à la violence s’est accru depuis le coup d’Etat de 2014 bangkok correspondant en Asie du Sud-Est P assages à tabac, suffocations, waterboarding (simulation de noyade) et simulacres d’exécution de personnes soupçonnées de liens avec les insurgés des trois provinces à majorité musulmane du « Grand Sud » thaïlandais : dans un rapport, trois groupes de défense des droits de l’homme thaïlandais accusent l’armée de recours « systématique » à la torture dans les provinces troublées de Pattani, Yala et Narathiwat. « Les cas de torture ont augmenté depuis la prise de pouvoir par l’armée lors du coup d’Etat militaire [de mai 2014] », affirme Pornpen Khongkachonkiet, directrice de Cross Cultural Foundation, une ONG qui concentre ses actions sur le traitement des minorités ethniques en Thaïlande et a réalisé cette enquête subventionnée par l’ONU avec deux autres organisations basées dans les régions troublées du Sud. Après plus d’une décennie d’insurrection, le bilan de ce conflit – qui remonte aux années 1950, mais a pris une tournure plus vio- lente depuis 2004 – est lourd : 6 500 personnes ont été tuées en onze ans. La plupart étaient des civils. Le rattachement, en 1909, au royaume de Siam de cet ancien sultanat proche de la Malaisie et peuplé aujourd’hui à 80 % d’une minorité malaise et musulmane, est à la racine du conflit. Celui-ci a été déclenché par une nébuleuse de groupes armés refusant la tutelle du gouvernement central. Menaces de mort A la violence des insurgés, qui tuent, ou ont tué, soldats, paramilitaires, moines, enseignants thaïlandais bouddhistes, mais aussi Malais s’opposant aux séparatistes, répond la répression de l’armée. Les trois provinces sont placées sous l’état d’urgence et la loi martiale. Le rapport des trois ONG, qui ont documenté les cas de cinquante-quatre victimes de mauvais traitements durant leurs interrogatoires depuis 2004, souligne que la possibilité de détention sans intervention d’un juge durant trente-sept jours, comme le permet la loi martiale, a favorisé l’usage de la torture. Un homme de 29 ans raconte ainsi avoir été arrêté chez lui un soir et conduit dans une caserne. Il s’est retrouvé en présence d’interrogateurs qui sentaient l’alcool et lui ont enfoncé le canon d’un fusil d’assaut M16 dans la bouche. Un autre, soupçonné d’avoir participé à un attentat, a été menacé de mort après avoir suffoqué durant trois minutes, la tête dans un sac en plastique. A chaque fois, les interrogateurs exigeaient que les suspects avouent leurs liens avec la guérilla ou donnent les noms de combattants séparatistes. D’autres ont été soumis à une autre sorte d’humiliation : comme cet homme de 41 ans forcé de se déshabiller dans une salle glacée, alors que des femmes soldats « pressaient leur poitrine sur [son] visage en insultant [sa] religion ». Le journaliste Anthony Davis, analyste à la revue Jane’s Defense Weekly, replace ces accusations dans le contexte qui prévaut depuis le putsch : « Les opérations de contre-insurrection sont plus ciblées et mieux coordonnées depuis le coup d’Etat. Avec pour conséquence le fait que plus d’insurgés et de suspects de liens avec l’insurrection ont été arrêtés. Il paraît donc totalement crédible que le souci [des militaires] d’exploiter au plus vite les interrogatoires à des fins de renseignement ait abouti à une augmentation des abus et, parfois, des tortures. » « Imagination » A cet égard, Pornpen Khongkachonkiet précise que la torture n’est pas utilisée en permanence, mais que son usage est récurrent « dans certaines unités spécifiques, surtout du fait de responsables des renseignements et de groupes paramilitaires ». Le camp d’Ingkayuthaborihan, dans la province de Pattani, se distingue ainsi par sa sinistre réputation de lieu de torture fréquent, avec trois autres centres d’interrogatoire. L’armée a réagi rapidement à la publication de ce rapport, niant tout ce qui y est affirmé : « Tout cela est le résultat de l’imagination et n’a aucun rapport à la réalité », a affirmé le colonel Pramote Promin, porte-parole du commandement des opérations de sécurité interieure. Il accuse les responsables du rapport de vouloir « discréditer l’Etat thaïlandais » et assure que « les détentions sont effectuées dans la transparence ». p bruno philip cialiste du catholicisme au Centre d’études des religions du Mexique. Cet espace vide a été comblé par les églises évangéliques et pentecôtistes. » Leurs adeptes représentent déjà plus d’un quart des 4,8 millions d’habitants du Chiapas. Le pape a déjeuné en compagnie de huit religieux indiens, avant de se recueillir sur la tombe de Samuel Ruiz (1924-2011) dans la cathédrale de la ville. Figure de la « théologie de la libération », surnommé affectueusement « Tatik » (« père » en langue tzeltal) par les Indiens, l’ancien évêque de San Cristobal de las Casas pendant près de quarante ans, jusqu’en 1999, a été un des acteurs majeurs de la lutte pour la valorisation des cultures originaires. Il a aussi été un acteur-clé des négociations de paix entre les zapatistes et le gouvernement. Pour M. Barranco, « c’est un message fort envoyé à l’Eglise mexicaine et à celle de Rome, quand on sait à quel point Samuel Ruiz a été stigmatisé par le clergé conservateur mexicain, qui le taxait de “communiste” ». Sa mesure la plus controversée reste la nomination de centaines de diacres indiens, pour la plupart mariés. L’initiative avait provoqué un tollé au sein du clergé conservateur craignant qu’il s’agisse d’une première étape vers le mariage des prêtres. Au point que son successeur, Felipe Arizmendi, avait été contraint de suspendre la mesure. Une interdiction levée, en 2014, par le pape François. Lundi, le pape a donné la communion à des diacres au cours d’une messe à laquelle les épouses de certains ont participé. Sebastian Pérez, indien tzotzil de confession presbytérienne, assistait à la cérémonie. Président de l’association Las Abejas de Acteal, du nom d’un village tzotzil où 45 personnes ont été massacrées en 1997 par des paramilitaires, il réclame justice depuis dix-huit ans : « Avec l’appui du pape, j’espère que ces changements religieux auront un impact sur la manière dont le gouvernement nous traite. » p frédéric saliba L’HISTOIRE DU JOUR Jean Paul II et la philosophe : les mystères d’une « amitié étroite » C’ est un fait incontestable : depuis sa canonisation, en 2014, aux yeux de l’Eglise, Jean Paul II est un saint. En revanche, le documentaire diffusé lundi 15 février par la BBC (et mardi 16 à 20 h 55 par Arte), dans lequel est abordée sa relation avec Anna-Teresa Tymieniecka, avec qui il a entretenu une amitié pendant trente-deux ans, ne dit pas à quel point. Mariée à un économiste d’Harvard, cette philosophe américaine d’origine polonaise rencontra le cardinal Wojtyla en 1973. La BBC nous apprend qu’en 2008, six ans avant sa mort, elle a vendu les 350 lettres qu’elle avait reçues du futur Jean Paul II, « probablement pour une somme à sept chiffres ». Selon Ed Stourton, l’auteur du documentaire, ce courrier traduit « un combat pour conLE COURRIER NE tenir ce qui était certainement une relation très intense », mais ne contient CONTIENT AUCUNE aucune preuve de rupture des vœux pape. Le journaliste admet cepenPREUVE DE RUPTURE du dant n’avoir pas eu accès à ces lettres. Son documentaire intègre des photoDES VŒUX DU PAPE graphies attestant de la proximité de leurs relations : le futur Jean Paul II en short avec Anna-Teresa Tymieniecka en 1978 près d’une tente de camping ; le même cardinal Wojtyla et la même jeune femme blonde tout sourire sur fond de montagnes ; le pape âgé embrassant Mme Tymieniecka trente ans plus tard. « Il n’y a rien d’extraordinaire dans le fait que le pape Jean Paul II ait eu des amitiés étroites avec différentes personnes, que ce soit des hommes ou des femmes », a cru bon de réagir le Vatican. L’existence de Mme Tymieniecka ne relève nullement du scoop. Son nom figure dans plusieurs biographies de Jean Paul II. Mais les lettres rendues publiques par la BBC reflètent la profondeur des liens qui unissaient le futur pape à celle qu’il appelle « un cadeau de Dieu » et révèlent les tourments nés de cette relation. « Ma chère Teresa, j’ai reçu les trois lettres. Tu écris que tu es déchirée mais je n’ai pu trouver aucune réponse à ces mots », écrit le cardinal en 1976, attestant que le futur saint était aussi un homme. p philippe bernard (londres, correspondant) JQ4GF< N.\XS* 7[YS".$W* L 4[,$]T] Q\[\K!* J[[Y]W.T$R* +* N.\XS* 7[YS".$W* ^ ,.Y$T." R.W$.-"*; 4$d&* V[,$." M )0 J[SWV +*V 5[,%*V L ==0UP <[$V$*"; 4$W*T \e =U' I=9 ==U ZZU'I L 5J4 >*.SO; B!!.TW$,S".T$[\ :5BQ4 \e Z= ZI= 08U L N7JF L 4[,$]T] .\[\K!* ^ +$W*,T[$W* *T ,[\V*$" +* VSWR*$"".\,* .S ,.Y$T." +* 099 ='I 8IZ b; 4$d&* V[,$." M 9Z .R*\S* 7$*WW* >*\+dV EW.\,* L =9IZ0 7.W$V J*+*O 08; 5J4 7Q5B4 \e ')8 '99 Z'I; B!!.TW$,S".T$[\ :5BQ4 \eZU Z'9 0ZZ; B""SVTW.T$[\ M @$""[((*W; ` ?Q JQ4GF< NQ<62F 7:72?QB5F1 ?/_7Q5D<F GF 3:24 7F5>F3 ` JCQJ2< GF 5_Q?B4F5 4F4 75:AF34; J[!!* Y"SV +/S\ !$""$[\ +* 4[,$]T.$W*V1 (.$T*V "* ,%[$O +* ,* ![+d"* -.\,.$W* S\$XS*1 [SR*WT .S#[SW+/%S$ ^ T[ST* ". 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Sept personnes – cinq patients, dont un enfant, et deux personnels de santé – ont été tuées et huit autres membres du personnel sont portés disparus, selon un bilan provisoire. « Selon les équipes sur place, ce sont des frappes aériennes », précise Massimiliano Rebaudengo, le chef de mission de MSF pour la Syrie. « Clairement, les quatre roquettes ont été envoyées par la coalition menée par le gouvernement de Damas », accuse Mego Terzian, le président de MSF France. Dans cette zone tenue par l’opposition syrienne, à plus de 30 kilomètres des lignes de front, seuls les avions du régime syrien et de son allié russe sillonnent le ciel. « C’était délibéré, poursuit M. Terzian. Quatre roquettes en quelques minutes, au même endroit, visant le bâtiment de l’hôpital, ça ne peut pas être un incident ou un hasard. » Depuis le début de l’année, dix-sept hôpitaux ont été visés, dont cinq soutenus par MSF, où sont morts quatorze personnels de santé. Pour la seule journée de lundi, cinq établissements médicaux et deux écoles dans les provinces d’Idlib et d’Alep, dans le nord du pays, ont été bombardés, « [tuant] TURQUIE Azaz Alep SYRIE Idlib Maaret Al-Nouman LIBAN Damas 100 km IRAK JORDANIE près de cinquante civils, dont des enfants », selon les Nations unies. Le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, a dénoncé des « violations flagrantes du droit international ». Le nouveau ministre français des affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, a condamné ces attaques « du régime et ses soutiens » sur des structures de santé, « constitutives de crimes de guerre ». Clairement désignés, le président syrien Bachar Al-Assad et son homologue russe, Vladimir Poutine, sont accusés de saboter l’engagement pris à Munich, le 12 février, par le Groupe international de soutien à la Syrie d’une cessation des hostilités dans un délai d’une semaine. « Situation critique » Non sans cynisme, le président syrien Bachar Al-Assad a redit, lundi, que sa mise en œuvre serait « difficile ». Mais, pour Washington, la « brutalité » démontrée lundi par le régime syrien met clairement en doute « la volonté et/ou la capacité de la Russie à aider à l’arrêter ». Depuis le début de l’intervention militaire russe en soutien au régime de Damas, fin septembre, jusqu’à fin janvier, l’Union des organisations de secours et soins Irak : l’EI a bien utilisé du gaz moutarde Du gaz moutarde a été utilisé en août 2015, lors de l’attaque de deux localités à proximité d’Erbil, la capitale du Kurdistan irakien, ont indiqué lundi 15 février à l’AFP des sources proches de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC). Une cinquantaine d’obus de mortier avaient été lancés sur les villes de Gweyr et Makhmour, au sud-ouest d’Erbil, par l’organisation Etat islamique (EI), selon le gouvernement de la région autonome du Kurdistan irakien. Dimanche, le directeur de la CIA, John Brennan, a affirmé que l’EI est en mesure de fabriquer des petites quantités de chlorine et de gaz moutarde. L’utilisation d’armes chimiques par un groupe extrémiste serait une première depuis un attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo, en 1995. Lundi 15 février, aux abords de l’hôpital soutenu par MSF à Maaret Al-Nouman, dans le nord de la Syrie. GHAITH OMRAN/AFP médicaux (UOSSM), un collectif de médecins syriens, a dénombré 29 hôpitaux bombardés. Au total, 330 structures sanitaires, dont 177 hôpitaux, ont été détruites et 697 personnels de santé tués en Syrie entre août 2012 et décembre 2015, selon le collectif de médecins syriens. « La situation est plus que critique. Depuis octobre, il y a une nette augmentation du nombre d’hôpitaux ciblés. Il y a une réelle volonté de les détruire, même dans les zones où il y a très peu de combattants, pour faire fuir les civils. Là, on ne pourra pas dire que c’est Daech [acronyme arabe de l’organisation Etat islamique] qui est ciblé », déplore Obaida Al-Moufti, le porte-parole de l’UOSSM. Les civils ont payé un lourd tribut dans les bombardements, qui ont visé lundi Azaz, une ville tenue par l’opposition près de la frontière turque, menacée par l’avancée des forces loyalistes, et par celle des miliciens kurdes des Unités de protection du peuple (YPG) qui se sont emparés dans la soirée du bastion rebelle de Tell Rifaat, à quelques kilomètres au sud. Un hôpital mères-enfants géré par l’association Syria Charity a été la cible d’un missile solsol vers 7 h 30, faisant quinze blessés parmi le personnel, selon Seddik Ansal, chargé de la communication de l’ONG. Politique de la terreur Une école située à proximité, qui abritait des réfugiés ayant fui l’offensive du régime lancée début février contre la ville d’Alep, a également été visée. Selon l’agence de médias syrienne Smart News Agency, au moins quinze personnes ont été tuées dans plusieurs attaques sur la ville. « Mes collègues d’Azaz sont paniqués, pour la première fois, ils ont peur de travailler. Il y a des bombardements aveugles quasi ininterrompus. C’est une politique de Le ministre Jean-Marc Ayrault a condamné ces attaques, « constitutives de crimes de guerre » la terreur pour effrayer les populations et empêcher qu’elles se fassent soigner. Car, pour eux [les Russes et le régime syrien], si elles ont décidé de rester en zone rebelle, ce sont leurs ennemis », estime M. Terzian, qui fait un parallèle avec la « politique de la terre brûlée » menée par la Russie en Tchétchénie. La situation atteint également un point critique à Alep, presque totalement encerclée par les forces loyalistes. « Le problème est que pas mal de personnels de santé veulent quitter la ville pour mettre leur famille à l’abri, comme tout le monde », souligne Obaida Al-Moufti. Dans les quartiers est de la ville, tenus par les rebelles, il n’y a plus que 40 médecins pour 400 000 personnes. MSF a communiqué à l’armée russe les positions des trois hôpitaux qu’il gère en propre – un à Idlib et deux à Alep –, mais il ne peut le faire pour les 150 hôpitaux qu’il soutient en Syrie sans l’accord de ces structures. Fin janvier, l’UOSSM a donné à l’ONU celles des dizaines de structures qu’il gère dans le pays dans l’espoir qu’ils ne soient plus ciblés. « Aujourd’hui, en zone contrôlée par l’opposition, travailler ou faire des opérations de secours, et notamment médicales, est, pour la coalition du gouvernement syrien, un acte criminel », déplore Mego Terzian. p hélène sallon (avec madjid zerrouky) Dans les colonies, des travailleurs palestiniens sous surveillance Les attaques se multiplient dans les implantations israéliennes en Cisjordanie, où cette main-d’œuvre bon marché est désormais suspecte REPORTAGE beit horon (cisjordanie) envoyé spécial L es enfants étaient sortis de l’école un quart d’heure plus tôt. La neige était annoncée ; on avait décidé de reporter la plantation de fleurs, le long de la route qui traverse Beit Horon. Dans l’épicerie, située peu après la barrière métallique ouvrant l’accès à la colonie, une dizaine de clients faisaient leurs courses. La neige n’est pas venue. Mais en ce 25 janvier, deux Palestiniens ont escaladé la colline, longé les oliviers, franchi la clôture métallique. Ils avaient des couteaux et deux engins explosifs artisanaux, qui ne fonctionneront pas. Une fois dans la colonie, ils ont poignardé Shlomit Krigman, une jeune femme de 24 ans, qui décédera de ses blessures. Dans l’épicerie, le propriétaire a réussi à empêcher les assaillants d’entrer, en bloquant la porte avec un Caddie. « Un vrai miracle », dit-il. Cette attaque a confirmé une nouvelle tendance : les colons sont pris pour cible chez eux, dans l’intimité de leur communauté, voire de leur foyer. Cette mutation de la violence, dans le cycle débuté il y a quatre mois, qui a déjà fait 26 morts côté israélien et près de 160 côté palestinien (dont une partie des agresseurs), a accru la pression sur le gouvernement. Il est accusé par sa base nationaliste de ne pas assez défendre ses premières lignes, les colonies. Le 17 janvier, à Otniel, au sud de la Cisjordanie, Dafna Meir, une mère de famille, a été poignardée à mort sur le seuil de sa porte. Trois de ses six enfants étaient à l’intérieur. Le 18 janvier, une femme enceinte a été blessée par un assaillant dans un magasin de vêtements, à Tekoa, dans le bloc du Goush Etzion. Les patrouilles de l’armée ont été renforcées. Mais le vrai dilemme qui s’est posé aux autorités concerne les travailleurs palestiniens dans les colonies. Ils sont 26 000, selon l’administration civile israélienne. Près de 58 000 autres travaillent en Israël même, un chiffre que le gouvernement souhaite augmenter de 30 000. Main-d’œuvre bon marché, certes, mais aussi figures de l’autre bord, celui des occupés, dans un conflit où l’on ne se parle plus. La peur aiguise la suspicion. Pulsions individuelles A Beit Horon, un grand chantier de construction réjouit les 2 000 habitants. Une cinquantaine de logements sortent de terre, après une longue bataille juridique. Mais après l’agression, les travailleurs palestiniens ont été invités à rester chez eux pendant quelques jours. Dans la foulée de l’infiltration, l’armée a décidé d’interdire l’entrée des travailleurs palestiniens dans les zones industrielles avoisinantes. Elle précise que la mesure d’interdiction a été étendue temporairement à certaines colonies des environs de Hébron, Naplouse et Ra- mallah. Près de Bethléem, seule Tekoa a été fermée. Mais la menace demeure, imprévisible, liée à des pulsions individuelles. Le 23 janvier, une adolescente palestinienne de 13 ans brandissant un couteau a été tuée par un garde de sécurité à l’entrée d’Anatot. « C’est bien de fermer l’accès sur le court terme pour que les terroristes ne viennent pas déguisés en travailleurs, explique Yigal Dilmoni, vice-président du conseil de Yesha, organisation représentant les « Tout le monde est nerveux et se demande si quelqu’un va soudain attaquer, comme on le voit à la télévision » MOHAMMED KHALAF travailleur palestinien colons. Et puis, les habitants ont peur, il faut leur donner le temps de revenir à la vie normale. » Les travailleurs palestiniens travaillent essentiellement dans la construction, la manutention et l’agriculture. Confrontés à un taux de chômage élevé en Cisjordanie et des salaires bas, ils trouvent des débouchés intéressants chez l’occupant, dans les 20 zones industrielles israéliennes. Dans les colonies, ils sont employés sur les chantiers ou s’occupent des espaces publics. Pour entrer dans ces zones construites par et pour les colons, ils doivent obtenir un permis de travail auprès de l’administration civile. Selon un rapport récent de Human Rights Watch, leurs salaires sont souvent bien inférieurs à ceux des Israéliens. Ce n’est pas le cas chez Rami Levy, la grande chaîne israélienne de supermarchés, qui compte plusieurs magasins en Cisjordanie, dont l’un dans la zone industrielle de Mishor Adoumim. Au total, celui-ci emploie 140 personnes, dont 70 Palestiniens. Parmi les clients, 30 % sont Palestiniens. Un lieu de mixité rare. « On est comme une famille », assure Yaacov Shimoni, 61 ans, le directeur du magasin. Il n’a jamais été question de se priver de la moitié de son personnel, dit-il. Dans les vestiaires, à l’étage, Mohammed Khalaf, 38 ans, s’accorde une pause. Originaire du village voisin d’Eizariya, il est revenu vivre en Cisjordanie après sept ans passés à Dubaï et aux Etats-Unis. Ce travail, payé 5 000 shekels (1 100 euros), est très précieux. « Je n’en trouverais pas d’autre comme ça ici », dit-il, refusant de parler politique. Depuis octobre 2015, concèdet-il, l’atmosphère s’est tendue : « On sent de la peur des deux côtés. Tout le monde est nerveux et se demande si quelqu’un va soudain attaquer, comme on le voit à la télévision. Les contrôles à l’entrée de la zone ont été renforcés. Maintenant, on doit sortir du bus et présenter nos documents chaque matin. » p piotr smolar planète | 7 0123 MERCREDI 17 FÉVRIER 2016 L’impossible référendum de Notre-Dame-des-Landes La voie proposée par le chef de l’Etat est jugée illégale sur le plan juridique et sans issue sur le plan politique E n proposant un référendum local sur le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, au nord de Nantes, François Hollande a installé ce dossier déjà sensible dans un flou juridique et, très certainement, dans une impasse politique. La solution proposée par le président de la République, le 11 février lors de son entretien télévisé, est simple : « Organiser un référendum local pour qu’on sache exactement ce que veut la population. » En suggérant de consulter les habitants, M. Hollande veut relégitimer ce projet « d’un grand aéroport pour tout l’Ouest », enlisé depuis plus de cinquante ans, et mettre en application la promesse faite au lendemain de la mort du militant écologiste Rémi Fraysse, tué par une grenade, en octobre 2014, lors d’une manifestation contre le projet de barrage de Sivens (Tarn), celle du « recours à un référendum local (…) pour débloquer une situation ». Mais l’idée, qui, sur le principe, peut séduire les organisations de défense de l’environnement, avancée aussi par la ministre de l’écologie, Ségolène Royal, se révèle impraticable. Impossibilité juridique La réforme constitutionnelle sur la décentralisation de 2003 a rendu possibles les référendums locaux à caractère décisionnel, avec un taux minimal de 50 % de participation, organisés par une collectivité locale, sur un domaine de sa compétence. Ce scénario ne peut pas s’appliquer pour Notre-Dame- des-Landes, qui relève de la compétence de l’Etat. C’est lui qui a signé le décret d’utilité publique du projet d’aéroport, le 9 février 2008, lui encore qui a conclu avec Aéroports du Grand Ouest (AGO), filiale de Vinci, en décembre 2010, la convention pour la concession des aérodromes de Nantes-Atlantique, de Notre-Dame-des-Landes et de Saint-Nazaire-Montoir. « La création du projet de construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes relève de la compétence, non d’une collectivité territoriale mais de l’Etat », assure le juriste Arnaud Gossement. Pour consulter localement sur ce dossier national, il faut donc changer la législation. Une occasion pourrait se présenter avec la réforme du dialogue environnemental promise par François Hollande. L’article 106 de la loi Macron, du 6 août 2015, propose la possibilité, pour le gouvernement, de recourir aux ordonnances dans le cadre d’une réforme des « procédures destinées à assurer l’information et la participation du public à l’élaboration de projets, plans et programmes et de certaines décisions ». Le ministère de l’écologie a rédigé un projet d’ordonnance. Il est soumis au Conseil national de la transition écologique (CNTE), mardi 16 février. Ce texte introduit la possibilité nouvelle d’une « consultation locale des électeurs sur des projets relevant de la compétence de l’Etat et d’intérêt local ». Mais là encore, ce projet d’ordonnance ne peut pas s’appliquer au dossier Notre-Dame-des-Lan- « Il est très important qu’au minimum les régions Pays de la Loire et Bretagne soient consultées » DENIS VOISIN Fondation Nicolas Hulot des, car il exclut d’une consultation locale un projet d’intérêt national. Or, selon le code de l’environnement, la « création ou extension d’infrastructures de pistes d’aérodrome », ainsi que la création de lignes ferroviaires, d’autoroutes, de voies navigables… relèvent de l’intérêt national. Enfin, cette future ordonnance, selon les juristes, ne pourrait s’appliquer pour des projets ayant déjà reçu toutes les autorisations, ce qui est le cas de Notre-Dame-des-Landes. Périmètre improbable Le premier ministre, Manuel Valls, a proposé d’organiser la consultation à l’échelle du département, un cadre qui serait plus favorable à l’approbation du projet de transfert vers Notre-Dame-des-Landes. Las, cette suggestion a été évacuée par le conseil départemental de Loire-Atlantique. « En l’état actuel du droit, le département ne peut pas organiser de référendum sur la question de l’aéroport, il ne peut organiser une consultation que Laurent Fabius renonce à la présidence de la COP21 Les critiques étaient vives sur un éventuel cumul des présidences du Conseil constitutionnel et de la COP21 par l’ex-chef de la diplomatie I l capitule. Laurent Fabius ne cumulera pas la présidence du Conseil constitutionnel et celle de la COP21, contrairement à ce qu’il avait affirmé mercredi dernier. L’ancien ministre des affaires étrangères a dû s’y résoudre dans une lettre adressée à François Hollande, lundi 15 février. Certes, il s’y défend sur le fond, d’abord : « Vous m’avez fait l’honneur de me pressentir pour présider le Conseil constitutionnel et je vous en remercie vivement. A mon sens, il n’existe pas d’incompatibilité avec la présidence de la dernière phase de la COP21 », écrit M. Fabius au président. Mais c’est pour mieux battre en retraite : « Pour autant, compte tenu du début de polémique interne sur ce sujet, je juge préférable de vous remettre mon mandat de président de la COP. » La défaite était prévisible. Certes, M. Fabius, au jour de l’annonce de son départ du Quai d’Orsay, s’était quelque peu avancé, annonçant non seulement qu’il cumulerait, mais également qu’il y conserverait un bureau à cet effet. Ces derniers jours encore, l’ancien patron de la diplomatie française avait consulté plusieurs experts, lesquels ne lui avaient fait part d’aucune « incompatibilité juridique », selon son entourage, s’agissant d’« une nomination intuitu personnae à une activité bénévole, sans conflit d’intérêts, mandatée par les Nations unies ». Mais le président du Conseil constitutionnel Jean-Louis Debré, que Laurent Fabius devrait remplacer le 9 mars, s’était rapidement montré dubitatif quant à la possibilité de cumuler les deux fonctions. C’est surtout de la part de ses anciens collègues que M. Fabius a subi des critiques, à commencer par Ségolène Royal C’est surtout de la part de ses anciens collègues que M. Fabius a subi un feu nourri. A commencer par sa vieille ennemie Ségolène Royal. Laquelle, si elle n’avait pas réussi à s’emparer du ministère des affaires étrangères à l’occasion du remaniement, a tout de même ajouté à son portefeuille les « relations internationales sur le climat ». Voilà qui annonçait, à coup sûr, une offensive qui n’a guère tardé : vendredi, à la fin d’une réunion des ministres européens de l’environnement, Mme Royal a souligné la nécessité de « clarifier les règles du jeu (…) pour que nos homologues à l’échelle planétaire puissent être au clair sur les procédures qui seront suivies ». Une façon de reprendre la main sur le dossier, mais sans doute, aussi, de perpétuer une compétition de dix ans avec M. Fabius, de la primaire socialiste de 2006 à la bataille de territoire sur la COP21, perdue par Mme Royal. Lundi 15 février, c’est le secrétaire d’Etat à l’enseignement supérieur Thierry Mandon qui, à son tour, a fustigé le cumul des fonctions : « C’est inimaginable, lui-même peut le souhaiter, mais c’est inimaginable », a-t-il attaqué sur i-Télé. Face à ce tir de barrage politique, M. Fabius a donc reconsidéré son point de vue. « Comprenant que Royal jouait une bataille des décrets d’attribution, et une bagarre politique, il a pris le weekend pour réfléchir, indique un proche. Le bénéfice de la COP étant acquis, il a considéré que le coût politique de cette querelle francofrançaise insensée qui commençait à traverser les frontières allait entacher la COP21. Et il s’est dit qu’il n’avait rien à gagner. » Fidèle à ses habitudes, le président n’avait pour sa part pas vraiment tranché cette question, prenant soin de laisser son ancien ministre s’en dépêtrer. « Le président n’a rien demandé à Laurent Fabius, et il a pris soin de ne pas s’exprimer pour trancher ce cas, assure-t-on à l’Elysée. Il savait que ce n’était pas au chef de l’Etat de déterminer qui présidait la COP, il a laissé les choses se faire naturellement. Il ne revenait qu’à Laurent Fabius, élu pour ce mandat, de décider s’il le poursuivait ou pas. » Bien sûr, le chef de l’Etat l’a poliment « remercié une nouvelle fois pour le travail accompli au ministère des affaires étrangères pendant quatre ans et le rôle décisif dans la conclusion de l’accord de Paris ». Reste désormais à trouver, d’ici à l’entrée de Laurent Fabius au Conseil constitutionnel, un remplaçant pour présider la COP jusqu’au passage de relais au Maroc, en novembre, pour la COP22 de Marrakech. Mais l’on voit mal comment le poste pourrait désormais échapper à Mme Royal qui, sur RTL, a jugé que l’abandon de ses ambitions par M. Fabius était « une bonne chose ». p david revault d'allonnes sur des politiques publiques dont il a la compétence », a jugé, lundi 15 février, une source du conseil départemental citée par l’AFP. L’autre collectivité concernée a aussi rejeté la réalisation de la consultation. Bruno Retailleau, le président (Les Républicains) de la région Pays de la Loire, a annoncé qu’il refusait d’organiser le référendum, dénonçant « un enfumage pour enterrer le projet ». De leur côté, les opposants estiment que le périmètre électoral doit être plus large, incluant la Bretagne. « Il est très important qu’au minimum la région Pays de la Loire et la région Bretagne soient consultées, dans la mesure où elles sont directement impactées par le projet », estime Denis Voisin, porteparole de la Fondation Nicolas Hulot. Ces deux régions participent, avec cinq départements, au Syndicat mixte aéroportuaire du Grand Ouest, chargé de la réalisation du futur aéroport. La Bretagne doit fi- nancer 5,2 % du projet, les Pays de la Loire, 7,2 %. Un autre scénario possible serait de prendre en compte la zone de chalandise du futur aéroport, soit cinq départements, dont deux bretons. Formulation délicate La rédaction de la question soumise au scrutin et l’organisation de la campagne seront aussi délicates. « Il faudra veiller à la formulation de la question qui sera soumise au référendum », a estimé Ségolène Royal, qui a mandaté une nouvelle mission d’expertise, visant à étudier les solutions alternatives. Un rapport est attendu à la fin mars. Selon ses conclusions, l’objet du référendum pourrait dépasser l’enjeu du transfert de l’actuel aéroport vers Notre-Dame-des-Landes. La ministre de l’écologie a demandé à son administration d’étudier l’ensemble des aéroports régionaux et l’optimisation de la plate-forme aéroportuaire nantaise. L’exemple de Stuttgart En proposant un référendum local sur Notre-Dame-des-Landes, François Hollande a cité une démarche similaire lancée en Allemagne pour déminer un sujet tout aussi explosif : la construction d’une nouvelle gare à Stuttgart. Politiquement, la consultation a en effet apaisé les esprits. En 2010, les travaux débutent. Mais après une année de manifestations hebdomadaires et de batailles politiques, un référendum est proposé au niveau de l’Etat-région. Le 27 novembre 2011, 58,9 % des électeurs approuvent la poursuite du cofinancement du chantier par le Bade-Wurtemberg. Economiquement, l’exemple est moins probant. Le projet de transformation de la gare, obligeant à construire 117 kilomètres de lignes nouvelles et 26 tunnels, était chiffré à l’origine à 4 milliards d’euros. A la fin du chantier, en 2021, il devrait en coûter près de 10 milliards. « Il faut que les informations soient suffisamment claires et compréhensibles pour que les citoyens décident en connaissance de cause », a expliqué au Monde Christian Leyrit, le président de la Commission nationale du débat public. « Les informations qui vont être délivrées aux citoyens sont essentielles, et les conditions de la campagne – affichage, réunions publiques, Internet – ne sont pas un détail, précise, de son côté, Laurent Neyret, juriste spécialisé en droit de l’environnement. Les sélectionner, les mettre en forme, cela prend du temps et coûte de l’argent. » Autant d’éléments qui rendent improbable la tenue d’un référendum dans de bonnes conditions d’équité entre les deux camps, avant l’échéance d’« avant l’été » fixée par le premier ministre. Légitimité douteuse De la bonne organisation de la consultation dépend la légitimité du résultat. Or, tout laisse à croire – les deux camps n’étant pas favorable, pour l’heure, à ce référendum – que le résultat n’apportera aucune solution au dossier de Notre-Damedes-Landes. « Avec un tel accueil de la part des deux parties, un délai aussi bref ne permettant pas son organisation dans de bonnes conditions et, sachant que le gouvernement devra tordre le droit pour y arriver, ce référendum sera contesté en justice, ou il sera boycotté et, donc, ne résoudra rien », assène Sébastien Mabile, avocat spécialisé en droit de l’environnement. p rémi barroux 8 | france 0123 MERCREDI 17 FÉVRIER 2016 Aux origines des attaques du 13 novembre Des noms cités dans l’enquête sur l’attentat du Caire en 2009 apparaissent dans le dossier de la tuerie de Paris L a nébuleuse djihadiste est un monde endogène, organisé autour de quelques fratries, d’anciens réseaux et de vieilles amitiés. L’enquête sur les attentats du 13 novembre est en train d’en dévoiler les relations souterraines. Entre l’attentat du Caire – qui coûta la vie à une lycéenne française, Cécile Vannier, le 22 février 2009 – un projet d’attaque visant le Bataclan, cette même année, la fusillade avortée contre une église de Villejuif, en mars 2015, et la tuerie du 13 novembre 2015 à Paris, plusieurs noms ont ressurgi ces derniers mois des angles morts de la justice antiterroriste : Jean-Michel et Fabien Clain, Farouk Ben Abbes, la fratrie Dahmani ou encore les frères Benladghem. La résurgence de ces figures djihadistes – peu connues du grand public et rarement condamnées – dévoile les connexions intimes d’une menace que les services de renseignement peinent à appréhender. Elle a conduit trois avocats de victimes du 13 novembre à demander le versement à l’enquête de tous les dossiers dans lesquels ils apparaissaient, que Le Monde a pu consulter. Le 26 janvier, Me Olivier Morice, qui représente également la famille de Cécile Vannier, a demandé au juge Christophe Tessier que soit versée au dossier du 13 novembre la procédure de l’attentat du Caire. Début février, le magistrat, répondant à une requête de Me Georges Holleaux, y a ajouté l’enquête sur le projet d’attentat de 2009 visant le Bataclan. Le 11 février, Me Samia Maktouf a demandé le versement de deux nouveaux dossiers : ceux de Villejuif et d’« Artigat II », une filière de départs en Syrie impliquant des proches de Fabien Clain et du clan Merah. L’enquête sur les attentats qui ont endeuillé Paris et SaintDenis est en passe de devenir le réceptacle d’un morceau d’histoire du djihadisme franco-belge. Un méta-dossier hanté par un lieu, le Bataclan, et un personnage, Fabien Clain. Des dossiers connectés Condamné en 2009 à cinq ans de prison pour avoir animé la filière irakienne dite d’Artigat, qui puisait ses recrues à Toulouse et en Belgique, ce redoutable prédicateur a été entendu en 2010 comme témoin dans l’enquête sur le projet d’attentat visant le Bataclan. Impliqué dans le projet terroriste de Sid Ahmed Ghlam à Villejuif, il est par ailleurs l’auteur de la vidéo de revendication des attentats du 13 novembre. Son vieil ami Farouk ben Abbes, un Belge de 39 ans, a lui été impliqué dans de nombreux dossiers terroristes : mis en cause dans la filière d’Artigat, il a été interpellé après l’attentat du Caire et mis en examen en 2010 dans le cadre du Le Bataclan, à Paris, le 14 novembre, au lendemain des attentats qui ont fait 130 morts. JACQUES DEMARTHON/AFP projet d’attaque visant le Bataclan. Un de leurs proches, Farid Benladghem, un Français de 32 ans, a été entendu comme témoin dans ces deux dossiers. Selon les informations du Monde, Farid Benladghem a par ailleurs été l’époux religieux d’Emilie L., la dernière petite amie de Sid Ahmed Ghlam, auteur de l’attentat avorté de Villejuif en 2015. Son frère aîné, Hakim, a, lui, été tué par la police belge en mars 2013, tandis qu’il s’apprêtait à commettre une attaque d’envergure en Belgique. Les cercles djihadistes se nourrissent parfois de liens familiaux. Une autre fratrie, celle des frères Dahmani, établit une passerelle directe entre l’attentat du Caire et ceux de Paris. L’aîné, Mohamed, a été entendu comme témoin dans l’enquête sur l’attentat qui coûta la vie à Cécile Vannier en 2009. Son petit frère Ahmed, 26 ans, est un ami intime de Salah Abdeslam, un membre des commandos qui attaquera Paris six ans plus tard. Trois mois avant le 13 novembre, Salah Abdeslam et Ahmed Dahmani avaient été contrôlés, le 4 août 2015, à bord d’un bateau voguant entre la Grèce et l’Italie. Ah- med Dahmani sera ensuite interpellé en Turquie, quatre jours après les attaques, tandis qu’il s’apprêtait à rejoindre les rangs de l’organisation Etat islamique. L’attentat du Caire C’est dans le cadre de la filière d’Artigat que s’enracine cette petite histoire du djihadisme franco-belge. Au milieu des années 2000, Fabien Clain fait la connaissance à Bruxelles de Farouk Ben Abbes et de Farid Benladghem. Les trois hommes se retrouvent au Caire en 2007 au sein d’une petite communauté de djihadistes francophones. A l’occasion d’un dîner dans un restaurant cairote, Farouk Ben Abbes et Farid Benladghem annoncent aux frères Clain leur décision de rejoindre la bande de Gaza. Ils partent en février 2008. Après plus d’un an passé dans les rangs de « l’Armée de l’islam », un groupe terroriste palestinien proche d’Al Qaida, Farouk Ben Abbes est interpellé à son retour en Egypte, le 3 avril 2009. Les services de sécurité égyptiens le soupçonnent, avec une autre française, Dude Hoxha, d’être impliqué dans l’attentat qui a visé un mois En 2009, des informations font état d’un projet contre des intérêts juifs à Saint-Denis et la salle de spectacle du Bataclan et demi plus tôt une classe de lycéens français en visite d’agrément au Caire. Mohamed Dahmani, intime de Dude Hoxha et frère d’Ahmed, l’ami de Salah Abdeslam, sera entendu comme témoin dans ce dossier. Le 23 mai 2009, le ministère de l’intérieur égyptien transmet aux services français une note selon laquelle Farouk Ben Abbes aurait avoué en détention avoir été missionné pour commettre des attaques en France. Des informations font alors état d’un projet contre des intérêts juifs à Saint-Denis et la salle de spectacle du Bataclan, qui a accueilli plusieurs galas de soutien à l’armée israélienne. Lors de son interpellation en Les victimes face aux ratés de l’administration « nous avons mille questions et nous attendons des réponses, notamment de cette commission. » Dès les premières minutes de son audition à l’Assemblée, lundi 15 février, le président de l’association 13 novembre - Fraternité et vérité a donné le ton. Venu témoigner avec d’autres victimes ou proches de victimes des attentats, devant la commission d’enquête sur les « moyens mis en œuvre par l’Etat pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015 », Georges Salines a, comme les autres, dépeint un tableau très critique de l’administration et soulevé beaucoup d’interrogations. Comment se fait-il que « des familles ont attendu trois jours, d’autres ont veillé le corps d’un enfant qui n’était pas le leur » ? « De nos jours, gérer un fichier Excel avec 130 personnes ne me paraît pas insurmontable », a abondé Sophie Dias, qui a eu le plus grand mal pour avoir des nouvelles de son père, tué à côté du Stade de France – « le numéro vert n’était pas accessible depuis l’étranger où [elle se trouvait] ». Caroline Langlade, vice-présidente de l’association Life for Paris, a parlé d’une « administration pesante, procédurière et déshumanisée ». On a raccroché Le 13 novembre au soir, quand elle a pu joindre les secours, l’échange a tourné court. Obligée de chuchoter pour ne pas éveiller l’attention du commando, elle n’arrivait pas à se faire entendre : « J’ai expliqué que j’étais prise en otage et que le terroriste était derrière la porte, on m’a répondu : “D’accord, mais là vous êtes en train de bloquer la ligne pour une réelle urgence’’. » Et on a raccroché. Des réponses inappropriées en urgence, mais aussi sur le suivi psychologique ou, selon certains, sur le plan politique. « Pourquoi, quand j’allume la télé ou la radio, la seule chose dont j’entends parler, c’est de la déchéance de nationalité ? », s’est interrogé Grégory Reibenberg, patron du restaurant La Belle Equipe, cible des attaques. Après avoir perdu des proches, ou eux-mêmes frôlé la mort, tous ou presque ont dit leur besoin de « comprendre » quand Manuel Valls estime, lui, qu’« expliquer, c’est déjà un peu excuser ». « Je serai le dernier à vouloir excuser celui qui a tué ma fille, mais il faut comprendre ce mécanisme pour pouvoir lutter contre », a plaidé Georges Salines. « Ce sont des enfants de la République qui ont tué des enfants de la République. J’aimerais comprendre à quel moment on les a perdus », a abondé Aurelia Gilbert, rescapée du Bataclan. La commission d’enquête, qui ne se penchera pas sur ces questions de radicalisation mais sur les moyens de l’Etat, devrait rendre ses travaux en juillet. p hélène bekmezian Egypte, Farouk Ben Abbes était en possession de documents relatifs à la fabrication d’explosifs et d’une clé de chiffrement informatique au nom d’Abou Khattab, le responsable de « l’Armée de l’islam ». Un mail intercepté le 10 mars 2009 entre Abou Khattab et Mustapha Debchi, membre du Groupe salafiste pour la prédication et le combat, semble étayer les soupçons égyptiens : « Pour ce qui est du frère belge qui aspire à l’érudition, la franchise n’est pas non plus pour me déplaire. Demande-lui mot pour mot : est-il prêt à commettre une opération martyre en France ? (…) Donne-lui mon adresse électronique et la clé et envoie-moi sa clé à lui. » Farouk Ben Abbes est expulsé vers la Belgique le 8 mars 2010. Placé sous surveillance, il sera interpellé quelques semaines plus tard à la frontière franco-luxembourgeoise en compagnie de Farid Benladghem. Mis en examen en 20 juillet 2010, il affirme avoir été torturé par les services égyptiens et nie toute velléité terroriste. Deux ans d’instruction Après deux ans d’instruction, le juge Christophe Tessier, estimant ne pas disposer d’éléments suffisants pour asseoir l’existence d’un projet d’attentat visant le Bataclan, prononce un non-lieu le 14 septembre 2012. Farouk Ben Abbes est libre. Il reste cependant mis en examen dans un autre dossier : celui du site djihadiste Ansar Al Haqq, toujours à l’instruction. Installé depuis sa libération à Toulouse, fief des frères Clain, il a été assigné à résidence le 17 novembre 2015, quatre jours après les attentats de Paris, dans le cadre de l’état d’urgence. Fabien Clain a purgé sa condamnation à cinq ans de prison dans le procès Artigat en août 2012. Suivi par un juge d’application des peines, il était interdit de pénétrer dans vingt-deux départements. C’est donc dans sa maison d’Alençon, en Normandie, qu’il a continué à dispenser son enseignement auprès de ses nouveaux élèves : deux garagistes de Pierrefitte-sur-Seine (Seine-Saint-Denis), Thomas Mayet, jeune sympathisant frontiste fraîchement converti, et Macrème Abrougui, un ancien fêtard radicalisé. Ces deux nouvelles recrues lui ont été apportées par le cogérant du garage, Adrien Guihal, vieille connaissance de Farouk Ben Abbes et de Fabien Clain. Administrateur du site djihadiste Ansar AlHaqq, dossier dans lequel Farouk Ben Abbes est toujours mis en examen, Adrien Guihal a été condamné à quatre ans de prison pour un projet d’attentat en France. Il est devenu gérant, après sa sortie de prison en juin 2012, de ce petit garage, surveillé par les services qui le soupçonnaient d’être un nid de djihadistes. L’intuition était bonne. En février 2015, tout ce petit monde part rejoindre la Syrie en voiture avec femmes et enfants. Fabien Clain, Thomas Mayet, Macrème Abrougui et Adrien Guihal intègrent les rangs de l’Etat islamique, où les attendent plusieurs anciens cadres de la filière d’Artigat, parmi lesquels Jean-Michel Clain et Sabri Essid, le beau-frère de Mohamed Merah. C’est depuis la Syrie que les garagistes franciliens et leur mentor fourniront à Sid Ahmed Ghlam des indications pour récupérer une de leurs voitures afin de commettre un attentat à Villejuif. C’est également depuis la Syrie que Fabien et Jean-Michel Clain revendiqueront en chanson les attentats sanglants de Paris. Le 22 février 2016, date anniversaire de la mort de Cécile Vannier, les familles des victimes de l’attentat du Caire tiendront une conférence de presse. Elles devraient interpeller les services d’enquête sur les correspondances entre ces différents dossiers. Dans un communiqué publié lundi 15 février, elles s’interrogent « sur la manière dont le projet d’attentat contre le Bataclan, imputé à Farouk Ben Abbes, a été pris en considération par les autorités ». p soren seelow france | 9 0123 MERCREDI 17 FÉVRIER 2016 Les ambitions contrariées d’Emmanuel Macron Le ministre de l’économie est contraint de jouer les seconds rôles dans les chantiers législatifs à venir E mmanuel Macron venait tout juste de porter sur les fonts baptismaux, non sans difficultés, sa loi pour la croissance et l’activité. Le ministre de l’économie s’était immédiatement projeté vers un nouveau vaisseau législatif baptisé « Nouvelles opportunités économiques » (#noé), dont il présentait solennellement l’architecture, le 9 novembre 2015. Cela ne se présentait pas encore comme un projet de loi mais se voulait une réflexion globale sur les mutations technologiques et les indispensables transformations – sociales, financières, économiques, d’usage – qu’elles appellent. Ainsi jetait-il les bases de « l’esprit de #noé », comme son entourage a pris l’habitude de le qualifier. « Une sorte d’Odyssée », expliquait le ministre, appelant experts et entrepreneurs à embarquer avec lui. Le calendrier, tel qu’il le concevait, était arrêté : une première série de propositions mi-décembre, un deuxième point d’étape début janvier et un projet de loi présenté fin janvier en conseil des ministres. Le « Macron 2 » s’annonçait alors comme un nouvel objet protéiforme, brassant large. « Je porterai une série de réformes qui permettront d’innover plus vite dans tout un tas de secteurs économiques, avec des simplifications normatives, annonçait-il le 18 novembre lors des Etats de la France. Et d’innover plus facilement avec des autorisations plus simples, des ouvertures d’accès aux données, y compris les données d’intérêt général, et des simplifications d’accès au capital ». Il se disait déterminé à « accélérer l’effort » pour « moderniser le pays ». Las, fin 2015, les choses se compliquent pour le ministre de l’économie. Après avoir adressé au président de la République et au premier ministre un premier bloc de propositions, il fait le forcing pour piloter ce chantier. Mais la « Il y a toujours cinq ministres à Bercy, c’est ça, la cohérence et la continuité » MICHEL SAPIN ministre des finances et des comptes publics entreprise et tripler les seuils d’activité, actuellement fixés à 32 900 euros de chiffre d’affaires annuel pour les services et 82 200 euros pour la vente de marchandises. Ce qui suscite une vive opposition de l’Union professionnelle artisanale (UPA) et non moins de réticences de la part du ministre des finances. « Il y a quand même un problème de principe : c’est celui de la concurrence faussée que cela crée avec les entreprises artisanales », souligne M. Sapin. Emmanuel Macron et Michel Sapin, à Paris, le 9 février. MARLENE AWAAD/IP3 question du véhicule législatif fait l’objet d’un arbitrage qui ne le favorise pas. Officiellement, un choix « technique ». Trois textes sont dans les tuyaux : celui de M. Macron, la réforme du code du travail portée par la ministre Myriam El Khomri et le projet de loi sur l’éthique et la transparence financière préparé par le ministre des finances, Michel Sapin, qui doit également comporter des dispositions économiques. Un choix politique Un de trop, estime Matignon : ce ne sera pas possible de faire adopter trois textes de cette ampleur au Parlement avant l’été. Le « Macron » va devoir être hébergé sur les deux autres véhicules. Le choix, en réalité, est aussi politique : l’exécutif n’a pas envie de s’offrir un nouvel épisode d’affrontement avec sa majorité alors que, pour une partie d’entre elle, il fait encore figure d’épouvantail et de chantre de la dérégulation. La séquence politique suivante - celle du remaniement - ne tournera pas plus en sa faveur. M. Macron souhaite une extension du périmètre de son ministère. Certains rêvent même pour lui d’un grand ministère de l’économie et des finances. Peine perdue : le casting de Bercy reste inchangé. « Il y a toujours cinq ministres à Bercy, c’est ça, la cohérence et la continuité », se félicite M. Sapin, dont les rapports tendus avec son collè- gue du troisième étage sont de notoriété publique. Que restera-t-il, au final, du « Macron 2 » dans les projets de loi qui doivent être présentés en mars au conseil des ministres. Tous les arbitrages n’ont pas encore été rendus. L’avant-projet de Mme El Khomri a été transmis au Conseil d’Etat mais la partie visant à assouplir les règles du licenciement économique, évoquée dans la presse, n’y figure pas. Le ministre de l’économie organiserait-il en sous-main les fuites pour tenter de forcer les arbitrages ? « C’est sa méthode habituelle », fait remarquer un de ses collègues au gouvernement. Quant à la partie qui doit atterrir sur le « porte-avions » Sapin, elle devait encore faire l’objet de derniers arbitrages. Mais elle restera relativement circonscrite, en tout cas bien moins ambitieuse que ce qu’imaginait au départ le ministre de l’économie : sur un texte initial qui comporte une cinquantaine d’articles, elle ne devrait en occuper qu’une dizaine. « Il s’agit de dispositions que j’ai moi-même du mal à comprendre », note M. Sapin. Un des principaux points porte sur l’adaptation des niveaux de qualification, notamment pour les métiers de l’artisanat. « Il existe des dizaines, voire des centaines d’activités soumises à qualification obligatoire sans que ce soit justifié », estime M. Macron. Le ministre voudrait en outre modifier le régime de la micro- Renouer avec « l’esprit de #noé » Quand le projet de loi viendra devant le Parlement, Emmanuel Macron, c’est entendu, défendra la partie du texte dont il est à l’initiative. Mais le voilà contraint, de fait, à un second rôle, ce qui n’est pas dans son tempérament. De même pour les éléments figurant dans le projet défendu par la ministre du travail. Saura-t-il s’en satisfaire ? Il est clair qu’il ne bénéficie plus de la même exposition que lors de la défense du texte sur la croissance et l’activité, où il avait pris toute la lumière. Alors, dans un ultime baroud d’honneur, le ministre de l’économie a prévu d’organiser, avant la fin du mois, un nouveau rendezvous devant la presse pour renouer avec « l’esprit de #noé ». Une manière un peu désespérée de témoigner de sa volonté de réformer en profondeur. Et de déplorer qu’on lui ait rogné les ailes. p patrick roger Une action à Bercy qui tarde à porter ses fruits Emmanuel Macron a ouvert beaucoup de chantiers, mais peu ont pour le moment abouti O uverture des commerces le dimanche, restructuration d’Areva et de la filière parapétrolière, bras de fer avec le PDG de Renault, Carlos Ghosn, ou celui d’EDF, Henri Proglio, promotion de la French Tech… En dix-huit mois, Emmanuel Macron a lancé d’innombrables chantiers à Bercy. Mais peu ont pour l’instant abouti. Macron pompier Longtemps, M. Macron s’est voulu plus bâtisseur que pompier, rôle qu’affectionnait son prédécesseur, Arnaud Montebourg. Mais l’appel lancé, lundi 15 février à Bruxelles, par le ministre de l’économie afin de défendre l’acier européen contre les importations chinoises ou la déconfiture du secteur de l’énergie montrent la limite de son positionnement : la politique économique est plus souvent affaire de circonstances que de stratégie. En quelques semaines, en ce début 2016, M. Macron a dû ainsi organiser, avec Bpifrance, le sauvetage de CGG et de Vallourec, deux fleurons parapétroliers français, mis à genoux par la plongée des cours du baril. Il y a un an, Philippe Crouzet, le patron de Vallourec, avait pourtant dû alléger un premier plan de restructuration, jugé politiquement inacceptable. « Personne ne pouvait prévoir l’ampleur de la débâcle pétrolière », défend un proche de l’Etat. Autre dossier en souffrance : Areva, dont le sort est loin d’être réglé, malgré 5 milliards d’euros de recapitalisation en vue. C’est M. Macron qui a choisi de couper en deux le leader de l’atome, pour en confier la moitié à EDF. Mais l’électricien est lui-même fragilisé. De plus, ce schéma complexe et très critiqué ne résout pas la question du surcoût du chantier de construction d’un réacteur EPR en Finlande, qui pourrait coûter plusieurs milliards d’euros à l’Etat. Enfin, l’année 2015 restera comme celle où trois champions nationaux – Lafarge, Alstom et Alcatel-Lucent – sont passés sous contrôle étranger. Une première dans l’histoire du capitalisme français. Dans les deux premiers cas, le coup était parti au printemps 2014, à l’époque de M. Montebourg. Pour Alcatel, M. Macron n’a rien trouvé à redire à sa cession au finlandais Nokia. ment où le Sénat entamait l’examen de la loi Macron pour la croissance et l’activité. Mais son efficacité fait débat. D’abord, parce que Nissan, l’autre actionnaire de Renault, l’a très mal pris. Ensuite, parce que l’acquisition de ces 4,73 % du constructeur français, pour 1,2 milliard d’euros, s’avère une mauvaise affaire : les actions ne valent plus que 1 milliard d’euros en Bourse. Ce qui éloigne la promesse d’une cession rapide de cette participation « temporaire ». Macron autoritaire Au nom du respect de l’Etat actionnaire, M. Macron a fait barrage, en mai 2015, à la nomination d’Henri Proglio, ex-PDG d’EDF, à la présidence de Thales. Un mois plus tôt, il avait ouvert un front face à Carlos Ghosn, le patron de Renault, en renforçant la part de l’Etat au capital du constructeur, afin de bénéficier d’une loi instaurant des droits de vote double. Cette démonstration de force se voulait également un message fort à destination du PS, au mo- Macron réformateur Promulguée le 6 août 2015, la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques était destinée à « lever les blocages » entravant l’économie tricolore. Parmi 300 articles, la libéralisation du transport de passagers par autocar a permis de créer un millier d’emplois en trois mois, selon un chiffrage donné par M. Macron en décembre 2015. La réforme du travail dominical pour les commerces peine en revanche à se généraliser. Certaines A sa décharge, le ministre de l’économie n’a pas les moyens d’aller tellement plus loin enseignes (Darty, Zara, Etam…) ont obtenu l’accord de leurs syndicats. Mais à la Fnac, les négociations ont achoppé. Dans les grands magasins parisiens comme les Galeries Lafayette, ces discussions viennent de commencer. Revers pour M. Macron, le plafonnement des indemnités prud’homales en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse a été censuré par le Conseil constitutionnel en août 2015. La mesure est au menu de la ministre du travail, Myriam El Khomri, qui planche sur une réforme du code du travail. Concernant la refonte des tarifs des professions réglementées (huissiers, notaires…) « pour qu’ils correspondent aux coûts réels supportés par les professionnels », les décrets sont examinés par le Conseil d’Etat « et devraient entrer en vigueur le 29 février », indiquet-on à Bercy. Mais leur impact économique devrait être limité. Macron porte-drapeau New York, Tel Aviv, Las Vegas… Le ministre globe-trotter n’a pas ménagé son temps pour soutenir les start-up françaises et attirer les investisseurs étrangers. Les patrons de la French Tech adorent ce récent converti. Au Salon de l’électronique de Las Vegas, en janvier, il a jugé que la France était « créative », « innovante », mais avait besoin de « réformes ». Pour beaucoup, cette communication a eu le mérite de faire oublier la taxe à 75 % sur les hauts revenus, aux effets dévastateurs à l’étranger. Pour autant, M. Macron compte peu de réalisations concrètes. « A part la réforme sur les actions gratuites, il n’y a pas eu grand-chose », dit Jean-David Chamboredon, coprésident de France Digitale, un lobby d’entrepreneurs. A sa décharge, le ministre n’a pas les moyens d’aller tellement plus loin. « On retombe souvent sur des questions fiscales ou concernant le droit du travail, qui relèvent d’autres ministères », complète le lobbyiste. p isabelle chaperon, avec le service économie Nicolas DUPONT-AIGNAN Invité de Mercredi 17 février à 20h30 Emission politique présentée par Frédéric HAZIZA Avec : Françoise FRESSOZ, Frédéric DUMOULIN et Yaël GOOSZ sur le canal 13 de la TNT, le câble, le satellite, l’ADSL, la téléphonie mobile, sur iPhone et iPad. En vidéo à la demande sur www.lcpan.fr et sur Free TV Replay. www.lcpan.fr 10 | france 0123 MERCREDI 17 FÉVRIER 2016 Pacte de responsabilité : Manuel Valls durcit le ton Le premier ministre a appelé le patronat à respecter ses engagements U n simple coup de pression ou une menace réelle ? A la sortie du comité de suivi des aides publiques aux entreprises, lundi 15 février, Manuel Valls a estimé que les engagements du patronat dans le cadre du pacte de responsabilité « n’étaient pas respectés ». Selon la ministre du travail, Myriam El Khomri, également présente à cette réunion, sur les 50 principaux secteurs professionnels, 16 accords de branche seulement ont été signés. Trois branches n’ont encore engagé aucune négociation. « Ce n’est pas satisfaisant », a déclaré le premier ministre, appelant le patronat à « assumer ses responsabilités ». En soi, le constat n’est pas nouveau. Pas plus que ne l’est l’exhortation aux entreprises de jouer le jeu du pacte de responsabilité en contrepartie des 41 milliards d’euros qui leur ont été accordés depuis la mise en œuvre du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), dont le coût total atteindra 20 milliards d’euros en 2017, et des allégements progressifs de charges sociales et fiscales, dont la dernière tranche doit intervenir en 2017. Ainsi, la suppression de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), devenue effective pour les très petites entreprises (TPE) en 2015 et les petites et moyennes entreprises (PME) en 2016, devrait être étendue aux grandes entreprises en 2017, et une nouvelle baisse du taux de l’impôt sur les sociétés (IS) devrait être inscrite dans la prochaine loi de finances, pour un allégement global de 5,5 milliards d’euros dont les grandes entreprises seraient les principales bénéficiaires. En outre, comme l’avait annoncé François Hollande le 18 janvier, le CICE devrait être transformé en baisses de charges « au plus tard en 2018 ». « Conditionner les aides » C’est là que le ton du premier ministre s’est durci. Tout en assurant que le gouvernement respecterait ses engagements financiers, il a prévenu que « les aides peuvent être conditionnées, elles peuvent être réorientées vers d’autres types d’entreprises ». Une hypothèse déjà évoquée à plusieurs reprises. M. Valls a indiqué qu’une évaluation complémentaire devrait être réalisée « avant l’été » et que les modalités de l’engagement de l’Etat seraient alors examinées en fonction des résultats. Une prochaine réunion d’étape est prévue Comité de suivi des aides publiques aux entreprises, en présence de Manuel Valls, lundi 15 février, à Paris. FRÉDÉRIC PITCHAL/DIVERGENCE en juin et France Stratégie présentera un nouveau rapport d’évaluation du pacte en septembre. « Il ne s’agit pas d’une remise en cause globale des 41 milliards du pacte de responsabilité mais de conditionner et retravailler la répartition de la troisième tranche pour 2017, précise son cabinet. Le bilan est positif pour les branches engagées dans des négociations mais il faut que le rythme s’accélère d’ici à cet été. On ne porte pas tant un jugement sur les accords de branche que sur les quelques branches qui n’ont pas abouti et les trois où aucune négociation n’a été entamée [cabinets médicaux, établissements d’enseignement privé, pharmacies d’officine]. Le gouvernement et le législateur ont pris leurs responsabilités pour 2015 et 2016, les entreprises doivent en faire autant. » « Brandir la menace ne sert à rien. (…) Il s’agit d’une posture politique » commençait à porter ses fruits ». « Nous avons joué le jeu, nous le jouons et nous le jouerons », a déclaré Pierre Gattaz, mardi matin, lors d’une conférence de presse, jugeant « contreproductifs », les propos de M. Valls. FRANÇOIS ASSELIN 47 000 emplois en 2015 Pour François Asselin, président de la CGPME, « on a dévié d’une question économique à une question politique, on se trompe d’objectif ». « Brandir la menace ne sert à rien. Un chef d’entreprise n’embauche pas pour faire plaisir au premier ministre et ne s’empêche pas d’embaucher pour l’embêter, commente-t-il. Si on considère les chiffres du chômage, oui, l’objectif du pacte de responsabilité n’a pas été atteint. Mais si on accuse les patrons de faire de la rétention à l’embauche, il s’agit d’une posture politique. » président de la CGPME Il n’en fallait pas plus, cependant, pour faire réagir les représentants patronaux, qui se sont dits « surpris » de la sortie de M. Valls, « plus agressive que la teneur de la réunion qui l’a précédée ». Pour le vice-président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, « si on commence à conditionner les aides et à remettre en cause le pacte, on démolit tout l’effort de confiance fait jusqu’à présent et qui L’avenir de Paris entre les mains de Matignon Les élus parisiens ont adopté, lundi, la réforme du statut de la capitale, voulue par Mme Hidalgo. Le contenu du projet de loi doit être arrêté par le premier ministre U n tournant historique majeur », s’est félicitée Anne Hidalgo. Le dessein de la maire PS de Paris, qui souhaite la modernisation du statut de la capitale, a franchi, lundi 15 février, une première étape, avec l’adoption du projet par les élus parisiens. Mais les uns redoutent et les autres espèrent que le schéma initial de la municipalité évolue lors de son examen par le Parlement. Dans les prochains jours, Manuel Valls doit arrêter le contenu et le calendrier de la réforme avec Mme Hidalgo qui espère un projet de loi voté en 2016. Présenté par celle-ci comme une mesure de lutte contre « les lourdeurs bureaucratiques », le principe de la fusion de la commune et du département de Paris a été #& '.)$,(!+"& '& -%.)* %* 3*2%6 )* ($2%/$%6 7 ,!#" )($& 462&$2+ 06/$+. 51*/2)36-+$ )* '12%$ avec adopté, lundi, par tous les groupes politiques sauf celui des Républicains. Le président du groupe des élus PCF-Front de gauche au Conseil de Paris, Nicolas BonnetOulaldj, redoute toutefois la tentation du Parlement d’organiser « un coup de force » contre les départements, à l’occasion du projet de loi sur le statut de Paris. Sur le plan national, le projet de supprimer les départements a circulé au PS et continue d’être défendu par la droite et le centre. Elu (UDI) de Paris et sénateur, Yves Pozzo di Borgo souhaite proposer « la suppression de l’ensemble des départements de France ». Mme HIdalgo a rappelé son opposition à la disparition des départements. « Sortez de vos fantasmes ! » Pour combler « les disparités démographiques » entre arrondissements parisiens, elle souhaite le regroupement, en 2020, des 1er, 2e, 3e et 4e arrondissements en une seule mairie, mais se garde de proposer d’autres rapprochements pour ne pas être accusée de vouloir supprimer des mairies de droite. Cela n’a pas empêché UDI et MoDem de voter contre, au motif qu’il ouvre la voie à « un redécoupage de l’ensemble des circonscriptions parisiennes » par le Parlement, prédit Eric Azière, le patron des centristes parisiens. « Vous prenant à la fois pour Napoléon III et le baron Haussmann, vous voulez redessiner un Paris à votre main », a lancé Jean-Pierre Lecoq, maire (LR) du 6e arrondissement à Sous l’effet conjugué du pacte de responsabilité et de la baisse des prix du pétrole, les entreprises françaises devraient retrouver en 2016 un taux de marge équivalent à celui de 2008, avant la crise. Sur le front de l’emploi, les résultats tardent à venir, même si, d’après une première estimation de l’Insee publiée vendredi 12 février, 47 100 emplois ont été créés dans le privé en France en 2015. Or, à un peu plus d’un an de l’élection présidentielle, l’exécutif a besoin de montrer que l’effort consacré en faveur des entreprises – qui a sérieusement fait tanguer sa majorité et désarçonné son électorat – produit ses fruits. En ce sens, la sortie de M. Valls avait une portée politique. Reste à savoir si le message sera entendu. p patrick roger et audrey tonnelier L’HISTOIRE DU JOUR David Cormand, à peine numéro un et déjà contesté à EELV D Mme Hidalgo. « Sortez de vos fantasmes ! », lui a-t-elle rétorqué. A l’inverse, Jean-Bernard Bros (PRG) a appelé à « l’audace » d’aller vers d’autres regroupements. Les élus écologistes ont demandé « le redécoupage de toute la carte parisienne ». Bruno Julliard, premier adjoint (PS) de Mme Hidalgo, a déclaré : « [Les parlementaires] n’iront pas plus loin que ce que nous proposons, car ils ne prendront pas le risque d’être accusés de tripatouillage électoral. » Troisième chantier – « le plus important » aux yeux de Mme Hidalgo –, le transfert de compétences de l’Etat à la Ville a reçu le soutien de tous les groupes – LR excepté. Le préfet de police, Michel Cadot, a salué la « démarche bienvenue et nécessaire » de la Ville. M. Cadot a donné son accord aux transferts de compétences dans les « cinq domaines » souhaités par la ville. Le principal concerne le contrôle de la circulation sur tous les axes de Paris. L’Etat garderait le droit de demander à la ville des aménagements du trafic sur certaines portions de rue, pour assurer la sécurité. La droite et le centre ont prévu de batailler au Parlement pour la création d’« une police municipale » à Paris. La plupart des élus LR parisiens militent aussi pour l’élection du maire de la capitale au scrutin direct, autrement dit non plus par les conseillers de Paris. A ces deux propositions, Mme Hidalgo a réitéré son hostilité. p iriger le parti écologiste n’est décidément pas une sinécure. A peine installé dans le fauteuil laissé vacant par Emmanuelle Cosse, partie au gouvernement sans l’aval d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV), David Cormand a aussitôt été mis en cause par une partie de ses troupes. Statutairement, c’est le numéro deux de la motion sur laquelle a été élue Mme Cosse au congrès de Caen, en novembre 2013, qui lui succède en cas de vacance du poste. Secrétaire national adjoint et chargé des élections, M. Cormand a donc été nommé secrétaire national « par intérim » jusqu’au congrès du parti qui doit se tenir en juin. Un temps proche de Jean-Vincent Placé, cet ancien conseiller régional de Haute-Normandie se voit aujourd’hui reprocher sa proximité avec Cécile Duflot dont il était depuis peu l’assistant parlementaire. La gauche d’EELV craint une reprise en main du parti en vue du congrès. « C’est l’homme de Duflot, critique Annie Lahmer, conseillère régionale d’Ile-deFrance. Ils font partie des gens qui portent une responsabilité dans la situation CET ANCIEN où nous sommes aujourd’hui. » Même CONSEILLER RÉGIONAL tonalité chez un ancien duflotiste, une espèce en voie d’apparition : « Il y a une DE HAUTE-NORMANDIE forte contestation de David car il est l’un des principaux artisans du calamiteux SE VOIT REPROCHER congrès de Caen. » Anticipant ces critiques, M. Cormand SA PROXIMITÉ a proposé la mise en place d’une « direcAVEC CÉCILE DUFLOT tion collégiale » qui lui permette de donner une image unie à la tête du parti. Lors de sa première prise de parole officielle, vendredi 12 février, il s’est présenté entouré des deux porte-parole, Sandrine Rousseau et Julien Bayou, ainsi que du trésorier et secrétaire national adjoint d’EELV, Jean Desessard. Presque toutes les sensibilités étaient donc représentées, sauf une partie de la gauche du mouvement. Mardi 16 février, cette composante devrait se voir proposer le poste de secrétaire national adjoint laissé vacant par M. Cormand. « J’essaie de donner tous les gages possibles, souligne-t-il. Nous avons vécu un traumatisme qui a un sens politique profond. Soit il y a une prise de conscience pour transcender ce moment difficile, soit on continue à faire comme d’habitude mais en pire. » Un vote du conseil fédéral, le parlement du parti, devrait intervenir dans la foulée pour valider la nouvelle direction. Si son issue fait peu de doute, M. Cormand devra faire ses preuves s’il veut transformer l’essai en juin. p béatrice jérôme raphaëlle besse desmoulières france | 11 0123 MERCREDI 17 FÉVRIER 2016 L’orthographe, une bataille très politique Le ministère de l’éducation se voit reprocher des rectifications orthographiques formulées en 1990 D epuis le début du mois de février, la ministre de l’éducation fait face à une polémique à rebondissements : Najat VallaudBelkacem se voit reprocher d’avoir voulu généraliser, à la rentrée 2016, les recommandations pour une « orthographe révisée », formulées par le Conseil supérieur de la langue française en 1990. « L’orthographe révisée est la référence. » Cette petite phrase, si elle est bien extraite des programmes scolaires du primaire, n’est pas récente : elle figure dans ceux parus en juin 2008, sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy et le ministère de Xavier Darcos. A l’époque, cette mention n’avait suscité aucune réaction. Avec vingt-six ans de décalage, le gouvernement est donc tenu pour responsable de « retouches et aménagements » défendus, en leur temps, par Maurice Druon, alors secrétaire perpétuel de l’Académie française. Ce dernier s’était à l’époque prévalu de l’appui unanime des Immortels. Aujourd’hui au même poste, Hélène Carrère d’Encausse assure que l’Académie « n’a eu aucune part » dans cette réforme, suscitant l’« étonnement » de la ministre de l’éducation, qui le lui a fait savoir dans une missive rendue publique mardi 16 février. « Nivellement pas le bas » Des déclarations enflammées ont ajouté à la confusion. Mêlant les contre-vérités aux approximations, elles ont montré une nouvelle fois l’impossibilité politique de soutenir la moindre évolution des normes de la langue française. De François Fillon, jugeant que ce n’est « vraiment pas le moment », à François Bayrou, s’insurgeant contre « la volonté de couper nos enfants de leurs racines », en passant par Eric Ciotti, dénonçant « le nivellement pas le bas », la droite a trouvé, dans cette réforme qui n’en est pas une – ne fût-ce que par son caractère facultatif –, une nouvelle occasion de mettre en cause le gouvernement. Annie Genevard, déléguée à l’éducation du parti Les Républicains, est allée jusqu’à déplorer une atteinte à l’« identité » des Français dans un « contexte éruptif » – celui des attentats. Luc Chatel a, lui, tout mélangé, assurant que l’emploi de l’orthographe révisée était « une mesure de la réforme du collège ». « La France a connu pas moins de douze réformes de l’orthographe en 200 ans, puis un coup d’arrêt » ANDRÉ CHERVEL historien de l’orthographe Beaucoup de bruit, alors que ces modifications sont, parfois, déjà rentrées dans l’usage : elles portent sur le trait d’union, le pluriel de certains mots composés, certaines utilisations du participe passé, l’accent circonflexe dans certains cas… Comment en est-on arrivé là ? Il convient de faire la part entre l’actualité récente et la question de fond : doit-on et peut-on réformer une orthographe ardue, « probablement la plus difficile d’Europe », selon André Chervel, historien de l’orthographe et partisan depuis près d’un demi-siècle d’une simplification ambitieuse. « La France a connu pas moins de douze réformes de l’orthographe en deux cents ans, entre le XVIIe et le XIXe siècle, suivies d’un coup d’arrêt », résume-t-il. Il n’est qu’à se référer à l’édition originale des Fables de La Fontaine – par exemple « La Cigale ayant chanté/Tout l’Esté,/Se trouva fort dépourveuë/ Quand la Bize fut venuë » – pour réaliser à quel point les normes orthographiques ont évolué. La dernière réforme d’envergure, en 1835, a donné au français son aspect contemporain en passant, selon la formule consacrée « du françois au français ». « On en est resté pratiquement encore à cette ortho- graphe très traditionnelle », regrette André Chervel. Une orthographe qui, dès la fin du XIXe siècle, devient un signe distinctif du niveau d’instruction et accède au statut de passion française. « Beaucoup de ministres de l’éducation, à compter de Jules Ferry, tentent de réduire la place de son enseignement dans le temps scolaire, sans y parvenir, rappelle l’historien Claude Lelièvre. Quelques rectifications déjà dans l’usage Parmi les quelque 2 400 rectifications orthographiques proposées en 1990, certaines sont entrées dans les mœurs sans faire de bruit, d’autres ne sont pas du tout consacrées par l’usage. La nouvelle utilisation du tréma est communément admise : ambigüe en lieu et place d’ambiguë, mais aussi aigüe, contigüité, cigüe. Mémorandum porte un accent aigu, média aussi, mais pas vademecum. Personne ne s’est mis à écrire combattivité avec deux « t », en cohérence avec le verbe combattre. Beaucoup de mots composés ont vu leur tiret disparaître… ou pas, au gré des choix personnels : on écrit cowboy comme cow-boy, mais handball s’est imposé et haut-parleur demeure. Imbécillité comporte toujours deux « l » malgré les recommandations. Aujourd’hui encore, la langue écrite est, avec le roman national, l’un des deux totems de notre identité auxquels les Français ne tolèrent aucune atteinte. » Un désir de simplification Toute velléité de réforme déclenche un tir de barrage. Même l’Académie française, qui, en 1975 déjà, propose une série de simplifications, doit faire machine arrière devant le mauvais accueil qui lui est réservé. Au sein du monde enseignant, pourtant, comme parmi les linguistes, un désir de simplification perdure, même s’il reste incompris de l’opinion et rejeté par l’intelligentsia. En 1990, le premier ministre, Michel Rocard, croit pouvoir surmonter l’obstacle en prenant appui sur les académiciens. Un groupe de travail du Conseil supérieur de la langue française, présidé par Maurice Druon, icône du gaullisme et secrétaire perpétuel de l’Académie, avance ses proposi- Les dons d’organe en augmentation C’ L’amendement 46ter de la loi de santé tout juste adoptée, prévoit que « le prélèvement d’organes post-mortem peut être pratiqué sur une personne majeure dès lors qu’elle n’a pas fait connaître, de son vivant, son refus d’un tel prélèvement, principalement par l’inscription sur un registre national automatisé prévu à cet effet ». Consentement présumé Cet amendement remanié avait suscité de nombreuses réserves lors du débat parlementaire. La rédaction du décret d’application fait actuellement l’objet de réunions de concertation réunissant associations de patients, professionnels de santé, représentants des religions… la dernière devant se tenir le 24 mars. Les discussions y sont vives. A l’issue de ces réunions, un décret sera publié en Conseil d’Etat afin de préciser les autres moyens d’expression du refus. Cela pourrait se faire par le biais du dossier médical personnel. La question est aussi celle de la place des proches dans cette démarche. La mesure sera applicable le 1er janvier 2017. Le don d’organes repose en France sur le principe du consentement présumé (qui ne dit mot consent). Aujourd’hui, la seule façon d’exprimer son refus est de s’inscrire sur le registre national des refus, qui compte 120 000 personnes. « En élargissant ce dispositif, on présume que le pourcentage de refus va baisser et permettre de répondre en partie à la pénurie actuelle de greffons », explique Jean-Louis Touraine, député PS (Rhône) à l’origine de l’amendement. Ce taux d’opposition atteignait 32,5 % en 2015. Dans les faits, l’équipe médicale demande à la famille si la personne s’opposait ou non au prélèvement de ses organes, un moment difficile pour des personnes qui viennent de perdre un proche. L’agence de la biomédecine et les professionnels de santé se veulent rassurants : rien ne se fera si tis successifs, nie avoir pris la décision. Le Conseil supérieur des programmes, qui a publié en novembre 2015 les nouveaux programmes du primaire au collège, décline toute responsabilité en disant s’inscrire dans la continuité des recommandations officielles. Et ce, même s’il met en exergue de chacun de ses programmes, du CP à la 3e, que leurs textes appliquent l’orthographe révisée. De son côté, l’Académie a multiplié les communiqués visant à minimiser son rôle dans cette affaire. Quant aux éditeurs de manuels, censés, selon de nombreux médias, avoir « décidé de systématiser » ces recommandations, ils préfèrent désormais se taire, ontils confié au Monde, « lassés par cette polémique et cette écume médiatique qui amalgament grossièrement syntaxe et orthographe grammaticale, orthographe lexicale et orthographe d’usage ». p mattea battaglia et luc cédelle J UST I C E Affaire Bygmalion : Nicolas Sarkozy entendu Si la hausse est une bonne nouvelle, elle reste insuffisante face à la demande. Le décret qui permet de faciliter les prélèvements post-mortem fait l’objet de vives discussions est la plus forte augmentation en dix ans. Le nombre de greffes d’organes a augmenté de 7 % en 2015 par rapport à 2014, avec 5 746 greffes réalisées, dont 60 % de greffes rénales. C’est ce que souligne le rapport de l’Agence de la biomédecine présenté mardi 16 février. Si cette hausse est une bonne nouvelle, le nombre de patients en attente d’organes ne cesse d’augmenter. Il a quasiment doublé en dix ans, avec 21 378 personnes en demande, en raison notamment du vieillissement de la population. Mais aussi du « succès de la greffe », selon l’agence. « Cela reste la meilleure thérapeutique pour rétablir la fonction des organes et une technique de mieux en mieux maîtrisée, avec 91 % d’organes prélevés greffés », explique le professeur Olivier Bastien, le directeur du prélèvement et de la greffe. Afin de lutter contre le manque de greffons disponibles, la procédure est en cours de modification. tions, entérinées le 3 mai par les Immortels à l’unanimité… des présents (vingt-deux sur trentehuit). Le 6 décembre sont publiées au Journal officiel les « rectifications de l’orthographe ». « Elles ne visent pas un bouleversement de la langue », mais « normalisent la plupart des anomalies », précise alors Maurice Druon. Des résistances se font pourtant jour, au sein même de l’Académie et au-delà : ce « front du refus » réunit François Bayrou, Michel Tournier, Danièle Sallenave, Philippe Sollers, Cavanna, Alain Finkielkraut… Un second vote, le 17 janvier 1991, ressoude les rangs des académiciens en insistant sur le caractère facultatif des rectifications et sur l’idée que seul l’usage tranchera. En l’absence de circulaire, les enseignants feront à leur guise… jusqu’à aujourd’hui. Pourquoi le sujet ressurgit-il ? Du côté des présumés responsables, chacun se renvoie la balle. Le gouvernement, par trois démen- la famille exprime le moindre refus. Le décret précise d’ailleurs que « le médecin informe les proches du défunt, préalablement au prélèvement envisagé ». « Une part importante de la population n’a même jamais réfléchi au don de ses organes et ne souhaite pas se positionner sur cette question, qui confronte à la mort… », note Renaloo, association de patients concernés par la dialyse et la greffe de rein. Celle-ci craint que cette loi ait l’effet inverse de celui escompté, à savoir un recul du don. Ces dernières années, d’autres pistes ont été mises en œuvre par l’Agence de la biomédecine pour favoriser les dons d’organes. Il est possible depuis 2011 de donner un rein de son vivant, ce qui a représenté 16 % des 3 486 greffes rénales réalisées en 2015. Il est aussi possible depuis 2014 de prélever chez les patients décédés après un arrêt cardiaque, à la suite de l’échec des thérapeutiques. p pascale santi Nicolas Sarkozy était mardi 16 février au pôle financier du tribunal de grande instance de Paris pour être entendu par les juges d’instruction sur les fausses factures de Bygmalion et les comptes de sa campa- gne présidentielle de 2012, affaire dans laquelle il risque une mise en examen. Les enquêteurs soupçonnent l’actuel président du parti Les Républicains d’avoir couvert un système de fausses factures visant à maquiller l’explosion du plafond légal de ses frais de campagne. – (AFP.) - CESSATIONS DE GARANTIE LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRET D’APPLICATION N° 72-678 DU 20 JUILLET 1972 - ARTICLES 44 QBE FRANCE, sis Cœur Défense – Tour A – 110 esplanade du Général de Gaulle – 92931 LA DEFENSE CEDEX (RCS NANTERRE 414 108 708), succursale de QBE Insurance (Europe) Limited, Plantation Place dont le siège social est à 30 Fenchurch Street, London EC3M 3BD, fait savoir que la garantie financière dont bénéficiait: AGENCE PAGES IMMOBILIER SERVICES SARL 51 Avenue du Général de Gaulle 66320 VINCA - SIREN : 481 991 990 depuis le 22 mai 2005 pour ses activités de : GESTION IMMOBILIERE cessera de porter effet trois jours francs après publication du présent avis. Les créances éventuelles se rapportant à ces opérations devront être produites dans les trois mois de cette insertion à l’adresse de l’Etablissement garant sis Cœur Défense – Tour A – 110 esplanade du Général de Gaulle – 92931 LA DEFENSE CEDEX. Il est précisé qu’il s’agit de créances éventuelles et que le présent avis ne préjuge en rien du paiement ou du non-paiement des sommes dues et ne peut en aucune façon mettre en cause la solvabilité ou l’honorabilité de la SARL AGENCE PAGES IMMOBILIER SERVICES. LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRET D’APPLICATION N° 72-678 DU 20 JUILLET 1972 - ARTICLES 44 QBE FRANCE, sis Cœur Défense – Tour A – 110 esplanade du Général de Gaulle – 92931 LA DEFENSE CEDEX (RCS NANTERRE 414 108 708), succursale de QBE Insurance (Europe) Limited, Plantation Place dont le siège social est à 30 Fenchurch Street, London EC3M 3BD, fait savoir que, la garantie financière dont bénéficiait la : SARL BATCOM 24 Bd de la République - 13530 TRETS RCS: 445 296 056 depuis le 1er Janvier 2005 pour ses activités de : TRANSACTIONS SUR IMMEUBLES ET FONDS DE COMMERCE AVEC PERCEPTION DE FONDS depuis le 1er janvier 2005 pour ses activités de : GESTION IMMOBILIERE cessera de porter effet trois jours francs après publication du présent avis. Les créances éventuelles se rapportant à ces opérations devront être produites dans les trois mois de cette insertion à l’adresse de l’Établissement garant sis Cœur Défense – Tour A – 110 esplanade du Général de Gaulle – 92931 LA DEFENSE CEDEX. Il est précisé qu’il s’agit de créances éventuelles et que le présent avis ne préjuge en rien du paiement ou du non-paiement des sommes dues et ne peut en aucune façon mettre en cause la solvabilité ou l’honorabilité de la SARL BATCOM. 12 | débats 0123 MERCREDI 17 FÉVRIER 2016 La plus heureuse idée d’Albert Einstein La découverte des ondes gravitationnelles prédites par Einstein est le plus bel hommage que la science pouvait rendre à ce physicien de génie pour le centenaire de la théorie de la relativité par étienne klein P aul Valéry et Albert Einstein, qui s’admiraient mutuellement, se rencontrèrent à plusieurs reprises au cours des années 1920. Un jour, le penseur-poète, persuadé que le père de la théorie de la relativité produisait des idées à une cadence d’essuie-glaces, osa lui poser la question qui lui brûlait les lèvres depuis longtemps : « Lorsqu’une idée vous vient, comment faites-vous pour la recueillir ? Un carnet de notes, un bout de papier… ? » La réponse le déçut sans doute, le physicien se contentant de lancer : « Oh ! Une idée, vous savez, c’est si rare ! » NE PLUS SENTIR SON POIDS Cette réponse témoigne de l’extrême modestie d’Einstein. Car en réalité, des idées, il en a bel et bien eu, et bien plus qu’une, et pas n’importe lesquelles ! C’est un beau jour de 1907, alors qu’il était encore à Berne, qu’il eut « la plus heureuse de sa vie », l’idée qui sera la pierre angulaire de sa théorie de la relativité générale : « J’étais assis sur ma chaise au Bureau fédéral de Berne, racontera-t-il. Je compris soudain que si une personne est en chute libre, elle ne sentira pas son propre poids. J’en ai été saisi. Cette pensée me fit une grande impression. Elle me poussa vers une nouvelle théorie de la gravitation. » Ce qu’Einstein venait là de comprendre, c’est que lorsque nous tombons en chute libre, tout ce qui est proche de nous (parapluie, chapeau) tombe comme nous puisque la vitesse de chute des objets est la même pour tous les objets. Nous avons donc l’impression que la pesanteur a disparu dans notre voisinage alors même que nous sommes en train de subir sa loi. N’est-ce pas bizarre ? Tout se passe comme si l’accélération produite par la chute effaçait le champ de gravitation local… A la suite de cet émoi, Einstein postula qu’il y aurait une sorte d’identité formelle entre accélération et gravitation : si une accélération peut effacer un champ gravitationnel réel, alors elle doit pouvoir aussi créer l’apparence d’un champ gravitationnel là où il n’y en a pas. En conséquence de ce « principe d’équivalence », une personne se trouvant dans un ascenseur sans fenêtre ne saurait dire si l’ascenseur est au repos dans un champ gravitationnel ou si, hors de tout champ de gravitation, il est tiré avec une accélération constante. Dans les deux cas, cette personne sentirait ses pieds plaqués au plancher et, si elle lâchait un objet, celui-ci tomberait exactement comme il le fait sur Terre. L’expression des lois physiques devrait donc être formellement identique dans les deux situations. ESPRIT D’ASCENSEUR Quatre ans plus tard, alors à Prague, Einstein fit une seconde percée décisive en comprenant que le principe d’équivalence implique que la lumière, bien que de masse nulle, ne file pas tout droit dans un champ de gravitation. Imaginons que la cabine d’un ascenseur ait un mouvement accéléré et qu’un rayon de lumière parallèle au plancher passe par un minuscule orifice aménagé dans l’une de ses APPARUE DANS LE RECOIN D’UN CERVEAU CAPABLE DE PENSÉES PEU ORDINAIRES, L’IDÉE QUE LE TRAJET DE LA LUMIÈRE EST DÉVIÉ PAR LA GRAVITATION VA BOUSCULER LA STRUCTURE MÊME DE L’UNIVERS FREAK CITY parois. La vitesse de la lumière n’étant pas infinie, il lui faut un certain temps pour atteindre la paroi opposée, temps pendant lequel la cabine se sera déplacée vers le haut, de sorte que le point d’impact du rayon lumineux sera un peu plus proche du plancher que l’orifice d’entrée. Si l’on pouvait observer la trajectoire du rayon lumineux traversant la cabine, on constaterait qu’elle est courbée en raison de l’accélération vers le « haut ». Qu’impose maintenant le principe d’équivalence ? Que cet effet serait le même si la cabine d’ascenseur était immobile dans un champ de gravitation. En clair, contrairement à ce qui se passe selon la théorie classique, le trajet de la lumière doit être dévié par la gravitation ! Cette idée va agir comme un sésame cosmique. Apparue au bord de la Vltava dans le recoin d’un cerveau capable de pensées peu ordinaires, elle va s’étayer, se formaliser, et finira par bouleverser dans l’esprit des physiciens la structure même de l’Univers. UNE ÉCLIPSE ÉCLAIRANTE Dès la fin de l’année 1911, Einstein suggéra que la déviation de la lumière qu’il venait de calculer pouvait être mesurée avec la lumière nous arrivant des étoiles fixes. En temps ordinaire, du fait de l’éclat aveuglant du soleil, les étoiles fixes qui sont dans sa direction ne sont pas visibles, mais elles le deviennent lors d’une éclipse totale du soleil. Dans ces conditions, une éventuelle déflexion de la lumière par la gravité du soleil deviendrait mesurable. Or les astronomes avaient prévu pour le 21 août 1914 une éclipse totale qui devait rassembler toutes les conditions requises pour effectuer une mesure cruciale. Erwin Freundlich, un jeune astronome allemand, organisa une première expédition qui partit pour la Crimée, juste au moment… où se déclara la première guerre mondiale. Tous les membres de l’équipe furent faits prisonniers par les soldats du tsar et leurs instruments confisqués. D’un certain point de vue, ce fut un coup de chance, car la prédiction d’Einstein n’était pas encore assez mûre pour obtenir la bénédiction céleste : si Freundlich avait pu faire ses mesures comme prévu, celles-ci auraient réfuté les calculs d’Einstein, qui étaient faux… Mais revenons en 1913. De retour à Zurich, Einstein étudia avec l’aide de Marcel Grossmann la géométrie des espaces courbes qui avait été développée par Bernhard Riemann. Ce dernier n’avait envisagé que la courbure de l’espace, mais Einstein et son ami générali- ¶ Etienne Klein est directeur de recherche au Commissariat à l’énergie atomique (CEA), auteur de « Discours sur l’origine de l’Univers » (ChampsFlammarion, 2012), « En cherchant Majorana, le physicien absolu » (éditions des Equateurs, 2013) et « Les Secrets de la matière » (Librio, 2015) sèrent ses travaux à l’espace-temps tout entier. Dans un article rédigé à quatre mains, ils avancèrent l’idée que la gravitation n’est pas une véritable force, mais une manifestation locale de la courbure de l’espace-temps. Selon eux, la géométrie de l’Univers serait en réalité courbée par les masses qu’il contient et, en retour, la géométrie de l’espace-temps déterminerait directement (c’est-à-dire sans qu’une force soit mise en jeu) le mouvement des objets matériels en son sein. Cependant, à cause d’une erreur commise par Einstein, ils ne purent trouver les équations reliant la courbure de l’espace-temps à la masse et à l’énergie qui y sont contenues. A partir de 1914, Einstein continua à travailler sur ce problème à Berlin, en grande partie épargnée par la guerre, et il finit par trouver les équations justes à la fin de l’année 1915. Au cours de la conférence qu’il donna le 25 novembre, il annonça que la déviation de la lumière lors de son passage au voisinage du soleil devait être le double de celle qu’il avait annoncée en 1911. Après la fin du carnage mondial, Arthur Eddington, le directeur de l’observatoire de Cambridge, organisa deux expéditions en vue d’observer l’éclipse du 29 mai 1919. Lui-même partit avec une première équipe pour une petite île de l’Atlantique Sud, tandis qu’une seconde équipe posait ses instruments dans une ville du Brésil. Malgré une météo peu coopérative et des plaques photographiques de mauvaise qualité, les mesures confirmèrent les calculs d’Einstein. L’annonce de ce résultat déclencha un enthousiasme sans précédent et fit d’Einstein une star mondiale. Lorsque Eduard, son second fils, lui demanda pourquoi il était devenu si célèbre, il obtint une jolie réponse qui résumait l’essentiel de l’affaire : « Quand un scarabée aveugle marche à la surface d’une branche incurvée, lui expliqua son père, il ne se rend pas compte que le chemin qu’il suit est lui aussi incurvé. J’ai eu la chance de remarquer ce que le scarabée ne peut pas voir. » ENTENDRE LE SOUFFLE DE L’UNIVERS En 1916, alors qu’il était malade, épuisé par des années de travail intense, Einstein avait commencé à se demander si une masse en mouvement accéléré pouvait rayonner des « ondes gravitationnelles », de la même façon qu’une charge électrique qu’on accélère rayonne des ondes électromagnétiques. Il avait découvert rapidement des solutions de ses équations correspondant à des ondulations de l’espace-temps se propageant à la vitesse de la lumière. Au cours de leur trajet, elles devraient secouer l’espace-temps, ce qui aurait pour effet de modifier brièvement la distance séparant deux points dans l’espace. La gravitation étant très faible en intensité, de telles ondes sont très difficiles à détecter. De fait, elles n’ont pu l’être qu’avec la complicité d’un événement considérable qui s’est produit il y a plus d’un milliard d’années : deux trous noirs voisins ont fusionné à une vitesse égale aux deux tiers de la vitesse de la lumière ; ce phénomène hyperviolent a libéré une énergie inimaginable en seulement 20 millisecondes, et engendré un train d’ondes gravitationnelles qui ont progressivement perdu de la puissance au cours de leur long voyage ; leur passage au travers de la Terre, le 14 septembre 2015 à 9 heures 50 minutes et 45 secondes (Temps universel), a pu être détecté grâce aux instruments extrêmement sensibles de l’expérience LIGO (qui, coup de chance incroyable, venaient tout juste d’être mis en service). Attardons-nous une seconde sur la prouesse réalisée : les variations de longueur que cet instrument est parvenu à mesurer sont largement inférieures à la taille d’un proton ! L’IRONIE DE L’HISTOIRE Mathématiquement articulée, la physique agit décidément comme un véritable « treuil ontologique » : à partir d’un examen de ses équations et de ce qu’elles impliquent, elle révèle de nouveaux éléments de réalité. Elle le fit déjà en prédisant puis démontrant l’existence des photons, des antiparticules, des quarks, et, plus récemment, en 2012, du boson de Higgs. Mais là, l’histoire se donne en plus avec une certaine ironie, car Einstein n’a jamais cru en l’existence des trous noirs. Or, ce sont bien deux tels objets qui, en s’accouplant jusqu’à n’en plus faire qu’un, ont permis que soient enfin détectées les ondes gravitationnelles qu’il avait prédites. Il s’agit en fait d’une double découverte : la preuve de la réalité des ondes gravitationnelles confirme en retour, par une sorte de renvoi d’ascenseur cosmique, l’existence des trous noirs (qui était encore contestée par certains), ainsi que la possibilité de leur coalescence. L’annonce du 11 février vient donc à point nommé pour célébrer majestueusement le centenaire d’une extraordinaire construction intellectuelle. Elle sonne comme l’aboutissement d’une idée simple et en effet « heureuse » qui, un beau jour, éclata comme une bulle dans le cerveau d’un génie. p éclairages | 13 0123 MERCREDI 17 FÉVRIER 2016 De quoi le nom de Poutine est-il synonyme ? ANALYSE moscou - correspondance Q POUR MOSCOU, CITER LE NOM DE M. POUTINE DANS DE SORDIDES AFFAIRES SIGNIFIE QUE LES ÉTATS-UNIS SONT À L’OFFENSIVE POUR CHANGER LE POUVOIR uelque chose a changé. On ne dit plus « le pouvoir », « l’entourage », voire « le Kremlin », pour dénoncer quelque malversation supposée commise tout au sommet de l’Etat russe, mais « Poutine ». Pour la première fois, quasi coup sur coup, le nom du président russe, Vladimir Poutine, a été cité par des autorités extérieures à la Russie dans deux sombres affaires. La première concerne un meurtre, la seconde, la corruption. Rien de moins ! Le 21 janvier, le juge britannique Robert Owen, chargé d’une enquête publique sur la mort du ressortissant russe Alexandre Litvinenko, décédé à Londres en 2006 des suites d’un empoisonnement au polonium – une substance hautement radioactive –, a nommément mis en cause M. Poutine en désignant le président russe comme le « probable » commanditaire de l’assassinat de cet ancien agent du KGB, les services secrets russes. L’affaire a fait grand bruit. Car même si Alexandre Litvinenko, avant de mourir, puis sa veuve n’ont jamais cessé d’accuser le dirigeant russe, personne, jusqu’ici, n’avait jamais impliqué de la sorte le chef du Kremlin. Cette fois, l’accusation, même « adoucie » par l’utilisation d’un adverbe, émane directement d’un magistrat étranger. Une première, dont Moscou a tenté de minimiser la portée. « C’est peut- LETTRE DE LONDRES | être une blague », a réagi le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov. Mais au même moment, ou presque, le 25 janvier, la diffusion d’un reportage de la chaîne BBC, dans lequel un haut responsable du Trésor américain accuse M. Poutine d’être corrompu, ouvre une nouvelle brèche. Le fonctionnaire y décrit le président russe comme un personnage utilisant les ressources de l’Etat pour enrichir ses amis et « maquiller » sa fortune. Et loin de prendre ses distances avec ces déclarations, comme l’exigeait Moscou, l’entourage du président Barack Obama a confirmé. « La déclaration du Trésor est ce qui reflète le mieux le point de vue de l’administration présidentielle », a asséné quelques jours plus tard le porte-parole de la Maison Blanche, Joshua Earnest. Encore une première. Jamais de telles accusations n’avaient été formulées de façon aussi explicite à ce niveau. « DÉCLARATIONS SCANDALEUSES » Les opposants et détracteurs de M. Poutine, habitués à dénoncer haut et fort les travers de la présidence russe, ne s’en émouvront pas. A commencer sans doute par Alexeï Navalny, qui a déposé plainte, le 11 février, contre le chef du Kremlin, pour avoir omis de signaler un conflit d’intérêts L’opposant s’est appuyé pour cela sur un décret présidentiel allouant 1,75 milliard de dollars (1,56 milliard d’euros) à la compagnie pétrochimique Sibur, dont l’un des principaux actionnaires, Kirill Chamalov, se trouve être l’époux d’Ekaterina Tikhonova, fille cadette du chef de l’Etat. La plainte a été rejetée. Mais des mises en cause directes, venues de sources étrangères, et non des moindres, sont inédites depuis l’arrivée au pouvoir de M. Poutine en 2000. Et Moscou s’en est étranglé de colère. « Nous estimons ces déclarations scandaleuses et offensantes », a fustigé M. Peskov, ajoutant qu’il s’agissait là d’une « déclaration sans précédent » venant de Washington. Il y a peu, lors de sa rencontre annuelle avec la presse internationale, Sergueï Lavrov, le ministre des affaires étrangères, a pris le relais dans le registre de l’indignation : « Nos collègues occidentaux disent parfois que les affaires avec la Russie ne reviendront pas à la normale. C’est vrai. » Puis, à propos des relations bilatérales russo-américaines, le chef de la diplomatie russe a fini par exhumer, non sans avoir dressé une longue liste de griefs au préalable, des lettres échangées… dans les années 1930. Dans ces documents établissant les premières relations diplomatiques entre l’URSS et les Etats-Unis, ces derniers avaient réclamé l’engagement mutuel « de ne pas s’ingérer dans les affaires intérieures, de ne pas torpiller leur système politique et économique ». « Vous pouvez même les consulter sur notre site », avait insisté M. Lavrov, comme si l’URSS existait toujours et qu’il ne s’était rien passé depuis. Le lendemain, le portrait du président Obama s’affichait sur plusieurs mètres de haut, accroché à la façade d’un immeuble situé en face de l’ambassade américaine, au centre de Moscou, accompagné du mot : « killer ». Une vidéo identique a ensuite été projetée au-dessus du McDonald’s de la place Pouchkine, recensant les morts en Irak, en Syrie et en Ukraine et donnant rendez-vous au président américain « au tribunal de La Haye en 2016 ». Aux yeux de Moscou, citer le nom de M. Poutine « sans preuves » dans de sordides affaires ne peut signifier qu’une seule chose : les EtatsUnis, imités par leurs alliés, sont passés à l’offensive pour changer le pouvoir. « Il reste encore du temps, plus de deux ans, avant nos élections présidentielles, mais la préparation semble avoir commencé », a assuré M. Peskov – bien que M. Poutine n’a pas encore indiqué s’il comptait briguer un nouveau mandat pour ce scrutin prévu en septembre 2018. « Il est évident que nos partenaires – ou plutôt devrait-on dire, nos prétendus partenaires – n’apprécient pas la ligne cohérente qu’observe la Russie sur le dossier ukrainien, le dossier syrien, et en général la politique de la Russie sur la scène internationale », s’est entêté le porte-parole du Kremlin. Nul ne mesure encore les conséquences des accusations, graves, qui ont pesé sur le chef de l’Etat russe. En matière diplomatique, il est vrai, la « realpolitik » en a vu d’autres. Mais elles permettent de mesurer la distance qui s’est instaurée depuis l’apparition subite dans le paysage, il y a plus de seize ans, d’un homme dont tout le monde se demandait, Russes compris : « Mais qui est M. Poutine ? » p mandraud@lemonde.fr p h il ip p e b er nar d Heureux comme un continental au Royaume-Uni P as facile de se sentir pleinement européen à Londres lorsqu’on n’a pas en poche un passeport britannique ni en tête l’identité insulaire qui va souvent de pair. Ce puissant sentiment de singularité fait le charme bien connu du pays. Mais, exacerbé ces temps-ci par le nationalisme, il prend un relief particulier à quelques mois d’un référendum sur l’appartenance à l’Union européenne. Et, accessoirement, ne facilite pas la tâche du correspondant de presse étranger. La première fois qu’on se fait refuser l’accès à la salle du congrès du Parti travailliste où son leader va prendre la parole, « parce que vous n’êtes pas britannique », on songe à une mauvaise plaisanterie. Puis la même mésaventure se répète au congrès conservateur : pour obtenir un « ticket » d’entrée au discours de David Cameron, il faut appartenir à un média « British ». Vous restez incrédule et l’attachée de presse doit vous le répéter droit dans les yeux : vous n’aurez pas de ticket. Elle en est désolée. « Really sorry », insiste-t-elle en distribuant le sésame qu’elle vous refuse à vos confrères britanniques. Seul le système D à la française vous permet de contourner l’interdit en vous faufilant dans la file des VIP pour accéder à la salle. LES INDÉGIVRABLES PAR GORCE « Sorry, really sorry » : les « excuses » qui n’en sont nullement reviennent aussi régulièrement que les phrases introduites par « unfortunately… » (« malheureusement… ») qui sonnent comme autant de fins de non-recevoir définitives. La langue anglaise fourmille de formules destinées à vous éconduire de la plus charmante façon. « I’m afraid… » est une variante qui équivaut à un bannissement immédiat, teintée d’indifférence, voire d’une nuance de condescendance. La collaboratrice d’un député vous le dit sans détour : il ne prendra pas le temps de vous rencontrer parce que ses électeurs ne lisent pas Le Monde : « Your readers are not our voters. » Le responsable d’une ONG spécialisée dans l’hébergement d’urgence des SDF vous le confirmera : son association a pour principe de ne jamais parler à la presse étrangère. Quant au Foreign Office ou à Downing Street, ils n’invitent que rarement les journalistes européens, et jamais en même temps que les Britanniques. Heureusement, les simples citoyens sont nettement plus abordables, et même bien plus habitués qu’en France à exprimer librement leurs opinions. Mais comment expliquer pareille attitude des institutions autrement que par un sentiment persistant d’extranéité à l’égard de l’Europe ? Lors d’un toast au château de Bellevue à Berlin, en juin 2015, la reine Elizabeth II avait fait sensation en magnifiant l’unité de « notre continent ». Elle est bien la seule à prendre tant de liberté avec la géographie. Le tunnel sous la Manche n’y a rien fait : il y a la GrandeBretagne d’un côté, et « le continent » de l’autre. Cette attitude de retrait joue des tours aux responsables politiques britanniques en cette période où se négocient avec l’UE les réformes exigées par David Cameron pour mener la campagne du « in » (maintien dans l’Union) au référendum qu’il a promis. « EUROPE RÉFORMÉE » Le pays, ses élus et sa presse semblent découvrir que les concessions faites à Londres concernent aussi les 27 autres pays de l’UE. Que supprimer les aides sociales pour les Européens s’installant au Royaume-Uni pourrait être perçu comme discriminatoire. Que reconnaître la « pression migratoire exceptionnelle » subie par le Royaume-Uni pour justifier cette mesure peut résonner étrangement aux oreilles des Grecs ou des Allemands. Porté par de très bons résultats macroéconomiques, le Royaume-Uni croit plus que jamais en son étoile. Les partisans de la sortie de l’UE le répètent : le pays, fort de sa langue et de son entregent mondial à travers le Commonwealth, serait bien plus puissant hors d’une Union qui, selon eux, bride ses élans commerciaux vers l’Asie. Au point que David Cameron a été contraint, le 3 février aux Communes, de leur répondre. « Je ne prétends pas que le Royaume-Uni ne peut pas survivre hors de l’UE. Nous sommes la cinquième puissance économique du monde, le principal acteur européen en matière de défense [deux titres disputés avec la France] et disposons d’un des plus grands réseaux diplomatiques de la planète. » Pourtant, a-t-il plaidé, la prospérité du pays serait encore plus éclatante au sein d’une « Europe réformée » qui scellerait pour toujours le « statut spécial accordé au Royaume-Uni ». Dans un mélange d’autosatisfaction et d’aplomb – les systèmes judiciaire et de santé britanniques sont « les meilleurs du monde », entend-on couramment –, Londres oscille une fois de plus entre le continent et le grand large. Au point que les correspondants de presse « continentaux », pour peu qu’ils échangent sur leur expérience britannique, constatent leurs appréciations convergentes et se sentent soudain… européens. p bernard@lemonde.fr LES PARTISANS DE LA SORTIE DE L’UE LE RÉPÈTENT : LE PAYS SERAIT PLUS PUISSANT HORS D’UNE UNION QUI BRIDE SES ÉLANS COMMERCIAUX VERS L’ASIE Social-démocratie européenne en crises LIVRE DU JOUR michel noblecourt A vec en couverture les photos de Jeremy Corbyn, le leader du Labour Party, et de Matteo Renzi, le chef du gouvernement italien, La Revue socialiste a choisi un titre trompeur en évoquant les « situations du socialisme européen ». Il s’agit plutôt d’une réflexion sans concession sur les crises de la social-démocratie. Comme le note Alain Bergounioux, le directeur de la revue, « le mouvement socialiste a été en “crise” dès sa naissance. Il a toujours trouvé en lui les forces pour se renouveler ». Mais les experts interrogés se relaient pour montrer l’ampleur et la gravité des défis. Pour Alain Bergounioux, François Hollande se réclame de la famille sociale-démocrate, mais « le désarroi idéologique demeure. Les socialistes français ont refusé les thématiques de la “troisième voie”, mais ils n’ont pas défini une voie nouvelle réellement propre ». « Le parti “présidentialiste” forgé en 1971 par François Mitterrand, ajoute-t-il, a, sans doute, fait son temps. » Pour réussir sa « régénération », un PS uni devra « demeurer le principal parti de la gauche ». A défaut, « une recomposition aux contours hasardeux saisirait toute la gauche ». Chargée des questions européennes au PS, Henri Weber défend le « compromis social-démocrate d’adaptation progressiste à la globalisation », qui « appelle une articulation entre les politiques économiques nationales et une politique économique européenne volontariste et ambitieuse ». RÉPONDRE À TROIS BESOINS Le politologue Gérard Grunberg, comme l’historien Marc Lazar, livre un diagnostic sombre. Les citoyens de l’Europe, écrit-il, « ont besoin de trois choses : des gouvernements efficaces et responsables devant eux, des perspectives d’avenir claires et de bons leaders capables de leur montrer le chemin, moralement et politiquement. Si la social-démocratie ne peut pas répondre à ces trois besoins, elle disparaîtra du paysage politique ». Le politologue René Cuperus s’inquiète du réveil du populisme : si démocrates-chrétiens et sociaux-démocrates « n’apprennent pas à affronter de fa- çon constructive ces nouvelles forces, ces nouvelles tensions, ils pourraient bientôt n’être plus que des coquilles vides ». Pour Fabien Escalona, chercheur à Sciences Po Grenoble, « les alternatives nouvelles et radicales à la gauche de la social-démocratie participent de la déstructuration lente et progressive des systèmes partisans en Europe ». « La nouvelle version du compromis social-démocrate, en un mot, c’est la retraite en bon ordre », assène le philosophe Marcel Gauchet. Ce dernier, rédacteur en chef de la revue Le Débat, rejoint l’introduction d’Alain Bergounioux sur l’aube du socialisme, mais dans une version guère optimiste : « Nous nous retrouvons, à certains égards, dans la situation du socialisme des commencements, dans les années 1840 : tout est à reprendre par rapport à une histoire qui a fait un pas de géant. » La social-démocratie pourra s’appuyer sur son héritage pour s’instruire. Mais la marche s’annonce longue et rude. p Situations du socialisme européen. La Revue socialiste numéro 60 Novembre 2015, 200 p., 10 euros 14 | enquête 0123 MERCREDI 17 FÉVRIER 2016 Yoweri Museveni, en 2005. JAMES AKENA/REUTERS Les troupes de Museveni rétablissent la sécurité et mettent à genoux les rébellions du nord du pays, en particulier la cauchemardesque Armée de résistance du Seigneur (LRA) de Joseph Kony et ses milliers d’enfants soldats, chassée d’Ouganda en 2006. Des quotas, imposés par Museveni, permettent l’entrée des femmes au sein du Parlement ougandais, qui compte aujourd’hui plus d’un tiers de députées. « M7 », comme on le surnomme (en raccourci de son nom), est élevé par Bill Clinton, avec Paul Kagamé, ou l’Ethiopien Meles Zenawi, dans la catégorie des « nouveaux dirigeants africains », tournant le dos aux Idi Amin Dada et autres Bokassa. Mais l’ancien maquisard ne se contente pas de la reconnaissance de Washington. Museveni rebat les cartes du continent, envoyant plusieurs milliers de ses soldats se battre en Somalie contre les Chabab, ou au Soudan du Sud, pour soutenir son vieil ami John Garang, en lutte contre Khartoum. L’Ouganda sert de base au Front patriotique rwandais de Paul Kagamé, qui prend le pouvoir à Kigali en 1994. Ensemble, les anciens compagnons d’armes lancent en 1996 une opération militaire conjointe au Zaïre, exterminant les réfugiés et anciens génocidaires hutus, renversant Mobutu et pillant sans merci les riches sous-sols congolais. bruno meyerfeld kampala - envoyé spécial Q uand Yoweri Museveni est né, on l’a tout de suite mis sur une vache. C’est le rite de passage chez les Banyankole Bahima, son ethnie, qui peuplent le sud-ouest de l’Ouganda. On donne au bébé un arc et des flèches. « C’est ta vache, défends-la maintenant ! », encourage la famille. Si l’animal meurt, le garçon sera considéré comme peu chanceux. Mais si la vache vit longtemps, et a une importante descendance, alors l’enfant pourrait avoir un grand destin. « La mienne a très bien réussi, malgré toutes les vicissitudes dont elle a souffert », racontera plus tard Yoweri Museveni. Légende ou réalité ? La scène est en tout cas racontée par le président ougandais dans son autobiographie, Sowing the Mustard Seed (« Semer la graine de moutarde », 1997, Macmillan Education, non traduit). Pas besoin de lire très longtemps entre les lignes. La vache de Museveni, c’est l’Ouganda. Candidat à un cinquième mandat, ce jeudi 18 février, jour du premier tour de l’élection présidentielle, le vieux bouvier de 71 ans, au pouvoir depuis 1986, ne compte pas rendre la liberté à son troupeau. « Comment pourrais-je quitter une bananeraie que j’ai plantée et qui commence à donner des fruits ? », a-t-il déclaré au début de l’année, avec ses éternels airs d’acteur de théâtre. Son slogan de campagne en dit long : « Mon pays, mon président ». Comme si les deux ne faisaient qu’un. « UN HOMME VANITEUX » « VAGUEMENT DE GAUCHE » Yoweri Kaguta Museveni naît en 1944 à Ntungamo sur les terres de l’antique royaume d’Ankole, alors incorporé au Protectorat britannique de l’Ouganda. Museveni, « Fils d’un homme du septième » (de seven, « sept » en anglais), est un nom de combat, hommage au 7e bataillon des troupes coloniales du King’s African Rifles, où ont combattu nombre d’Ougandais pendant la seconde guerre mondiale. Son père hérite d’une centaine de vaches. En paysan aisé, il envoie son fils étudier chez les anglicans. Dès le lycée, le jeune Museveni se cherche un modèle. « Il était vaguement de gauche, vaguement révolutionnaire », se souvient Gérard Prunier, historien et spécialiste de l’Ouganda. Son regard se tourne vers la Tanzanie socialiste de Julius Nyerere. La capitale Dar es-Salaam est alors, dans les années 1960 et 1970, la Mecque du socialisme africain. « On y trouvait de tout, depuis les guérilleros communistes jusqu’aux sociaux-démocrates. Nyerere protégeait tout le monde », ajoute Prunier. En 1967, Museveni part pour l’université de Dar es-Salaam, où il étudie l’économie et les sciences politiques. Sur les bancs de la fac, il côtoie Walter Rodney, historien guyanais, radical et anticolonialiste, et se lie d’amitié avec John Garang, futur chef de la rébellion sudsoudanaise. Avec un groupe d’amis, il rejoint les zones libérées par le Front de libération du Mozambique (Frelimo), d’orientation communiste, qui se bat alors contre le colon portugais. Le futur président y reçoit une première formation militaire. « A l’époque, je n’étais pas un très bon tireur, mais je me suis amélioré plus tard », raconte-t-il dans son autobiographie. Le 25 janvier 1971, Idi Amin Dada, chef d’étatmajor de l’armée, renverse le président Milton Obote, qui dirigeait l’Ouganda d’une main de fer depuis l’indépendance en 1962. Yoweri Museveni sent son heure venir. Réfugié en Tanzanie, il fonde son propre mouvement, Front for National Salvation (Fronasa), marqué à gauche, anti-Idi Amin, mais aussi anti-Obote. Entré dans la clandestinité, il effectue d’innombrables allers et retours en Ouganda, cache des armes, structure le réseau de ses partisans, use de faux noms (Kassim, Abdalla, Mugarura) au gré des circonstances. Ses aventures, qu’il racontera par le menu, feront sa légende. Ainsi, un soir, à Mbale, sur les pentes du mont Elgon, la maison où se trouve le futur président ougandais est encerclée par 15 soldats. Museveni s’enfuit miraculeusement à travers les forêts d’eucalyptus et les herbes M7, roi d’Ouganda Le président ougandais, Yoweri Museveni, est candidat à un cinquième mandat, jeudi 18 février, jour du premier tour de l’élection présidentielle. Récit de trente ans de pouvoir sans partage hautes, déchargeant son pistolet sur les soldats dans la nuit qui tombe, caché derrière les arbres. Un récit entre Rambo et Jean Moulin. Le 30 octobre 1978, le régime sanguinaire d’Idi Amin Dada signe son acte de décès en annexant une région frontalière de la Tanzanie. Nyerere mobilise ses troupes et s’appuie sur les Ougandais en exil. L’ubuesque tyran est renversé l’année suivante. Dans le gouvernement qui le remplace, Museveni devient ministre de la défense. Mais très vite, l’unité de façade s’effondre. En 1981, après des élections contestées qui voient le retour au pouvoir de Milton Obote, Museveni prend le maquis. « CHANTRE DU CAPITALISME EN AFRIQUE » L’acte fondateur de la rébellion se produit le 6 février 1981. A la tête de 34 hommes, dont seulement 27 armés, le groupe de Museveni attaque victorieusement les baraques militaires de la ville de Kabamba, mettant la main sur de précieux stocks d’armes et de munitions. Aux côtés de Museveni, on trouve un jeune Rwandais. Un grand type, sec, autoritaire, intelligent, d’ethnie tutsi : Paul Kagamé. Le futur président du Rwanda se battra au côté de Museveni jusqu’à sa prise du pouvoir. Depuis son bastion de Lowero, à 60 km au nord de la capitale Kampala, Museveni met en application les techniques de guérilla apprises à l’école mozambicaine. Mais en imposant un strict code de conduite, il obtient le soutien de la population. Il crée la National Resistance Army (NRA), branche armée du National Resistance Movement (NRM), parti aujourd’hui au pouvoir. Dans un programme en dix points qui fera date, Museveni et ses partisans s’engagent pour la démocratie, la justice sociale, contre la corruption et le des- « COMMENT POURRAIS-JE QUITTER UNE BANANERAIE QUE J’AI PLANTÉE ET QUI COMMENCE À DONNER DES FRUITS ? » YOWERI MUSEVENI potisme. Dans son combat, Museveni obtient le soutien ambigu du colonel Kadhafi. Le 29 janvier 1986, après cinq ans de lutte armée, les soldats de la NRA entrent dans Kampala. Museveni, moustachu et sûr de lui, casquette sur la tête et chemise ouverte, fait une arrivée théâtrale, à bord d’une rutilante Mercedes, pour y prêter serment. Le nouveau président, âgé de 42 ans, promet « un changement fondamental » pour l’Ouganda. Dans un pays dévasté par la guerre civile, l’économie est la priorité. Les dirigeants jettent leurs idéaux socialistes et leurs treillis aux orties et adoptent le complet cravate. Dès 1987, Kampala passe un accord avec le Fonds monétaire international et la Banque mondiale et profite d’une aide internationale substantielle. L’Etat dévalue à plusieurs reprises le shilling ougandais, favorise l’investissement privé, encourage les Indiens expulsés par Idi Amin Dada à rentrer au pays et opte pour une cure d’amincissement, privatisant jusqu’à l’Uganda Commercial Bank, la « banque du peuple ». Le redressement est spectaculaire. Une classe moyenne émerge, et les investissements étrangers pleuvent. L’Ouganda connaît une croissance moyenne de 6,5 % dans les années 1990, et de plus de 7 % dans les années 2000. Le taux de pauvreté est divisé par trois en l’espace de vingt ans. La « perle de l’Afrique » devient un modèle et un laboratoire des politiques libérales appliquées au continent. « On voyait Museveni comme un animal politique marxiste, hostile au consumérisme. Mais force est de constater qu’il est devenu le principal chantre du capitalisme en Afrique », explique Tabu Butagira, reporter au quotidien kényan Daily Monitor. A son arrivée au pouvoir, Museveni écrivait : « Le problème de l’Afrique en général, et de l’Ouganda en particulier, ce ne sont pas les peuples, mais les dirigeants qui veulent rester trop longtemps au pouvoir. » Trente ans plus tard, Museveni est toujours en place, rejoignant un club d’inamovibles autocrates africains, tels Robert Mugabe au Zimbabwe, Paul Biya au Cameroun, José Eduardo dos Santos en Angola ou encore Teodoro Obiang en Guinée équatoriale. La moustache s’est affinée. La casquette a été troquée contre le chapeau beige à cordelette, style gentleman farmer. Le jeune loup en treillis, au corps musclé, est devenu un vieux lion un peu empâté, jouant au papy malicieux et cabotin, jamais à court d’anecdotes ou de références à ses nombreuses vaches. Mais, contrairement aux apparences, le pouvoir a durci Museveni. Depuis dix ans, les manifestations sont réprimées par une police qui n’hésite pas à enlever et à torturer les opposants trop actifs. Comme Denis SassouNguesso au Congo et Paul Kagamé au Rwanda, Museveni change dès 2005 la Constitution ougandaise pour briguer un nouveau mandat. En 2006 puis en 2011, il est réélu. Toujours au premier tour. Toujours avec des soupçons de fraude. Dans le même temps, son poids sur la scène africaine diminue. Sa médiation au Burundi, commencée en juillet 2015, a été un fiasco. L’allié américain a pris ses distances, choqué par les persécutions du régime contre les homosexuels. Les frères de lutte ne sont pas plus tendres. Kizza Besigye, son ancien médecin du « bush », est devenu, au fil des années, son principal opposant. « Beaucoup de gens disent qu’il y a deux Museveni, celui du bush et celui au pouvoir, et que s’ils se rencontraient, ils ne se reconnaîtraient pas, sans doute même qu’ils se combattraient, confie ce candidat de l’opposition, brièvement arrêté par la police à Kampala, lundi 15 février. Mais il n’y a qu’un Museveni. Le pouvoir a révélé sa vraie nature : un homme vaniteux, souhaitant tout contrôler, motivé uniquement par son propre intérêt. » Oubliés, les idéaux du maquis. « Force est de constater que Museveni est devenu tout ce qu’il a combattu quand il était jeune, reconnaît Gérard Prunier. Il est l’image du tyran africain que lui-même dénonçait. » Songe-t-il à passer la main ? « Même s’il le voulait, il ne pourrait pas quitter le pouvoir, estime Jeff Ssebagala, de l’association Unwanted Witness, qui se bat contre les exactions de la police. Sa femme est députée et ministre de son gouvernement. Son frère est l’un des chefs de l’armée, un des personnages les plus puissants du régime après lui. Son fils dirige les forces spéciales. Ils ne peuvent pas le laisser partir. S’il vit vingt ans de plus, il passera cinquante ans au pouvoir. » Et mourra sur scène, comme un acteur. p carnet | 15 0123 MERCREDI 17 FÉVRIER 2016 Les familles Lostis, Kerros et Boullier-Caraes en vente actuellement K En kiosque HORS-SÉRIE Ng Ectpgv Xqu itcpfu fixfipgogpvu Pckuucpegu. octkcigu Cxku fg ffieflu. tgogtekgogpvu Eqnnqswgu. eqphfitgpegu Gzrqukvkqpu. xgtpkuucigu font part du décès de Marie-Claude CHOUBLIER, née BOULLIER, créatrice de la « Bibliothèque de Décoration de l’ORTF, UNe vie, UNe ŒUvRe Xqwu rqwxg| pqwu vtcpuogvvtg xqu cppqpegu nc xgknng rqwt ng ngpfgockp < s fw nwpfk cw xgpftgfk lwuswÔ 38 j 52 *lqwtu hfitkfiu eqortku+ Franço�s M�tt�rrand Le pouvoir et la séduction s ng fkocpejg fg ; jgwtgu 34 j 52 ÉdItIOn 2016 Le centenaire de la naissance de l’ancien président Rqwt vqwvg kphqtocvkqp < 23 79 4: 4: 4: 23 79 4: 43 58 ectpgvBorwdnkekvg0ht Hors-série ÉDITION 2016 LE BILAN DU MONDE | 0123 0123 H O R S - S É R I E LE BILAN DU MONDE ▶ GÉOPOLITIQUE ▶ ENVIRONNEMENT ▶ ÉCONOMIE + A T L A S D E 1 9 8 AU CARNET DU «MONDE» P A Y S Naissance Margaux est ière d’annoncer la naissance de son petit frère, Justin, Hors-série pour la plus grande joie de Caroline et Jérôme FENAILLON, ses parents, et de Bernadette et Dominique VINCENT, Sylvie et Jean-Claude FENAILLON, ses grands-parents. Décès Collections EGYPTOMANIA Une collection pour découvrir la vie et les mystères de l’Egypte des pharaons EGYPTOMANIA LES TRÉSORS DE L’ÉGYPTE ANCIENNE Le Conte de Sinouhé La palette de Narmer Jacques Audoir, son mari, Vincent et Yannick, ses ils, Marie-Aude Donsimoni et Katharine Swarney, ses belles-illes, Marien, Hippolyte, Philémon, Éva, Louise et Théodore, ses petits-enfants, Madeleine Audoir, sa belle-sœur, Ses neveux et nièces, Ses cousins et cousines Et tous ses nombreux ami-e-s, Annick AUDOIR, Les prêtres, majordomes des divinités née BESCOND, Dès jeudi 18 février, le vol. n°6 Le Conte de Sinouhé - Les Textes des sarcophages - La palette de Narmer Les prêtres, majordomes des divinités - Janvier 1945 Mars 1942 (2) es aille des Ardenn La Bat Bastogne L’Attaque du port Le raid des com de St-Nazaire mandos britanniq ues survenu le samedi 13 février 2016. Sa famille remercie le professeur Adès et le docteur Raffoux, ainsi que leurs équipes, pour leur compétence et leur dévouement. Brigitte Berthelot et José Barbosa Gonçalves, François et Corine Berthelot, Frédérique et Eric Berthelot-Tessier, ses enfants, Alexandre, Raphaël, Jérémie, Charlotte, Valentin, ses petits-enfants Et toute sa famille, ont la tristesse de faire part du décès de Ken Ford Steven J. Zaloga Gerrard et Peter Dennis Howard Illustrations de Illustrations de Michèle BERTHELOT, Howard Gerrard Actuellement en kiosque, le n°10 2 LIVRES : LA BATAILLE DES ARDENNES(2) et L’ATTAQUE DU PORT DE ST-NAZAIRE née COHEN-SOLAL, docteur en chirurgie dentaire, survenu le dimanche 14 février 2016. Les obsèques auront lieu au cimetière du Montparnasse, Paris 14e. Cet avis tient lieu de faire-part. Ingrid BOSVELD DEBRAY nous a quittés, le 12 février 2016. Toutes les personnes qui la portaient dans leurs cœurs sont les bienvenues, le mardi 16 février, à 10 h 30, en l’église Saint-Eustache, Paris 1 er, pour lui dire au revoir. Dès mercredi 17 février, le volume n°25 SUD DE LA FRANCE Nos services Lecteurs K Abonnements www.lemonde.fr/abojournal K Boutique du Monde www.lemonde.fr/boutique K Le Carnet du Monde Tél. : 01-57-28-28-28 Sa famille, Ses nombreux amis, ont la tristesse de faire part du décès de Philippe CONORD, peintre et amateur de Jazz, survenu le 10 février 2016, à l’âge de quatre-vingt-trois ans. Pascal Corriu et Catherine Foucou, ses enfants, Cécile, Martin et Pierre, ses petits-enfants Et toute sa famille, Robert CORRIU, professeur des Universités (Faculté des sciences de Montpellier) membre de l’Académie des Sciences, oficier de la Légion d’honneur, chevalier de l’ordre national du Mérite, commandeur dans l’ordre des Palmes académiques, survenu le 13 février 2016, à l’âge de quatre-vingt-un ans. Les obsèques auront lieu le mercredi 17 février, à 9 h 30, en l’église SainteBernadette de Montpellier. Le président, Le vice-président, Les secrétaires perpétuels Et les membres de l’Académie des sciences, ont la tristesse de faire part de la disparition de leur confrère, ont l’immense tristesse de faire part du décès de Les Textes des sarcophages Décembre 1944 L’inhumation a eu lieu le mardi 16 février, à Lannilis (Finistère). ont l’immense tristesse de faire part du décès de né le 13 février 2016, Hors-série survenu le dimanche 7 février 2016, dans sa quatre-vingt-septième année. Mmes Suzette Fourmentraux et Jeanine Leclère, ses sœurs, Sa famille Et ses amis, Robert CORRIU, professeur honoraire à l’université de Montpellier 2, oficier de la Légion d’honneur, chevalier de l’ordre national du Mérite, commandeur dans l’ordre des Palmes académiques, décédé le 13 février 2016, à l’âge de quatre-vingt-un ans. Les familles Gribelin et Daillier ont la tristesse de faire part du décès de M Anne-Marie DAILLIER, me survenu le 12 février 2016, dans sa cent troisième année. décédé le 22 juin 2015. Les obsèques auront lieu en l’église de Jasney (Haute-Saône), le mercredi 17 février, à 14 h 30. 15, rue Sarrette, 75014 Paris. ancien secrétaire académique du SGEN/CFDT, ancien professeur de philosophie en classe préparatoire au lycée Camille Guérin, survenu le 14 février 2016, à l’âge de quatre-vingt-quatorze ans. Une messe sera célébrée le jeudi 18 février, à 10 heures, en l’église de Saint-Jean de Montierneuf, à Poitiers. Cet avis tient lieu de faire-part et de remerciements. PF. Martin Roc Eclerc Poitiers. Tél. : 05 49 30 59 01. M Danièle Guiblin, son épouse, Philippe et Rebecca Guiblin, François Guiblin, ses enfants, Elisabeth et Emile, ses petits-enfants, Mme Denise Martinolle, sa sœur Et toute la famille, me ont la profonde tristesse de faire part du décès de M. Claude GUIBLIN, survenu le 14 février 2016, à l’âge de quatre-vingt-sept ans. La cérémonie religieuse aura lieu le vendredi 19 février, à 10 heures, en l’église Saint-Léon, 1, place du CardinalAmette, Paris 15e, suivie de l’inhumation à 11 h 30, au cimetière du Père-Lachaise, 8, boulevard de Ménilmontant, Paris 20e. Armand Karsenti, son époux pendant soixante-dix ans, Jean-Claude Karsenti, Michèle Karsenti-Johnson, ses enfants, Benjamin, Nicolas et Sébastien, ses petits-enfants, Ses arrière-petits-enfants, Les familles parentes et alliées, ont la tristesse de faire part de la disparition de Jacqueline KARSENTI, née BENICHOU, survenue le 13 février 2016, dans sa quatre-vingt-dixième année. L’inhumation aura lieu le mercredi 17 février, à 11 heures, au cimetière du Montparnasse, entrée 3, boulevard Edgar Quinet, Paris 14e. Annelise, son épouse, Daniel et Nathalie, David et Anouck, Sandra et David, ses enfants et leurs conjoints, Samuel, Ruben et Raphaël, Axel, Nils et Else, Søren et Gabriel, ses petits-enfants, ont l’immense tristesse de faire part du décès de Sylvain KOSKAS, Les obsèques auront lieu le mercredi 17 février, au cimetière parisien de Pantin. On se réunira devant l’entrée principale, à 15 h 45. Kenza, son épouse, Charlotte et Valentine, ses sauterelles, Léopold, son ils, Molécule, Vincent, son gendre, Balthazar, Oscar, Marthe et Émile, ses petits-enfants, Annie, son ex-femme, Sa famille, Ses amis, docteur Michel ENGELSTEIN, Claude BRUNETEAU, M. Louis GIRARD, Un service religieux sera assuré à Paris, en l’église Saint-Pierre de Montrouge, à une date ultérieure. Mme Jacqueline BRUNETEAU, Elle rejoindra son mari, ont la tristesse de faire part du décès de survenu le 13 février 2016, à l’âge de soixante-treize ans. ont la très grande peine de faire part du décès brutal du survenu à Paris, le 12 février 2016, à l’âge de quatre-vingt-neuf ans. Ses enfants, Ses petits-enfants Et ses arrière-petits-enfants, Une cérémonie religieuse aura lieu en l’église de Saint-Jacques-de-la-Lande, le mardi 16 février, à 15 heures. ont la grande tristesse de faire part du décès de née OUGIER, Poitiers. Qui s’endort..., survenu le jeudi 11 février 2016. Les obsèques se dérouleront à Paris au crématorium du cimetière du PèreLachaise (salle de la Coupole), Paris 20e, le mercredi 17 février, à 13 h 30. Cet avis tient lieu de faire-part. kenza.snini@gmail.com charlotte.engelstein@gmail.com valentineihman@yahoo.fr Ni leurs ni couronnes. Cet avis tient lieu de faire-part. Celia Delia et Daniel Sobrino ont l’inconsolable douleur de faire part du décès de leur mère, Geneviève LE PROUX DE LA RIVIÈRE, survenu le 11 février 2016, à Paris. danielsobrino@free.fr Mme Catherine Levert, son épouse, L’ensemble de la famille, Ses amis, ont la tristesse d’annoncer le décès de M. Jean-Pierre LEVERT, oficier dans l’ordre des Palmes académiques, survenu le 11 février 2016. Les obsèques religieuses seront célébrées le vendredi 19 février, à 14 h 30, en l’église Saint-Pierre-Saint-Paul, 10, rue Boudoux à Courbevoie (Hautsde-Seine), suivies de l’inhumation au cimetière des Fauvelles à Courbevoie. 10, rue Molière, 92400 Courbevoie. Mme Jacqueline Meunier, son épouse, Laurence et Claire, ses illes, Paul, Hector et Aya, ses petits-enfants, Frédéric, son gendre, ont la tristesse de faire part du décès de André MEUNIER. Anniversaire de décès Muriel, tu restes un être cher et présent pour nous. Conférences Les obsèques civiles ont eu lieu dans l’intimité familiale, le mardi 16 février 2016. Cet avis tient lieu de faire-part. 71, rue Victor Hugo, 24000 Périgueux. Isabelle Roux-Trescases, chef du service Et l’ensemble du Contrôle général économique et inancier, s’associent à la douleur de la famille de Françoise MIQUEL, chef de mission de contrôle général économique et inancier, décédée le 11 février 2016. Tout au long d’une carrière dédiée au Service public, en particulier à la communication et à l’audiovisuel, Françoise Miquel a su montrer un engagement et des qualités hors du commun. Ses collègues Et amis Ainsi que l’association du corps du CGEFi, souhaitent témoigner de l’amitié et du respect qu’ils lui portaient. Les obsèques se dérouleront le mercredi 17 février, à 10 h 30, en l’Église réformée de l’Étoile, 54-56 avenue de la GrandeArmée, Paris 17e. Liliane, sa mère, Camille, sa ille, Marc-Aurèle, son gendre, Suzanne, sa petite-ille Ainsi que ses amis, La Fédération française de l’ordre maçonnique mixte international « Le Droit Humain », le président du Conseil national, Madeleine Postal et la commission bioéthique du Conseil national, organisent une conférence publique : « Regards éthiques sur la vulnérabilité vieillesse-handicap » Conférenciers : Emmanuel Hirsch, professeur d’éthique médicale à la faculté de médecine de l’université Paris-Sud, directeur de l’Espace éthique de l’Assistance publique Hôpitaux de Paris, Pierre Betremieux, administrateur de l’association des parents d’adultes et de jeunes handicapés, Marie-Pierre Pancrazi, psychiatre, gériatre, coordinateur adjoint du centre mémoire de Corse, le samedi 27 février 2016, à 14 heures, 9, rue Pinel, Paris 13e. Inscription par courriel : contact@apfdh.org Tél. : 01 44 08 62 62. Informations : www.droithumain-france.org ont le chagrin d’annoncer le décès de Muriel NAESSENS, militante. Elle était âgée de soixante-sept ans. La cérémonie aura lieu le jeudi 18 février 2016, à 14 heures au crématorium du cimetière du PèreLachaise (salle Mauméjean), Paris 20e. La direction générale Et les collaborateurs d’IFP Energies nouvelles (IFPEN), ont la tristesse de faire part du décès de Roger TINDY, ancien secrétaire général d’IFPEN. Conférences citoyennes « Santé en questions » organisées par l’Inserm, Universcience. Cerveau : du soin à l’homme augmenté. Jeudi 10 mars 2016, de 19 heures à 20 h 30, gratuit pour tout public, en duplex de la Cité des sciences et de l’industrie à Paris et de la bibliothèque municipale de La Part-Dieu à Lyon. Pour en savoir plus : www.inserm.fr Séminaire Ils présentent à ses proches leurs sincères condoléances. Philippe et Marie-Sophie Vincent, son ils et sa belle-ille et leurs enfants, Pauline et Thomas, Denis et Christine Vincent, son ils et sa belle-ille et leurs enfants, Antoine, Aude et Laure, Anne Vincent-Salomon, sa ille et ses enfants, Lucien, Clara et Olivier, Yvette Courtil, sa belle-sœur, Michel et Geneviève Vincent, son frère et sa belle-sœur, Nathalie Vincent et ses enfants, Pascale Vincent, Anne-Sophie et Pierre-Damien Félicité et leurs enfants, Nicole Eysseric, Les familles Blanc, Clémot-Stréliski, Salomon, Bou, sont unis dans une profonde tristesse et font part du décès de M. Robert VINCENT, ancien chef de service à Gaz de France, chevalier de l’ordre nationale du Mérite, survenu le 14 février 2016, dans sa quatre-vingt-dixième année. Une cérémonie sera célébrée en l’église Saint-Médard, Paris 5 e , le mercredi 17 février, à 14 h 30. L’inhumation aura lieu au cimetière d’Orange (Vaucluse), le vendredi 19 février, à 11 heures. Dans le souvenir de son épouse Madeleine VINCENT qui nous a quittés le 17 février 2015. Cet avis tient lieu de faire-part. Le séminaire du professeur Thomas Durand, « Processus stratégiques » démarrera le mercredi 17 février 2016, à 18 h 15, dans l’amphi Laussedat, au Cnam, 2, rue Conté, Paris 3e (métro Arts-et-Métiers). 13 séances sont programmées de février à juin 2016. Ce séminaire abordera les questions d’élaboration et de déploiement stratégiques au sein des organisations. Contact : alexandra.carl@lecnam.net Tél. : 01 58 80 87 98 (réf. MSE204). # # $ !# $ # #$ $# &. + *2.+ #$ $ #$ $ $# $ # *'$ %&# & #$ # . *&%%* # $ !# ! #! *%& + &/& #$ %# # # " $ #$ ! #! # %&!- &(). % * ** %%#&%. * % # %* # * .* # # ** &.*-& + # % *&% 2#/ .$%% *%. 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On apprécie chez lui la fascinante variation contrapuntique sur le même thème – présente dans chacun des films aussi bien que dans le rapport qu’entretiennent les films entre eux – et le goût de la boucle et du décalage qui ouvre sur l’horizon lointain de la musique sérielle. Cela, précisons-le, sur un motif qui reste à la portée de tous : le gaufrage sentimental. Avec embrasement initial, douche réfrigé- rante, reprises de feu chaotiques, villes asthéniques, faux espoirs et faux amis à tous les étages, bars à soju, où l’alcool sert, tour à tour, à se débonder et à s’assommer. Pièce à deux, à trois, à quatre – au maximum – personnages, dotée d’un mécanisme de précision à multiples ressorts. Une sorte de Feydeau alangui, où l’art du rebondissement sert autant le « slow-burning » d’un certain burlesque dépressif que le vertige d’une réalité opaque, littéralement idiote, sujette à d’incessantes et non moins incompréhensibles duplications. Cela dit pour le cadastre, très approximatif, de l’œuvre. Maintenant, laissons Bach et Feydeau à leurs fourneaux (on aurait pu aussi bien citer Albert Einstein, Clément Rosset, Alain Resnais ou Eric Rohmer) et penchons-nous sur le cas d’espèce d’Un jour avec, un jour sans. Il y a là Ham Cheonsoo, double possible du cinéaste, Une joie profonde, pour le spectateur, de s’embarquer, sur cette proposition qui le ramène à l’enfance, au jeu des sept différences homme entre deux âges au charme cauteleux et au look de post-adolescent, qui exerce de fait la profession de cinéaste dans la catégorie auteur, laquelle, si l’on se fie au film, remplit les salles à proportion d’un petit tiers de leur capacité, et encore, les jours où il neige. Il y a aussi Yoon Hee-jeong, une jeune artiste peintre très charmante, qui n’est pas loin de la moitié de l’âge du précédent, apprend le français, cultive la solitude, a l’air en un mot de se languir à l’excès, mais allez, fichtre, savoir de quoi. La rencontre a lieu à Suwon, à une trentaine de kilomètres de Séoul, ville imposante connue pour quelques monuments historiques qui en font un décor opportunément hanté par l’esprit, contrairement au conglomérat Samsung, dont on chercherait vainement la trace dans un cinéma qui assigne à la réalité la fonction d’un théâtre baroque des sentiments. L’homme, invité par un animateur de salle de cinéma art et essai pour y accompagner son dernier film, s’y est accordé un jour de visite, et stationne devant l’entrée d’un monument, où son œil accroche la silhouette solitaire de la jeune femme qui est en train d’y pénétrer. La suite est connue de tous les services. Hasard d’une seconde rencontre dans la salle des bénédictions d’un temple local, où la jeune pensive plonge son regard dans un lait à la banane, approche faussement dégagée, intérêt qui ne dit pas son nom, présentation, proposition de café, devant lequel un sondage plus approfondi devient possible. Il y apparaît doucement, mais sûrement, que l’homme entreprend, que la femme est sur l’expectative. Infimes variations Du moins sont-ce là des apparences. Qu’il a une assez haute opinion de lui-même, qu’elle se juge sévèrement. Qu’il finasse, qu’elle mélancolise. Suit une visite d’atelier, elle, de profil, au premier plan, devant une toile abstraite vivement colorée, lui, au second plan, de face, qui la dévore des yeux plus que sa peinture. Puis vient l’heure du repas copieusement arrosé, pris, côte à côte, dans une pâle lumière d’hiver au comptoir d’un restaurant de sushis, tandis qu’irrésistiblement l’euphorie les gagne. On dirait à ce moment de bienfaisante chaleur et de bienveillance partagée que tout est possible. Mais on ne sait quel coup de dés invisible abolit la réalisation du bonheur. Il prend la forme d’une promesse de visite faite à des amis, où la donzelle engage son cavalier à l’accompagner. Tous les signes s’inversent alors. N’en révélons pas plus. Citons, juste pour mettre l’eau à la bouche, une séance de casse savoureuse et mémorable, le dévoilement du vilain petit secret du don Juan de l’art et essai coréen, une calamiteuse séance de cinéma, un fiasco sur toute la ligne. C’est dans ces eaux, à mi-parcours du récit, que Hong Sang-soo s’arrange habituellement pour relancer les ébats sous un autre angle, par une sorte de coup fourré narratif qui laisse souvent baba. Ici, foin de ruse et de finesse – un coup de gong, le générique qui redéfile – et le réalisateur recommence carrément, explicitement, le même récit. On se croirait chez Ferré : « Quand c’est fini/N.I. ni-ni/ ça recommence/Tous les juk’-box/à plein tuyau/poussent la romance/ Après le fox/le boléro/reprend la danse… » Mais c’est, évidemment, la ruse et la finesse suprêmes. Et une joie profonde, pour le spectateur, de s’embarquer, sur cette proposition qui le ramène à l’enfance, au jeu des sept différences. Car cette césure chirurgicalement pure qui coupe le film en deux aménage suffisamment d’infimes variations entre l’une et l’autre des parties pour que le sort du couple, et donc du monde, en soit, non pas radicalement, mais du moins subtilement changé. Une touche par-ci, une touche par-là, de mensonge en moins et de hasard bienveillant en plus, juste ce qu’il faut pour substituer le rapprochement à l’opposition des sexes, la caresse à la lutte, l’incertitude à la rupture. Et voilà bien, dans cette manière de résister à une trop parfaite symétrie des contraires, tout Hong Sang-soo. Rien de gagné dans son univers de la séduction permanente, et tout incessamment à perdre, notre conquête la plus assurée consiste à rendre vivable la tristesse de ne jamais se trouver. p jacques mandelbaum Film sud-coréen de Hong Sangsoo. Avec Jung Jae-young, Kim Min-hee (2 h 01). Hong Sang-soo, cinéaste virtuose de la virtualité Comme Resnais, Chabrol ou Kieslowski avant lui, le Sud-Coréen ne cesse de jouer avec la chronologie de ses films, qu’il dédouble à l’envi ANALYSE L e dernier film en date d’Hong Sang-soo, Un jour avec, un jour sans, est sans doute un de ses plus vertigineux. Deux récits s’y succèdent, mettant en scène les mêmes protagonistes, le second pouvant être considéré comme une sorte de version alternative de l’autre. Le temps serait le même, les événements seraient différents. Qu’est-ce qui est fiction ? Qu’est-ce qui est réalité ? Le film ne délivre aucune piste pour décoder cet élan vers un dédoublement des événements. Un jour avec, un jour sans n’est pourtant pas le premier film avec lequel le cinéaste coréen s’amuse à construire des récits hypothétiques et à emmêler les fils du temps. On a comparé son œuvre à celle d’Eric Rohmer pour sa façon d’épingler des personnages familiers, des créatures peu sûres de leurs désirs, noyant leur indécision existentielle sous les mots. Mais le réalisateur coréen est aussi un petit chimiste, qui déroute le spectateur en bousculant les règles de la chronologie et en rendant incertain le statut de ce qui se passe sur l’écran. Le cinéaste avait ainsi déjà, par le passé, divisé son film en deux parties, la seconde remontant dans le temps, repartant de zéro ou presque, pour décrire des événements simultanés avec ceux montrés dans la première (Le Pouvoir de la province de Kangwon en 1998). Non pas comme volonté de dévoiler une vérité plus grande et plus juste, qu’aurait ainsi cachée la première partie, mais pour constater l’irré- sistible éloignement de personnages formant chacun l’élément d’un couple désormais disjoint. Plus proches de ce qu’Un jour avec, un jour sans allait porter comme principe, La Vierge mise à nu par ses prétendants, en 2000, proposait aussi un retour dans le temps de la fiction. Mais l’action y apparaissait différente de ce qu’elle aurait dû être, son déroulement semblait suivre une voie contradictoire avec ce que le spectateur avait vu une première fois. Chacune des séquences pouvait être appréciée comme le point de vue de différents protagonistes, visions subjectives déconnectées de toute obligation d’authenticité. Conte de cinéma, en 2005, déjà, proposait un récit coupé en deux, la première partie se révélant être un film de fiction qu’un des per- sonnages de la seconde partie avait vu au cinéma. Ces jeux avec la réalité interrogent en profondeur le pouvoir du cinéma lui-même. L’enregistrement du réel confortant l’illusion que celui-ci ne saurait être qu’unique. Ce qu’on voit a effectivement eu lieu devant la caméra, mais plusieurs fois et de façon contradictoire. Cette incertitude ressentie est parfois provoquée de façon si subtile qu’un doute peut s’installer sur la réalité des événements contés. Temps parallèles La linéarité du récit d’une œuvre apparemment aussi simple que Matins calmes à Séoul (2011), linéarité scandée par la répétition des mêmes rencontres, devient insensiblement sujet à caution lorsque l’on prend conscience de certains détails, le plus spectaculaire étant le fait que la même actrice incarne deux personnages différents. L’idée de la cohabitation de temps parallèles est un des thèmes de la science-fiction. Hong Sangsoo en fait une sorte de machine conceptuelle qui contredit brillamment l’impression immédiate de réalisme de son œuvre. On peut trouver dans l’histoire du cinéma d’autres exemples où la réalité se divise en virtualités divergentes. Le diptyque Smoking/ No Smoking, d’Alain Resnais, en 1993, constitue un des modèles de cette arborescence des possibilités, déployée au cours de l’inexorable tracé de la projection. Le Polonais Krzysztof Kieslowski avait, lui aussi, signé un film où l’accomplissement (ou non) d’une action (prendre un train ou le ra- ter) transformait le cours des événements dès lors alternativement proposés au spectateur (Le Hasard en 1982). Hollywood en avait fourni une version burlesque et quasi infinie avec Un Jour sans fin, signé en 1993 par Harold Ramis. Le héros y était condamné à vivre, tous les matins, le même jour, confronté à des événements qu’il avait donc déjà vécus et éprouvés, de les modeler en conséquence conformément à l’objectif qu’il s’était fixé. Mais la virtualité est une donnée qui peut être contenue dans le plan lui-même. Le temps révolu ou à venir s’injectant dans l’image. A son meilleur, Claude Chabrol, autre cinéaste fallacieusement perçu comme un pur réaliste, avait su porter cet art à un très haut degré de perfection. p jean-françois rauger culture | 17 0123 MERCREDI 17 FÉVRIER 2016 Soigner l’incurable Congo A travers le portrait du docteur Denis Mukwege, Thierry Michel et Colette Braeckman retracent le cycle infernal de l’histoire de son pays, depuis 1994 « L’HOMME QUI RÉPARE LES FEMMES » de L’Homme qui répare les femmes que les fidèles de sa congrégation. La caméra le suit dans la salle d’opération, dans les enceintes internationales où il est célébré. Elle revient aussi régulièrement sur les paysages des montagnes du Kivu, qu’il parcourait à pied, jeune médecin. pppv C e serait une erreur que de trouver du réconfort dans la figure du docteur Denis Mukwege, une raison d’espérer dans le sort de son pays, le Congo. Le combat du médecin, qui s’est consacré à la chirurgie réparatrice des blessures infligées aux femmes par les hommes qui les agressent sexuellement, n’a – à ce jour – rien changé à l’impunité des bourreaux et à la vulnérabilité des victimes. Le beau film que le cinéaste Thierry Michel et la journaliste Colette Braeckman ont consacré à Denis Mukwege vaut, notamment, pour sa lucidité. Les auteurs ne se sont pas embarqués dans une tentative de canonisation, préférant mettre l’un et l’autre leur formidable connaissance du Congo au service d’un double portrait, celui d’un juste dans la tourmente, celui d’un pays que ses dirigeants continuent de pousser vers l’abîme. Après ses études en France, à Angers, le docteur Mukwege est retourné exercer dans le Kivu, la province orientale du Congo – le Zaïre à l’époque –, zone frontalière du Rwanda. A partir de 1994 et du génocide rwandais, il s’est retrouvé au cœur de la multitude de conflits (on ne peut même pas parler de succession, les affrontements se chevauchant les uns les autres, avec, pour seule constante, les crimes commis contre les civils) qui a déchiré le Congo. Si Colette Braeckman a couvert cette histoire depuis ses prémices, Thierry Michel, qui a pourtant parcouru le pays en tous sens, avait évité le Kivu, par crainte – il le reconnaît – d’affronter une tragédie de cette ampleur. Les deux auteurs de L’Homme qui répare les femmes consacrent une bonne partie de leur film à retracer la genèse du conflit, de l’afflux des réfugiés hutu, encadrés par les milices génocidaires, à la prise Le docteur Denis Mukwege, ici avec deux patientes. NOTIMEX/THIERRY MICHEL et à l’exercice du pouvoir par le clan Kabila. Ils trouvent une continuité aveuglante entre les images d’archives (utilisées avec discernement) et les séquences tournées récemment, qui montrent la reddition de quelques-uns de ces miliciens, à la fois misérables et sûrs de leur impunité. Une addition de souffrances Cette histoire a eu un coût, que le documentaire évalue précisément, loin des chiffres délirants sur le nombre des victimes de la guerre au Congo. C’est une espèce d’addition qui est ici présentée, celle des souffrances individuelles. On entend des témoignages aux détails insupportables, mais qu’il faut supporter parce que ce sont les femmes qui tiennent à raconter ce qu’est leur corps aujourd’hui, après le crime. On voit aussi les tentatives dérisoires du régime au pouvoir à Kinshasa pour répondre au scandale de l’impunité. Sous la pression des Nations unies et des médias internationaux, des procès de sous-fifres sont organisés, et l’indignation des accusés en dit plus que toutes les analyses sur la banalisation de ces viols, de ces tortures. Ces sous-officiers, ces soldats ne comprennent pas que leurs chefs les aient lâchés après les avoir encouragés si longtemps. Ils comprennent en revanche que leur condamnation On entend des témoignages insupportables, mais qu’il faut supporter car ce sont les femmes qui tiennent à raconter sert avant tout à empêcher celle des hauts responsables, dont les Nations unies ont dressé la liste, toujours tenue secrète. Pour panser les plaies qu’inflige cet appareil militaire brinqueba- lant mais indestructible, le docteur Mukwege et Thérèse Kulungu, une juriste du Kivu, organisent des thérapies qui tentent de rendre aux victimes les raisons de vivre que leur ont enlevées leurs blessures et l’ostracisme dont font l’objet les victimes de viol. La caméra ne se détourne pas, mais on voit bien que le montage préserve les femmes, pour que le film ne leur prenne que ce qu’elles veulent donner. Enfin, il y a le docteur lui-même. Fils de pasteur, il prêche luimême à l’église le dimanche, et son pouvoir oratoire (que l’on voit aussi s’exercer dans les enceintes internationales) impressionnera autant les spectateurs Tentative d’assassinat Denis Mukwege, Prix Sakharov en 2014, est de toute évidence un homme politique. Le film ne tranche pas vraiment la question de savoir si ce sont les circonstances qui ont placé le gynécologue dans cette position ou si les frustrations de l’homme de science l’ont convaincu de la nécessité d’une action publique. De toute façon, les autorités de Kinshasa ne lui ont pas laissé le choix. Le médecin a déjà fait l’objet d’une tentative d’assassinat et il vit désormais cloîtré dans son hôpital, sous la protection des Nations unies. Dans un premier temps, L’Homme qui répare les femmes a été interdit en République démocratique du Congo, puisqu’il portait atteinte à l’honneur de l’armée. Cette censure équivalait à la meilleure des critiques, attirant l’attention internationale sur le film. Finalement, le régime de Joseph Kabila (qui a entamé de manière musclée sa campagne pour se faire réélire, ce que lui interdit en théorie la Constitution qu’il a lui-même fait adopter) s’est rendu compte du ridicule de la situation, a autorisé des projections dans la capitale, au Katanga et dans le Kivu. Partout des débats très vifs ont abouti à la mise en accusation du régime, et, comme le raconte Thierry Michel, L’Homme qui répare les femmes circule dans tout le pays, sur des milliers de DVD pirates, qui propagent cet exemple hors du commun. p thomas sotinel Documentaire belge de Colette Braeckman et Thierry Michel (1 h 55). L’ombre d’une absente à la lumière de l’été Mikhaël Hers dépeint les conséquences de la mort d’une jeune femme sur ses proches CE SENTIMENT DE L’ÉTÉ ppvv U n jour d’été à Berlin, Sasha s’est levée du lit qu’elle partageait avec Lawrence, s’est habillée, a traversé le parc qui la séparait de son atelier, a travaillé quelques heures. Elle est ressortie, il faisait encore jour, et, dans le parc, elle s’est effondrée. C’en était fini d’elle. Il semble moins facile de faire son deuil, lorsqu’une personne qu’on aime meurt en été. L’été, les portes et les fenêtres s’ouvrent plus facilement. On sort plus volontiers, on s’invite chez les uns et les autres, on voyage léger. On ne se couvre pas, ou peu, pour sortir. Il n’y a plus de dedans ni de dehors : le parc de Berlin prolonge l’appartement de Sasha et Lawrence comme un jardin qui entrerait au salon avec le soleil. On peut plus difficilement s’enfermer, arriver dans la solitude à l’impression définitive de la fameuse page qui se tourne : les rencontres se font plus vite, on traverse les moments et les lieux dans la continuité, et cette continuité est aussi nécessaire que difficile. Comment continuer d’avancer en même temps que la vie, puisque Sasha est morte, mais que rien d’autre de ce qui lui était lié, les amitiés, les liens du sang, l’amour qui l’unissait à Lawrence, n’est mort en même temps qu’elle ? Deuxième long-métrage du français Mikhaël Hers, Ce sentiment de l’été peint, plus qu’il ne le raconte, les séquelles singulières de cette mort en pleine jeunesse et au cœur de l’été. D’une année à l’autre, de Berlin à Paris, de Paris à New York, la saison revenant rappelle chez Lawrence (Anders Danielsen Lie) et Zoé, la sœur de Sasha (Judith Chemla), une mélancolie particulière liée à ce sentiment de continuité persistant, même si le temps qui passe rend la douleur moins vive. Rien ne se rompt vraiment. Les parents de Sasha, à Annecy, refont leur maison sans déménager. Zoé et son conjoint se sont séparés, mais « pas vraiment ». Désir très ordinaire Tous les étés se ressemblent, et toutes les villes se ressemblent en été. Le monde apparaît comme un grand espace ouvert que Mikaël Hers filme – c’est tout le sujet de son histoire – en cherchant plus volontiers les échos que les contrastes, encore moins les ruptures. Il attend ses personnages aux mêmes moments de la journée, lorsque les lumières se ressemblent. Les couleurs forment des passerelles d’une ville à l’autre, d’un personnage à l’autre En plein soleil, quand les couleurs vibrent – le bleu, le vert, le jaune – comme de la peinture que l’on vient d’étaler sur une toile, et à la tombée de la nuit, lorsqu’il ne fait pas encore assez sombre pour que cette vibration disparaisse : il y a trop peu de noir dans les images elles-mêmes pour que l’on puisse y voir le décor d’un deuil. Les couleurs forment des passerelles d’une ville à l’autre, d’un personnage à l’autre. Le vert vibrant de la pelouse que traversait Sasha à Berlin se retrouve au bord du lac d’Annecy. Zoé porte une chemise du même jaune brillant que celui du pull laissé par Sasha dans l’appartement berlinois – précisément à un moment où l’on soupçonne Lawrence et elle de sentir le désir très ordinaire d’aller chercher en l’autre un peu de la présence de la disparue. La nuit, il y a toujours un toit qui s’ouvre, au-dessus de l’hôtel où travaille Zoé, à Paris, ou de l’appartement new-yorkais de la sœur de Lawrence. On parle là plus facilement qu’entre les murs, comme si cette mort en plein soleil ne pouvait se raconter qu’en plein air. Ce récit est peut-être la seule chose qui change. L’été de la mort de Sasha, il est presque impossible : seuls des mots pragmatiques et quelques images un peu faibles se font entendre. « Je continue de m’imaginer qu’elle va arriver, s’asseoir et manger la moitié de mon sandwich », dit Lawrence – et c’est alors l’expression la plus visible de sa douleur. L’été suivant, c’est un mélange curieux de banalités et de confidences, maladroitement amenées. L’été d’après, enfin, les souvenirs franchissent la barrière des lèvres, et l’on peut sourire à nouveau de ce passé qui ressuscite en paroles : peut-être fallait-il commencer à oublier Sasha pour réapprendre le bonheur de parler d’elle. p noémie luciani Film français et allemand de Mikhaël Hers. Avec Anders Danielsen Lie, Judith Chemla, Marie Rivière, Féodor Atkine… (1 h 46). WILSON chante M O N TA N D Lambert Wilson réinvente un exceptionnel répertoire Album disponible 18 | culture 0123 MERCREDI 17 FÉVRIER 2016 Crises de foi sous les sunlights Les frères Joel et Ethan Coen moquent et célèbrent, avec la même frénésie, l’âge d’or des studios hollywoodiens AVE, CÉSAR ! pppv U n mot ne passe pas les lèvres d’un acteur, embarqué dans une tirade qui, jusqu’alors, tirait des larmes aux figurants et à l’équipe technique : « Foi. » Un mot qui pèse lourd, placé comme ça, en évidence, vers la fin d’une comédie burlesque, la première de ses réalisateurs depuis Burn After Reading, en 2008. Ave, César ! est aussi drôle, cruel, frénétique que ses prédécesseurs (Arizona Junior, The Big Lebowski, O’Brother…). Mais le film porte aussi les stigmates – le premier plan montre un Christ en croix – des dernières expériences de Joel et Ethan Coen : le désespoir spirituel de A Serious Man, la barbarie de True Grit, les affres créatrices d’Inside Llewyn Davis. Et, en plus, il y a un ballet aquatique. Au pied du crucifix mentionné plus haut, un homme est abîmé en prière, avant de se confesser. Eddie Mannix (Josh Brolin) avoue à un prêtre, visiblement agacé par son assiduité au sacrement de pénitence, qu’il a fumé en cachette de sa femme. Nous sommes en 1951 à Los Angeles. Le pénitent partage le nom et la profession d’un personnage historique : Eddie Mannix, adjoint d’un patron de studio, chargé d’huiler les rouages de l’industrie du rêve, en préservant les stars de leurs penchants et des scandales qu’ils pourraient provoquer, en tenant la bride courte aux réalisateurs qui se prennent pour des artistes et en muselant les journalistes avides de ragots. Ehrenreich, révélation du film Le nom du Mannix original, qui assistait le patron de la MGM, Louis B. Mayer, est apparu dans nombre d’affaires criminelles, ce qui ne risque pas d’arriver au Mannix des frères Coen. Catholique, on l’a vu, bon père de famille, il respecte aveuglément les décisions de son patron, Nick Schenck, qui dirige les studios Capitol depuis New York. La fonction de ce héros à la moustache très précisément taillée l’amène à faire le tour des plateaux, ce qui permet aux réalisateurs, premièrement, de poser sous toutes les formes possibles la question de la croyance à la fiction – que les cow-boys chantent ou que les nageuses sourient interminablement sous l’eau – et, secondement, de s’essayer un Eddie Mannix (Josh Brolin), adjoint d’un patron de studio, et son assistante (Heather Goldenhersh). ALISON COHEN ROSA/UNIVERSAL PICTURES instant à des genres qu’ils avaient jusqu’ici négligés (il en reste, malgré l’étendue de leur registre). En premier lieu, le péplum chrétien, spécialité qui s’épanouit à Hollywood pendant la guerre froide, qui permet avantageusement de célébrer les valeurs occidentales tout en offrant à la clientèle un spectacle d’une ampleur à laquelle la télévision naissante ne pouvait prétendre. Deux plateaux des studios Capitol sont occupés par le tournage d’Ave, César !, qui raconte la conversion d’un centurion sur le Golgotha. Le rôle a été confié à Baird Whitlock (George Clooney), bel homme alcoolique et infidèle. Pour ce tournage, comme pour ceux qui viendront (d’un western de série B, de comédies musicales), les Coen jouent avec les changements de cadre, qui ouvrent le champ à l’équipe technique après avoir fait mine de prendre au sérieux la fiction dont ils montrent la fabrication. Les frères Coen ont une science du cinéma si compacte qu’ils sont capables de charger chaque plan d’une infinité de significations Il s’agit moins de restituer la complexité de la création cinématographique (le film va vite, contrairement à tous les tournages) que de la célébrer, en laissant entrevoir quelques secrets des magiciens, sans jamais les trahir tout à fait. De son côté, Eddie Mannix se dépense sans compter pour préserver, lui aussi, cette magie. Il trouve un père à l’enfant illégi- time d’une vedette nautique (Scarlett Johansson), il convainc un réalisateur sophistiqué (Ralph Fiennes) qu’un garçon vacher (Alden Ehrenreich, la révélation de ce film, charme de gars de la campagne et tempo comique irréprochable) est en mesure de jouer un play-boy new-yorkais. Il lui faut aussi récupérer Baird Whitlock, dont la dernière disparition en date n’est due ni à sa libido ni à son alcoolisme, mais à son enlèvement par un groupe de scénaristes communistes (qui distribuent de jolies cartes de membres signées du nom de l’indéboulonnable secrétaire général Gus P. Hall). Cette autre foi est aussi cruellement caricaturée que les obédiences chrétiennes au début du film, lorsque Mannix soumet le scénario d’Ave, César ! à une assemblée de théologiens de tous bords (avec, en prime, un rabbin grincheux, qui se sent peu concerné par la question de la divi- nité du Christ). En voyant Ave, Cesar !, il arrive qu’on se sente presque aussi fatigué qu’Eddie Mannix. Joel et Ethan Coen ont accumulé une science du cinéma si compacte qu’ils sont capables de charger chaque plan d’une infinité de significations, d’y mettre d’un seul mouvement un hommage formellement impeccable au genre original et une satire dépourvue de tout respect. Incongruité des postures Cette ambivalence culmine avec la séquence de la comédie musicale maritime, clin d’œil à Un jour à New York ou Escale à Hollywood, dont la vedette, Burt Gurney (Channing Tatum), se trouve être un militant communiste sur le point de passer le rideau de fer d’Ouest en Est. Tatum retrouve sans effort apparent l’énergie des danseurs des années 1950 (même s’il lui manque les années de travail de Gene Kelly), mais les cadrages accen- tuent l’incongruité des postures de ce ballet entièrement masculin. Et quand, finalement, Burt Gurney se décide à embarquer pour la patrie du socialisme, les réalisateurs l’immortalisent dans la pose de Washington qui traverse le Potomac. Ce pourrait être trop, c’est en fait juste assez. Trop parce qu’on pourrait croire que les Coen mettent sur le même plan toutes les images, pour s’en moquer, parce qu’on peut toujours croire dans une image, quand on la voit. Juste assez parce que, en y réfléchissant bien (et rarement farce a exigé autant de l’intellect), Ave, César ! choisit son camp, celui des images auxquelles on a cru quand on les a créées. p thomas sotinel Film américain de Joel et Ethan Coen. Avec George Clooney, Josh Brolin, Channing Tatum, Tilda Swinton, Scarlett Johansson (1 h 46). Comment les frères Coen mènent leurs acteurs Rien n’est laissé au hasard sur le plateau des deux cinéastes, qui guident leurs comédiens avec une précision horlogère RENCONTRE berlin - envoyé spécial A u printemps 2015, avant de quitter leur salle de montage new-yorkaise pour Cannes, où ils devaient présider le jury, Joel et Ethan Coen avaient ainsi défini le genre de leur long-métrage à venir : Ave, César ! serait un film « dans lequel George Clooney a l’air d’un idiot ». L’œuvre fondatrice de ce genre, O’Brother (2000), et ses successeurs, Intolérable cruauté (2003) et Burn After Reading (2008) constituent un corpus succinct, mais cohérent, auquel Ave, César ! vient ajouter sa parure marmoréenne. George Clooney y joue Baird Whitlock, une star imbue d’ellemême, dont la fibre morale est résistante comme le coton hydrophile et les convictions malléa- bles comme la pâte à modeler. Mais ce personnage n’est pas le seul à passer pour un idiot. Comme le remarque, lors d’une rencontre à Berlin, pour la 66e édition du festival de cinéma, qui se termine le 21 février, Channing Tatum – qui incarne, lui, un danseur de claquettes qui s’apprête à gagner la patrie du socialisme –, « tous les personnages d’acteur sont placés à un certain niveau d’idiotie dans ce film ». « Réalisateurs transparents » Les Coen haïraient-ils les acteurs ? Les considéreraient-ils comme du bétail, pour reprendre une expression apocryphe d’Alfred Hitchcock, que le maître avait fini par reprendre à son compte ? Plus tard dans le week-end, à Berlin, les deux frères s’en défendent. « C’est vrai pour le personnage de Channing, il se berce d’illu- sion », dit Ethan. « Comme tous les communistes », ajoute Joel. Ils font ensuite remarquer que Scarlett Johansson joue une dure à cuire – même si DeeAnna Moran passe son temps dans l’eau, à la manière d’Esther Williams – qui ne s’en laisse pas compter, et qu’Hobie Doyle, le gars de la campagne, le cow-boy chantant qu’incarne Alde Ehrenreich, « sait de quoi il retourne ». N’empêche que le pauvre Hobie est la victime d’une des séquences les plus drôles du film, au long de laquelle un réalisateur britannique, Laurence Laurentz (Ralph Fiennes) tente de masquer l’accent texan de l’acteur en lui faisant répéter sa réplique ad nauseam. Y aurait-il comme une revanche sur des tribulations passées, survenues sur le plateau des frères Joel et Ethan Coen ? « C’est une digression sur l’interdit, qui empêche de « Chaque matin, on reçoit les répliques de la journée, avec, collé au dos de la feuille, le story-board » CHANNING TATUM acteur montrer à un acteur comment il doit dire sa réplique, se défend Joel. En fait, certains acteurs le demandent. Sérieusement, c’était une situation que nous avons imaginée et qui nous a fait rire. » Reste que, sur le plateau, les Coen ne laissent rien au hasard, pas même le jeu des acteurs, comme le raconte Channing Tatum : « Ce sont les plus transpa- rents des réalisateurs. Avant de tourner la dernière séquence de mon personnage [scènes qui impliquent une chaloupe et un sousmarin], ils ont détaillé le storyboard à chacun des participants : les rôles principaux, les seconds rôles, les acteurs qui étaient là pour la journée, les figurants. » Cette méthode n’est pas réservée aux séquences spectaculaires : « Chaque matin, on reçoit les répliques de la journée, avec, collé au dos de la feuille, le story-board, poursuit Channing Tatum. Si bien que, quand ils arrivent, c’est comme s’ils avaient déjà commencé à nous diriger, on sait déjà quelle tête on doit faire en se retournant vers la caméra. » Dans un film qui ressuscite tous les genres pour mieux mettre en évidence la précision horlogère qu’ils nécessitent (flottabilité des nageuses, vitesse du cheval du cow-boy, hauteur des tables sur lesquelles sautent les danseurs de claquettes… tout est calculé à la seconde, au millimètre près), on comprend que l’inventivité des acteurs ait été bridée. Dans la fiction d’Ave, César !, deux comédiens reçoivent une paire de claques, l’une donnée au début, l’autre à la fin du film, de la main d’Eddie Mannix, le cadre supérieur, homme à tout faire des Studios Capitol que joue Josh Brolin. Joel Coen ne peut s’empêcher de rire : « C’est juste un bon truc (the good stuff), dit-il, Josh joue le parent, et tous les acteurs sont comme des enfants. Il est le seul à rester sain d’esprit au milieu de gens qui déraillent. Et, parfois, il doit leur donner la fessée. » Les frères Coen ne haïssent pas les acteurs, ils les aiment bien, les châtient bien. p t. s. culture | 19 0123 Un amour plein d’épines Pour son premier long-métrage, Julia Kowalski décrit l’éclosion du désir et sa croissance sauvage chez une lycéenne impulsive CRACHE CŒUR S E M A I N E MERCREDI 17 FÉVRIER 2016 L A ppvv Mécanique désirante A commencer par l’inscription de ses personnages à l’intersection de deux territoires : une France anonyme où se déroule l’action, et en filigrane de celle-ci, une Pologne lointaine. Car le père de Rose, architecte d’origine polonaise, embauche un maçon du pays, Jozef (Andrzej Chyra, monstre sacré à domicile), pour exécu ter des travaux dans sa maison. Le film n’investit aucunement l’im plication sociale d’une telle situa tion, mais en profite surtout pour dédoubler son univers. Ce qu’il travaille, audelà d’un fonds auto biographique, c’est une certaine L E S A U T R E S F I L M S D E D e Belle épine (Rebecca Zlotowsky, 2010) à L’Année prochaine (Vania Le turcq, 2014), on ne compte plus les films se penchant sur les pre miers émois amoureux des « jeu nes filles ». C’en est presque de venu un passage obligé pour un jeune cinéma français, qui trouve, en ces drôles de créatures, peut-être moins un sujet de prédilection qu’une dimension initiatique : la « première fois » de ses héroïnes, c’est aussi un peu la sienne, un reflet de sa propre apparition sur le marché des auteurs. Mais à force de viser la même primeur du geste, beaucoup de ces films ont fini par se ressembler, se recoupant à l’en droit d’une fébrilité hissée trop uniformément comme étendard stylistique. Qu’estce donc qui différencie Crache cœur, premier longmé trage de Julia Kowalski, du tout venant des films de « jeunes filles » ? Le fait que sa protago niste, Rose (Liv Henneguier), une lycéenne impulsive, joue de la flûte traversière dans une formation classique, se prenne le bec avec son père, ou s’éprenne du mauvais garçon de sa classe ? Pas vraiment. L’originalité du film tiendrait plutôt à la formulation complexe qu’il donne du désir fé minin, ne paraissant pas, pour une fois, dans la plénitude de son objet, mais poussant comme une plante grimpante, par torsions et détours, selon les multiples an fractuosités du support auquel il s’attache. Rose (Liv Henneguier) et Clémentine (Léa Mesnil, au premier plan). ZOOTROPE FILMS « accentuation » du récit, une in terférence qui passe aussi par la musicalité hybride des idiomes. L’expérience de Rose s’en trouve, dès le départ, singulièrement décentrée, ouverte sur un ailleurs. La rencontre entre la jeune fille et cet intrus d’âge mûr qui travaille chez elle déclenche la mécanique désirante, mais pas comme on pouvait s’y attendre. Rose apprend bientôt de Jozef qu’il est le père d’un garçon de son lycée, le bel et arrogant Roman (Yoann Zimmer), qui a grandi en son absence. Ici, le film surprend, car la libido de Rose ne se fixe ni sur l’homme ni sur le garçon, mais entre les deux : entre le père et le fils, c’est-àdire à l’endroit d’une chimère, d’une fiction qui les réunirait. Belle proposition de montrer le désir comme essentiellement dissocié, scindé, impur : c’est, pour Rose, une indiscrétion, une curiosité, une spéculation La libido de Rose ne se fixe ni sur l’homme ni sur le garçon, mais entre les deux moite qui la conduira, avec Roman, sur les routes d’un petit village polonais, où s’originerait la possibilité même de leur histoire. La pulsion amoureuse, dans Crache cœur, n’a rien d’un élan. C’est, au contraire, une ligne brisée, une foule de petites bizarreries (les insectes rampants), de cruautés (Rose tourmente sa petite sœur), de crispations, de pollutions (Rose se pisse dessus lorsqu’elle surprend Roman faisant l’amour à une autre), ouvrant sur un paysage étrange, diffus, à la li sière du fantastique – et qui n’est autre que l’imaginaire de la défloration. Pour mieux le contenir, Julia Kowalski déploie une mise en scène d’une plasticité saillante, pas toujours très habile à modu ler les intensités, mais d’une assu rance notable et d’une solidité courageuse, dans le contexte ac tuel du filmage « à fleur de peau ». Elle trouve surtout, dans le vi sage et la carrure de son actrice Liv Henneguier, un alliage inédit de fièvre et de violence pantelantes, de rondeur et de brutalité fauves, en somme cette mobilité insaisissable où commence l’existence des véritables personnages. p mathieu macheret K Retrouvez l’intégralité des critiques sur Lemonde.fr (édition abonnés) ppvv À VOIR La Chambre d’en face Film danois de Michael Noer (1 h 31). Deux octogénaires guère heureux dans leur maison de retraite s’éprennent l’un de l’autre comme s’ils avaient 16 ans. Filmant cette romance aussi gracieuse qu’un premier amour, le Danois Michael Noer travaille en filigrane le regard réprobateur de l’entourage sur cette idylle tardive. Un film émouvant et pertinent quant aux questions de société qu’il soulève. p n. lu. pvvv POURQUOI PAS Un sol frío en verano Film espagnol et français de Mathieu Gari avec Paulina Veltina, Júlia Ferré, Eli Piz (1 heure). Etonnant objet que ce premier long-métrage tourné sur un rivage andalou au gré d’un scénario tortueux. Si le sens de ce portrait mélancolique de jeune femme est hermétique, l’ambiance singulière qui naît des images et d’un beau travail sonore surprenant peuvent donner l’envie de s’y perdre. p n. lu. Mon sac est prêt, mes pompes aussi Film français de Jeanne Quibel (1 h 30). Une micro-utopie communautaire autour de cinq égarés, qui se retrouvent dans un camping-car en panne. Un film réalisé avec peu de temps, peu d’argent, mais beaucoup d’énergie, qui ressemble à ses héros. p n. lu. Sleeping Giant Film canadien d’Andrew Cividino (1 h 29). Ce premier film canadien conte la fin de l’innocence pour trois garçons en vacances sur les rives du lac Supérieur, dans l’Ontario. Leur adolescence est d’abord saisie comme un feuilleté d’instants suspendus. Mais, bientôt, cette substance volatile s’alourdit par excès de scénarisation. A vouloir trop en dire, l’ensemble s’éparpille. Un court-métrage étiré en long. p m. ma La Vache Film français de Mohamed Hamidi (1 h 31). Cette comédie réunit deux films en un seul. Le premier est porté par le burlesque aérien et poétique de Fatsah Bouyahmed – comédien de théâtre et membre du Jamel Comedy Club – et enveloppé dans une b.o. savoureuse signée Ibrahim Maalouf. Le second esquisse un portrait du bon peuple de France à travers ses douaniers, ses Circassiens, ses syndicalistes en colère, ses aristocrates ruinés, et contrecarre tout ce que le premier pouvait promettre de fantaisie, d’originalité et de liberté. p i. r. Zootopie Film d’animation américain de Byron Howard et Rich Moore (1 h 48). En imaginant une cité où cohabitent mammifères carnivores et herbivores, Disney a voulu faire œuvre d’éducation politique. Mais les aventures de Judy Hopps, première policière lapine de Zootopie, ont été écrites avec d’aussi gros sabots que ceux du commissaire buffle qui houspille la rongeuse. p t. s. vvvv ON PEUT ÉVITER Beira-Mar Film brésilien de Marcio Reolon et Filipe Matzembacher (1 h 23). Martin est chargé par son père de le représenter après la mort de son propre père, au Brésil. L’adolescent demande à son ami Tomaz de l’accompagner. Cette situation d’attente et de porteà-faux en cache une autre, le sentiment non avoué de Martin pour son ami. La tardive levée de ces non-dits n’efface pas la sensation d’interminable dilution qui l’aura précédée. p j. m. NOUS N’AVONS PAS PU VOIR Film français et polonais de Julia Kowalski. Avec Liv Henneguier, Yoann Zimmer, Andrzej Chyra, Artur Steranko, Léa Mesnil (1 h 23). Les Naufragés Film français de David Charhon (1 h 37). Amis publics Film français d’Edouard Pluvieux (1 h 38). LES MEILLEURES ENTRÉES EN FRANCE Le « M » de Losey le maudit Nombre de semaines d’exploitation En 1951, le cinéaste transposait le film de Fritz Lang dans l’Amérique de l’après-guerre Deadpool REPRISE P endant longtemps, la réputation de M, réalisé par Joseph Losey en 1951, a souffert de la comparaison avec le chef-d’œuvre de Fritz Lang, en 1931, dont il a constitué le remake. Il a par ailleurs été pendant longtemps un film quasiment impossible à voir, en raison de la rareté des copies, et traîne donc sa renommée un peu triste de répétition inutile dans les histoires officielles du cinéma. Pourtant, quelques plumes avisées l’ont, depuis, réhabilité, notamment Bertrand Tavernier et Jean-Pierre Coursodon dans leur 50 ans de cinéma américain (1995, épuisé). Le découvrir aujourd’hui, puisqu’il ressort en salles, permettra de constater qu’il s’agit, sans doute, d’un des meilleurs films noirs jamais réalisés. Reprenant, en les condensant, les péripéties du film de Lang (un assassin de petites filles est traqué à la fois par la police et par la pègre), Losey les plonge dans l’Amé- rique de l’après-guerre, pour réaliser une œuvre à la fois politique et à l’expressionnisme paradoxal. Le film est produit par Seymour Ne benzal pour la Columbia. Sans doute peuton associer sa dimen sion politique aux convictions du cinéaste luimême – qui a été contraint de s’exiler, quelques mois plus tard, sous la pression des persécutions maccarthystes – et d’un des scénaristes, Waldo Salt, « blacklisté » la même année. Réalité sociale et géographique La description de la pègre dans le film de Losey (dont on sait qu’elle mettra tout en œuvre pour trouver, avant la police, le tueur en série empêchant ses affaires de tourner) est soigneusement décrite comme un pouvoir économique et hiérarchisé – une pyramide de verres à whisky en consti tue une allégorie parlante, au cours d’une séquence. Le crime organisé agit ainsi comme une puissance politique. Il utilise même son habileté à tra quer le tueur comme une manière de communication commerciale, mais cède néanmoins à ces éclats de violence moins « civilisés » qu’a si bien su filmer Losey. Le film témoigne également de l’influence, qui sera de plus en plus notable à Hollywood, de la psychanalyse comme grille de lec ture et détermination des événe ments. Losey a écrit à l’attention de ses scénaristes une série de no tes qui décrivent la personnalité schizoïde de l’assassin. Un détail dans un plan (la photo de ce que l’on devine être la mère du tueur d’enfants) suffit à exprimer l’idée d’un complexe d’Œdipe mal ré solu. Cette notation furtive in jecte surtout une invisible dimen sion fantastique qui le rend en core plus fascinant. Mais c’est d’abord le style adopté par le réalisateur qui ancre M dans une réalité sociale et géographi que précise, tout en effleurant une forme d’abstraction. Tourné à Los Angeles (Alta Vista, Down town et Bunker Hill, notamment), le film sort du studio pour capter la rue ellemême, sa lumière et sa topographie, une architecture parfois tordue, faite de dénivellations abruptes, d’escaliers vertigineux, de fêtes foraines monumentales, de quartiers authentiques baignés de soleil. Parfois, cette vision s’inverse au profit d’une séquence plus ouvertement baroque, comme la capture du meurtrier dans un entrepôt de mannequins, inertes et menaçantes effigies humaines. On dit souvent, c’est même un lieu commun, que le film noir américain serait un parent lointain du cinéma expressionniste allemand des années 1920. Mais si l’expressionnisme cinématographique réside dans la manière pour le décor de raconter le film, M refuse, dans celui-ci, toute artificialité, pour tirer de la réalité elle-même, par un effet de transsubstantiation, cette incursion du monde psychique dans le réel. p jean-françois rauger Film américain de Joseph Losey. Avec David Wayne, Howard Da Silva, Martin Gabel (1 h 24). Nombre d’entrées (1) Nombre d’écrans 1 1 284 278 478 Les Tuche 2… 2 972 162 608 Alvin et les Chipmunks… 2 382 258 582 Chocolat 2 379 449 529 Evolution par rapport à la semaine précédente Total depuis la sortie 1 284 278 ↓ ↑ ↓ – 15 % 2 474 719 + 5% 870 830 – 19 % 998 958 Joséphine s’arrondit 1 302 658 394 302 658 La Tour 2 contrôle… 1 215 933 591 215 933 Heidi 1 187 737 353 187 737 Chair de poule… 1 137 434 410 137 434 Les Innocentes 1 136 060 144 La 5e Vague 3 130 711 380 AP : avant-première Source : Ecran total 136 060 ↓ – 32 % 802 650 * Estimation Période du 10 au 14 février inclus La semaine est dominée par le super-héros post-adolescent venu des Etats-Unis Deadpool, de Tim Miller, qui a l’esprit au niveau de la braguette, et par le deuxième opus des Tuche, famille un peu bas du front, du Français Olivier Baroux. Le premier vient de ravir la tête du classement au second, qui l’occupait depuis la semaine dernière, avec une entrée en matière tonitruante : un million deux cent mille spectateurs en quatre jours. La troisième place est occupée par Alvin et les Chipmunks : à fond la caisse, de Walt Becker. Sinon, deux résultats notables parmi les nouveaux films. La bonne moyenne (plus de neuf cents spectateurs par écran) obtenue par Les Innocentes, d’Anne Fontaine. Et le piteux décollage de La Tour 2 contrôle infernale, avec le duo Eric JudorRamzy Bedia, qui paraît mal parti pour égaler les deux millions de spectateurs qu’avait enthousiasmés La Tour Montparnasse infernale, en 2001. 20 | télévisions 0123 MERCREDI 17 FÉVRIER 2016 Leçon de darwinisme social au Kazakhstan VOTRE SOIRÉE TÉLÉ Emir Baïgazin dépeint, dans ce premier film réussi, la vengeance de l’élève Aslan, ostracisé par ses camarades ARTE MERCREDI 17 – 20 H 55 FILM I l y a plusieurs manières de considérer Leçons d’harmonie. De prime abord, c’est l’histoire d’une vengeance, celle d’Aslan, un collégien de 13 ans, humilié et ostracisé par les autres élèves d’un collège provincial, tous rackettés par Bolat, un apprenti caïd. Mais, derrière ce qui s’apparente à un film noir, se niche bien autre chose, une réflexion sur le darwinisme social, doctrine élaborée par le Britannique Herbert Spencer (1820-1903), selon laquelle le mécanisme de la sélection naturelle décrit par Darwin serait applicable au corps social. Souvent considérée comme le fondement de l’ultralibéralisme, cette théorie postule que « toute protection artificielle des faibles est un handicap pour le groupe social auquel ils appartiennent, dans la mesure où cette protection a pour effet (…) de le mettre en position d’infériorité face aux groupes sociaux rivaux ». Tout commence dans la cour d’une ferme. Un jeune garçon attrape un mouton et le tue, avant de le dépecer pour sa grand-mère. D’autres abattages suivront qui, comme celui-ci, resteront dans le hors-champ de la caméra. Dès la séquence suivante, on retrouve Aslan dans sa classe, au milieu de Timur Aidarbekov incarne le jeune Aslan, humilié par ses camarades d’école. ARIZONA FILMS ses condisciples. Puis arrive la visite médicale. Le moment que choisissent Bolat et les siens pour humilier publiquement Aslan. Sali, souillé, ce dernier n’aura de cesse qu’il se soit vengé de Bolat. Redoutable stratège Leçons d’harmonie est construit comme un thriller dont il serait dommage de gâcher le suspense ; un suspense dont le mode narratif particulier – des ellipses permettent d’ignorer les scènes de passage à l’acte – fait que le film se propage par accélérations successives. Chaque plan est composé avec soin. Tout a son importance, les visages comme les objets. Quant aux animaux, le mouton du début et de la fin (magnifique scène où on le voit courir sur l’eau), les cafards ligotés sur une chaise électrique, on les retrouve tout au long du film, manière pour Baïgazin d’étayer son propos politique et philosophique. Visage inexpressif, réservé, Aslan (Timur Aidarbekov) se révélera redoutable stratège. Face à lui, Bolat (Aslan Anarbayev), musclé, rigolard, incarne le chef de clan sans scrupule, manipulé par deux bandes rivales. De ce duel sans merci se dégage une sensation curieuse, faite d’apparente lenteur et de mouvements constants. Et l’harmonie dans tout cela ? Elle dépasse les principes manichéens de bien et de mal, répond Baïgazin. Témoin ce qui se passe au collège, ces cours sur Gandhi et Darwin, mais aussi sur l’art de la guerre. L’école, considérée comme un monde global, fait de violence, d’amour et de haine à l’intérieur duquel vont finir par s’immiscer trafiquants et flics tortionnaires. Dans son Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, Claude Bernard expliquait que « tous les phénomènes d’un corps vivant sont dans une harmonie réciproque telle qu’il paraît impossible de séparer une partie de l’organisme sans amener immédiatement un trouble dans tout l’ensemble ». C’est cela, Leçons d’harmonie : un film sur la nature humaine et ses pulsions violentes. Un film sur la guerre intérieure qui peut s’emparer de chacun d’entre nous jusqu’à nous ravager. Un film sur l’art et la manière de se retrouver en paix avec soi-même, sinon avec les autres. p franck nouchi Leçons d’harmonie d’Emir Baïgazin. Avec Timur Aidarbekov, Aslan Anarbayev (Kaz., 2014, 115 min). « The Newsroom », la vérité, rien que la vérité, avant l’écran noir Troisième et dernière leçon de journalisme par le scénariste d’« A la Maison Blanche », Aaron Sorkin CANAL+ SÉRIES MERCREDI 17 – 20 H 50 SÉRIE C omme on aurait aimé revivre l’admiration qu’il suscita chaque semaine avec la série « A la Maison Blanche » (« The West Wing »), en 1999 ! Auteur oscarisé pour le scénario de The Social Network (2010), sur la naissance de Facebook, et scénariste primé pour Steve Jobs, actuellement en salles, Aaron Sorkin annonça ensuite s’atteler à l’analyse du travail journalistique dans une chaîne d’info. Au vu de son palmarès, cela ne pouvait donner lieu qu’à une œuvre aussi urticante que brillante, estima-t-on dans la sphère journalistique. Or, « The Newsroom », diffusée entre 2012 et 2014 sur la chaîne câblée HBO, s’est avérée trop souvent pontifiante et déconnectée de la réalité pour impressionner autant qu’avait pu le faire « A la Maison Blanche ». Attention, jamais rien de médiocre chez le très ambitieux Aaron Sorkin : de l’écriture des très nombreux dialogues à la critique du traitement de faits réels par les médias, de la production assurée par un ancien de « Six Feet Under » aux acteurs, tous véritablement très bons, « The Newsroom » vise l’excellence, et y parvient. Mais par moments seulement. Un réquisitoire sans échange Au fil de trois saisons, avec beaucoup d’éloquence et d’acuité, Aaron Sorkin fait la leçon à la gente journalistique, imagine un monde idéal où les chaînes ignoreraient les réseaux sociaux et les taux d’audience, où le financement proviendrait de quelques mécènes désintéressés… Pourquoi pas ? Mais le spectateur risque de ne pas vibrer et d’en rester au point de départ de la série : à un concept, à une critique acerbe du système capitalistique télévisuel, à une descente en flèche du sensationnalisme des médias américains. A un réquisitoire, donc, sans échange avec le public. Puisque Canal+ Séries propose la troisième et dernière saison de « The Newsroom », rappelons que la série s’ancre autour du journaliste Will McAvoy, qui entend présenter chaque soir un JT livrant au spectateur la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Autour de lui, sur la chaîne câblée ACN, toute une rédaction se bat chaque jour pour atteindre ce Graal, tandis que dans l’ombre agissent les forces de l’argent… p martine delahaye « The Newsroom », saison 3. Avec Jeff Daniels, Emily Mortimer, John Gallagher, Olivia Munn, Sam Waterston (Etats-Unis, 2014, 6 × 52 minutes). Diffusion mercredi 17 février sur Canal+ Séries à 20 h 50. M E RCR E D I 17 JAN VIE R TF1 20.55 Les Experts : Cyber Série créée par Carol Mendelsohn, Ann Donahue et Anthony E. Zuiker. Avec Patricia Arquette (EU, saison 2, ép. 3 à 5/22). 23.30 Les Experts Série créée par Anthony E. Zuiker. Avec Ted Danson, Elisabeth Shue, George Eads (EU, S14, ép. 12 et 14/22 ; S10, ép.3/23). France 2 20.55 Fais pas ci, fais pas ça Série créée par Anne Giafferi et Thierry Bizot. Avec Isabelle Nanty, André Manoukian (Fr., S8, ép. 3 et 4/6). 22.40 Folie passagère Divertissement animé par Frédéric Lopez. France 3 20.55 Des racines et des ailes « Passion patrimoine : au fil de l’Allier ». Magazine présenté par Carole Gaessler. 23.20 Pièces à conviction « Le naufrage d’Areva : une affaire d’Etat ». Magazine présenté par Patricia Loison. Canal+ 20.45 Football Ligue des champions 8es de finale aller : AS Roma (It.) - Real Madrid (Esp.). 22.50 Night Run Thriller de Jaume Collet-Serra. Avec Liam Neeson, Génesis Rodriguez (EU, 2015, 110 min). France 5 20.40 Opération Stonehenge Documentaire de Jeremy Turner (GB., 2014, 85 min). 23.35 Dangers dans le ciel Documentaire de James Hyslop (Can., 2009, 50 min). Arte 20.55 The Bling Ring Comédie dramatique de Sofia Coppola (EU, 2013, 80 min). 23.10 Leçons d’harmonie Drame d’Emir Baigazin. Avec Timur Aidarbekov (Kaz., 2014, 115 min). M6 20.55 Cauchemar en cuisine Marseille. 22.35 Cauchemar en cuisine Que sont-ils devenus ? 0123 est édité par la Société éditrice HORIZONTALEMENT I. Si le gâteau est excellent, l’échange GRILLE N° 16 - 040 PAR PHILIPPE DUPUIS peut être délicieux. II. Fait voyager le du « Monde » SA Durée de la société : 99 ans à compter du 15 décembre 2000. Capital social : 94.610.348,70 ¤. Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS). Rédaction 80, boulevard Auguste-Blanqui, 75707 Paris Cedex 13 Tél. : 01-57-28-20-00 Abonnements par téléphone : de France 3289 (Service 0,30 e/min + prix appel) ; de l’étranger : (33) 1-76-26-32-89 ; par courrier électronique : abojournalpapier@lemonde.fr. Tarif 1 an : France métropolitaine : 399 ¤ Courrier des lecteurs blog : http://mediateur.blog.lemonde.fr/ ; Par courrier électronique : courrier-des-lecteurs@lemonde.fr Médiateur : mediateur@lemonde.fr Internet : site d’information : www.lemonde.fr ; Finances : http://inance.lemonde.fr ; Emploi : www.talents.fr/ Immobilier : http://immo.lemonde.fr Documentation : http ://archives.lemonde.fr Collection : Le Monde sur CD-ROM : CEDROM-SNI 01-44-82-66-40 Le Monde sur microilms : 03-88-04-28-60 SUDOKU N°16-040 brut. Mit en beauté. III. Les hommes chez Elizabeth. Son point laisse des 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 I II traces. IV. Pour conserver de belles miches. Pourra être approuvé. V. Fiévreux et tourmentés. On peut toujours penser que ce sont les autres. III VI. Démonstratif. Piégées. Réservé aux proches. VII. Peut tout faire sau- IV V ter. Abri sur le bâtiment. Du même genre. VIII. Ouvris en grand. Creuse en avançant. Entrent en duel. IX. Pa- VI VII rasites. Obtenue sans légitimité. X. Mènerions à bien. VERTICALEMENT VIII IX 1. Assure de grosses réductions. La reproduction de tout article est interdite sans l’accord de l’administration. Commission paritaire des publications et agences de presse n° 0717 C 81975 ISSN 0395-2037 2. Soja, lin et autres navettes. 3. Refus d’hier. Fait de vrais choix. 4. Pour les X Au cœur de l’actualité amateurs de toiles étrangères. Saison migratoire. Ouvre l’ascenseur. 5. Très pris à la saison des prix. 6. Cours pri- HORIZONTALEMENT I. Controverses. II. Apéritif. Pro. III. Opposé. Franc. de gamme. 7. Coupe en avançant. IV. Urétérale. Ei. V. Tir. Talure. VI. Cm. Ut. UV. GPL. VII. Haines. Ebahi. Fusse au courant. 8. Mer démontée. VIII. Onde. Os. Ur. IX. Ute. Alertait. X. Cessionnaire. Echec total. 9. Acceptent le marché. VERTICALEMENT 1. Caoutchouc. 2. Opprimante. 3. Neper. Ides. 4. Trot. «Une». 5. Risette. Ai. 6. Otera. Solo. 7. VI. Alu. Sen. 8. Eluve. RN. 9. RER. Buta. 10. Spa. Egarai. 11. Erne. Ph. Ir. 12. Socialiste. Novembre-décembre 2013 8,50 € Février-mars-avril 2016 8,50 € la France D’après maire. Lac de Lombardie. Ouverture Fait appel. 10. Se rendra. Pour vieillir en cave. Long ruban italien. 11. Membre de la famille. Jardin extraordinaire. 12. Tout à fait normales. La presse étrangère débat des valeurs d’un pays déboussolé EmilE lorEaux SOLUTION DE LA GRILLE N° 16 - 039 Hors-série Document exclusif : la fabrique de terroristes Enquête sur les dérives du système judiciaire français En partenariat avec Présidente : Corinne Mrejen Un numéro exceptionnel PRINTED IN FRANCE 80, bd Auguste-Blanqui, 75707 PARIS CEDEX 13 Tél : 01-57-28-39-00 Fax : 01-57-28-39-26 L’Imprimerie, 79 rue de Roissy, 93290 Tremblay-en-France Toulouse (Occitane Imprimerie) Montpellier (« Midi Libre ») styles | 21 0123 MERCREDI 17 FÉVRIER 2016 Le quartier de la Pointe courte. BRUNO DE HOGUES/GAMMA-RAPHO La visite de Sète se conjugue en extérieur, avec des balades sur le canal (ci-contre), et en intérieur, avec l’incontournable Musée international des arts modestes, le MIAM (ci-dessous). Le restaurant Oh Gobie offre une ambiance décontractée et authentique. LA NIAK PATRICE THEBAULT/ ONLYFRANCE.FR JUAN MANUEL CASTRO PRIETO/AGEN C A R N E T D E R O U T E Y aller De Paris ou de Lyon, TGV direct (3 h 45 depuis Paris, 2 heures depuis Lyon). A partir de 25 euros l’aller, tarif Prem’s sur Voyagessncf.com. Grâce à Calendrier.voyages-sncf.com, on visualise les meilleurs tarifs sur un mois donné. 48 heures à sète VOYAGE sète (hérault) E Pa u Sète l-B ou sq ue t osc eB id ua Q Bd Ch evali er-d e-C lervi lle 6 Sète 1 4 Place de l'hospitalet 2 Nouveau Bassin Canal Royal Mont Saint-Clair 3 Vieux port t-Louis e Sain Môl Vers la Corniche 5 agréable. Au pont de la Savonnerie (2), embarquement immédiat dans l’un des bateaux de Sète Croisières, pour découvrir la ville au fil de l’eau. Le Canauxrama, pour une visite des canaux en passant sous les neuf ponts, ou L’Aquarius, qui sort en mer. 13 heures Boîte à sardines Mieux vaut éviter les restaurants le long du quai, qui n’ont d’atout que leur terrasse – et encore, la route est passante. On s’installe plutôt face à la criée, chez Oh Gobie. Filets de pêche accrochés au mur, tables et chaises dépareillées, ambiance décontractée… et excellentes sardines grillées. Sous les arcades, près de l’office du tourisme, L’Ultima propose un menu enfant copieux et des pizzas délicieuses. Puis on digère en arpentant le 18 h 30 La Mamma Comme attiré par le clocher de la décanale Saint-Louis (4), qu’on aperçoit depuis les quais, on quitte le bord de l’eau pour rejoindre le Quartier haut. L’ancien fief des pêcheurs « marins » a gardé le charme d’antan, ses ruelles étroites, ses petites maisons de deux étages aux façades roses et jaunes. On s’arrête place de l’Hospitalet, devant l’opulente sculpture de Richard Di Rosa : La Mamma. C’est face à cette femme pulpeuse aux lèvres charnues que l’on s’arrête pour dîner de quelques tapas, au café Le Social : un bar de copains, fief d’une des sociétés de jouteurs sétoises, où l’ambiance est à la fois populaire et branchée. JOUR 2 R u e an ss 11 heures Royal canal Depuis les halles, par le passage du Dauphin, on arrive le long du canal Royal, où s’alignent des cen taines de bateaux de pêcheurs colorés. Les petits en repèrent même un qui a coulé à pic. C’est là qu’en août, à la Saint-Louis, ont lieu les fameux tournois de joutes. Perché sur un bateau, un jouteur protégé par un pavois (bouclier) tente de faire tomber l’adversaire à l’eau avec sa lance. La tradition remonte au Moyen Age, mais continue d’attirer locaux et touristes. La promenade le long du quai de la Marine, bordé de restaurants et de boutiques, est Ru e Gare de Sète rau Ca la 10 heures Tielle matinale Pour s’imprégner de l’accent sétois et des effluves d’iode, on s’immerge aux halles (1), marché couvert en plein cœur de la ville. Un lieu de vie, où, tous les matins, les Sétois s’alpaguent et s’attablent au café. Pendant qu’on déguste quelques huîtres – tant pis pour l’heure matinale ! – tout juste pêchées à Bouzigues, les enfants courent entre les étals de poissons et de crustacés. Et s’attardent devant la boutique de Giulietta, dont les tielles mettent l’eau à la bouche ; une « tourte » typiquement sétoise, fourrée au poulpe et à la tomate, dont Giulietta propose aussi une version aubergine parmesan, exquise. Pointe courte de JOUR 1 Etang de Thau e n descendant au-delà de Montpellier, jusqu’à Sète, on s’attendait à retrouver l’atmosphère des stations balnéaires de notre enfance. Du béton, des promenades saturées de marchands de glaces et de manèges, et des plages aménagées. Mais Sète ne ressemble ni à Palavas ni à La Grande-Motte. L’île singulière, enserrée entre la mer et l’étang de Thau, est avant tout un port de pêche, le premier du littoral français méditerranéen. Ses chalutiers, ses thoniers, sa criée en font une ville « travailleuse » et vivante. Une ville culturelle aussi, dont les canaux, les vieux quartiers de pêcheurs et les ruelles lumineuses continuent d’inspirer artistes et cinéastes. Ouverte sur la mer, l’île singulière n’a pourtant rien de balnéaire. Et vit, même hors saison, d’art et de pêche Se loger Mer Méditerranée 200 m vieux port. Voiliers, yachts et catamarans rivalisent avec chalutiers et thoniers. Le Nouveau Bassin, lui, accueille d’impressionnants paquebots en partance pour l’Algérie ou la Sardaigne. 16 heures Enchères de la mer Retour face à la criée (3), devant laquelle une trentaine de chalutiers déchargent des cageots de poissons. De l’extérieur, cet immense hangar ne ressemble pas à grand-chose. C’est à l’intérieur que le ballet se joue, et que défilent bacs de dorades, de rougets, de seiches – il se vend jusqu’à 700 lots par heure aux enchères. Dommage, les acheteurs ne crient plus à l’ancienne, mais appuient simplement sur un bouton pour passer commande – la criée sétoise a été la première d’Europe à être informatisée. 10 heures Entre deux eaux On choisit de commencer la matinée par une balade en minibus, façon « Huit ça suffit ». Yves Bousquet, de Buscapade Languedoc, vient nous chercher tôt pour prendre de la hauteur. Calotte vis sée sur la tête, ce Sétois pur jus depuis trois générations raconte la ville avec passion – et accent. En dix minutes, nous voici sur le mont Saint-Clair, qui domine la ville… à 182 mètres. Le quartier est résidentiel, les plus aisés y ont perché des villas. Depuis la terrasse panoramique, on aperçoit d’un côté l’étang de Thau et ses parcs à huîtres, de l’autre, le port côté mer. L’île singulière à 360 degrés. 11 heures Toit tranquille En quelques minutes, Yves nous descend jusqu’au cimetière marin (5), curiosité de la ville qui domine la grande bleue. C’est là qu’est enterré le poète Paul Valéry – on reconnaît sa tombe au banc posé juste devant, pour les touristes. Ne cherchez pas Georges Brassens, l’enfant du pays, qui lui est enterré un peu plus loin, dans le plus populaire cimetière Le Py. Face au cimetière marin, on devine le joli Théâtre de la mer, qui accueille chaque été festivals de chanson et musiques du monde. Aux tombes, les enfants préfèrent le jardin aux cactus qui surplombe le cimetière. 13 heures Brin de sable Notre chauffeur propose de nous laisser sur la Corniche, prome- nade aménagée le long des plages. Certes, ce n’est pas la Croisette, mais, à pied ou à vélo, la balade est revigorante. Sète met peu en avant ses 12 kilomètres de plage, pourtant larges et propres… mais, il est vrai, dépourvues de charme. Lorsque le soleil pointe, y piqueniquer reste agréable. 14 heures MIAM, un musée Depuis la Corniche, un bus remonte jusqu’au centre-ville, direction le MIAM (6). Derrière ce nom gourmand se cache l’étonnant Musée international des arts modestes. Des objets du quotidien, d’ordinaire laissés-pourcompte – paquets de gâteaux, scoubidous, cadeaux Bonux ou Kinder, soldats de plomb –, que les artistes Hervé Di Rosa et Bernard Belluc ont mis en scène dans des vitrines à thème. La visite de ce lieu unique a un goût d’enfance. « Oh, les premiers emballages de Malabar ! », « Toi aussi, tu regardais Goldorak ? », « Tu mangeais des Croqu’images ? » Un moment à partager avec les enfants – qui nous trouvent alors tellement vieux. Le weekend et pendant les vacances scolaires, La Petite Epicerie – le service pédagogique du MIAM – organise des ateliers arts plastiques pour les petits. 16 heures L’île des Pointus Avant de reprendre le train, on dépasse la gare, puis le pont mobile, pour pénétrer dans un autre monde : celui de la Pointe courte. Le quartier des pêcheurs de l’étang – dont la plupart ont des noms catalans ou italiens – immortalisé par la réalisatrice Agnès Varda en 1955. Sculptures faites avec des matériaux de récup’, balcons décorés, filets de pêche étendus au soleil, chats errants, barbecues à même la rue… Il règne sur ce bout de l’île une joyeuse anarchie. Un petit paradis figé dans le temps qui a attiré les artistes, et désormais les bobos – des maisons d’architecte commencent à pousser. Puis on s’arrête au Bar du Passage, le seul café du quartier, qui sert plateau de crustacés et tapas à toute heure au bord du canal. Le pont mobile se lève, et Sète redevient pour quelques heures une île. Singulière. p yoanna sultan-r’bibo L’agence Sea, Sète and Sun propose des séjours à thème, des balades en mer ou gastronomiques, mais aussi des logements insolites. Un adorable cabanon de pêcheur au bord de l’étang de Thau, une yourte sur le mont Saint-Clair, un yacht ou encore un voilier amarré dans le port de Sète. De 100 à 200 euros la nuit. Renseignements au 07-82-23-68-29 et sur Seaseteandsun.com L’Orque bleue Un charmant hôtel le long du canal Royal, idéalement placé, dans une bâtisse du XIXe siècle. Chambres joliment décorées, salle de petit déjeuner lumineuse, avec baies vitrées pour voir passer les bateaux, et boutique attenante avec accessoires à chiner. A partir de 78 euros la nuit. Hotel-orquebleue-sete.com Visiter Buscapade Yves Bousquet propose des circuits en minibus d’une demi-journée ou d’une journée pour visiter la ville hors des sentiers battus. D’autres circuits sont proposés dans tout le Languedoc. Demi-journée, Sète et bassin de Thau, entre 16 et 26 euros par personne. Buscapade-languedoc.fr et 06-25-16-02-27. Musée international des arts modestes Miam.org et 04-99-04-76-44. Ouvert tous les jours sauf lundi, de 10 heures à 12 heures et de 14 heures à 18 heures. Pour réserver les ateliers pour enfants (3 euros de l’heure), petite-epicerie@ville-sete.fr 22 | 0123 0123 MERCREDI 17 FÉVRIER 2016 FRANCE | CHRONIQUE par gé r ar d co urtois Primaire ou pugilat ? E ntre les candidats à la primaire qui doit désigner le candidat des républicains à la prochaine élection présidentielle, jamais les échanges n’avaient été aussi violents. Sur la politique d’immigration, sur la crise syrienne ou sur les choix économiques, les insultes ont fusé : « Menteur ! », a accusé le premier ; « menteur toi-même ! », a répliqué le deuxième ; « sale type ! », a balancé un troisième, tandis que le quatrième traitait de tous les noms le frère et le père du cinquième. Le dernier, accablé, a tenté sans succès de calmer ce match de catch où tous les coups étaient permis : « Nous sommes en train de faire tout ce qu’il faut pour perdre cette élection… » Scène d’anticipation, neuf mois avant la primaire de la droite française ? Non. Mais scène bien réelle qui a opposé, le 13 février, lors d’un débat télévisé organisé à Greenville, en Caroline du Sud, les six candidats encore en lice dans la primaire des républicains américains. Certes, les républicains français n’ont pas la chance de disposer d’un ambianceur aussi efficace que le milliardaire populiste Donald Trump. Mais ils comptent tout de même dans leurs rangs, déjà sur le ring ou impatients d’y monter, quelques solides castagneurs prêts à régler de vieux comptes et capables de faire de sérieux dégâts. Car l’exemple américain le démontre : une élection primaire peut être la meilleure ou la pire des procédures pour départager les candidats d’un parti. Depuis que les socialistes français l’ont utilisée pour désigner François Hollande en 2011, on en connaît les mérites : sortir des manœuvres d’appareil opaques d’autrefois, arbitrer démocratiquement les ambitions rivales et éviter les vendettas fratricides, permettre un débat public sur les orientations de chacun et, enfin, offrir au vainqueur une solide rampe de lancement pour sa campagne présidentielle. Etre irréprochables Mais l’on connaît aussi les conditions de la réussite. La première est d’organiser un scrutin impeccable. Les Républicains s’y emploient depuis un an, sous la houlette du député Thierry Solère. Alors que la confusion et les irrégularités du scrutin qui a opposé, en novembre 2012, Jean-François Copé et François Fillon pour la présidence du parti sont encore dans les mémoires, ils savent qu’ils doivent être irréprochables. La moindre bavure leur serait fatale. La deuxième condition, dès lors que le scrutin est largement ouvert aux sympathisants et non aux seuls adhérents du parti, est de mobiliser largement les électeurs qui se reconnaissent dans la droite et le centre. Les quelque 10 000 bureaux de vote prévus (autant que par les socialistes en 2011) et leur répartition soigneusement arbitrée sont, à cet égard, un gage solide de succès populaire. D’ailleurs, l’enquête électorale du Cevipof, le centre de recherches politiques de Sciences Po, a démontré que l’objectif fixé par le parti Les Républicains est réalisable : 6 % à 7 % des Français CHEZ LES RÉPUBLICAINS, IL NE VA PAS ÊTRE SIMPLE DE GARDER SON SANG-FROID PENDANT NEUF MOIS UNE PRIMAIRE PEUT ÊTRE LA MEILLEURE OU LA PIRE DES PROCÉDURES POUR DÉPARTAGER LES CANDIDATS D’UN PARTI se disent, dès à présent, certains de participer à la primaire de novembre, soit 2,5 à 3 millions d’électeurs. Un chiffre similaire à celui de la primaire socialiste il y a cinq ans. Reste la troisième condition, essentielle : une primaire réussie est une primaire maîtrisée. Là encore, l’exemple socialiste de 2011 est instructif. Quelles qu’aient été, à l’époque, les inimitiés personnelles ou les divergences politiques entre les candidats – et elles ne manquaient pas –, chacun a su donner assez de tenue à l’affrontement pour éviter les dérapages. L’attaque la plus vive fut celle de Martine Aubry contre les ambiguïtés de François Hollande : « Quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup ! » On a connu pire, même si la formule a fait mouche et continue de coller aux basques du chef de l’Etat. Désir de revanche Or c’est là que, à l’instar de leurs cousins américains, le bât risque de blesser chez les républicains français, tant sont palpables les tensions, les animosités, voire les haines recuites qui opposent leurs principaux concurrents, déclarés ou présumés. Quoi qu’ils en disent et en montrent, tous semblent animés, en premier lieu, par un puissant désir de revanche, qui est rarement bon conseiller. Revanche de Nicolas Sarkozy sur son échec de 2012, qu’il continue à juger immérité. Revanche de François Fillon, après le traitement que lui a fait subir, pendant ses cinq années passées à Matignon, l’ancien président de la République. Revanche d’Alain Juppé sur le mauvais sort judiciaire qui a interrompu sa carrière en 2004. Revanche de Jean-François Copé sur tous ceux qui l’ont enterré vivant il y a deux ans lorsque l’affaire Bygmalion a éclaté. Et revanche de tous ceux-là et des autres (Nathalie Kosciusko-Morizet, Bruno Le Maire, Nadine Morano, Henri Guaino…) contre Nicolas Sarkozy, ses promesses envolées et ses rodomontades sans effet. En outre, leur conseil national, organisé à Paris le week-end passé, a démontré combien leur affrontement s’engage sur le mode de la défiance et de la provocation. C’est Nicolas Sarkozy qui veut faire entériner son projet par les militants d’ici deux mois dans l’espoir de marginaliser ses concurrents, mais contre la logique même de la primaire. C’est Alain Juppé, François Fillon, Bruno Le Maire et JeanFrançois Copé qui répondent en snobant le discours de clôture de leur président. C’est le même Copé qui annonce sa candidature au moment même où M. Sarkozy s’exprime sur une autre chaîne de télévision. C’est le fidèle Henri Guaino qui vide son sac de reproches à la tribune. Et l’on en passe… Sur de telles bases, il ne va pas être simple de garder son sangfroid pendant neuf mois. Et d’éviter que la provocation ne tourne à l’agression et la primaire au pugilat. C’est pourtant la clef du succès et la condition du rassemblement derrière le vainqueur. Rude défi. p courtois@lemonde.fr Tirage du Monde daté mardi 16 février : 240 539 exemplaires GUERRE DE L’ORTHOGRAPHE, ANGOISSE EXISTENTIELLE U ne ile sans accent circonflexe estelle encore une île ? Réponse : rien n’est moins sur ? Vous voulez dire : rien n’est moins sûr ? En ces temps fort paisibles, à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières, la France s’ennuie, semble-t-il. Et, dans ces moments-là, elle sait s’offrir, en forme de distraction, un de ces psychodrames dont elle a le secret et qui font tout son charme. Elle débat des mérites de l’accent circonflexe, du tiret, du tréma et autres singularités de notre orthographe. Affaire d’Etat ! La langue a été, en France, l’un des fondements de l’Etat, l’une des composantes essentielles de l’identité nationale. Elle a porté et continue de porter une littérature universelle, elle aussi indissociable de l’his- toire du pays. Sachant que l’orthographe est l’une des respirations de la langue, on n’en disposera pas avec légèreté. Certes. Mais le débat d’aujourd’hui relève moins d’une question de fond que d’une coïncidence de calendrier scolaire. Une réforme de l’orthographe doit être plus généralement appliquée dès l’an prochain, à l’occasion de la mise en œuvre des nouveaux programmes du primaire et du collège. Le toilettage en question date d’un quart de siècle. Toutes les précautions ont été prises. Il a été suggéré en 1989 par le Conseil supérieur de la langue française – alors créé et présidé par le premier ministre Michel Rocard. Le Conseil s’entendit sur une série de « rectifications » destinées à corriger de prétendues « anomalies », illogismes ou « absurdités » dans l’orthographe du moment. Vestale de l’évolution de la langue, l’Académie française, suivant l’opinion de son secrétaire perpétuel de l’époque, Maurice Druon, donna son imprimatur, sans barguigner, à deux reprises – le 16 novembre 1989, puis le 3 mai 1990. On en était là de cette aventure lorsque les Immortels éprouvèrent quelques regrets et, pour une minorité d’entre eux, manifestèrent en 1991 leur opposition à la réforme. On peut les comprendre. Celle-ci est animée d’une sorte de fonctionnalisme terre à terre qui, au nom de la simplification, gomme parfois l’origine étymologique de notre orthographe pour lui substituer une logique phonétique. Le nénuphar sera un nénufar et, comme les autres, les iles Britanniques vont perdre leur chapeau. Celui-ci, l’accent circonflexe, s’il reste sur les a, disparaît aussi des u. C’est un peu triste, cela a un cout : le poétique. Mais rien d’essentiel n’est ici en jeu et, d’ailleurs, rien n’est vraiment obligatoire : « l’ancien » coexistera avec le nouveau. Plus que de cet ajustement mineur, on devrait s’inquiéter de la permanence d’une forme d’illettrisme, de la dégradation générale de la langue écrite et parlée ou de la progression des anglicismes (notamment dans ces colonnes). Voire, comme l’écrit dans Le Figaro, l’académicien Marc Fumaroli, de « l’angoisse existentielle » que révèle le débat provoqué dans le pays par cette miniréforme (ici, on gardera le tiret, mais pas à chauvesouris ni à croquemonsieur). Du XVIIe siècle, qui vit le premier dictionnaire de la langue française, au XXe, la langue et son orthographe n’ont cessé d’évoluer, le plus souvent sous la pression de l’usage plus que de l’Etat. C’est le propre d’une langue vivante. A la longue, dans l’orthographe, l’usage triera ce qui est secondaire et ce qui relève de l’immarcescible. Et préservera, espérons-le, une part d’irrationnel et de rêverie orthographiques. Car « l’homme descend du songe », comme disait Antoine Blondin. p LA MATINALE DU MONDE LE MEILLEUR DE L’INFO 7 JOURS SUR 7 SWIPEZ, SÉLECTIONNEZ, LISEZ L’application La Matinale du Monde est téléchargeable gratuitement dans vos stores. A retrouver en intégralité pour 4,99 € par mois sans engagement avec le premier mois offert. Les abonnés du Monde ont accès à l’intégralité des contenus. Trop endetté, EDF n’a plus les moyens d’investir seul La nouvelle géopolitique de la filière textile ▶ Dans une interview au « Monde », Jean-Bernard Lévy, PDG de l’électricien, reconnaît une « équation financière difficile » E DF n’est plus le puissant monopole d’antan, encore moins cet Etat dans l’Etat qui dictait en partie la politique énergétique de la France. Jean-Bernard Lévy, nommé à la tête du groupe en novembre 2014, est le premier PDG a avoir pris la pleine mesure de ce changement d’époque, marqué par la fin du monopole et l’exacerbation de la con- currence. Et sans doute le premier à engager une mutation aussi profonde de l’opérateur historique, né du grand programme de nationalisations qui a suivi la seconde guerre mondiale. Les résultats de 2015, publiés mardi 16 février, demeurent positifs et montrent qu’EDF n’est pas aux abois. La Bourse, très sévère depuis des mois, a sa- lué leur publication : le titre a gagné 7 % en début de séance. L’entreprise doit pourtant résoudre « une équation financière difficile », reconnaît M. Lévy dans un entretien accordé au Monde. Le bénéfice d’EDF a été divisé par trois en 2015, passant de 3,7 milliards en 2014 à 1,2 milliard. Cette chute s’explique par d’importantes dépréciations d’actifs dans les éner- gies fossiles (charbon, gaz) en Italie, en Pologne et au Royaume-Uni, et par une provision supplémentaire pour Cigeo, le centre d’enfouissement de déchets nucléaires, en chantier à Bure (Meuse), dont le coût fixé par le ministère de l’énergie est très supérieur aux estimations. jean-michel bezat → LIR E L A S U IT E PAGE 3 Agriculture : la France repart de Bruxelles les mains vides ▶ La Commission européenne n’a débloqué aucune aide supplémentaire pour les agriculteurs français ▶ L’Europe réfléchit à de « nouveaux mécanismes » pour enrayer la surproduction ▶ En Bretagne, la colère ne faiblit pas → LIR E PAGE 5 R arement la cartographie mondiale de l’approvisionnement dans la mode n’a autant évolué qu’au cours de l’année 2015. De nombreux facteurs, comme l’appréciation du dollar par rapport à l’euro, la chute des prix de pétrole, la conclusion de nouveaux accords douaniers ou encore l’évolution des salaires, ont modifié en profondeur la géopolitique du prêtà-porter. Si la Chine reste de loin le premier exportateur de vêtements en Europe, elle n’est plus aussi attractive pour les donneurs d’ordre occidentaux, qui se reportent vers des pays d’Asie du Sud-Est, et notamment le Vietnam, le Cambodge et la Birmanie. L’un des bouleversements majeurs est venu, en 2015, du cours du dollar, qui s’est apprécié de plus de 20 % par rapport à l’euro. Cela s’est traduit par « une tension sur les prix des approvisionnements en Asie », affirme Gildas Minvielle, directeur de l’observatoire économique de l’Institut français de la mode (IFM), dans une étude réalisée pour le Salon mondial du textile, Première Vision, qui a démarré à Villepinte, mardi 16 février. En effet, « presque tout ce qui est acheté en Chine, au Bangladesh ou au Cambodge est payé en dollars », explique-t-il. nicole vulser → LIR E L A S U IT E PAGE 6 4 LES SALAIRES CHINOIS ONT ÉTÉ MULTIPLIÉS PAR QUATRE EN DIX ANS, SELON L’INSTITUT FRANÇAIS DE LA MODE A Vannes, lundi 15 février. JEAN-SEBASTEIN EVRARD/AFP COMMERCE BILAN MITIGÉ POUR LES SOLDES D’HIVER → LIR E PAGE 6 MÉDIAS GRÈVE À « L’ÉQUIPE » APRÈS L’ANNONCE DE LICENCIEMENTS → LIR E PAGE 8 j CAC 40 | 4 139 PTS + 0,59 % j DOW JONES | 15 973 PTS + 2 % J EURO-DOLLAR | 1,1166 j PÉTROLE | 35,33 $ LE BARIL J TAUX FRANÇAIS À 10 ANS | 0,64 % VALEURS AU 16/02 À 9H30 PERTES & PROFITS | AGRICULTURE-ÉLECTRICITÉ Sortir de la spirale des prix bas L es uns montent sur leur tracteur et partent en groupe bloquer l’autoroute. Les autres filent discrètement en berline plaider leur cause dans les ministères. Pas le même style, mais le même problème : le prix n’est pas le bon. Celui du lait ou du porc ne paie plus les charges d’exploitation, celui de l’électricité ne rentabilise plus l’investissement dans les centrales nucléaires. C’est la dure loi du marché qui s’impose à tous les producteurs de matières premières. Avec toujours les mêmes montrés du doigt : les concurrents, les clients, les fournisseurs, l’Etat… Le cas du lait est exemplaire. L’année 2014 a connu des prix de vente à des plus hauts historiques. Les producteurs normands, bretons, mais aussi allemands, polonais ou irlandais, en ont profité pour investir, développer la production. Un mouvement encouragé par la fin des quotas laitiers intervenue un an plus tard, en avril 2015. Ne manquait plus que quelques étincelles, une baisse de consommation en Chine, un embargo décrété par les Russes fin 2014, pour que la spirale des prix s’inverse. Dans le cas de l’électricité, c’est l’afflux de nouvelles capacités de production, notamment en provenance d’Allemagne, avec le développement à marche forcée des énergies renouvelables, qui a fait plonger l’Europe de l’électricité dans le même cercle vicieux. Pourtant, dans les deux cas, l’évolution de la demande est faible. La consommation de lait ou de porc ne varie pas considérablement d’une année sur l’autre, ni celle de l’électricité. Rien à Cahier du « Monde » No 22111 daté Mercredi 17 février 2016 - Ne peut être vendu séparément HORS-SÉRIE UNe vie, UNe ŒUvRe voir avec la violence des mouvements que connaissent les matières premières minérales avec des cours divisés par deux en l’espace d’un an. Bien sûr, la situation du mastodonte EDF semble bien loin de la précarité des éleveurs bretons. Jean-Bernard Lévy, le PDG de l’électricien, n’a pas besoin de placer sa voiture en travers d’une voie rapide du Finistère pour se faire entendre. Ses engagements financiers sont tels qu’ils se confondent avec les intérêts de la puissance publique. Le sauvetage d’EDF coûtera bien plus cher que celui de la filière porcine. Plus gastronomique, plus écologique Au fond, après la difficile gestion de la transition qui va occuper Paris et Bruxelles ces prochaines semaines, la sortie de crise ne peut passer que par trois ingrédients. D’abord, la contractualisation de prix sur le long terme, entre producteurs, transformateurs et distributeurs pour l’agriculture, par l’établissement de prix garantissant les investissements dans l’électricité, comme c’est le cas pour les renouvelables ou le nucléaire d’EDF en Grande-Bretagne. Ensuite, la multiplication des débouchés, notamment à l’export. La France reste une grande puissance agricole exportatrice. Et, enfin, par la montée en gamme qui seule permet de s’extraire de la dictature des prix bas. Plus gastronomique, plus écologique. Plus intelligente aussi dans le cas de l’énergie. Dans les deux cas, la tentation du repli n’est pas vraiment une option. p philippe escande François Mitterrand Le pouvoir et la séduction ÉdItIOn 2016 Le centenaire de la naissance de l’ancien président FRANÇOIS MITTERRAND LE POUVOIR ET LA SÉDUCTION Un hors-série du « Monde » 124 pages - 8,50 € Chez votre marchand de journaux et sur Lemonde.fr/boutique 2 | plein cadre 0123 MERCREDI 17 FÉVRIER 2016 Au Salon Vapexpo consacré à l’e-cigarette, à Bordeaux, en 2014. BERNARD PATRICK/ABACA Les nouvelles cartouches des majors du tabac P our les fabricants de cigarettes, le compte à rebours a commencé. Ils n’ont plus que quelques semaines pour faire la promotion de leur cigarette électronique et recruter de nouveaux adeptes. Après le 20 mai, une directive européenne sur les produits du tabac renforçant les normes de fabrication et restreignant la communication s’appliquera à tous les industriels. Elle doit être transposée dans le cadre d’une ordonnance dans les prochaines semaines, notamment l’article 20 relatif à la cigarette électronique. C’est ce qu’indique la « loi de modernisation de notre système de santé » du 26 janvier, qui a par ailleurs durci les règles régissant la publicité et l’usage de l’e-cigarette. Les grands groupes espèrent capter une partie du marché qui leur a jusqu’à présent échappé. La cigarette électronique a été adoptée par 3 millions de personnes en France (6 % des 15-75 ans), dont la moitié vapotent quotidiennement, selon les derniers chiffres du baromètre Santé de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé. UN MARCHÉ FRAGMENTÉ En 2015, les trois principaux cigarettiers ont lancé leur modèle de cigarette électronique en France, en utilisant leur circuit de distribution habituel, à savoir les débitants de tabac (plus de 26 000 buralistes en France). Imperial Tobacco, au travers de la société Fontem Ventures, a lancé JAI en février 2015, qu’elle a prévu de remplacer par la marque internationale Blu – récemment acquise – et qui a une plus forte présence sur le marché américain et britannique. Japan Tobacco International a sorti Logic Pro à la fin du mois de novembre après avoir racheté début 2015 la société américaine Logic et son e-cigarette. Enfin, British American Tobacco (BAT) a commercialisé Vype fin novembre, après avoir lancé son premier modèle en 2013 au Royaume-Uni, où il revendique 7 % de parts de marché fin 2015. Le tout à grand renfort de communication : 1 million d’euros a été investi chez BAT pour faire connaître la marque en France sur Internet et par affichage numérique entre le 19 décembre et le 24 janvier. La promesse des fabricants : une cigarette électronique – baptisée Cigalike – plus sécurisée car on ne peut pas la remplir, comme pour la plupart des articles existant sur le marché, avec n’importe quel liquide. Les recharges Les grands industriels du tabac n’ont plus que quelques semaines pour rattraper leur retard sur le marché de la cigarette électronique. La promotion de ce produit sera bientôt restreinte s’utilisent comme les cartouches d’encre des stylos plume, avec ou sans nicotine, préremplies, jetables, faciles à installer et plus hygiéniques. Le revers pour les consommateurs : devoir utiliser uniquement des cartouches de recharge d’une même marque, à la façon dont s’est lancée la marque Nespresso, pour rendre les utilisateurs captifs. Le marché de la cigarette électronique est aujourd’hui fragmenté. Autour d’une technologie chinoise conçue par les fabricants d’électronique grand public, diffusée dans le monde par des importateurs et des start-up, le marché s’est structuré en quelques années en un vaste écosystème sur lequel il existe très peu de données. « Il est très difficile d’estimer la taille du marché, car il n’y a pas de panel [de distributeurs] Nielsen, ou IRI, comme cela peut exister dans d’autres secteurs, explique Stéphane Munnier, responsable du projet Vype chez BAT. Et il y a très peu de données chiffrées vu la multiplicité de sources et de circuits de distribution. Donc chacun se fait son estima- LES PROFESSIONNELS ESPÈRENT COMPENSER LA BAISSE ANTICIPÉE DES VENTES DE CIGARETTES AVEC LA MISE EN PLACE DU PAQUET NEUTRE tion, mais aucun acteur n’atteint 10 % du marché. » Il y a ainsi plusieurs catégories d’acteurs : « Des spécialistes de l’appareil, qui sont plutôt des importateurs ou des sociétés qui font produire à leur marque ; des experts de l’e-liquide où l’on retrouve beaucoup de start-up ; des sociétés qui essaient d’être généralistes en faisant les deux ; des réseaux de revendeurs, comme Clopinette, Yes store, J Well, Vapostore… ; et des acteurs de l’Internet qui revendent sous multimarques à des boutiques ou des particuliers », poursuit cet ancien de Danone et de Monster Energy, qui a lancé la boisson énergisante Monster en France. Une étude de Xerfi réalisée en 2015 estimait le marché à 395 millions d’euros en 2014, trois fois plus qu’en 2012. « UNE DYNAMIQUE DANS TOUS LES PAYS » Alors que Xerfi tablait sur 355 millions d’euros en 2015, la Fédération interprofessionnelle de la vape (Fivape) pense au contraire que le marché poursuivra sa progression malgré une baisse du nombre de boutiques spécialisées, passées de 2 500 en 2014 à 2 000 fin 2015. Les anciens fumeurs privilégient les enseignes spécialisées et n’ont pas forcément envie de retourner chez le buraliste. Pour Brice Lepoutre, président de l’association indépendante des utilisateurs de la cigarette électronique, « la loi de santé publique et la directive européenne risquent d’avoir des effets pervers, puisque la seule e-cigarette homologuée risque d’être celle produite par l’industrie du tabac, à terme, alors que les cigarettes électroniques qui répondent le mieux aux attentes des usagers sont d’un tout autre type ». Difficile d’évaluer l’accueil des nouveaux entrants auprès des consommateurs, habitués à leur circuit d’achat, d’autant que les cigarettiers sont assez secrets sur leurs ventes. Tout au plus qualifie-t-on d’excellent, chez BAT, l’accueil des buralistes : « Au bout d’un mois et demi, plus de 1 000 buralistes détiennent nos produits, et nous voulons rapidement monter jusqu’à 3 000, essentiellement des points de vente urbains qui sont déjà revendeurs de la catégorie cigarette électronique », indique M. Munnier. De cette manière, les industriels du tabac espèrent aussi compenser la baisse anticipée des ventes de cigarettes avec la mise en place du paquet neutre. « Aujourd’hui, c’est un produit grand public que les buralistes peuvent travailler comme la confiserie ou les boissons », ajoute sans états d’âme M. Munnier. Et chez BAT, on ne compte pas s’arrêter là : un département sur les produits de nouvelle génération a été créé il y a trois ans, où travaillent près de 200 personnes en recherche et développement, marketing et commercial, et des lancements ces dernières semaines dans plusieurs pays après le Royaume-Uni (Italie, France, Pologne, Allemagne). « Il y a une dynamique dans tous les pays mais elle est variable. Nous avons choisi ces cinq pays européens pour nous développer dans un premier temps, car nous avons la visibilité sur le marché du tabac et nous avons regardé la maturité du marché de la cigarette électronique, explique M. Munnier. Nous nous lancerons là où il y a un mouvement des consommateurs vers la cigarette électronique. En Belgique ou en Suisse, ils n’autorisent pas les eliquides avec nicotine, donc cela réduit l’importance de ce marché. » Au Royaume-Uni, son inhalateur de nicotine, appelé Voke, a reçu l’agrément des autorités de santé pour pouvoir être prescrit et pris en charge. Cinq ans après son arrivée sur le marché français, la cigarette électronique ne cesse de faire débat. C’est une alternative au tabac pour les uns, qui possède des effets potentiellement toxiques pour les autres. Le marché reste en tout cas dominé par les produits rechargeables (97 % en volume), préférés des utilisateurs. p cécile prudhomme et pascale santi Une directive européenne qui n’en finit pas de faire débat alternative au tabac pour les uns, mais avec des effets potentiellement toxiques pour les autres, la cigarette électronique suscite de vifs débats. Demandé par le gouvernement, un rapport sur les bénéfices et les risques de l’e-cigarette devrait être remis par le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) prochainement. Les débats sont également vifs à Bruxelles. Les utilisateurs de cigarettes électroniques estiment que la directive européenne sur les produits du tabac vise à mettre à mal l’e-cigarette. « La rédaction de la directive a été très largement influencée par l’industrie du tabac », constate le docteur Philippe Presles, membre du conseil scientifique de l’Association indépendante des utilisateurs de cigarette électronique (Aiduce). Les utilisateurs de la cigarette électronique, ou vapoteurs, dénoncent l’opacité des lobbys. Lundi 8 février, la Commission européenne a refusé de rendre transparentes ses relations avec l’industrie du tabac. Ni produit du tabac ni médicament La directive européenne sur les produits du tabac, et notamment son article 20 sur la cigarette électronique, devrait être transposée par ordonnance en droit français avant la fin de l’année. Les vapoteurs, par la voix de l’Aiduce, envisagent d’ores et déjà de contester juridiquement cet article 20. Ce qui ne pourra être fait qu’une fois la directive transposée en droit national. Cette directive avait déjà suscité de longs débats sur le statut de la cigarette électronique fin 2013. Ni produit du tabac ni médicament, la cigarette électronique est un produit de consommation courant. L’article 20 instaure des règles sur le conditionnement et l’emballage, interdit certains additifs, limite à 20 milligrammes par millilitre le contenu de nicotine dans le liquide de recharge et à 2 millilitres les cartouches de recharge. Au-delà de ce seuil de 20 mg/ml, le produit est considéré comme un médicament. « Les restrictions techniques imposées par cette réglementation ne servent qu’à protéger les produits peu efficaces des filiales de l’industrie du tabac », conteste l’Aiduce. Si cette directive « tend vers plus de transparence et plus de sécurité, explique Clémentine Lequillerier, maître de conférences à la faculté de droit de Malakoff (université ParisDescartes), le fait d’avoir introduit la cigarette électronique dans la directive sur les produits du tabac entretient la confusion dans l’esprit du consommateur ». p p. sa. économie & entreprise | 3 0123 MERCREDI 17 FÉVRIER 2016 « L’équation financière d’EDF est difficile » Pour Jean-Bernard Lévy, PDG du groupe, la chute des prix de l’électricité affecte la capacité de modernisation de l’énergéticien ENTRETIEN « EDF veut un rattrapage sur les tarifs réglementés des particuliers » D ans une interview au Monde, Jean-Bernard Lévy, PDG d’EDF, prévient que la chute des prix sur le marché de l’électricité prive son groupe des moyens d’investir pour moderniser et renouveler son outil industriel. EDF est-il « au bord de la rupture », comme le disent certains syndicats, en raison de la difficulté à financer ses investissements ? Restons sereins ! Notre performance a été très bonne en 2015, avec un résultat brut d’exploitation (Ebitda) supérieur à l’objectif fixé – il progresse de 3,9 % à 17,6 milliards d’euros – et qui restera solide en 2016. Sur la production nucléaire, nous obtenons la meilleure performance en France depuis quatre ans, et au RoyaumeUni depuis dix ans. Les charges d’exploitation ont baissé (– 1,4 %) et nous poursuivrons cet effort pour réaliser 1 milliard d’économies sur 2014-2018, ce qui compensera en partie la chute des prix sur le marché de l’électricité. Mais la question du maintien des capacités, à moyen terme, d’endettement et d’investissement se pose dans un contexte cumulant baisse violente des prix sur notre principal marché, le marché de gros (– 30 % en un an), endettement important et nécessité d’investissements importants. C’est une situation exceptionnelle et inattendue. Quelle est la principale difficulté d’EDF ? Notre marché se caractérise par une forte surcapacité. La consommation d’électricité stagne du fait de la désindustrialisation et des efforts d’efficacité énergétique, alors que l’offre augmente de l’ordre de 2 % par an avec le déploiement des énergies renouvelables. Comme tous les énergéticiens européens, nous sommes face à une forte baisse du prix de l’électricité. Nous n’avons plus qu’une part minoritaire de nos revenus fixée par des tarifs régulés. Le manque à gagner est gérable en 2015 et 2016, mais il sera de plus en plus pénalisant. Cette situation durera le temps de purger cet excédent de capacités en Europe. Le rééquilibrage a commencé, mais il doit s’accélérer, notamment par une politique européenne résolue en faveur d’un véritable prix du carbone. Vous n’avez plus les moyens d’investir ? Le marché donne un signal de prix qui ne permet pas aux socié- tés du secteur d’investir dans de nouvelles capacités, en dehors d’une intervention des Etats pour garantir leur rentabilité. Le modèle de marché, conçu pour investir dans le renouvellement et la création de nouvelles capacités, ne fonctionne pas. Il n’y a plus un seul investissement en Europe dans la production d’électricité qui soit fondé sur le prix de marché. Seuls demeurent les projets basés sur un prix de vente garanti, comme pour le solaire, l’éolien, la biomasse ou le nucléaire au Royaume-Uni, où nous allons investir dans les deux EPR d’Hinkley Point, parce que nous avons obtenu un prix garanti de l’électricité sur trente-cinq ans. Bruxelles doit publier des lignes directrices sur l’évolution du modèle de marché fin 2016, mais n’est-ce pas déjà tard ? Ce nouveau modèle, combiné à un prix du carbone favorisant réellement les énergies décarbonées, est très attendu. Pourrez-vous réaliser tous les investissements que vous jugez nécessaires ? Oui, car nous nous transformons pour nous adapter et je connais la détermination des salariés. Tous les investissements sont indispensables : la maintenance de notre patrimoine, notamment le « grand carénage » du parc nucléaire pour prolonger sa durée de vie et améliorer sa sûreté, qui coûtera 51 milliards sur 2015-2025 ; la transition énergétique avec plus d’énergies renouvelables et de services d’efficacité énergétique ; le « nouveau nucléaire » regroupant les EPR de Flamanville [Manche] et d’Hinkley Point, et l’« EPR optimisé » qui sera déployé à partir des années 2020 ; le réseau d’ERDF et le compteur communicant Linky. Nous nous concentrons sur ces investissements, ce qui nous permettra de passer de 12-13 milliards d’euros à 10,5 milliards en 2018. Mais, même avec des investissements optimisés, l’équation financière est difficile. Quelles sont vos pistes ? On parle d’une augmentation de capital de 5 milliards ? Nous discutons avec l’Etat, et il comprend nos enjeux. Il a décidé de laisser 1,8 milliard d’euros dans l’entreprise, alors qu’il aurait pu percevoir le dividende 2015 en li- CORENTIN FOHLEN/DIVERGENCE POUR « LE MONDE » quide et non en actions. De notre côté, nous avons notre plan de réduction des coûts et des investissements. Nous passons en revue nos actifs pour faire le tri entre ceux qui sont stratégiques et ceux qui ne le sont pas, comme les centrales électriques à combustibles fossiles hors de France, et nous regardons nos participations minoritaires, comme celle que nous avons dans l’américain Constellation. Il y aura de nouvelles cessions pour financer nos projets stratégiques. La construction de deux réacteurs EPR au Royaume-Uni en est un. Pourquoi repoussezvous de mois en mois la décision finale d’investissement ? Nous n’avons pas terminé les négociations avec nos partenaires chinois. Cet investissement engage l’avenir pour près d’un siècle entre la construction, l’exploitation et le démantèlement. Le mi- nistre de l’économie, Emmanuel Macron, estime – comme EDF – que c’est un bon projet, même s’il arrive à un moment difficile. Ma responsabilité est que l’entreprise puisse vite procéder au lancement définitif d’Hinkley Point. Dans ce contexte tendu, est-il raisonnable d’investir plus de 1 milliard pour contrôler l’activité réacteurs d’Areva ? La bonne santé d’Areva est essentielle à la compétitivité d’EDF. J’ai proposé au gouvernement de reprendre Areva NP pour dégager des synergies et gagner des projets internationaux. Dès lors qu’elle ne se fourvoie pas dans de grands projets hâtivement signés et mal gérés comme par le passé, cette activité récurrente de maintenance et de services est rentable et justifie ce montant d’un peu plus de 1 milliard. EDF a une responsabilité de service public en L’ex-puissant monopole n’a plus les moyens de ses ambitions suite de la première page Dans un marché européen de l’électricité en surcapacité, EDF a bien dégagé un excédent brut d’exploitation de 17,6 milliards d’euros (+ 3,9 %), dû en partie à la bonne performance de ses 73 réacteurs nucléaires en France et au Royaume-Uni. Son chiffre d’affaires a aussi progressé (+ 2,2 %), pour atteindre 75 milliards. M. Lévy compte faire 1 milliard d’économies sur 2014-2018 et confirme sa priorité financière : dégager un flux de trésorerie positif en 2018, après versement du dividende et hors déploiement du compteur « intelligent » Linky, qui mobilisera au moins 5 milliards d’euros. Mais l’horizon est plus incertain à long terme. Le prix de l’électricité sur le marché européen « ne permet pas à EDF d’investir dans de nouvelles capacités, en dehors d’une intervention des Etats pour garantir leur rentabilité », comme pour l’éolien et le solaire, prévient M. Lévy. EDF n’a plus, pour l’heure, les moyens de ses ambitions, alors qu’il doit investir 51 milliards d’euros pour moderniser ses centrales françaises et jouer un rôle clé dans la transition énergétique. Lourde facture britannique Signe de la difficulté des temps : EDF repousse de mois en mois sa décision finale d’investissement dans les deux EPR britanniques. Leur coût est estimé à 24,5 milliards d’euros, plus que sa capitalisation boursière, et le groupe devra en supporter les deux tiers au côté de son partenaire, China General Nuclear. La facture est si lourde que des cadres et les syndicats ont mis en garde contre un investissement qui risque de pousser le groupe « au bord de la rupture ». M. Lévy reconnaît que, même quand le marché aura été purgé de ses surcapacités et qu’EDF dégagera une trésorerie positive, le groupe n’aura plus les moyens d’investir seul, surtout dans la construction de centrales destinées, selon lui, à remplacer les 58 réacteurs actuels. Il devra partager l’effort avec d’autres – y compris des industriels et des financiers étrangers – comme il le fait au Royaume-Uni. Une perspective inimaginable quand le monopole EDF régnait en maître sur l’industrie nucléaire. Une autre époque. p j.-m. b. matière de prix de l’électricité. Il y a un enjeu de pouvoir d’achat : si les Français payaient le même prix que leurs voisins, ils débourseraient chaque année 10 milliards de plus ! La bonne santé de la filière nucléaire est donc un atout pour poursuivre dans ce choix du nucléaire civil qui a réussi à la France. Que réclamez-vous à l’Etat, en matière tarifaire, pour moderniser et renouveler votre outil industriel ? EDF veut un rattrapage sur les tarifs réglementés des particuliers, qui soit au plus haut niveau acceptable par ceux qui le décident. C’est la commission de régulation de l’énergie [CRE] qui propose leur évolution pour les particuliers, et le gouvernement qui entérine, ou pas, sa proposition. En 2015, il a décidé une hausse de 2,5 %, qu’il a jugée acceptable, alors que le rattrapage immédiat de tout le manque à gagner était chiffré à 8 % par la CRE, un niveau que le gouvernement n’était pas prêt à accepter. Vous êtes prêt à ouvrir le capital de Réseau de transport d’électricité [RTE] ? J’ai fait savoir à l’Etat que je ne suis pas opposé à une ouverture partielle. M. Macron n’en a pas repoussé l’idée. Elle serait utile à EDF, qui devrait conserver au moins 50 % du capital, protégés dans les actifs provisionnés par EDF pour la fin de vie des installations nucléaires actuelles. Je crois qu’elle serait aussi utile à RTE. Bien que détenant 100 % des actions, EDF ne peut être un actionnaire de plein exercice puisque, en tant que producteur d’électricité, la loi nous interdit d’avoir la moindre influence industrielle sur RTE, qui doit être indépendant. De nouveaux actionnaires, eux, pourraient exercer pleinement leurs responsabilités. Cette évolution me semble de bonne gouvernance. Avec la généralisation de la concurrence, quelles parts de marché EDF a-t-il perdues ? Sur le marché des très gros consommateurs industriels et tertiaires, ouvert en 1999, nous en conservons quelque 50 %. Sur celui des professionnels et des collectivités, nous avons bien résisté à la fin des tarifs réglementés. Nous estimons conserver plus de 70 % de nos clients, grâce à la mobilisation de nos équipes et à la qualité du service. Nous pensons détenir environ 90 % du marché des particuliers, même si notre position s’érode du fait de la concurrence d’autres fournisseurs qui achètent sur le marché de gros à des prix très compétitifs. Nous ne sommes plus seuls sur le plan technologique, et nous ne sommes plus protégés de la concurrence. Dans le cadre du plan stratégique CAP 2030, je conduis une transformation majeure, celle de la transition énergétique, après des décennies de domination d’EDF sur son marché. D’ici à quinze ans, le groupe sera plus centré sur ses clients, plus décarboné et avec des relais de croissance forts à l’international. Réussir cette mutation est essentiel pour qu’EDF reste un des grands énergéticiens du monde. Notre groupe fait la fierté des Français, et je sais que nous avons tous les atouts pour que cela continue ! p propos recueillis par jean-michel bezat et philippe escande 4 | économie & entreprise 0123 MERCREDI 17 FÉVRIER 2016 Fièvre de patriotisme économique en Pologne Les mesures prises par Varsovie inquiètent les investisseurs étrangers, et particulièrement français Le nouveau parti au pouvoir a fait campagne sur la volonté de « repolonisation » du pays varsovie - correspondance T rois mois après son arrivée au pouvoir en Pologne, le gouvernement ultraconservateur du PiS (Droit et Justice) doit faire face à une équation économique complexe : comment financer ses coûteuses promesses électorales, sans augmenter drastiquement les impôts et sans dommage pour les finances publiques. Les mesures phares de son programme prévoient un vaste plan d’allocations familiales et la baisse de l’âge de départ à la retraite. Pendant la campagne, le ton avait été donné : ces mesures seraient financées par un impôt sur les institutions financières et sur les grandes surfaces « à capital étranger ». Une politique qui n’était pas sans rappeler celle menée par le premier ministre Viktor Orban en Hongrie. Depuis début février, les banques, assurances et sociétés de crédit, doivent s’acquitter d’un impôt annuel qui correspond à 0,44 % de la valeur de leurs actifs. Concernant celui sur les grandes surfaces, la tonalité a changé : conscient que Bruxelles n’acceptera aucune mesure discriminatoire, Varsovie prévoit une taxe sur le commerce qui englobe aussi les sociétés polonaises, ce qui provoque une forte levée de boucliers de la part des entreprises intéressées. Les détails du projet de loi, en cours de consultation, n’ont pas été rendus publics. Les grandes lignes sont cependant connues : il s’agirait de taxer les commerces qui affichent plus de 1,5 million de zlotys (350 000 euros) de chiffre d’affaires mensuel et d’introduire une taxe progressive sur celui-ci (0,7 %, 1,3 %, et 1,9 % pour les ventes du week-end). Cet aspect progressif a alarmé la Commission européenne, qui a fait Des commerçants manifestent à Varsovie contre les augmentations d’impôts, le 11 février. JANET SKARZYNSKI/AFP part de ses doutes dans un courrier adressé à Pawel Szalamacha, le ministre polonais des finances. Lors de la réunion du groupe parlementaire pour le soutien à l’entrepreunariat et au patriotisme économique, le 10 février, M. Szalamacha a manifesté son désaccord avec les critiques de Bruxelles. « Nous avons construit cet impôt de telle manière qu’il ne répète pas l’erreur hongroise, a-t-il souligné [La Hongrie a aussi multiplié les taxes dans des secteurs où les étrangers sont très présents]. Je pense qu’il s’agit d’une certaine hyperactivité de la Commission européenne, qui tente d’élargir son domaine d’influence, et décider de ce qui devrait être du ressort des Etats membres. » « Rhétorique populiste » Ce climat de patriotisme économique suscite d’importantes craintes de la part des investisseurs étrangers, au premier rang desquels les entreprises françaises, troisièmes investisseurs dans le pays. Alors qu’elles avaient signalé en 2014 une volonté de maintenir – voire d’augmenter – leurs investissements en Pologne, elles sont désormais sceptiques. « Les investisseurs traversent une période d’incertitude, souligne Monika Constant, directrice de la Chambre de commerce et d’industrie francopolonaise. Les investissements sont retenus dans l’attente que la stratégie du gouvernement et sa politique économique soient clarifiées. » Les banques BNP Paribas ou Crédit agricole, les distributeurs Car- Croissance insolente pour l’Europe centrale Pologne, Roumanie ou République tchèque profitent des fonds européens pour se relancer L a République tchèque a connu une année 2015 particulièrement faste, sur fond de plein-emploi et de dynamisme, avec une progression de 4,3 % de son produit intérieur brut (PIB), du jamais-vu depuis 2007. C’est l’un des meilleurs résultats des pays d’Europe centrale et orientale (PECO), une des rares régions en transition qui se porte bien sur le plan économique. Dans ses perspectives du 19 janvier, le Fonds monétaire international (FMI) avait révisé à la hausse sa prévision de croissance pour les pays émergents d’Europe, à + 3,4 % en 2015 (au lieu de 3 %) et à + 3,1 % en 2016 (au lieu de 3 %). Soit, grosso modo, le double de la zone euro. En quelques années, les sept PECO – Pologne, République tchèque, Hongrie, Slovaquie, Slovénie, Bulgarie, Roumanie – ont réussi un redressement spectaculaire, qui doit beaucoup à l’aide du FMI et à celle de l’Union européenne, mais aussi à leurs choix économiques. En 2008-2009, analyse Ariel Emirian, économiste à la Société générale, les PECO étaient pourtant dans « une situation proche de celle des pays d’Asie avant la crise de 1997 » : leur déficit public se creusait, leur balance des paiements était dans le rouge, leur endettement s’envolait et le boom du crédit conduisait à la formation de bulles immobilières. La plupart d’entre eux avaient demandé l’assistance du FMI, qui conditionna l’octroi de ÉVOLUTION DU PIB ET DE LA PRODUCTION MANUFACTURIÈRE DES PECO* EN % 15 PIB Production manufacturière 10 5 0 –5 – 10 – 15 *Pologne, République tchèque, Hongrie, Slovaquie, Slovénie, Bulgarie, Roumanie. – 20 2002 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12 13 14 15 16 SOURCES : DATASTREAM, NATIXIS ses prêts à des efforts d’ajustements importants. Des politiques d’austérité furent mises en place, qui ont fortement comprimé la demande intérieure (consommation des ménages et investissement des entreprises) entre 2010 et 2013. Avec le recul de la croissance dans la zone euro et les dépréciations des taux de change des PECO, qui furent redoutables pour les pays endettés en devises, elles ont donné un coup d’arrêt à l’économie d’Europe centrale et orientale en 2012-2013. Des pays qui se désendettent Depuis deux ans, toutefois, à l’image de la République tchèque, la région affiche une bonne santé et une stabilité économiques presque insolentes. Comment expliquer ce retournement ? Par une conjonction d’éléments favorables : la reprise dans la zone euro, dont plusieurs PECO, la République tchèque en tête, constituent « l’arrière-cour industrielle » ; la progression rapide de la productivité et la montée en gamme de l’économie de ces pays, qui résistent à la stabilisation des taux de change ; une forte compétitivitécoût, ajoute Natixis, qui incite à investir ; un environnement favorable (taux bas et inflation très faible, baisse des prix du pétrole, etc.). A la vulnérabilité des années de crise a succédé une solidité macroéconomique qui ne se dément pas. Pour ces pays, qui se désendettent, les fonds européens (128 milliards d’euros alloués en 2014) ont constitué une manne, qui a eu sur leur croissance les effets d’une politique de relance. Si la Pologne demeure la championne des fonds structurels (elle en a reçu 17,4 milliards d’euros en 2014), les autres refour et Auchan, largement implantés dans le pays, seront particulièrement touchés par les nouvelles mesures. « Le processus de consultation de la politique fiscale du gouvernement manque de transparence. De fait, nous n’avons pas été invités à participer aux négociations », ajoute Mme Constant. « Nous voulons récupérer une partie des bénéfices produits en Pologne et qui partent massivement à l’étranger, alors que les multinationales ne payent que très peu d’impôts ici », explique l’économiste Jan Szewczak, député du PiS. Son parti a fait campagne sur la volonté de « repolonisation » de l’économie. Au ministère du Trésor, certains parlent même de renationalisation. « Une stratégie pour racheter certaines institutions financières, ou d’autres entreprises qui ont été bradées aux étrangers n’est pas à exclure », ajoute-t-il. Aujourd’hui, 70 % des banques polonaises ont leur centre de décision à l’étranger. C’est un problème pour notre souveraineté économique. » Une politique de rachat d’institutions financières avait d’ailleurs été amorcée par la précédente équipe libérale. Cette atmosphère hostile pourrait-elle inciter les investisseurs à se retirer du pays ? « Je ne pense pas qu’il faille exagérer la portée de ces mesures, souligne l’économiste Witold Orlowski. Derrière la rhétorique de campagne quelque peu populiste et antilibérale se cachera une politique économique plus pragmatique. Le gouvernement est conscient qu’une politique de dissuasion vis-à-vis du capital étranger finira par être contreproductive. » Le déficit et la dette publique étant proches des limites autorisées, la plupart des économistes s’accordent à dire que dans la pratique, la marge de manœuvre du gouvernement est réduite. p jakub iwaniuk L’HISTOIRE DU JOUR Le ministre italien de la justice se mue en « VRP » R Etats de la région ont mis en place des structures ad hoc pour pouvoir accroître leur capacité d’absorption des fonds. En Roumanie, par exemple, un ministère a été créé à cet effet. « De ce point de vue, 2015 fut une année exceptionnelle, explique Anna Dorbec, économiste chez BNP Paribas. Les PECO ont reçu les fonds alloués pour la période 2014-2020 et les reliquats de 2007-2013. Ces sommes ont représenté pas moins de 5 % des PIB hongrois et slovaque, 3 % du PIB polonais et 2,5 % du PIB tchèque. La meilleure consommation des fonds européens est à l’origine de l’accélération un peu inattendue de la croissance en 2015. » Le désendettement va bon train. « Le surcroît de recettes budgétaires dégagé par l’environnement macroéconomique favorable (taux bas, croissance, déficits publics en baisse, excédents courants) a permis notamment à la Hongrie d’emprunter davantage en forints tout en se désendettant en devises », observe Mme Dorbec. En République tchèque, qui dispose d’un tissu de PME exportatrices très productives, l’économie a aussi bénéficié d’une politique monétaire expansionniste. En 2013, la couronne tchèque a été dévaluée de 8 %-9 % et la banque centrale a défini un plancher (27 couronnes pour 1 euro) au-delà duquel elle intervient pour soutenir les exportations et assurer le désendettement courant. p oad show. » En général, ce terme est utilisé par les entreprises se lançant dans une tournée internationale visant à séduire les investisseurs étrangers. C’est aussi celui qu’emploie Andrea Orlando, le ministre italien de la justice, pour décrire la série de séminaires qu’il donne depuis quelques semaines dans les grandes capitales financières. Après Francfort, Londres et New York, il est intervenu à Paris, lundi 15 février, devant un parterre de financiers, en compagnie de Luciano Panzani, le président de la cour d’appel de Rome. Objectif ? « Les convaincre que les réformes de la justice civile font de l’Italie un territoire bien plus attractif pour les investissements », explique le garde des sceaux. Un défi de taille. Car le pays souffre, à juste titre, d’une terrible réputation en la matière. « Trop lents, trop imprévisibles, offrant des verdicts radicalement différents d’une région à l’autre, les tribunaux transalpins ont longtemps découragé les entreprises étranAPRÈS FRANCFORT, gères tentées de s’implanter dans le LONDRES ET pays », résume Wolfango Piccoli, spécialiste de l’Italie chez Teneo IntelliNEW YORK, ANDREA gence. Un piètre état des lieux que le présiORLANDO EST INTERdent du conseil, Matteo Renzi, arrivé VENU À PARIS DEVANT au pouvoir en février 2014, a promis de changer en entamant une série de réDES FINANCIERS formes de la justice civile. Et à en croire les « slides » préparées par M. Orlando pour les investisseurs, les résultats sont là. Le nombre de tribunaux a été réduit de 1 398 à 650. Les procédures civiles ont été en grande partie informatisées, permettant de dégager 48 millions d’euros d’économie et de réduire la part de discrétionnaire dans les décisions. De plus, le tribunal des entreprises a vu ses pouvoirs renforcés. « Notre justice est désormais plus efficace et prévisible », se félicite le ministre, qui va poursuivre son road show vers Berlin, Washington et peutêtre même Shanghaï. Cela semble payer : « Même s’il reste beaucoup à faire, l’image de l’Italie s’est sensiblement améliorée aux yeux de nos clients », confirme Tommaso Foco, avocat conseiller auprès d’investisseurs étrangers au cabinet Portolano Cavallo, à Milan. « C’est encourageant », juge de son côté le responsable parisien d’un fonds d’investissement. Avant de conclure : « Un VRP des réformes – un vrai –, c’est ce qu’il manque à la France ! » p claire guélaud marie charrel économie & entreprise | 5 0123 MERCREDI 17 FÉVRIER 2016 Crise agricole : pas d’aides nouvelles de Bruxelles La Commission annonce vouloir trouver de « nouveaux mécanismes » pour réguler le marché du lait bruxelles - bureau européen L es agriculteurs français devront patienter. Leur ministre, Stéphane Le Foll, reviendra sans argent supplémentaire de Bruxelles, sans nouveau « plan d’urgence » pour les filières lait et porc pourtant complètement déprimées. Mais le Français assure avoir obtenu de la Commission, lors du conseil des ministres de l’agriculture européens, lundi 15 février, qu’elle planche sur de « nouveaux mécanismes » pour réguler le marché du lait, afin de « sortir de la spirale infernale » de la surproduction. « Les choses ont bougé lors de ce conseil, a juré M. Le Foll, lundi soir à Bruxelles. Paris défend le principe d’incitations, de bonus versés aux producteurs de lait qui accepteraient de baisser leur production. Le commissaire européen à l’agriculture, l’Irlandais Phil Hogan, jusqu’à présent peu réceptif aux revendications françaises, devrait se rendre à Paris le 25 février et rencontrer le premier ministre, Manuel Valls. M. Le Foll espère des propositions concrètes pour le prochain conseil européen de l’agriculture, le 14 mars. Bruxelles invite Paris, mais aussi les autres Etats de l’Union, à faire des propositions « innovantes » de sortie de crise. L’Espagne, l’Italie, la Pologne ou les pays baltes… tous font face à des difficultés dans le lait, les fruits et légumes, et le porc. M. Hogan a aussi confirmé qu’il allait étudier une autre proposition française : les crédits à l’exportation pour les exploitants laitiers. Dix Etats membres s’en sont déjà dotés, mais Paris voudrait un mécanisme européen, standardisé, pour que les producteurs puissent proposer des facilités de paiement à leurs clients étrangers. Comme pour les incitations à réduire les volumes de lait, l’obsession française est que volumes, de compenser l’effondrement des prix. Et aussi, pour certains exploitants très endettés, la nécessité de produire plus pour rembourser les banques. La Commission s’est en partie rangée aux arguments des Français. « La crise est plus grave, plus profonde, que nous le pensions il y a six mois », a admis Phil Hogan, lundi. L’institution communautaire reconnaît aussi que les 500 millions d’euros débloqués en urgence en septembre 2015, pour tenter d’aider les producteurs de lait et les éleveurs de porc (touchés, eux, de plein fouet par l’embargo sanitaire russe), ont déjà été entièrement dépensés et sans grand effet. La Commission a ainsi ouvert début janvier 2016 une aide au stockage privé du porc pour trois semaines (la viande est achetée par les abattoirs qui sont subventionnés pour la stocker, et l’écouler quand les prix remontent). Elle a aussi financé des aides au stoc- tous les Etats adoptent les mêmes mesures en même temps, afin d’éviter que les uns réduisent la production, tandis que d’autres continuent à l’augmenter et raflent des parts de marché. Une crise « profonde » « Il n’est pas question d’en revenir aux quotas laitiers, mais nous n’avons pas aujourd’hui les instruments de contrôle adéquats pour éviter un marché de surproduction qui s’emballe », a expliqué M. Le Foll, lundi. De fait, la production mondiale de lait a encore progressé en 2015, alors que la demande, notamment chinoise, faiblit. Selon les derniers chiffres disponibles, la collecte de lait de vache européenne avait augmenté de 5,5 % en novembre 2015, comparé à novembre 2014. Le problème est que, malgré l’offre en excès, beaucoup ont continué à augmenter leur production. En cause, une course à la taille des exploitations pour tenter, par les La France veut éviter que certains Etats ne réduisent leur production tandis que d’autres continueraient à l’augmenter kage privé pour le lait en poudre et le beurre, mais dont, pour l’instant, l’efficacité n’est pas flagrante. Pour autant, Bruxelles met en garde. D’accord pour des solutions innovantes, mais elle ne mettra pas sur la table du Conseil européen, le 14 mars, des propositions « qui ne soient pas finançables, pas légales ou qui ne font pas consensus à vingt-huit », explique une source européenne. « On ne va pas laisser les agriculteurs français comme cela, mais trouver les bonnes solutions prend un peu de temps. » Or, pour l’instant, tous les pays ne suivent pas la France sur ses réponses à apporter à la crise du lait. Douze pays seulement partageraient l’avis de Paris (Portugal, Irlande, Roumanie, Pologne, Belgique, Italie, Espagne, Lettonie, Bulgarie, Slovaquie, Slovénie et Chypre). Mais des poids lourds – Allemagne, Danemark – manquent à l’appel. Pour ce qui est du financement, il ne faut pas non plus trop compter, prévient Bruxelles, sur les « poches profondes » de l’Europe. Trouver les 500 millions d’euros d’aide d’urgence a déjà eu un coût politique certain, alors que de plus en plus de pays, dont l’Allemagne, estiment qu’une trop grande part du budget de l’UE va à la politique agricole commune (38 %), au moment même où l’Europe fait face à des crises bien plus graves, telle que celle des migrants. p cécile ducourtieux En Bretagne, la colère ne faiblit pas Très mobilisés, les agriculteurs attendent des mesures concrètes du gouvernement A la procession des tracteurs succèdent le déversement de fumier sur l’asphalte et le face-à-face avec les forces de l’ordre. En Bretagne, depuis que le volcan agricole est à nouveau entré en éruption, courant janvier, ce spectacle devient un lot quotidien. Dernier épisode en date : le blocage de plusieurs accès routiers menant à Vannes, lundi 15 février. Les abords de la préfecture du Morbihan ont été occupés de l’aube jusqu’à la fin d’après-midi, en préambule à une semaine que d’aucuns prédisent « cruciale ». Mercredi, le gouvernement doit annoncer une série de mesures dont une baisse de cotisations sociales pour les agriculteurs, annoncée par François Hollande jeudi 11 février. Le même jour, une manifestation interrégionale est prévue à Rennes, la capitale bretonne, vers laquelle des dizaines de tracteurs devraient converger. Samedi, un autre rassemblement est annoncé à Loudéac (Côtes-d’Armor), en présence d’élus de la région, d’agriculteurs et de citoyens. « On veut démontrer que c’est l’affaire de tous nos territoires, explique Marc Le Fur, député (LR) des Côtes-d’Armor. Si l’agriculture et l’agroalimentaire disparaissent, nous n’avons pas d’alternative. Les moteurs de Rafale ne vont pas être fabriqués à Guingamp ou à SaintBrieuc. » Dans le même temps (à la fin de cette semaine ou au début de la suivante), le conseil régional emmené par le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian (PS), doit présenter un plan en faveur de la profession. Crise « inédite » Autour des barrages routiers et dans les campagnes, la tension, attisée par les difficultés économiques, est vive. Différents chiffres circulent concernant le nombre d’exploitations qui pourraient ne pas survivre à la crise actuelle. Selon certains syndicalistes, 30 % à 40 % d’entre elles seraient concernées à moyen terme. Un élu breton, sous couvert d’anonymat, évoque, quant à lui, « une hypothèse de 10 % à 15 % ». « Des crises, il y en a eu, précise Olivier Allain, président de la « Si l’agriculture et l’agroalimentaire disparaissent, nous n’avons pas d’alternative » MARC LE FUR FO R M U L E I N T ÉG R A L E député (LR) des Côtes-d’Armor Chambre d’agriculture des Côtes-d’Armor et vice-président du conseil régional chargé de l’agriculture. Mais celle-ci est inédite depuis le début de l’agriculture moderne, il y a cinquante ou soixante ans. » Thierry Merret, président de la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA) du Finistère, abonde : « Dans mon département, on estime à 2 000 le nombre d’agriculteurs qui gagnent moins de 300 euros par mois. » Comme M. Merret, de nombreux interlocuteurs évoquent des paysans « au bout du rouleau » et qui « n’ont plus rien à perdre ». Dans ce contexte, élus et responsables syndicaux affirment craindre des débordements. A Quimper, vendredi, des manifestants ne se réclamant d’aucun syndicat ont déversé, de nuit, de la paille, des pneus et des déchets devant les locaux de la chambre d’agriculture. Le feu allumé dans la foulée a « bien dégradé » l’entrée de l’établissement, selon la préfecture. Cinq agriculteurs ont été placés en garde à vue et cinq tracteurs saisis. « On essaie de canaliser les gens, mais ça ne suffit plus, explique Jean-Paul Riault, président régional des Jeunes Agriculteurs, syndicat proche de la FNSEA. On ne peut pas avoir les yeux partout. » Du côté de la Confédération paysanne, syndicat minoritaire qui n’appelle pas à des actions coup de poing, on se démarque tout en partageant le constat : « Les blocages et les brûlages ne sont pas dans nos habitudes, indique Dominique Raulo, porte-parole régional. Il ne faut pas se tromper de cible. Mais on sent beaucoup de désarroi et de solitude, notamment chez les jeunes. » Ces mêmes jeunes qui affirment, devant leur tracteur stationné sur une voie express bretonne : « On ne lâchera pas. » p nicolas legendre 6 MOI S LE QUOTIDIEN ET SES SUPPLÉMENTS + M LE MAGAZINE DU MONDE + L’ACCÈS À L’ÉDITION ABONNÉS DU MONDE.FR 7 JOURS/7 169 € AU LIEU DE 421,20€ B U L L E T I N D’A B O N N E M E N T A compléter et à renvoyer à : Le Monde - Service Abonnements - A1100 - 62066 Arras Cedex 9 152EMQA6M OUI, je m’abonne à la Formule Intégrale du Monde *Prix de vente en kiosque **Sous réserve de la possibilité pour nos porteurs de servir votre adresse rennes - correspondance Le quotidien chaque jour + tous les suppléments + M le magazine du Monde + l’accès à l’Edition abonnés du Monde.fr pendant 6 mois pour 169€ au lieu de 421,20€* soit une économie de 252,20€ sur le prix kiosque Prénom : Adresse : Code postal : Je règle par : Chèque bancaire à l’ordre de la Société éditrice du Monde Carte bancaire : Carte Bleue Visa Mastercard N° : Expire fin : Nom : Date et signature obligatoires Notez les 3 derniers chiffres figurant au verso de votre carte : Localité : E-mail : @ J’accepte de recevoir des offres du Monde ou de ses partenaires OUI OUI NON NON Tél. : IMPORTANT : VOTRE JOURNAL LIVRÉ CHEZ VOUS PAR PORTEUR** Maison individuelle Immeuble Digicode N° Interphone : oui non Boîte aux lettres : Nominative Collective Dépôt chez le gardien/accueil Bât. N° Escalier N° Dépôt spécifique le week-end SOCIÉTÉ ÉDITRICE DU MONDE SA - 80, BOULEVARD AUGUSTE-BLANQUI - 75013 PARIS - 433 891 850 RCS Paris - Capital de 94 610 348,70€. Offre réservée aux nouveaux abonnés et valable en France métropolitaine jusqu’au 31/12/2016. En application des articles 38, 39 et 40 de la loi Informatique et Libertés du 6 janvier 1978, vous disposez d’un droit d’accès, de rectification et de radiation des informations vous concernant en vous adressant à notre siège. Par notre intermédiaire, ces données pourraient êtres communiquées à des tiers, sauf si vous cochez la case ci-contre. 6 | économie & entreprise 0123 MERCREDI 17 FÉVRIER 2016 Soldes : bilan décevant pour les commerçants Les professionnels souhaitent un retour à cinq voire quatre semaines de réclame au lieu de six cette année L a période des six semaines de soldes d’hiver, qui devait s’achever mardi 16 février, ne laissera pas un souvenir impérissable aux commerçants. Les ventes ont à peine été meilleures que l’an passé, qui affichait un bilan déjà très moyen après les attentats de janvier 2015. Plus de la moitié des commerçants (51 %) interrogés par la chambre de commerce et d’industrie de Paris-Ile-de-France entre le 1er au 5 février déclarent avoir fait moins de 10 % de chiffre d’affaires supplémentaire durant les soldes par rapport à un mois normal. Pour 27 % d’entre eux, les soldes n’ont même généré aucune activité supplémentaire. In fine, 57 % des commerçants franciliens jugent ce résultat insatisfaisant et 53 % estiment qu’il est inférieur à celui de 2015. Parmi les raisons invoquées par les commerçants : la peur des attentats, les difficultés persistantes de pouvoir d’achat et la météo trop clémente, qui n’a pas favorisé les ventes des grosses pièces traditionnelles d’hiver. « Le bilan est vraiment moyen », estime Didier Simon de Bessac, directeur général adjoint de la Fédération des enseignes de l’habillement (FEH). Selon lui, « il n’y a pas réellement eu de problématique de sécurité, car beaucoup d’enseignes avaient investi dans des caméras et des vigiles. Mais il y a une très nette baisse de la présence touristique, en particulier asiatique. On pouvait espérer qu’avec le Nouvel An chinois en pleine saison des soldes, il y aurait eu plus de monde, et des montants d’achat plus importants. Globalement, les ventes dans le secteur de l’habillement ont fait un peu mieux que l’année dernière, mais ce n’est pas suffisant ». Depuis le début des soldes, les ventes dans le secteur de l’habillement ont progressé entre 1,5 % et 3 % en volume par rapport à la même période de 2015, là où le secteur avait enregistré une baisse de 5 % à 8 % l’an dernier. « Il y a une très nette baisse de la présence touristique, en particulier asiatique » DIDIER SIMON DE BESSAC Fédération des enseignes de l’habillement « La clientèle locale est plutôt revenue mais cela n’a pas compensé, ajoute M. De Bessac. Les ventes privées ont également joué un rôle. Il y a eu beaucoup de promotions à Noël et les consommateurs avaient anticipé leurs achats. » Internet résiste Même constat sur Internet, où la Fédération du e-commerce et de la vente à distance (Fevad) constate une hausse de 15 % du chiffre d’affaires des sites sur les quatre premières semaines de soldes. Soit à peine plus qu’en 2015 à la même période, qui était déjà un mauvais cru pour les soldes d’hiver. En 2015, les ventes sur Internet n’avaient progressé que de 10 % sur les quatre premières semaines de soldes, par rapport à l’année précédente. « C’est un peu mieux mais pas exceptionnel, juge Marc Lolivier, délégué général de la Fevad. Cette année, Internet résiste Le 6 janvier, premier jour des soldes, à Nantes. LOIC VENANCE/AFP avec une croissance à deux chiffres, mais le e-commerce n’est pas insensible à la crise économique. » Pour preuve, le montant du panier moyen des achats sur Internet a baissé. Il a atteint 114 euros en moyenne sur les quatre pre- Une concertation à venir La question de la date et de la durée des soldes figurera au menu de la future « commission de concertation du commerce ». L’instance voulue par le Conseil du commerce de France (CDCF) depuis 2012 « va être installée dans les prochaines semaines, le temps d’arrêter avec le gouvernement les personnalités qui vont y siéger », indique Gérard Atlan, président du CDCF, qui réunit les fédérations et les acteurs du commerce. Mise en place par un décret du 21 octobre 2015, cette commission devait être initialement installée le 20 janvier mais avait été décalée en raison du remaniement. Commission interministérielle rassemblant des entreprises, des salariés et des personnalités qualifiées, elle devra conseiller les pouvoirs publics sur la situation du commerce en France. mières semaines de soldes, avec des volumes d’achats « tirés par les biens d’équipement de la maison », précise M. Lolivier, contre 124 euros à la même période de 2015. Une diminution qui s’explique aussi par les forts rabais rapidement appliqués par les commerçants pour liquider les stocks. « Nous n’avons jamais été aussi agressifs en termes de prix, avec trois fois plus de produits démarqués à 40 %, 50 % ou 60 %, indique Stéphane Treppoz, président de Sarenza.com, un site de vente de chaussures. C’était une année de soldes pour les consommateurs, car nous avons considérablement rogné sur nos marges. » Le dirigeant précise avoir enregistré « une croissance de 12 % de son chiffre d’affaires en France depuis le début des soldes par rapport à la même période de 2014, et de 24 % par rapport à 2013. Nos meilleures soldes historiquement. » Le site Internet Brandalley a, de son côté, enregistré une croissance de ses ventes de 11 % pendant les soldes par rapport à l’année dernière, avec un panier moyen de trois articles pour 100 euros. Mais pour tous, magasins comme sites Internet, l’essentiel des ventes a été réalisé au cours des premières semaines. « Les ventes en France ont en effet largement ralenti après les deux premières semaines de soldes, constate M. Treppoz. C’est probablement trop long : quatre semaines de soldes, au lieu de six, seraient probablement le bon compromis. » Depuis un décret du 11 mai 2015, la période des soldes, qui se tient deux fois par an, a été rallongée, Nouvelle donne pour l’approvisionnement textile SALAIRES (OU FOURCHETTES DE SALAIRES) MINIMUMS EN DOLLARS/MOIS 454 Turquie Liban Guatemala Bosnie Colombie Philippines Afrique du Sud 321 Île Roumanie Maurice Pérou El Salvador Maroc Tunisie 155 61 Nicaragua Mexique Chine Thaïlande Malaisie Laos Kenya Swaziland Inde Vietnam Egypte Fourchette des salaires minimums chinois L’évolution des importations de produits chinois en Europe montre donc une hausse en trompe-l’œil. La progression a été de 6,9 % l’an dernier en valeur, mais, en volume, ces importations ont en fait baissé de 12,2 % en raison des taux de change. Dans l’enquête réalisée par l’IFM, 64 % des entreprises de distribution estimaient fin 2015 que ces fluctuations monétaires devraient se traduire, partiellement ou totalement, par une hausse des prix des vêtements en boutiques en 2016. De même, 49 % des sondés prévoyaient, pour des raisons de change, de diminuer leurs approvisionnements en Chine cette année. Dans une autre étude signée par l’experte en approvisionnement de tissus et de vêtements AnneLaure Linget pour le Salon Apparel Sourcing qui se tient au Bourget depuis lundi 15 février, l’auteure affirme que la Chine confirme malgré tout son hégémonie et reste, de très loin, le premier pays exportateur d’habillement en Europe (avec 24 milliards d’euros pour les dix premiers mois de 2015), très loin devant le Bangladesh (9,47 milliards), la Turquie (7,7 milliards), l’Inde et le Cambodge. L’effet dollar n’a en revanche eu, en toute logique, aucune incidence aux Etats-Unis, seul pays Les salaires du textile face au modèle chinois Cambodge Lesotho Pakistan Sri Lanka Bangladesh Birmanie Madagascar C’est la raison qui explique le glissement progressif des commandes des donneurs d’ordre – les Zara, H&M, Gap, Uniqlo – vers d’autres pays asiatiques, le Cambodge, le Vietnam ou le Bangladesh. Cette politique de dumping social leur permet de maximiser les marges. Au Cambodge, alléchés par une main-d’œuvre très bon marché, des industriels chinois, hongkongais ou taiwanais possèdent désormais la majorité des usines textile. Ces groupes chinois, qui ont pratiqué la même politique en Afrique, ont investi en pariant sur une « verticalisation du secteur » pour proposer une offre alternative aux marques de mode occidentales qui ont tendance à bouder, en raison des prix, les usines de la côte Est de la Chine. Indonésie SOURCE : EMERGINGTEXTILES.COM où les importations chinoises ne se sont pas contractées en volume l’an dernier. Mais l’évolution du billet vert n’est pas le seul élément à avoir provoqué des changements profonds dans la chaîne d’approvisionnement textile. prix des fibres synthétiques, qui représentent désormais 60 % de la production mondiale. Par un effet de domino, la chute de l’or noir a limité la demande de coton et donc la tension sur les cours de cette fibre. L’effondrement des prix du pétrole Dans les matières premières, la baisse du prix du pétrole a contribué à rendre plus attractif le Les salaires Ces dix dernières années, le coût de la main-d’œuvre dans le textile a été multiplié par plus de 3,5 voire par 4 en Chine. Les accords douaniers rebattent les cartes Jean-François Limantour, président du Centre euroméditérranée des dirigeants textile-habillement (Cedith), parie sur l’émergence rapide de trois « dragons, aux dents longues, à l’appétit féroce et qui montrent une très grande vitalité dans leurs exportations sur le marché européen » : le Vietnam, le Cambodge et la Birmanie. En cinq ans, ils ont vu leurs exportations mondiales croître respectivement de 222 %, 226 % et 435 %… Ces pays pourraient rapidement devenir très cécile prudhomme POLI T I QU E MON ÉTAI R E La BCE est prête à agir si besoin Les parités monétaires et l’évolution des coûts de main-d’œuvre bouleversent la géopolitique du prêt-à-porter suite de la première page passant de cinq à six semaines, en contrepartie de la suppression des « soldes flottants », qui avaient lieu deux semaines par an au choix des commerçants. « Six semaines c’est trop long », juge également Daniel Wertel, président de la Fédération française du prêt-à-porter féminin, qui suggère de raccourcir la période de moitié, à trois semaines pour les soldes d’été et d’hiver, et de repousser l’ensemble d’un mois pour mieux correspondre aux décalages météorologiques des saisons. « On pourrait également rajouter deux semaines fixes de déstockage, l’une mi-novembre, l’autre mi-avril », ajoute-t-il, précisant que les marques conçoivent aujourd’hui plus de deux collections par an. p importants d’ici trois ou quatre ans, grâce aux accords douaniers avantageux qui leur ont été octroyés. Le Vietnam (déjà deuxième fournisseur de vêtements des Etats-Unis et sixième de l’Europe) a conclu un accord de libre-échange avec l’Union européenne en décembre 2015. Les importations de tissus au Vietnam ne sont plus taxées et Hanoï pourra exporter sans droit de douane dans le marché européen dans six ans. Le Cambodge et la Birmanie bénéficient d’un statut douanier encore plus avantageux, baptisé « Tout sauf les armes » et peuvent exporter à droits nuls vers l’Union européenne, quelle que soit l’origine des tissus utilisés. L’Euromed en difficulté La Tunisie souffre davantage que le Maroc et a encore perdu l’an dernier – au profit des pays d’Asie du Sud Est – des parts de marché à l’exportation vers l’Union européenne. Pour des raisons politiques, la Turquie est également en mauvaise posture puisque les principales zones industrielles du textile longent la frontière syrienne. Plus largement, au niveau européen, Anne-Laure Linget note en revanche l’émergence de la Serbie ou encore de la Lituanie, même si les volumes de produits confectionnés y restent encore faibles. p nicole vulser Auditionné par le Parlement européen lundi 15 février, Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne, a de nouveau déclaré que son institution « n’hésitera pas » à agir lors de sa réunion le 10 mars, en cas d’augmentation des risques pour la stabilité des prix au sein de la zone euro. AU TOMOBI LE Le marché européen croit de 6,2 % en janvier Le marché automobile européen a marqué en janvier son 29e mois de croissance consécutive, a annoncé, mardi 16 février, l’Association des constructeurs automobiles européens. Sur le premier mois de l’année, le nombre d’immatriculation a augmenté de 6,2 %, à 1,061 million d’unités, par rapport à janvier 2015. PHAR MAC I E Ipsen en quête d’un nouveau patron Le laboratoire pharmaceutique Ipsen, qui souhaite « accélérer son développement international », a annoncé, mardi 16 février, avoir dissocié dans son organisation les fonctions de président et de directeur général et s’être mis à la recherche d’un nouveau directeur général. A l’arrivée de ce dernier, l’actuel PDG, Marc de Garidel, deviendra président non exécutif. idées | 7 0123 MERCREDI 17 FÉVRIER 2016 LETTRE DE WALL STREET | par st ép hane l auer Arrête-moi si tu peux ! C oincer un trader pour délit d’initié est un travail de longue haleine. Pour l’agent spécial du FBI David Chaves, c’est devenu presque un travail de routine. En tout cas, sur le papier. A l’écouter, la méthode est plutôt bien rodée, au point qu’il n’hésite pas à multiplier les conférences dans des cénacles plus ou moins spécialisés pour expliquer comment il tend ses filets. Il y a quelques jours, M. Chaves était invité à parler devant un auditoire qui lui était forcément attentif : le New York Hedge Fund Roundtable, « une association à but non lucratif, dont le but est de promouvoir les bonnes pratiques au sein du secteur des fonds spéculatifs », indique l’organisme sur son site Internet. La réunion avait lieu au prestigieux Penn Club of New York, sur la 44e rue, dans le cœur de Manhattan. L’agent spécial Chaves a connu son heure de gloire en 2011, lorsqu’il a accroché, à son tableau de chasse, l’ancien gestionnaire du fonds spéculatif Galleon Raj Rajaratnam, puis, en 2014, Rajat Gupta, un ancien associé du cabinet de conseil McKinsey et ancien administrateur de Goldman Sachs dans le cadre de la même affaire. Il a aujourd’hui une centaine d’enquêtes à son actif. Son inspiration, il l’a trouvée dans les techniques de lutte contre le crime orga- nisé. Comme la mafia sicilienne Cosa Nostra, le petit monde des fonds spéculatifs est très fermé et communique très peu avec l’extérieur. Il faut donc trouver un cheval de Troie pour arriver à faire sauter les verrous et délier les langues. La première étape consiste à repérer des témoins du délit d’initié, qui vont aider, contre allégement de leur peine, à remonter le fil jusqu’aux responsables. Pour cela, il faut les traquer pendant des mois pour tout savoir de leur vie. David Chaves explique qu’ils doivent faire l’objet d’une surveillance de tous les instants : Savoir « à quelle heure ils mettent leurs enfants dans le bus pour aller à l’école, comment ils se rendent au bureau, monter avec eux dans le métro, s’entraîner à quelques mètres d’eux dans leur club de gym, les épier alors qu’ils achètent une dose de cocaïne ou qu’ils ont recours à une escort girl, connaître dans quelles circonstances ils sortent dîner avec leur petite amie ». Tous les moyens sont bons : filatures, écoutes, enquêtes de voisinage. Une fois que le FBI en sait assez, tout est dans l’instant où l’on ferre le poisson. La méthode préférée de l’agent Chaves consiste à faire la queue dans un café ou dans un fast-food quelconque et de se glisser derrière le suspect à qui on va demander de coopérer. Au moment où il s’apprête à commander, l’homme du FBI s’inter- L’ÉCLAIRAGE Les vertus du commerce collaboratif par armand hatchuel N ous sommes si accoutumés à l’idée que le commerce se réduit à un calcul d’intérêts que l’on en vient à oublier qu’il requiert aussi la capacité à susciter des comportements de coopération et de collaboration. Cette observation, qui peut s’appliquer à la vente la plus ordinaire, prend une importance décuplée lorsqu’il s’agit des relations de type clients-fournisseurs que peuvent nouer des entreprises. Ces relations concernent souvent des biens ou des services, qui pèsent lourd dans la valeur ajoutée créée par chacune d’entre elles. Elles incluent aussi des démarches communes d’innovation lorsque les acheteurs et les vendeurs doivent concevoir ensemble les biens qui feront, ensuite, l’objet de la transaction. Si la relation clientfournisseur est indéniablement de nature marchande, peut-elle fonctionner sur le seul principe du gain positif pour chacun des protagonistes ? Ne faut-il pas que s’installe aussi un esprit « collaboratif », pour que cette relation non seulement puisse perdurer, mais surtout se développe au-delà d’une vente ordinaire ? JUSTICE, RÉCIPROCITÉ, INTÉGRITÉ Des chercheurs en science de gestion ont récemment repris les études portant sur les comportements qui favorisent cette collaboration. Ils ont aussi proposé un indice permettant d’en apprécier la qualité (« Un indice de mesure du collaboratif client-fournisseur », Jean-Jacques Nillès, Carole Donada, François Lenglet, Caroline Mothe, Revue française de gestion, volume 41, n° 251, août-septembre). Premier constat : toutes les études mettent en évidence des comporte- ¶ Armand Hatchuel est professeur à Mines ParisTech ments qui retrouvent les grandes vertus traditionnelles comme la justice, la réciprocité, l’intégrité ou encore le courage, la courtoisie et la retenue. En outre, la relation client-fournisseur offre de multiples occasions simples de mettre à l’épreuve la réalité de ces principes, ce qui permet à chacun de se faire rapidement un jugement sur l’état de la relation, qu’il soit lui-même client ou fournisseur. Les chercheurs ont pu construire une enquête par questionnaire, qui a été testée auprès d’un grand réseau d’entreprises du domaine de la mécatronique et de la productique, où les liens clients-fournisseurs sont vitaux pour les développements innovants. RELATION ÉQUILIBRÉE ET SOLIDAIRE Cette enquête a confirmé que les comportements collaboratifs étaient bien associés à deux grands groupes de vertus. D’une part – et de façon dominante –, aux vertus qui traduisent l’engagement authentique dans une relation équilibrée et solidaire : progrès partagé, développement des compétences, honnêteté intellectuelle, soutien lors des dysfonctionnements et des « coups durs ». D’autre part, aux vertus de civilité comme la courtoisie et la retenue, qui se dégagent nettement et qui traduisent, respectivement, la marque de considération accordée à autrui et la pondération que l’on maintient dans les échanges. On pourrait, comme le suggèrent les chercheurs, suivre l’évolution d’un indice de la qualité de la collaboration dans un secteur, un territoire, ou un réseau d’entreprises. Ce travail apporte un nouveau renfort à la tradition des sciences de gestion, qui rejette l’idée, puissante dans notre vision de l’économie, que toutes les relations marchandes se rapportent à un accord sommaire entre une offre et une demande. Car, si tous les échanges commerciaux étaient aussi lapidaires, cela signalerait qu’il n’y a ni innovation, ni transferts de technologies, ni activité de conseil. Bref, qu’il n’y a pas de véritable développement. Il importe d’enseigner plus largement que les vertus de justice, de réciprocité, de solidarité et de civilité favorisent le type de commerce le plus créateur de richesses, le commerce nécessaire aux dynamiques d’innovation et de progrès collectif. En 1675, Jacques Savary, rédacteur du code du commerce, rappelait déjà, contre les chantres de l’appât du gain, qu’« il n’y a point de profession où l’esprit et le bon sens soient plus nécessaires que dans celle du commerce ». p pose en disant au serveur d’un air assuré : « Il va prendre un café avec un peu de crème et trois sucres. » Généralement, le coup est imparable. Le témoin potentiel comprend immédiatement que le FBI sait tout de sa vie, de ses habitudes, de ses tocs, de ses petits et de ses grands secrets. L’agent fédéral l’invite ensuite à s’asseoir tranquillement, en lui faisant comprendre que, à cet instant, il a encore la possibilité de quitter le café sur-le-champ, tout en lui suggérant que ce ne serait pas la meilleure idée, la prochaine rencontre peut en effet se passer à la porte de son domicile sur les coups de 6 heures, avec un mandat d’arrêt. Et, à ce moment-là, il faudra oublier l’idée de pouvoir coopérer avec la police et de demander clémence. « L’APPEL DU DEVOIR » Les méthodes du FBI dans les cas de délits d’initié ont été grandement facilitées depuis 2008, quand, en collaboration avec la Securities Exchange Commission, le gendarme de la Bourse américain, les écoutes ont été autorisées pour ce genre d’affaires. Celles-ci n’étaient, auparavant, utilisées légalement que dans le cadre de manipulations de marché ou d’enquêtes de corruption. En ce qui concerne les délits d’initié, les écoutes font gagner un temps précieux. Pour ceux qui se font prendre la main dans le sac, fini les petits jeux de rôle, les mensonges inutiles et, surtout, le recours systématique à un avocat, qui risque d’annihiler toute chance de coopération. Pour faire condamner Raj Rajaratnam à onze ans de prison, il a fallu produire plus de 2 400 écoutes. Rajat Gupta, lui, avait été condamné à deux ans ferme, grâce aux mêmes stratagèmes. Evidemment, au fil du temps, les méthodes pour passer entre les mailles du filet tendu par le FBI se diversifient de plus en plus. Certains auteurs de délits d’initié utilisent les réseaux sociaux comme Twitter, grâce auxquels ils envoient des messages cryptés une fois que la transaction illicite sur une valeur a eu lieu. Dernier subterfuge à la mode : jouer à Call of Duty, un jeu vidéo de guerre qui fait fureur chez les jeunes et les moins jeunes. Grâce à une console branchée sur le téléviseur et à un casque muni d’un micro, on peut converser à l’abri des oreilles indiscrètes avec un adversaire situé à distance. « L’appel du devoir », dans ce cas, consiste à échanger illégalement des informations sur des opérations de fusion-acquisition en cours ou sur des résultats financiers avant qu’elles ne soient rendues publiques. p TOUS LES MOYENS SONT BONS POUR REPÉRER LES TÉMOINS DE DÉLIT D’INITIÉ : FILATURES, ÉCOUTES, ENQUÊTES DE VOISINAGE lauer@lemonde.fr Jusqu’où peut-on « libérer » l’entreprise ? Affranchir les cadres du « reporting » et les salariés du stress en jouant la confiance et l’autonomie, qui n’en a pas rêvé ? Mais l’exercice a ses limites par patrice roussel R esponsable R.H. (Rendre heureux), poste basé à proximité de Quimper. Le RRH devra contribuer au développement d’une culture d’entreprise collaborative où confiance et liberté sont les maîtres mots. Au travers de ses missions, il sera essentiel que le souci d’épanouissement et le bien-être des salariés soient au cœur de ses préoccupations… » L’offre d’emploi est improbable. Pourtant, en l’espace de quelques jours, l’annonce publiée par les biscuiteries Poult a reçu plus de 200 réponses de cadres de haut niveau, que ne rebutaient ni la localisation pour le moins excentrée de l’usine ni l’offre de rémunération pas vraiment mirobolante. Deux fois plus qu’une annonce similaire, avec des candidats prêts à quitter des grands groupes, à perdre 20 % de leur salaire. De nombreux responsables de ressources humaines ont par ailleurs adressé à l’entreprise des lettres spontanées de félicitations pour cette annonce, regrettant de ne pouvoir déménager et venir travailler du côté de Quimper… Réinventer l’entreprise, raccourcir les lignes hiérarchiques, arrêter la folie du reporting, le management par le stress, donner aux salariés plus de liberté… le projet séduit de plus en plus, y compris au plus haut niveau, dans un contexte de crise de confiance, où faire travailler les gens ensemble de manière détendue et efficace semble devenu un Graal inatteignable. Plusieurs entreprises ont effectivement été « sauvées » ces dernières années en se « libérant » des pratiques managériales habituelles. Poult était à deux doigts de la fermeture lorsqu’un financier belge, Carlos Verkaeren, décida de libérer les énergies en transformant l’organisation de fond LES SYNDICALISTES DE LA VIEILLE ÉCOLE N’ONT PAS FORCÉMENT INTÉRÊT AU CHANGEMENT en comble. L’entreprise aujourd’hui se porte bien, comme les fonderies Favi ou la PME nantaise Chrono Flex, qui ont suivi le même chemin. De jolies histoires, liées à des personnalités particulières, à des contextes spécifiques, non transposables dans d’autres cadres ? Des grands groupes comme Auchan étudient de très près le sort de ces entreprises qui, en réalité, mettent en œuvre de manière très aboutie des théories managériales testées dès les années 1970 par Volvo, Harley Davidson ou Gore (le producteur du Goretex) et qui avaient permis alors à ces sociétés de trouver une nouvelle dynamique. OBSTACLES PSYCHOLOGIQUES Réussir mieux avec moins d’encadrement. Oui, parce que la motivation des salariés, comme l’ont montré les chercheurs américains Richard Deci et Edward Ryan, est d’autant plus forte qu’ils se sentent autonomes. On le sait aujourd’hui, une personne qui se perçoit contrôlée s’engage moins dans son travail, fait moins preuve de créativité que celle à qui on laisse les coudées franches pour s’organiser. A la fin des années 1990, deux autres spécialistes des comportements humains au travail, Charles Carver et Michael Scheier, avaient également montré que les salariés étaient beaucoup plus capables de s’autoréguler que l’on ne le croit généralement. Leurs travaux ont contribué à la conception des procédures qualité, aujourd’hui banalisées. Mais si l’allégement du contrôle permet aux équipes de se sentir dans un premier temps plus responsables, débarrassées d’une tutelle perçue comme sclérosante, si l’organisation de la production bénéficie de leur nouvelle motivation, la « libération » pose de multiples problèmes dans les entreprises qui l’ont testée. Sans manager, les équipes doivent réussir à se coordonner, à gérer d’éventuels conflits internes. Une tâche exigeante, voire stressante. Pas de rapport à envoyer au chef, mais il faut malgré tout fixer des objectifs, et à échéance plus ou moins longue, les contrôler. Comment s’y prendre ? Comment se protéger de la pression des clients, désormais en contact plus direct avec la production ? Quant à la créativité provoquée par la « libération », comment éviter qu’elle ne s’assèche avec le temps ? Quelle organisation trouver pour empêcher d’autres routines de prendre le dessus ? La planification stratégique reste particulièrement difficile à déléguer. On l’a vu chez Poult, où les salariés, invités à réfléchir ensemble à d’éventuelles diversifications de l’activité, peinaient à tracer de nouvelles voies. Comment, sans leader, s’engager sur des projets de changement radicaux, voire déstabilisants ? La « libération » se heurte aussi à des obstacles psychologiques importants. Les syndicalistes de la vieille école n’ont pas forcément intérêt au changement. Renoncer à leur pouvoir n’a rien d’évident non plus pour les cadres qui restent en place, sommés de valoriser et faire monter en compétences les collaborateurs, plutôt que de piloter et contrôler comme avant. Même si des gourous du management profitent de la vague, le modèle de l’entreprise libérée n’est en réalité pas stabilisé. Ce sont toujours les mêmes entreprises qui sont citées en exemple depuis plusieurs années, une « avant-garde » qui ne grossit guère. Le modèle est très exigeant et une partie de sa réussite tient sans aucun doute à l’autosélection qui s’opère : les salariés, les manageurs, les syndicalistes qui n’y adhèrent pas sont plus ou moins rapidement poussés vers la porte de sortie, remplacés par de nouveaux arrivants prêts à se dévouer corps et âme, avec un niveau d’engagement parfois intenable sur le long terme. Pour conforter une démarche très séduisante mais fragile, il s’agit aujourd’hui de réfléchir en profondeur aux conditions possibles d’un leadership adapté à notre temps. Dans un contexte mouvant, où le salarié ne peut plus espérer la sécurité en échange de sa soumission, comment asseoir la légitimité de ceux qui encadrent ? Les recherches en psychologie sociale et en management peuvent aider à trouver de nouvelles solutions. p ¶ Patrice Roussel est directeur du Centre de recherche en management de Toulouse (université Toulouse Capitole, CNRS) 8 | MÉDIAS&PIXELS 0123 MERCREDI 17 FÉVRIER 2016 Tout ce qu’il faut savoir sur l’application vidéo Periscope Serge Aurier a été mis à pied par le PSG à la suite de la diffusion d’une vidéo sur Periscope dans laquelle il insultait son entraîneur et certains de ses coéquipiers. La séquence mettant en cause un joueur du PSG pose la question de la confidentialité du réseau social D ans la nuit du samedi 13 au dimanche 14 février, le défenseur du Paris-Saint-Germain a insulté son entraîneur et plusieurs coéquipiers sur une application de chat vidéo, Periscope. Pendant 45 minutes, on le voit aux côtés de son ami Mamadou Doucouré, qui fume la chicha, répondre aux questions des internautes avec désinvolture, traitant Laurent Blanc de « fiotte », Salvatore Sirigu de « guez » (nul), et comparant Gregory van der Wiel à « de l’eau ». Une grande confusion a entouré la réception de ces propos : les déclarations de Serge Aurier étaientelles publiques ou privées ? En direct ou enregistrées ? Qu’est-ce au juste que cette application, Periscope ? Eléments de réponse. A quoi sert cette application ? Periscope, c’est un peu la version microscopique de l’Eurovision : la possibilité de devenir, à petite échelle, le centre d’une retransmission en direct. Grâce à un smartphone et une connexion Internet, avec son cercle d’abonnés comme principaux téléspectateurs, cette application, propriété de Twitter depuis janvier 2015, permet de diffuser un événement au moment où il se déroule. Il peut s’agir de n’importe quoi, et le plus souvent, de soi. Cette application sert principalement à se mettre en scène dans des selfies vidéo en direct, ou pour les célébrités lors de sessions de questions-réponses filmées au smartphone, sorte de conférences de presse informelles, à la manière de la conversation de Serge Aurier avec ses fans. Quel est l’intérêt ? Comme Meerkat, application concurrente étouffée par le rachat de Periscope par Twitter, l’idée est de faire de chaque personne équipée d’un smartphone une source de vidéo en direct. « Explorez le monde en temps réel » est le slogan de l’application, qui s’est adaptée aux usages de l’époque, initiés en 2010 par ChatRoulette, un site proposant de voir aléatoirement d’autres utilisateurs via leur webcams (usage qui a largement été détourné). Et récemment, Facebook a offert à son tour la possibilité de diffuser des vidéos en direct à ses amis, même si ce service est encore restreint à certains utilisateurs ou pages. Comment ça marche ? Pour commencer, il suffit d’associer son compte Twitter à l’application, puis de lancer son premier « stream ». En général, l’ouverture d’un stream envoie un tweet – public par défaut – signalant à ses abonnés que l’on diffuse une vidéo en direct dont on choisit le titre. En cliquant sur le lien généré, l’utilisateur peut interagir avec Periscope, en commentant ou en Il est simple d’enregistrer une vidéo depuis un ordinateur en utilisant un logiciel tiers LIONEL BONAVENTURE/AFP « aimant » la vidéo. Les réglages de base de l’application laissent les commentaires ouverts à tout le monde, mais il est possible de ne les ouvrir qu’à ses abonnés Twitter. A noter qu’aucune modération de ces commentaires n’est possible, ce qui a généré quelques moments gênants pour certains hommes politiques ayant tenté les questions-réponses en direct. Est-ce privé ? Par défaut, non. Un stream Periscope est une diffusion publique, à l’image de n’importe quel tweet. Elle apparaît prioritairement dans le flux des personnes abonnées à un compte (Serge Aurier en compte 75 000 sur Twitter), mais quiconque dispose du lien peut théoriquement rejoindre la diffusion pour la suivre en direct. De ce fait, les propos de Serge Aurier ne relevaient pas de la sphère privée, d’autant qu’ils étaient tenus dans le cadre d’une séance de questions-réponses avec les abonnés de son ami. Mais le stream étant nommé « Avec Serge Aurier », le contenu du flux vidéo était clairement identifié. A noter que Periscope réserve également la possibilité, via une option, de restreindre la diffusion d’une vidéo à un cercle privé, que Serge Aurier et son ami Mamadou Doucouré n’ont semble-t-il pas jugé bon d’activer. Dans ce cadre-là, l’utilisateur a la possibilité de sé- lectionner les personnes à qui le flux vidéo sera accessible. Est-ce enregistrable ? En théorie, pas de l’extérieur, le principe de l’appli reposant sur le flux en direct. Periscope permet à un utilisateur d’enregistrer la vidéo produite sur son téléphone, et de laisser son « stream » accessible pendant 24 heures une fois la diffusion achevée, mais un autre utilisateur n’a pas la possibilité – au sein de l’application – de télécharger cette vidéo. Immédiatement après la diffusion du stream, celui-ci avait été supprimé manuellement. Mais comme pour Snapchat, l’application de messages éphémères, il est simple d’en- registrer une vidéo depuis un ordinateur en utilisant un logiciel tiers, ce qu’ont fait des internautes avant sa disparition. Peut-on éditer une vidéo Periscope pour la falsifier ? A priori non. C’est la raison pour laquelle de nombreux internautes ont invectivé le journaliste sportif Pierre Ménès lorsqu’il a relayé sa première réaction : la vidéo aurait été truquée. Periscope se déroulant en direct, il offre un flux vidéo brut. En revanche, pour le rendre disponible à la consultation le lendemain, le flux a dû être enregistré par un logiciel de capture vidéo, converti, puis hébergé sur YouTube. Cette opération-là, réalisée dans l’heure qui a suivi les propos de Serge Aurier par un internaute de Jeuxvideo.com, laisse place à la possibilité d’éditer la vidéo. Insertion de commentaires ou d’images, altération du son, découpage de la séquence ou même montages trompeurs pour réassocier question et réponse, tout est théoriquement possible. Mais dans le cas de Serge Aurier, l’existence de plusieurs vidéos différentes au contenu identique porte à croire que ses propos n’ont pas été modifiés, ce qu’a d’ailleurs convenu le joueur dimanche lors de ses excuses. p william audureau et clément martel 220 PAGES Un plan social à L’Equipe 21 déclenche une grève au sein du quotidien sportif 12 € Les syndicats contestent la stratégie du nouveau directeur général A vec le match du ParisSaint-Germain contre Chelsea, le mardi 16 février promettait d’être chaud pour L’Equipe. La journée sera finalement intense pour des raisons sociales, pas sportives : le journal n’est diffusé ni en kiosques ni en ligne, en raison d’une grève décidée lundi par son intersyndicale. Une nouvelle assemblée générale était prévue mardi à 16 h, pour étudier la suite du mouvement. Les salariés ont voté l’arrêt du travail pour exposer leurs revendications sur deux sujets : le plan social annoncé lundi à L’Equipe 21, la chaîne de télévision du groupe, et les restructurations du pôle « édition » du quotidien. Les syndicats demandent le retrait d’un plan qui selon un responsable SNJ-CGT pourrait concerner jusqu’à 60 « équivalent temps plein » à la chaîne, sur un total de 150. Selon Le Figaro, jusqu’à 100 postes sont concernés d’ici l’été, sur un total de 200 environ. Il s’agit d’intermittents et de pigistes, selon la direction, qui assure que le nombre de CDI va passer de 68 à 75. Pour les syndicats, la direction veut faire peser sur l’emploi la charge de la réorientation stratégique de la chaîne. Cyril Linette, le directeur général, assume, lui, de réformer profondément L’Equipe 21 : celle-ci « accuse de lourdes pertes, de l’ordre de 20 millions d’euros par an », sur un budget « autour de 35 millions », dit-il dans Le Figaro. L’Equipe, désormais au format tabloïd, et le Web sont eux « à l’équilibre », souligne M. Linette. Coup de semonce « La chaîne doit être le lieu du spectacle et non du tout-info, comme la chaîne avait été conçue à l’origine », explique le directeur général au Figaro. Le Web serait, lui, lieu de l’information en continu et le journal celui de la mise en perspective. Pour L’Equipe 21, cela veut dire moins d’émissions et de plateaux, et davantage de retransmissions de compétitions sportives. La chaîne a ainsi commencé en décembre à diffuser du volley-ball, du biathlon, du basket, de la boxe… des sports jugés mineurs, moins coûteux que le football ou le rugby de haut niveau, confisqués par les télévisions payantes comme Canal+ ou BeIN. L’Equipe 21 vise ainsi 1 % de part d’audience d’ici deux ans, contre 0,5 aujourd’hui, un score très faible. Plus largement, la grève est un coup de semonce adressé à Cyril Linette, le directeur général arrivé en février 2015 de Canal+ pour diriger L’Equipe, désormais principal actif média du groupe Amaury, qui a vendu Le Parisien-Aujourd’hui en France. Les syndicats dénoncent la future « suppression du secrétariat de rédaction » au pôle édition du quotidien, qui concernerait 26 postes, en partie redéployés. Ils rappellent les plans sociaux passés et dénoncent « une dégradation des conditions de travail », ainsi que « des méthodes déplorables de management » vis-à-vis des salariés visés par les restructurations. Une façon d’instaurer un rapport de force avec M. Linette, qui est actuellement en train de réorganiser la direction : l’historique Fabrice Jouhaud vient d’être remplacé à la tête du pôle TV par Arnaud de Courcelles, venu lui aussi de Canal+. p alexandre piquard UN ATLAS EXHAUSTIF Pour chacun des 198 pays du monde, les chiffres-clés (population, PIB, émissions de CO2...), une carte et une analyse politique et économique de l’année par les correspondants du Monde. INTERNATIONAL Le monde face à Daech. L’organisation Etat islamique déploie ses tentacules jusque dans les rues de Paris ; les grandes puissances se coalisent, mais peinent à surmonter leurs divergences d’intérêts. PLANÈTE L’accord mondial de la COP21 pour lutter contre le réchauffement climatique et l’entente internationale pour stopper l’épidémie d’Ebola en Afrique, meilleures nouvelles de l’année. ENTREPRISES Scandale Volkswagen, crise sociale à Air France, déboires de la filière nucléaire française, les feuilletons « business » de l’année 2015. FRANCE Du pacte de compétitivité au pacte de sécurité, François Hollande change de priorité tandis que le Front national impose ses thèmes dans les urnes et dans le débat public. IDÉES Olivier Roy, Michel Onfray, Louis Maurin... les textes publiés dans Le Monde qui ont marqué l’année 2015. En partenariat avec CERVEAU E-SANTÉ PORTRAIT MALADIE D’ALZHEIMER : MOINS DE NOUVEAUX CAS LA MÉDECINE EST-ELLE MENACÉE D’ « UBÉRISATION » ? VINCENT DEMASSIET ENTEND MAÎTRISER SES VOIX → PAGE 2 → PAGE 3 → PAGE 7 Buruli: panser une des plaies d’Afrique L’ulcère de Buruli fait partie des « maladies tropicales négligées » identifiées par l’OMS. Sévissant notamment en Afrique de l’Ouest, cette affection grave mais méconnue des populations reste difficile à juguler. Reportage dans un centre de dépistage et de soins, au Bénin. PAGES 4-5 Des enfants soignés au Centre de diagnostic et de traitement de l’ulcère de Buruli, à Pobè (Bénin). FONDATION RAOUL-FOLLEREAU L’imaginaire des physiciens L’ carte blanche Roland Lehoucq Astrophysicien, Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (PHOTO: MARC CHAUMEIL) annonce que le Système solaire pourrait contenir une neuvième planète a récemment enthousiasmé les foules. Il ne s’agissait pas d’une découverte, mais d’une hypothèse pour rendre compte d’un effet visible – des similitudes dans les orbites de plusieurs petits corps du Système solaire lointain – par une cause invisible – une nouvelle planète. Cette situation s’est déjà produite. En 1846, les astronomes Le Verrier (1811-1877) et Adams (1819-1892) attribuèrent les anomalies du mouvement d’Uranus – qui semblait ne pas tout à fait respecter la gravitation de Newton – à une planète encore inconnue. L’astronome Galle (1812-1910), suivant les indications de Le Verrier, observa une nouvelle planète – finalement baptisée Neptune – à moins de 1 degré de la position calculée. En 1930, le physicien autrichien Pauli (19001958) est intrigué par l’apparente non-conservation de l’énergie lors d’une désintégration bêta et émet l’hypothèse qu’une particule, nommée plus tard « neutrino », emporte l’énergie manquante. L’existence de cette particule fut confirmée en 1956, grâce à une expérience réalisée près d’un réacteur nucléaire. Cahier du « Monde » No 22111 daté Mercredi 17 février 2016 - Ne peut être vendu séparément L’imagination des scientifiques n’a pas toujours été récompensée : l’hypothétique planète Vulcain, invoquée en 1860 par Le Verrier pour rendre compte de l’avance du périhélie de l’orbite de Mercure, n’a jamais été découverte. Il fallut attendre 1915 et la publication de la théorie de la relativité générale d’Einstein pour expliquer cette « anomalie » du mouvement de Mercure. Plus près de nous, une accumulation de données suggère qu’une fraction importante de la masse de l’Univers échappe à l’observation et n’est révélée qu’indirectement, par ses effets gravitationnels. La question de la nature de cette matière noire est l’une des plus excitante de la physique, et la confirmation directe de son existence est attendue avec impatience. C’est ce qui vient de se passer avec la détection directe des ondes gravitationnelles par l’expérience américaine LIGO. Conséquence inattendue de la relativité générale, l’existence de ces ondes fut d’abord confirmée indirectement par l’analyse de la période d’un pulsar binaire découvert par Hulse et Taylor en 1974. On l’aura compris, l’imagination débridée des physiciens est souvent le prélude nécessaire à une découverte scientifique. Mais depuis fort longtemps, les physiciens n’observent plus les phénomènes au moyen de leurs seuls sens. Ils construisent des instruments sophistiqués, souvent gigantesques, pour recueillir des informations sur notre monde et en capter les signaux parfois très faibles. Se fondant sur des hypothèses abstraites, parfois hardies, et menant des calculs complexes, les physiciens rendent alors compte des apparences du monde en élaborant une représentation cohérente entre ce qui est observé et ce qui est déjà connu. Explicative, une proposition scientifique doit également suggérer des phénomènes nouveaux qui, s’ils sont effectivement observés, renforceront l’interprétation proposée et, s’ils ne le sont pas, la mettront à bas. Rendre compte d’un effet visible en invoquant une cause invisible est donc scientifiquement légitime parce qu’une telle prédiction contient en elle le germe de sa possible réfutation. En dépit de son imposante instrumentation, c’est bien l’imagination du physicien qui lui permet de décrire le monde en jetant un pont entre le visible et l’invisible. p 2| 0123 Mercredi 17 février 2016 | SCIENCE & MÉDECINE | AC T UA L I T É Le risque d’Alzheimer revu à la baisse | Le nombre de nouveaux cas de démence diminue de 20 % à chaque décennie, selon plusieurs études. Une tendance rassurante qui laisse espérer, à terme, une meilleure prévention des maladies neurodégénératives épidémiologie mais elle est plus spectaculaire chez les hommes et particulièrement marquée dans les populations éduquées. Dans la cohorte de Framingham, l’élévation du niveau d’éducation pourrait expliquer en partie le recul de l’âge moyen de début de la démence : 80 ans dans la première période, 85 dans la dernière. Ces résultats ouvrent-ils des perspectives pour prévenir ces maladies, ou du moins retarder leur apparition ? Permettront-ils de revoir à la baisse les scénarios les plus pessimistes ? « Les données de Framingham sont sérieuses et intéressantes, mais pour aller plus loin cela va être difficile, long et coûteux, estime Joël Ménard, professeur émérite de santé publique, qui a présidé le conseil scientifique de la Fondation Plan Alzheimer (2008-2012). Nous avons aujourd’hui beaucoup d’études d’observation, qui ont mesuré le poids des différents facteurs de risque des troubles cognitivo-comportementaux dont l’incidence est associée à l’âge. Mais des étu- sandrine cabut et nathaniel herzberg C’ Washington, envoyé spécial est désormais presque une certitude. La maladie d’Alzheimer et les autres démences sont sur le déclin. Plusieurs études publiées depuis trois ans retrouvent la même tendance dans différents pays du monde : une diminution du nombre de nouveaux cas, ce qu’on nomme l’incidence, au cours des dernières décennies. Des données issues de la célèbre cohorte américaine de Framingham, dévoilées le 11 février dans le New England Journal of Medicine, enfoncent le clou. Claudia Satizabal (université de Boston) et ses collègues américains et français constatent ainsi depuis les années 1980, à chaque décennie, une baisse moyenne de 20 % de l’incidence des démences. Ces constats ont été confirmés, samedi 13 février, par les premiers résultats d’une autre étude menée aux Etats-Unis sur 20 000 personnes âgées de plus de 50 ans. L’article n’a pas encore été publié mais le docteur Kenneth Langa, de l’université du Michigan, en a livré les tendances dominantes, lors du congrès de l’American association for the advancement of science (AAAS), à Washington. Chez les plus de 65 ans, la prévalence de la démence est passée, entre 2000 et 2010, de 11,7 % à 9,2 %. Une bouffée d’optimisme bienvenue, d’autant que la prévalence, c’est-à-dire le nombre total de patients, augmente, elle, très rapidement, notamment dans les pays à revenu faible et intermédiaire. Altérations des fonctions cognitives, avec troubles de la mémoire, du raisonnement, de l’orientation, qui surviennent le plus souvent après 60 ans, les démences touchent environ 47,5 millions de personnes dans le monde, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Et ses dernières prévisions sont sombres, du fait du vieillissement des populations et de l’absence de traitements capables de freiner l’évolution de ces maladies : 75 millions d’individus pourraient être concernés en 2030, et plus de 135 millions d’ici à 2050. La plupart des démences sont neurodégénératives, la plus fréquente (75 %) étant la maladie d’Alzheimer ; environ 20 % sont d’origine vasculaire, liées à des accidents vasculaires cérébraux à répétition. Lancée en 1948, avec quelque 5 200 habitants de cette ville proche de Boston (Massachusetts), l’étude de Framingham a notamment permis de définir les principaux facteurs de risque des infarctus et autres accidents cardio-vasculaires : excès de cholestérol, hypertension artérielle, diabète, tabagisme… Depuis 1975, les participants font aussi l’objet d’examens systématiques de leurs fonctions cognitives. Les résultats qui viennent d’être publiés ont été obtenus à partir du suivi de volontaires de la première génération et de leurs descendants. Les chercheurs ont scruté l’apparition d’une maladie d’Alzheimer ou autre démence chez les plus de 60 ans – soit plus de 5 200 individus au total – pendant quatre périodes successives de cinq ans (allant de la fin des années 1970 jusqu’à la fin des années 2010). Le risque a été évalué à 3,6 % (taux d’individus) lors de la première période ; 2,8 % dans la deuxième ; 2,2 % durant la troisième ; et 2 % lors de la quatrième période. L’élévation du niveau d’éducation depuis les années 1980 pourrait expliquer en partie le recul de l’âge moyen du début de la démence Les démences touchent près de 47,5 millions d’individus dans le monde. JOAN BARDELETTI/PICTURETANK Soit une réduction moyenne de 20 % d’une décennie à l’autre. « La baisse de risque était statistiquement significative seulement chez les personnes avec un niveau d’études au moins équivalent au bac », souligne le docteur Vincent Chouraki, troisième auteur de l’article, postdoctorant à Boston au moment de l’étude. Il précise aussi qu’une baisse des principaux facteurs de risque vasculaire – excepté le diabète et l’obésité – a été observée durant les trois décennies, mais que celle-ci ne peut à elle seule expliquer l’évolution du nombre de nouveaux cas de démences. « Cette étude, robuste, apporte un argument supplémentaire pour confirmer la baisse d’incidence des démences, se réjouit Philippe Amouyel, professeur d’épidémiologie au CHRU de Lille. La question a émergé en 2012, quand les chercheurs qui suivent la cohorte de Rotterdam ont publié une baisse de 20 % des démences entre 1990 et 2000. Sur le plan statistique, ce n’était pas significatif, mais, depuis, une tendance comparable a été décrite au Danemark, puis au Royaume-Uni. » Dans la mesure où l’évolution est rapide, sur quelques décennies, elle n’est probablement pas d’origine génétique, selon Philippe Amouyel. « Il faut donc rechercher le rôle de l’environnement : les facteurs de risques vasculaires classiques (hypertension, cholestérol…), mais aussi la dépression, l’inflammation, le niveau intellectuel. » En ce qui concerne le niveau intellectuel, évalué par le nombre d’années d’études, il protégerait des démences par un effet sur la réserve cognitive : les individus les plus stimulés intellectuellement disposant de connexions neuronales plus performantes peuvent compenser plus longtemps sans symptômes une altération des fonctions cognitives. Dans l’étude présentée à l’AAAS, l’évolution favorable du nombre de démences touche toutes les catégories d’âges, des dites d’intervention, comparant le devenir de deux groupes, l’un traité, l’autre non, sont nécessaires pour savoir ce qui serait vraiment efficace. Ainsi, sont attendus les résultats d’un vaste essai américain, Sprint, qui dira si un traitement intensif de l’hypertension artérielle est bénéfique pour les fonctions cognitives. » D’autres essais d’intervention sont en cours, tel Finger, qui évalue les effets préventifs de l’activité physique et intellectuelle chez des seniors finlandais. Reste à savoir quelle part des démences pourrait être évitée. « Accentuer la prévention cardiovasculaire permettrait de diminuer encore l’incidence des maladies cardio-vasculaires et donc les accidents vasculaires cérébraux, qui contribuent aux démences, mais de telles mesures peuvent avoir des effets paradoxaux, souligne Joël Ménard. Dans chaque tranche d’âge, et en particulier dans les plus élevées, le recul des décès de cause cardio-vasculaire exposerait davantage d’individus à une dégénérescence neuronale. » Lors de sa présentation à l’AAAS, la Britannique Carol Brayne (Cambridge) a affirmé que, selon les calculs de son équipe, la baisse de la prévalence des démences compenserait dorénavant l’augmentation de l’espérance de vie, qui faisait mécaniquement augmenter le nombre de cas. « Si bien qu’on devrait stabiliser le nombre global de cas », a-t-elle assuré. Une prédiction qu’il convient de prendre avec prudence. D’abord parce que ce calcul ne concerne qu’un pays – les Américains ne sont pour l’heure pas aussi optimistes –, et qu’à l’échelle du globe, l’augmentation risque de se poursuivre en Asie et en Afrique. Surtout, Kenneth Langa met en garde contre l’explosion de l’obésité et du diabète, « deux facteurs qui pourraient bien à nouveau inverser la courbe ». p Un scandale agite l’Institut suédois Karolinska Un chirurgien de la prestigieuse université médicale est soupçonné de fraude scientifique. Son recteur vient de démissionner L e scandale qui secoue depuis des semaines la Suède, avec la mise en cause du chirurgien Paolo Macchiarini au sein du prestigieux institut suédois qui décerne tous les ans le prix Nobel de médecine, continue de défrayer la chronique. Samedi 13 février, le recteur de l’Institut Karolinska (KI) de Stockholm, Anders Hamsten, a annoncé qu’il démissionnait, estimant qu’il avait failli à prendre la pleine mesure de l’inconduite scientifique de Paolo Macchiarini. Recruté en 2010 par le KI, celui-ci est alors en pleine ascension. Ce chercheur et chirurgien de haut vol veut fabriquer de nouveaux organes pour faire face à la pénurie de dons, l’un des problèmes les plus cruciaux auxquels est confrontée la médecine. Paolo Mac- chiarini rêve d’un monde où on utilisera les cellules pour réparer les fonctions d’un organe. La chirurgie remplacée par la thérapie cellulaire, telle est son idée. Les rêves de l’Italien coïncident avec l’ambition de KI, institution d’élite en concurrence avec les meilleurs établissements mondiaux pour attirer la crème des chercheurs. KI, alors absent de ce secteur de la médecine régénératrice, voit en Paolo Macchiarini l’homme idéal pour lancer et diriger un tel département à Stockholm. En 2011, le chirurgien réalise la première greffe mondiale d’une trachée artificielle recouverte de cellules souches. Depuis, deux autres patients ont été opérés selon cette méthode. La Suède est alors le premier pays à pratiquer une telle transplantation. Paolo Macchiarini devient le magicien de la greffe de la trachée. Pourtant, ses deux premiers patients décèdent, et la troisième survit dans un service de soins intensifs aux Etats-Unis, dans l’attente d’un don d’organe. Six de ses patients sont morts En juin 2014, l’image se craquelle lorsque quatre chirurgiens de KI, cosignataires de plusieurs publications scientifiques avec Paolo Macchiarini, l’accusent de fraude scientifique, relevant des différences entre l’article scientifique et le dossier médical des patients. Un an plus tard, une enquête externe sur Macchiarini parvient à la même conclusion. En outre, six de ses huit patients sont morts, ce qui provoque l’ouverture d’une enquête de po- lice sur plainte de l’agence pharmaceutique suédoise. Début janvier 2016, le magazine américain Vanity Fair raconte comment le chirurgien a prétendu avoir Clinton et Obama comme patients et être le médecin personnel du pape. D’autres accusations émergent ; on le soupçonne de pratiquer de la chirurgie expérimentale. La diffusion récente d’une série de trois documentaires sur la chaîne publique suédoise SVT précipite la chute du chirurgien. Le documentariste Bosse Lindquist démonte les mensonges de Paolo Macchiarini et trouve en outre que le chirurgien a opéré des patients dans sa seconde base, située à Krasnodar, dans le sud de la Russie, sans examen par un comité d’éthique de son procédé scientifique. Au-delà du cas Macchiarini et de ses conséquences à venir, le scandale jette une lumière crue sur le fonctionnement de l’institution suédoise. Plusieurs de ses coauteurs maintiennent leur signature dans ses publications ; les articles scientifiques ne sont pas retirés. En dépit des accusations, KI l’a soutenu jusqu’à ces derniers jours, où il a annoncé l’ouverture d’une nouvelle enquête indépendante et le non-renouvellement de son contrat. Le professeur de génétique Urban Lendahl a démissionné le 7 février du poste de secrétaire général de l’instance chargée de décerner le prix Nobel de médecine. Plusieurs professeurs demandaient la démission des responsables de KI. Le philosophe Torbjörn Tännsjö réclame des changements radi- caux à la tête de KI, reprochant à l’institut de s’être laissé éblouir par son rôle dans l’attribution du prix Nobel et de manquer de culture académique. Torbjörn Tännsjö raconte par le menu comment on devient professeur au KI, avec les « bons contacts », après un déjeuner avec le recteur, et si l’on sait financer son propre poste avec des revenus extérieurs. Karin Ragsjö, députée du Parti de gauche, a dénoncé les conséquences d’une politique de droite. Elle met en cause les réductions budgétaires et la dépendance croissante aux sponsors privés pour attirer les fonds qui fait le lit de ce star-system encouragé par le KI, qui pousse et aide les professeurs à commercialiser les produits issus de leurs recherches. p olivier truc AC T UA L I T É | SCIENCE & MÉDECINE | Télémédecine : des règles à clarifier | Un rapport du conseil national de l’ordre des médecins réclame une meilleure réglementation de l’e-santé, menacée selon lui d’« ubérisation » santé pascale santi D emander conseil pour une allergie par téléphone, prendre un deuxième avis médical ou encore avoir une consultation en ligne, les offres se multiplient, sur Internet, sur mobile… Face à ce qu’il appelle l’« ubérisation de la santé », le Conseil national de l’ordre des médecins (CNOM) a rendu public, le 10 février, un rapport pour réclamer la réglementation de la télémédecine et une meilleure régulation de ces offres émanant de sociétés privées. La télémédecine (selon le décret du 19 octobre 2010) recouvre les actes médicaux réalisés à distance : télé-expertise, télésurveillance, téléassistance, téléconsultation et la régulation médicale – ce que fait le Samu par téléphone depuis des années. Elle est aussi utilisée de longue date dans des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes ou d’autres établissements de santé. Mais le lancement, en décembre 2015, du site Deuxiemeavis.fr, qui propose le service éponyme pour 295 euros, ainsi que les téléconsultations proposées par des assureurs privés tel Axa depuis mai, ont fait grincer des dents. Si 70 % des médecins jugent « nécessaire d’intégrer le numérique dans l’organisation des soins sur les territoires », selon Patrick Bouet, président du CNOM, « les prestations ouvertes par des sociétés intermédiaires à vocation commerciale ne sauraient s’affranchir du contrat social français en matière de protection sociale ». En clair, les règles doivent être clarifiées, notamment sur qui paie quoi et sur la manière dont est rémunéré le médecin. C’est d’ailleurs le prix de 295 euros qui avait fait réagir la Confédération des syndicats médicaux français, qui avait dénoncé « une démarche commerciale ». Pour Jean-Paul Hamon, président de la Fédération des médecins de France, « c’est une remise en cause de l’examen clinique et du faceà-face ». « Notre approche n’est pas celle de l’ubérisation, elle s’intègre dans le parcours de soins et répond aux inégalités sanitaires. Nous proposons un avis de médecins experts pour répondre à ceux qui ont du mal à savoir où s’adresser », répond Pauline d’Orgeval, l’une des trois cofondatrices de Deuxiemeavismedical.fr. Une dizaine d’avis ont été rendus à ce jour. Axa Santé a, quant à lui, lancé un service de téléconsultations en mai 2015 pour ses adhérents (entre 1,5 et 2 millions de personnes). A l’instar de Deuxiemeavismedical.fr, Axa souhaite proposer son service en « marque blanche » (sous-traitance). « Ce service de téléconsultation en ligne correspond à un vrai besoin », déclare le docteur Philippe Presles, directeur recherche et développement d’Axa Santé. Au moment de Noël, il y a eu des pics à une trentaine de consultations en ligne par jour pour des questions sur le syndrome grippal, les allergies… Dans tous les cas, il est proposé de faire un compte rendu au médecin traitant, et l’Assurance-maladie ne débourse pas un centime. Certaines mutuelles comme la MGEN, Harmonie ou Intériale (adhérentes de la Mutualité française) proposent des services à distance tels que le téléconseil médical ou de prévention aux adhérents. « La vraie question est de savoir de quoi la population a besoin. Ces technologies sont une chance. Il est essentiel de ne pas bloquer ces évolutions », estime Etienne Caniard, président de la Mutualité française. Les acteurs parlent de parcours du combattant pour mettre en place ces expériences Paradoxe mis en avant par le Conseil de l’ordre, les médecins n’ont plus le temps de rappeler leurs patients – et ne sont pas payés pour cela. Ils demandent donc « que les activités réalisées par télémédecine soient inscrites dans la nomenclature [la Classification commune des actes médicaux] », souligne le docteur Jacques Lucas, vice-président du CNOM et délégué général aux systèmes d’information en santé, auteur du rapport. La seule rémunération à l’acte ne conviendrait pas, note le CNOM, pour qui un forfait, permet- tant le suivi d’une pathologie au long cours, serait plus approprié. Par exemple, un patient souffrant d’insuffisance cardiaque a besoin d’adapter son traitement. Un rendez-vous téléphonique suffit souvent pour ajuster la posologie, ce qui évite un déplacement pour le patient. La réglementation est jugée trop complexe. Les acteurs parlent de parcours du combattant pour mettre en place ces expériences de télémédecine. « Les modalités administratives sont trop lourdes, reconnaît-on au ministère de la santé, un travail de simplification est en cours. ». « La télémédecine est une priorité, à la condition que ce soit intégré dans le parcours de soins », insiste-t-on. Par ailleurs, un arrêté devrait être rendu dans quelques semaines pour étendre le dispositif d’expérimentation de la télémédecine, testé dans neuf régions pilotes pour environ 3 millions de patients en affection longue durée. Une évaluation économique est en cours pour préciser les rôles de chacun et les financements. Pour l’heure, si des travaux montrent les bénéfices de l’e-santé, son usage réel reste timide en France, note une étude coordonnée par le Pôle interministériel de prospective et d’anticipation des mutations économiques (Pipame) qui vient d’être publiée. « L’enjeu principal est de passer des expérimentations à un réel déploiement des solutions d’e-santé », souligne le Syndicat des technologies médicales. Dans les faits, les freins sont parfois nombreux en dépit de la volonté affichée par les pouvoirs publics. p 0123 Mercredi 17 février 2016 |3 télescope Neurologie L’apnée du sommeil modifie la chimie du cerveau Touchant un adulte sur quinze, l’apnée du sommeil s’accompagne de modifications dans la concentration cérébrale de certains transmetteurs, indique une équipe de l’université de Californie à Los Angeles. Elle a mesuré les niveaux de glutamate et d’acide amino-gammabutyrique (GABA) dans l’insula, une zone du cerveau impliquée notamment dans la régulation des émotions et de la pression sanguine. Chez les personnes touchées, le taux de glutamate, qui agit sur le niveau de stress et peut engendrer des atteintes neuronales, était plus élevé. Celui de GABA, un inhibiteur qui possède une action calmante, était, lui, réduit. Ces mesures sont corrélées avec les symptômes rapportés par les patients (pertes de concentration et de mémoire, état de stress et épisodes dépressifs). > Sarma et al., « Journal of Sleep Research », 11 février. 42 C’est, en mètres par seconde (soit 151,2 km/h), la vitesse du vent à partir de laquelle aucun arbre ne résiste, quels que soient sa hauteur, son diamètre ou son espèce. Ce résultat empirique, constaté notamment après la tempête Klaus en 2009 en France, a été confirmé par des expériences et des modèles, exposés dans Physical Review E par une équipe de l’Ecole polytechnique et de l’ESPCI ParisTech, le 2 février. Selon ce calcul, la vitesse de rupture ne varie que très peu avec la hauteur de l’arbre. Le modèle ne tient cependant pas compte de vents tourbillonnants et du rôle des branches. THOMAS LECUIT Exploration de l’architecture et de la plasticité des tissus biologiques INSTITUT DE BIOLOGIE DU DÉVELOPPEMENT DE MARSEILLE LUMINY CE CHERCHEUR MISE SUR LES FORCES DU VIVANT LA FONDATION BETTENCOURT SCHUELLER CULTIVE SON TALENT. Avec ses 4 prix annuels, la Fondation Bettencourt Schueller favorise le rayonnement de la recherche française pour l’amélioration de la santé : • Prix Liliane Bettencourt pour les sciences du vivant • Prix Coups d’élan pour la recherche française • Dotation du programme ATIP-Avenir • Prix pour les jeunes chercheurs. Depuis 1990, pour les sciences de la vie, elle a déjà attribué 352 prix, accordé 306 M€ de dons cumulés, encouragé plus de 5 000 chercheurs. ELLE LUI DÉCERNE LE PRIX LILIANE BETTENCOURT POUR LES SCIENCES DU VIVANT, POUR LE CARACTÈRE INNOVANT ET PROMETTEUR DE SON PROJET. FONDATION RECONNUE D’UTILITÉ PUBLIQUE Pour en savoir plus : www.fondationbs.org 4| 0123 Mercredi 17 février 2016 | SCIENCE & MÉDECINE | ÉVÉNEMENT Buruli Une maladie tropicale négligée bactériologie En Afrique de l’Ouest, l’ulcère de Buruli affecte principalement les enfants et les adolescents vivant aux abords des fleuves et des marécages. Négligé car peu douloureux, il peut entraîner jusqu’à des amputations raphaëlle maruchitch U Région de Pobè (Bénin), envoyée spéciale n garçonnet de 3 ans se laisse examiner docilement. Son bras droit est gonflé d’un œdème, et la chair de son coude est à vif sur un diamètre de 5 centimètres. Des villageois rassemblés autour de lui observent les échanges entre son père et les médecins. Même si l’œdème a régressé, l’état de l’enfant reste préoccupant. Les docteurs souhaitent le prendre en charge, mais sa mère n’est pas là et le père est réticent à le laisser partir. Faute de mieux, un pansement propre est apposé sur la plaie du garçon, puis les médecins s’en vont. La scène se déroule fin novembre 2015 au Bénin (Afrique de l’Ouest), dans un village de la vallée qui borde le fleuve Ouémé, à une centaine de kilomètres L’UB est provoquée par la bactérie « Mycobacterium ulcerans », de la famille des agents qui répandent la tuberculose et la lèpre au nord du littoral. L’affection dont souffre le petit garçon n’est pas une plaie banale mais un ulcère de Buruli (UB), du nom d’une région de l’Ouganda où la maladie a été décrite dans les années 1950. L’équipe médicale fait quant à elle partie du Centre de diagnostic et de traitement de l’UB (CDTUB) de la ville voisine, Pobè. Il leur a fallu parcourir une bonne heure de route, sur une piste bordée de termitières et de maisons traditionnelles de terre rouge, pour atteindre le village où vit l’enfant. L’UB est provoqué par une bactérie, Mycobacterium ulcerans, appartenant à la même famille d’agents que ceux qui répandent la tuberculose et la lèpre. A la différence de ces dernières, cependant, l’UB ne fait pas l’objet de transmission interhumaine. La majeure partie des personnes infectées ont moins de 15 ans. Cette maladie tropicale négligée se traduit par des nodules, qui évoluent en nécrose des tissus cutanés aux bords décollés. Ils peuvent s’étendre sur le corps de façon impressionnante, et s’accompagnent fréquemment d’œdèmes. Jusqu’en 2005, la chirurgie était l’unique traitement. Depuis, les antibiotiques (rifampicine et streptomycine) assurent la guérison sans séquelles s’ils sont administrés à temps. Dans le cas contraire, les lésions peuvent aboutir à de grandes invalidités, allant de la perte de fonctionnalité d’un membre à la nécessité d’amputer. Dans quelques cas heureusement rares, l’UB peut même entraîner le décès. Pour ajouter au drame, les personnes touchées ou leur entourage tardent souvent à décider d’une prise en charge, car les ulcères provoqués par Mycobacterium ulcerans sont peu douloureux. La faute à une toxine produite par la bactérie, la mycolactone. « Celle-ci a la capacité d’hyperpolariser le neurone, c’est-àdire de produire un effet qui l’empêche de véhiculer l’information “douleur” », explique Laurent Marsollier, chercheur Inserm à Angers. Travaillant depuis 2000 sur le sujet, le scientifique a démontré ce mécanisme dans une publication. Le tableau ne serait pas complet si l’on ne mentionnait pas les croyances ancestrales qui lient l’UB à la sorcellerie. « Dans la langue locale, la maladie est dite “plaie qui ne guérit jamais”, comme si elle ne pouvait être qu’envoyée », explique Oswald Attolou, le gestionnaire du Centre de Pobè. M. ulcerans fait partie des mycobactéries atypiques présentes dans l’environnement, plus particulièrement aux abords des fleuves et des marécages. « Tout tend à dire que la contamination se ferait via un environnement aquatique, dit Laurent Marsollier. Lorsqu’il y a une flambée de la maladie, c’est toujours en corrélation avec un bouleversement de l’environnement, comme la création Cicatrice sur le torse d’un enfant soigné au Centre de diagnostic et de traitement de l’ulcère de Buruli, à Pobè (Bénin). CESAR GABA POUR « LE MONDE » d’un barrage ou la mise en place de cultures… Nous avons en outre mis en évidence la présence de bactéries vivant dans les glandes salivaires de punaises aquatiques prélevées en zone endémique. » Reste à connaître l’ampleur du rôle de ces insectes hôtes de la bactérie dans la transmission de la maladie. De par cette sélection géographique, l’UB touche essentiellement des populations pauvres, habitant dans des lieux reculés. « Les gens cultivent la terre et lavent leur linge aux abords du fleuve Ouémé, là où il n’y a pas de courant. C’est dans ces endroits que l’on trouve les punaises, dans les jacinthes d’eau », précise le docteur Annick Chauty, directrice du Centre de Pobè. De cette situation couplée à la méconnaissance de la maladie a découlé la nécessité d’implanter des Une composante génétique en jeu P our Laurent Marsollier (Inserm), l’ulcère de Buruli (UB) constitue « une aventure scientifique, où tout est à faire ». Expert sur les questions d’environnement de la bactérie, Laurent Marsollier est allé, en 2008, chercher une complémentarité d’approche avec les travaux d’Alexandre Alcaïs, directeur de recherche en génétique humaine des maladies infectieuses à l’Institut Imagine, à Paris. Les deux chercheurs s’associent dans une soif commune de percer le mystère qui entoure l’UB. A l’époque, les quelques publications scientifiques sur le sujet ne s’appuient que sur une centaine de cas, disséminés dans plusieurs pays. « Je me suis aperçu qu’on ne connaissait rien à cette maladie. Par rapport à la lèpre et à la tuberculose, le différentiel d’information scientifique est colossal », souligne Alexandre Alcaïs. En 2009, les deux chercheurs décident de faire une étude génétique à grande échelle et prévoient de se rendre en zone endémique pour lancer leurs travaux. Alexandre Alcaïs a retiré une grande expérience de terrain de son travail sur la génétique de la lèpre. Laurent Marsollier, lui, connaît déjà le Centre de diagnostic et de traitement de l’ulcère de Buruli (CDTUB) de Pobè, au Bénin, et a pressenti le potentiel que représentent les données qui y sont archivées. Ils se rendent donc à Pobè afin d’examiner les dossiers des patients. Enthousiasmés par ce trésor, ils entreprennent de convaincre différents partenaires de lever des fonds pour le projet. Quentin Vincent, qui prépare une thèse sur l’ulcère de Buruli, embarque dans l’aventure. « Première vision globale » Les chercheurs épluchent alors les informations du CDTUB. En trois ans, ils réussissent ainsi à mettre sur pied une cohorte d’étude de plus de 1 200 patients, « un travail qui aurait été impossible à réaliser ailleurs », juge Alexandre Alcaïs. Quentin Vincent a soumis sa thèse « Epidémiologie et génétique humaine de l’ulcère de Buruli » fin novembre 2015 (qui a remporté le Prix « Le Monde » de la recherche universitaire 2015). Plusieurs publications ont été issues directement de ce travail, d’autres sont nées de collaborations au cours de celui-ci. Ces travaux permettent ainsi de « donner la première vision globale sur la pathologie », résume Alexandre Alcaïs. En plus de cette dimension épidémiologique, la composante génétique de la maladie a été largement explorée à cette échelle pour la première fois. Pourquoi en effet certaines personnes résistent-elles à l’infection par un microbe alors qu’elles y sont tout autant exposées que d’autres qui tombent malades ? Comment expliquer que les manifestations cliniques soient très différentes d’une personne à l’autre ? Certains individus auraient une susceptibilité génétique au développement de la maladie. C’est par exemple le cas de la lèpre, et la variabilité des cas observés d’UB fait pencher vers cette hypothèse. « Personne ne s’était jamais intéressé à la sévérité de la maladie », commente Quentin Vincent. Il s’est notamment penché sur un cas très sévère d’UB, issu d’une famille consanguine. Les résultats d’analyses génétiques ont mis en évidence un défaut sur le chromosome 8 du patient. Plus précisément, il s’agit de la portion du chromosome qui implique les bêta-défensines, des molécules jouant un rôle dans l’immunité du corps. La confirmation du rôle des bêtadéfensines dans l’infection par la bactérie responsable de l’UB pourrait ouvrir de nouvelles voies thérapeutiques. Pour la constitution de leur cohorte, les chercheurs se sont attachés à confirmer chaque diagnostic par un test fondé sur la technique de « réaction en chaîne par polymérase » (PCR). Dans un premier temps, les échantillons étaient envoyés au laboratoire du CHU d’Angers, mais le centre de Pobè est désormais autonome. C’est d’ailleurs aujourd’hui le seul laboratoire de brousse du continent africain qui possède une PCR. Outre le temps gagné dans l’obtention du diagnostic des patients, l’équipement « offre au CDTUB de la visibilité, la possibilité de réaliser de la recherche de dimension internationale et lui permet de créer du lien », ajoute Laurent Marsollier. D’ailleurs, le centre a récemment étendu ses perspectives ; en témoigne sa récente habilitation pour traiter la lèpre mais aussi les plaies chroniques d’une façon générale afin de ne plus passer à côté de diagnostics de l’UB. p ra. m. centres de proximité pour la prise en charge, à l’image du CDTUB. Les premières descriptions de cas d’UB datent de la fin du XIXe siècle. Quelques-uns sont recensés en Australie et au Japon, mais c’est en Afrique subsaharienne, notamment en Afrique de l’Ouest, que cette maladie infectieuse chronique se développe dans les années 1980. Une prise en charge spécifique s’impose. L’impulsion est donnée avec l’initiative mondiale contre l’ulcère de Buruli lancée par l’OMS en 1998 lors de la conférence de Yamoussoukro, en Côte d’Ivoire. A cette même époque, le Bénin prend pleinement conscience que l’UB constitue un problème de santé publique pour le pays. « Le ministère de la santé du Bénin est alors venu nous solliciter », se souvient Bénédicte de Charette, responsable du département lèpre et santé à la Fondation Raoul-Follereau (FRF), organisation connue pour ses actions en Afrique de l’Ouest. « Nous avons accepté de financer la construction et le fonctionnement d’un centre à Pobè », poursuit-elle. Inauguré en 2004, le CDTUB fait aujourd’hui partie des quatre centres de référence de traitement de la maladie implantés dans les zones endémiques du Bénin, au plus près des populations. Sous l’autorité du Programme national de lutte contre la lèpre et l’ulcère de Buruli du pays, il dialogue constamment avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Le Centre est constitué de plusieurs bâtiments entourés de verdure, répartis sur un vaste terrain en bordure de la route principale de Pobè. Une soixantaine de patients peuvent y être hospitalisés et une cinquantaine de salariés y œuvrent. Chacun sa fonction : accueil, soins, bloc opératoire, suivi des patients opérés. Du traitement antibiotique jusqu’à la cicatrisation complète des plaies, tout a été pensé pour faciliter l’hospitalisation des malades pendant souvent plusieurs mois. Partout, le personnel soignant s’affaire. Nombreux sont les patients qui auront besoin de chirurgie, pour nettoyer la plaie ou pour faire une greffe de reconstruction. Ainsi, le docteur Ambroise Adeye, 59 ans, est présent deux jours par se- ÉVÉNEMENT | SCIENCE & MÉDECINE | 0123 Mercredi 17 février 2016 |5 Repères Afrique de l’Ouest et Afrique centrale En 2014, plus de 2 100 nouveaux cas ont été diagnostiqués (dont 330 au Bénin), contre plus de 5 000 en 2009 (674 au Bénin). Il est vraisemblable que le nombre de nouveaux cas soit sous-estimé. Les données, trop incomplètes, ne permettent pas de fournir de chiffres mondiaux. Pays les plus touchés Bénin, Cameroun, Côte d’Ivoire, Ghana et République démocratique du Congo. Au Bénin Le Centre de Pobè a traité 145 cas en 2003, 303 en 2006, 147 en 2014. Sources : OMS, CDTUB de Pobè maine. Formé et spécialisé en chirurgie des plaies, il partage son temps de travail avec l’hôpital de Pobè. Chaque cas est différent. « On s’adapte à la plaie », souligne Armelle Zitty, infirmière responsable d’équipe. Mais pas seulement : « Les patients peuvent développer des symptômes purement psychologiques, il faut être très attentif », continue-t-elle. Pour prendre cet aspect en charge, la jeune assistante sociale Blandine Sezolin a été affectée au Centre il y a trois ans. « J’essaie de faire le lien avec la famille, explique-t-elle. La politique de réinsertion est née du fait que l’UB crée des incapacités chez les enfants. Nous réfléchissons avec les parents à mettre en place des solutions pour que ces enfants ne deviennent pas dépendants à l’avenir. » A la tête du Centre depuis le début, le docteur Chauty est l’unique Française du CDTUB. Agée de 65 ans, elle vit au Bénin depuis trente-quatre ans et cédera son poste cette année. Il y a un peu plus de dix ans, la Fondation l’a recrutée pour monter le projet du CDTUB. Elle travaille alors dans les cités lacustres, non loin de Cotonou, se déplaçant en pirogue de village en village. « M’occuper de plaies, ça ne m’intéressait pas », déclare-t-elle tout de go. Mais, épuisée par le rythme de travail sur le lac, elle se laisse convaincre et se joint à l’aventure. En parallèle de la construction du Centre, Annick Chauty commence à travailler dans la vallée du fleuve Ouémé. Elle recrute comme chauffeur Pierre Detounou, qui en est originaire et est lui aussi toujours en poste. Ils débutent ensemble les tournées dans les villages, afin de faire connaître la maladie et de soigner les personnes touchées par la bactérie. « C’est grâce à lui que l’on a trouvé les premiers cas, avec de petites plaies, pour lesquels on a pu commencer les antibiothérapies », se souvient le docteur Chauty. Les tournées ont aujourd’hui lieu deux fois par semaine dans les villages aux alentours de Pobè, dans le département de l’Ouémé-Plateau. Les équipes médicales développent ainsi des actions de sensibilisation, font le relais avec les dispensaires de la région et assurent le suivi des patients. Lors d’une de ces tournées où sont présents Annick Chauty et le docteur Espoir Sodjinou, lui aussi du CDTUB, d’anciens malades viennent les saluer. Annick Chauty arrive à échanger un peu dans la langue locale grâce à sa longue expérience, tandis qu’Espoir Sodjinou maîtrise plusieurs langues du Bénin. Un atout de taille, car les villageois sont nombreux ici à ne pas Le docteur Annick Chauty collecte des informations sur l’ulcère de Buruli depuis la création du centre de Pobè, en 2004. CESAR GABA POUR « LE MONDE » Ceux qui ont été soignés avec succès contribuent largement à faire progresser la confiance des populations parler français. Un sourire fendu jusqu’aux oreilles, ils leur montrent spontanément leurs cicatrices sur le torse, les jambes, qui résultent souvent de greffes. Ceux qui ont été soignés avec succès ont largement contribué à faire progresser la confiance des populations. Dans des pochettes en carton couleur vieux rose soigneusement archivées, Annick Chauty a consigné dès le départ les informations et photos relatives à l’historique et au suivi de chaque patient qui passe par le Centre. La stratégie de l’OMS La dénomination de « maladie tropicale négligée » (MTN) a vu le jour en 2006, à l’initiative de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). A l’heure actuelle, 17 maladies sont considérées comme des MTN : il s’agit de maladies connues du grand public comme la lèpre, la rage, la dengue ; mais aussi d’autres beaucoup moins médiatisées telles que l’ulcère de Buruli. « La région africaine supporte près de la moitié de la charge de morbidité mondiale due aux MTN », indique l’OMS. Elles font l’objet de plans mondiaux de lutte coordonnés par l’OMS, dans le but de prévenir, maîtriser, éliminer ou éradiquer ces maladies. Cependant, l’organisation intervenait sur le sujet des MTN bien avant 2006, même si les maladies n’étaient pas encore regroupées sous ce sigle. Concernant l’ulcère de Buruli en particulier, les premières actions de l’OMS datent de 1998. La mise en place de la stratégie de lutte a été une décision motivée par « la négligence entourant cette maladie dévastatrice pour laquelle les connaissances étaient très limitées », explique le docteur Kingsley Asiedu, à la tête de l’initiative mondiale contre l’ulcère de Buruli à l’OMS. Mieux, elles ont été compilées dans des tableurs Excel par Marie-Françoise Ardant, médecin généraliste, qui a officié au CDTUB jusqu’en 2013, année où elle a pris sa retraite. « A mon arrivée, en 2004, l’activité commençait tout juste. Je cherchais un peu à trouver ma place, raconte-t-elle. J’ai alors eu l’idée de répertorier les données chiffrées des patients pour en tirer des statistiques. Des critères ajoutés au fur et à mesure ont élargi le tableau au fil des années. Nous voulions voir s’il y avait des pics saisonniers, en savoir plus sur le vecteur de la maladie et le mode de transmission. » Car on connaît encore très peu de choses de l’UB, qui commence seulement à attirer la recherche. Et, justement, les informations collectées par Pobè sont une véritable mine d’or pour les chercheurs. Comme d’autres maladies négligées, l’ulcère de Buruli ne s’inscrit plus dans une stratégie de lutte isolée. « L’approche centrée sur une maladie est abandonnée pour une approche transversale. Nous devons développer des synergies avec d’autres programmes de santé publique, détaille le docteur Christian Johnson, conseiller médical pour la FRF concernant l’Afrique depuis 2010 et ancien coordinateur du programme de lutte contre la lèpre et l’UB du Bénin. Nous entrons par exemple dans un programme de santé publique avec des infirmiers formés sur les maladies de la peau : la lèpre, l’ulcère de Buruli et d’autres. Ainsi, le malade n’est pas stigmatisé. » En outre, cette stratégie peut aussi être une réponse à la mobilisation de ressources. Sinon, « comment engager des dépenses de santé avec aussi peu de cas ? Comment maintenir l’expertise sur ce sujet ? », interroge Christian Johnson. La lutte contre l’UB au Bénin a servi de modèle pour les autres pays, notamment au niveau du dépistage précoce. « Nous avons beaucoup appris du Buruli. Les efforts de lutte ont été bien conduits. Mais si on arrête aujourd’hui, tous les acquis vont se perdre », prévient le docteur Johnson. Il y a encore beaucoup à faire dans le combat contre l’UB. Des essais cliniques sont en cours pour tester un autre antibiotique (la clarithromycine), qui pourrait être administré par voie orale à la place de l’association d’antibiotiques injectable actuelle. Côté diagnostic, des chercheurs de Harvard, à Boston, travaillent à un test qui détecterait la mycolactone produite par M. ulcerans et faciliterait grandement la confirmation du diagnostic en lieu et place de la PCR. Quant à l’offre proposée au CDTUB, « bien que de grande qualité, elle ne suffit pas. Il faut de plus amples moyens, sans pour autant se substituer aux structures de soins déjà mises en place », analyse Laurent Marsollier. D’autant que « faire changer les mentalités demande du temps », rappelle le docteur Chauty. Pour l’heure, les équipes soignantes continuent à s’y employer. Lors de chaque tournée, à chaque arrêt dans les dispensaires, des patients attendent le passage du véhicule du Centre. La prévention paie, le bouche-à-oreille fonctionne. Ainsi une mère accompagne en cette fin novembre sa fille d’une quinzaine d’années, Catherine, pour la faire examiner. La jeune apprentie couturière coiffée d’un fichu mauve montre son avant-bras à Annick Chauty et à Espoir Sodjinou. Il y a une plaie caractéristique, surinfectée, accompagnée d’un œdème qui s’étend de la main jusqu’au coude. Le diagnostic, qui sera par ailleurs confirmé, ne laisse pas de place au doute pour les médecins : c’est un UB. Ils discutent avec la mère, qui se laisse convaincre de l’utilité d’une prise en charge pour Catherine. Elle repartira à Pobè dans le véhicule de la tournée. Pour elle, très certainement, l’ulcère de Buruli se résumera bientôt à une petite cicatrice. p Dans l’ êt de la science mathieu vidard arré la tête au c 14 :00 -15 :00 avec, tous les mardis, la chronique de Pierre Barthélémy 6| 0123 Mercredi 17 février 2016 | SCIENCE & MÉDECINE | « Anent », les chants du crépuscule La machine à IRM, annexe du supermarché la bande dessinée Un roman graphique part sur les traces de la culture jivaro, dans la forêt amazonienne anne favalier N ous n’avions rien compris à ce qu’ils disaient, nous n’avions rien compris à ce qu’ils faisaient : c’était une situation ethnographique exemplaire. » L’épigraphe d’Anent, la première bande dessinée d’Alessandro Pignocchi, est tirée du livre auquel elle fait écho : Les Lances du crépuscule, de Philippe Descola (Plon, 1993, réédition Pocket, 2006), chronique d’un long séjour chez les Indiens Ashuars en haute Amazonie. Au milieu des années 1970, ce disciple de Claude Lévi-Strauss a partagé trois ans durant la vie de membres de cette tribu, la plus isolée du groupe des Jivaros. Son livre montre le minutieux et patient travail par lequel un ethnologue acquiert au jour le jour, souvent de façon fortuite, la connaissance d’une société très éloignée de celle dont il provient. Alessandro Pignocchi, lui, a découvert l’Equateur grâce aux oiseaux. Ce jeune chercheur en sciences cognitives est aussi, depuis l’enfance, un fervent ornithologue amateur. A l’âge de 16 ans, il est « tétanisé » par la richesse de la faune amazonienne lors d’un premier voyage. A 18 ans, il séjourne dans une communauté amazonienne : il y est venu en touriste goûter avec des amis à la pharmacopée psychotrope des chamans. D’autres voyages suivront, pour observer et dessiner colibris ou toucans. Invocation des esprits et des êtres « Ce n’est que bien plus tard que la lecture des Lances du crépuscule m’a permis de prendre la mesure de ce à côté de quoi j’étais passé », raconte Pignocchi. Les scènes incompréhensibles vécues par le jeune buveur d’ayahuasca s’éclairent. Ce chaman qui lui a pratiqué un suçon sur le crâne, cet Indien qui vomissait au petit matin ? Autant d’indices d’une culture animiste riche et complexe. De cette découverte est né le projet de donner des nouvelles des Indiens Jivaros. Le titre de la BD, Anent, désigne les chants par lesquels les Ashuars invoquent les esprits et les êtres de la nature ; un trésor jalousement gardé, transmis de génération en génération. Pour réaliser son livre, Alessandro Pignocchi s’est remis aux pinceaux, a rencontré le chercheur au Collège de France, est retourné en Amazonie. Par une alternance de croquis rapides, de somptueux lavis et d’aquarelles subtiles, il montre ses tâtonnements et ses bévues, ses déconvenues et ses émerveillements. Il saisit les reflets de la lune sur le fleuve, les éclats de soleil dans les sous-bois, la grâce d’un boa ou d’un oiseau en vol. Il donne à voir des villages gagnés par le christianisme, une communauté sous la menace des compagnies pétrolières, une jeunesse férue de cumbia-rock. Il décrit aussi comment, dans ce monde qui change, mille traits attestent de la permanence du mode de vie ashuar – comme ce jour de grande chaleur où une petite fille a fredonné dans son jardin un anent appris de sa mère. Philippe Descola avait prévenu le jeune auteur : « Lévi-Strauss avait déjà l’impression d’arriver trop tard. » p « Anent. Nouvelles des Indiens Jivaros », d’Alessandro Pignocchi, préface de Philippe Descola (Steinkis, 144 p., 20 €). Agenda Conférence « Les ondes gravitationnelles » Pour ceux dont la curiosité concernant ces vibrations de l’espace-temps, détectées par l’observatoire américain LIGO, n’est pas rassasiée, le Palais de la découverte accueille Pierre Binétruy, l’un des spécialistes du phénomène. Professeur à l’université Paris-Diderot, Laboratoire astroparticule et cosmologie et membre senior de l’Institut universitaire de France, il fera le point sur cette découverte, et évoquera ce que cette nouvelle astronomie peut explorer. > Palais de la découverte, Paris 8e, jeudi 18 février à 19 heures. RENDEZ-VOUS improbablologie Pierre Barthélémy Journaliste et blogueur Passeurdesciences.blog.lemonde.fr V ous ne l’imaginiez sans doute pas, mais il existe une revue de recherche intitulée Meat Science. Littéralement, « science de la viande ». On peut y trouver des travaux sur l’évolution des testicules chez les cochons non castrés, les effets du stress sur la qualité de la bidoche ou encore de nouvelles méthodes pour tester la qualité musculaire des vieux bœufs. Et parmi tous ces articles où l’on triture tous les morceaux, bas et nobles, des différents animaux d’élevage, figure, dans le numéro daté de février de cette revue, une étude dont le sujet est… le cerveau humain. Je vous rassure, nous ne sommes pas encore dans le film Soleil vert (Richard Fleischer, 1973), et l’objet de ce travail n’est pas de déterminer si on va pouvoir remplacer la cervelle de mouton par de la matière grise d’Homo sapiens. Non, son objectif consistait à déterminer les zones du cerveau qui sont excitées lors de la consommation de viande. Chercheurs à l’université Texas Tech, ses auteurs ont convié quelques « cobayes » non végétariens à venir s’allonger trois fois dans une machine à imagerie par résonance magnétique (IRM). La première fois avant que le test ne commence, pour avoir le paysage cérébral au repos. Puis les participants allaient manger un morceau de steak grillé et revenaient aussitôt après se glisser de nouveau dans la machine, pour une deuxième IRM fonctionnelle, sorte de cartographie des zones activées dans l’encéphale. Le troisième et dernier « scan » avait lieu une demiheure plus tard, quand la bouchée de viande n’était plus qu’un souvenir. Pour varier les plaisirs, certains tests étaient effectués avec de la barbaque de qualité supérieure (tendre, juteuse, goûteuse) tandis que l’on servait de la semelle le reste du temps. Du plaisir passé à la moulinette L’expérience montre, sans trop de surprise, la corrélation entre la qualité – bonne ou mauvaise – de la viande et les régions du cerveau impliquées dans ce que les neurosciences appellent le « système de récompense », comme, par exemple, les petites structures nommées noyaux accumbens. Les auteurs suggèrent que « cette information pourrait conduire à de nouvelles méthodes pour développer les produits carnés et en faire le marketing ». Bienvenue, donc, dans l’ère dite du « neuromarketing », l’ère du plaisir passé à la moulinette de la neuroimagerie. Depuis quelques années, les études utilisant l’IRM fonctionnelle se multiplient pour toutes sortes de produits, au point qu’on a l’impression que ces machines se sont transformées en annexes du supermarché. On a ainsi vu paraître des articles sur la manière dont le cerveau « répondait » aux crèmes glacées, aux chocolats, aux sodas aux édulcorants, aux sodas sans édulcorant, aux sodas de grandes marques, aux sodas pas de grandes marques, au vin cher, au vin bon marché, aux calandres de voitures et peut-être même, en cherchant bien, aux ratons laveurs… Il y aurait de quoi s’interroger sur l’utilisation marketing que l’on fait ensuite du décorticage de nos neurones… si l’IRM dite fonctionnelle permettait vraiment d’explorer en finesse la tuyauterie cérébrale, ce qui est loin d’être le cas. On rappellera une étude américaine savoureuse, parue en 2010, au cours de laquelle était examinée la cervelle d’un saumon mort glissé dans une machine à IRM : les chercheurs eurent la surprise de constater que des zones « s’allumaient » encore dans la tête de la défunte bête. Cela ne montrait pas que l’expérience l’avait ressuscitée mais que le protocole standard employé se révélait incapable d’éliminer les résultats faussement positifs. p Là d’où venaient les ondes gravitationnelles Difficile de dire avec précision d’où venaient les ondes gravitationnelles détectées le 14 septembre 2015 par les instruments des observatoires américains LIGO. Le signal correspondait bien à la signature prédite de la fusion de deux trous noirs, et on pouvait en déduire mathématiquement la distance parcourue par les rides de l’espace-temps engendrées par cette collision, située à 1,3 milliard d’années-lumière. Le décalage de 7 millisecondes entre la détection par le site de Hanford (Etat de Washington) et celui de Livingston (Louisiane), distants de 3 000 km, a donné une indication sur la partie du ciel austral d’où provenaient ces ondes. Les chercheurs évaluent à 90 % les chances pour que l’origine du phénomène se soit trouvée à l’intérieur de la zone délimitée par la ligne pourpre, et à 10 % dans la zone délimitée par la ligne jaune. Il faudra attendre fin 2016 la mise en service près de Pise du détecteur franco-italien Virgo pour effectuer des triangulations plus précises lors de futures détections. p LIGO affaire de logique RENDEZ-VOUS | SCIENCE & MÉDECINE | Vincent Demassiet, le 2 février, à Tourcoing (Nord). OLIVIER TOURON/DIVERGENCE 0123 Mercredi 17 février 2016 |7 Le cheval, ami de l’homme… qui lui sourit zoologie nathaniel herzberg F Vincent Demassiet, « entendeur de voix » | Etiqueté schizophrène car hanté par des voix, ce patient a pu mettre son expertise au service de l’institution psychiatrique portrait catherine mary V incent Demassiet entend des voix. « T’es nul, t’es un minable », lui disaient-elles naguère. Et il les croyait. Il les croyait car il les entendait vraiment, comme si elles étaient celles de personnes réelles. Parfois même, elles lui donnaient des ordres et lui prédisaient le pire s’il ne les exécutait pas. Par exemple, la mort de ses parents. Aux yeux des psychiatres, Vincent Demassiet était schizophrène et ses voix le rendaient dangereux. Pour lui et pour les autres. Il fallait donc les éradiquer. Et pour cela, un seul moyen, les neuroleptiques, prescrits à des doses croissantes, atteignant sept fois celle préconisée par l’autorisation de mise sur le marché. « J’avais la tête qui penchait, je pesais 204 kg, et un filet de bave coulait de mon menton », raconte-t-il face à la vingtaine de personnes, captives et graves, venues l’écouter dans la petite salle de l’espace Khiasma, aux Lilas (Seine-SaintDenis). Son élocution est parfois hachée, puis les mots se bousculent, comme précipités par l’urgence de dire. Invité par Dingdingdong, collectif de production de savoirs sur la maladie de Huntington qui s’appuie sur l’expertise des patients pour inventer de nouvelles manières de vivre avec la maladie, il témoigne, en tant que président du Réseau français sur l’entente de voix (REV). « Cela provoque un effet de soulagement absolu quand un entendeur rencontre un autre entendeur sans la stigmatisation de la psychiatrie », se souvient-il, évoquant sa rencontre avec le groupe du REV. « C’est un témoignage puissant, qui illustre ce qui peut se produire lorsque la rencontre entre le psychiatre et son patient ne se fait pas. Vincent a le courage de s’exposer et c’est important », commente à son tour la psychologue Magali Molinié, secrétaire du REV, qui intervient ce soir-là à ses côtés. « Vincent Demassiet a vécu quelque chose d’extrême. Dans son cas, il a dû y avoir un effet miroir, et tout le monde a eu peur que les voix le poussent à agir dangereusement », ajoute le psychiatre Erwan Le Duigou, de l’unité de psychologie médicale de Lunéville (Meurthe-et-Moselle), qui a accompagné la mise en place d’un groupe d’entendeurs de voix. « Son parcours est exemplaire d’une trajectoire remarquable en psychiatrie. Vincent Demassiet a été au-delà de la stigmatisation et de la codification des maladies », complète le psychiatre et psychanalyste Patrick Landman. Tout commence par une série de viols qu’il subit pendant deux ans à l’adolescence, par un jeune homme, seul d’abord, puis collectivement. Vincent Demassiet a 11 ans et vit dans la métropole lilloise. A la maison, c’est son père, un commerçant flamand catholique, qui commande. Avec lui, il faut se montrer toujours fort. Chaque mercredi, Vincent Demassiet est confié à « la bonne dame du cathé ». Celle-ci a un fils, auprès duquel il trouve, dans un premier temps, l’attention qui lui manque. « J’ai vu un jeune adulte qui prenait du temps pour s’occuper de moi », confie-t-il. Jusqu’à ce que l’ami se transforme en bourreau, « des attouchements d’abord, puis des viols avec pénétration ». Pour supporter, Vincent Demassiet se raccroche à des détails du décor restés gravés dans sa mémoire, les défauts de la reliure d’un livre en cuir, les brins du nid d’un oiseau dans l’arbre vu par la fenêtre, un stylo rapporté d’un voyage au Royaume-Uni. Il ne parle pas, craignant la réaction de son père, « parce que c’était ma représentation des choses, et aussi mon éducation ». Il apprend à identifier ses voix d’après leur sexe, leur tonalité, leurs habitudes. Et commence alors à leur fixer des règles Son corps, cependant, ne le laisse pas tranquille. Il a des crises de spasmophilie, associées à l’image d’un oiseau tombant d’un nid et suivies d’un évanouissement. Son père l’emmène alors chez un exorciste qui détecte en lui un démon sexuel. Une cérémonie a lieu, et sans que Vincent Demassiet se l’explique encore, les crises disparaissent. Il grandit avec son fardeau jusqu’à ce jour où, à l’âge de 17 ans, il s’apprête à avoir pour la première fois une expérience sexuelle consentie. Alors, une voix se met l’insulter, il croit que c’est celle de l’ami désiré. Il rentre chez lui, fait sa première tentative de suicide, est hospitalisé pour dépression. Puis il poursuit ses études et débute dans le milieu de la publicité. Il est doué, gravit les échelons dans une agence renommée, se lance à corps perdu dans une vie mondaine et débridée. Pour tenir le coup, il consomme de la cocaïne, devient dépendant du sexe. « Je croyais être heureux, j’étais un bouffeur d’affaires et de pognon, et j’essayais tout ce qui peut se faire en matière de sexe, résume-t-il. C’est parce que je ne vivais pas d’émotions que je pouvais être un requin. » Un jour pourtant, il tombe amoureux ; et les voix entendues à 17 ans reviennent. Il n’en parle pas mais consulte un psychiatre qui le soigne pour une dépression. Un jour, n’y tenant plus, il avoue entendre des voix, et son psychiatre se met à lui prescrire des neuroleptiques sans l’informer du nouveau diagnostic qu’il pose, la schizophrénie. Jusqu’à ce que Vincent Demassiet le questionne, lors d’un rendez-vous où son ami l’accompagnait. « Il s’est tourné vers mon ami comme si je n’étais pas là et lui a dit : “Vincent est schizophrène” », se souvient-il, accusant encore le coup. Les voix se font rétives et les doses de neuroleptiques augmentent, comme leurs effets secondaires, inhibition des émotions et de la satiété, impuissance. Vincent Demassiet grossit, s’avachit, multiplie les séjours en hôpital psychiatrique. A sa demande d’abord, puis à celle d’un tiers, et enfin d’office, lorsqu’il lui arrive de se retrouver égaré à des kilomètres de chez lui. L’image qu’il a de lui-même se dégrade. Ne se supportant plus, il pousse son ami à le quitter, envisage le suicide, s’achète un pistolet et s’entraîne à tirer sur une citrouille, « pour ne pas [se] manquer ». Mais son projet n’aboutira pas. Entre-temps, il est informé de l’existence d’un groupe d’entendeurs de voix qui se tient à Lille, dans le centre collaborateur de l’Organisation mondiale de la santé. Il s’y rend malgré son poids, qui le handicape lors de tout déplacement. A son arrivée dans le groupe, on l’accueille en lui offrant une tasse de café, une marque de considération qui le surprend. Il s’installe sur une chaise pour somnoler quand un des membres du groupe l’interpelle : « Toi tu n’es pas schizophrène. Tu es Vincent et tu es entendeur de voix. » Vincent Demassiet tend l’oreille, s’étonnant qu’on ne l’appelle pas « le schizo », comme il en a pris l’habitude. Il reviendra ensuite au centre, y trouve de l’aide. Comme cette fois où les entendeurs lui suggèrent de s’équiper d’un portable pour se libérer de l’angoisse d’être remarqué en train de crier durant le trajet jusqu’au lieu où se tient la réunion. « Si tu cries dans le téléphone, les gens ne te regarderont pas de la même manière. » Il apprend à profiler ses voix en les identifiant d’après leur sexe, leur tonalité, leurs habitudes. Il commence alors à leur fixer des règles, les réprimander, les apprivoiser. Il comprend qu’elles surviennent à chaque fois qu’il tombe amoureux. Il se rappelle en effet s’être senti aimé par son violeur, et réalise que les émotions liées au désir sexuel réveillaient son traumatisme. Petit à petit, il reprend le contrôle de sa vie et, en accord avec son psychiatre, diminue les doses de neuroleptiques jusqu’à pouvoir s’en passer. De patient, il est devenu expert au sein de l’institution psychiatrique et aide à son tour les entendeurs de voix. A présent, affirme-t-il, ses voix sont devenues sa force. Elles l’avertissent quand une émotion trop violente surgit et l’aident à gérer le stress. « Elles sont devenues un outil formidable pour moi. Je suis quelqu’un de plus heureux maintenant, et cela, c’est grâce à mes voix », conclut-il. p aites le test autour de vous. « Quel est le meilleur ami de l’homme ? » Lors de la rédaction de cet article, la majorité des personnes interrogées ont répondu « le chien ». Dans la vie courante et le dictionnaire, l’expression désigne toutefois aussi le cheval. Une équipe de l’université du Sussex (Royaume-Uni) publie, dans les Biology Letters, un article plaçant cette noble conquête au niveau du canidé : l’étude montre en effet que les chevaux distinguent, sur le visage d’un être humain, les expressions de colère ou de joie, privilège qu’on pensait réservé au chien. Discerner les signaux positifs ou négatifs à travers la barrière des espèces n’est pas en soi exceptionnel. La menace d’un coup ou la course agressive en direction d’un animal sont des stimuli corporels que bien des animaux reconnaissent. Quant aux expressions faciales, elles peuvent être là encore reconnues par plusieurs espèces – qui auraient été préalablement entraînées. Mais opérer cette distinction spontanément, et sans connaître le sujet présenté, est autrement exceptionnel. Pour le caractériser chez les chevaux, les scientifiques britanniques ont utilisé trois indicateurs. Le premier est la latéralisation : plusieurs études ont en effet montré que les animaux privilégient l’œil gauche pour observer les stimuli négatifs, et ce afin de traiter ces informations inquiétantes avec l’hémisphère cérébral droit. Le deuxième est l’évitement. Et le troisième, le rythme cardiaque, qui s’accélère face à la menace. Le cheval privilégie l’œil gauche pour examiner les stimuli négatifs. FRÉDÉRIC DECANTE/BIOSPHOTO Vingt-huit chevaux, provenant de cinq élevages différents, se sont donc vu présenter les photos agrandies d’un visage humain, soit souriant, soit grimaçant. Face à l’individu montrant les dents, les canassons ont clairement tourné la tête vers la droite pour observer la scène de l’œil gauche. Puis ils ont détourné le regard, comme pour fuir. Quant à leur rythme cardiaque, il a rapidement augmenté. Cette dernière réaction apparaît particulièrement précieuse à l’équipe anglaise. Car si le choix de l’œil gauche en pareille situation avait déjà été décrit chez le chien, l’accélération des palpitations, elle, n’avait encore été mise en évidence sur aucune espèce. L’observation des visages avenants a été moins convaincante, relève l’étude. La latéralisation du regard (côté droit, donc) n’est pas clairement établie ; pas davantage la volonté manifeste de rapprochement. « Peut-être parce qu’il est particulièrement important pour les animaux de reconnaître les menaces qui se présentent à eux, souligne Amy Smith, doctorante au groupe de recherche sur la communication et la cognition des mammifères à l’université du Sussex, et première signatrice de l’article. Un visage agressif peut servir d’alerte aux chevaux, leur permettre d’anticiper un futur comportement violent. » Ce constat invite les chercheurs à tenter de comprendre l’origine d’un tel caractère chez le cheval. Première hypothèse : l’animal a profité d’une compétence ancestrale à lire les expressions de ses congénères, l’adaptant aux émotions humaines au cours de la coévolution des deux espèces. On peut aussi supposer que les chevaux apprennent à lire les traits des visages humains au cours de leur vie. Chez les chiens, il a été constaté que l’animal répond mieux devant le visage de son maître, ou devant une personne du même sexe que son propriétaire. Cette importance de la familiarité « plaide pour un rôle non négligeable de l’expérience personnelle dans le développement de cette compétence », écrivent les scientifiques. Elle devra être vérifiée chez le cheval pour mieux comprendre la nature de cette fameuse amitié : innée ou acquise ? Encore une vieille question. p 8| 0123 Mercredi 17 février 2016 | SCIENCE & MÉDECINE | Une pince souple pour saisir des objets fragiles Petite mais costaude. Cette pince développée par l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (Suisse) pèse 1,5 g seulement mais peut porter jusqu’à 80 fois sa masse. Que ce soit un tube de Téflon de 81 g, une feuille de papier de moins de 1 g, un œuf de 70 g (sans le casser) ou un ballon de 35 g plein d’eau. Sa force est également sa souplesse, puisqu’elle semble s’adapter aux objets qu’elle doit tenir. Jusqu’à présent, de telles mains artificielles étaient plus complexes, avec des activations pneumatiques, des matériaux à mémoire de forme, des « mains » pleines de billes et d’air, des fluides à la viscosité variable en fonction d’un courant électrique… En outre, elles sont souvent programmées pour des formes bien précises. Le secret de cette pince est double : activation électrique et adhésion électrostatique. La première technique n’est pas nouvelle, elle consiste à détendre un élastique à l’aide d’une tension électrique en moins de 100 millisecondes. Mais « les forces supplémentaires qu’elle peut induire sont généralement ignorées et n’avaient jamais été utilisées », estiment les chercheurs dans leur article paru dans Advanced Materials. Cette pince légère et adaptable peut trouver des applications dans des procédés industriels en agroalimentaire ou pharmacie, ou sur des robots volants. p david larousserie L’activation Une couche d’élastomère pré-étiré est coincée entre deux électrodes. L’ensemble est pris en sandwich entre deux couches isolantes. Lorsque le courant passe, des charges électriques opposées sur les électrodes « pincent » l’élastique, qui se détend et revient à sa position non étirée, fermant la pince. Pince électrostatique 3 Sous tension 1 Elévation 2 Hors tension Support mobile Ventouse électrostatique L’adhésion Objet à déplacer Isolant Electrode Les charges électriques des électrodes créent d’autres charges en surface des objets, même isolants (diélectriques). Une force électrostatique s’exerce donc entre la pince et l’objet, comme un ballon de baudruche frotté sur un chiffon, qui adhère ensuite à un mur. Les chercheurs ont optimisé le dessin de leurs électrodes, en forme de créneaux, pour augmenter ces forces électrostatiques. Membrane élastomère pré-étirée Pince électrostatique Electrode Force d’adhésion totale Isolant Objet à déplacer 114 mm INFOGRAPHIE : HENRI-OLIVIER 47 mm SOURCE : JUN SHINTAKE, ADVANCED MATERIALS, JANVIER 2016 François Carré et Yannick Guillodo, médecins du sport, s’étonnent que le dernier rapport de l’OCDE sur la santé ne prenne pas en compte la sédentarité et l’inactivité physique. Ces paramètres constituant le 4e facteur de risque de mortalité Sédentarité et inactivité physique, des urgences médicales | D ans son « Panorama de la santé 2015 », l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) fait le point sur l’état de santé des populations et sur les déterminants non médicaux de la santé de ses 34 pays membres. Les Français vivent plus vieux que la moyenne des habitants des pays riches : 82,3 ans en moyenne contre 80,5 ans dans les autres pays. L’espérance de vie à la naissance a augmenté de trois à quatre mois par an depuis 1970, soit une majoration d’environ dix ans. L’OCDE cite comme principales raisons de cette évolution favorable un mode de vie plus sain, une meilleure éducation et une amélioration des soins de santé. Néanmoins, le rapport souligne que chaque pays présente de mauvais résultats pour un ou plusieurs facteurs de risque pour la santé. En France, le tabagisme et l’alcoolisme (en 30e position pour ces deux indicateurs) sont pointés. Arrêtons-nous sur ces facteurs de risque cités par l’OCDE. L’organisme tient compte du tabagisme, de la consommation d’alcool, de l’obésité chez les adultes et du surpoids et de l’obésité chez les enfants. Il ajoute, dans les déterminants non médicaux de santé, la consommation de fruits et légumes chez l’adulte. Curieusement, la sédentarité et l’inactivité physique n’apparaissent pas en première ligne de ces facteurs de risque modifiables pour la santé des sujets. Cela est très surprenant ! D’autant que les effets de ces deux facteurs sont considérés par l’OMS comme le 4e facteur de risque de mortalité du monde, responsable de plus de 3 millions de morts par an, à égalité avec le tabac et avant l’obésité. Ne pas parler de ces deux facteurs interpelle d’autant plus que l’OCDE insiste sur les maladies cardio-vasculaires, qui restent, malgré un recul récent, la première cause de mortalité mondiale. Surtout que le rapport ajoute qu’il est probable que cette amélioration ne se maintiendra probablement pas en raison des méfaits de l’obésité et du diabète, deux facteurs de risque qui augmentent dramatiquement. Sédentarité et inactivité physique ne sont toujours pas mentionnées ! Elles figurent uniquement dans le chapitre « cancer ». L’OCDE souligne l’importance pour les pays d’accorder la priorité à la promotion de la santé et à la prévention des maladies afin de réduire les facteurs de risque modifiables et la mortalité. Alors, pourquoi l’OCDE n’attache-t-elle pas plus d’importance, dans son analyse, aux méfaits de l’inactivité physique et de la sédentarité ? L’homme moderne descend des chasseurscueilleurs, et son potentiel génétique n’a pratique- tribune | ment pas changé depuis les sociétés paléolithiques. En d’autres termes, l’homme reste programmé génétiquement pour se tenir debout et bouger. Mais si le génome de l’être humain n’a pas changé, son environnement a été bouleversé en peu de temps. L’activité physique quotidienne a ainsi progressivement diminué, d’année en année. Cette baisse d’activité s’est accélérée dans les années 1970 pour devenir vertigineuse dans les quinze dernières années avec l’apparition du numérique. Insidieusement, l’homme s’est ainsi laissé imposer un environnement totalement désadapté à son potentiel génétique. Cette désadaptation s’annonce comme désastreuse malgré les données rassurantes produites par l’OCDE sur l’espérance de vie. En effet, les personnes incluses dans les statistiques présentées sont les parents ou les grands-parents (nés en 1930-1940) des trentenaires et quadragénaires « Rien ne permet d’affirmer que l’espérance de vie des plus jeunes, notamment en bonne santé, sera la même que celle de leurs parents » (nés en 1970-1980) actuels. Ces « survivants » actuels n’ont pas eu à subir, dans leur jeune âge, les méfaits sanitaires de la sédentarité et de l’inactivité physique auxquels leur descendance est confrontée. Rien ne permet donc d’affirmer que l’espérance de vie, notamment en bonne santé, des plus jeunes sera la même que celle de leurs parents. Pourquoi différencions-nous sédentarité et inactivité physique ? Ces deux termes, souvent employés à tort comme synonymes, sont deux facteurs de risque modifiables avec un impact indépendant sur la santé. Une activité physique peut se définir comme un effort physique qui augmente la dépense énergétique par rapport au repos. L’inactivité physique se définit par une quantité insuffisante d’activité physique, quotidienne ou hebdomadaire, pour la santé. Deux mesures sont classiquement retenues pour définir l’inactivité : moins de trente minutes d’activité physique modérée par jour, ou moins de 10 000 pas quotidiens. La sédentarité se définit comme un état d’éveil associé à une dépense énergétique très faible. Le niveau de sédentarité journalier correspond donc aux temps cumulés assis devant un ordinateur, à regar- der la télévision… Le temps journalier de sédentarité devient délétère pour la santé lorsqu’il dépasse régulièrement sept heures. Sédentarité et inactivité physique sont donc deux facteurs de risque différents ; on peut être actif (par exemple marcher plus de trente minutes tous les jours) et sédentaire (plus de sept heures quotidiennes de position assise). Pendant longtemps, seuls les méfaits de l’inactivité physique ont été soulignés. Depuis les années 1990, les méfaits indépendants de la sédentarité ont été prouvés. Aujourd’hui, les preuves scientifiques des méfaits sanitaires de la sédentarité et de l’inactivité physique sont accablantes. Ainsi, choisir d’avoir un mode de vie sédentaire ou inactif, c’est augmenter son risque d’infarctus du myocarde, d’accident vasculaire cérébral et de certains cancers, de diabète et d’hypertension artérielle. Les mécanismes qui favorisent le développement de ces pathologies sont aussi bien expliqués. En bref, il s’agit d’une augmentation des niveaux d’inflammation et de stress oxydant qui « encrassent » l’organisme. Alors pourquoi l’OCDE n’attache-t-elle pas plus d’importance à l’inactivité physique et à la sédentarité ? Très certainement par la difficulté classique de la mesure de ces paramètres, ce qui peut en rendre aléatoire l’analyse à grande échelle. En effet, l’activité physique d’un sujet était, encore récemment, estimée par un questionnaire déclaratif. La subjectivité de cet outil a été prouvée par sa comparaison avec les données objectives des accéléromètres, accessibles sur le moindre smartphone. Les données sur le niveau de sédentarité sont encore insuffisantes pour que l’OCDE puisse incorporer ce facteur de risque dans ses analyses. Là encore, de récentes applications sur smartphone permettent de mesurer le temps quotidien de sédentarité. L’utilisation du smartphone, nouvel allié de la santé, devrait permettre une santé du futur plus personnalisée et plus préventive. Il devrait donc être possible pour les médecins de travailler sur ces deux facteurs de risque modifiables, sédentarité et inactivité physique. Il y a là une urgence médicale car, à l’échelle française, selon une étude de 2015, 78 % des personnes âgées de 18 à 64 ans n’effectuent pas les 10 000 pas quotidiens nécessaires à leur santé. Les temps de sédentarité, probablement tout aussi catastrophiques, ne sont pas mesurés dans cette étude. L’ensemble du monde de la santé doit informer le public sur les conséquences néfastes de ces facteurs de risque mais également lancer et financer toutes recherches et solutions de changement face à ce véritable tsunami sociétal. p ¶ Yannick Guillodo, médecin du sport au CHU de Brest, secrétaire scientifique de la Société française de traumatologie du sport, fondateur du programme « Bouge ». François Carré, professeur en physiologie cardiovasculaire au CHU de Rennes, cardiologue et médecin du sport à l’hôpital Pontchaillou de Rennes, cofondateur de l’Observatoire de la sédentarité, auteur de Danger sédentarité (Le Cherche Midi, 2013). Le supplément « Science & médecine » publie chaque semaine une tribune libre ouverte au monde de la recherche. Si vous souhaitez soumettre un texte, prière de l’adresser à sciences@lemonde.fr
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