Dimanche 18 - Lundi 19 janvier 2015 71e année No 21774 2,20 € France métropolitaine www.lemonde.fr ― Fondateur : Hubert BeuveMéry RUSSIE LES CONFESSIONS D’ALEXEÏ NAVALNY SEPT JOURS QUI ONT CHANGÉ LA FRANCE → LIR E PAGE 1 2 ÉCONOMIE CUIVRE, NICKEL, ÉTAIN... LA CHUTE DES MATIÈRES PREMIÈRES → LIR E C A HIE R É CO PAGE 4 NUCLÉAIRE IRANIEN : LE TEMPS PRESSE → LI R E P A G E 24 DÉBATS EST-ON EN GUERRE CONTRE LE TERRORISME ? → Place de la République, à Paris, le 7 janvier. OLIVIER LABAN-MATTEI/MYOP MÉDIAS POUR « LE MONDE » ▶ La douleur, la peur, la ▶ Pendant 48 heures, face mobilisation : depuis l’attentat contre « Charlie Hebdo », le 7 janvier, les Français plongés dans une crise sans précédent au terrorisme, l’Elysée s’est transformé en QG opéra tionnel autour de François Hollande, Manuel Valls et Bernard Cazeneuve ▶ « Je suis Amedy Coulibaly, Malien, musulman ». Dans l’Hyper Cacher, le terro riste a froidement assassiné quatre juifs avant d’être tué. Récit « GOMORRA », EXCEPTIONNELLE SÉRIE NOIRE ▶ Canal+ diffuse l’adaptation du livre de Roberto Saviano TÉLÉVISIONS → LIR E PAGE S 1 8 À 2 1 tions contre les nouvelles caricatures de « Charlie » ont eu lieu au Pakistan, en Algérie et au Niger → LIR E PAGE S 2 À 1 0 La Shoah dans l’œil des Soviétiques “DRÔLE ET CITOYEN” RTL “UNE COMÉDIETÉLÉRAMA À LA KEN LOACH” ★★★ STUDIO CINÉ LIVE → PRIX DU PUBLIC FESTIVAL D’ANGOULÊME ★★★ PREMIERE Un ilm de LOUIS-JULIEN PHOTO : MICHAËL CROTTO © ELEMIAH - ORANGE STUDIO - FRANCE 3 CINEMA 2014 A l’occasion du soixantedixième anniversaire de la libération des camps d’extermination, l’exposi tion qui vient de s’ouvrir au Mé morial de la Shoah est un événe ment inédit : elle rassemble les images, longtemps inaccessibles, ou négligées, des atrocités nazies tournées par les opérateurs de guerre soviétiques. Ceuxci ont été les premiers, souvent les seuls, à découvrir les sites et les traces de l’extermination des juifs, qu’il s’agisse de la Shoah par balles dans l’Est européen ou des camps comme Majdanek ou Auschwitz. Les rushs tournés sur le front constituent un matériau terrible, qui donne à voir, au plus près, l’horreur nue du projet nazi. Mais, audelà de ces images souvent insoutenables, cette re marquable exposition témoigne aussi, en comparant les rushs avec les films qui en ont été tirés, de l’effacement méthodique, par les Soviétiques, de la réalité de la « solution finale ». Pour l’URSS victorieuse, seule devait rester la trace de la barbarie nazie. LIR E C A HIE R É CO PAGE 8 ELEMIAH présente CULTURE Révolte en prison, dans l’épisode 4 de « Gomorra ». EMANUELA SCARPA LES « HACKEURS PRO-ISLAM » CIBLENT LES SITES FRANÇAIS ▶ De violentes manifesta → LIR E PAGE S 1 0 E T 2 4 PETIT avec la participation de OLIVIER BARTHELEMY CORINNE MASIERO PASCAL DEMOLON SARAH SUCO M’BAREK BELKOUK ZABOU BREITMAN AU CINÉMA LE 21 JANVIER LIR E PAGE 1 6 Algérie 180 DA, Allemagne 2,50 €, Andorre 2,40 €, Autriche 2,80 €, Belgique 2,20 €, Cameroun 1 900 F CFA, Canada 4,50 $, Côte d'Ivoire 1 900 F CFA, Danemark 30 KRD, Espagne 2,50 €, Finlande 4 €, Gabon 1 900 F CFA, Grande-Bretagne 1,90 £, Grèce 2,50 €, Guadeloupe-Martinique 2,40 €, Guyane 2,80 €, Hongrie 950 HUF, Irlande 2,50 €, Italie 2,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,20 €, Malte 2,50 €, Maroc 13 DH, Pays-Bas 2,50 €, Portugal cont. 2,50 €, La Réunion 2,40 €, Sénégal 1 900 F CFA, Slovénie 2,50 €, Saint-Martin 2,80 €, Suisse 3,50 CHF, TOM Avion 450 XPF, Tunisie 2,50 DT, Turquie 9 TL, Afrique CFA autres 1 900 F CFA 2 | les attentats en france 0123 DIMANCHE 18 - LUNDI 19 JANVIER 2015 François Hollande, accompagné notamment de Bernard Cazeneuve, s’est immédiatement rendu sur place après avoir appris l’attentat contre « Charlie Hebdo », mercredi 7 janvier. MARC CHAUMEIL/DIVERGENCE POUR « LE MONDE » E tonnant paradoxe : hormis son ami de trente ans, le secrétaire gé néral JeanPierre Jouyet, et sa chef de cabinet, Isabelle Sima, collaboratrice historique, « dans cette épreuve, la plus difficile de sa vie politique et de son quinquennat, le président n’a été entouré que de conseillers qui n’étaient pour la plupart là que depuis quelques mois », glisse l’un d’eux. Le nouveau di recteur de cabinet de François Hollande, Thierry Lataste, était même arrivé à l’Elysée… quarante-huit heures plus tôt. Mais, dans la crise, « un groupe s’est formé », poursuit ce collaborateur. De même que s’est renforcée, au sommet de l’exécutif, la solidité du trio Hollande-Valls-Cazeneuve. En quarantehuit heures chrono, ou presque. 48 heures chrono De mercredi 7 à vendredi 9 janvier, le président de la République, le premier ministre et le ministre de l’intérieur ont affronté un drame d’une violence rare. Heure par heure, ils ont piloté l’action des forces de l’ordre, jusqu’au dénouement à l’issue duquel les liens entre ces trois hommes se sont resserrés MERCREDI 7 JANVIER - « ILS SONT TOUS MORTS. VIENS ! » C’est l’urgentiste Patrick Pelloux qui, le premier, a informé François Hollande de la fusillade à Charlie Hebdo. « J’arrive tout de suite », répond le président, qui file sur les lieux du crime. Boulevard Richard-Lenoir, les cordons de police bloquent la voiture présidentielle. M. Hollande continue à pied vers les locaux de Charlie Hebdo, entouré par ses officiers de sécurité, « dans une atmosphère de guerre », selon un témoin. Dans l’une des rues qu’il emprunte, où les frères Kouachi ont mitraillé la police, des douilles d’AK47 jonchent le sol. Sur place, le chef de l’Etat est briefé par le patron du SAMU. M. Hollande ne dit mot, mais décide immédiatement d’intervenir à la télévision. « Rien n’est préparé. Ce sont ses mots à lui », raconte un proche. « Mon obsession, à ce moment, c’est qu’on les identifie », raconte Bernard Cazeneuve, le ministre de l’intérieur, qui dans le même temps déploie des policiers devant les locaux de l’ensemble des médias. Le président rentre déjeuner avec son équipe à l’Elysée. « Il sait qu’à partir du moment où il y est allé, c’est lui qui est en première ligne », dit un participant. Un peu plus tard, première réunion ministérielle de crise d’une longue série, dans le salon vert qui jouxte le bureau présidentiel. L’atmosphère est lourde. La piste djihadiste ne fait plus de doute : la carte d’identité de Saïd Kouachi a été retrouvée dans la voiture, faisant gagner de précieuses heures aux enquêteurs. « La priorité est de les capturer le plus vite possible », raconte Manuel Valls. Le plan Vigipirate est renforcé, une cellule de crise installée à Beauvau. Le trio Hollande-Valls-Cazeneuve s’installe aux commandes. « C’est là que se constitue cette unicité de commandement qui durera jusqu’au dénouement », poursuit le premier ministre. Mais, au-delà de l’urgence antiterroriste, l’exécutif a saisi l’ampleur du traumatisme : « Nous comprenons que c’est un choc pour la France », explique M. Valls. La réplique ne passe pas uniquement par la répression, mais aussi par la compassion et la communication. Il est 16 heures quand François Hollande arrive à l’Hôtel-Dieu. Il y croise les médecins qui étaient sur place, les proches des victimes et ceux qui ont réchappé de l’atten- tat. Premier message du président : « Il faut se battre. Ils ne sont pas morts pour rien. » Les proches de Charlie s’interrogent : faut-il faire un journal la semaine prochaine ? Le chef de l’Etat est catégorique : « Oui, vous allez faire un journal. Bien sûr. On vous aidera. » Le soir, après son allocution télévisée, le président dîne dans son bureau avec son staff autour de la table que, depuis le début de la crise, ses conseillers appellent le « bureau ovale ». La question est désormais politique : comment recevoir les partis ? « Ce qui s’impose, c’est de maintenir cet esprit d’unité nationale », estime le chef de l’Etat, qui n’hésite pas une seconde à recevoir aussi Marine Le Pen. Et qui, surtout, entend traiter avec le plus grand soin Nicolas Sarkozy. C’est Thierry Lataste, camarade de promotion de Michel Gaudin, directeur de cabinet de M. Sarkozy, qui fait le lien. Après Merkel et Cameron, Obama et enfin Poutine, François Hollande compose luimême le numéro de son prédécesseur et adversaire : « Tu fais comme tu veux, mais je te propose de te recevoir en premier, lui dit Hollande. Dans le format que tu veux. » VENDREDI 9 JANVIER - « L’ADN A MATCHÉ ! » Tard dans la nuit de jeudi à vendredi, pendant laquelle ni Valls ni Cazeneuve n’ont dormi, l’info a retenti dans le fumoir, au rez-dechaussée de la place Beauvau, où tous les services se coordonnent 24 heures sur 24. L’identité de l’auteur du meurtre de la policière municipale, Amedy Coulibaly, vient d’être confirmée. Le puzzle se reconstitue. Contrairement à ce qui a pu être indiqué, la DGSE et la DGSI n’ignorent rien du parcours yéménite des frères Kouachi. Vendredi matin, au terme de trente-six heures de traque, le filet se resserre autour des Kouachi, cernés dans l’imprimerie de Dammartin-en-Goële (Seine-et-Marne) par le GIGN. « On les a », jubile M. Cazeneuve. Le chef de l’Etat s’apprête à s’attabler avec son équipe dans le salon des portraits de l’Elysée lorsque, à 12 h 45, M. Cazeneuve l’appelle pour l’informer de l’attaque dans l’Hyper Cacher, avec nombre d’otages et d’ores et déjà plusieurs morts probables. « Je comprends AU-DELÀ DE L’URGENCE ANTITERRORISTE, L’EXÉCUTIF A SAISI L’AMPLEUR DU TRAUMATISME : « NOUS COMPRENONS QUE C’EST UN CHOC POUR LA FRANCE », EXPLIQUE M. VALLS tout de suite que c’est Coulibaly », explique M. Cazeneuve. Le patron de Beauvau, revenu de la porte de Vincennes, informe le président, le premier ministre et la garde des sceaux, Christiane Taubira. Tout l’après-midi, le quatuor pilote l’opération depuis le bureau présidentiel. « Vous savez que tout ce qu’on se dit là sera un jour dans un procès-verbal », lâche M. Valls, qui a pu consulter, place Beauvau, le rapport d’enquête sur l’affaire Merah. Le chef de l’Etat, vers 16 heures, a tranché : « Il va falloir y aller vite. De façon concomitante. » Cela afin d’éviter que Coulibaly ne soit au courant de l’opération de Dammartin. « Le type est déterminé, il a déjà tué plusieurs personnes, il y a peut-être des blessés en train d’agoniser. Et, en plus, il demande la publication de bandeaux sur BFM et déroule un plan de com. Il n’allait pas se rendre. Ça a achevé de convaincre le président », confie un proche. La sortie, kalachnikov au poing, des frères Kouachi à Dammartin, va précipiter l’assaut porte de Vincennes. Le staff présidentiel suit de près les chaînes d’info en continu, redoutant que la charge des policiers ne soit diffusée en direct, alertant Amedy Coulibaly. Mais, quand BFM-TV diffuse les images de Dammartin, les frères Kouachi sont déjà morts et l’assaut de l’Hyper Cacher a commencé. Au téléphone, Bernard Petit, patron de la police judiciaire de la préfecture de police de Paris (PJPP), informe M. Cazeneuve : Amedy Coulibaly est « neutralisé », les dix-sept otages restés en vie sont libres. C’est la première fois, depuis quarante-huit heures, que le président a souri. « Là, il y a eu un immense soulagement. Une émotion considérable », indique M. Cazeneuve, qui tombe dans les bras de Hollande, Valls et Taubira. Après son allocution télévisée devant 17 millions de personnes, le président dîne avec son staff pour préparer, déjà, la manifestation de dimanche. M. Cazeneuve résume le problème : « Mettre en quarante-huit heures 50 chefs d’Etat au milieu de millions de personnes dans un contexte de crise terroriste, je ne sais pas si vous imaginez… » Le président, lui, a déjà son idée : les victimes doivent défiler en tête, devant les chefs d’Etat. Il lâche son deuxième sourire quand il apprend que ces derniers seront convoyés en autobus. DIMANCHE 11 JANVIER - « PARIS EST LA CAPITALE DU MONDE ! » Face à son gouvernement réuni à l’Elysée, le président galvanise ses ministres, comme « un coach avant un match », rapporte un participant. Avant de passer près de deux heures sur le perron à accueillir ses pairs. Ceux-ci l’auront peu vu sous les ors de la salle des Fêtes, hormis ce slalom remarqué entre les dirigeants internationaux pour aller chercher la chancelière et le président ukrainien, conduits par le bras présidentiel dans un salon du rez-de-chaussée, afin d’y évoquer la crise en Ukraine. On l’a en revanche beaucoup regardé au centre du défilé du « monde libre », expliquant à Angela Merkel comment on manifeste en France, faisant remonter Benyamin Nétanyahou au premier rang, comme Mahmoud Abbas, réglant le pas de marche. Cependant, le président n’a pas voulu s’exprimer. « Aucun mot ne sera aussi fort que les images et les gestes », a-t-il expliqué. Comme cette accolade à Patrick Pelloux, en tête du défilé : « Quand j’ai pris Pelloux dans mes bras, je voulais qu’il sente que toute la France avait envie de le consoler », a confié M. Hollande. Les deux jours qui suivent seront surtout consacrés aux victimes. Mardi 13 au soir, après le discours de Manuel Valls à l’Assemblée, François Hollande, d’ordinaire avare en compliments, commente : « Il a été parfait, il a été exceptionnel. » Soucieux d’ériger en dynamique politique cet « esprit du 11 janvier », le président l’a martelé mercredi en conseil des ministres : « Les Français attendent de nous que nous soyons à la hauteur et que nous restions mobilisés. » Sans couacs et avec sang-froid. « Pendant ces trois jours, notre relation a été remarquable, à la fois très précise et très forte. Au moment de l’assaut, on a vécu un grand moment de fusion », dit M. Valls. « Un très grand calme, une très grande confiance, une très grande concentration et aussi de la fraternité. Là, nous sommes des amis. Et ça se voit », résume M. Cazeneuve. p david revault d’allonnes france | 3 0123 DIMANCHE 18 - LUNDI 19 JANVIER 2015 Manuel Valls à l’épreuve du « regain de confiance » En déplacement à Quimper, le premier ministre a défendu la poursuite de sa politique économique quimper - envoyé spécial D epuis les attentats, nous avons changé d’époque. » Dans l’avion qui le conduit vendredi 16 janvier à Quimper, où il doit inaugurer une nouvelle usine du groupe Bolloré, Manuel Valls se fait catégorique. Moins d’une semaine après les tueries des 7, 8 et 9 janvier qui ont ensanglanté le pays et fait dix-sept victimes, le premier ministre explique au Monde que « la violence des attaques, les symboles visés – un journal, des policiers et un commerce juif – nous ont fait entrer dans une nouvelle époque et [que] chaque Français en est désormais conscient ». Surtout, « la menace demeure », précise-t-il, alors que la veille une opération antiterroriste dans l’est de la Belgique a fait deux morts parmi des djihadistes présumés et que, le matin même, un vaste coup de filet a eu lieu en région parisienne, se soldant par l’interpellation d’une dizaine de personnes soupçonnées d’avoir été en lien de près ou de loin avec les frères Kouachi ou Amedy Coulibaly. Depuis sa nomination à Matignon le 31 mars 2014, M. Valls a sans cesse mis en garde contre la « menace terroriste » qui n’avait « jamais été aussi forte ». Les événements de la semaine dernière lui ont, hélas ! donné raison. « Les Français ont compris que ce n’était pas que des mots et que la République n’est pas quelque chose qui va forcément de soi, mais que certains veulent réellement la mettre à bas », confie-t-il. Cette prise de conscience civique et républi- Les Français sont toujours préoccupés par le niveau du chômage et par la dette MANUEL VALLS premier ministre caine, matérialisée par les « marches » historiques du 11 janvier, « engage » tous les responsables politiques, rappelle le chef du gouvernement, trois jours après son discours applaudi par toute l’Assemblée nationale. « Le 11 janvier, les Français nous ont confié un mandat : être à la hauteur de la situation », expliquet-il. Même s’il sait que « le débat politique va finir par reprendre, et c’est normal », le premier ministre espère que les tensions avec l’opposition, comme les divisions au sein de la majorité, qui ont miné les deux premières années du quinquennat, ne vont pas renaître une fois l’émotion retombée. « L’unité nationale, cela ne signifie pas l’uniformité, on peut bien sûr continuer à critiquer, mais en se mettant à la hauteur des Français », prévient-il. Exceptionnel Manuel Valls souhaite profiter de ce « moment exceptionnel » pour écrire une nouvelle page politique : « Les Français, qui étaient jusqu’à présent méfiants vis-à-vis de leurs responsables, ont trouvé que 104 procédures en cours Christiane Taubira a annoncé vendredi 16 janvier aux 167 délégués du parquet chargés de l’antiterrorisme - relais en région des procédures toutes centralisées à Paris - une série de mesures d’ajustement, bien que la France dispose d’un « arsenal législatif suffisant ». Elle a indiqué que 104 procédures étaient en cours « pour des actes contre les lieux de cultes, des tracts anti-musulmans, des actes contre les forces de l’ordre. Il y a eu également des cyberattaques contre des collectivités et des faits d’apologie du terrorisme ». Ces dossiers concernent 126 individus, dont 81 ont été placés en détention provisoire, 35 sous contrôle judiciaire, et deux procédures sont gérées conjointement avec l’Espagne et la Belgique. Manuel Valls lors de l’inauguration de l’usine Bluetram, vendredi 16 janvier, à Quimper. BÉATRICE LE GRAND / PHOTOPQR/OUEST FRANCE. nous avons été dignes. Combien de temps cela va-t-il durer ? Cela dépend de chacun d’entre nous. Il ne faut pas laisser passer cette occasion historique que la confiance se reconstruise durablement entre les Français et les politiques », explique-t-il. Un appel lancé aussi bien aux « frondeurs » socialistes, alors que doit débuter dans les prochaines semaines l’examen parlementaire de la loi Macron, qu’aux partenaires sociaux engagés dans une négociation difficile. S’il dit vouloir éviter de « donner le sentiment de manipuler » l’esprit du 11 janvier à des fins politiques, Manuel Valls entend bien profiter de ce regain ponctuel de confiance dans l’opinion pour agir sur d’autres terrains que le seul terrain sécuritaire. A commencer par le terrain économique. L’exécutif veut croire que le sursaut national en réponse aux attentats peut avoir un effet sur l’économie. « Les discours sur la compétitivité nationale, sur le pouvoir du politique, vont avoir désormais une tonalité différente dans le pays », affirme un conseiller ministériel, pour lequel « les marches du 11 janvier ont été un formidable démenti à la rengaine décliniste ». C’est le message que Manuel Valls a voulu faire passer vendredi à Ergué-Gabéric, près de Quimper (Finistère), où il a inauguré la nouvelle usine de construction de tramways 100 % électriques développés par l’industriel Vincent Bolloré. En terre bretonne, il a une nouvelle fois plaidé pour les « atouts économiques de la France » et pour le pacte de responsabilité, ce « grand effort de la nation pour aider les entreprises ». Autant de formules qui peinaient à convaincre il y a encore quelques jours mais qui, cette fois, ont semblé résonner un peu différemment. « La France traverse une épreuve, mais la vie ne s’arrête pas. Soyons fiers de notre pays et de ses réussites. L’après, c’est être aussi capable de nous hisser au niveau du meilleur, de toujours privilégier l’intérêt général, sans retomber dans les querelles subalternes », a déclaré le premier ministre. Mais pas question pour autant de changer de politique économique : la priorité doit rester la réduction des déficits publics, quand bien même la réponse au terrorisme passe par davantage de moyens alloués aux services de renseignement, aux prisons, à l’éducation nationale ou à la politique de la ville. « Nous sommes en guerre contre le terrorisme, mais pas en économie de guerre », nuance M. Valls. « Il n’est pas nécessaire d’utiliser la période que nous traversons pour sortir de nos obligations : les Français sont toujours préoccupés par le niveau du chômage et par la dette », précise-t-il. Le chef du gouvernement a demandé à ses ministres d’être « imaginatifs » pour « mieux répondre » aux fractures sociales dans le pays, sans forcément alourdir le budget national. « Dans l’éducation, par exemple, la réponse est davantage une question de mobilisation de tous les acteurs qu’un problème financier », assuret-il. Surtout, M. Valls prévient que les bonnes solutions prendront du temps, notamment celles liées à l’école ou à la vie dans certains quartiers. « Tout cela est l’affaire d’au moins une génération », estime le premier ministre. p bastien bonnefous Pour Marine Le Pen, immigration et islamisme radical sont liés La présidente du Front national veut rester en marge de l’union nationale contre le terrorisme M arine Le Pen voulait faire entendre sa voix. Entre le discours de Manuel Valls à l’Assemblée nationale mardi 13 janvier et les propositions antiterroristes déjà avancées par l’UMP, le Front national a peiné à trouver sa place au lendemain de la marche républicaine du 11 janvier. A l’occasion d’une conférence de presse tenue vendredi 16 janvier, Mme Le Pen s’est mise en porte-à-faux par rapport à l’union nationale qui, d’après elle, « ne doit pas être le garde-à-vous national, ou pire, un aveuglement national. » Comme en 2012, Mme Le Pen a appelé « à la suspension immédiate des accords de Schengen », ou encore à « la révision du code de la nationalité », remettant en cause « le droit du sol ». Favorable, à l’instar de l’UMP, à « la déchéance de nationalité pour les binationaux », Mme Le Pen cherche à se distinguer du parti de droite qui a proposé de rétablir « le crime d’indignité nationale ». Une « mesure gadget », dit-elle. Nicolas Sarkozy a été la cible de plusieurs attaques de Mme Le Pen, qui a notamment pointé « ses relations incestueuses avec le Qatar, soutien à l’islamisme dans le monde ». Pour afficher sa singula- rité, elle a musclé son discours sur les questions sociétales. Selon elle, il faut mettre en place « un nouveau service national militaire, de deux ou trois mois ». A l’école, qu’elle veut celle de « la discipline, de l’autorité du maître, de la fierté française », elle propose le « rétablissement de l’uniforme ». Elle souhaite également mettre en place des « brigades d’intervention de la gendarmerie pour vider les caves de leurs armes ». Si Mme Le Pen « condamne les actes qui visent les lieux de culte musulman » et considère que « tous nos compatriotes musulmans ne sont pas communautaristes », son analyse de fond reste la même : « Il y a un lien entre l’immigration et le développement de l’islamisme radical sur notre territoire. » Pour elle, les récentes attaques terroristes sont le fait de « racailles qui ont toutes le même profil ». Mais ce n’est pas en termes d’inégalités que raisonne la dirigeante frontiste : « Je ne crois absolument pas qu’il y ait là une dimension économique et sociale », avance-t-elle. Marine Le Pen devait également réagir à certaines déclarations embarrassantes de ses proches. Jeudi 15 janvier, c’est son conseiller pour les questions internationales, Ay- meric Chauprade, qui avait diffusé une vidéo sur Internet. Il y déclarait entre autres qu’une « 5 colonne puissante vit chez nous ». « Les propos d’Aymeric Chauprade n’engagent que lui », a affirmé Mme Le Pen, qui a adressé un courriel à ses secrétaires départementaux leur demandant « de ne pas relayer » cette vidéo. En marge de la conférence de presse, l’avocat du FN, Wallerand de Saint-Just, indiquait qu’« en l’état de la jurisprudence les propos tenus dans cette vidéo étaient condamnables, comme leur diffusion ». e Anarchiste Vendredi 16 janvier, c’était JeanMarie Le Pen qui lançait un début d’incendie. Dans un entretien accordé à un tabloïd russe, le président d’honneur du FN a déclaré : « Je ne suis pas Charlie Hebdo. Ce journal anarchiste était l’ennemi direct de notre parti. » Chiffrant « à 15-20 millions » le nombre de musulmans vivant en France, JeanMarie Le Pen aurait également affirmé : « La fusillade à Charlie Hebdo ressemble à une opération des services secrets, mais nous n’avons pas de preuves. » Vendredi, sa fille s’est montrée perplexe, disant « ne pas connaître ces pro- pos ». Contacté par Le Monde, JeanMarie Le Pen maintient la quasitotalité de ses affirmations. Certes, le vieux leader frontiste ne se « souvient pas d’avoir parlé des ser- vices secrets » mais il juge tout de même « étonnant de trouver une carte d’identité avec des tueurs aussi organisés. Je m’étonne simplement de cela et je crois que je ne suis pas le seul ». Il trouve par ailleurs les propos tenus par M. Chauprade dans sa vidéo « tout à fait justes et intelligents ». p amos reichman PARIS 12 e. 14-18, rue de Lyon • PARIS 3 e. 92-98, bd de Sébastopol • PARIS 7 e. 193, 197, 207, 213, bd St Germain • PARIS 17 e. 52, av. de la Gde-Armée – 6, rue Denis Poisson • ATHIS-MONS. RN 7 – 12-18, av. F. Mitterrand • CHEVREUSE. 90, rue Porte de Paris • COIGNIÈRES. RN 10, – 3, rue du pont d’Aulneau • DOMUS C. CIAL(1) / ROSNY S/BOIS. 16, rue de Lisbonne • HERBLAY / MONTIGNY-LES-C.(1) RN 14 – 17, 21, bd V. Bordier • MAISONÉMENT C. CIAL / BOISSÉNART. ZAC de la Plaine-du-Moulin-à-Vent – CESSON • ORGEVAL. RN 13 • SAINTE-GENEVIÈVE-DES-BOIS. ZAC de la Croix Blanche – Rue Hurepoix • SURESNES. 33, 39, bd H. Sellier • VAL D’EUROPE C. CIAL / SERRIS. 1, cours de la Garonne • VERSAILLES. 6, rue au Pain (Place du Marché). (1) Magasin franchisé indépendant. Liste des magasins Roche Bobois de France participant à l’opération sur www.roche-bobois.com OUVERTURE EXCEPTIONNELLE DIMANCHE 18 JANVIER. 4 | france 0123 DIMANCHE 18 - LUNDI 19 JANVIER 2015 Emotion à Béthune après des actes islamophobes La future mosquée a été taguée d’un « Dehors les Arabes » après l’attentat contre « Charlie Hebdo » béthune (pas-de-calais) – envoyée spéciale V endredi 16 janvier, à Béthune (Pas-de-Calais), la discussion est animée dans le local municipal plutôt spartiate où se tient chaque semaine la grande prière. Les fidèles, toujours plus nombreux, ne peuvent plus être accueillis dans ce petit espace aménagé tant bien que mal au rez-de-chaussée d’un immeuble de la zone à urbaniser en priorité (ZUP) de Mont-Liébaut, seul lieu de culte musulman de la ville. La salle se trouve à quelques mètres du chantier de la future mosquée, qui s’éternise faute de financement, et dont la palissade a été taguée d’un « Dehors les Arabes » inscrit à la peinture noire dans la nuit du 8 au 9 janvier. L’Association musulmane de l’agglomération béthunoise (AMAB) a porté plainte, des empreintes digitales ont été relevées sur les lieux. Une enquête est en cours. « Ce n’est pas le premier incident : des ouvriers ont été caillassés, des pieds et des têtes de porc ont été jetés par-dessus la palissade… », raconte Yassine Brahim, président de l’AMAB. Comme chaque trimestre, l’association créée en 2006 organise une conférence dans le but de montrer que la laïcité à la française ne signifie pas l’hostilité aux religions. « Nous n’avons pas ébruité ces incidents pour ne pas perturber la campagne », reconnaît Stéphane Saint-André, député (PRG) et ancien maire battu aux élections de mars 2014, présent à la conférence. « Ce projet de mosquée, c’est moi qui en ai délivré le permis de construire, mais ce n’est pas ça qui m’a coûté mon élection », assure-t-il. Son successeur, Olivier Gacquerre (UDI), partage l’émotion de ses concitoyens : « Nous avons dès « La société française nous permet de pratiquer notre religion. A nous d’ouvrir nos mosquées » ASSAN IQUIOUSSEN imam que possible fait effacer le tag. Je connais bien le quartier du MontLiébaut, dont je suis un enfant, confie-t-il. Je défends ce multiculturalisme, ce brassage. Je suis moimême catholique et ma femme musulmane. La mosquée sera un lieu cultuel, pas de prosélytisme. » Jamais avouée franchement, l’opposition à la mosquée de Béthune existe pourtant bel et bien. Jimmy (qui souhaite rester anonyme), ouvrier, habitant de cette ZUP, ne cache pas son hostilité : « Des mosquées, il y en a déjà partout dans la ZUP, et chez eux, on n’a pas le droit de construire des églises ! », lance-t-il. « Nouvelle provocation » « C’est vrai que la nouvelle de cette construction n’a pas été accueillie de gaieté de cœur par les habitants de la cité des Cheminots, qui ont été mis devant le fait accompli », admet Jacques Guyot, président de l’association des habitants de cette résidence. Cet ensemble d’aprèsguerre de 230 maisons de brique, plutôt coquettes avec leurs jardinets, héberge pour l’essentiel des retraités du rail qui ne communiquent guère avec leurs voisins de la ZUP. Le projet de mosquée est d’autant plus mal passé qu’il a été implanté sur un terrain de la SNCF où il y avait un foyer et une bibliothèque qu’ils fréquentaient. Dans le local de l’association des musulmans de l’agglomération de Béthune, le 16 janvier. OLIVIER TOURON/DIVERGENCE POUR « LE MONDE » Dès le début de la conférence, l’imam s’est montré ferme : « Musulmans, arrêtez de pleurer sur vous-mêmes. Vous n’êtes pas français à moitié, affirmez votre identité nationale. La société française nous permet de pratiquer notre religion. A nous d’ouvrir nos mosquées », lance l’imam Assan Iquioussen aux quelque 150 fidèles de Béthune, hommes et femmes séparés, venus l’écouter, vendredi soir. Le thème de la conférence, « Quel regard porter sur l’islam d’aujourd’hui ? », choisi bien avant les récents événements, prend encore plus de sens. « Oui, il faut le reconnaître, il y a, dans notre confession, des tarés qui sont très dangereux et que nous devons dénoncer, insiste l’imam Iquioussen. Si vous trouvez qu’il y a des choses à changer dans la société française, parce qu’il y a trop de chômage ou parce que vous pensez qu’il faudrait une loi contre l’islamophobie, votez, allez voir votre député. » « Nous condamnons la tuerie et ces actes barbares, mais la couver- ture du dernier numéro de Charlie Hebdo, qui représente à nouveau le Prophète, m’a anéanti. C’est une nouvelle provocation et j’ai peur du cercle vicieux, explique Mohammed Elgarcham, boulanger dans un des derniers commerces de la ZUP, et je ne suis pas Charlie. » « Moi si, je suis Charlie, mais aussi Mohamed, Pierre… », lui répond Salem Bouzbaya. Surgit alors Roger, 82 ans, habitant du quartier, un catholique qui vient régulièrement retrouver ceux qu’il appelle ses « frères ». « Je préfère prier ici qu’à l’église, avec eux je suis heureux, je les aime », explique-t-il. « Devons-nous quitter la France et nous installer dans un pays musulman, pour vivre notre foi ? », s’interrogent finalement des participants à la fin de la conférence. « Ne rêvez pas : bien des pays musulmans ne vous offrent pas autant de liberté que la France. Vous êtes cependant libres de vous expatrier si vous voulez. Et, comme la France est généreuse, vous gardez votre nationalité », conclut l’imam. p isabelle rey-lefebvre « Les enfants ne savent plus qui croire » Dans l’agglomération lyonnaise, des mères musulmanes témoignent de leurs difficultés à répondre aux interrogations des plus jeunes lyon – correspondant D epuis l’attentat contre Charlie Hebdo et la prise d’otages de l’Hyper Cacher, les mères musulmanes de l’école La Maison des Trois-Espaces, dans le quartier des Clochettes à Saint-Fons (Rhône), sont désorientées. Leurs enfants ont peur. Peur de la violence, d’un nouvel attentat, de représailles… « Mon fils de 12 ans ne veut plus prendre le bus ou le métro, on doit l’accompagner au collège, c’est loin », confie Sevda, 32 ans – la jeune femme préfère garder l’anonymat. A cela s’ajoutent des questions auxquelles il n’est pas toujours facile de trouver des réponses. Cette mère native de la région lyonnaise, d’origine turque, affirme qu’elle tient un discours clair et net à ses trois enfants : « Je leur dis que notre religion n’a rien à voir avec ces actes de violence, c’est tout le contraire, on n’a pas le droit d’enlever la vie. » Vendredi 16 janvier à la sortie de l’école, toutes les mères musulmanes partagent cet argument. Une maman d’origine algérienne raconte que son fils a été l’objet d’attaques verbales. « Il est revenu du collège en me demandant : pourquoi les musulmans sont des tueurs ? J’ai répondu que l’islam n’a jamais dit d’être violent, les intégristes profitent des gens qui n’y connaissent rien. » Elle espère l’avoir convaincu, heurtée de devoir justifier sa religion à son propre enfant : « Ça m’a fait mal au cœur. » « Tout se mélange » Dans cette banlieue populaire de l’agglomération lyonnaise, à deux pas du quartier des Minguettes de Vénissieux, la période renvoie les enfants à des questions identitaires. « Tout se mélange dans leur tête. Ils me demandent pourquoi on vit ici, pourquoi pas dans notre pays alors qu’ils sont français ! Mon garçon ne sait plus où se situer. C’est difficile de lui faire comprendre », constate Sevda. Son visage cerclé d’un voile beige se crispe lorsqu’elle évoque les réseaux sociaux. Facebook colporte rumeurs et théories délirantes. Les jeux vidéo charrient des images agressives. Son garçon a reçu la photo d’un copain qui posait avec un pistolet en plastique en disant « Je suis Al-Qaïda ». Et elle est effarée lorsqu’elle l’entend dire « Je suis Coulibaly » alors que la veille il disait « être Charlie ». « On leur explique que c’est très grave, la violence est inadmissible », ajoute Katell, visage aux yeux bleus couvert d’un grand voile, se disant « Française convertie ». Pour elle, sa tâche serait plus simple si l’école pouvait donner des cours sur toutes les reli- gions afin d’éviter les malentendus. « Ils ne savent plus qui croire, leurs parents, leurs instituteurs, leurs copains », dit Nadia, 23 ans, une grande sœur qui revendique le rôle d’intermédiaire entre la maman et ses deux frères de 8 et 10 ans. Sentiments contradictoires Mieux apprendre les religions à l’école ? En commençant par la laïcité. Un enseignant de l’école primaire La Maison des Trois-Espaces s’inquiète du risque de cassure entre les mamans et l’école. « On ne parle pas des attentats avec les parents, c’est tacite, ils nous aiment et ne veulent pas nous froisser avec certaines réflexions qu’ils ont. Nous, on ne veut pas se retrouver à arbitrer des débats sans fin », dit-il. Selon lui, « une trentaine de familles sur les 200 de l’école sont assez accro à la religion, ce qui créée régulièrement des incidents ». Une exposition mal vécue, une affiche sur la morphologie des enfants, un film trop osé : « On fait des réunions pour régler ça. » Le directeur de l’école dresse un dur constat : « Les tueries de Paris ont matérialisé une frontière encore plus marquée dans l’école. » A quelques kilomètres de SaintFons, la grande mosquée de Lyon est gardée par trois militaires. Après la prière, les conversations se poursuivent dans la salle à l’étage. En petits groupes, les femmes sont intarissables, désireuses de parler des enfants autant que de leur peine en ces temps périlleux. Séparer les terroristes de l’islam : la volonté est unanime, farouche. Le débat bute sur un point : les caricatures de Mahomet, considérées comme blasphématoires. Sujet brûlant auprès des enfants parfois déboussolés. Les femmes plus âgées n’osent pas trop s’aventurer sur ce terrain. Chakroun, 56 ans, grand-mère de Vaulx-en-Velin, préfère entourer de « silence » sa petite-fille de 7 ans. Les jeunes femmes relaient plus franchement les sentiments contradictoires qui circulent dans les familles musulmanes. Comme Assia, 21 ans, de Villeurbanne : « Les caricatures de Charlie ne sont pas sanctionnées, quand Dieudonné parle des juifs, ça ne va plus. Pourquoi attaquer une religion plutôt qu’une autre ? Je ne cautionne pas les attentats, c’est sûr et certain, tous ces islamistes sont à l’ouest, mais je ne suis pas Charlie, je ne cautionne pas les caricatures. » Signe d’incompréhension, une maman s’approche timidement, à propos de la une du dernier numéro de Charlie Hebdo : « “Tout est pardonné”, ils ont voulu dire quoi ? » p richard schittly 1000 COUPS DE FOUET POUR S’ÊTRE EXPRIMÉ #JeSuisRaif La liberté d’expression est un droit fondamental pour chacun d’entre nous, quelles que soient son origine, sa nationalité ou sa confession. Depuis plus de 50 ans, Amnesty International se bat tous les jours, partout dans le monde, pour défendre ce droit, comme elle le fait pour l’ensemble des droits énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Plus que jamais, nous avons besoin de vous. Exigeons la libération de Raif Badawi. Agissez sur amnesty.fr 6 | france 0123 DIMANCHE 18 - LUNDI 19 JANVIER 2015 Dans le huis clos de l’Hyper Cacher de Vincennes « Le Monde » a reconstitué les quatre heures de la prise d’otages, qui a fait quatre victimes CHRONOLOGIE 13 heures Amedy Coulibaly lance son attaque contre l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes. Très vite, il contacte la police par téléphone en faisant le 17 : « Vous savez qui je suis », déclare-t-il avant de raccrocher. 14 h 30 Amedy Coulibaly fait arracher les câbles des caméras de surveillance, oblige les otages à éteindre leur téléphone. Il appelle le commissariat du 12e arrondissement de Paris et demande à parler au premier ministre et au président de la République. 15 heures Deux otages sont contraints à appeler le 17 pour signaler la mort de trois personnes. Ils décrivent l’armement d’Amédy Coulibaly et indiquent qu’ils portent un gilet pare-balles. C’est à ce moment que RTL appelle le magasin. Amédy Coulibaly décroche et raccroche mal le combiné. Les journalistes entendent le terroriste justifier son acte auprès des otages. L’enregistrement dure une trentaine de minutes, la conversation est ensuite coupée. 17 h 15 La BRI et le RAID lancent l’attaque. Bilan de l’après-midi : 5 morts – dont Amedy Coulibaly – et 9 blessés, dont un policier. 7 PERSONNES DONT 1 BÉBÉ RÉSERVE (au sous-sol) HUIT OTAGES PA R I S HYPER CACHER ENTRÉE DE LA RÉSERVE AMEDY COULIBALY AU DÉBUT DE L’ASSAUT (17.10) N ES HUIT OTAGES DE -V IN CE N ENTRÉE DU MAGASIN EN U E DE LA PO RT E- CAISSES AV I l ne reste plus que quelques heures avant shabbat, ce vendredi 9 janvier. Une semaine éprouvante s’achève enfin. Deux jours plus tôt, les frères Kouachi ont décimé la rédaction de Charlie Hebdo. Une policière a été tuée, la veille, à Montrouge, dans les Hauts-de-Seine, sans qu’on n’en connaisse les raisons. Il y a toujours de l’anxiété dans l’air. Grâce à l’information en continu, les clients du supermarché casher de la porte de Vincennes peuvent toutefois raisonnablement penser que le danger est loin. Tous les regards sont tournés vers Dammartin-enGoële, en Seine-et-Marne, à 40 km de là, où les frères Kouachi sont retranchés dans une imprimerie depuis l’aube. Comment imaginer qu’un troisième terroriste va faire irruption là, devant eux, alors qu’ils effectuent leurs courses ? Récit d’un huis clos de quatre heures entre 23 otages et leur bourreau, que Le Monde a reconstitué grâce aux témoignages recueillis par les médias et des éléments d’enquête inédits. C’est à 13 heures qu’Amedy Coulibaly surgit dans cette enseigne très connue de la communauté juive, deux kalachnikovs à la main et une caméra GoPro autour du cou. À cet instant, Philippe Braham, 45 ans, cadre informatique, dépose ses articles sur le tapis pour payer. Un père et son fils patientent derrière lui. Zarie Sibony, la caissière, enchaîne les clients sans trop prêter gare. La jeune femme, 22 ans, travaille à l’Hyper Cacher depuis trois mois. Son amie, Andrea Samak, installe des produits en rayon ; Yohan Cohen, 23 ans, lui, range les chariots. La panique est immédiate : « Il a tiré dans tous les sens. (…) Les gens hurlaient. (…) Je me suis dit : “Si je ne me sauve pas, je vais y passer” », témoignera un client, l’un des rares à avoir eu le temps de s’échapper. Seules deux autres personnes auront le temps de s’enfuir, comme lui, par la sortie de secours. Sophie n’a pas eu cette chance. Elle a raconté à Europe 1 : « Le temps que je réalise, (…) il m’a RU dit : “Tu rentres tout de suite !” Je n’ai pas pu faire marche arrière. Une personne a voulu partir : il lui a tiré dans le dos. » C’est François-Michel Saada, 64 ans. Il n’était pas dans le magasin quand Amedy Coulibaly a fait irruption. Il approchait seulement quand Zarie Sibony baissait le rideau de fer, sur ordre du terroriste. Croyant qu’elle fermait à cause de shabbat, M. Saada l’a supplié de le laisser entrer. « Sors, sors, n’entre pas », lui souffle-telle. « Mais il voulait tellement acheter de la hallah (brioche que l’on partage à shabbat) qu’il n’a pas fait attention », a raconté la jeune femme au quotidien Israel Hayom. Quand il comprend, M. Saada tente de rebrousser chemin, mais Amedy Coulibaly lui tire dans le dos. Il s’effondre. Deux balles dans la main Philippe Braham, l’homme qui se trouvait à la caisse, est aussi tué dès le début de la prise d’otage. Son corps et celui de M. Saada vont rester là jusqu’à l’assaut du RAID et de la BRI. A côté d’eux, Yohan Cohen, grièvement atteint à la joue, appelle à l’aide. Le gérant du magasin, Patrice Walid, s’approche, mais le terroriste lui tire deux balles dans la main. Il sera le seul à parvenir à s’enfuir par l’entrée principale… L’Hyper Cacher de la porte de Vincennes est incontournable pour qui mange strictement casher à Vincennes, Saint-Mandé ou dans l’est Parisien. Dans ce magasin pas plus grand qu’un Franprix, on trouve évidemment tous les produits alimentaires cachers et pour chaque fête des spécialités, comme des beignets pour Hanouccah, ainsi que de la vaisselle jetable, très utilisée par les plus religieux. Une fois le rideau de fer baissé, Amédy Coulibaly s’organise. « Mettez-vous là », « ne bougez pas », ordonne-t-il aux otages qu’il conduit au fond du magasin. Zarie Sibony s’est glissée sous sa caisse. « Tu n’es toujours pas morte, tu ne veux pas mourir ? », lui crie-il. Réalisant qu’il manque du monde, il l’envoie au sous-sol. « Si tu ne reviens pas dans dix secondes, je les tue », menace-t-il en désignant notamment sa copine Andréa. E AL CAISSE HS BE RT -W IL LE M ET Emplacement probable des otages tués Parcours de sortie de Lassana Bathily en début d’après-midi Z « Je ne comprends pas pourquoi il ne nous a pas tués dans la longue minute qui a précédé l’entrée de la police » ZARIE SIBONY caissière du magasin Jeudi 15 janvier, le Daily Mail a publié des images inédites de l’intérieur du magasin. Sur ces photos extraites des caméras de surveillance, on voit huit otages blottis entre des bouteilles d’alcool et des sachets de pistaches, une poussette bleue abandonnée au rayon confiserie. On aperçoit surtout Amedy Coulibaly en jean et gilet pare-balles organiser son siège. Ordonner de barricader les issues avec des sacs de sucre, de farine. Jusqu’à 14 h 40, où il imposera de détruire ces caméras gênantes. C’est dans cette ambiance à la fois extrêmement tendue et désordonnée, que Yohav Hattab, 21 ans, tente un geste désespéré. Le jeune homme s’aperçoit que le terroriste a laissé traîner une de ses kalachnikovs. Il croit pouvoir s’en saisir. Mais ce que ne sait pas Yohav, c’est que l’arme s’est enraillée pendant l’assaut. Il a à peine le temps de l’attraper qu’Amedy Coulibaly lui tire deux balles dans la tête. Yohav était le fils du grand rabbin de Tunis. Alors que le jeune homme est tué sur le coup, une quinzaine de personnes sont encore cachées au sous-sol, réparties dans deux chambres froides. C’est Lassana Bathily, 24 ans, un employé malien, qui les a guidées là pendant l’assaut. Il se trouvait à la réserve lorsqu’il a entendu des coups de feu à l’étage, a-t-il raconté à l’AFP. Quand Zarie Sibony descend, c’est sur lui qu’elle tombe. Le jeune Malien pense qu’il faut tenter quelque chose. Son idée : utiliser le monte-charge, et s’échapper par la sortie de secours, à l’arrière. Mais aucun des autres clients ne croit alors à son plan. Ils craignent que l’appareil ne fasse trop de bruit. Le jeune Malien décide finalement d’y aller seul. En sortant du magasin, il se met à courir. Un réflexe de désespéré qui déstabilise les policiers, surpris de l’irruption de cet homme noir au cœur du dispositif de sécurité. Les forces de l’ordre ne savent alors pas si le terroriste a un complice ou pas. Ils courent vers lui, le plaquent au sol. Lassana Bathily a beau expliquer qu’il n’est qu’un employé du magasin, il est menotté. Lorsqu’il aura réussi à gagner la confiance des policiers, il leur dessinera le plan du magasin. « Non, ne le tue pas ! » Au sous-sol, une fois Lassana parti, les otages retiennent toujours leur souffle. Seuls trois ont accepté de remonter avec la caissière la première fois, dont Yohab Hattab, qui vient d’être abattu. La jeune femme est contrainte une nouvelle fois de redescendre pour convaincre les récalcitrants. Zarie Sibony persuade cette fois un père et son enfant de trois ans, ainsi qu’un haut fonctionnaire de 67 ans – le seul « goy » comme il se définira plus tard. « J’ai hésité, a détaillé plus tard ce dernier à l’AFP, puis je me suis dit : “Tant qu’à faire, je préfère mourir à l’air libre que dans une cave.” » Sept personnes sont retranchées dans l’autre chambre froide, qu’ils ont, contrairement aux autres, pu fermer de l’intérieur. Parmi elles : une mère et son bébé de dix mois. Zarie Sibony appelle, mais nul ne répond. Alors, pleine de sang-froid, elle finit par lâcher : « Laissez tomber, on dira qu’il n’y a personne. » Ce groupe restera jusqu’à l’assaut final, assis sur des palettes, accoudé sur des cartons de poissons, à envoyer des SMS, tenter de se réchauffer et espérer que le preneur d’otages ne les trouve pas. Quand Zarie remonte pour la deuxième fois, Amedy Coulibaly salue le petit groupe. « Venez monsieur », dit-il au vieux fonctionnaire. « Il était étrangement calme, a rapporté au Point Mickael, le père de l’enfant de trois ans. Il nous a dit : “Je suis Amedy Coulibaly, Malien, musulman. J’appartiens à l’Etat islamique.” » Ils rejoignent des otages regroupés au rayon alcools et produits de luxe. Il vient furtivement l’idée au retraité qu’il « pourrait manger du foie gras avant de mourir ». Mais il se trouve juste en face de trois cadavres et de Yohan Cohen qui crie toujours de douleur. « Vous voulez que je l’achève ? », demande le terroriste. « Non, ne le tue pas », le supplient les otages. « Il était blessé depuis tellement de temps que l’on a pensé qu’il n’allait pas mourir », expliquera par la suite la caissière. A ce moment-là de l’après-midi, Amedy Coulibaly confisque les téléphones et les cartes d’identité de tout le monde. Il appelle le 17, demande à ce qu’on lui trouve le numéro de téléphone de BFM-TV qui n’annonce toujours aucun mort. De son sac, il sort enfin un ordinateur et cherche à y insérer la carte mémoire de sa GoPro. Enervé, il demande de l’aide. Un informaticien s’avance et l’aide à se connecter avec l’ordinateur du magasin. Dans le bureau du gérant, le téléphone n’arrête pas de sonner. Za- Coulibaly aurait repéré les lieux C’est Joël Walid, le frère de Patrice Walid, patron de l’Hyper Cacher, qui, le premier, a laissé entendre, sur i-Télé, qu’Amedy Coulibaly avait repéré les lieux avant sa prise d’otages. Interrogé peu de temps après le drame, il assure l’avoir vu à deux reprises dans le magasin : la semaine précédente puis le matin des événements. « Mon frère lui a demandé ce qu’il voulait, il était très poli et lui a répondu : “Je regarde.” » Le jour de l’attaque, Patrice Walid l’aurait reconnu « tout de suite », et c’est pour cette raison que ce dernier lui aurait tiré dessus. Le gérant réussira cependant à s’enfuir. Selon une caissière de la boutique, Zarie Sibony, une moto suspecte avait également tourné la veille devant le magasin. Les employés avaient prévenu la police, mais aucune suite n’aurait été donnée à ce signalement. rie Sibony est priée de prendre les messages. Vers 15 heures, RTL appelle, mais cette fois, c’est Amedy Coulibaly qui décroche. Il raccroche aussitôt mais repose mal le combiné. Dans l’enregistrement remis aux enquêteurs, on l’entend discuter avec ses otages. Le ton est calme, comme s’ils tentaient de l’amadouer. Amedy Coulibaly explique notamment vouloir venger les morts au Mali, en Syrie, en Irak. Une phrase, va particulièrement marquer Zarie Sibony, la caissière : « La différence entre les musulmans et vous, les juifs, c’est que vous donnez un sens sacré à la vie. Pour vous, la vie est trop importante. Nous, nous donnons un sens sacré à la mort. » A mesure que les heures passent, la fatigue aidant, la tension finit par baisser entre le terroriste et les clients. Ils les laissent téléphoner à condition qu’ils mettent le haut-parleur. Le garçon de trois ans a le droit de manger des bonbons. Amedy Coulibaly s’isole même à plusieurs reprises pour sa prière. C’est lors de l’un de ces moments de recueillement que les forces de l’ordre vont intervenir. Les otages sont aussi surpris que le terroriste. Une explosion retentit. Puis le rideau de fer se lève, lentement, très lentement. Les otages se jettent au sol. « C’est là que j’ai eu le plus peur », témoignera Marie sur RMC. « Je ne comprends pas pourquoi il ne nous a pas tués dans la longue minute qui a précédé l’entrée de la police », racontera de son côté Zarie. Les rescapés de la chambre froide, ainsi qu’une femme cachée dans les toilettes, sont les derniers à être libérés. « Au moment où ils ont ouvert la porte, (…) on ne savait pas si c’était les méchants ou les gentils, racontera Sophie. Je voyais des lasers rouges sur moi, je me suis dit : ils vous nous tirer de dessus. » C’est bien la fin du cauchemar. Les forces de l’ordre confortent, rassurent. « C’est bon, c’est nettoyé ! », répètent-ils dans leur jargon commando. Un policier aura la présence d’esprit de se tourner vers la jeune mère avec son nourrisson et lui conseillera : « Vous lui mettez les mains sur les yeux et vous sortez en courant. » p emeline cazi et elise vincent (avec hélène sallon et nathalie brafman) international | 7 0123 DIMANCHE 18 - LUNDI 19 JANVIER 2015 Manifestations de colère antifrançaises Au Niger et au Pakistan, les protestations contre la publication de caricatures du Prophète ont pris un tour violent D es morts à Zinder, des drapeaux français brûlés à Dakar, des blessés à Alger et Karachi… Ce vendredi 16 janvier, premier jour de grande prière depuis la sortie du dernier numéro de Charlie Hebdo reproduisant des caricatures du Prophète, des manifestations de colère contre la France se sont déroulées dans plusieurs pays musulmans. Les réactions ont été particulièrement violentes au Niger. Ainsi à Zinder, deuxième ville du pays, quatre personnes sont mortes, trois civils tués par balle et un gendarme. Quarante-cinq autres ont été blessées dans une manifestation qui a dégénéré. Des églises et des magasins tenus par des chrétiens ont été incendiés. Un commerçant rapporte que « les manifestants criaient “Charlie est le diable, que l’enfer engloutisse ceux qui soutiennent Charlie” ». Malgré les tirs de sommation, le centre culturel français a été incendié par une cinquantaine de manifestants. Drapeaux français brûlés A Alger aussi, plusieurs milliers de personnes sont descendues dans les rues, répondant aux appels lancés sur les réseaux sociaux, alors même que les manifestations sont interdites depuis 2001. A la sortie de la mosquée du quartier populaire de Belcourt, un drapeau français a été brûlé. La foule scandait « Kouachi, martyrs », en référence au nom des deux frères auteurs des attentats. Des slogans tels que « Nous voulons un Etat islamique » ont été entendus. Des rues de la capitale algérienne ont été fermées pour empêcher la marche, donnant lieu à un face à face tendu avec les jeunes manifestants. Certains sont parvenus au Parlement, devant lequel ils ont organisé un sit-in. L’intervention des forces de police a dégénéré en affrontements. Plusieurs personnes ont été interpellées. Au Niger, un commerçant rapporte que « les manifestants criaient : “Charlie est le diable” » Le Pakistan a également été le théâtre d’affrontements. A Karachi, les violences ont commencé lorsque plusieurs milliers de personnes ont tenté d’approcher le consulat français. Un photographe pakistanais travaillant pour l’Agence France-Presse a été grièvement blessé, touché au poumon par une balle. D’autres manifestations se sont également déroulées dans les grandes villes du pays : Islamabad, Lahore, Peshawar et Multan, où un drapeau français a été brûlé. Ailleurs, la colère a été davantage contenue. En Mauritanie, plusieurs milliers de personnes ont tenté de se rendre à l’ambassade de France, mais elles ont été bloquées par la police. Les manifestants ont alors dressé des tribunes sur lesquelles des drapeaux français ont été brûlés. Des scènes similaires ont été observées à Dakar, où un millier de manifestants ont défilé, portant des pancartes sur lesquelles était inscrit « Ne touche pas à mon prophète », « La liberté de blasphémer tue la liberté d’expression ». En Turquie, seul pays musulman où une partie du numéro de Charlie Hebdo avait été reproduite dans le quotidien Cumhuriyet, un défilé d’une centaine de personnes en hommage aux frères Kouachi a été organisé à l’appel d’une association islamique radicale. Les manifestants, qui ont déployé une banderole représentant les Kouachi et Oussama Ben La- Des manifestants ont mis à sac trois églises et brûlé le centre culturel français à Zinger, au Niger, vendredi 16 janvier. AFP den, portaient des pancartes avec la mention « Nous sommes tous Kouachi ». Plusieurs centaines de musulmans palestiniens ont aussi manifesté sur l’esplanade des Mosquées à Jérusalem-Est, partie palestinienne de la ville annexée par Israël. Environ 2 500 manifestants, dont des membres des Frères musulmans, ont été dénombrés à Amman, capitale de la Jordanie. Des slogans tels que « l’atteinte au grand prophète relève du terrorisme mondial » ponctuaient le défilé. Le Front islamique d’action, avait proclamé que « l’atteinte à la personne du pro- phète […] est une atteinte à tous les musulmans à travers le monde ». Des dizaines d’islamistes ont aussi manifesté devant l’ambassade de France au Koweït. Appel à « ignorer » ces dessins Enfin, aucun regroupement n’a été observé en Egypte. Mercredi 14, la mosquée et l’université Al-Azhar, parmi les plus prestigieuses institutions de l’islam sunnite, avaient appelé les musulmans à « ignorer » ces dessins. Au Soudan voisin, où plusieurs oulémas (théologiens, principalement sunnites, de l’islam) avaient appelé à manifester après la prière, quelques centaines de fidèles seulement se sont brièvement rassemblés devant la Grande mosquée de Khartoum, la capitale, en scandant « Expulsez l’ambassadeur de France, victoire au prophète de Dieu ! » Même à la mosquée Al-Fath de Tunis, connue pour être fréquentée par des fondamentalistes, la réaction populaire s’est limitée à de vifs échanges. Alors que l’imam Noureddine Khademi expliquait que, s’il était « contre toute atteinte [au] Prophète », « ce qui s’est passé [l’attentat du 7 janvier] est contre l’islam, qui est une religion de tolérance » certains fi- dèles l’ont interrompu, prétendant que les journalistes de Charlie Hebdo « méritaient d’être tués puisqu’ils ont insulté plusieurs fois [le] Prophète ». En Iran, si l’ayatollah Movahedi Kermani et les autorités ont à nouveau dénoncé les caricatures, la manifestation prévue vendredi par des étudiants islamistes a été annulée, sans motif officiel. L’agence de presse Fars affirme néanmoins qu’elle a été reportée à lundi 26 janvier, devant l’ambassade de France à Téhéran, sous réserve d’obtenir l’aval des autorités. p service international Le gouvernement belge déploie l’armée contre la menace djihadiste La cellule démantelée jeudi à Bruxelles prévoyait des attaques contre la police. De nouvelles mesures visent les combattants rentrant de Syrie bruxelles - correspondant L e gouvernement belge a décidé de réagir vigoureusement après le démantèlement, jeudi 15 janvier, d’un réseau terroriste qui projetait une série d’actions, notamment contre des policiers. Le premier ministre, Charles Michel, a dévoilé un plan en douze points qui sera soumis au Parlement et, espère-t-il, adopté d’ici un mois. La mesure la plus spectaculaire est le recours à l’armée pour la surveillance des lieux stratégiques. Le pays n’avait connu un tel dispositif que dans les années 1980, lors d’attentats commis par les Cellules communistes combattantes, proches d’Action directe. Quelque 150 soldats ont été immédiatement déployés malgré l’opposition des syndicats de policiers. Le plan du gouvernement vise aussi à transformer en infraction le fait de se rendre à l’étranger « à des fins terroristes ». Le retrait de la nationalité sera facilité pour les personnes qui ont une double nationalité, comme celui du passeport et de la carte d’identité pour les candidats au départ. Les moyens des services chargés des écoutes et ceux de la sûreté de l’Etat (renseignement intérieur) seront renforcés. Pour tenter d’endiguer les phénomènes de radicalisation en prison, un plan de formation des personnels pénitenti- aires sera lancé, en collaboration avec des « conseillers islamiques » déjà actifs dans les établissements pénitentiaires. Un meilleur dispositif devrait, par ailleurs, être mis au point pour surveiller le retour en Belgique de ceux qui ont séjourné en Irak ou en Syrie. Ce dernier phénomène inquiète particulièrement les autorités, qui tentent toutefois de le minimiser. Selon elles, 184 Belges seraient actuellement présents dans des zones de combat et 100 returnees seraient rentrés au pays. Un chercheur, Pieter Van Ostaeyen, évoque plutôt 450 combattants et un flot qui n’est pas près de se tarir. Pessimiste, l’universitaire pense que d’autres attaques se préparent : la Belgique est, selon lui, « clairement devenue une cible privilégiée » de l’Etat islamique de- Selon les autorités, 184 Belges seraient présents dans des zones de combat et 100 seraient rentrés au pays puis son engagement dans la coalition internationale. M. Van Ostaeyen craint, en outre, que des mesures trop répressives favorisent un clivage entre musulmans et non-musulmans au sein de la société belge. « On ne peut pas enfermer automatiquement tous ceux qui rentrent de Syrie », a-t-il expliqué dans La Libre Belgique. Mesures controversées en Allemagne Le gouvernement allemand a adopté, mercredi 14 janvier, plusieurs mesures contre le terrorisme. La loi qui permet de confisquer les passeports des candidats au djihad sera élargie aux cartes d’identité. Les suspects recevront un document où figurera l’interdiction de voyager. Les préparatifs pour le djihad ou l’expédition d’armes seront pénalisés. Enfin, le ministre social-démocrate de la justice, Heiko Maas (SPD), a annoncé un durcissement des peines pour financement du terrorisme. En revanche, au nom du respect de la vie privée, M. Maas refuse la conservation par les opérateurs des données téléphoniques, courriels et connexions Internet. La CDU (conservateurs) y est favorable. Le président du SPD, Sigmar Gabriel, veut l’autoriser « dans des conditions limitées ». Le plan gouvernemental devrait toutefois être soutenu par une opinion publique qui a soudain découvert l’ampleur de la menace. L’identité des deux terroristes tués, jeudi soir, lors de l’assaut des forces de l’ordre contre leur cache, à Verviers, n’a pas été dévoilée mais il se confirme qu’ils étaient revenus récemment de Syrie. L’un était, semble-t-il, originaire de Bruxelles, l’autre d’un « pays voisin de la Belgique », selon une source policière. Ils projetaient une série d’attentats, en lien avec un autre djihadiste vivant en Grèce ou en Turquie. Ce Bruxellois d’origine marocaine, âgé de 27 ans, s’appelle Abdelhamid Abbaaoud et serait, selon le quotidien La Dernière Heure, recherché par le FBI et le Mossad. Il s’est notamment fait connaître en postant une vidéo où on le voit avec des cadavres martyrisés, et s’était vanté d’avoir recruté son frère de 13 ans, parti en Syrie en 2014. La police a mené au total douze opérations au cours des dernières heures et procédé à treize arrestations. Deux autres suspects de nationalité belge ont été arrêtés en France. A Verviers, les deux hommes tués – un troisième a été blessé – disposaient de quatre kalachnikovs, de quatre pistolets, d’une « importante somme d’argent », de faux documents, de produits pour la fabrication d’ex- plosifs et également d’uniformes de police. De quoi accréditer la thèse que les attentats « imminents et d’envergure » en préparation devaient viser principalement les forces de l’ordre. « Il y avait des plans en vue d’assassiner des policiers dans la rue et dans des commissariats », a indiqué le parquet fédéral, qui n’établit pas de lien entre les opérations menées en Belgique et les attentats de Paris. p jean-pierre stroobants Ce dimanche à 12h10 GILLES DE KERCHOVE Coordinateur européen de la lutte antiterroriste répond aux questions de Philippe Dessaint (TV5MONDE), Sophie Malibeaux (RFI), Jacques Follorou (Le Monde). Diffusion sur les 8 chaînes de TV5MONDE, les antennes de RFI et sur Internationales.fr 0123 8 | enquête 0123 DIMANCHE 18 - LUNDI 19 JANVIER 2015 Place de la République, à Paris, mercredi soir 7 janvier. O. LABBAN-MATTEI/MYOP POUR « LE MONDE » par benoît hopquin avec l’ensemble de la rédaction A Saint-Mandé (Val-de-Marne), jeudi 15 janvier, comme chaque semaine, le marché s’est installé près de la porte de Vincennes. Habituel va-etvient des habitants traînant leurs cabas entre les étals, cris des vendeurs attirant le chaland vers leurs « belles » scaroles ou leur « bonne » palette de veau : « Allons-y messieurs-dames ! » De l’autre côté de l’avenue, une barrière de fleurs et de bougies que la pluie et le vent ont éteintes ceinture l’épicerie Hyper Cacher. Une poignée d’hommes et de femmes se recueillent en silence, rendant hommage aux quatre victimes de la prise d’otages du vendredi 9 janvier. Ils ont les yeux rougis, mouchent fort mais ne pleurent pas, ne pleurent plus, puisque la France a épuisé depuis une semaine ses sanglots. Ils prennent machinalement une photo, comme pour se persuader que tout cela est réel, puis repartent, tête basse. Le contraste entre les deux trottoirs n’est qu’apparent puisque au plus profond de soi chacun pense encore à la même chose. Puisque faire son deuil ou son marché sont deux manières de surmonter son traumatisme. Puisque essayer de reprendre une vie normale est aussi une forme de résistance au terrorisme. Mais la France arrivera-t-elle, justement, à surmonter son traumatisme, à reprendre une vie normale après cette semaine inédite, on n’ose écrire « historique » tant ce mot est aujourd’hui usé jusqu’à la trame à force d’avoir été ressassé ? Comment va-t-elle ressortir de cet épisode ? Dans quel état d’esprit ? Entre le mercredi 7 janvier vers 11 h 30, quand douze personnes ont péri dans la tuerie de Charlie Hebdo, et le matin du mercredi 14 janvier, quand l’hebdomadaire s’est arraché à des centaines de milliers d’exemplaires en quelques minutes, comme un doigt d’honneur aux assassins, le pays a été bombardé d’émotions fortes et contradictoires. Il s’est senti meurtri puis rasséréné, avili puis grandi, déchiré puis solidaire, d’un jour à l’autre, d’une heure à l’autre. En trois jours, trois islamistes ont joué avec les sentiments d’une nation. Ils ont tué froidement dix-sept personnes de trois catégories ; des journalistes, des policiers, des juifs, parce qu’ils étaient tels. Leur chevauchée a été filmée en direct par les téléphones portables et aussitôt relayée par les télévisions et les sites d’info, devant un public sidéré. Ces hommes ont semé la mort mais aussi tenté d’imposer leur « logique », leur univers mental. Abattant l’un, épargnant l’autre, sur des critères aber- De Charlie à Charlie Récit des sept jours qui ont traumatisé la France. De l’attentat contre le journal satirique à la ruée vers les kiosques. Du consensus national aux nouvelles fractures sociétales rants. A Saint-Mandé toujours, vivait Germaine Tillion (1907-2008), qui entrera au Panthéon dans quelques mois. La résistante, rescapée du camp de Ravensbrück en Allemagne, définissait ainsi l’univers concentrationnaire : « Un monde d’incohérence, plus terrifiant que les visions de Dante, plus absurde que le jeu de l’oie. » Comment mieux définir, dans sa nature si ce n’est bien sûr dans son intensité, ce qu’a connu la France : un infernal, un macabre jeu de l’oie ? MERCREDI : « LE MONDE EST DEVENU SI MALADE » IL Y AVAIT LÀ UNE FISSURE QU’ON NE VOULAIT PAS VOIR, TOUT À SON CHAGRIN. CEUX QUI N’EN PENSAIENT PAS MOINS, LES TENANTS DU « OUI MAIS », D’« ILS L’ONT BIEN CHERCHÉ » C’est cette colère contre la bêtise, « contre la connerie » clamait une pancarte, qui était palpable, dès le mercredi soir, quand des foules se sont spontanément réunies, partout en France. Elles étaient là parce qu’il fallait être là. A Lille, à Marseille, à Lyon, à Bordeaux, à Toulouse mais aussi à Agen ou Périgueux, plus de cent mille personnes sont venues pleurer ensemble car « tout seul, c’était trop dur ». Aux côtés de sa mère, à Besançon, une petite fille était bouleversée. « C’étaient des dessinateurs… », répétait-elle, incapable de comprendre qu’on tue des gens pour ça. Sur un bout de carton gribouillé à la hâte, était écrit à Paris : « Le monde est devenu si malade que l’humour est devenu une profession à risque. » D’autres disaient la même chose plus doctement, parlaient − déjà − des menaces sur la liberté d’expression, plus généralement des atteintes à nos valeurs, théorisaient des lendemains. « C’est trop : on ne peut pas attaquer des gens qui défendent la démocratie avec des crayons. Je suis venu avec mes enfants car il faut transmettre et se réveiller », expliquait Christophe Reichert, un Bordelais. « C’est un 11-Septembre à la française, un effondrement symbolique », résumait, à Marseille, Thierry Fabre, programmateur du Musée des civilisations d’Europe et de la Méditerranée (MuCEM). Place de la République, dans la capitale, un crêpe noir avait été passé au bras de la statue de Marianne. L’affliction n’étant pas un mot d’ordre, on se trouvait un peu bête, presque emprunté, autour des milliers de bougies. Que dire, que faire ? Des crayons, des stylos étaient brandis de manière dérisoire. Le silence était entrecoupé d’applaudissements. De cris aussi : « Liberté, liberté ! », « Charlie, Charlie ! », jusqu’au carambolage : « Charlie-berté ». Et puis il y avait ces pancartes noires avec une formule inventée par un graphiste, Joachim Roncin, moins d’une heure après la tuerie. Le message disait seulement : « Je suis Charlie ». Mis en ligne, il s’était répandu comme une traînée de poudre sur la Toile. Car Internet et les réseaux sociaux avaient bien sûr une longueur d’avance. Ils étaient déjà des centaines de milliers dans l’aprèsmidi à avoir repris le hashtag « JeSuisCharlie ». Ils seront plus de 5 millions une semaine plus tard. A raison de 6 000 tweets à la minute, c’était un déferlement d’émotions, de questions, de douleur, d’espoir, de colère, d’indignation. Et aussi de rire, malgré tout. « Chers terroristes, nous sommes des milliers de gros lourds à l’humour déplorable dans une salle de rédaction appelée Internet. Bonne chance… » ou « Si votre religion vaut qu’on tue quelqu’un, s’il vous plaît, commencez par vous-mêmes. » Sur le perron de l’Elysée mercredi, Dalil Boubakeur, recteur de la grande mosquée de Paris, entouré par les représentants des autres religions, condamnait les attentats, de même que le firent aussitôt les autres organisations représentatives de la communauté. Il y avait là comme une impression de redite, de déjà-vu dans cette scène tout à la fois œcuménique et laïque : il l’avait déjà fait tant de fois, le recteur. Les musulmans étaient très peu représentés dans les premiers rassemblements. Ils faisaient le gros dos, craignaient la vindicte. Ils semblaient doublement blessés de se sentir victimes en tant que Français et de savoir que d’aucuns les diraient coupables en tant que musulmans. Kamel Kabtane, recteur de la grande mosquée de Lyon, s’inquiétait des « amalgames ». « Nous, les musulmans, j’ai toujours l’impression qu’on nous considérera toujours différemment, à part, je suis toujours obligé de me justifier », expliquait-il. A Lille, Dorsaf, venue de Villeneuve-d’Ascq, était peinée : « Je regrette amèrement qu’il y ait peu de musulmans présents ce soir, mais on est tellement sous le choc. » A Marseille, Fatiha Ramoul, « 100 % Marseillaise », tempêtait : « Ils sont où, les gens des quartiers ? Il fallait qu’on soit plus mélangés, ce soir, pour exprimer la solidarité nationale. » Il y avait là une fissure qu’on ne voulait pas trop voir, tout à son chagrin. Ceux qui n’en pensaient pas moins, les tenants du « oui mais », d’« ils l’ont bien cherché » ou les inévitables adeptes du complot se taisaient pour l’heure ou parlaient sur leur page Facebook, entre profils d’« amis ». Du côté des partis politiques, l’union était affichée. François Hollande, qui avait fait une brève déclaration devant Charlie Hebdo, dans les minutes qui ont suivi la fusillade, revenait le soir-même à la télévision à 20 heures et annonçait un deuil national. « Notre meilleure arme, c’est notre unité. Rien ne peut nous diviser, rien ne doit nous séparer. » L’opposition avait déjà annoncé dans l’après-midi qu’elle serait sur cette ligne. Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, François Fillon, François Bayrou utilisaient la même rhétorique, invitaient « à faire bloc », « à se serrer les coudes ». « La force humaine va nous permettre de vaincre ce que ces gens essayent de faire », affirmait Jean-Luc Mélenchon. Le président du Sénat, Gérard Larcher (UMP), expliquera qu’il avait rendez-vous le lendemain avec Cabu, un des dessinateurs assassinés. Il s’agissait de préparer un documentaire intitulé Peut-on rire de tout ?, comme le recueil de dessins de Cabu paru sous ce même titre en 2012 (Cherche-Midi). JEUDI : « ILS ONT INSULTÉ LE PROPHÈTE » Jeudi matin, la France continuait de suivre la traque des auteurs de la tuerie, rapidement identifiés. Un mystère entourait encore la enquête | 9 0123 DIMANCHE 18 - LUNDI 19 JANVIER 2015 sions physiques ou insultes racistes. Des forces de l’ordre étaient postées devant les mosquées et les synagogues, devant les journaux aussi, et des militaires déployés dans les rues. L’idéal de fraternité, évoqué la veille, en prenait évidemment un coup. « Brûler des mosquées ou des synagogues ne nous rendra pas nos morts », expliquait le frère d’Ahmed Merabet, un des policiers tués. Mais tout le monde ne semblait pas capable de l’entendre. MARDI : « LA MARSEILLAISE » À L’ASSEMBLÉE Mercredi 14 janvier. Dès l’aube, d’interminables files d’attente devant les kiosques. A 10 heures, tous les « Charlie Hebdo » étaient épuisés. BERTRAND GUAY /AFP Dimanche 11 janvier. Alors que 3,7 millions de personnes défilaient en France, de nombreux dirigeants étrangers ont marché aux côtés de François Hollande, à Paris. PHILLIPPE WOJAZER mort d’une policière municipale, Clarissa Jean-Philippe, tuée par un inconnu à Montrouge (Hauts-de-Seine). Coïncidence ou nouvelle attaque terroriste ? Le pays succombait à la psychose, aux rumeurs mais, en même temps, ne perdait pas pied. Les Français restaient stoïques, comme l’avaient été les Espagnols après les attentats de Madrid, le 11 mars 2004, ou les Britanniques après les attentats de Londres, le 7 juillet 2005. A midi, ils s’immobilisaient le temps d’une minute de silence. A Notre-Dame de Paris, mais aussi dans d’autres cathédrales comme à Nantes, le glas a sonné pour les bouffeurs de curé de Charlie Hebdo. Un extrait de la première lettre de Saint-Jean a été récité : « Si quelqu’un dit “j’aime Dieu” alors qu’il a de la haine contre son prochain, c’est un menteur. » Les élèves étaient également appelés à un moment de recueillement. Dans quelques établissements scolaires, cela n’est pas allé sans incident. Des professeurs ou des instituteurs ont été confrontés dans certaines banlieues à des réfractaires, avec cet argument : « Ils ont insulté le Prophète… » Ces gamins étaient sans doute la chambre d’écho du discours familial ou de celui du quartier. Quelques enseignants refusaient également de s’associer à cet instant, à Bobigny (SeineSaint-Denis) et ailleurs. Deux cents incidents de ce type ont été rapportés à ce jour aux rectorats, sur 64 000 écoles ou établissements recensés sur le territoire national. A Lille, c’est un agent municipal qui s’est livré à une apologie du terrorisme. Au fil des jours, d’autres accrocs de ce genre sont peu à peu remontés à la surface et, pour certains, devraient se conclure devant la justice. Le Front national se chargeait également de fendiller l’unité nationale. Le président de la République ayant annoncé des marches républicaines dans toute la France durant le week-end, Marine Le Pen regrettait que son parti, à l’inverse des autres, n’y ait pas été formellement invité. Elle était reçue à l’Elysée vendredi matin mais annonçait qu’elle refuserait de participer à ce qu’elle considérait un simulacre. « Je ne vais pas là où l’on ne veut pas de moi », expliquait-elle. Fallait-il ou non convier le FN ? Les partis politiques se déchiraient déjà sur la question. Une partie de l’UMP regrettait la stigmatisation, avant-goût d’un débat qui resurgira bien vite. VENDREDI : FUNÈBRE JEU DE L’OIE A peine ébauchées, ces querelles se sont effacées quand les frères Kouachi ont été encerclés à Dammartin-en-Goële (Seine-et-Marne) et, surtout, quand a été annoncée une prise d’otages dans l’épicerie Hyper Cacher de la porte de Vincennes, vendredi midi. Pendant plusieurs heures, la France allait une nouvelle fois être soumise au funèbre jeu de l’oie, à la déraison d’un homme, jusqu’à l’assaut donné par les forces de l’ordre, peu après 17 heures. Le président de la République reprenait la parole le soir : « La France a fait face. (…) Nous sommes un peuple libre qui ne cède à aucune pression, qui n’a pas peur parce que nous portons un idéal qui est plus grand que nous. De cette épreuve, nous sortirons encore plus forts. » Les Français allaient le démontrer dès le lendemain. A l’heure d’Internet, au temps des kalachnikovs, ils ont prouvé leur force de la manière la plus primitive qui soit, depuis que l’espèce humaine s’est mise debout : en marchant, tête haute. Samedi 10 janvier, 700 000 personnes défilaient déjà dans plusieurs communes. Mais que dire du dimanche 11 janvier 2015 si ce n’est qu’il fut une journée comme on n’en a jamais vu depuis la Libération. 3,7 millions de personnes ont participé aux rassemblements dans les métropoles, les villes ou les bourgs. Le 1,7 million de Parisiens qui ont piétiné entre la République et la Nation n’avait pas plus de force symbolique que les 150 personnes réunies à Portets (Gironde), les 3 000 de Crest (Drôme) ou les 7 000 de Bayeux (Calvados). Pas plus que les LUNDI, LA RECRUDESCENCE D’ACTES ISLAMOPHOBES JETAIT PLUS QU’UNE OMBRE AU TABLEAU D’UNE RÉPUBLIQUE UNE ET INDIVISIBLE foules des métropoles régionales qui ont connu le même déferlement : 300 000 personnes à Lyon, 140 000 à Bordeaux, 115 000 à Rennes, 120 000 à Toulouse, 110 000 à Grenoble, 65 000 à Brest, 60 000 à ClermontFerrand, etc. DIMANCHE : « UN INSTANT MIRACULEUX » Dans les cortèges, les participants étaient eux-mêmes surpris et presque ivres de cette démonstration citoyenne. On était une foule, un océan infini, donc on était forcément toute la France. Et un peu le monde entier, qui suivait l’événement avec ses caméras. Près de cinquante chefs d’Etat et de gouvernements étaient aussi présents, serrés aux côtés de François Hollande : Angela Merkel, David Cameron, Benyamin Nétanyahou, Mahmoud Abbas… Il n’y avait pas que de grands démocrates dans cet aréopage venu exprimer sa solidarité. Derrière, ailleurs plutôt, un pays sur ses deux pieds réagissait à l’intimidation. JMG Le Clezio, Prix Nobel de littérature, résumait ainsi cette journée : « Un instant miraculeux. » « Les barrières des classes et des origines, les différences des croyances, les murs séparant les êtres n’existaient plus. Il n’y avait qu’un seul peuple de France, multiple et unique, divers et battant d’un même cœur. » Il y avait cette Marianne blanche faite de tissu qui dominait la masse. Elle saignait mais se dressait malgré tout. C’était bien elle qui triomphait dans cette journée. On avait sorti les drapeaux tricolores et les Marseillaise. « Ils ont attaqué les valeurs de la France et maintenant, il faut les défendre, ces valeurs », expliquait, à Bordeaux, Samuel, 13 ans. « C’est cette France que je veux apprendre à mes enfants », assurait Nezha Ranaivo, à Rennes. Et ces mots encore et toujours : « Je suis Charlie » « Je suis juif » « Je suis musulman ». « Je suis policier », aussi, en référence aux trois fonctionnaires abattus par les auteurs des tueries. Les forces de l’ordre ont été applaudies. Mais à Marseille, à Lyon, à Paris, les jeunes des cités, des quartiers, n’étaient pas là, ou si peu. Ils ne s’inscrivaient pas dans cette catharsis nationale. Qui ne pouvait le remarquer ? LUNDI : « JE SUIS CHARLIE MAIS » Et puisque la France était redevenue la France, avec le lundi revinrent les bisbilles gauloises. Il faut dire : le slogan « Je suis Charlie » était trop réducteur, trop contraignant pour tenir plus de cinq jours. Ont commencé à émerger les récriminations de ceux qui ne s’y reconnaissaient pas ou s’y sentaient trop à l’étroit. Ont fleuri sur le Web et les réseaux sociaux en une déclinaison infinie les « Je suis Charlie mais », les « je ne peux pas être totalement Charlie » ou même les « Je ne suis pas Charlie ». Certes en petits nombres, ont circulé des « Je suis Kouachi » ou « Je suis Coulibaly » qui ont soudain réveillé les peurs et rappelé que même la plus belle des manifestations ne pouvait tout changer. « Certains élèves semblaient vaguement fascinés, admiratifs de l’action menée par les terroristes… », relevait un enseignant havrais. La recrudescence d’actes islamophobes jetait également plus qu’une ombre au tableau d’une République une et indivisible. Le ministère de l’intérieur en recensait plus de cinquante ; atteintes à des lieux de culte, agres- Mardi, pourtant, la société semblait vouloir se ressouder. Dans la cour de la préfecture de police de Paris, trois cercueils sous des drapeaux tricolores. Seul réconfort de cette tuerie, la France se découvrait une police black-blancbeur. Une nouvelle fois, les propos sur le vivreensemble des frères de Franck Brinsolaro et Ahmed Merabet portaient loin, très loin, par leur incroyable dignité. François Hollande évoquait, lui, ceux qui sont « morts pour que nous puissions vivre libres ». Au même moment, à Jérusalem, étaient enterrées les quatre victimes de la prise d’otage de l’Hyper Cacher. L’après-midi, l’Assemblée nationale faisait une minute de silence qui s’achevait par une Marseillaise, la première qui ait été chantée dans ce lieu depuis le 11 novembre 1918, affirment les exégètes de la vie parlementaire. Mais, derrière cette unité affichée, les débats partisans avaient bien repris, d’abord sobrement puis avec âpreté. « Nous pouvons améliorer les mesures de sécurité pour renforcer la sécurité des Français », affirmait Nicolas Sarkozy. « La France est en guerre contre le fondamentalisme islamiste, tonnait Marine Le Pen. Les Français attendent de l’action, des décisions. Mais la France n’a encore rien fait. » Plus de mesures de sécurité pour assurer la liberté ? L’impossible quadrature alimentera les joutes de demain. Mais, dans cette reprise des hostilités, dans ce retour à la banalité du jeu démocratique, semblaient se percevoir de nouvelles lignes de fractures, de nouvelles alliances, sans savoir si cette recomposition sera éphémère ou durable. Y aura-t-il un avant et un après cette semaine tragique, comme certains le prédisent ? Cette question qui anime la scène politique vaut également pour la vie intellectuelle. Dès lundi, les événements ont dessiné de nouvelles lignes, peut-être de nouvelles frontières dans le monde des idées ou dans la République des lettres. La question de la place de l’islam dans notre société s’est étendue bien au-delà des habituels marchands de provocation ou des polémistes médiatiques. D’autres personnalités se sont exprimées, paroles jusque-là ignorées ou prononcées mezzo voce. Des écrivains comme Olivier Rolin se sont interrogés à haute voix : « Alors, ce serait une grande faute d’avoir peur de l’islam ? J’aimerais qu’on m’explique pourquoi. » Lydie Salvayre, Prix Goncourt, s’est appuyée sur son expérience de pédopsychiatre dans un dispensaire de banlieue pour prendre la parole : « Certains des enfants que je suivais se mirent à dire, naïvement et comme une chose allant de soi, qu’ils détestaient juifs et mécréants : leurs méchants à eux, les méchants de leur histoire. » Des sociologues comme Hugues Lagrange, petit-fils de Léo Lagrange, ministre du Front populaire, s’est interrogé avec plus de véhémence sur la dimension culturelle qui pousse des jeunes vers une dérive islamiste. Il s’opposait frontalement à la tradition bourdieusienne pour qui tout est social et pour qui ces terroristes ne sont que le produit de nos sociétés. « Sans craindre le racisme pervers qui se niche ici, certains ne conçoivent pas que des musulmans, des immigrés ou enfants d’immigrés puissent être totalement réactionnaires, et même fascistes, au même titre que certains catholiques, protestants, juifs ou agnostiques », s’est indigné Christophe Ramaux, membre des Economistes atterrés. Le rôle de la laïcité est discuté par d’autres tout comme l’idée du blasphème. Les excommunications entre anciens amis ont débuté dès lundi. La même agitation, les mêmes tensions secouent tant d’autres milieux. MERCREDI : LE NUMÉRO 1178 Comme indifférent à ce grabuge dont il est l’épicentre, Charlie Hebdo a fait paraître sa nouvelle livraison, mercredi matin. D’impressionnantes files d’attente devant les kiosques ont accueilli cette sortie, clôturant une semaine hors norme. De rupture de stocks en réassorts, 1,9 million d’exemplaires du numéro 1178 ont été écoulés en deux jours. Le kiosque de Saint-Mandé, à cent mètres de l’Hyper Cacher, a connu la même ruée. Malgré les objurgations à la prudence, la rédaction a publié une représentation de Mahomet en couverture. Comme si elle refusait la responsabilité morale qu’on entendait désormais lui faire porter, après cette semaine particulière où la mort de tant des siens a fait chavirer un pays. Comme si les dessinateurs entendaient rester dans leur rôle, celui de sales mômes qu’on n’avait pas le droit d’assassiner. p 10 | débats 0123 DIMANCHE 18 - LUNDI 19 JANVIER 2015 Après les attentats des 7, 8 et 9 janvier, Manuel Valls a déclaré que « la France est en guerre contre le terrorisme », une formule controversée bien qu’utilisée par les Américains depuis les attaques du 11-Septembre Est-on en « guerre contre le terrorisme » ? La riposte militaire n’est pas la seule option N’agissons pas sous le coup de l’émotion et évitons un Patriot Act à la française par paul quilès O n nous dit depuis quelques jours que nous serions engagés dans une guerre. Méfions-nous de ce terme, qui rappelle un mauvais souvenir : celui de cette « guerre totale contre le terrorisme » proclamée par George W. Bush au début des années 2000 et qui a conduit à tant de désordres au Moyen-Orient et dans le monde. Il ne faut pas se méprendre sur la nature de ce combat que nous devons mener. Nous ne sommes pas formellement en guerre, mais nous avons un adversaire, organisé, doté d’une idéologie, d’une stratégie, de moyens et d’un objectif essentiellement territorial, au moins pour l’Etat islamique (EI). N’oublions pas qu’il commet les mêmes actes terroristes dans tous les pays alliés des Etats-Unis – présentés par AlQaida et l’EI comme l’ennemi principal depuis trente ans – et beaucoup plus encore dans les pays musulmans, où se trouvent la majorité des victimes du terrorisme djihadiste. L’erreur serait de résumer la réponse à cette menace à une mesure unique, de type sécuritaire, alors que le problème est beaucoup plus complexe. Bien entendu, des mesures concernant l’amélioration de notre système de sécurité sont à prendre rapidement, mais il faut se garder que, sous le coup d’une émotion forte, elles viennent remettre en cause les libertés individuelles, auxquelles les Français sont très attachés. L’exemple à ne pas suivre, souvent cité, est celui du Patriot Act, série de mesures d’exception prises par les Américains au lendemain du traumatisme du 11 septembre 2001 et toujours en application. On sait aujourd’hui qu’il n’a pas apporté de réponse durable à la question posée, celle de la protection face à la menace djihadiste et qu’il a, par contre, durablement et gravement réduit certaines libertés individuelles. Il ne faut donc pas céder à la tentation d’une réponse sécuritaire, censée éradiquer de façon quasi magique et instantanée le terrorisme. De nombreux textes ont été votés depuis vingt ans pour améliorer la lutte contre le terrorisme. A la suite de l’attentat du 11-Septembre, j’ai moimême présenté en décembre 2001 un rapport de la Commission de la défense de l’Assemblée nationale, qui proposait 33 mesures « pour contrer la menace terroriste ». Il ne me semble pas inutile de le relire. Le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, vient de préciser les domaines dans lesquels il considère que des efforts sont encore nécessaires. C’est maintenant au Parlement de travailler rapidement pour donner un contenu juridique à ces mesures et au gouvernement de dégager les moyens qu’elles nécessitent. REFUS DE L’OBSCURANTISME Quelle réponse à la menace terroriste ? Pour être efficace, la réponse doit tenir compte de ce diagnostic et comporter plusieurs volets : le volet militaire, pour frapper à la source l’adversaire (à condition d’éviter les dérives de la politique américaine) ; le volet financier, pour le priver des ressources matérielles qui alimentent ses opérations terroristes ; le volet de la sécurité intérieure, pour améliorer le renseignement et le partage des informations entre ministères de l’intérieur et de la justice ; le volet de l’information, pour mieux contrôler certains sites Internet, qui sont devenus des vecteurs majeurs du terrorisme ; le volet social, pour éviter de laisser les populations de certaines zones sombrer dans la désespérance, ce qui contribue à les rendre vulnérables à la propagande et aux campagnes d’enrôlement des djihadistes ; le volet éducatif, pour mobiliser les enseignants, grâce à des moyens renforcés, dans leur rôle d’éveilleurs des consciences de la jeunesse. Ajoutons aussi l’attention renforcée qui doit être portée à la prison, trop souvent foyer de radicalisation des délinquants. Il est enfin indispensable que l’islam de France soit aidé pour qu’il puisse mieux dénoncer l’imposture de ceux qui détournent gravement le sens de leur religion. On le voit, la tâche est complexe ; elle concerne de multiples intervenants, elle exige une volonté, de la continuité et des moyens. Ne nous trompons pas sur le sens du message qu’ont voulu transmettre les Français par la formidable mobilisation du 11 janvier. Ils ont manifesté à la fois un ferme refus de l’obscurantisme et de l’islamo-fascisme, mais aussi la volonté d’une France plus solidaire, qui aspire à gommer les différences, pour que ne se crée pas le clivage précisément souhaité par l’idéologie djihadiste. Ne répondons pas à leur élan et à leur attente par une régression des libertés. p ¶ Paul Quilès, ancien ministre de la défense et de l’intérieur Dialogue de sourds | par fabio viscogliosi L’ère des conflits asymétriques La paix perpétuelle n’a pas suivi la guerre froide. De nouveaux types de conflits émergent aujourd’hui par yves jeanclos E n 1989, contrairement aux espérances populaires, la chute du mur de Berlin entraîne le monde dans une nouvelle insé- curité. Que le monde était pacifique et radieux sous la menace de la guerre nucléaire contrôlée et retenue par les deux adversaires-partenaires au XXe siècle ! Que la guerre était belle quand elle se déroulait sous des cieux ensoleillés, loin du continent européen et de la douce France, au nom d’idéologies opposées et rivales ! Comme la paix était aseptisée, cantonnée derrière les rideaux de glace de la dissuasion nucléaire ! Les attentats terroristes du 11 septembre 2001 mettent fin à l’unipolarité insolente des EtatsUnis. Ils font vaciller les certitudes d’un monde qui se croyait pacifique et heureux pour l’éternité. Ils donnent ses lettres de créance à la stratégie asymétrique, offrant l’avantage au faible contre le fort, à la souris face au chat. Un nouveau mode de relations internationales dominées par l’effroi, la peur et la douleur s’en trouve instauré. La force émotionnelle et politique de la destruction des bâtiments du commerce international et de la mort immédiate de plus de 3 000 personnes en plein cœur de New York reste un marqueur présent dans les esprits. Le soulèvement de plusieurs Etats arabes à partir de 2011 sonne le glas de régimes politiques contestés. Il entraîne malheureusement dans son sillage l’effondrement d’Etats en cours de développement. Le « printemps arabe » est applaudi, encouragé et soutenu par des pays occidentaux prêts à lever le fanion de la démocratie, pour l’imposer au pourtour méditerranéen. Certains pays dits frères en religion mais concurrents en politique lui apportent même assistance. Mais il emporte l’Etat libyen, remplacé par des éléments déterritorialisés et désorganisés. Il crée une vaste zone géographique d’insécurité aux limites de l’Afrique subsaharienne et du Machrek, où règnent en maîtres quelques milliers d’hommes erratiques et armés. Preuve est maintenant faite que plusieurs centaines d’insurgés suffisent pour faire face à des milliers d’hommes des forces policières et militaires. Le « printemps arabe » s’achève dans l’horreur en Irak et en Syrie, tandis que la Tunisie voit s’ouvrir une voie politique nouvelle. FOI CONQUÉRANTE Le terrorisme à la fois internationaliste et régionaliste fait trembler l’Orient, avant d’interpeller l’Occident. Il est le marqueur d’une guerre asymétrique commencée aux EtatsUnis en 1993, date des premiers attentats commis dans ce pays par des islamistes radicaux. Ce conflit est en cours de déploiement en Europe au XXIe siècle : la France prend part à une véritable guerre. Des hommes habités par une foi conquérante, décidés à s’emparer du pouvoir pour des raisons religieuses proclamées et des raisons économiques, en sont les principaux acteurs. Les pick-up automobiles et les kalachnikovs l’emportent bien souvent en efficacité sur les tanks, les canons et les missiles. Ce terrorisme démontre que la croyance religieuse ou idéologique est plus forte que la technique militaire. Il souligne également l’inanité de l’effet de nombre en matière militaire, face à la détermination, à l’imagination et à la mobilité opérationnelle de groupes à effectifs réduits. Même les frappes aériennes nombreuses et précises des avions et des missiles des puissances occidentales n’arrivent pas à le défaire. Le terrorisme internationaliste conduit une guerre asymétrique qui permet à ses auteurs de s’emparer de vastes territoires aux richesses pétrogazières et minérales, et de soumettre de nombreuses populations. Ce type de conflits est caractérisé par une tri- ple asymétrie : géographique, quantitative et qualitative. Ils peuvent en effet se dérouler sur deux théâtres d’opération à la fois, l’un où l’affrontement est militaire, et l’autre où le terrorisme importe la violence dans une zone pourtant très éloignée des combats. Un pont d’inévitabilité stratégique est ainsi construit entre un pays en guerre ouverte et un Etat en paix apparente. Sur le plan quantitatif, on remarque une grande variation du nombre d’hommes engagés entre les deux camps, d’un côté des milliers de soldats face à quelques centaines de combattants, parfois même quelques rares individus. L’arsenal employé suit les mêmes proportions. Aux nombreux missiles, canons, avions de combat répondent des armes légères, des grenades, voire des lance-roquettes. La guerre est enfin asymétrique en qualité par la nature des forces engagées dans les combats : des soldats formés et organisés en armée s’opposent à des petits groupes de combattants sans uniforme et sans armée. Elle est également asymétrique au regard des objectifs : les cibles strictement militaires dans les zones de combat correspondent à des objectifs civils, tant vis-à-vis des personnes que des biens, dans les pays en paix civile. Au XXIe siècle, la guerre asymétrique se rapproche dangereusement des Etats confiants dans la paix éternelle. Elle met en scène des combattants de nouvelle génération, issus de pays touchés par le terrorisme. Des individus décidés à donner leur vie à la martyrologie, en échange de la destruction du plus grand nombre d’ennemis en sont les principaux acteurs. La guerre n’est plus seulement asymétrique en quantité d’hommes et d’armes. Elle est asymétrique qualitativement entre des terroristes décidés à tuer et lourdement armés d’une part, et leurs ennemis désignés, simples citoyens désarmés d’autre part. DESTRUCTION HUMAINE La guerre asymétrique tend à réduire son champ opérationnel à un bâtiment, un appartement, un magasin d’alimentation, une école, un musée, à l’instar des assassinats commis à Toulouse, à Bruxelles, à Paris depuis 2012 par cinq terroristes internationalistes. Elle produit des effets asymétriques de destruction humaine : cinq terroristes d’un côté et des dizaines de personnes assassinées d’un autre côté. Elle donne l’avantage au faible contre le fort, qui peut ainsi décider du lieu et du moment de son action. Les terroristes cherchent à imposer la terreur à la population civile, pour qu’elle fasse pression sur son gouvernement afin qu’il change de politique, voire pour le contraindre à abandonner le pouvoir. Leurs objectifs ne sont pas frontaux mais souterrains, et peuvent frapper de manière inattendue et sporadique, laissant des doutes sur la réapparition ou la disparition de cette violence. Face à la menace, les responsables politiques, au nom de la liberté de pensée et d’expression, peuvent en venir à imposer des règles et des contraintes, des censures et des interdictions la limitant – à l’instar du Patriot Act que les Etats-Unis ont mis en œuvre à la suite des attentats du 11 septembre 2001, en contradiction avec la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. La guerre asymétrique entre des Etats membres des Nations unies et des groupes terroristes désireux de révolutionner le monde est un modus operandi sécuritaire d’innovation stratégique. Elle doit être analysée, comprise et organisée par les Etats menacés par le terrorisme, pour le prévenir et le détruire. La guerre asymétrique doit être gagnée par les Etats occidentaux sur leurs territoires nationaux et à leurs abords, par l’action policière, judiciaire et militaire. Elle doit également être gagnée par la pensée dans les écoles, les médias et la diplomatie. Seules la pensée et l’action garantiront la sécurité intérieure de la France et la paix du monde au XXIe siècle. p ¶ Yves Jeanclos docteur d’Etat en droit de Paris-II, agrégé de droit. Auteur de « Démocratie ou démogachie, l’art de gouverner au XXIe siècle », Economica, 2014 international | 11 0123 DIMANCHE 18 - LUNDI 19 JANVIER 2015 En Iran, le président Rohani joue son va-tout Critiqué par les conservateurs, Hassan Rohani en appelle à l’opinion et veut rassembler le camp réformateur D e plus en plus étouffé par les manœuvres du camp conservateur, hostile, en politique étrangère, à un accord sur la question nucléaire et, en politique intérieure, aux réformes, le président Hassan Rohani est passé à l’offensive. Plus question de se laisser faire en silence, comme cela a été le cas tout au long de l’automne 2014. M. Rohani multiplie les déclarations fermes à l’égard de ses adversaires et prépare une reconquête du Parle ment, aujourd’hui dominé par les conservateurs. Dernière manifestation en date de la pugnacité retrouvée du président, 200 personnalités emblématiques du camp réformateur se sont réunies, jeudi 15 janvier, à Téhéran, pour soutenir M. Rohani et préparer la bataille des élections législatives, prévues en mars 2016. « Nous ne voulons pas la majorité des sièges du Parlement. Nous voulons tous les 290 sièges », a proclamé Mostafa Kavakebian, le chef du parti Mardomsalari (« démocratie » en persan), lors de cette grande réunion, baptisée « l’Assemblée générale des réformateurs ». Une déclaration de guerre à l’intention des actuels députés qui ne ménagent pas leurs efforts pour entraver la politique du gouvernement. Organiser des référendums Ayant joué un rôle-clé dans l’élection du président Rohani, en juin 2013, l’ancien président Ali Akbar Hachémi Rafsandjani (1989-1997) et son successeur, le réformateur Mohammad Khatami (1997-2005), bien qu’absents de la réunion, avaient chacun envoyé un message. Si le premier a appelé « les dirigeants » de la République islamique d’Iran à « éviter des méthodes qui limitent le droit du peuple à choisir », l’autre a sommé les réformateurs de s’unir. Ce rassemblement, interdit depuis la réélection controversée, en juin 2009, de l’ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad (20052013), a reçu l’aval du ministère de l’intérieur du président Rohani. Ce qui témoigne clairement de la volonté du chef de l’Etat d’offrir une tribune et plus de marge de manœuvre à ses partisans. LE CONTEXTE DEUX PROJETS de sanctions américaines Deux projets visant à faire pression sur l’Iran sont actuellement à l’étude au Sénat des EtatsUnis. Le premier texte est porté par le démocrate Robert Menendez et le républicain Mark Kirk. Il prend la forme d’une loi qui déclencherait automatiquement de nouvelles sanctions à partir de juillet 2015, échéance fixée pour parvenir à un accord final sur le nucléaire iranien. Cette proposition sera examinée par la commission bancaire du Sénat à partir du 20 janvier. Le deuxième texte est défendu par le républicain Bob Corker, président de la commission des affaires étrangères du Sénat. Il vise à adopter une loi obligeant le président Barack Obama à soumettre tout accord sur le nucléaire à un vote du Congrès. Une mesure rejetée par la Maison Blanche, qui veut éviter que le Congrès ne court-circuite les négociations. Le président Hassan Rohani (au centre) dans la salle de contrôle de la centrale nucléaire de Bouchehr, le 13 janvier. MOHAMMAD BERNO/AFP Respecter « l’avis du peuple ». Ce mot d’ordre était déjà au cœur des déclarations du président, qui avait brandi, le 4 janvier, la possibilité, prévue dans la Constitution iranienne, d’organiser des référendums pour contourner le pouvoir législatif. Cette démarche, inédite de la part d’Hassan Rohani, en dit long sur le niveau d’hostilité au sommet du pouvoir. « Que l’avis du peuple soit demandé, de manière directe, au moins pour une fois, au sujet d’une question importante qui ne fait pas l’unanimité », a proposé M. Rohani, lors de la première Conférence sur l’économie iranienne, organisée pendant deux jours à Téhéran. Le président iranien a ensuite mis l’accent sur la situation économique du pays et évoqué le dossier nucléaire et les négociations avec le groupe « 5 + 1 » (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, plus l’Allemagne). « Le pays ne peut pas se développer de manière constante dans l’isolement », a-t-il soutenu. Des mots qui établissent clairement un lien direct entre les sanctions internationales et la nécessité d’obtenir un accord sur le nucléaire, par ailleurs l’une de ses promesses électorales. Hassan Rohani a, ce jour-là, laissé entendre qu’il pourrait organiser un référendum sur la résolution de ce contentieux, qui dure depuis 2003. « Nos principes ne sont pas liés aux centrifugeuses, mais à notre détermination », at-il conclu. Une réponse à tous ses adversaires qui mettent sur le même plan les idéaux de la Répu blique islamique et la poursuite du programme nucléaire. Pour l’économiste et analyste po litique iranien Saïd Leylaz, Hassan Rohani a bel et bien changé d’atti tude et haussé le ton. « L’économie est en pleine dégradation en Iran. La chute brutale des cours du brut a affecté, de manière flagrante, la vie quotidienne des gens », explique M. Leylaz, qui vit à Téhéran. Le pétrole, dont le prix a baissé d’environ 60 % depuis juin 2014, constitue la première source de revenus du pays et un tiers de son budget annuel. A cause des sanc- « Le pays ne peut pas se développer de manière constante dans l’isolement » HASSAN ROHANI chef de l’Etat iranien tions internationales, l’Iran a vu ses ventes de pétrole diminuer de 2,1 millions de barils par jour en 2011 à 1,1 million aujourd’hui. Selon Saïd Leylaz, « Hassan Rohani n’a plus de patience. Il veut qu’une unanimité soit obtenue au niveau de toutes les couches politiques et dans tous les domaines. » L’appel au référendum du chef de l’Etat lui a valu les foudres des conservateurs, qui sont allés jus qu’à lui demander de mettre fin aux négociations nucléaires. Pour le quotidien Kayhan, le bastion des ultraconservateurs, Hassan Rohani n’a que deux options : « Soit il continue sur le chemin pé- rilleux des négociations (…), soit il accepte courageusement que son analyse soit erronée et arrête de se sentir toujours redevable aux politiques insatiables en Occident. » Réaction du Guide suprême Le Guide suprême, Ali Khamenei, a également réagi aux propos de Hassan Rohani. Le 7 janvier, le nu méro un iranien a demandé au gouvernement de ne pas se focali ser que sur les négociations et d’essayer, en s’appuyant sur les « forces intérieures », de neutrali ser les sanctions. « L’ennemi ne cherche pas, pour l’instant, à affecter nos principes. Mais si nous re- culons, il le fera », atil soutenu, reprenant le mot « principes », utilisé par le président, pour le mettre en garde contre toute fai blesse face aux Occidentaux. Il a tout de même réitéré son soutien à la poursuite des pourparlers, tout en se disant pessimiste. Le référendum évoqué par Hassan Rohani est pour le moment irréalisable : selon la Constitution iranienne, il faut le vote des deux tiers des parlementaires pour pouvoir l’organiser. Plus que jamais, la survie politique de M. Rohani est liée à un accord nucléaire avec les Occidentaux. p ghazal golshiri Reprise des négociations sur le nucléaire à Genève N ervosité ou signe d’une avancée ? Vendredi 16 janvier, Paris a été l’hôte d’intenses consultations diplomatiques imprévues sur le nucléaire iranien, à la veille de la reprise des négociations entre l’Iran et les grandes puissances, dimanche à Genève, pour tenter de relancer un processus actuellement au point mort. A l’issue de son déplacement dans la capitale française, le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, venu rendre hommage aux victimes des récents attentats en France, a improvisé une rencontre avec son homologue iranien, Mohammad Javad Zarif, également présent à Paris vendredi pour y rencontrer Laurent Fabius, le chef de la diplomatie française. M. Zarif s’était au préalable rendu à Berlin et à Bruxelles et avait déjà longuement discuté, pendant cinq heures, avec M. Kerry, mercredi à Genève. La multiplication de ces échanges laissait supposer que les pourparlers reprenaient, ce alors que les Iraniens et les Occidentaux n’avaient pas réussi à conclure un accord définitif, le 24 novembre 2014, au terme d’un an de laborieuses tractations. Faute de compromis, ils avaient alors décidé d’un commun accord de prolonger de sept mois les négociations. Toutefois, au terme de l’entretien de quarante-cinq minutes entre MM. Fabius et Zarif, vendredi, le Quai d’Orsay a diffusé un communiqué laconique dans lequel il évoque « les importantes questions qui restent à résoudre » pour parvenir à un accord entre l’Iran et les pays du « P5 + 1 », qui regroupe les cinq pays membres du Conseil de sécurité de l’ONU, plus l’Allemagne. Plus tôt dans la journée, le président François Hollande, dans son discours de vœux au corps diplomatique, s’était également montré réservé. « La France veut un accord » mais avec « une ligne claire : oui à l’accès de l’Iran au nucléaire civil, non à son accès à l’arme nucléaire ». « Nous ne transigerons pas sur ce principe », avait souligné M. Hollande. « Pas beaucoup d’avancées » A en croire un diplomate occidental de haut rang, « il n’y a pas eu beaucoup d’avancées depuis le mois de novembre, les Iraniens n’ont pas encore fait les gestes pour avoir un bon accord ». Or le calendrier est serré : les négociateurs n’ont plus que quelques semaines pour parvenir à un accord-cadre, avant le 31 mars, qui doit fixer les principaux paramètres politiques d’un accord. Ils auront ensuite jusqu’au 1er juillet pour régler les annexes techniques de ce dossier éminemment complexe. Mais le climat s’est sensiblement tendu ces dernières semaines, tant en Iran qu’aux EtatsUnis, où les adversaires d’un compromis élèvent la voix. A Washington, le nouveau Congrès, dominé par les républicains, complique la donne pour Barack Obama, en menaçant de recourir à de nouvelles sanctions contre l’Iran. Le président américain a riposté, vendredi, en affirmant que « le Congrès doit faire preuve de patience ». De nouvelles sanctions, a-t-il plaidé, « compromettraient la possibilité d’une solution diplomatique à l’une des plus diffi- Le climat s’est sensiblement tendu tant en Iran qu’aux Etats-Unis, où les adversaires d’un compromis élèvent la voix ciles questions de sécurité nationale que nous ayons à traiter depuis longtemps ». Il reste deux principaux points de blocage à surmonter. Les Occidentaux réclament une réduction significative du nombre de centrifugeuses iraniennes qui servent à enrichir l’uranium, combustible nécessaire à la fabrication d’une arme atomique. L’Iran en possède près de 20 000, dont la moitié seulement est en activité. De leur côté, les Iraniens exigent une levée rapide des multiples sanctions (ONU, Etats-Unis, Europe) qui étouffent son économie, frappée de plein fouet par la chute du prix du pétrole, la principale ressource du pays. Pour bouger sur les sanctions, les Six exigent des garanties sur le breakout, c’est-à-dire le temps nécessaire aux Iraniens afin d’assembler une arme nucléaire. Pour l’instant, ce délai est d’environ trois mois, selon les Occidentaux. Ils veulent le rallonger à au moins un an. Une période jugée suffisamment longue pour détecter toute course clandestine à la bombe. Mais pour le moment, constate une source européenne proche du dossier, « les termes d’un accord ne sont pas encore sur la table ». p yves-michel riols 12 | international 0123 DIMANCHE 18 - LUNDI 19 JANVIER 2015 « Sans les sanctions, l’armée russe serait à Odessa » Alexeï Navalny, premier opposant à M. Poutine, dénonce la répression et la dérive nationaliste du Kremlin ENTRETIEN « Poutine était un voleur. Aujourd’hui, c’est un meurtrier. Il a commencé une guerre » A lexeï Navalny, avocat et blogueur spécialisé dans la lutte contre la corruption, est le principal opposant au président russe, Vladimir Poutine. Le 30 décembre 2014, un tribunal de Moscou l’a condamné à trois ans et demi de prison avec sursis pour escroquerie au détriment de la société française Yves Rocher. Son frère Oleg a eu la même peine, mais ferme. M. Navalny a été assigné à résidence, mesure qu’il ne respecte pas. Jeudi 15 janvier, il a accordé son premier entretien à un média étranger depuis ce verdict. Quelle est votre situation ? Je suis dans une situation assez étrange, assigné à résidence sans l’être vraiment. Cette assignation est illégale, et j’ai moi aussi agi illégalement en coupant mon bracelet électronique. Des policiers et des hommes en civil me suivent et me surveillent en permanence, mais je peux sortir de chez moi. Mercredi soir, j’ai été arrêté brièvement puis relâché. En ce moment, je suis à mon bureau. [M. Navalny a été de nouveau arrêté vendredi.] Cela fait trois ans que je vis ce genre de situation, une persécution policière plus ou moins intense. Cette fois, c’est plus difficile parce que mon frère est en prison. Mais je me suis habitué. Pouvez-vous communiquer avec votre frère ? J’ai reçu une lettre de lui. Pour un homme qui est en prison alors qu’il est innocent, il va plutôt bien. Selon les standards russes, il est détenu dans de relativement bonnes conditions. Oleg n’est pas un militant politique. Sa seule faute est d’être mon frère. Le pouvoir en a fait un otage. Pensez-vous que votre condamnation a été décidée par le Kremlin ? L’affaire avec Yves Rocher a été fabriquée. Toutes les décisions prises par les juges dépendent de Vladimir Poutine. Il y a un an, j’ai été condamné à cinq ans de prison ferme dans une autre affaire, l’affaire Kirovles, et relâché le lendemain. Les juges ne décident rien sans l’aval de Poutine. Mes activités font mal au pouvoir russe et à M. Poutine personnellement. En Russie, il est permis de parler de démocratie, de liberté, de concepts généraux. Moi, je parle de la corruption, et je donne des noms. J’enquête sur les affaires impli- viendra pas à l’Ukraine avant longtemps. Je comprends que cela ait déplu aux Ukrainiens, mais c’est une position réaliste. Avant d’imaginer un tel retour, il faudrait un nouveau référendum – un référendum juste, cette fois – et il faudrait enlever aux habitants de Crimée les passeports russes qui leur ont été distribués. Légalement, pratiquement, c’est difficile et cela prend du temps. Alexeï Navalny, le 16 janvier, à Moscou. MIKHAÏL POCHUYEV/CORBIS quant Poutine, sa famille, ses proches. Ça, c’est interdit. Et ça fait de moi un ennemi de l’Etat. Vous êtes le principal opposant à M. Poutine. Pourtant, après votre condamnation, seules quelques milliers de personnes ont manifesté. Comment l’expliquez-vous ? Il y a d’abord les manœuvres du Kremlin. Le fait d’avancer brusquement l’annonce du verdict, à la veille des célébrations du Nouvel An. Le fait d’envoyer mon frère en prison et pas moi… Mais là n’est pas l’essentiel. La situation en Russie est très différente de ce qu’elle était il y a un an. La pression s’est énormément accrue sur la société. Il y a un an, Poutine était seulement un voleur. Aujourd’hui, c’est un meurtrier. Il a commencé une guerre. Les gens ont peur. Durant cette année, diriez-vous que Vladimir Poutine s’est affaibli ou renforcé ? Sur la scène internationale, il est affaibli, cela ne fait aucun doute. En Russie même, c’est différent. Justement parce qu’il sentait son pouvoir décliner, Poutine a déclenché une guerre, attisé les sentiments anti-occidentaux, renforcé la propagande… Et une grande partie de l’opinion l’a suivi. Mais se focaliser sur les son- Deux pro-Charlie condamnés à Moscou Pour avoir brandi une pancarte « Je suis Charlie » à deux pas du Kremlin, Mark Galperine a été condamné, vendredi 16 janvier, à une peine de prison de huit jours par un tribunal de Moscou pour « violation des règles d’organisation d’un événement public ». Etant de nouveau sorti place du Manège le 15 janvier (date initialement prévue pour le procès de l’opposant Alexeï Navalny, avancé au 30 décembre 2014), il s’est vu infliger trente jours de prison supplémentaires. Exactement pour les mêmes motifs, un autre manifestant, Vladimir Ionov, a été condamné à des amendes de 20 000 roubles (265 euros) et 150 000 roubles. dages n’a pas de sens. Moi, par exemple, je n’ai pas accès aux médias et pas le droit de me présenter à des élections. Même parmi les élites, il n’y a que ses proches, ceux qui s’enrichissent, qui le soutiendront jusqu’au bout. Les autres, notamment dans le monde des affaires, ne sont tenus que par la peur. Ils le trahiront à la première occasion. Soutenez-vous les sanctions prises par les pays occidentaux contre votre pays ? Les sanctions et plus généralement la mauvaise situation de l’économie font mal au peuple russe. Mais, sans elles, l’armée russe serait à Odessa. Les sanctions mettent aussi la pression sur Poutine sur le plan intérieur. Elles contribuent à l’affaiblir. Pour l’instant, ça le pousse dans ses retranchements : durcir la répression politique, museler les médias, poursuivre la guerre en Ukraine. A long terme, je ne sais pas. Poutine n’a qu’une ambition : mourir dans son lit après avoir été le président à vie de la Russie. Je pense que, dans la période qui vient, la Russie va de plus en plus suivre la voie de la Biélorussie. Le nationalisme en plus. Il serait donc naïf de croire que le Kremlin peut participer à un règlement pacifique de la guerre en Ukraine ? Il ne le peut pas. C’est devenu une question de survie politique pour Vladimir Poutine. Il ne peut pas se permettre de voir l’Ukraine réussir. Ce serait un exemple beaucoup trop dangereux pour les Russes comme pour les autres pays de la région. Vous avez déclaré que la Crimée appartenait désormais de facto à la Russie et qu’elle ne reviendrait peut-être jamais à l’Ukraine. Ce sont des déclarations difficilement compréhensibles venant de quelqu’un qui critique aussi sévèrement le Kremlin… L’annexion de la Crimée était un acte injuste et illégal. Mais aussi stupide et contraire aux intérêts de la Russie : l’Ukraine est devenue un Etat hostile à la Russie, les autres pays de la région nous regardent avec méfiance. Ce que j’ai dit aussi, c’est que la Crimée ne re- En Europe, l’idée qu’une Russie sans Poutine et gouvernée par des nationalistes serait dangereuse est très répandue. Qu’en pensez-vous ? C’est une erreur absolue. C’est Poutine qui a favorisé l’émergence des idées nationalistes et des groupes nationalistes. Il y a en Russie énormément de gens qui rêvent d’un pays gouverné selon des principes démocratiques. Ceux-là, et j’en fais partie, voient la Russie comme un pays européen, pas « eurasiatique » ou un autre de ces fantasmes. On vous a souvent décrit comme un nationaliste… J’ai des positions conservatrices sur l’immigration. Pour être plus précis, tout ce que je demande, c’est que la Russie introduise un régime de visas avec les pays d’Asie centrale. Cela fait-il de moi un nationaliste borné ? Je ne le crois pas. Plusieurs journaux russes ont reçu des mises en garde leur demandant de ne pas publier de caricatures de Mahomet ou de ne pas reproduire de « unes » de « Charlie Hebdo ». Quelle est votre position ? Je suis contre la censure, en étant moi-même une victime. Mon site est inaccessible depuis la Russie. C’est une mauvaise décision d’empêcher les journaux de publier ces caricatures. Mais c’est significatif : en même temps qu’il développe une rhétorique nationaliste, Poutine promeut un fondamentalisme religieux – orthodoxe principalement, mais aussi musulman en Tchétchénie. p propos recueillis par benoît vitkine Mme Mogherini prône un retour au dialogue entre l’UE et Moscou La haute représentante a envoyé une lettre aux Vingt-Huit, dans laquelle elle envisage une approche plus nuancée des relations avec la Russie bruxelles - bureau européen F aut-il, malgré la situation en Ukraine, l’annexion de la Crimée et la politique des sanctions, tenter de renouer le dialogue avec Moscou ? La question semblait taboue à Bruxelles. Elle ne l’est plus depuis que le Service européen d’action extérieure de l’Union européenne a diffusé auprès des représentants des Etats membres un document de travail qui sera débattu au niveau ministériel lundi 19 janvier. Les ministres des affaires étrangères doivent examiner, sans adopter de conclusions à ce stade, cette lettre endossée par la haute représentante Federica Mogherini, manifestement décidée à jouer un rôle vraiment politique et à se démarquer de l’approche de la Britannique Catherine Ashton, qui l’a précédée dans cette fonction. Les cinq feuillets présentés aux capitales européennes entendent promouvoir « une approche proactive » des Vingt-Huit, même si Moscou continue à se livrer à « des pressions, des intimidations, des manipulations et de la propagande » dans les mois à venir. L’Union ne transigera pas sur l’application du processus de paix conclu à Minsk entre l’Ukraine et la Russie, mais elle doit désormais se poser les bonnes questions, souligne en substance Federica Mogherini. Elle invite dès lors ses collègues à se demander d’abord s’il n’est pas possible, dans le domaine des sanctions adoptées jusqu’ici, de distinguer entre celles qui concernent l’annexion illégale de la Crimée et celles qui concernent la déstabilisation dans l’est de l’Ukraine. En clair, elle suggère de réduire les sanctions en échange Il s’agirait de réduire les sanctions contre une application, par le Kremlin, des accords de paix en Ukraine d’une application, par Moscou, des accords de Minsk. Une désescalade serait bénéfique pour l’UE, avec une stabilisation de ses frontières orientales et la possibilité d’un développement de la coopération avec Moscou dans une série de domaines : l’énergie, les transports, le commerce, le changement climatique ou la politique étrangère. La Russie, elle, pourrait entrevoir les avantages d’une libéralisation de la politique de visas, du retour des investissements et de la technologie européenne et d’un dialogue sur les éventuelles conséquences négatives, pour son économie, de l’accord d’association conclu entre Bruxelles et Kiev. L’Union eurasienne, qu’elle a constituée avec l’Arménie, la Biélorussie et le Kazakhstan – et le Kirghizistan en mai –, pourrait, en outre, être considérée comme un possible partenaire de l’UE. Accueil plutôt positif Même s’il bouscule certaines convictions, le document a reçu un accueil plutôt positif dans diverses capitales, dont Paris. Beaucoup estiment que la logique des sanctions est à son terme, maintenant qu’elles ont contribué à affaiblir l’économie russe. « Que pouvons-nous faire de plus ? Mme Mo- gherini est dans son rôle de haute représentante. Elle formule des propositions d’ouverture, tout en restant ferme avec Moscou », analyse une source européenne. Une partie des Européens sontils pour autant déjà prêts à en revenir à des relations normales avec Moscou ? Non, répondent des responsables interrogés. En Ukraine, la situation a peu évolué et semble même s’être détériorée ces derniers jours. « Il ne s’agit pas d’accréditer l’idée que nos relations avec Moscou sont revenues à la normale », explique une autre source. « Et il n’est pas du tout question, en ce moment, de discuter d’un allégement des sanctions. Elles ne seront levées que si les accords de Minsk sont mis en œuvre de manière pleine et entière. Il y a un consensus des Vingt-Huit sur le sujet. » Prudemment, le document n’évoque d’ailleurs pas vraiment un retour sur les mesures restrictives. Cette discussion n’interviendra qu’en mars, pour ce qui est des mesures visant des personnalités, et en juillet pour les sanctions économiques. Et les pays membres ne sont manifestement pas tous sur la même ligne, les Etats baltes et certains pays de l’est de l’Europe poussant toujours à l’épreuve de force avec Moscou. Des quotidiens anglosaxons évoquent un désaccord entre la haute représentante et le Polonais Donald Tusk, le président du Conseil européen. Mme Mogherini est soupçonnée d’être trop conciliante vis-à-vis de Moscou, tandis que M. Tusk serait intransigeant à l’égard de M. Poutine. « C’est faux, soutient une source diplomatique. M. Tusk a eu accès au document avant sa publication et l’a adouci. » p jean-pierre stroobants planète | 13 0123 DIMANCHE 18 - LUNDI 19 JANVIER 2015 2014, année la plus chaude enregistrée sur le globe La température terrestre a été supérieure de 0,69 °C à la moyenne du XXe siècle. Un nouveau record F in 2014, l’Organisation météorologique mondiale (OMM) annonçait que l’année en cours pourrait être la plus chaude jamais enregistrée. Les relevés du mois de décembre le confirment. Deux des trois principaux laboratoires engagés dans la mesure de la température terrestre — l’un à l’Agence spatiale américaine (NASA), l’autre à l’Agence américaine chargée de l’étude de l’océan et de l’atmosphère (NOAA) — ont présenté, vendredi 16 janvier, leurs résultats : 2014 a bel et bien été la plus chaude jamais mesurée depuis 1880, date du début des relevés thermométriques. En réalité, il faut sans doute remonter au moins un millénaire au-delà pour trouver une année plus chaude que celle qui vient de s’achever. Toutefois, la messe n’est toujours pas formellement dite. Les données britanniques du Centre Hadley, troisième institution de référence, n’ont toujours pas été prises en compte. L’OMM, qui opère chaque année la synthèse des trois résultats, rendra son verdict définitif à la fin du mois de janvier. Le doute n’est pourtant plus de mise. D’autres institutions météorologiques ou laboratoires ont aussi, récemment, annoncé que leurs données convergeaient pour faire de 2014 l’année la plus chaude jamais observée. L’agence météorologique japonaise l’a fait le 5 janvier. Les Américains du laboratoire Berkeley Earth, conduit par le physicien Richard Müller, Les dix années les plus chaudes sont toutes postérieures à 2000, à l’exception de 1998 ont communiqué leurs conclusions le 15 janvier, et font également de 2014 l’année record, mais au coude-à-coude avec 2010 et 2005. Selon la NOAA, la température moyenne terrestre a été en 2014 supérieure de 0,69 °C à la moyenne du XXe siècle. Une estimation toute proche de celle de la NASA, les deux institutions de référence donnant l’année écoulée au-dessus de 2010 et de 2005 – respectivement deuxième et troisième au classement – de quelques centièmes de degré. Une telle différence peut sembler infime, mais élever la basse atmosphère terrestre d’un tel niveau requiert au contraire une énergie considérable. « L’année 2014 est la dernière en date d’une série d’années chaudes, elles-mêmes faisant partie de décennies chaudes, précise Gavin Schmidt, directeur du Goddard Institute for Space Studies de la NASA. Le classement des années individuelles peut être affecté par le chaos qui gouverne la météorologie, mais les tendances de long L’épidémie d’Ebola recule en Afrique de l’Ouest Le nombre de nouveaux cas diminue, mais la vigilance reste de mise, selon l’OMS L’ épidémie de maladie à virus Ebola, qui sévit depuis un an en Afrique de l’Ouest et a déjà tué près de 8 500 personnes, paraît entamer son reflux, alors que débute la Coupe d’Afrique des nations de football, samedi 17 janvier, en Guinée équatoriale. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a en effet enregistré une diminution du nombre de nouveaux cas dans les trois pays les plus affectés : Guinée, Liberia et Sierra Leone. La Guinée a notifié 42 cas confirmés d’Ebola pour la semaine du 4 au 11 janvier, soit le chiffre le plus bas depuis la deuxième semaine d’août 2014. Le Liberia a, lui, confirmé 8 cas sur la même période, son plus bas niveau depuis juin 2014, alors qu’on dénombrait quelque 300 nouveaux cas hebdomadaires en août et en septembre 2014. Signe de l’amélioration, les écoles, fermées depuis six mois, doivent rouvrir le 19 janvier en Guinée et le 2 février au Liberia. Traitements prometteurs La Sierra Leone connaît, elle aussi, une diminution des cas confirmés pour la deuxième semaine consécutive et revient au niveau de la fin août. Mais, au cours de la semaine du 4 au 11 janvier, le pays dénombrait 187 nouveaux cas, dont 59 dans la capitale Freetown. Un chiffre qui en fait le pays le plus sérieusement touché puisqu’il représente pratiquement la moitié des 21 373 cas cumulés pour les trois pays depuis le début de l’épidémie. « Si cette tendance se confirme, cela suggère que nous avons passé un cap et que l’épidémie est sur une pente descendante », a commenté le coordinateur de l’ONU pour la lutte contre Ebola, le docteur David Nabarro, dans un entretien à l’AFP. Il a toutefois prévenu des dangers d’une diminution de la vigilance, car « le risque d’une recrudescence persiste ». Plusieurs facteurs expliquent, selon l’OMS, la persistance d’une transmission du virus Ebola d’un individu à l’autre, malgré le déploiement de moyens plus importants sur le terrain. Les trois pays disposent à présent d’un nombre suffisant de lits pour isoler les malades à l’hôpital (plus de deux lits sont disponibles pour chaque cas confirmé ou probable). Mais la répartition inégale entre les lits et la survenue de cas, ainsi que des manques dans les signalements, font que tous les malades ne sont pas isolés et risquent de transmettre le virus. De même, alors qu’il existe des moyens pour enterrer les victimes d’Ebola dans des conditions plus sûres, les pratiques funéraires à risque persistent, comme la toilette mortuaire effectuée par les proches. L’OMS a convoqué, mardi 20 janvier, une quatrième réunion de son comité d’urgence sur Ebola, afin de faire le point sur la situation et discuter d’éventuelles adaptations à porter aux recommandations en vigueur sur place. Dimanche 25 janvier, veille de la réunion de son conseil exécutif, l’organisation a également programmé une session spéciale consacrée aux leçons à tirer pour le futur de cette épidémie. Des essais de traitements prometteurs ont par ailleurs été lancés dans les pays touchés, où des tests de vaccins doivent également débuter avant la fin du mois. p paul benkimoun terme sont attribuables aux moteurs du changement climatique, dominés par les émissions humaines de gaz à effet de serre. » Au total, note la NOAA dans sa synthèse, « la température annuelle mondiale a augmenté en moyenne de 0,06 °C par décennie depuis 1880 et de 0,16 °C par décennie depuis 1970 ». Il faut remonter à 1976 pour trouver une année plus froide que la moyenne du XXe siècle. Depuis trente-huit ans, les années qui s’écoulent sont donc systématiquement plus chaudes que la normale. La tendance se lit aussi dans le palmarès. Les dix années les plus chaudes enregistrées à ce jour sont ainsi toutes postérieures à 2000, à l’exception de 1998. Cette année avait été marquée par un phénomène El Niño hors du commun qui avait contribué à faire grimper brutalement le mercure mondial. Disparités régionales Ce phénomène naturel revient tous les trois à sept ans et est caractérisé par un réchauffement des eaux du Pacifique équatorial. Il alterne généralement avec le phénomène antagoniste, dit La Niña, qui au contraire voit les eaux du Pacifique refroidir et fait ainsi baisser le thermomètre mondial. Dans leur communiqué commun, la NASA et la NOAA notent que le record de l’année 2014 a été établi alors qu’aucun Niño n’a été à l’œuvre au cours de l’année. Et ce alors que les deux précédents re- AF R I QU E AUST RALE Inondations meurtrières au Mozambique et au Malawi Au moins 192 personnes ont péri et plus de 200 000 ont été déplacées au Malawi et au Mozambique en raison des inondations qui ravagent la région depuis début janvier, selon un nouveau bilan publié vendredi 16 janvier. Avec 176 morts décomptés, le Malawi est particulièrement touché. « Ce n’est que le début du commencement des pluies. Le gouvernement appelle la population vivant dans les districts du sud exposés aux inondations à se déplacer d’urgence vers des zones plus en altitude pour éviter de nouvelles pertes humaines », a déclaré Paul Chiunguzeni, premier secrétaire à la gestion des catastrophes au Malawi. Les autorités sanitaires locales redoutent l’apparition de cas de dysenterie, choléra et fièvre typhoïde. – (AFP.) ARABI E SAOU D I T E Les autorités saoudiennes reportent la flagellation d’un blogueur Ryad a décidé de reporter, pour « raisons médicales », la flagellation du blogueur saoudien Raef Badaoui prévue vendredi 16 janvier. M. Badaoui, condamné pour « insulte à l’islam », s’est vu infliger le 9 janvier les 50 premiers coups de fouet d’une sentence en comptant 1 000 répartis sur vingt semaines. Son cas a déclenché un tollé international et attiré l’attention sur la rigidité avec laquelle le royaume ultraconservateur applique la loi islamique. En 2014, l’Arabie saoudite a exécuté 87 condamnés à mort et 10 depuis le début de l’année. Selon Amnesty International, le royaume a perpétré le troisième plus grand nombre d’exécutions au monde en 2014 derrière l’Iran et l’Irak. – (AFP.) cords, 2005 et 2010, avaient, eux, été « aidés » par l’« enfant terrible du Pacifique ». « C’est la première fois depuis 1990 qu’un record de température est battu en l’absence d’un phénomène El Niño », a précisé Thomas Karl, scientifique en chef responsable du climat à la NOAA, au cours d’une conférence téléphonique. Comme toujours, les disparités régionales sont importantes. A l’image de la moyenne mondiale, la France et l’ensemble de l’Europe, par exemple, ont connu en 2014 leur année la plus chaude, comme l’a récemment annoncé Météo France. En revanche, 2014 ne pointe aux Etats-Unis qu’à la 18e place, avec, au sein même du territoire américain, de grandes différences. Par exemple, le Nevada, la Californie, l’Alaska et l’Arizona ont connu leur année la plus chaude. Frappée par une interminable sécheresse aggravée par de 358 C’est le nombre de mois consécutifs, jusqu’à décembre 2014, dont la température aura été supérieure à la moyenne du XXe siècle. Le dernier mois affichant une température moyenne plus basse que la moyenne du siècle dernier est en effet février 1985. Les mois qui se sont écoulés depuis – soit près de trente ans – ont tous eu, sans interruption, une température supérieure à la moyenne. La dernière année pleine avec une température moyenne sous la normale du XXe siècle était 1976. fortes chaleurs, la Californie a vu sa température moyenne annuelle supérieure de 2,3 °C à la moyenne du XXe siècle. Le précédent record avait été établi à 1,3 °C. A l’inverse, les deux tiers du territoire américain, ainsi que le Canada, ont connu une année plus froide que la moyenne. « Cette tendance de long terme au réchauffement et le classement de 2014 comme année la plus chaude renforcent la nécessité pour la NASA d’étudier la Terre comme un système intégré. Il s’agit, en particulier, de comprendre le rôle et l’impact des activités humaines », a déclaré John Grunsfeld, administrateur associé de l’agence. Un message peut-être adressé aux deux commissions parlementaires américaines chargées de superviser et de contrôler le travail de la NASA et de la NOAA, présidées par des élus républicains notoirement connus pour leur penchant climatosceptique. p stéphane foucart ANTIQUITÉS DÉCORATION Fauteuils & Canapés Club Haut de Gamme - SOLDES SOLDES IO NNELS EXCEPT 2/2015 du 7/01 au 17/0 ACHAT AU DESSUS DE VOS ESTIMATIONS ET EXPERTISES « ART D’ASIE » : CHINE, JAPON ET MOYEN-ORIENT 06.07.55.42.30 P. 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La négociation, ouverte à la demande du gouvernement, aurait déjà dû aboutir fin 2014. Les grandes lignes de l’accord semblaient pourtant être fixées vendredi soir, mais les détails techniques de la réforme en pro- LE CONTEXTE Le projet d’accord, qui peut encore évoluer, prévoit deux principaux changements. CONSEIL D’ENTREPRISE Le comité d’entreprise, le comité d’hygiène de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), les délégués du personnel et les délégués syndicaux sont fusionnés dans une seule instance, le conseil d’entreprise. Les moyens de ce conseil, obligatoire dans toutes les entreprises de plus de onze salariés, augmenteront en fonction de la taille de l’entreprise. COMMISSIONS RÉGIONALES Les salariés des entreprises employant moins de onze personnes seront représentés par des syndicats siégeant au sein d’une commission paritaire régionale, avec des élus patronaux. Les pouvoirs de ces commissions seront toutefois très limités. R ECT I F I C AT I F Plusieurs prénoms de l’article « C’est un complot pour salir les musulmans » de Gilles Rof (Le Monde daté du 17 janvier) ont été modifiés à la suite d’une erreur technique. Il fallait lire Byllal (non pas Bilan), Ryan (non Yan) et Ryade (non Ruade). Nous présentons nos sincères excuses aux personnes concernées. J UST I C E Un policier condamné pour avoir menti Un policier de l’Essonne a été condamné en appel, vendredi 16 janvier, à trois mois de prison avec sursis pour « modification de l’état d’un crime ou d’un délit ». Lors d’affrontements avec des habitants du quartier de La Grande-Borne, à Grigny (Essonne), en 2007, le fonctionnaire, qui avait tiré en direction d’un émeutier de 17 ans s’apprêtant à lancer un cocktail molotov, avait aussitôt ramassé trois étuis de balles qu’il avait jetés dans les égouts et replacé trois balles dans le chargeur de son revolver, affirmant n’avoir tiré qu’à trois reprises au lieu de six. Il avait par la suite expliqué avoir maquillé la scène pour éviter des remontrances de sa hiérarchie et faire croire à un acte de légitime défense. fondeur des instances de représentation du personnel souhaitées par le Medef ont fait l’objet d’âpres débats. Sur le principe, trois syndicats majoritaires (CFDT, CFTC et CFE-CGC) devraient s’entendre avec le Medef et l’UPA (artisans) pour fusionner toutes les actuelles instances de représentations du personnel (comité d’entreprise, délégués du personnel, comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail [CHSCT]) dans une seule, baptisée « conseil d’entreprise ». Reste à en fixer les détails techniques précisément. Disparition des CHSCT Si elle est entérinée lors de l’ultime séance de négociation, cette réforme pourrait bouleverser en profondeur le paysage du dialogue social dans les entreprises. Le nouveau conseil d’entreprise devrait en effet être obligatoire dans toutes les entreprises employant plus de onze salariés. La disparition des CHSCT est probablement la mesure la plus spectaculaire de ce projet d’accord. Créés en 1982, ils étaient spécialisés dans la surveillance des conditions de travail des salariés. Le Medef, qui réclamait cette simplification, assure que les prérogatives actuelles du CHSCT seront intégralement transmises au nouveau conseil d’entreprise. Par ailleurs, le projet de texte prévoit que les entreprises de plus de 300 salariés continuent d’avoir un ersatz de CHSCT, sous la forme d’une simple « commission » constituée au sein du conseil d’entreprise et qui « l’assiste » sur les questions d’hygiène, de sécurité et de conditions de travail. Mais la CGT, qui ne signera pas l’accord quoi qu’il arrive, a immédiatement dénoncé une « réduction drastique du dialogue social et des capacités d’intervention des salariés ». Dans la même veine, Force ouvrière s’est alarmée de la fin de « soixante-neuf ans de délégués du personnel, soixante-dix ans de comité d’entreprise, quarante-six ans de délégués syndicaux et plus de trente ans de CHSCT ». La CFDT était nettement moins pessimiste, en estimant que la disparition des CHSCT n’était pas un problème si ses pré- Agnès Le Bot (CGT) discute avec Alexandre Saubot (Medef), le 16 janvier, au siège du Medef, à Paris. ALAIN GUILHOT/DIVERGENCE POUR « LE MONDE » rogatives et pouvoirs sont intégralement repris par les nouveaux conseils d’entreprise. En échange de cette mesure, le patronat a accepté de créer un dispositif pour représenter les salariés des entreprises de moins de onze salariés, qui en sont actuellement dépourvues. C’était une des principales revendications syndicales. Des « commissions régionales paritaires » doivent voir le jour. Elles regrouperont dix patrons et dix syndicalistes et auront pour rôle de « conseiller les salariés et les employeurs » de ces petites entreprises. Leurs moyens seront en revanche très limités et elles auront l’interdiction « d’intervenir dans une entreprise », ce qui devrait clairement brider leur pouvoir. La CFDT réclame que ces pouvoirs soient renforcés avant de signer ce projet d’accord. Côté patronal, la CGPME, qui refuse par principe La CGT a dénoncé une « réduction drastique du dialogue social et des capacités d’intervention des salariés » toute représentation des salariés dans les très petites entreprises (TPE), ne signera probablement pas l’accord. Qu’importe, les signatures du Medef et de l’UPA (artisans) suffiront. « Lissage » des seuils sociaux Par ailleurs, le patronat réclame un « lissage » des seuils sociaux actuels puisque la taille des conseils d’entreprise dépendra plus forte- ment de la taille des entreprises. Le dernier projet prévoyait un élu pour les entreprises de 11 à 25 salariés, deux jusqu’à 49, et ainsi de suite jusqu’à 60 pour les entreprises de plus de 10 000 salariés. En revanche, le seuil symbolique des 50 salariés devrait perdurer puisque c’est à partir de ce niveau que le conseil d’entreprise aura un budget de fonctionnement, la possibilité d’aller en justice et de prévoir des mesures sociales pour les salariés, sur le modèle des actuels comités d’entreprise. Syndicats et patronat se sont longuement écharpés sur l’enveloppe d’heures de délégation dont pourront bénéficier ces élus, le patronat voulant drastiquement les réduire. Les syndicats devraient par ailleurs obtenir le maintien de leur prééminence. Comme actuellement, seuls des candidats syndiqués pourraient se présen- ter au premier tour des élections professionnelles et ils seraient les seuls habilités à négocier des accords avec leur direction, sauf en l’absence totale d’élus syndiqués. Là encore, ces points font l’objet de discussions techniques poussées qui ne sont pas encore résolues. Dernier point crucial, le patronat demande que les nombreuses consultations obligatoires soient grandement allégées puisque, dans son projet, seules subsistent trois consultations annuelles sur la « situation économique et financière de l’entreprise », sur la « situation sociale » et sur les « orientations stratégiques ». Autant dire que, si les partenaires sociaux finissent par s’entendre, le paysage du dialogue social dans les entreprises devrait radicalement changer. p jean-baptiste chastand Cécile Duflot annonce son soutien à Syriza Les Verts participeront, lundi 19 janvier, à Paris, à un meeting favorable au parti de la gauche radicale grecque L’ image va susciter nombre de commentaires, en particulier à Europe Ecologie-Les Verts (EELV). Lundi 19 janvier, Cécile Duflot et Jean-Luc Mélenchon partageront une tribune, à Paris, à l’occasion d’un meeting de soutien aux Grecs de Syriza. Le parti de la gauche radicale, qui souhaite desserrer l’étau de l’austérité dans son pays, est présenté comme le grand favori des élections législatives anticipées qui doivent avoir lieu le 25 janvier dans la péninsule hellénique. Mme Duflot et M. Mélenchon, auxquels se joindra Pierre Laurent, secrétaire national du Parti communiste, répondront ce soir-là à un appel signé, entre autres, par les différentes composantes du Front de gauche, les altermondialistes d’Attac ou encore quelques fédérations des syndicats CGT et SUD. « Il y aura aussi Guillaume Balas [député européen PS et frondeur affirmé] », tient à préciser la députée de Paris, qui ne veut pas laisser penser qu’elle aurait brutalement changé de camp à gauche. Début janvier, Cécile Duflot envisageait de se rendre en Grèce pour exprimer son soutien à Syriza. Des contacts avaient été pris avec des responsables du parti grec, mais aucune rencontre avec son chef de file, Alexis Tsipras, n’était au programme. « On va nous traiter de Mélenchon si on fait ça », reconnaissait alors son entourage. L’assassinat de 17 personnes par trois djihadistes et la mobilisation de quatre millions de Français dans la rue ont coupé court à ce projet de voyage. L’agenda de la députée ne lui permet désormais plus de se rendre à Athènes. Elle doit donc se contenter de l’estrade du gymnase Japy. « Faire bouger les lignes » « Je suis très contente qu’on fasse, en France, un meeting pour une élection qui se tient ailleurs en Europe », explique la députée, qui rappelle que les Verts grecs sont alliés à Syriza. « Leur victoire serait une bonne chose pour les Grecs et pour l’Europe. Il faut faire bouger les lignes. La politique comptable et d’une froideur humaine terrible menée au niveau européen est une erreur », juge-t-elle. En parallèle, une motion est examinée samedi 17 et dimanche 18 janvier au sein d’Europe Ecologie-Les Verts, qui tient son conseil fédéral. Elle prône un soutien à Syriza et à Podemos, en Espagne, qui représenteraient, selon cette motion, « des partenaires de la réorientation européenne ». Le texte enjoint par ailleurs « la direction d’EELV à travailler à tous les échelons avec les forces politiques françaises désireuses d’ouvrir une alternative politique semblable ». En clair, le Front de gauche et tous les mouvements de gauche critiques envers le PS. Fait suffisamment rare pour être Depuis son départ du gouvernement, l’ex-ministre multiplie les petits pas en direction du Front de gauche souligné, Cécile Duflot a signé ce texte, qui a été rédigé à l’initiative de l’aile gauche d’EELV. Eva Joly émarge, elle aussi, parmi les signataires. Depuis son départ du gouvernement, en mars 2014, l’ancienne ministre du logement multiplie les petits pas en direction du Front de gauche en général, et de Jean-Luc Mélenchon en particulier. La députée de Paris et le député européen, qui se sont rencontrés à plusieurs reprises depuis septembre dernier, ont affiché une certaine connivence le 4 décembre, sur France 2, à l’occasion d’un débat dans le cadre de l’émission « Des paroles et des actes ». Officiellement, l’ancienne patronne des Verts assure ne pas souhaiter former une nouvelle coalition. « Je ne crois pas à l’alternative à la gauche de la gauche, dit-elle. La priorité, c’est un projet partagé, pour l’écologie et contre les inégalités. » Cela ne l’empêche pas de noter que « Jean-Luc Mélenchon a bougé, comme certains socialistes », en particulier sur les sujets écologiques. « Le débat, ce n’est pas droite-gauche, mais pro- ductivistes contre antiproductivistes », assure-t-elle. « Sur les questions écolos, Mélenchon est une des personnes les plus proches de nous », ajoute un de ses proches. Les deux responsables ont signé un texte – intitulé « Chantiers d’espoir » – visant à créer une plate-forme de débats commune à l’ensemble de la gauche critique pour faire émerger des propositions alternatives. « C’est un créneau à 15 %. Les idées sont intéressantes, mais il n’y a pas de débouchés », critique Jean-Vincent Placé, qui plaide, lui, pour une alliance avec le PS. « Cécile Duflot est en campagne interne, elle sait qu’elle gagnera en séduisant sa gauche, puisque sa droite est occupée par son rival du moment, Jean-Vincent Placé », juge de son côté Jacques Boutault, maire du 2e arrondissement de Paris et représentant de l’aile gauche d’EELV. Le congrès du parti doit avoir lieu début 2016. L’élection présidentielle, elle, est distante de près de deux ans et demi. Ce qui laisse le temps de tester des recompositions. p olivier faye france | 15 0123 DIMANCHE 18 - LUNDI 19 JANVIER 2015 Un règlement de comptes met fin à six mois de trêve à Marseille Il faut remonter à 2010 pour retrouver une aussi longue période d’accalmie marseille - correspondant U n homme âgé de 25 ans a été tué, jeudi 15 janvier vers 0 h 30, sur une place de La Castellane, une cité des quartiers Nord de Marseille. La victime a essuyé les tirs de deux armes de poing. C’est dans ce vaste ensemble d’immeubles qu’a été démantelé, en mai 2013, l’un des plus importants réseaux de vente de stupéfiants marseillais. Près de 1,3 million d’euros avait été saisi et les comptabilités découvertes laissaient penser à un chiffre d’affaires quotidien voisin de 50 000 euros. Cet assassinat interrompt une longue période d’accalmie sur le front des règlements de comptes au sein du néobanditisme de cité. En 2014, Il s’en est commis quinze, faisant dix morts et huit blessés : le dernier avait eu lieu le 1er août à Air-Bel, une autre cité. Et puis les armes se sont tues presque six mois. « Il faut remonter à 2010 pour retrouver une aussi longue période sans règlements de comptes », analyse Christian Sainte, directeur interrégional de la police judiciaire de Marseille. Renforts Cet apaisement – notable aussi pour les vols à main armée, dont le nombre a diminué d’un tiers – est analysé comme le résultat de nouvelles stratégies policières et judiciaires. Elles ont d’ores et déjà payé en matière d’élucidation, puisque trois équipes de malfaiteurs soupçonnés d’un ou de plusieurs règle- ments de comptes ont été interpellées au second semestre 2014. « Six mois, c’est trop court pour s’auto-congratuler, reconnaît Brice Robin, procureur de la République à Marseille, mais on a indéniablement été plus efficaces. » Christian Sainte se félicite d’un taux de résolution – c’est-à-dire ayant conduit à des mises en examen – d’un règlement de comptes sur deux : « On a mis hors jeu des individus extrêmement dangereux. Et lorsque vous mettez un tueur en prison, ce n’est manifestement pas si aisé que cela de trouver celui qui va prendre sa place. » Les renforts accordés par le gouvernement fin 2012 et fin 2013 à la police marseillaise ont étoffé sensiblement tous les services d’enquête. Mais plus que les hommes, ce sont les méthodes de travail qui ont été radicalement modifiées. « La PJ aurait raté un virage historique, serait passée à côté d’une réalité criminelle qui a changé, si elle ne s’était pas réorientée vers le néobanditisme de cité et les trafics de stupéfiants », estime M. Sainte. Le renseignement judiciaire opérationnel est devenu le maître mot de ces nouvelles politiques. Début 2013, le service d’information, de renseignement et d’analyse stratégique sur la criminalité organisée a ouvert une antenne à Marseille et un bureau de liaison de la lutte contre les trafics de stupéfiants dans les Bouches-du-Rhône réunit tous les quinze jours les différents services de police, de gendarmerie et des douanes. Le dispositif dit d’« approche globale », mené dans quarante cités – intervention sur les trafics de drogue, sécurisation de la cité et mobilisation des services publics – contribue à la remontée de renseignement. « Nous avons désormais une bonne vision des organigrammes des équipes dans les cités, jusqu’aux têtes de réseaux et, précise le patron de la PJ, nous ciblons les plus actives. Avec une bonne connaissance de leurs conflits internes, de leurs rivalités, et lorsqu’il y a un mort, de leur soif de vengeance – ce qu’on nomme désormais à Marseille sous le vocable de “match retour”. » « Puzzle préétabli » Le parquet ouvre plus fréquemment des enquêtes visant la constitution d’associations de malfaiteurs ou la non-justification de ressources autorisant des surveillances techniques, des filatures… Et lorsqu’un règlement de comptes a lieu, la justice dispose désormais d’éléments réunis en amont. « Pendant des années, nous avons été suivistes, les enquêtes essayaient de reconstituer les faits a posteriori. Nous avions des convictions policières mais pas de billes judiciaires, analyse Brice Robin. Désormais, nous disposons d’éléments de surveillance comme un puzzle préétabli. Les juges d’instruction gèrent des dossiers nourris d’éléments probants et les délinquants commencent à le savoir. » Cette politique a permis, cet été, la résolution de deux règlements de comptes, l’un en deux heures, l’autre en trois semaines. Les élé- ments recueillis lors de la surveillance d’une bande dans le cadre d’une enquête pour association de malfaiteurs ont pris un relief particulier après l’assassinat, le 18 juillet, de Zakary Remadnia, 23 ans, acteur présumé d’une guerre de territoires pour la revente des stupéfiants dans les cités Font Vert et Les Flamants. Une équipe entière « tombait » pour assassinat en bande organisée, y compris le présumé commanditaire incarcéré à Aix-en-Provence. Ce jeune homme de 24 ans avait, quelques semaines avant l’exécution de Zakary Remadnia, annoncé qu’il allait transmettre « un plan d’architecte avec les gens [qu’il fallait] tuer » à son « lieutenant ». Les écoutes montrent aussi l’exaltation de ce détenu quelques heures après les faits. Dans un autre dossier, le travail en commun des différents services de police a permis d’apprendre qu’un scooter surveillé par la brigade de répression du banditisme dans le cadre d’une enquête sur la préparation de braquages se trouvait devant un snack de SaintAntoine (dans les quartiers Nord), au moment de l’assassinat d’un homme, le 17 juillet. Policiers et magistrats souhaitent « rester modestes ». « Rien n’est définitivement gagné, tempère Christian Sainte. Ces résultats tendent à valider les options prises il y a deux ans avec des renforts et de nouvelles méthodes. » p luc leroux LE CONTEXTE Pour la deuxième année consécutive, la délinquance a diminué à Marseille de 3,83 %, après une baisse de 4,12 % en 2013. La décrue est particulièrement sensible sur les infractions commises sur la voie publique (-10,76 %). Il y a encore trois ans, quelque 10 000 vols avec violences par an et 1 000 vols à main armée étaient comptabilisés. Le procureur de la République, Brice Robin, se félicite aussi du nombre de saisies d’armes, qui a augmenté de 37 % en 2014 : 309 armes longues dont 22 kalachnikovs et 285 armes de poing. Les travailleurs sociaux de l’hébergement d’urgence à bout de force Le manque de place pour les sans-abri rend la mission des associations impossible. L’idée d’une grève nationale fait son chemin F in 2014, les travailleurs sociaux de l’hébergement d’urgence avaient multiplié les grèves symboliques et les protestations. Ils ont continué à crier leur ras-le-bol, jeudi 15 janvier à Paris, lors des Assises pour l’accès au logement des sans-abri organisées par la Fédération nationale des 870 associations d’accueil et de réinsertion sociale (Fnars). Objectif : voir réorientée la politique coûteuse et inefficace de l’hébergement d’urgence, à leurs yeux inacceptable pour les hébergés comme pour eux-mêmes. A Toulouse, début décembre 2014, les 35 salariés du service qui gère la plate-forme téléphonique du 115, numéro d’urgence destiné aux sans-abri de Haute-Garonne, ont tous cessé le travail pendant deux heures et ont recommencé à la veille de Noël. Ils n’avaient aucune revendication corporatiste ; ils voulaient seulement pouvoir proposer des places ou des réponses aux appels qu’ils reçoivent. « La tension était extrême : il y avait 250 à 300 personnes dehors chaque soir, et nous étions obligés de dire “Non, il n’y a pas de place” neuf fois sur dix, raconte, à la tribune, Bruno Garcia, coordinateur de la veille sociale en Haute-Garonne. C’est insupportable, notre mission y perd tout son sens. » Même contestation à Bordeaux : « Quand le préfet a, le 5 novembre, convoqué les dix grandes associations girondines d’hébergement d’urgence pour nous présenter les capacités d’hébergement disponibles, nous « Nous sommes en première ligne face à la massification de la pauvreté » ÉRIC KERIMEL directeur de l’association Habitat alternatif social avons refusé de participer à ce système bricolé, témoigne Catherine Abeloos, présidente de la Fnars Aquitaine. A la deuxième réunion, le préfet a finalement accepté d’ouvrir 200 places pérennes de plus. » « En 2014, nous avons réservé 29 600 nuitées dans 550 hôtels d’Ile-de-France, un chiffre astron- omique, démesuré », interpelle Christine Laconde, directrice du SAMU Social de Paris, qui décrit le recours systématique aux hôtels comme « une drogue et une impasse de laquelle il faut sortir ». « Il faut arrêter ce système » « Ce que nous fait faire l’Etat est indigne, nous sommes en première ligne face à la massification de la pauvreté et que faisons-nous pour ces familles qui se déglinguent tous les jours un peu plus sous nos yeux ? Il faut arrêter ce système », s’emporte, sous les applaudissements, Eric Kerimel, directeur d’Habitat alternatif social, à Marseille. La structure emploie 90 salariés, dont selon lui un nombre grandissant craquent nerveusement, sont en arrêt-maladie ou, pour se protéger, se réfu- gient dans « la technique »… « Et moi, que vais-je faire demain en distribuant mes madeleines et mes couvertures sans avoir la moindre solution de logement à proposer ? », lance une salariée voulant rester anonyme. « Nous nous sentons instrumentalisés à faire ce que nous ne voulons pas faire, le tri entre les pauvres, entre l’unijambiste octogénaire et la femme victime de violences conjugales, avec son enfant de cinq ans », déplore Baptiste Ménéghin, administrateur à la Fnars. Les grèves de 2014 ont plutôt été encourageantes, car les préfets ont souvent débloqué des moyens supplémentaires. « Mais il y a des enjeux financiers, des concurrences entre associations, voire des organismes “low cost” qui, pour percevoir de l’argent de l’Etat, acceptent de gérer des places que, pour notre part, nous estimons indignes », dénonce M. Ménéghin, qui explique qu’il est cependant difficile de se plaindre aux services préfectoraux sans risquer des réductions de budget en retour. L’idée d’une grève nationale des 50 000 à 60 000 professionnels de l’hébergement d’urgence fait son chemin : « Et pourquoi pas lors de la Nuit solidaire, le 12 février ? », suggère une intervenante. Seul baume au cœur des 450 participants aux Assises, la ministre du logement, Sylvia Pinel, a annoncé un plan triennal pour ne plus recourir aux nuitées d’hôtels et réorienter l’argent économisé vers la création de structures d’accueil et de logements. p isabelle rey-lefebvre ? à l s é v i r r a OIRE T s S I H ’ u L E o D n IQUE R B s A F e A E L L I S m FRAG m H DAN E 0 U 1 o Q I 5 L 0 s B H U 9 P n e NVIER NE RÉ A U J ’ D 3 t 2 E I R I D n e.fr E O r T R e u S D t I l N H u E : c V m 5 e U 1 c A 9 fran 1905-20 com DU LUNDI 1 en partenar iat avec 16 | culture 0123 DIMANCHE 18 - LUNDI 19 JANVIER 2015 Au Mémorial de la Shoah, une exposition rassemble les images des atrocités nazies tournées par les opérateurs de guerre EXPOSITION jacques mandelbaum D epuis quelques années, une démarche de documentation des images des camps nazis a été entreprise par les historiens. Des expositions mémorables jalonnent ce travail, depuis « Mémoire des camps » (Hôtel de Sully, 2001), pour la photographie, jusqu’à « Filmer les camps » (Mémorial de la Shoah, 2010) pour les films. Ce travail qui interroge et classifie (qui, où et quand filme ou photographie précisément quoi ?) répond de manière salutaire à certains documentaires qui, par leur usage spectaculaire, esthétisant et non raisonné des archives, trahissent leur vocation de témoignage et brouillent la compréhension des événements. S’ouvre aujourd’hui, à l’occasion du soixantedixième anniversaire de la libération des camps, un nouvel événement appelé à faire date. « Filmer la guerre : les Soviétiques face à la Shoah (1941-1946) », qui se tient du 9 janvier au 27 septembre 2015 au Mémorial de la Shoah, montre et met en perspective des images en grande majorité inédites, fruit d’un long et minutieux travail d’exploration mené par une dizaine de chercheurs français dans divers fonds d’archives en Russie, en Ukraine et en Pologne. Il faut souligner la rareté des documents qu’on découvre ici. Contrairement aux bandes d’actualité et aux documentaires tournés par les troupes anglo-américaines lors de la libération des camps de concentration à l’Ouest, les vues des opérateurs soviétiques ont longtemps été soustraites à l’attention des chercheurs comme du public. Deux raisons expliquent cet état de fait. La guerre froide d’abord, qui a contribué à faire disparaître ce matériau derrière le rideau de fer. La suspicion qui a pesé, ensuite, sur ces archives accusées d’être mises au service de la propagande, au mieux par la mise en scène de vues reconstituées données pour réelles (mettre en valeur l’Armée rouge en rejouant la libération d’Auschwitz avec des figurants), au pire par le montage de preuves falsifiées (le massacre de milliers d’officiers polonais à Katyn, basse œuvre du NKVD imputée aux Nazis dans un film de 1944). C’est pourtant contre ces préventions que s’élève une des commissaires de l’exposition, l’historienne Valérie Pozner, chercheuse au CNRS, spécialiste de l’histoire du cinéma russe et soviétique : « Nous avons voulu établir l’importance de ces images oubliées, les contextualiser, en montrer la complexité. Il fallait aller au-delà des quelques clichés ressassés à leur propos. On reproche aux Soviétiques d’avoir mis en scène des plans à Auschwitz, mais on oublie de dire que ces plans n’ont jamais été montés. On oublie aussi de rappeler que les Américains ont également fait de la reconstitution, notamment à Mauthausen. De même, on ne peut, en vertu du seul film sur Katyn, nier l’authenticité de la plupart de ces documents. La vérité est que l’ensemble de ces images constitue une trace irréfutable et sans équivalent de ce que fut la Shoah à l’Est. » L’AMPLEUR ET LA VIRULENCE DES CRIMES De fait, ce sont bien les Soviétiques, pour des raisons géographiques et stratégiques, qui sont les premiers, pour ne pas dire les seuls, mis en présence des sites et des diverses traces de l’extermination des juifs, concentrée à l’Est. Dès 1942, l’Armée rouge part à la reconquête du territoire et découvre à mesure de son avancée l’étendue des exactions nazies. C’est elle qui prend la mesure du massacre des résistants et des populations civiles. Elle qui constate l’assassinat d’un million et demi de juifs par le fait de ce que les historiens nomment la Shoah par balles. Elle encore qui délivre les camps d’extermination de Majdanek et d’Auschwitz (la majorité des autres sont démantelés dès 1943, à l’instar de Tre- La Shoah dans l’œil des Soviétiques DÈS 1942, L’ARMÉE ROUGE DÉCOUVRE À MESURE DE SON AVANCÉE L’ÉTENDUE DES EXACTIONS NAZIES. C’EST ELLE QUI PREND LA MESURE DU MASSACRE blinka et de Sobibor). Devant l’ampleur de ces crimes, qui ne visent pas d’ailleurs que les juifs, les Soviétiques créent, dès 1942, une commission d’enquête extraordinaire destinée à les documenter, par tous les moyens requis, recueil de témoignages, film, procèsverbal. C’est ce matériau que donne à voir l’exposition du Mémorial dans un espace relativement exigu, mais avec un sens pédagogique à la fois rigoureux, efficace et suggestif. Plusieurs heures d’images filmées, muettes pour la plupart, présentées par fragments de quelques minutes, y sont décortiquées. Beaucoup de questions y trouvent leur réponse. D’où viennent ces images ? D’un matériau très particulier : des compilations de rushs tournés sur le front et rassemblés selon des critères de lieux et de temps, ce prémontage servant en quelque sorte de base de données aux films définitifs, qu’il s’agisse d’actualités filmées ou de documentaires (ces films, rarement vus, sont projetés parallèlement à l’exposition). Un matériau qui présente l’inconvénient d’avoir déjà éliminé un certain nombre de vues originelles, et l’avantage d’offrir un corpus permettant d’identifier les choix narratifs et politiques des monteurs soviétiques. Qui a pris ces images ? Des opérateurs de guerre munis de caméra Eyemo, au premier rang desquels le célèbre Roman Karmen, missionnés et contrôlés par la direction politique de l’Armée rouge, selon deux impératifs principaux, liés à la découverte des atrocités nazies : la mobilisation générale de la population pour l’effort de guerre et l’incitation à la vengeance, l’enregistrement des preuves en vue d’un futur procès. Que montrent enfin ces images ? L’ampleur et la virulence des crimes, subsumées à partir des traces (fosses, ossements, cadavres, camps), constatées devant l’état des survivants, établies par les témoins. L’horreur nue, en un mot, du projet nazi, tel qu’il atteint, pour ainsi dire, son degré chimiquement pur dans les territoires de l’Est. Ne l’a-t-on déjà vue, cette horreur, notamment dans ces documentaires anglo-américains qui ont imprimé la mémoire collective ? Pas comme ici, où elle surprend encore, filmée au plus près, dans les détails, comme sous le choc répété de son intensité et de son amplitude, par des opérateurs médusés qui s’appesantissent sur elle. Images terribles des fosses vides, des charniers putrides, des bûchers presque fumants, des restes humains émiettés et vomis par la terre, des corps écorchés, décomposés, qui vous sourient du plus loin de la souffrance. Images insoutenables, qu’on hésite à décrire, qu’on peine à recommander. Il faudra néanmoins tenter de voir, sur l’étal infernal d’Auschwitz, ces carcasses d’enfants ouvertes comme à la boucherie, légers cobayes des expériences menées par les médecins nazis. Mais l’édification par l’horreur n’est pas tout. L’un des axes les plus édifiants de la visite concerne l’effacement de la réalité du génocide. Sur cette question, la comparaison entre les compilations de rushs découverts dans les archives et les films qu’on en a tirés se révèle implacable. Janvier 1942 : les Soviétiques reprennent la ville de Kertch, en Crimée. Quatorze mille personnes y ont été assassinées, parmi elles de nombreux juifs. Des cadavres retrouvés dans le fossé de Baguérovo sont filmés par les opérateurs. Visibles sur les rushs, les brassards frappés de l’étoile de David disparaîtront des actualités filmées. Janvier 1945 : les opérateurs soviétiques filment à n’en plus finir les piles d’objets des juifs assassinés à Auschwitz : châles de prière, chaussures, valises, brosses à dents… Elizaveta Svilova, compagne de Dziga Vertov, en tire un film (Auschwitz, 1945) dans lequel ces châles ont tout bonnement disparu. On pourrait multiplier les exemples, quitte à les nuancer par cette mise en garde de Valérie Pozner : « La politique des Soviétiques à l’égard de la reconnaissance de la Shoah est plus ambivalente qu’on ne croit. Dans certains cas, certes de plus en plus rares à mesure que la guerre progresse, les victimes juives sont identifiées comme telles. » Reste que, dans un pays où ont péri vingt-sept millions d’êtres humains, les trois millions de juifs soviétiques victimes de la « solution finale » seront jusqu’à l’écroulement de l’URSS de « paisibles citoyens soviétiques » victimes de la barbarie nazie, selon l’expression consacrée de Viatcheslav Molotov. Ainsi, de ce « crime sans traces » que fut la Shoah, même les libérateurs qui eurent l’opportunité d’en découvrir les vestiges turent le nom. p Filmer la guerre : les Soviétiques face à la Shoah (1941-1946). Mémorial de la Shoah, 17, rue Geoffroy-l’Asnier, Paris 4e. Tél. : 01-42-77-44-72. Jusqu’au 27 septembre. Memorialdelashoah.org Le photographe Roman Karmen à Majdanek (Pologne), en juillet 1944. RGAKFD culture | 17 0123 DIMANCHE 18 - LUNDI 19 JANVIER 2015 Ibeyi, les jumelles sur lesquelles se focalise Eurosonic Le festival a fait vibrer la ville de Groningen, aux Pays-Bas, au rythme du rock et de la pop MUSIQUE groningen (pays-bas) D ans un vent à renverser les vélos, une longue file patiente en espérant pouvoir assister au concert d’Ibeyi dans un Stadsschouwburg déjà bondé. Comme une trentaine d’autres clubs et salles de concert de Groningen, au nord des Pays-Bas, ce théâtre à l’italienne accueille, jusqu’au 17 janvier, la nouvelle édition d’Eurosonic, sorte de « marché de la musique live » réunissant l’internationale des professionnels du rock et de la pop. Si, en ce jeudi 15 janvier, une centaine de groupes et d’artistes sont programmés à travers la ville, c’est bien ce duo de sœurs jumelles âgées de 20 ans, les Françaises Lisa-Kaindé et Naomi Diaz, baptisé « Ibeyi », du nom des dieux jumeaux yoruba, qui focalise l’intérêt. Une attente en phase avec le « buzz » entourant la sortie, le 16 février, de leur premier album, publié par le label XL Recordings, maison de disques britannique ayant construit sa réputation avec des « best-sellers » comme Adele, Jack White, The XX ou, récemment, Jungle et FKA Twigs. Elles ont beau enchaîner, sous l’égide de leur maman manageuse, les journées et concerts de promo autour du monde, celles que le quotidien britannique The Guardian vient de classer numéro 1 des « artistes à suivre en 2015 » restent incrédules devant les prémices du succès. « On se demande toujours comment on pourra remplir une salle », rigole Lisa. Comme à chaque fois, la pianiste et chanteuse à la coupe afro a écouté la soul méditative de Fink avant de monter sur scène. Avec Naomi, aux yeux verts rac- La complicité rieuse des jolies Françaises dope leurs élans spirituels cord avec l’émeraude de sa combinaison, elles ont ensuite rituellement allumé deux bougies. L’une en souvenir de leur sœur, Yarima, décédée récemment, à l’âge de 28 ans. L’autre pour leur père, Anga Diaz, disparu en 2006, à l’âge de 45 ans. Frissonnante sobriété Considéré comme l’un des plus grands percussionnistes cubains de sa génération, ce dernier avait joué avec Chucho Valdès, Ibrahim Ferrer et Ry Cooder. En plus d’une sensibilité musicale, imprégnée de jazz et de rythmes afro-cubains, il leur a légué une fascination pour la culture yoruba, importée, à travers la traite esclavagiste, de l’ouest africain vers les Caraïbes, et les rituels magiques de la santeria. Des invocations traditionnelles traversent d’ailleurs plusieurs des chansons d’Ibeyi, pour se mêler à une soul anglophone, à des rêveries évoquant parfois Björk (Oya), passant d’une mélancolie lancinante à des pas de danse d’une sensualité lumineuse (River). A califourchon sur son cajon, une percussion en forme de caisse, pilotant un discret ordinateur ou debout devant les longs fûts des bata, Naomi donne l’assise rythmique de ce délicat répertoire. La complicité rieuse des jolies jumelles dope leurs élans spirituels. C’est d’ailleurs une captation live de leur chanson Mama “UN GRAND FILM MAJESTUEUX À L’AMPLEUR CONSIDÉRABLE.” LES CAHIERS DU CINEMA Says, réalisée par l’émission « Mondomix », qui a donné le coup de foudre aux Anglais d’XL. « La façon dont ces jeunes filles parlaient de la dépression de leur maman après la disparition de leur père était incroyablement émouvante », se souvient Emily Kendrick, une des responsables de la maison de disques. Le légendaire patron du label, Richard Russell, avait reçu les filles dans son studio de Portobello. « Il était accroupi sur un tapis et brûlait de l’encens », se souvient Lisa, encore émerveillée. « Il nous a regardées dans les yeux, en nous demandant si nous préférions une grosse production à la Alicia Keys ou quelque chose de plus dépouillé. » Ils optent ensemble pour une frissonnante sobriété, parsemée de légers effets électroniques. Une réalisation artistique assurée par Richard Russell, qui ne s’était impliqué à ce point que dans trois albums : ceux de Gil Scott-Heron, Bobby Womack et Damon Albarn. Première structure à avoir cru au talent des demoiselles, la société française de production de spectacles Caramba collabore avec Ibeyi depuis 2012. Présente à Groningen pour rencontrer un florilège de promoteurs européens, Julia Le Groux, une des responsables du tourneur, s’étonne qu’aucun label français n’ait réagi plus tôt, tout en se félicitant de l’impact de la signature britannique. « Médias et pros du monde entier guettent les nouvelles signatures XL. Cela nous ouvre d’innombrables portes. » Avec, entre autres, la collaboration d’ITB, un des plus gros agents britanniques, Caramba a organisé, jusqu’au 17 mai, une première tournée d’une quarantaine de dates internationales. p 5aux oscars no m i n at ion s DONT MEILLEUR RÉALISATEUR Bennett Miller MEILLEUR ACTEUR Steve Carell MEILLEUR ACTEUR DANS UN SECOND RÔLE Mark Rufalo stéphane davet Huis clos dans les bas-fonds de Buenos Aires Sergio Boris présente sa pièce « Vieux, seul et pédé », au Théâtre de la Commune, à Aubervilliers THÉÂTRE E h oui, la vie continue. Elle ne fait même que cela, dans un spectacle troublant présenté au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers : Viejo, solo y puto (« Vieux, seul et pédé »), de l’Argentin Sergio Boris. Tout se passe dans l’arrière-fond d’une pharmacie des faubourgs de Buenos Aires. C’est la nuit. Il y a plein d’étagères en fer et peu d’espace entre elles. Si l’on se croise, on se touche, ce qui arrive souvent aux cinq personnes qui sont là : Evaristo et Daniel, les frères qui tiennent la boutique, héritée de leur père ; Claudio, un agent trouble de publicité médicale ; Sandra et Yulia, deux copines travesties. Sandra rajuste sa perruque et virevolte dans sa minijupe. Elle a une vingtaine d’années, envie de s’amuser. Yulia ne cache pas ses gros bras ni son usure : à 40 ans, elle a beaucoup d’heures au compteur, et une grosse fatigue. Voilà pour le décor, et les personnages. On se rend vite compte que Sandra est la petite amie de Claudio, on sent que Yulia et Evaristo sont proches depuis longtemps, on apprend que Daniel est en train de se séparer de sa femme, on mesure l’affection entre Sandra et Yiula. Mais d’histoire, il n’y en a pas. Dans Viejo, solo y puto, Sergio Boris ne cherche pas à construire un récit. Il montre ce qui se passe quand il ne se passe rien, sinon la vie qui continue, dans l’arrièreboutique glauque d’une pharmacie de Buenos Aires, une nuit comme une autre. Se maquiller, commander des pizzas, boire des bières, se dire que l’on irait bien à la soirée mousse du Magico, pester contre Kimberly, une teigne qui fait la loi sur le trottoir, avaler des médicaments, s’allonger pour une piqûre d’hormones, régler des comptes, rire et s’engueuler. Entre-deux de la réalité L’amour est vache, comme les bas-fonds. Le sexe se deale, comme le Klosidol ou le Diclofénac. Mais le désir est là, si grand qu’il n’a même plus de nom. Il se traduit par une nervosité, mais il ne s’avoue pas pour ce qu’il est : un manque. Tous les personnages de Viejo, solo y puto se racontent probablement un film dans leur tête, sans le dire. Ils aimeraient être ailleurs, sans savoir où. Ils aimeraient échapper au labyrinthe des étagères, mais ils n’en connaissent pas la sortie. Et nous, en face, nous les regardons comme s’ils étaient dans une vitrine et qu’ils ne savaient pas que nous les voyions. C’est étrange : on a le sentiment d’être dans un entre- deux de la réalité, à la fois monotone et prenant. Sergio Boris ne joue pas dans Viejo, solo y puto. Cet excellent acteur argentin qu’on a pu voir au cinéma dans El abrazo partido (2004), le film de Daniel Burman, ou au théâtre dans des mises en scène de Ricardo Bartis (El pecado que no se puede nombrar, et La Pesca), opère ici en tant qu’auteur et metteur en scène. Il dirige cinq comédiens avec qui il a travaillé deux ans avant de créer le spectacle, à Buenos Aires, en 2011. Et ces cinq-là sont si bons qu’on les quitte à regret quand s’achève le plan-séquence d’une nuit où la vie continue, vaille que vaille, coûte que coûte, dans la cruauté électrique d’un huis clos. p STEVE CARELL CHANNING TATUM MARK RUFFALO FOXCATCHER P A R L E R É A L I S AT E U R D E “L E S T R AT È G E ” E T “T R U M A N C A P O T E” brigitte salino Viejo, solo y puto, de et mis en scène par Sergio Boris. Avec Patricio Aramburu, Jorge Eiro, Marcelo Ferrari, Dario Guersenzvaig, Federico Liss. Théâtre de la Commune, 2, rue Edouard-Poisson, Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). Mardi et mercredi, à 19 h 30 ; jeudi et vendredi, à 20 h 30 ; samedi, à 18 heures ; dimanche, à 16 heures. De 6 € à 23 €. En espagnol surtitré. Durée : 1 h 10. Jusqu’au 29 janvier. Tél. : 01-48-33-16-16. AU CINÉMA LE 21 JANVIER 18 | télévisions 0123 DIMANCHE 18 - LUNDI 19 JANVIER 2015 Salvatore Esposito (Genny Savastano) et Marco d’Amore (Ciro Di Marzio) EMANUELA SCARPA « Gomorra » ou les « saigneurs » napolitains Adaptée du roman de Roberto Saviano, la série, très suivie en Italie, est diffusée à partir de lundi sur Canal+ I mages bleu nuit, envoûtantes, lieux glauques, dialecte napolitain parfois agressif à l’oreille, violence froide et clinique : la série « Gomorra », dont Canal+ démarre la diffusion des douze épisodes à partir du lundi 19 janvier, traînait beaucoup de handicaps pour séduire le public. Et pourtant, il y a un an, sa programmation en Italie sur le réseau privé Sky (coproducteur de la série), fut un des plus gros succès de la télévision italienne. Le pilote a attiré plus de 1 million de téléspectateurs et les épisodes suivants ont rassemblé 700 000 curieux en moyenne chacun. Le dernier épisode a même battu un record d’audience avec près de 900 000 téléspectateurs, plaçant la série en tête des audiences des chaînes du câble et du satellite. Adaptée du roman du journaliste écrivain Roberto Saviano, Gomorra, dans l’empire de la Camorra (Gallimard, 2007, et Folio), la série avait été précédée, en 2008, du film de Matteo Garrone qui avait fait sensation au Festival de Cannes, où il avait obtenu le Grand Prix du jury. Dès la sortie du livre, qui a connu un immense succès tant en France qu’à l’étranger, Saviano a été condamné à mort par la Mafia et vit désormais une « vie blindée » sous haute protection policière. Cela ne l’empêche pas de continuer son combat contre la Mafia en animant des émissions de télévision ou en participant à des conférences à travers le monde. Mais il sait que les dirigeants de l’organisation criminelle n’oublient jamais… Les méandres de « la Pieuvre » A la différence du film, qui utilisait une narration un peu plus classique, la série plonge dans l’ultraréalisme, à la manière d’un documentaire rythmé par un rap à la sauce napolitaine décapant. Il faut parfois s’accrocher à son siège tant certaines descriptions sont crues, notamment celle de la préparation et « Nous souhaitions raconter un milieu, recréer des situations véridiques tout en y greffant une histoire et des personnages » STEFANO SOLLIMA réalisateur de « Gomorra » Roberto Saviano : « Je voulais que le téléspectateur se confronte au mal absolu » condamné à mort par la Mafia après la publication de son livre Gomorra, l’écrivain et scénariste de la série, Roberto Saviano, 36 ans, vit désormais sous escorte policière permanente. Joint par Le Monde aux Etats-Unis, il exprime son effroi après la mort de ses amis de Charlie Hebdo. Vous qui êtes condamné à mort par la Mafia, comment avez-vous vécu l’attentat de « Charlie Hebdo » à Paris ? Ce fut un énorme choc ! Je connaissais bien l’histoire de Charlie Hebdo et certains journalistes étaient mes amis. Les menaces de mort contre les écrivains, journalistes ou intellectuels ne sont souvent pas bien comprises par le public, qui pense que l’on exagère. Malheureusement, c’est lorsqu’il y a du sang par terre que la réalité s’impose et que les gens se mobilisent contre l’intolérance et la folie terroriste. Mais c’est souvent trop tard. Il ne faut pas oublier que plus de soixante journalistes ont été tués cette année à travers le monde. Regrettez-vous d’avoir brisé la loi du silence sur la Mafia, ce qui vous a obligé à changer de vie ? Honnêtement, je ne le regrette pas ! Je ne renie rien ! J’en connaissais les conséquences, mais j’ai fait ce qui me semblait essentiel de faire pour dénoncer le cancer que représente la Mafia au niveau mondial. Certes, cette vie blindée m’a fait perdre une grande partie de ma liberté et je n’ai pas pu vivre mes plus belles années de trentenaire. C’est mon seul regret, mais la bataille n’est pas finie ! Est-ce pour cela que vous avez décidé de participer activement au scénario de la série tirée de votre livre ? Oui ! C’est moi qui l’ai lancée en allant voir un producteur qui m’a donné son accord tout de suite. En Italie, les séries sont difficiles à réaliser, car il existe une certaine frilosité pour ce genre de sujets. Et Gomorra n’était pas évident, avec des personnages aussi sombres ! Mais le producteur a pris le risque. Je voulais que le téléspectateur se confronte au mal absolu. C’était pour moi le plus important ! En outre, la longueur de la série m’a permis de montrer de très nombreuses scènes que je n’avais pas pu mettre dans le livre ni dans le film pour des raisons de place. En tout cas, je sais que la réalité mafieuse dépasse très souvent la fiction. Le dialecte napolitain utilisé par les mafieux est très important dans la série. Est-il traduisible ? Non, c’est très difficile, mais c’était un ingrédient fondamental pour la crédibilité du scénario ! Lorsque la série est passée sur la RAI [la télévision publique italienne], ils ont été obligés de mettre des sous-titres. La langue utilisée par les mafieux est partie intégrante de leur fonctionnement. C’est la langue du corps, de la chair, de la guerre. Par exemple, ils ne disent pas « je l’ai tué » mais « j’ai lancé une balle »… Derrière une forme de poésie, c’est un vrai langage d’artillerie ! Selon vous, y a-t-il un parallèle entre les djihadistes et les petits soldats de la Mafia qui exécutent de sang-froid ? Oui, ils obéissent aux ordres des chefs. Mais je pense que la Mafia a déjà noué des alliances discrètes avec des groupes fondamentalistes qui peuvent, par exemple, leur fournir de la drogue contre des armes. On l’a vu lors des attentats en Espagne, où de la dynamite a été achetée grâce à la vente de haschich. La Mafia ne voit que ses intérêts. p propos recueillis par d. p. de l’exécution d’un meurtre. On y apprend aussi comment vivent les « boss » mafieux en prison ou ce qu’il faut faire pour blanchir de l’argent… « C’est vrai qu’il y a une part documentaire, car nous voulions raconter un milieu, recréer une situation véridique tout en y greffant une histoire et des personnages », expliquait, en mai 2014, le réalisateur Stefano Sollima lors de la présentation de « Gomorra », au festival Séries Mania, à Paris. Contraction de « Gomorrhe », la cité des mauvaises mœurs, et de « Camorra » (nom de la Mafia napolitaine), « Gomorra » nous entraîne donc dans les méandres de l’univers sans pitié et extrêmement violent de « la Pieuvre », comme on la surnomme en Italie. Dans la banlieue de Naples, deux clans rivaux se disputent le territoire, une zone de non-droit que les habitants appellent « O Sistema » (« le système »). C’est aussi l’histoire classique d’une âpre lutte de pouvoir, au sein d’une des « familles », entre Cirio (interprété par l’excellent Mario D’Amore), petit soldat ambitieux, belle gueule et tueur d’un sang-froid redoutable, et le chef de clan de l’ancienne école dont le règne s’achève, mais qui, de sa prison, continue, tant que faire se peut, à diriger hommes, trafics de drogue et marchés truqués. Entre trahison et intrigues sordides Grandeur et décadence d’un clan influent qui, progressivement, perd de sa suprématie, se fragilise et disparaît sous les coups mortels de ses rivaux. « C’est une construction classique en trois actes qui caractérise l’ensemble de la série », explique le scénariste Stefano Bises dans sa note d’intention. Soit « trois phases narratives qui correspondent à la transmission du pouvoir clanique, du boss à son épouse, et de cette dernière à son fils. Les conflits et la destinée du clan en sont le fil rouge ». Tournée dans le quartier Scampia, un des lieux les plus « en odeur de Mafia » de la périphérie de Naples, où de nombreux habitants recommandés par les boss de l’organisation ont été choisis pour faire de la figuration, « Gomorra » décortique le quotidien de chaque protagoniste luttant pour sa survie. Entre trahison, rivalité, violence et intrigues sordides, personne ne sait plus où se situent le bien et le mal. Si bien que, plongés dans une hystérie collective dominée par une paranoïa aiguë, tous tuent, torturent ou brûlent les corps de leurs victimes sans émotion visible. « Imaginer une histoire, c’est l’inventer. Mais, avec “Gomorra”, nous avons dû modifier plusieurs scènes car, de nombreuses fois, la réalité était plus forte que la fiction », souligne Stefano Sollima. Déjà auteur de l’excellente série télévisée « Romanzo criminale », Stefano Sollima (dont le père Sergio fut un des grands maîtres du western spaghetti) a partagé la réalisation de « Gomorra » avec Francesca Comencini et Claudio Cupellini. Pour l’écriture du scénario, on retrouve Roberto Saviano, qui, avec six autres scénaristes, a pu introduire de nombreuses intrigues qu’il avait écartées de son livre et du film de Matteo Garrone, faute de place. « Rien de ce qui est raconté n’est le fruit de l’imagination, insiste l’écrivain. Les protagonistes sont inspirés d’individus réels et, en chacun d’eux, se retrouvent différents personnages, tout comme chaque histoire se mêle à d’autres. » « Description géopolitique » C’est pourquoi, à force de tirer les fils de nouvelles intrigues et de créer de nouveaux personnages, l’écriture du scénario a duré près de deux ans. « Pour rester fidèles à la complexité du livre, nous avons changé le point de vue de chaque épisode, en passant de personnage en personnage, poursuit Stefano Sollima. Plus on augmente le nombre de points de vue, plus on devient objectif. Ce procédé nous a permis de rendre compte avec davantage de justesse de tous les aspects du monde de la Mafia. » Parmi eux, l’architecture du quartier Scampia, qui est à lui tout seul un personnage de la série. « Le quadrillage du territoire et les bâtiments sont parfaitement adaptés au système et au développement du trafic de drogue, dans lesquels les forces de police et les clans adverses pénètrent difficilement, explique le scénariste Stephano Bises. Ce n’est pas seulement un ghetto mais une description géopolitique, une forme de résistance », dit le réalisateur, qui a dû négocier serré avec les boss du quartier pour installer ses caméras. « L’Italie a encore du mal à regarder la réalité mafieuse en face », regrette Stefano Sollima. Mais cela ne l’empêche pas d’être satisfait. Le succès de la série qui a déjà été vendue dans plus de quarante pays lui a permis de démarrer d’ores et déjà l’écriture d’une deuxième saison. p daniel psenny Gomorra, de Stefano Sollima, Claudio Cupellini, Francesca Comencini. Avec Fortunato Cerlino, Marco dDAmore, Salvatore Esposito (Italie, 2014, 12 × 60 min). télévisions | 19 0123 DIMANCHE 18 - LUNDI 19 JANVIER 2015 Onze ans de conflits, de tragédies et de rencontres « Arte Reportage » fête son anniversaire durant toute une « Nuit », samedi 24 janvier L e magazine a connu plusieurs aménagements et a changé parfois d’horaire de diffusion mais il a tenu bon la barre. Voilà onze ans, depuis 2004, que les équipes d’« Arte Reportage » trimballent leurs caméras dans le monde entier pour rendre compte de l’état de la planète, à hauteur des hommes, des femmes et des enfants qui y vivent. Onze ans qui inscrivent au compteur 1 400 sujets réalisés, 150 pays parcourus et 500 émissions diffusées. Un anniversaire donc que le magazine fêtera le samedi 24 janvier, avec une spéciale « Nuit », durant laquelle, à partir de 1 heure du matin, seront proposés (dans l’ordre chronologique) les extraits des sujets préférés de la rédaction. Les reportages (trente-trois au total) seront ensuite visibles dans leur intégralité sur le Web. « La Nuit », présentée par Andrea Fies et William Irigoyen, commencera, en toute logique, par Naître à Grozny, de Manon Loiseau et Philippe Lagnier, le premier reportage lancé à l’antenne par le magazine le 7 janvier 2004. Et s’achèvera sur Centrafrique : l’impossible réconciliation ?, de Michel Dumont et Eric Bergeron, que l’on a pu découvrir en avril 2014. Entre ces deux films, d’autres nous mèneront ailleurs encore, au Sahel (Criquets : le retour, de Laurent Cibien et Pascal Carcanade), au Bénin (Dessinemoi un visage, de Meriem Laille et Jérôme Pavlovsky), aux Etats-Unis (Floride : sans abris, de Ralf Hoogestraat), en Indonésie (Bali : les enchaînés, de Sébastien Mesquida, Julien Félix et Yann Le Gléau), en Syrie (La Vie obstinément, de Marcel Mettelsiefen)… Incomplet mais passionnant Outre la qualité des reportages, ce survol de onze ans de programmation offre au final un aperçu, certes incomplet mais passionnant, d’un grand nombre d’actualités internationales marquantes. Un pan d’histoire à travers celles des hommes qui l’ont faite ou subie. « Nous espérons avoir dessiné la carte du monde à la façon des impressionnistes », confie Marco Nassivera, ancien rédacteur en chef d’« Arte Reportage » et aujourd’hui directeur de l’infor- A gauche, « Naître à Grozny », un documentaire de Manon Loiseau et Philippe Lagnier, en 2004. ARTE GEIE/AGENCE CAPA/ FRANCE 2004 A droite, « Syrie : la vie, obstinément », de Marcel Mettelsiefen et Anthony Wonke, en 2014. ARTE GEIE/ITN « Bali : les enchaînés », de Julien Félix, Sébastien Mesquida et Yann Le Gléau, en 2010. ARTE GEIE / WHAT’S UP PRODUCTIONS mation de la chaîne franco-allemande. Il a fait partie des débuts et se souvient des motivations qui ont guidé la création de ce rendez-vous. « L’idée était de combler un manque dans la temporalité de l’information : entre l’immédiateté traitée dans le JT et le temps de réflexion des documentaires “Thema” et géopolitiques. Le grand reportage d’actualité de vingt-six minutes permettait d’apporter un certain recul sur les événements en cours, et c’est cela que nous voulions installer. » Il s’agissait au départ de traiter de l’international mais hors Europe, déjà fortement présente sur Arte, de s’éloigner le plus possible de nos frontières pour se démarquer du contenu des JT qui avantageaient plutôt l’actualité franco-française. Plutôt qu’une L'HISTOIRE DU JOUR L’« éducation à la citoyenneté » version danoise C’ est le quotidien danois Jyllands Posten qui, le premier, fin septembre 2005, publiait un Mahomet portant un turban en forme de bombe, accompagné d’autres caricatures du Prophète. La violence que suscita cette « affaire » amènera Charlie Hebdo à publier ces dessins à son tour, en février 2006, en signe de solidarité. Cela fut bien sûr évoqué lors de la rencontre « 48 heures de sé ries danoises » que le collectif Série Séries organisait à la Maison du Danemark à Paris, les 12 et 13 janvier. Ainsi, illustrant la place de l’« éducation à la citoyenneté » dans le système danois, la réalisatrice Dorte W. Hogh notait que son adaptation d’une nouvelle du Norvégien Lars Saabye Christensen en court-métrage, Grisen (Danemark, 24 min, 2008) ou The Pig (sélectionné aux Oscars en 2009) était montré chaque année aux lycéens avant de donner lieu « à un petit examen ou à un exposé ». « Discrimination » ? The Pig voit s’opposer, dans une chambre d’hôpital, Absjoern, qui s’est entiché d’une petite peinture représentant un porcelet, accrochée au mur, à la famille du malade musulman Aslam, qui partage sa chambre, et qui fait ôter cette « chose déplaisante » contre l’avis d’Absjoern. Qui doit « avoir de la considération » pour l’autre, dans un tel cas ? Y a-t-il « discrimination » à l’encontre d’Absjoern, comme il l’affirme ? Ne peut-il faire preuve de « tolérance », comme le sollicite la famille musulmane ? Faudra-t-il, dans ce cas, ôter tous les porcs du Danemark (dans les champs, sur les décors…) ? Ainsi va la discussion, jusqu’à ce qu’Absjoern lâche prise en apprenant qu’il n’a finalement pas de cancer et qu’Aslam, se réveillant de son opération, lui demande de lui décrire ce qu’il voit, sachant qu’il est aveugle… p martine delahaye « Nous espérons avoir dessiné la carte du monde à la façon des impressionnistes » MARCO NASSIVERA directeur de l’information d’Arte « Centrafrique : l’impossible réconciliation ? », de Michel Dumont, Eric Bergeron et Isabelle Nommay, en 2014. ERIC BERGERON charte, un cadre fut établi afin d’assurer une cohérence et une ligne éditoriale précise. « Nous voulions privilégier un regard à hauteur d’hommes et de femmes, une personnalisation en somme des reportages qui permet un accès plus facile quand on se rend dans des endroits très éloignés », souligne Marco Nassivera. Autre règle : trouver des angles originaux et s’intéresser à des pays avant qu’ils ne deviennent à « la mode », c’està-dire avant qu’ils ne soient sous le feu de tous les projecteurs. Enfin, « Arte Reportage » s’est d’emblée construit à partir de thématiques chères à sa rédaction : le sort des femmes et des enfants, l’environnement, la démocratie. De même que l’équipe a toujours veillé à suivre des personnes et des pays dans la durée. Dirigé aujourd’hui par Philippe Brachet, le magazine bénéficie d’une équipe spécifique de quatre ou cinq journalistes et de l’apport des sujets réalisés par les journalistes des unités d’information de la chaîne. Le reste provient de pigistes réguliers et de sociétés de production. En tout, « Arte Reportage » reçoit une moyenne de 2 000 propositions par an. « La majorité des idées retenues viennent des reporters eux-mêmes, ce qui ne nous empêche pas d’exprimer des demandes et de passer quelques commandes lorsque, notamment, nous accumulons trop de sujets sur des conflits ou que certains pays sont insuffisamment traités, dit Marco Nassivera. En revanche, nous n’imposons aucune uniformisation de rythme, de voix, de formatage ou de musique. » Evidemment pèse de plus en plus sur « Arte Reportage » la difficulté pour les reporters d’exercer leur métier. « Ils sont nombreux à ne plus avoir accès à certaines zones du monde. Ciblés, arrêtés, enlevés, les journalistes s’exposent désormais à d’énormes dangers. Ce qui pose, pour nous, la question de la responsabilité. Il y a cinq ans, c’était plus facile. De fait, nous avons désormais des trous dans la programmation du magazine. Sur l’Irak, la Syrie par exemple », constate M. Nassivera. Il n’empêche. « Arte Reportage » compte bien continuer d’ouvrir grand ses fenêtres sur le monde. p véronique cauhapé La Nuit « Arte Reportage », samedi 24 janvier, à partir de 1 h 05, sur Arte et sur info.arte.tv. Le Mondial de handball change de mains Historiquement diffusée sur Canal+ et France 2, la compétition (du 15 janvier au 1er février au Qatar) est désormais transmise sur BeIN Sports. Et sur TF1 en fin de tournoi SPORT E n France, le handball est une discipline sportive très populaire, grâce notamment aux succès répétés de l’équipe nationale masculine, l’une des meilleures formations de la planète depuis une vingtaine d’années. Disputé tous les deux ans au mois de janvier, en alternance avec l’Euro, le Mondial est donc une compétition qui attise la convoitise croissante des diffuseurs. En cette période de l’année, les grandes rencontres sportives se faisant rares, les audiences se montrent au rendez-vous. La dernière finale de l’Euro, disputée en janvier 2014 entre la France et le Danemark avait, par exemple, rassemblé 4,8 millions de téléspectateurs sur France 2 (24,4 % de part d’audience) avec un pic à plus de 7 millions en fin de match. Au même moment, sur Canal+, ils étaient également 1,7 million en moyenne à regarder cette même finale. Pendant longtemps, Canal+ et le groupe France Télévisions se sont par tagé la diffusion du Mondial, la chaîne cryptée diffusant l’intégralité de la compétition alors que France 2 offrait à un plus large public les demi-finales et la finale, rendez-vous au cours desquels les Bleus étaient la plupart du temps présents. Un joli coup En France, la finale du Mondial faisant partie de la liste des événements sportifs protégés par la loi, elle doit être obligatoirement retransmise sur une chaîne en clair. Depuis une vingtaine d’années, France 2 en a profité, réalisant des audiences élevées. La finale du Mondial 2011, programmée à 17 heures, entre la France et le Danemark, avait par exemple réuni une moyenne de 5,5 millions de téléspectateurs, avec un pic à 8,5 millions en fin de rencontre. Parallèlement, ils étaient 1,8 million d’abonnés à Canal+ en moyenne à regarder la finale sur la chaîne payante. Depuis, le paysage audiovisuel sportif a été bouleversé avec l’ar- La finale faisant partie des événements sportifs protégés par la loi, elle doit obligatoirement passer sur une chaîne en clair rivée en 2012 du groupe BeIN Sports. La chaîne payante qatarienne a chipé à Canal+ les droits exclusifs de diffusion des grandes compétitions de handball, s’emparant notamment du Mondial 2015 au Qatar et du Mondial 2017 prévu en France. Autre changement notable : la chaîne en clair qui pourra diffuser la demi-finale (en cas de qualification des Bleus) et la finale n’est plus France 2 mais TF1. Un joli coup réussi par la Une qui, dans le cas probable d’un beau parcours de l’équipe de France, s’offre un événement fédérateur. Que ce soit en football, plus récemment en rugby, et désormais en handball, TF1 se veut clairement la chaîne des Bleus. Et comme le résume François Pélissier, son directeur des sports : « L’équipe de France de hand véhicule des valeurs extrêmement positives, en ligne avec notre politique éditoriale. » En 2011, France Télévisions avait acquis les droits de la finale du Mondial pour 350 000 euros. On ignore le prix payé par TF1 pour la fin de ce Mondial 2015 mais, selon François Pélissier, il s’agit d’un « investissement raisonnable ». La dernière apparition de TF1 dans l’univers du handball remonte à 2003. La chaîne avait acquis les droits de la demi-finale France-Allemagne et s’apprêtait à diffuser la finale. La défaite française avait enregistré un beau succès d’audience (4,2 millions de téléspectateurs et 34 % de part d’audience). Mais, en l’absence des Bleus, TF1 n’avait pas diffusé la finale. p alain constant 20 | télévisions 0123 DIMANCHE 18 - LUNDI 19 JANVIER 2015 RTL remporte la bataille de l’après-midi Les audiences des radios, entre novembre et décembre 2014, bousculent le classement SÉLECTION DE LA SEMAINE F IL M S RADIO L a dernière vague des audiences radio publiée mercredi 14 janvier a réservé son lot de surprises. Alors que le sondage précédent (septembre-octobre 2014) plaçait NRJ et RTL ex æquo en audience cumulée, celui de novembre-décembre 2014 voit NRJ (12,5 %) reprendre la tête, devant RTL (12,2 %). Cette dernière est toutefois largement numéro un en part d’audience grâce à une durée d’écoute beaucoup plus longue que la station musicale. Pour les autres stations, le classement reste le même : France Inter (10,5 %) précède Europe 1 (8,7 %), mais tandis que la station publique progresse, la seconde enregistre une rechute après plusieurs vagues de hausse. « Ces résultats sont décevants et ne correspondent pas à la qualité du travail des équipes et des contenus », regrette Fabien Namias, directeur général d’Europe 1. Pour la station de la rue François-Ier, c’est la tranche de fin d’après-midi qui est la plus sinistrée, une bonne partie des auditeurs ayant suivi Laurent Ruquier sur RTL où il a pris la relève de Philippe Bouvard aux « Grosses Têtes ». Sur Europe 1, même si Cyril Hanouna parvient à faire légèrement progresser « Les Pieds dans le plat », l’émission qu’il anime depuis septembre 2014, cette case enregistre une chute de 38 % en un an. Pis, entre 17 heures et 18 heures, avec « Si tu écoutes, j’annule tout », présentée par Charline Vanhoenacker et Alex Vizorek, Europe 1 se fait dépasser par France Inter. Une première dans l’histoire de la radio. « Cyril Hanouna est un animateur aux formidables capacités, un véritable showman », se félicite Fabien Namias. « Mais il y a un contrat d’écoute avec l’auditeur d’Europe 1. On peut s’amuser, délirer, mais on doit garder le lien rassurant avec l’actualité, le savoir et la culture. Dès la semaine prochaine [du lundi 19 au vendredi 23 janvier], des journalistes référents comme Franck Ferrand ou Axel de Tarlé participeront à l’émission », ajoutet-il. Un chroniqueur spécialisé dans l’information devrait les rejoindre dans les prochaines semaines. Il n’empêche que pour Europe 1, cette vague demeure une très mauvaise surprise. Sa rivale RMC est passée devant elle sur le public des CSP +, une catégorie dans laquelle on retrouve les cadres chéris de la station. Morning Glory de Roger Michell. Avec Rachel McAdams, Harrison Ford, Diane Keaton (ÉTATS-UNIS – 2010 – 100 MIN) Jolie, dynamique et ambitieuse, Becky Fuller est pourtant en pleine traversée du désert professionnel. Aussi, lorsqu’on propose à cette productrice TV de reprendre la matinale la moins regardée du pays, elle accepte le défi… Une bonne comédie hollywoodienne sur le fonctionnement des médias aujourd’hui. MARDI 20 – FRANCE 4 – 20 H 45 Le Nom des gens de Michel Leclerc. Avec Sara Forestier, Jacques Gamblin, Zinedine Soualem (FRANCE – 2010 – 105 MIN) Une jeune femme d’origine algérienne couche en priorité avec des hommes de droite, pour les convertir à la cause inverse (Sara Forestier). Elle débarque dans la vie d’un homme d’origine juive, adepte du principe de précaution, fou de Jospin (Jacques Gamblin). Une comédie plaisante contre les préjugés. MERCREDI 21 – FRANCE 4 – 20 H 45 Pulp Fiction de Quentin Tarantino. Avec John Travolta, Samuel L. Jackson, Ving Rhames. (ÉTATS-UNIS – 1994 – 154 MIN) Laurent Ruquier. SÉBASTIEN CALVET/DIVERGENCE Pour Europe 1, la tranche de fin d’après-midi est la plus sinistrée, une bonne partie des auditeurs ayant suivi Laurent Ruquier sur RTL Les stations musicales se redressent RMC n’a cependant pas de quoi se réjouir : son audience cumulée de 7,9 % est en baisse. Un recul qui n’inquiète pas Franck Lanoux, le directeur de la radio « info, talk, sport » pour qui « cela reste un excellent sondage ». Pourtant, la station qui rêvait de dépasser un jour Europe 1 se fait doubler par France Info (8,1 %). La nouvelle formule de la station tout-info du service public a fait mieux que stopper l’hémorragie d’auditeurs qu’elle subissait depuis trois ans. Le repositionnement sur l’actualité chaude opéré par Laurent Guimier, son directeur général, s’est effectué sans encombre. « Pour la majorité du public, nous sommes une chaîne info, il était impossible de faire autrement, l’équipe n’attendait que ça », se félicite-t-il. Le public semble apprécier les contenus forts. En effet, même si elle arrive encore loin derrière Radio Classique (2,2 %), France Musique (1,6 %) – où la matinale culturelle de Vincent Josse a gagné 94 000 auditeurs depuis la rentrée – confirme sa progression. Notons aussi les très bons résultats de France Culture, qui atteint 2,2 % d’audience cumulée. « Il est frappant de constater que les émissions sur une discipline, comme “La Fabrique de l’Histoire” ou “Les Nouveaux Chemins de la connaissance”, enregistrent de fortes progressions », se réjouit Olivier Poivre d’Arvor, le directeur général de la station. Les stations musicales, qui déclinaient face aux services d’écoute sur Internet, redressent la tête. NRJ, la station présidée par Jean-Paul Baudecroux, enregistre ainsi deux records historiques sur ses émissions phares : Manu dans le « 6/9 » rassemble près de 3,5 millions d’auditeurs quotidiens, tandis que Cauet dépasse pour la première fois le million de 19 heures à 22 heures. NRJ serait également la première radio de France sur smartphone et tablette, « où elle compte 792 000 auditeurs par jour sur le premier et 1,2 million sur tous supports numériques confondus », affirme Jean-Paul Baudecroux. La deuxième radio musicale, Skyrock, progresse quant à elle sur l’ensemble de ses programmes. « Premier sur le rap », présentée par M’rik de 16 heures à 20 heures, réalise le plus fort bond de la station, avec 119 000 nouveaux auditeurs. Virgin Radio gagne 81 000 paires d’oreilles en un an et ancre sa matinale (animée par Camille Combal), en hausse de 11 %. Si l’audience de Fun Radio reste stable le matin, deux rendez-vous proposés depuis septembre 2013 – « Lovin’Fun », de 20 heures à 23 heures, et « MiKL, No Limit », de 23 heures à 2 heures – peinent à décoller. Tristan Jurgensen, dirigeant de Fun Radio et RTL2, peut se frotter les mains, au vu des bons chiffres de RTL2 qui, pour ses 20 ans, enregistre son record historique, avec 2,8 millions d’auditeurs quotidiens. p anne-claire gross et joël morio Avec Pulp Fiction, son deuxième film (après Reservoir Dogs, en 1992) auréolé d’une Palme d’or à Cannes, Quentin Tarantino, alors jeune réalisateur américain, conforte sa position de nouveau cinéaste vedette d’Hollywood. La construction, avec enchaînement de sketches parodiant des archétypes du film noir, en fait une œuvre d’un genre nouveau. JEUDI 22 – NT1 – 20 H 50 TÉ L É F IL M Danbé, la tête haute de Bourlem Guerdjou. Avec Tatiana Rojo, Médina Diarra, Assa Sylla. FRANCE – 2014 – 88 MIN. Petite fille, Aya Cissoko perd son père et sa sœur dans un incendie. Trouvant dans la boxe un exutoire, elle sera sacrée championne du monde. Cette libre adaptation du roman Danbé, d’Aya Cissoko et Marie Desplechin, a reçu le prix du Meilleur téléfilm au Festival de la fiction TV de La Rochelle 2014. VENDREDI 23 – ARTE – 20 H 50 D OCUM E N TAIR E « L’après- “Charlie” » sur France Culture Du lundi 19 au vendredi 23 janvier, « La Fabrique de l’Histoire » sera consacrée aux attentats de début janvier Les Villes du futur de Frédéric Castaignède, Jean-Christophe Ribot et Benoît Laborde. (FRANCE – 2014 – 3 × 52 MIN) RADIO L a Journée spéciale que France Culture consacre à « l’après-Charlie », lundi 19 janvier, lancera une semaine exceptionnelle de « La Fabrique de l’Histoire », qu’Emmanuel Laurentin produit du lundi au vendredi, de 9 heures à 10 heures. Pour aider les auditeurs à prendre de la distance par rapport aux attentats, Emmanuel Laurentin bouleverse en effet sa quotidienne et entend mettre ces événements en perspective par l’entremise de spécialistes s’entretenant en direct avec lui. Cette semaine, du lundi 19 au vendredi 23 janvier, baptisée « Comment en sommes-nous arrivés là ? Histoire d’une République fragile (1905-2015) », donnera lieu à une thématique par jour, chaque fois envisagée selon trois angles développés par trois historiens présents en studio. La première journée, lundi, de cette série inédite, tant sur la forme que sur le fond, a pour thème « Naissance et contestation du modèle républicain, 1905-2015 ». « Nous n’avons pas encore la liste des historiens qui viendront nous rejoindre, explique M. Laurentin, mais il va de soi que j’ai invité le spécialiste de l’histoire de l’immigration en France qu’est Gérard Noiriel, par exemple. Et selon la thématique du jour, ce seront des spécialistes des sciences sociales au sens large qui viendront traiter du rapport République-laïcité depuis 1905, afin de redonner de l’épaisseur historique aux événements que nous venons de vivre. » Points de vue, analyses Succession de points de vue et d’analyses apportés par des spécialistes sur l’état de la République, cette série de cinq heures en direct a toutes les chances de livrer des surprises à l’auditeur, voire de bousculer nombre d’idées reçues, si l’on en juge par ce qu’indiquait au téléphone Gérard Noiriel à Emmanuel Laurentin, pour préparer leur émission. C’est ainsi que l’historien a expliqué au producteur que, depuis la fondation de la République, en 1880, chaque vague d’immigration en France, en fait, a donné lieu à des événements terroristes… Par ailleurs, les réussites de la République étant tout autant convoquées que ses échecs au cours de cette semaine spéciale, le même Gérard Noiriel rappellera sans doute qu’aujourd’hui, dans les classes supérieures, il y a plus d’enfants d’Algériens que de Portugais… Affaires de voile, de blasphème, de religiosité renaissante, histoire du durcissement de la laïcité ou du terrorisme international depuis les années 1980, évocation de la France métissée ou de tous ceux qui mettent en cause ou en crise le modèle républicain français… Autant de thèmes que le producteur abordera, mais sans qu’on en sache plus encore, l’émission se construisant heure par heure, dans l’urgence. p martine delahaye Journée spéciale sur France Culture, lundi 19 janvier : « Les enfants perdus de la République : après le choc “Charlie”, que faire ? ». « La Fabrique de l’Histoire » (9 heures-10 heures), du lundi 19 au vendredi 23 janvier. Episode 1 : « Naissance et contestation du modèle républicain, 1905-2015 ». Episode 2 : « De la décolonisation au rêve d’une France métissée, 1960-1985 ». Episode 3 : « Le retour du religieux, l’arrivée des intégrismes, 1988-2015 ». Episode 4 : « L’éternelle querelle de l’identité nationale, 1905-2015 ». Episode 5 : « La France, scène du terrorisme international. 1982-2015 ». Toutes ces émissions pourront être réécoutées sur ordinateur ou enregistrées sur portables et tablettes. Face à l’explosion de la population urbaine et à l’appauvrissement des ressources naturelles, les métropoles cherchent à inventer une voie nouvelle, entre rationalité et utopie. Cette série en trois volets dessine un aperçu de ce que pourraient être les villes du futur. MARDI 20 – ARTE – 20 H 50 M AGAZ IN E Le Grand Echiquier, l’émission culte présentée par Frédéric Taddeï Ce programme spécial rend hommage à Jacques Chancel, mort le 23 décembre 2014. Une émission de deux heures qui reviendra sur quelques grands moments de l’émission, accueillera l’Orchestre philharmonique de Radio France et de nombreux artistes, interprètes classiques, chanteurs, danseurs, comédiens. Histoire de nous donner un aperçu de ce que pourrait être aujourd’hui « Le Grand Echiquier ». VENDREDI 23 – FRANCE 2 – 22 H 50 télévisions | 21 0123 DIMANCHE 18 - LUNDI 19 JANVIER 2015 Paris sous l’eau, qui l’eût cru ? SÉLECTION DU LUNDI Un formidable docu-fiction fait revivre l’inondation de 1910 qui noya la capitale SÉ R IE TOUTE L’HISTOIRE 2718#9,0:# M algré la pluie incessante, la Ville Lumière brille de tous ses feux, pour quelques heures encore… Vigie silencieuse, le Zouave du pont de l’Alma voit depuis quelques jours la Seine grimper doucement, jusqu’à lui enserrer la taille, sans que personne ne s’en inquiète réellement. Certes, ce 20 janvier 1910, il y a bien quelques maires de banlieue pour alerter les autorités que leur commune est inondée. Rien n’y fait. Recroquevillés sous un vaste sentiment d’immunité, la population et les pouvoirs publics observent, insouciants, le déluge. D’ailleurs, comment pourrait-on croire que la ville la plus moderne du monde, qui peut s’enorgueillir de posséder six lignes de métro, un réseau hydropneumatique ainsi que six cents kilomètres d’égouts, pourrait être submergée par une crue ? D’autant plus que la der nière, celle de 1870, a entraîné des travaux d’aménagement pour protéger les zones inondables. Et les services météorologiques, direz-vous ? Si prompts aujourd’hui à sonner le tocsin, à l’époque, ces derniers n’étudient pas encore les phénomènes – cela Paris, rue de l’Université, en janvier 1910. viendra en 1920 – tels que celui qui va, durant une semaine (du 20 au 28 janvier 1910), plonger la Ville Lumière dans les ténèbres. Elan de solidarité Sept jours que relatent Eric Beauducel et Olivier Poujaud dans un épatant docu-fiction. Que ceux qui ne goûtent guère ce genre hybride se rassurent, le mariage entre les archives protéiformes (articles de ! presse, lettres, cartes postales, films, photographies), les éclairages apportés par une solide équipe d’experts (historiens des transports, de la presse, géographes, anthropologues), les plans 3D et la fiction, qui distille subtilement sa tension dramatique, est en tout point une réussite. Et relèverait presque de la gageure tant la grande crue de 1910 – restée dans les mémoires grâce à une abon- dante iconographie – a déjà donné lieu à maints ouvrages et films. Or, celui-ci se démarque tant par sa facture, où s’entremêlent habilement analyses, documents – sans trop charger la barque… – et reconstitution, que par le point de vue adopté, qui nous entraîne dans les pas de Létang, un journaliste du Petit Parisien interprété par Bruno Debrandt. Une couverture médiatique qui prend tout son sens lorsque l’on sait, ainsi que le rappelle l’historien de la presse Patrick Eveno, que cette crue fut la première catastrophe à faire l’objet de reportages photographiques et à être couverte au jour le jour. Au-delà des faits dépeints et des terribles conséquences matérielles, économiques et sociales qui voient Paris être privé de gaz, d’électricité et de la plupart de ses moyens de transport, le film nous éclaire sur l’élan de solidarité inédit qui traversa la ville et bien audelà. Aristide Briand fait débloquer au Parlement une aide de 2 millions de francs, le double est récolté grâce aux souscriptions lancées par les journaux, auxquels il faut ajouter – c’est une première – les recettes des spectacles caritatifs donnés dans les théâtres parisiens et jusqu’à la Scala de Milan. Seule ombre au tableau : cet élan n’atteindra jamais la banlieue, grande laissée-pour-compte de cette crue au cours de laquelle on dénombrera deux morts – un pompier et la girafe du Jardin des plantes – et dont on estime les dégâts à 1 milliard d’euros. p christine rousseau « 1910, Paris sous les eaux », d’Eric Beauducel et Olivier Poujaud (France, 2014, 52 min). Avec Bruno Debrandt, Didier Bénureau, Henri Courseaux… Castle ! ∀ D OCUM E N TAIR E Les Atelières, une aventure made in France #∃%& ∋( ) ∗ + , −)− . ∀& ) ) /& 0 ∀1 +∀ F IL M Les années 1960 ou la fin du conformisme américain « Les Sixties » retrace les moments marquants de la décennie à l’aide d’archives, de films privés et d’entretiens PLANÈTE + ;<:#2718#9,0:# P our certains observateurs, les années 1960 ont marqué une rupture dans l’histoire américaine. En une décennie, les Etats-Unis se sont libérés de leur conformisme pour devenir le pays de tous les possibles. Le meilleur comme le pire. Assassinat de John Fitzgerald Kennedy, « JFK », mouvement pour les droits civiques, guerre froide, « sexe, drogues et rock’n’roll », conquête spatiale… En dix épiso- des, cette série documentaire revient sur les grands événements qui ont rythmé cette époque riche en bouleversements. « Les Sixties », produite par Tom Hanks, Gary Goetzmann (déjà initiateurs de « Band of Brothers : l’enfer du Pacifique », série de HBO couronnée par plusieurs prix) avec Marc Herzog, est un séduisant album photo – ou plutôt vidéo – que l’on prend plaisir à regarder. Grâce notamment à des extraits de reportages télévisés qui redonnent de l’intérêt à des sujets vus et revus. La couverture du meurtre de JFK, en 1963, à Dal- las fait étrangement écho à celle des événements récents qui ont endeuillé la France. A côté de l’essentiel Stupeur, tristesse, rumeurs, rebondissements, l’épisode consacré a cet assassinat revient sur l’emballement médiatique qui a suivi cette tragédie. Il tente de démonter les différentes théories du complot qui ont été imaginées par la suite pour expliquer ce drame. Mais il passe à côté de l’essentiel : montrer en quoi la mort de JFK constitue une rupture dans l’histoire de la décennie. HORIZONTALEMENT GRILLE N° 15 - 015 PAR PHILIPPE DUPUIS 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 I II III IV V VI VII VIII IX X SOLUTION DE LA GRILLE N° 15 - 014 HORIZONTALEMENT I. Assibilation. II. Noise. Airera. III. Ecrivaine. Sp. IV. Ri. Suce. Math. V. Eos. Eh. Capet. VI. Classera. RDA. VII. Toit. Merle. VIII. Ignominie. Pi. IX. Out. Ana. Vain. X. Néerlandaise. VERTICALEMENT 1. Anérection. 2. Sociologue. 3. Sir. Sainte. 4. Isis. STO. 5. Bévues. Mal. 6. Achemina. 7. Laie. Renan. 8. Ain. Cari. 9. Tréma. Leva. 10. Ie. Apre. Aï. 11. Orsted. Pis. 12. Naphtaline. I. Protections rapprochées. II. Entraîne vers la in. Voie bordée d’habitations. III. Mises à niveau. Permet toutes les sorties. IV. Ne devront pas traîner trop longtemps. Epouse d’Abraham. V. Crie en forêt. Exploit d’un autre temps. Assure la liaison. VI. introduit la licence. Piégé. Irlande libre. VII. Ont beaucoup trop servi. Taquiner Erato et Calliope. VIII. Fléau des temps modernes. Accord au sud. Evalue l’âge mental. IX. Retournement de paupière pour voir à l’intérieur. Mal descendu. X. Comme un enroulement qui ne suit pas les aiguilles de la montre. Les moments les plus marquants des années 1960 sont retracés à l’aide de séquences d’archives, de films privés et d’entretiens avec des témoins de l’époque. Les commentaires apportés par des historiens, comme David McCullough, Robert Dallek et Robert Caro, ainsi que les souvenirs de personnes dont la vie a été intimement mêlée aux événements, telles que Dan Rather ou Robert MacNeil, n’offrent pas toujours un nouvel éclairage sur des instants qui restent dans la mémoire des « baby boomers ». Si ces dix ans furent ceux de l’anticonfor- misme, les discours de ces experts, eux, demeurent très convenus. Un travers qui peut laisser les spectateurs sur leur faim. Reste fort à parier que ces derniers se laisseront facilement captiver par ces documentaires très bien rythmés et excellemment produits. On reconnaît la patte de Tom Hanks, qui sait faire le show, qu’il soit acteur ou producteur. p joël morio Les Sixties, produit par Tom Hanks, Gary Goetzmann et Marc Herzog (Etats-Unis, 2014, 10 × 40 min). 2 −) + ) ) +∗ ( ( 34 5∀ + )∀ ) 6 ++ )−) ,∀ 0123 est édité par la Société éditrice SUDOKU N°15-015 du « Monde » SA Durée de la société : 99 ans à compter du 15 décembre 2000. Capital social : 94.610.348,70 ¤. Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS). Rédaction 80, boulevard Auguste-Blanqui, 75707 Paris Cedex 13 Tél. : 01-57-28-20-00 Abonnements par téléphone : de France 32-89 (0,34 ¤ TTC/min) ; de l’étranger : (33) 1-76-26-32-89 ; par courrier électronique : abojournalpapier@lemonde.fr. 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Court vite mais ne sait pas voler. 12. Pour se refaire une santé en prenant le bon air. Jour de fête !∀ La reproduction de tout article est interdite sans l’accord de l’administration. Commission paritaire des publications et agences de presse n° 0717 C 81975 ISSN 0395-2037 N°1263 du 15 au 21 janvier 2015 courrierinternational.com France : 3,70 € Après Dossier spécial Charlie Présidente : Corinne Mrejen PRINTED IN FRANCE 80, bd Auguste-Blanqui, 75707 PARIS CEDEX 13 Tél : 01-57-28-39-00 Fax : 01-57-28-39-26 Toutes les analyses de la presse étrangère 30 pages spéciales Afrique CFA 2 800FCFA Algérie 450DA Allemagne 4,20€ Andorre 4,20€ Autriche 4,20€ Canada 6,50 $CAN DOM 4,40 € Espagne 4,20€ E-U 6,95$US G-B 3,50£ Grèce 4,20€ Irlande 4,20€ Italie 4,20€ Japon 750¥ Maroc 32DH Norvège 52NOK Pays-Bas 4,20€ Portugal cont. 4,20€ Suisse 6,20CHF TOM 740CFP Tunisie 5DTU M 03183 - 1263 - F: 3,70 E 3’:HIKNLI=XUX\U^:?b@c@g@n@k"; Chez votre marchand de journaux Imprimerie du « Monde » 12, rue Maurice-Gunsbourg, 94852 Ivry cedex Toulouse (Occitane Imprimerie) Montpellier (« Midi Libre ») 22 | styles 0123 DIMANCHE 18 - LUNDI 19 JANVIER 2015 Le facteur postmoderne Pour pallier la baisse du courrier, La Poste propose de veiller sur les aînés isolés USAGE bouchemaine (maine-et-loire) envoyée spéciale D e longues minutes après le coup de sonnette, le voilage en dentelle se soulève, puis la fenêtre du petit pavillon s’entrouvre. Et Marie-Louise d’apparaître, courte chevelure grise, air éberlué. « C’est la factrice ! », claironne Julie Frassin. « Oh, ça m’était parti ! J’avais oublié ! » Après un lent ballet de cannes anglaises sur dalles carrelées, la vieille dame enveloppée de laine regagne un fauteuil couvert d’autres lainages, face à la télé, conviant la factrice à occuper son jumeau. « Comment allez-vous ? », s’enquiert cette dernière, tout sourire. « Pas trop bien… » La factrice, ce matin de la mi-janvier, n’apporte ni lettre ni colis mais une attention. A Bouchemaine, banlieue résidentielle d’Angers (Maine-et-Loire), une quinzaine de personnes très âgées bénéficient depuis peu de ce nouveau service de La Poste qui tente de s’inventer un futur dans une société numérique et vieillissante. Une fois par semaine, au cours de sa tournée, le facteur frappe, prend des nouvelles, alerte, si elles ne sont pas bonnes, le centre communal d’action sociale (CCAS), qui a passé contrat avec La Poste, rémunérée 5 euros la visite. Marie-Louise n’a rien contre cette innovation. Pensez ! « Parler, je refuse pas », convainc aisément l’octogénaire, qui ne peut plus guère sortir de chez elle. Il y a bien ses deux filles, au loin, pour l’appeler quatre fois par jour. Le défilé des infirmière, kinésithérapeute, aide ménagère. Et le pendentif d’alarme qui vaut gri-gri rassurant. « Je suis bien gardée, comme dirait l’autre ! » Des voisines rapportent le pain, des courses aussi, de temps en temps. « Mais je veux pas non plus déranger… » Alors, Marie-Louise, qui « va pas raconter sa vie » mais la raconte tout de même un peu, avoue des « moments de découragement, pas souvent ». Et c’est ce qu’après moult « je vais vous laisser, faut vraiment que je continue ma tournée » la factrice notera dans le jardinet, en appui sur la sacoche de son vélo électrique. « Cette dame a un petit coup de mou depuis la semaine dernière. Si ça perdure, je le dirai. » La factrice sur le frigo Avec ses fermes d’élevage dans les terres, ses lotissements en bord de Maine, Bouchemaine recense 20 % de plus de 65 ans parmi ses 6 500 habitants, 400 ayant même dépassé les huit décennies d’existence. A la dernière alerte canicule, la mairie ne savait plus où donner du coup de fil. Alors le jour où La Poste a envisagé la fermeture d’un des deux bureaux de poste, faute de courrier, et opportunément mentionné l’existence d’un nouveau service Cohesio, susceptible de retarder l’échéance, la décision a vite été prise. « Maintien à domicile le plus longtemps possible et maintien du seul service public encore présent », résume Didier Pinon, adjoint au maire (centre droit) et vice-président du CCAS, qui consacrera 7 000 euros annuels, soit « une part importante de son budget », à cette veille postale du quatrième âge. Elle concernera à terme une trentaine de personnes à la santé et à la sociabilité fragiles, « avec lesquelles la commune n’a pas forcément de con- tacts », poursuit M. Pinon. Au préposé des postes, bien sûr, elles ouvriront la porte. « Les facteurs exercent le deuxième métier préféré des Français, après le boulanger. Ici, c’est très visible… » Chez Marie-Louise, un Post-it collé sur le frigo rappelle désormais le jour de passage de Julie. A l’occasion, quand elle sera « juste en argent liquide pour payer le pain à la voisine », la factrice pourra même retirer de l’argent pour elle. « Le facteur, c’est sympa, sourit la vieille dame, on a confiance en lui. Avant que mon mari ne soit décédé, on en avait un qui buvait un coup avec nous, certains soirs. » Des voisins nonagénaires, dont la table du salon expose autant de piluliers que de bibelots fleuris, ont eux aussi « signé tout de suite » pour une visite hebdomadaire de leur facteur, Hervé Gilardière. Le même depuis treize ans. « C’est bénéfique de nous soumettre à la conversation. Nous deux, au bout de cinquan- « Si on n’aime pas les gens, on ne fait pas ce métier. La petite blague, ça en fait partie. Certains clients ne voient pas grand monde » JULIETTE factrice depuis 2008 vant leur grille à l’heure du facteur, histoire de causer. La différence, admet-elle, c’est qu’elle s’invitera chez ceux qui jamais ne sortent. Durant sa carrière de trente ans, Hervé, son collègue, a parfois découvert dans la presse du lendemain que derrière la porte demeurée rétive à ses coups de sonnette gisait une personne âgée incapable de se relever. Au deuxième jour des visites de prévention, qu’il se réjouit donc d’effectuer, il s’interroge : a-t-il le droit de pénétrer dans l’intimité du client quand personne ne répond à ses tonitruants « C’est le facteur ! On doit passer une fois par semaine vous voir… » C’est en- ciété anonyme à capitaux publics semble miser gros sur cette offre déjà expérimentée dans quatre autres départements, et dont l’utilité est tout aussi avérée en zone rurale qu’urbaine. A Paris, le directeur général adjoint chargé du courrier, Nicolas Routier, égrène les arguments massue : 2,5 millions de personnes de plus de 80 ans vivent seules, en France ; le maintien à domicile, auquel la plupart aspirent, grève moins les finances publiques que toute autre solution d’hébergement ; une visite quotidienne prolonge en moyenne de deux à trois ans la vie chez soi ; or le « Bonjour, comment Ils sont aussi conscients que la sauvegarde de l’emploi est en jeu. » Pour rentabiliser un effectif de 85 000 facteurs et des tournées six jours sur sept quand le nombre de lettres et colis à acheminer s’effondre (18 milliards en 2008, 13 en 2014, 9 milliards prévus en 2020), il est temps d’« activer l’imagination », selon M. Routier, et de profiter du capital sympathie. Le François de Jacques Tati, dans Jour de fête. Le Dany Boon de Bienvenue chez les Ch’tis… Premier syndicat maison, la CGT n’a « rien contre » le fait de surfer sur l’imaginaire collectif. « Le travail de lien social, on l’a toujours fait. » Reste à ne pas trop charger la sacoche de François-le-facteur, les effectifs ayant déjà baissé au point de dégrader la qualité de service, selon le syndicat. Dans le salon du couple qui se chamaille depuis un demi-siècle, Hervé Gilardière compte. « Dans le coin, on était seize facteurs, on n’est plus que douze. On n’a pas le temps, on n’y arrive pas. » Devant le lourd buffet sculpté en merisier, il semble savourer la pause que lui octroient ses nouvelles fonctions. « Ça fait longtemps que je ne vous ai pas vu, le matin, dans la côte… Vous allez toujours chercher votre pain ? » p pascale krémer NOUVEAUTÉS te-deux ans, on a un peu fait le tour », glisse, l’air de rien, le mari, désignant sa moitié du menton. Discuter un brin Bientôt équipés d’un smartphone, Julie Frassin, Hervé Gilardière et trois de leurs collègues dont la tournée inclut le domicile d’un bénéficiaire ont reçu une première formation express : repérage de signes alarmants, questions à poser pour jauger moral et lucidité, personnes à prévenir… Ils ont le sentiment d’avoir toujours rempli la mission qu’on leur confie formellement aujourd’hui. Discuter un brin, s’inquiéter d’une boîte aux lettres trop pleine, de volets restés clos… « Si on n’aime pas les gens, on ne fait pas ce métier, rappelle Juliette, 29 ans, factrice depuis 2008. La petite blague, ça en fait partie. Certains clients ne voient pas grand monde. » Traînent volontiers de- ADRIÀ FRUITÓS core le temps des tâtonnements. Que faire avec ces dames qui vous reçoivent en robe de chambre à midi et ne se souviennent pas avoir accepté ce service ni même déjà vu la factrice ? Comment ne rester qu’une poignée de minutes quand il en faut davantage au client pour monter et descendre du perron ? Pour comprendre les questions en tendant l’oreille ? Pour signer, doigts gourds, vue approximative, le formulaire de passage ? La grande vieillesse impose son rythme peu trépidant auquel La Poste devra s’adapter. Car la so- allezvous ? » du facteur coûte bien moins qu’une visite d’infirmière, à peine le prix d’un recommandé… Activer l’imagination Monétiser l’attention à l’autre, les petits services depuis toujours rendus ne lui pose pas de cas de conscience. « Nous ne cherchons pas à empêcher celui qui en a l’habitude d’amener son pain au pépé. Mais nous souhaitions aussi une offre nationale encadrée. Et nous enregistrons une adhésion extraordinaire des facteurs. Ces nouvelles missions représentent la partie la plus valorisante de leur métier. Portage, installations, collecte Depuis 2010, le groupe La Poste développe, dans plusieurs régions, des services de portage à domicile : médicaments, courses alimentaires, paniers « bio », produits culturels, linge lavé au pressing… Les postiers peuvent aussi installer des box numériques. Collecter des matières à recycler (papiers, capsules à café) ou des données (offres d’emploi des entreprises, informations préalables à la rénovation thermique, relevés de compteurs d’eau ou de gaz). Ils prennent avec un smartphone des photos de petits sinistres pour les assureurs, ou de l’état des routes pour les conseils généraux. Cartes postales personnalisées L’application MaCartaMoi, à télécharger gratuitement sur smartphone (ou en accès libre par le biais de Facebook), permet, à partir de photos personnelles, de faire fabriquer par La Poste une carte postale originale en papier qui est ensuite expédiée (pour 2,49 euros). Plus de 100 000 cartes « faites maison » ont déjà été envoyées. Timbres uniques Sur le site de Laposte.fr, le service MonTimbraMoi permet de concevoir des planches de timbres à partir d’une bibliothèque de visuels ou en insérant ses propres textes et photos (à partir de 9,80 euros les 10 timbres). Sur les 1 500 timbres imprimés en moyenne chaque mois, apparaissent surtout des photos de naissance, puis de mariage, et de plus en plus de selfies. Impression à domicile Le service MonTimbreenLigne (toujours sur Laposte.fr) permet d’imprimer directement chez soi des « marques d’affranchissement » qui font office de timbres. disparition & carnet | 23 0123 DIMANCHE 18 - LUNDI 19 JANVIER 2015 Jean Afanassieff Alpiniste et cinéaste Lons-le-Saunier (Jura). Ng Ectpgv Xqu itcpfu fixfipgogpvu Pckuucpegu. dcrv‒ogu. hkcp›cknngu. octkcigu. cppkxgtucktgu fg pckuucpeg Cxku fg ffieflu. tgogtekgogpvu. oguugu. eqpfqnficpegu. jqoocigu. cppkxgtucktgu fg ffieflu. uqwxgpktu En 2000. PASCAL TOURNAIRE Eqnnqswgu. eqphfitgpegu. ufiokpcktgu. vcdngu/tqpfgu. rqtvgu/qwxgtvgu. hqtwou. lqwtpfigu fÔfivwfgu. eqpitflu. pqokpcvkqpu. cuugodnfigu ifipfitcngu Mme Micheline Estiot, son épouse, Gérard, Hervé et Sylviane, ses enfants, Ses petits-enfants Et ses arrière-petits-enfants, ont la douleur de faire part du décès de M. Robert ESTIOT, PEGC honoraire, ancien prisonnier de guerre, croix de guerre, médaillé des Évadés, survenu le 14 janvier 2015, dans sa quatre-vingt-dix-septième année. Un hommage lui a été rendu ce samedi 17 janvier, à 9 h 30, au centre funéraire de Lons-le-Saunier, suivi, selon sa volonté, de sa crémation. « J’ai été matière et esprit. Ne pleurez pas la matière, car elle ne vit pas. Ne pleurez pas l’esprit, car il ne meurt pas. » Lao Tsé. Uqwvgpcpegu fg ofioqktg. vjflugu. JFT. fkuvkpevkqpu. hfinkekvcvkqpu Gzrqukvkqpu. xgtpkuucigu. ukipcvwtgu. ngevwtgu. eqoowpkecvkqpu fkxgtugu Rqwt vqwvg kphqtocvkqp < 23 79 4: 4: 4: 23 79 4: 43 58 ectpgvBorwdnkekvg0ht AU CARNET DU «MONDE» Naissances La Baule. Nantes. J ean Afanassieff, alpiniste et cinéaste documentaire, est mort samedi 10 janvier, à 61 ans, d’un cancer du pancréas. Il était né à Paris en 1953, « trois mois et douze jours avant la première ascension de l’Everest », disait-il. Ce sommet lui apporta la célébrité en 1978 quand il devint, avec ses cheveux longs ceints d’un bandeau, « le premier Français sur le Toit du monde ». Icône de l’alpinisme baba cool et tricolore, il avait alors 25 ans et Pierre Mazeaud, son chef d’expédition et mentor, presque le double. « Jean Afa », comme on l’appelait à Chamonix, était petit-fils de Russes blancs arrivés en France au début des années 1920. Sa grandmère, fille d’un fonctionnaire du tsar à Odessa, avait rencontré son grand-père, un « moujik », sur un bateau fuyant la Crimée aux mains des Soviets. Son père, Igor Afanassieff, était ainsi né sur la route de l’exil, à Sarajevo, et avait réussi son intégration en France : ingénieur chef chez Alsthom, il souhaitait voir ses enfants poursuivre cette ascension. Jean, le cadet, y parvint par un chemin inattendu, quittant l’école en terminale pour aller réussir de brillants solos dans le massif du Mont-Blanc et obtenir son diplôme de guide à 20 ans. Jean Afanassieff avait découvert l’escalade en famille à Fontainebleau. On l’inscrivit à 14 ans au Club alpin, mais il en fut vite exclu pour s’être échappé en solitaire sur une falaise. Dandy séducteur En 1971, les vents d’après-Mai le portent à Chamonix, seul sur sa moto. Entre 18 et 20 ans, Jean Afa réussit plusieurs premières solitaires. « Une étoile filante », commente le grand alpiniste Gaston Rébuffat. « Il grimpait en dilettante, se souvient son frère aîné Georges, psychiatre. Il faisait les choses quand il en avait envie, il pouvait partir faire une ascension en sortant du cinéma. » Son ami Jean-Hervé Colle, qui l’a connu à l’époque en montagne, corrige : « Là-haut, il était tout sauf dilettante : doué, rigoureux, superpro… » En 1975, Jean Afanassieff réussit avec Patrick Cordier la première ascension du mont Ross, dans les îles Kerguelen (océan Indien), le dernier sommet vierge du territoire français. Le 15 octobre 1978, il est au sommet de l’Everest avec Pierre Mazeaud. « Tu as l’âge d’être mon fils », souffle l’ancien secrétaire d’Etat à la jeunesse et aux sports. Le sale gosse au sourire de dom Juan fume un ciga- Le docteur Dominique TERRIOU et Mme, née Vonnic’k LEGRAND, ont la joie d’annoncer la naissance de leur petite-ille, 17 FÉVRIER 1953 Naissance à Paris 1975 Première ascension du mont Ross, dans les îles Kerguelen 15 OCTOBRE 1978 Premier Français au sommet de l’Everest, avec Pierre Mazeaud 10 JANVIER 2015 Mort à Paris Diane, chez charlie buffet ont la tristesse de faire part du décès de Christian LAYOUS DIT CHICOY, Sup Elec 74, survenu le 14 janvier 2015, à l’âge de soixante-quatre ans. La cérémonie religieuse sera célébrée le mardi 20 janvier, à 10 heures, en l’église de Sainte-Marie-de-Ré. 1, rue de la Grange, 17740 Sainte-Marie-de-Ré. à Nantes, le 16 décembre 2014. Chantal Tania et Bernard NEMITZ sont heureux d’annoncer la naissance de leur petite-ille, Sarah, à Paris, le 3 décembre 2014, chez rillo. Une heure trente se passe au sommet dans un temps de rêve, tandis que le camp de base s’excite en direct sur TF1. Jean Afanassieff descend à ski et, dans la foulée, séduit la Salle Pleyel lors d’une conférence sur cette expédition. « Il était très en vogue et le méritait, se souvient son frère Georges. Il avait su discipliner son désir d’aller haut et vite, le canaliser, en faire un art. Ensuite, il s’est formé à la caméra, en autodidacte. » Jean Afanassieff était sensible à la reconnaissance. « En 1991, il a été très fier de recevoir le costume de la prestigieuse compagnie des guides de Chamonix », se souvient Lorraine Afanassieff, mère de trois des quatre enfants de l’alpiniste. Il devient cinéaste. La perestroïka lui ouvre les portes de la Russie : « Il retrouvait un espace de liberté comme il l’avait connu en montagne, il a rencontré des gens givrés », poursuit Lorraine Afanassieff. Il filme des chasseurs d’ivoire de mammouth, les épaves du Koursk ou de la mer d’Aral, des dresseurs de loups et des dompteurs de tigres, des buveurs de vodka. Il s’y épanouit en personnage de roman russe : dandy orgueilleux, imprévisible, séducteur, capable après quelques verres de faire se tordre de rire une salle entière… « L’âme russe, quoi, dit Lorraine Afanassieff. Zapoï ! » « Lui qui se sentait étranger partout disait retrouver quelque chose là-bas », confirme sa compagne, Emilie Mazeaud. Pierre Mazeaud, 85 ans, était présent avec tous ses proches à son dernier instant. Il ressent une « immense tristesse ». L’ancien président du Conseil constitutionnel ajoute : « Il m’avait demandé la Légion d’honneur. Il le souhaitait beaucoup malgré son côté profondément libertaire… et cela nous rendait proches parce que je l’avais été dans ma jeunesse. » Les obsèques de Jean Afanassieff ont lieu selon le rite orthodoxe, samedi 17 janvier à Chamonix, où il skiait encore à Noël. Il sera enterré au côté de son frère Michel, guide comme lui. p Pierre et Béatrice, Odile Layous Dit Chicoy, son épouse, Hugues, Charlotte et David, Zoé, ses enfants, M. et Mme Jean Layous Dit Chicoy, ses parents, Ses petites-illes, M. et Mme Jean-Michel Layous Dit Chicoy, son frère et sa belle-sœur, Églantine NEMITZ et Salim BENABADJI. Décès Mme Henri Beaugé-Bérubé, son épouse, Anne et Philippe Soupa, Thierry et Florence Beaugé-Bérubé, Hervé et Claire Beaugé-Bérubé, ses enfants, Patrick et Martine Bodolec, Alix et Yves Wadier, ses beaux-enfants, Tous ses petits-enfants Et ses arrière-petits-enfants, ont la tristesse d’annoncer le décès de Henri BEAUGÉ-BÉRUBÉ, commandeur de la Légion d’honneur, compagnon de la Libération, médaille de la Résistance, croix de guerre 1939-1945 avec palmes, survenu le 16 janvier 2015, à Paris, à l’âge de quatre-vingt-quatorze ans. La cérémonie religieuse aura lieu le mercredi 21 janvier, à 10 heures, en la cathédrale Saint-Louis des Invalides, Paris 7e. Une cérémonie religieuse se tiendra en l’église du Relecq-Kerhuon (Finistère) le jeudi 22 janvier, à 10 h 30, suivie de l’inhumation, au cimetière de Brest. Mme Henri Beaugé-Bérubé, 74, rue de Sèvres, 75007 Paris. Chantal Bougerol, son épouse, Marie-Dominique et Benoît, Vincent, Paul, ses enfants, Marie, Thomas, Anne, Jean-Baptiste, Kilyan, Tristan, ses petits-enfants, Charlotte, son arrière-petite-ille, ont la tristesse de faire part du décès de Jean-Claude BOUGEROL, ancien dirigeant de la librairie Siloë Jouanaud, à Toulouse, cofondateur du groupement des librairies religieuses Siloë, survenu le lundi 12 janvier 2015, à Toulouse, à l’âge de quatre-vingt-quatre ans. La messe de funérailles sera célébrée le mardi 20 janvier, à 10 heures, en l’église des dominicains de Toulouse Rangueil. En union avec Annick Lemarchal (†), née Willaime, son épouse, Martine et Bernard Mahy, Bruno et Christine Lemarchal, Dominique Lemarchal, Christine (†) et Yves Aubert, Patrick Lemarchal (†), Hélène et Patrick de Mare, Cécile et Arnaud Boselli, ses enfants, Ses petits-enfants, Ses arrière-petits-enfants Et toute sa famille, ont la tristesse de faire part du décès du docteur André LEMARCHAL, survenu le 15 janvier 2015, à l’âge de quatre-vingt-onze ans. La cérémonie religieuse aura lieu le mercredi 21 janvier, à 14 h 30, en la paroisse Saint-Dominique, Paris 14e. Saint-Guilhem-le-Désert. Sa famille fait part avec tristesse du décès, le 12 janvier 2015, de Philippe LORIMY, architecte. Il a été inhumé au cimetière de SaintGuilhem-le-Désert, entouré des siens. Mme Jean Michaud, née Émilie Jeannin, Françoise Michaud, Philippe-Alain et Constance Michaud, Florence et Eric Fournier, ses enfants, Titus, Pierre, Clément, Gabriel, ses petits-enfants, ont la grande tristesse de faire part du rappel à Dieu de Jean MICHAUD, conseiller doyen honoraire de la Cour de cassation, ancien vice-président du Tribunal des conlits, ancien membre du Tribunal suprême de Monaco, ancien vice-président du Comité consultatif national d’éthique, ancien président du Comité directeur pour la bioéthique du Conseil de l’Europe, oficier de la Légion d’honneur, commandeur dans l’ordre national du Mérite, décédé le 14 janvier 2015. Une cérémonie religieuse sera célébrée le lundi 19 janvier, à 11 heures, en l’église Saint-Roch, 296, rue Saint-Honoré, Paris 1er. 2, rue Ernest-Renan, 75015 Paris. Le président, Le vice-président, Les présidents d’honneur, Le président de la section technique, Les membres, La secrétaire générale Et les personnes attachées au service du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, ont appris avec une grande tristesse la disparition de M. Jean MICHAUD, vice-président du Comité de 1992 à 1999. Ils partagent la douleur de sa famille et de ses proches. Mme Gérard Olivier, son épouse, Emmanuel et Martine Olivier, Marie-Béatrice et Jean-Michel Gavanier, Marie-Alix et François Failliot, Stéphane Olivier, Patricia et Rémi Gillet, Christophe et Véronique Olivier, ses enfants, Ses petits-enfants Et ses arrière-petits-enfants, ont la tristesse de faire part du décès de Anniversaire de décès Le 19 janvier 1997, à vingt ans, notre ils, Romain HORN était assassiné. « L’Amour est Immortel ». Anniversaire Jacqueline VIGNAUX, (1915-2008), aurait eu cent ans aujourd’hui. À Montparnasse, elle n’en pense pas moins. De même que Pierre Strobel à son côté. Leur esprit nous anime. Anne, Sylvie et Lucien, Olivier et Alice, Mathias et Capucine, Max, Amélie et Laura. Conférence Gérard OLIVIER, conseiller maître honoraire à la Cour des comptes, maître des requêtes honoraire au Conseil d’État, directeur général honoraire à la Commission de l’Union Européenne, avocat honoraire à la Cour d’appel de Paris, ancien président de l’ARFOG, décédé le 14 janvier 2015, dans sa quatre-vingt-douzième année, La cérémonie religieuse sera célébrée le lundi 19 janvier, à 10 heures, en l’église Saint-Jacques, 167, boulevard Bineau, à Neuilly-sur-Seine. 63, rue Notre-Dame-des-Champs, 75006 Paris. Nuit des Instituts du Monde Lundi 26 janvier 2015, à 19 h 30, « Salomone Rossi, Maître du baroque italien ». Conférence-concert. Pièces à 3 et 4 voix interprétées par l’Ensemble Texto. Institut culturel italien, 73, rue de Grenelle, Paris 7e. Tarif : 10 €. Réservations au 01 42 17 10 70 ou actionculturelle@fsju.org Alain Roy, son ils, Madeleine Roy, sa belle-ille, Emmanuel Roy, son petit-ils, Anne et Agnès Roy, ses petites-illes, Tom, Louis, Noé, Neelan, Tilak, Nour, ses arrière-petits-enfants, ont la grande tristesse d’annoncer le décès de Denise ROY, née VELU, à l’âge de cent trois ans, le 7 janvier 2015. Denise Roy et son époux, Pierre Roy, instituteurs, ont été honorés du titre de Justes parmi les Nations, le 28 avril 1996, par Yad Vashem. Communications diverses 18, avenue de la Vénerie, 91230 Montgeron. Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine). Nous avons la tristesse de faire part du décès de Mme Jacqueline VOUILLOT, née CHANDEIGNE, survenu dans sa quatre-vingt-quatorzième année. De la part de Huguette, sa sœur, Claude, Daniel et Michel, ses enfants, laurence, Alexandre, Anne, Charlotte, Marie, Raphael, ses petits-enfants, Ses arrière-petits-enfants. La cérémonie religieuse sera célébrée, mercredi 21 janvier 2015, à 11 heures, en l’église Saint-Pierre de Neuillysur-Seine. Cet avis tient lieu de faire-part et de remerciements. Camille, son petit-ils, Elie et David, ses ils, ont la tristesse de faire part du décès, le 22 décembre 2014, de Cécile WANDERSMAN, professeur à l’Institut Pasteur. Ses cendres ont été dispersées à Moonstone, Cambria, Californie (Etats-Unis). Le 19 janvier 2015, à 17 heures, à l’École normale supérieure, salle Dussane, 45, rue d’Ulm, Paris 5e, 14e conférence Alberto-Benveniste : « Les manuscrits hébreux enluminés de Sefarad. Miroirs de l’idendité judéo-ibérique », par Sonia Fellous. Remise des Prix Alberto-Benveniste 2015, à Gabi Gleichmann (littérature) et Rena Molho (recherche). Récital de chants sépharades par Sandra Bessis. Entrée libre. Renseignements sur www.centrealbertobenveniste.org Les Amphis de l’AJEF « Les pays développés sont-ils condamnés à une croissance lente ? » avec Philippe Aghion (Harvard, Collège de France), mercredi 21 janvier 2015, à 20 heures, au lycée Louis-le-Grand, 123, rue Saint-Jacques, Paris 5e. Inscription obligatoire (Vigipirate) : amphis.ajef@gmail.com " " # " # " "# #" %. + *0.+ "# # # " ""+ /$ %- "# " *&# $%" % " # " " *$% + %/% "# " " . *%$$* * ** $$"%$. *$. '*#$- * " * .* "# "#% ** %.*-% + " $ *%$ 0"/ .#$$ "# " ## $$- %"# " $ * +-%' 0 ($-*$- %$") %#+ * (*$) * $ " $* (%$%# ) .*" $% %$- (."-.*) "# $" " ." $ *%%.*- (*%!-+) $$- *- ( /*+ - %$+ /$#$-+ *-$* -+) " * +- $ ++%" "# " "# * + '-%%*%. " %"+ #$1 * 1 "# +" " $ * " # # -* $ %"0 " " * +- $ #$ ** * '*+ $- +- $ *$ % / '*+ $- 24 | 0123 0123 DIMANCHE 18 - LUNDI 19 JANVIER 2015 L’AIR DU MONDE | CHRONIQUE par sylvie kauffmann Au cœur de nos contradictions QUELQUE 500 PERSONNALITÉS ARABES ONT PUBLIÉ UN MANIFESTE PASSÉ INAPERÇU LORSQUE LA DIFFÉRENCE S’EXPRIME, NOUS NE L’ENTENDONS PAS J amais les dirigeants iraniens et américains ne se sont autant engagés pour régler le différend nucléaire qui empoisonne le Moyen-Orient et menace à terme, s’il n’est pas réglé, de relancer la prolifération mondiale des armes atomiques. En effet, c’est une véritable course contre la montre qui est engagée entre ceux qui veulent trouver un compromis sur le programme nucléaire iranien afin de mieux le contrôler et ceux, à Téhéran comme à Washington, qui s’opposent à tout accord, soit par manque de confiance dans la partie adverse, soit par un calcul dangereux. Là où bien des espoirs étaient permis en 2014, le temps presse désormais. Car il joue contre la négociation engagée entre l’Iran d’un côté et les « 5 + 1 » de l’autre – les intitulée « Nous ne céderons pas à la peur ». Rédigée avant l’autre tuerie, la prise d’otages du supermarché juif, elle s’adressait aux familles des victimes de Charlie Hebdo. « A leurs tueurs, nous disons qu’ils nous trouveront en travers de leur chemin, au côté de la liberté », poursuivait l’appel, courageusement. Des noms pour la plupart inconnus du public français, aux côtés de celui de Salman Rushdie auquel s’est joint depuis le Prix Nobel turc Orhan Pamuk, artistes, universitaires, écrivains, journalistes, médecins, avocats, militants associatifs… Cinq cents signatures réunies en 48 heures – un record – en surmontant, pour certains, de profondes divergences. Cette page était, en soi, un événement. Qui l’a vue ? A-t-elle été signalée, analysée, décryptée ? Nous sommes là au cœur de nos contradictions françaises. Nous nions la différence, mais nous voudrions l’entendre. Et lorsqu’elle s’exprime, nous ne l’entendons pas. « Enorme solitude » L’écrivain franco-libanaise Dominique Eddé, l’une des initiateurs du manifeste, évoque « l’énorme solitude d’une majorité de personnes liées au monde musulman ». En France, nous dit-elle, on donne la parole « à ceux qui disent des choses qui ne dérangent pas trop. Les autres se sont tus, et ça, ça crée de la violence ». Puisque l’on réaffirme avec force, depuis le 7 janvier, la liberté d’expression, elle souhaite que l’on « entende et partage au mieux cette liberté, car jusqu’ici, elle n’a pas été bien partagée ». « Où aller pour les gens comme moi ? » demande l’écrivain Kamel Daoud, autre signataire et cible d’une fatwa pour « apostasie ». L’attentat contre Charlie Hebdo, commis au nom du « Prophète », a choqué les intellectuels arabes et musulmans autant que le reste des Français – même si, note Dominique Eddé, « en termes de souffrance existentielle, nous avons un petit quart d’heure d’avance sur l’Europe ». Cette fois, un nouveau palier a été franchi. « Une déflagration, quelque chose de nouveau », a immédiatement dit un autre signataire. L’historienne Sophie Bessis constate que ce choc se traduit pour eux par « le refus de la parole convenue qui veut que cela ne concerne pas l’islam. Aujourd’hui, ils disent : oui, l’islam c’est aussi cela ». L’enjeu est immense. S’ils font leur part du chemin, à nous de faire la nôtre. Il n’est pas question d’abandonner ni la laïcité, ni la liberté d’expression, ni notre héritage voltairien. Mais d’accepter le fait que dans une Europe qui compte aujourd’hui des millions de musulmans, face à la mondialisation, Internet, les réseaux sociaux et le retour du religieux, la France n’est plus tout à fait ni celle de Voltaire ni celle de 1905. Arrivé récemment et massivement en France, l’islam, souligne Olivier Roy, « est en train de se formater à la laïcité à la française ». La liberté, comme la tolérance, est une voie à double sens : bien appliquées, elles rendront le « formatage » moins douloureux pour tout le monde. p kauffmann@lemonde.fr Tirage du Monde daté samedi 17 janvier : 356 069 exemplaires cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU (Chine, Etats-Unis, France, Royaume-Uni, Russie) et l’Allemagne. Initialement, la date butoir de ces pourparlers avait été fixée au 24 novembre 2014. Faute d’un accord sur les deux questions-clés – le niveau d’enrichissement de l’uranium dont pourrait bénéficier la République islamique et le rythme de levée des sanctions qui pèsent sur elle –, les négociateurs s’étaient accordé un nouveau délai, jusqu’à fin juin. Mais le vent a tourné. Le président iranien Hassan Rohani, élu à la surprise générale en juin 2013, a vu sa légitimité et ses marges de manœuvre constamment érodées par les conservateurs tout au long de l’automne. Au point qu’il joue aujourd’hui son va-tout sur cet accord, dont il avait fait la principale promesse de sa campagne électorale ; il va jusqu’à menacer d’organiser un référendum sur la question. Aux Etats-Unis, le Congrès, renouvelé en novembre 2014 et dominé par les républicains, entre en fonctions ce mois-ci. Cette situation politique va sérieusement réduire la crédibilité et la liberté de négociation du président américain. Déjà, les projets de renforcement des sanctions à l’encontre de l’Iran s’empilent au Sénat et à la Chambre des représentants. Leur adoption serait pain bénit pour les ultra-conservateurs iraniens, pour qui il ne faut rien attendre du « grand Satan ». « Le Congrès doit faire preuve de patience », a adjuré, vendredi 16 janvier, Barack Obama, qui a menacé d’utiliser son droit de veto contre toute initiative intempestive des « faucons » du Congrès. Quant au secrétaire d’Etat, John Kerry, et à son homologue iranien, Mohammad Javad Zarif, ils se sont rencontrés deux fois cette semaine, avant la reprise officielle des pourparlers, à Genève, ce dimanche. La visite concomitante, à Paris, des deux hauts responsables américain et iranien n’est d’ailleurs pas un hasard. La France a été, tout au long de ces dernières années, le membre le plus intransigeant de la coalition chargée de négocier avec l’Iran. Il est donc important de s’assurer son soutien, alors que les pourparlers pourraient connaître une accélération à Genève la semaine prochaine. Il serait souhaitable que Paris joue un rôle à la hauteur de ses responsabilités. Car l’enjeu n’est pas seulement le contrôle de la prolifération nucléaire. Il est aussi celui d’une éventuelle normalisation des relations entre les Etats-Unis et l’Iran, l’un des principaux pays de la région. Une telle évolution serait un sérieux facteur de stabilisation, en contribuant à dénouer l’une des multiples crises qui ensanglantent le Moyen-Orient et menacent, aujourd’hui, de se propager à l’Europe. Comme on vient de le constater en France. p OFFRE SPÉCIALE 6 MOIS 50 % DE REDUCTION Le quotidien chaque jour + tous les suppléments + M le magazine du Monde + l’accès à l’Édition abonnés du Monde.fr BULLETIN D’ABONNEMENT A compléter et à renvoyer à : Le Monde - Service Abonnements - A1100 - 62066 Arras Cedex 9 OUI, je m’abonne à la Formule Intégrale du Monde *Prix de vente en kiosque **Sous réserve de la possibilité pour nos porteurs de servir votre adresse C ommunauté : « Ensemble de personnes unies par des liens d’intérêts, des habitudes communes, des opinions ou des caractères communs » (Dictionnaire Larousse). C’est un mot qui a l’air anodin, comme ça, mais qui, chez nous, est en réalité explosif. En France, on parle de la « communauté juive », de la « communauté arménienne », mais on ne peut pas dire « communauté musulmane ». C’est une sorte de tabou. Dans un texte remarquable publié par Le Monde le 10 janvier, le chercheur Olivier Roy évoque même « le fantasme d’une communauté musulmane imaginaire ». « Il n’y a pas de communauté musulmane », poursuit-il. Il y a seulement « une population musulmane ». Il est facile de comprendre pourquoi tant d’intellectuels français récusent ce terme pour décrire les musulmans. « Communauté » mène, comme par un glissement inexorable, à « communautarisme ». Communautarisme (toujours selon le Larousse) : « Tendance du multiculturalisme américain qui met l’accent sur la fonction sociale des organisations communautaires (ethniques, religieuses, sexuelles, etc.). » Le communautarisme est à l’exact opposé du modèle français, laïque, égalitaire, républicain, assimilationniste. Un modèle puissant, qui a fait ses preuves au XXe siècle. Une authentique exception française, sur laquelle nos amis anglo-saxons n’ont cessé de s’interroger et qui nous a amenés à légiférer sur l’interdiction de tous les signes religieux à l’école publique, pour éviter le foulard islamique. Un consensus au nom duquel nous nous interdisons d’établir des statistiques ethniques ou religieuses, au risque de nous priver d’instruments indispensables pour lutter contre les discriminations. Il est exact aussi que les musulmans de France ne se comportent pas en « communauté » : ils ne revendiquent ni mosquées géantes, ni partis politiques (hormis dans l’imagination de Michel Houellebecq), ni représentants identitaires. La plupart d’entre eux ne cherchent qu’à se fondre dans la masse. N’étant pas organisés en « communauté », ils n’ont pas de porteparole incontesté. Le problème c’est que, lorsqu’une crise éclate, on aimerait les entendre. Mais où sont-ils ? Qui sont-ils ? Nous ignorons jusqu’à leur nombre. Après la tuerie de Charlie Hebdo, on a tout de suite attendu des voix laïques et responsables émanant de la « population » arabe et musulmane de France, ou même du bassin méditerranéen. Frustrés, on a cherché des visages reconnaissables dans les premières manifestations spontanées de solidarité du 7 janvier. On en a discerné un peu plus dans l’immense marche du 11 janvier. Ce jour-là, certains ont même osé proclamer : « Je suis musulman et je suis Charlie. » Et puis il y a eu ce manifeste, publié dans Le Monde daté 11-12 janvier, une page entière de publicité, financée par les signataires. Une page sobre, noircie de quelque 500 noms essentiellement arabes, NUCLÉAIRE IRANIEN : LE TEMPS PRESSE Le quotidien chaque jour + tous les suppléments + M le magazine du Monde + l’accès à l’édition abonnés du Monde.fr pendant 6 mois pour 169 € au lieu de 390 €* soit 50% DE RÉDUCTION sur le prix kiosque Je règle par : Chèque bancaire à l’ordre de la Société éditrice du Monde Carte bancaire : Carte Bleue Visa Mastercard N° : Date et signature obligatoires Expire fin : Notez les 3 derniers chifres figurant au verso de votre carte : 151EMQA6M Nom : Prénom : Adresse : Code postal : Localité : E-mail : @ J’accepte de recevoir des ofres du Monde ou de ses partenaires OUI OUI NON NON Tél. : IMPORTANT : VOTRE JOURNAL LIVRÉ CHEZ VOUS PAR PORTEUR** Maison individuelle Immeuble Digicode N° Interphone : oui non Boîte aux lettres : Nominative Collective Dépôt chez le gardien/accueil Bât. N° Escalier N° Dépôt spécifique le week-end SOCIÉTÉ ÉDITRICE DU MONDE SA - 80, BOULEVARD AUGUSTE-BLANQUI - 75013 PARIS - 433 891 850 RCS Paris - Capital de 94 610 348,70€. Ofre réservée aux nouveaux abonnés et valable en France métropolitaine jusqu’au 31/12/2015. En application des articles 38, 39 et 40 de la loi Informatique et Libertés du 6 janvier 1978, vous disposez d’un droit d’accès, de rectification et de radiation des informations vous concernant en vous adressant à notre siège. Par notre intermédiaire, ces données pourraient êtres communiquées à des tiers, sauf si vous cochez la case ci-contre.
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