VENDREDI 24 JUIN 2016 72E ANNÉE – NO 22221 2,40 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE WWW.LEMONDE.FR ― FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO b Le e e e d EDGAR ALLAN POE N°2•4,99 € EN VENTE UNIQUEMENT EN FRANCE MÉTROPOLITAINE LE MONDE DES LIVRES Les improvisations du gouvernement creusent les fractures de la gauche 2 C’EST D’ACTUALITÉ v CARITATIF Les livres du cœur ont du succès 3 MOTS DE PASSE v La petite musique de Julian Barnes Yves Bonnefoy, passé présent Dans « L’Echarpe rouge », magnifique essai autobiographique, le poète reprend des vers anciens, inachevés, à la recherche des origines de sa vocation 4 LITTÉRATURE FRANÇAISE Martin Page, Patrick Wald Lasowski, Pierre Alferi amaury da cunha A ▶ En trois heures, mercredi, ▶ Les critiques de la CFDT, ▶ Après avoir laissé la manifestation parisienne contre la loi travail a d’abord été interdite puis autorisée par l’exécutif seul syndicat à défendre le texte El Khomri, et des politiques, de droite comme de gauche, ont porté Manuel Valls décider d’in- sur l’état de décompositerdire le cortège parisien, tion d’une gauche qui François Hollande a désaa intégré la défaite en 2017 voué son premier ministre PAGES 8-9 ET LA CHRONIQUE PAGE 25 ▶ Cette crise en dit long vec L’Echarpe rouge, Yves Bonnefoy creuse une brèche dans le passé. Rien de régressif, cependant, dans ce magistral essai autobiographique. Pour le poète, né en 1923, l’expérience acquise permet désormais de circuler dans l’épaisseur d’une œuvre. D’un livre à l’autre, d’un recueil de poèmes à un essai théorique sur l’art, avec la même intensité littéraire, Bonnefoy n’a cessé d’interroger notre rapport au réel à travers les mots. S’ils permettent d’accéder à l’évidence des choses, à leur « présence plénière », ils représentent aussi un risque. Celui de réduire ce que nous tentons de nommer à des identités figées et d’obscurcir l’énigme de nos vies. L’enjeu de L’Echarpe rouge, pour Yves Bonnefoy, est celui d’une épreuve. Elle consiste à entrer dans un texte d’autrefois pour l’habiter à nouveau et saisir le sens des mots qui demeurent encore incompris. En 1964, Yves Bonnefoy a en effet écrit une centaine de vers dans une forme libre. Il y est question de mystérieuses images. Morceaux d’un puzzle, comme sortis d’une toile de Giorgio De 5 LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE Joyce Carol Oates, Rachel Cusk 6 HISTOIRE D’UN LIVRE « Bambi », de Felix Salten 7 Il est rare de trouver dans l’œuvre du poète des textes aussi intimes qui identifient radicalement l’écriture à la vie Chirico. Dans ce poème, l’écrivain évoque une enveloppe avec l’adresse d’un inconnu écrite au dos, une maison oubliée, un voyage en train à Toulouse, une rencontre avec une femme fantomatique, une disparition, un masque de NouvelleGuinée… Il ne parviendra cependant pas à finir ce poème, ou cette « idée de récit », comme il le nomme. « Du sans cesse interrompu, de l’inachevable, écrit-il dès les premières pages de L’Echarpe rouge, l’œuvre de quelqu’un d’autre. » Pour Yves Bonnefoy, la poésie est un acte qui se poursuit mentalement, même lorsque l’écriture s’arrête. Un demi-siècle plus tard, l’écrivain décide donc de reprendre ce texte qui demeurait enfoui au fond d’un tiroir, dans le secrétaire de son grand-père. Plutôt que d’en chercher une suite, Bonnefoy préfère passer du vers à la prose, pour mieux enquêter sur ces images primitives. Dans ce magnifique essai qui analyse le poème inaugural jamais publié – dont le titre était déjà L’Echarpe rouge –, l’origine de la vie et celle de l’écriture se retrouvent mêlées. Bonnefoy évoque son enfance, notamment à travers la relation à ses parents. Le poème initial faisait entrer en scène un homme mystérieux, revenu du passé. Le poète l’identifie aujourd’hui comme son père. Cet ouvrier ajusteur parlait peu, ou alors réduisait le ESSAIS L’éthique topographique des Apaches selon Keith Basso 8 CHRONIQUES v LE FEUILLETON Eric Chevillard mène l’enquête avec Paul Fournel ÉRIC GARAULT/PASCO langage à une fonction strictement utilitaire, fonctionnelle : « Le travail qu’il fait l’oblige à l’emploi de la pensée conceptuelle, il doit en parler l’abstraction, ses mots le privent d’avoir avec l’arbre proche, ou la barrière grinçante sur le chemin, ce rapport d’immédiateté qui est à la fois toucher, voir, respirer, sentir. » La vocation poétique ne survient-elle pas pour compenser ce silence ? Ecrire pour le père, ou alors contre lui ? Devenir poète, c’est peut-être vouloir subvertir l’ordre du langage, laisser entrer en lui le vacillement du sens. Dans L’Echarpe rouge, au sein de cette maison familiale, Yves Bonnefoy raconte sa découverte intérieure du langage. D’abord dans les mots échangés par ses parents, dans un patois qu’il ne comprenait pas, mais à travers lequel l’enfant s’enchantait de découvrir la primauté du son des mots sur leur signification. Beauté d’une langue étrangère qui est aussi celle de la poésie. C’est ensuite dans un abécédaire qu’il découvre d’autres mots, dessinés sur un livre. « C’étaient des dessins au trait qui n’avaient pas l’ambition de savoir ce que les dictionnaires disent des choses ». Aux yeux d’Yves Bonnefoy, cette expérience a été décisive dans sa pratique future de la poésie – et sa recherche du mot comme pourvoyeur d’images. « Et j’étais donc invité à rester fidèle au premier emploi que l’on fait des mots, le désignatif, l’exclamatif », écrit-il. Car la poésie, pour lui, n’est pas la recherche d’un savoir quelconque. Discipline qui n’exclut cependant pas le maintien d’une pensée toujours vive, jamais séparée de la riche épaisseur du monde, forée par les mots. Si L’Echarpe rouge peut parfois sembler abrupt, ce livre demeure essentiel : il réussit à déceler une jonction entre l’évidence de la vie et son inévitable mystère. Il est rare de trouver dans l’œuvre d’Yves Bonnefoy des textes aussi intimes qui identifient radicalement l’écriture à la vie. Dans Ensemble encore, un autre ouvrage qui paraît en même temps, constitué de poèmes pour la plupart inédits, Yves Bonnefoy évoque à nouveau l’enfance, comme le lieu et le moment de toutes nos origines. Ces images d’un « très lointain autrefois » se retrouvent aujourd’hui au premier plan dans la vie d’un poète de 93 ans qui ne cesse d’explorer toutes les strates du temps. p 9 MÉLANGE DES GENRES v JEUNESSE Le papa pas poule de Marie-Aude Murail 10 RENCONTRE Achille Mbembe, le passant soucieux l’écharpe rouge, d’Yves Bonnefoy, Mercure de France, 272 p., 19 €. ensemble encore suivi de perambulans in noctem, d’Yves Bonnefoy, Mercure de France, « Poésie », 144 p., 14,80 €. Cahier du « Monde » No 22221 daté Vendredi 24 juin 2016 - Ne peut être vendu séparément NOTRE-DAME-DES-LANDES LE RÉFÉRENDUM QUI NE RÉGLERA RIEN ▶ Yves Bonnefoy, magistrale « Echarpe rouge », l’autobiographie d’un poète ▶ Le roman originel de « Bambi », en 1923, allégorie du destin des juifs d’Europe ▶ Les électeurs de Loire-Atlantique répondront dimanche à la question du transfert de l’aéroport de Nantes vers Notre-Damedes-Landes ▶ Le référendum ne lèvera pas les oppositions sur ce dossier vieux de cinquante ans, le gouvernement devra trancher → PAGES 6 - 7 1 SUPPLÉMENT Espagne L’improbable coalition de gauche PAGE 2 Prison La catastrophe des transfèrements de détenus ET 2 4 ÉDITORIAL PAGE 1 1 PATAQUÈS INSOLUBLE → PAGE 26 Culture Le mélo dans tous ses états à La Cinémathèque Dans la ZAD, le 22 juin. FRANCK TOMPS POUR « LE MONDE » PAGE S 1 8 - 1 9 Les sièges du Château de Versailles et les sociétés offshore Un antiquaire parisien utilisait une structure panaméenne pour acheter des meubles discrètement Le scandale des faux meubles XVIIIe acquis par le Château de Versailles en cache un autre : l’antiquaire parisien Bill Pallot, mis en examen et écroué le 9 juin pour « blanchiment aggravé et es- Sport Le joli parcours des bizuts de l’Euro Pays de Galles, Islande, Irlande du Nord et Slovaquie sont en huitièmes de finale. Seule l’Albanie est sortie croquerie », était le bénéficiaire effectif d’une société-écran immatriculée au Panama par le cabinet d’affaires Mossack Fonseca. Le compte suisse de la société offshore affichait en 2007 un solde confortable (1,3 million d’euros) et servait effectivement à l’achat de meubles anciens, selon les « Panama papers ». La société a été transférée en 2010 à un autre cabinet panaméen, lui-même dans le viseur de la cellule antiblanchiment Tracfin. L’avocat de Bill Pallot assure que son client « a régularisé avec Bercy » tous ses avoirs à l’étranger. Stressless, Burov Calia Italia, Duvivier, Steiner... Choisir parmi les meilleurs, c’est le premier des conforts ! LE PLUS GRAND ESPACE RELAXATION À PARIS PAGE 1 2 LE REGARD DE PLANTU SOL DES 22/06 > 02/08 PAGES 1 3 À 1 6 "&,.0+*&$ 4& (01,&1+ '+ 34+) '& 4/7(01026& -+. 4&201'&5#.!4&%(4+)%'&%4%&(01026& CANAPÉS, LITERIE, MOBILIER : 3 000 M2 D’ENVIES ! Paris 15e • 7j/7 • M° Boucicaut • P. gratuit • www.topper.fr Canapés, convertibles, mobilier : 63 rue de la Convention, 01 45 77 80 40 145 rue Saint-Charles, 01 45 75 02 81 Literie : 66 rue de la Convention, 01 40 59 02 10 Armoires lits : 60 rue de la Convention, 01 45 71 59 49 Dressing Celio : 143 rue Saint-Charles, 01 45 79 95 15 Meubles Gautier : 147 rue Saint-Charles, 01 45 75 02 81 Algérie 200 DA, Allemagne 2,80 €, Andorre 2,60 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,40 €, Cameroun 2 000 F CFA, Canada 4,75 $, Chypre 2,70 €, Côte d'Ivoire 2 000 F CFA, Danemark 32 KRD, Espagne 2,70 €, Espagne Canaries 2,90 €, Finlande 4,00 €, Gabon 2 000 F CFA, Grande-Bretagne 2,00 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique 2,60 €, Guyane 3,00 €, Hongrie 990 HUF, Irlande 2,70 €, Italie 2,70 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,40 €, Malte 2,70 €, Maroc 15 DH, Pays-Bas 2,80 €, Portugal cont. 2,70 €, La Réunion 2,60 €, Sénégal 2 000 F CFA, Slovénie 2,70 €, Saint-Martin 3,00 €, Suisse 3,60 CHF, TOM Avion 480 XPF, Tunisie 2,80 DT, Turquie 11,50 TL, Afrique CFA autres 2 000 F CFA 2| INTERNATIONAL 0123 VENDREDI 24 JUIN 2016 A Cuevas del Becerro (Espagne), le 10 juin. JON NAZCA/REUTERS Les frères ennemis de la gauche espagnole Podemos devance les socialistes dans les sondages avant les élections législatives du 26 juin madrid - correspondance S ix mois après les élections générales de décembre 2015, qui n’avaient pas permis la formation d’un gouvernement, le nouveau vote organisé dimanche 26 juin permettra-t-il d’éclaircir le paysage politique espagnol ? Rien n’est moins sûr, et les derniers sondages diffusés avant le vote laissent difficilement augurer de la suite des événements. Le parti de la gauche anti-austérité Podemos, fort de l’alliance scellée avec les néocommunistes de la Gauche unie (Izquierda unida, IU) et divers mouvements régionaux, semble en bonne position, avec des intentions de vote tournant autour de 26 % (contre 20,68 % en décembre 2015), pour ravir sa deuxième place au Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), qui stagne à 20,5 %. Le Parti populaire (PP, droite) paraît bien parti, avec 29 %, pour conserver une première place qui, il y a six mois, s’était révélée insuffisante pour gouverner. Voilà pour l’aspect comptable. Pour le reste, les querelles intestines à gauche rendent toujours aussi incertaine la perspective d’une coalition entre Podemos et LE CONTEXTE LÉGISLATIVES Plus de 36 millions d’électeurs espagnols seront appelés à voter pour élire 350 députés et 208 sénateurs. Pour former un gouvernement, il faudra que plusieurs partis parviennent à se mettre d’accord, sous peine de voir se répéter le scénario produit par les élections de décembre. Le PSOE, dont le soutien après les élections est déjà sollicité par le PP et par Podemos, devrait jouer les faiseurs de roi, ce qui le met face à un dilemme. le PSOE. Pour le dirigeant socialiste Pedro Sanchez, pas question de permettre à Pablo Iglesias, le chef de file de Podemos, de devenir président du gouvernement, alors même que celui-ci a voté contre son investiture, en mars, et que Podemos ne cache pas son envie d’infliger au PSOE le même sort qu’au Pasok en Grèce – l’envoyer dans les poubelles de l’histoire. Les socialistes n’ont qu’un seul espoir pour renverser la situation et éviter que le PP ne profite de l’imbroglio : « S’il n’y a pas de majorité, et pour éviter des troisièmes élections, il faudrait laisser gouverner le parti qui obtient le plus de soutiens au Parlement », a expliqué, mi-juin, le conseiller économique du PSOE, Jordi Sevilla. Relations ambiguës La manœuvre est claire : s’il parvient à rééditer l’alliance qu’il avait scellée en février avec le parti centriste et libéral Ciudadanos, crédité de 14 % des voix, le PSOE espère ainsi convaincre Podemos de le soutenir. Pedro Sanchez a abondé dans ce sens en proposant, le 20 juin, de former un gouvernement de coalition avec des ministres issus à la fois de Podemos et de Ciudadanos. La proposition a toutefois peu de chances d’aboutir, après avoir échoué une première fois en mars, au moment de l’investiture. La capacité de Podemos et du PSOE à s’entendre est d’autant plus incertaine que les deux partis entretiennent des relations ambiguës, dont la nature diffère d’une région à l’autre de l’Espagne. Dans les villes de Madrid et de Barcelone, où gouvernent des plateformes citoyennes soutenues par Podemos grâce à l’appui des socialistes, elles fonctionnent sans soubresauts, alors qu’à Cadix, les deux formations sont au bord de la rupture. Dans les régions de Valence, des Baléares, de Castille-La Manche ou d’Aragon, le soutien clé de Podemos à des gouvernements socia- listes est stable. Alors qu’en Estrémadure, dans les Asturies ou en Andalousie, les socialistes doivent trouver le soutien d’autres formations pour approuver les budgets. Pour Podemos, le modèle à suivre est celui de la région de Valence. Après vingt ans de gouvernement du PP, les socialistes, arrivés en deuxième position lors des élections régionales de mai 2015, gouvernent la région grâce à un accord, le « pacte du Botanique », signé avec le parti régionaliste et anticorruption Compromis, qui a obtenu la vice-présidence du gouvernement régional, et Podemos, qui n’a pas souhaité entrer dans le gouvernement pour « exercer un contrôle externe ». Un an plus tard, toutes les forces politiques qui ont souscrit au « pacte » se disent « satisfaites ». « Nous avons démontré qu’il est possible d’avoir un gouvernement de coalition avec un programme modéré et une cohésion interne, affirme au Monde le président de la région, le socialiste Ximo Puig. « Une grande coalition entre le PSOE et le PP serait la pire des solutions » XIMO PUIG président (PSOE) de la région de Valence La droite nous disait que ça allait être compliqué, que ça allait nuire à l’économie. C’est tout le contraire. Nous avons eu 3,4 % de croissance en 2015 et les exportations ont augmenté. » « La majorité des mesures que nous nous étions fixées ont été adoptées ou sont déjà en marche, se félicite la vice-présidente, Monica Oltra, avocate de 46 ans et porte-parole de Compromis. Nous avons supprimé les frais médicaux aux personnes âgées gagnant moins de 1 000 euros par mois ou encore mis en marche des mesures de lutte contre la pauvreté énergétique. » « Après vingt ans de gouvernement du PP et la prolifération des affaires de corruption, il existait une saturation et un ras-le-bol tels que cette alliance était nécessaire, ne serait-ce que par hygiène démocratique, abonde Antonio Montiel, secrétaire général de Podemos dans la région valencienne. Jusqu’à présent, le PSOE et Compromis n’avaient pas réussi à chasser le PP du pouvoir, mais nous avons mobilisé le vote des jeunes et des abstentionnistes. A présent, il est temps de réviser l’accord du Botanique pour aller plus loin. » « Changement culturel » Malgré leur entente à Valence, chacun a sa propre lecture du blocage qui a suivi les élections du 20 décembre et des perspectives d’alliance au niveau national. Pour M. Montiel, « Ximo Puig, contrairement à Pedro Sanchez, a compris qu’un changement culturel s’était produit. » Mais le président valencien se refuse lui aussi à soutenir l’idée d’un gouvernement présidé par Pablo Iglesias, même si celui-ci devance les socialistes. « Podemos est encore en phase de maturation et il doit se définir, explique M. Puig. En Andalousie, ce sont des anticapitalistes, ici ils sont plus modérés, et à Madrid, ils ont préféré mener un jeu tactique. » Problème : à l’image de nombreux cadres du PSOE, M. Puig estime aussi qu’« une grande coalition avec le PP serait la pire des solutions ». A l’issue du scrutin, et si Podemos et le PSOE disposent bien à eux deux de la capacité de gouverner, cette position d’entre-deux risque d’être difficile à défendre pour les socialistes. Electoralement affaiblis, ils auront du mal à assumer de bloquer l’accession au pouvoir d’une majorité de gauche. Le risque d’éclatement du parti, entrevu dans les mois qui avaient suivi le scrutin de décembre 2015, sera à nouveau bien réel. p sandrine morel En Catalogne, une affaire d’écoutes embarrasse Madrid c’est une réunion organisée en octobre 2014, quelques jours avant la consultation indépendantiste illégale organisée en Catalogne le 9 novembre, entre le ministre de l’intérieur, Jorge Fernandez Diaz, et le magistrat Daniel de Alfonso, directeur du bureau antifraude de la région. Sur les enregistrements, diffusés mardi 21 juin par le site d’information Publico.es, on entend clairement le ministre demander des informations sur l’avancée des enquêtes sur de possibles affaires de corruption touchant des membres de la Gauche républicaine catalane (ERC) et les nationalistes de Convergence démocratique de Catalogne (CDC). Le ministre s’intéresse à la hausse de la facturation d’une entreprise privée, Cepsa, où travaillait le frère du chef de file d’ERC, Oriol Junqueras, lorsque le parti gouvernait la région en coalition avec les socialistes et les écologistes. Alors que le magistrat lui assure que les preuves sont « faibles », il insiste. « Ce que je sais, (…) c’est que le volume de facturation de Cepsa par la voie des con- cessions et des subventions a explosé… On ne peut pas oublier que nous sommes en train de parler du frère de Junqueras. » Plus tard, le magistrat l’informe de l’attribution de postes de la fonction publique à deux belles-sœurs de l’ex-conseiller catalan de l’intérieur et du travail Felip Puig, par l’ex-conseiller à la présidence du gouvernement catalan, Francesc Homs, avant le résultat de leur concours. « Politiquement, ça lui fait beaucoup de mal, non ? Tu peux me donner une copie », demande alors le ministre. Il se propose même « d’intervenir auprès du procureur de l’Etat » pour qu’une enquête soit ouverte et que cela sorte dans la presse. « Guerre sale » La fuite de ces enregistrements sonores a provoqué un séisme en pleine campagne pour les législatives du 26 juin. Les partis indépendantistes catalans parlent de « guerre sale » et de « conspiration » pour « fabriquer des scandales » contre les partisans de la sécession. Les médias s’inquiètent d’une ma- nipulation de la justice à des fins politiques. Les candidats du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), de Podemos (gauche antiaustérité) et de Ciudadanos (centriste libéral) ont tous demandé la démission du ministre et du magistrat, mais aussi réclamé des comptes au chef du gouvernement intérimaire, Mariano Rajoy, qui apparaît en filigrane dans la conversation : « Je vais en informer qui tu imagines », explique le ministre, avant, plus tard, de dire que « le président du gouvernement est au courant ». Au Parti populaire (PP), on crie à « la conspiration ». « La seule vraie question est qui a enregistré ces conversations et pourquoi il les diffuse deux ans plus tard, à quatre jours des élections », a déclaré M. Fernandez Diaz, qui considère qu’il s’agit d’une conversation « privée » et « sortie de son contexte », qui s’inscrit dans « les relations normales » entre administrations. Mariano Rajoy, pour sa part, a assuré qu’il ne savait pas qu’il existait un bureau antifraude en Catalogne. p s. m. (madrid, correspondance) international & europe | 3 0123 VENDREDI 24 JUIN 2016 La presse d’outre-Manche vote « Brexit » Les Britanniques disent, jeudi, oui ou non à l’Europe. Leurs journaux ont tranché depuis longtemps londres - correspondant L undi : « Nouveau raid fiscal de l’UE sur la GrandeBretagne ». Mardi : « L’UE ultra-toxique pour les retraites ». Mercredi : « La reine met en cause l’UE ». Ainsi a commencé la semaine du référendum pour les lecteurs du Daily Express (430 000 exemplaires quotidiens). Chaque matin, la « une » des principaux tabloïds britanniques scande des slogans hostiles à l’Europe et favorables au « Brexit ». « Independence day », va jusqu’à proclamer le Sun, jeudi 23 juin, jour du vote, sur fond de soleil radieux se levant sur les îles Britanniques, appelant ses lecteurs à « libérer le Royaume-Uni de l’emprise de l’UE ». L’extrême focalisation de la campagne sur l’immigration se nourrit aussi quotidiennement de leurs gros titres : « Laissez-nous entrer, nous sommes Européens ! », proclamait par exemple le Daily Mail (1,6 million d’exemplaires) le 16 juin, sous la photo d’une famille de clandestins débusqués dans un camion. Le lendemain, le journal publiait un rectificatif : les migrants en question venaient d’Irak et du Koweït. Mais qu’importe. Anti-européens, xénophobes et populaires, les principaux tabloïds offrent une caricature d’un phénomène plus large qui pèse lourd sur le scrutin de jeudi : depuis un quart de siècle, la presse britannique milite au quotidien contre l’Europe, multiplie les con- tre-vérités et attribue à l’Union tous les maux du pays. Dans ce paysage fantasmagorique où Bruxelles décide de la taille des préservatifs et interdit les bouilloires trop puissantes, la seconde guerre mondiale, l’image de l’Angleterre « seule à résister » et l’antigermanisme occupent une place étonnante. Pour brocarder la vanité de l’accord obtenu en février à Bruxelles par le premier ministre, David Cameron, sur le « statut spécial » de son pays, et induire l’idée d’une traîtrise à la nation, le Sun l’avait déguisé en militaire et présenté devant une carte striée de flèches représentant l’invasion allemande, autrement dit l’UE (dont Boris Johnson a dit plus tard qu’elle empruntait le chemin d’Hitler). 82 % d’articles contre l’UE Nulle raison de s’étonner, dès lors, que les journaux appelant explicitement à voter pour la sortie de l’UE se taillent la part du lion : 82 % des articles publiés pendant la campagne du référendum sont hostiles à l’UE, selon une étude publiée par l’université de Loughborough, qui inclut à la fois des journaux de qualité, comme le Telegraph, et des tabloïds comme le Sun (1,8 million d’exemplaires), le Daily Mail ou le Daily Express, de loin les plus lus. Les quotidiens qui, à l’inverse, défendent le maintien dans l’UE – le Guardian et le Financial Times – ont un grand prestige et une forte influence, mais une Le « Sun » est emblématique des tabloïds britanniques farouchement opposés à l’Union européenne. DANIEL SORABJI/AFP audience réduite, avec respectivement 180 000 et 210 000 exemplaires. Quant à Rupert Murdoch, le milliardaire qui possède à la fois le Sun et le Times (400 000 exemplaires), il joue gagnant au référendum à tous les coups, puisque, marketing oblige, le premier titre soutient la sortie de l’UE, tandis que le second s’est prononcé pour y rester. Le décor a bien changé depuis le référendum de 1975. A l’époque, les journaux britanniques étaient massivement pro-européens, et 67 % des Britanniques avaient voté pour l’adhésion à la Communauté économique européenne. La mutation s’est opérée à la fin des années 1980. Les partis politiques s’étaient alors ralliés à l’Europe, et la presse a commencé à les attaquer sur ce terrain. L’itinéraire de Boris Johnson, fils d’un ancien haut La campagne n’a presque pas abordé les réussites de l’UE ni même l’influence de Londres à Bruxelles fonctionnaire européen, devenu correspondant à Bruxelles du Telegraph de 1989 à 1994, aujourd’hui figure de proue de la campagne anti-UE, apparaît emblématique du lien entre l’europhobie constante de la presse et la popularité actuelle du « Brexit ». A l’époque déjà, les rédacteurs en chef des principaux journaux étaient friands de papiers ridiculisant la bureaucratie Erreurs et « nonchalance » en Belgique dans la traque de Salah Abdeslam Le seul membre survivant des commandos de Paris aurait pu être appréhendé plus tôt bruxelles - correspondant I l en est convaincu, désormais : si les informations sur Salah Abdeslam dont il disposait avaient été correctement exploitées, le seul membre survivant des commandos de Paris aurait été appréhendé plus tôt et les attentats du 22 mars à Bruxelles auraient sans doute pu être déjoués. Hamid A. est un enquêteur détaché de la police fédérale à la zone de police de Malines, la quatrième de Flandre. D’origine marocaine, il vit à Molenbeek et y a de nombreux contacts. Deux semaines après les attentats du 13 novembre 2015 à Paris, l’un d’entre eux lui cite le nom d’Abid Aberkane, un individu radicalisé qui vit chez sa mère, au 79 de la rue des Quatre-Vents, à Molenbeek. Il indique aussi que le jeune homme possède une Citroën identique à celle qu’utiliserait Salah Abdeslam, mentionnée dans un mandat d’arrêt international. Or, Abdeslam est un ami de longue date d’Abid Aberkane. Ce dernier assistera d’ailleurs aux obsèques de son frère Brahim, le kamikaze du boulevard Voltaire, le 17 mars . Salah Abdeslam, à l’époque l’homme le plus recherché d’Europe, sera, lui, bien arrêté rue des Quatre-Vents, sa dernière planque. Mais le 18 mars seulement, quatre Ces informations auraient au moins dû entraîner la mise sous surveillance de la maison de Molenbeek mois après que Hamid A. a mentionné son nom et sa possible localisation… On n’a visiblement pas tenu compte du document qu’il avait mis entre les mains de son supérieur, le commissaire Yves Bogaerts. La procédure habituelle n’a pas été appliquée et les informations n’ont pas été transmises à la Banque nationale générale (BNG), l’ordinateur central auquel les différents corps de la police ont accès. Ces renseignements – qui évoquaient aussi Abdelhamid Abaaoud et sa cousine Hasna Aït Boulahcen, tués le 18 novembre 2015 à Saint-Denis – auraient au moins dû entraîner la mise sous surveillance de la maison de Molenbeek et de ses occupants. Les informations ont fini par être transmises, mais au parquet et à la police fédérale… d’Anvers, et non aux services antiterroristes à Bruxelles. « Incompréhensible, le parquet d’Anvers n’avait rien à voir dans ce dossier », confie un magistrat. Les services du procureur auraient d’ailleurs indiqué au commissaire Bogaerts qu’il devait transmettre le rapport à la BNG, ce que l’intéressé dément. Quant à la police fédérale d’Anvers, elle aurait jugé que les informations étaient « peu crédibles », notamment parce que Hamid A. ne voulait pas dévoiler ses sources – ce qu’il refusait généralement de faire. A l’évidence une bavure Lorsqu’il apprend l’arrestation d’Abdeslam, en mars, Hamid A. informe le Comité de contrôle permanent des services de police, dit Comité P. Celui-ci ouvre une enquête pénale sur ce qui sera sans doute l’une des principales erreurs dans la traque de ceux qui ont participé aux attentats de Paris ou aidé à leur préparation, ainsi peut-être qu’à ceux de Bruxelles, le 22 mars. Mercredi 22 juin, le président du Comité P a été entendu à huis clos par la commission parlementaire qui enquête sur les attentats de Zaventem et du métro Maelbeek. Il n’a pas désigné le commissaire Bogaerts comme le responsable unique de ce qui semble à l’évidence être une bavure, préférant évoquer un problème qui concerne toute la chaîne policière et les procédures en vigueur. « Il n’est pas certain que, même si l’information avait été correctement diffusée et si le nom d’Abdeslam avait été mentionné, on s’en serait aperçu », confie, dépité, un membre de la commission, sous le couvert de l’anonymat. Le Comité P juge toutefois qu’il est inconcevable que l’information concernant Abdeslam ait dormi durant quatre mois dans un tiroir. Les méthodes de M. Bogaerts sont sans doute révélatrices de ce qu’un autre député qualifie de « nonchalance » dans les enquêtes pour terrorisme, singulièrement lorsqu’elles concernent Molenbeek. De nombreux autres faits, mis en évidence dans un rapport intermédiaire du Comité P dévoilé en avril, le démontrent : il aura ainsi fallu treize mois pour analyser le contenu de téléphones et de clés USB saisis, en février 2015, chez les frères Abdeslam. Visé par une plainte pour harcèlement déposée par Hamid A., le commissaire se voit aussi reprocher son attitude à l’égard de ses subordonnés d’origine marocaine ou turque, dont plusieurs ont préféré quitter Malines. Aujourd’hui, Hamid A. est lui en incapacité de travail, désarmé et exposé, affirme-t-il, à des menaces de mort. Il réclame une protection et son audition par les députés. p jean-pierre stroobants européenne et montrant l’hostilité du continent à l’égard des Britanniques. Boris Johnson s’est alors fait un nom avec des articles colorés et sarcastiques qui donnèrent le ton pendant longtemps, même s’ils étaient parsemés d’erreurs, comme ses discours actuels. « Cette manière de raconter reflétait et flattait le nationalisme de base de nombreux lecteurs [britanniques], leur sentiment de supériorité et leur mépris à l’égard des étrangers », a résumé, le 21 juin dans le New York Times, Martin Fletcher, qui fut correspondant du Times de Londres à Bruxelles après le départ de M. Johnson. Si la campagne référendaire qui s’est achevée mercredi n’a pratiquement pas abordé les réussites de l’UE, si elle a même largement passé sous silence l’influence de Londres à Bruxelles, notamment dans la construction du marché unique, et les alliances nouées par les Britanniques sur le continent, c’est sans doute parce que les journaux, depuis des décennies, ignorent les réalisations de l’UE, ou les caricaturent au profit de clichés chauvins. La domination des journaux eurosceptiques au Royaume-Uni est « unique en Europe », observe Oliver Daddow, maître de conférences en sciences politiques à l’université de Nottingham, et « elle a lourdement pesé sur la façon dont les responsables politiques britanniques considèrent ce qui est réalisable en matière de politique européenne ». En trois mois de campagne pourtant intensive, David Cameron a eu bien du mal à contrarier l’image repoussante de l’Europe diffusée jour après jour dans des millions de foyers, et qu’il a lui-même contribué longtemps à véhiculer. p philippe bernard 1 000 kilomètres C’est l’altitude atteinte par un missile balistique de moyenne portée nord-coréen, mercredi 22 juin. Le tir montre les progrès enregistrés par le programme de Pyongyang dans ce domaine. Appelé Musudan, ce type de missile a théoriquement une portée de 3 000 kilomètres même si celui tiré mercredi n’en a parcouru que 400. Le dirigeant nord-coréen, Kim Jong-un, n’en a pas moins déclaré que son pays avait désormais « la capacité assurée d’attaquer » des intérêts américains dans le Pacifique. La Corée du Sud et les Etats-Unis ont condamné les tirs, les qualifiant de violation inacceptable des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU. I RAN La France exprime son soutien à Téhéran La France s’est engagée à aider l’Iran à obtenir, dans le cadre de l’accord sur le nucléaire, la levée des sanctions visant encore ce pays. « C’est le gage de la confiance », a déclaré le chef de la diplomatie française, Jean-Marc Ayrault, le 22 juin en recevant son homologue iranien, Mohammad Javad Zarif. Ce dernier a souligné que « l’Iran s’est montré totalement fidèle à ses engagements » et demande aux Occidentaux de faire de même. Malgré l’allégement des sanctions occidentales, les EtatsUnis ont maintenu d’autres sanctions visant le programme de missiles balistiques de Téhéran ainsi que son soutien à des mouvements armés au Moyen-Orient. – (AFP.) ÉTATS - U N I S Sit-in démocrate au Congrès Des élus démocrates ont organisé un sit-in à la Chambre des représentants le 22 juin en exigeant aux cris de « pas de loi, pas de congés » que la session parlementaire se poursuive jusqu’à ce que les républicains acceptent de procéder à un vote sur le contrôle des armes à feu. C’est la première fois depuis août 2008, quand les républicains, alors minoritaires, s’étaient assis par terre pour exiger un vote autorisant le forage en eaux profondes, que la Chambre des représentants est paralysée par un mouvement de protestation. – (AFP.) N I GER I A Sept personnes enlevées dans le Sud-Est Sept personnes – trois Australiens, deux Nigérians, un Sud-Africain et un NéoZélandais – ont été enlevées, mercredi 22 juin, dans le sud-est du pays. Les enlèvements pour toucher des rançons sont courants dans cette région pétrolière. – (AFP.) 4 | international 0123 VENDREDI 24 JUIN 2016 Cessez-le-feu définitif entre Bogota et les FARC L’accord devait être signé par le président colombien Santos et le chef de la guérilla P our la première fois, le gouvernement colombien et la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC, extrême gauche) se sont mis d’accord sur un cessezle-feu bilatéral et définitif, mercredi 22 juin. Ce n’est pas encore l’accord de paix négocié depuis novembre 2012, mais c’est la lumière au bout du tunnel. Les tractations vont continuer pour régler des questions comme l’établissement d’un organe chargé d’administrer la justice transitionnelle et la manière de ratifier l’accord, par voie de plébiscite ou au moyen d’une assemblée constituante. Le président colombien, Juan Manuel Santos, se rend à La Havane, jeudi, pour signer le cessez-le-feu, en présence de plusieurs chefs d’Etat d’Amérique latine et du secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon. « Une Colombie en paix est un rêve qui commence à être réalité », a écrit M. Santos sur son compte Twitter. Son hashtag #OuiAlaPaix montre que la campagne du plébiscite a commencé, alors que les Colombiens restent partagés sur un accord avec les FARC. Un des chefs de la guérilla, Carlos Antonio Lozada, avait lancé le hashtag #DernierJourdelaGuerre pour annoncer le cessez-le-feu, provoquant des échanges contradictoires sur les réseaux sociaux. « Pas au bout » Il y a quelques jours, le président colombien avait déclaré qu’il espérait signer l’accord de paix avant le 20 juillet, jour de l’indépendance de la Colombie. Cette accélération de la dernière étape des tractations n’avait pas été appréciée par le chef des FARC, Rodrigo Londoño, alias « Timochenko ». Ce dernier avait assuré que les deux parties avaient hâte de conclure le plus tôt possible. Cependant, l’expérience avait montré que fixer des dates avait plus d’inconvénients que d’avantages. « Nous avons avancé, mais nous n’en sommes pas au bout », avait écrit « Timochenko » sur Twitter. Selon le communiqué conjoint des négociateurs, l’accord de ces- Le voyage du pape en Arménie, entre mémoire et désir de paix Le génocide pèse sur les relations avec Ankara, que François voudrait apaiser sez-le-feu fixe les modalités d’abandon des armes, donne des garanties de sécurité aux guérilleros démobilisés et prévoit de réprimer les bandes criminelles qui ont pris la relève d’une partie des milices paramilitaires d’extrême droite, après leur démobilisation (2003-2006). La remise des armes devra se faire sous la supervision de l’ONU, dans des zones de concentration prévues à cet effet, en fonction de l’implantation des FARC sur le territoire. Cela concerne environ 7 000 guérilleros. La date de l’entrée en vigueur du cessez-le-feu n’a pas été précisée, même si les hostilités se sont considérablement réduites sur le terrain depuis 2015. Le début du cessez-lefeu pourrait coïncider avec la signature finale des accords de paix. Daniel Pécaut, spécialiste de la Colombie, estime que la désignation des magistrats de la justice transitionnelle reste un point délicat. « La Cour constitutionnelle répugne à faire des concessions sur ses prérogatives, explique-t-il. Par quelle procédure désigner les juges appelés à administrer la justice sur les affaires concernant le conflit armé est une question compliquée. » Sans avoir renoncé à une Assemblée constituante, les FARC semblent s’être ralliées à l’idée d’un plébiscite en guise de ratification. La Colombie ne connaîtra pas la paix tant que l’autre guérilla, l’Armée de libération nationale (ELN, castriste), n’acceptera pas de s’engager à son tour dans des négociations. L’ELN traîne des pieds et multiplie des actions armées pour rappeler qu’elle garde une capacité de nuisance. Ancien guérillero de l’ELN, Leon Valencia dirige à Bogota la fondation Paix et réconciliation. A son avis, « mettre fin à la guerre, au conflit armé interne, signifie tourner la page d’une époque de guérillas et de dictatures militaires ». La Colombie est le dernier pays d’Amérique latine à avoir des guérillas. Pour les Colombiens, la paix « signifierait de passer du XXe siècle au XXIe siècle », conclut M. Valencia. p paulo a. paranagua Q uinze ans après JeanPaul II, le pape François se rendra en Arménie du 24 au 26 juin pour un voyage dominé par l’urgence de la paix à l’heure des périls pour les chrétiens d’Orient. Autant la visite du pontife polonais, quelques jours après les attentats du 11 septembre 2001, avait surtout mobilisé la toute petite minorité catholique (5 %) du pays, autant celle de Jorge Bergoglio pourrait toucher l’ensemble de la population. Avec 3 millions de personnes dans le pays, 8 millions dans la diaspora, dont 300 000 au Proche-Orient, les Arméniens sont fidèles dans leur grande majorité (90 %) à l’Eglise apostolique, celle des origines dans ce qui fut le premier Etat converti au christianisme (301) et qui est séparée de Rome depuis le concile de Chalcédoine au Ve siècle. Bien avant le grand schisme entre Orient et Occident au XIe siècle François arrive auréolé d’avoir prononcé le mot « génocide » le 12 avril 2015, dans la basilique Saint-Pierre de Rome, à l’occasion du centenaire du génocide arménien par les troupes ottomanes sous le gouvernement JeunesTurcs. Une première dans la bouche d’un pape. Emploiera-t-il de nouveau ce mot sur leur terre ? Le porte-parole du Vatican, le père Lombardi, l’a évité, mardi 21 juin, en présentant le programme. Sans vouloir « anticiper sur ce que dira le pape », il a fait valoir que le Saint-Siège « refuse d’être pris au piège de discussions politico-sociologiques ». François se rendra, comme l’avait fait Jean Paul II, au mémo- Le premier livre/CD des “Nouvelles bilingues du Le Fantôme de Canterville d’Oscar Wilde ” N° 1338 du 23 au 29 juin 2016 courrierinternational.com France : 3,90 € Afrique CFA 3 200FCFA Algérie 480DA Allemagne 4,50€ Andorre 4,50€ Autriche 4,50€ Canada 6,95 $CAN DOM 4,90 € Espagne 4,50€ E-U 7,50$US G-B 3,80£ Grèce 4,50€ Irlande 4,50€ Italie 4,50€ Japon 800¥ Maroc 38DH Pays-Bas 4,50€ Portugal cont. 4,50€ Suisse 6,20CHF TOM 790CFP Tunisie 6,50DTU sciences — une pilule contre la peur enquête — enfants espions en somalie religion — l’orthodoxie au bord du schisme CommentDaeCh raDiCalise nossoCiétés M 03183 - 1338 - F: 3,90 E 3’:HIKNLI=XUX^U\:?l@d@n@i@a;" Le terrorisme favorise un climat de peur et de haine propice à tous les extrémismes. Analyses de la presse étrangère CHEZVOTREMARCHANDDEJOURNAUX rappelé son ambassadeur au Vatican (il y est retourné depuis) et avait convoqué le représentant du Saint-Siège à Ankara. Le chef de l’Eglise catholique a d’ailleurs déjà consacré à la Turquie l’un de ses premiers déplacements, en novembre 2014. Dans l’avion du retour, il avait qualifié de « main tendue » les « condoléances » aux familles de victimes arméniennes formulées pour la première fois par Recep Tayyip Erdogan, alors premier ministre, le 23 avril 2014, à l’occasion de la commémoration des massacres de 1915. « Une chose qui me tient beaucoup à cœur est la frontière turcoarménienne, avait ajouté le pape au retour d’Istanbul. Si on pouvait ouvrir cette frontière, ce serait une belle chose ! Je sais qu’il y a des problèmes géopolitiques dans la région. (…) Je sais aussi qu’il y a une bonne volonté des deux parties et nous devons aider pour que cela se fasse. » Après son entrée aux EtatsUnis par Cuba, après la messe célébrée au Mexique sur la frontière avec les Etats-Unis, François aurait voulu ouvrir une brèche dans cette hermétique frontière. « Mais cela n’a pas pu se faire, cela n’a pas été accepté par les deux Etats », relève le père Joseph, curé (de l’Eglise arménienne catholique) de l’éparchie de Sainte-Croix de Paris. Dimanche soir, depuis le monastère de Khor Virap, situé au pied du mont Ararat, sur lequel se serait posée l’Arche de Noé, le pape lâchera deux colombes. Autrefois arménien, le mont Ararat se trouve aujourd’hui en Turquie. Initialement, le pape François aurait voulu, au cours du même voyage, questionner une autre frontière : celle qui sépare l’Arménie de l’Azerbaïdjian, deux Etats en conflit à propos du Haut-Karabakh. Il a dû se résoudre à scinder en deux une visite qu’il voulait initialement unique. Il se rendra en Géorgie et en Azerbaïdjan, deux pays voisins, fin septembre. Ce déplacement aura aussi une forte dimension œcuménique. Les Eglises apostoliques arménienne et catholique sont aujourd’hui très proches. Le catholicos était à la messe d’intronisation de François. Dès son arrivée, le pape François se rendra à la cathédrale apostolique d’Etchmiadzin, près d’Erevan, où il sera accueilli par Karékine II. Samedi soir, il présidera une prière pour la paix, sur la place centrale d’Erevan. Le lendemain, il participera à la « divine liturgie » dans la cathédrale arméno-apostolique. En revanche, la déclaration commune avec le catholicos, initialement prévue, n’est plus au programme. p cécile chambraud Le ministre de l’intérieur a rencontré mercredi des représentants syndicaux des professeurs, après des affrontements qui ont fait au moins huit morts dans le sud du pays J AVEC CE NUMÉRO « Bonne volonté » Le mot avait été repris dans la déclaration commune à la fin du voyage de 2001, qui évoquait « l’extermination d’un million et demi de chrétiens arméniens, au cours de ce qui a traditionnellement été appelé le premier génocide du XXe siècle ». C’est cette même formulation qu’avait reprise François en avril 2015. Mais sur place, le pape Wojtyla avait préféré parler de « Medz Yeghern » (« la grande catastrophe »). L’actuel chef de l’Eglise catholique pourrait avoir à cœur de ne pas heurter le gouvernement turc davantage qu’il ne l’a fait avec son discours du 12 avril 2015. Le premier ministre turc avait alors qualifié ses propos de « partiaux » et « inappropriés ». La Turquie avait En 2014, le pape avait qualifié de « main tendue » les « condoléances » du premier ministre turc aux familles de victimes Les enseignants mexicains dénoncent une « répression violente » de la police mexico - correspondance EN CADEAU rial de Tsitsernakaberd des victimes du génocide, samedi. Il y rencontrera notamment une dizaine de descendants d’Arméniens accueillis à Castel Gandolfo, un des palais pontificaux, à l’époque des massacres, par le pape Benoît XV. Jorge Bergoglio n’est pas le premier pape à avoir reconnu le caractère génocidaire des déportations et des massacres qui ont fait 1,5 million de morts, selon les Arméniens, en 1915-1916. En son temps, Jean Paul II avait employé ce terme par écrit. Un communiqué conjoint avec le catholicos (le chef de l’Eglise apostolique arménienne) Karékine II lors de sa venue à Rome, le 9 novembre 2000, affirmait : « Le génocide arménien, qui a ouvert le siècle, fut un prologue aux horreurs qui devaient suivre. » Les médias turcs l’avaient alors taxé de « sénilité ». usqu’où ira la confrontation entre le gouvernement et les professeurs au Mexique ? Trois jours après des affrontements avec la police, qui ont fait au moins huit morts et une centaine de blessés dans le sud du pays, le ministre de l’intérieur, Miguel Angel Osorio Chong, a rencontré, mercredi 22 juin, les représentants de la Coordination des travailleurs de l’éducation (CNTE) alors que la version officielle sur le drame suscite la suspicion. Malgré une réunion de plusieurs heures, aucun accord n’a été trouvé. Les négociations devraient se poursuivre lundi 27 juin, a annoncé M. Chong, en soulignant sa « volonté de trouver une solution » à un conflit qui s’envenime. Dimanche, la police a réprimé une manifestation qui bloquait une autoroute près de Nochixtlan, petite ville située à 83 km au nordouest de Oaxaca, capitale de l’Etat du même nom (sud-ouest). Bilan : 6 morts, 53 civils et 55 policiers blessés. Le même jour dans la région, deux autres personnes, dont un journaliste, ont été tuées près d’un autre barrage routier. La Commission des droits de l’homme supervise l’enquête, qui doit faire la lumière sur les explications changeantes des autorités. Après le drame de Nochixtlan, la police a d’abord dit que ses agents étaient désarmés. Mais des clichés pris par des journalistes montrent Les syndicats de professeurs réclament l’abrogation d’une réforme de l’éducation publique des policiers visant la foule avec des armes lourdes. Depuis, le gouvernement assure que les agents ont répliqué à une « embuscade » de « civils armés ». La CNTE conteste cette version et avance un bilan provisoire de dix morts. Directeurs d’école tondus La Coordination dénonce une « répression violente » contre un syndicat qui réclame l’abrogation d’une réforme de l’éducation publique instaurant une évaluation inédite des professeurs. Le conflit entre enseignants et gouvernement remonte à 2013, quand une réforme de l’éducation, portée par le président Enrique Peña Nieto, a mis fin à une série de privilèges pour les syndicats de professeurs, telle la vente de postes. Affaibli par l’arrestation en 2013 de sa dirigeante historique, Elba Esther Gordillo, pour corruption, le puissant Syndicat national des travailleurs de l’éducation (SNTE) a passé le relais de la contestation à la CNTE. Cette fraction dissi- dente ne compte que 200 000 membres concentrés dans le sud du pays. Le 20 mai, sa mobilisation s’est intensifiée, après que le ministre de l’éducation, Aurelio Nuño, a annoncé le licenciement de 3 119 enseignants pour abandon de poste alors qu’ils faisaient grève. La tension est montée d’un cran avec l’arrestation, mi-juin, de Ruben Nuñez, dirigeant de la CNTE, pour détournement de fonds. Le mouvement connaît des dérives : fin mai, six directeurs d’école se sont fait tondre la tête par des enseignants qui les accusaient d’avoir dénoncé des grévistes. « Qu’on soit d’accord ou pas avec la CNTE, l’Etat ne peut pas réprimer les citoyens dans leur droit à manifester », martèle dans les médias l’écrivain Antonio Ortuño, signataire d’une lettre collective d’intel- lectuels réclamant au gouvernement d’« ouvrir un dialogue avec le CNTE ». La représentation du Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies a condamné le drame de Nochixtlan. Mercredi, 23 professeurs détenus lors des affrontements ont été libérés quelques heures avant que les représentants de la CNTE annoncent leurs revendications, dont la réintégration des professeurs licenciés, le paiement des salaires des grévistes ou la libération des dirigeants syndicaux emprisonnés. M. Chong s’est dit « ouvert au dialogue » tout en rappelant que le contenu de la réforme n’est pas négociable. En face, la CNTE annonce de nouvelles manifestations vendredi et dimanche dans plusieurs villes, dont Mexico. p frédéric saliba % & . / ! % , ) * .*13,%+ )0 '0% /("($1.% +(.+ #,- 1H50 I - 11H /1 D E e R D N E u V d e I AU redi d’un journalist Mond D N U L E ue vend ELORM FLORIANADvec la participation chaq partenariat avec En international | 5 0123 VENDREDI 24 JUIN 2016 A Syrte, l’amertume d’une guerre sans soutien Les combattants libyens se plaignent du manque d’aide occidentale dans leur lutte contre l’Etat islamique REPORTAGE TUNISIE syrte (libye) - envoyé spécial O « On pourrait les finir » Des panaches de sable s’élèvent du point d’impact, vite balayés par la bourrasque. « Quand ils sont blessés, on les entend sur leur fréquence radio, rapporte Mahmoud Al-Ashlem. Ils appellent leurs secours. Et ils insultent notre chef en le traitant d’ennemi d’Allah. » « Ils sont complètement encerclés, poursuit le jeune Misrati, étudiant en économie dans le civil. Si on avait un peu plus de soutien, on pourrait les finir en une semaine. » Il faudra assurément plus d’une semaine pour « libérer » Syrte de Msallata Beni Oualid Misrata Derna Benghazi Syrte LIBYE ALGÉRIE n le devine assez nettement, masse monumentale blanche à peine brouillée par la distance. Le centre de conférences Ouagadougou se découpe au fond de la lande sablonneuse mouchetée de maisons, vestige incongru des ambitions africaines de l’ancien dictateur libyen Mouammar Kadhafi. Aujourd’hui, le complexe est une citadelle assiégée. Le quartier général de l’organisation Etat islamique (EI) au cœur de Syrte, protégé par des champs de mines et des snipers, résiste. Mais pour combien de temps encore ? « Le soir, c’est allumé, on aperçoit des lumières à l’intérieur », glisse Mahmoud Al-Ashlem, un soldat d’une brigade de Misrata – une ville située à 225 kilomètres à l’ouest – affiliée aux forces anti-EI qui tiennent le siège de Syrte, après avoir forcé, le 9 juin, les défenses en périphérie. Quatre kilomètres doivent séparer la forteresse de Ouagadougou de cette lisière méridionale de la ville, où Mahmoud Al-Ashlem et ses camarades de combat ont établi un poste avancé. Une barricade de sable mêlé à des branchages, quatre pick-up hérissés de mitrailleuses, des matelas jetés sous une bâche cinglée par le vent du désert : la position de Mahmoud Al-Ashlem est l’un des maillons d’un « croissant » qui prend en étau le centre-ville par l’ouest, le sud et l’est. Au nord, il n’y a que la mer. A intervalles réguliers, des détonations lourdes pulvérisent l’air plein de chaleur. Ce sont des chars, tapis à proximité dans le creux de poches d’arbres feuillus, qui visent des immeubles au loin où des snipers de l’EI ont été localisés. Mer Méditerranée Tripoli Khoms NIGER 300 km Des soldats libyens à Syrte, le 21 juin. GABRIELE MICALIZZI POUR « LE MONDE » l’organisation djihadiste, qui en a fait sa place forte en Afrique du Nord depuis un an. Au faîte de sa puissance, l’EI a contrôlé autour de la ville une bande littorale de 200 kilomètres de long et 40 de profondeur, menaçant à l’ouest la métropole portuaire de Misrata, et à l’est le « croissant pétrolier » par où transitent 40 % du brut libyen exporté. Mais la donne stratégique a radicalement changé depuis l’émergence, fin mars, du gouvernement dit d’« union nationale » de Faïez Sarraj, soutenu par l’ONU et les capitales occidentales. Censé se substituer aux deux pouvoirs rivaux – l’un basé à Tripoli (à l’ouest), l’autre à Tobrouk (à l’est) – dont l’affrontement avait plongé la Libye dans la guerre civile à l’été 2014, ce gouvernement alternatif est encore mal établi. Il a toutefois pris l’initiative de déclencher, le 12 mai, une offensive contre l’EI à Syrte. A défaut de pouvoir s’adosser à une armée nationale, M. Sarraj a réussi à con- Dans les lavabos, des poils et des cheveux. Ce sont des djihadistes en fuite qui changent d’allure pour se mêler à la population vaincre nombre de brigades et milices de l’Ouest libyen de participer à la campagne. Les effectifs mobilisés seraient « d’au moins 4 000 hommes », précise Mohamed Al-Gasri, le porte-parole des opérations. « Cette mobilisation ne vaut pas allégeance au gouvernement de Sarraj, nuance un intellectuel de Misrata. Il s’agit simplement d’une réaction de défense de villes de l’Ouest qui se sentent menacées à terme par Daech [acronyme arabe de l’EI]. » Plus de six semaines après le début de l’offensive, l’EI n’a cessé de perdre du terrain. Il est désormais acculé sur un carré urbain de 15 à 20 kilomètres carrés, englobant notamment le centre Ouagadougou, l’hôpital Avicenne et des districts résidentiels vidés d’une population qui comptait, mi-2015, jusqu’à 80 000 habitants. Les forces progouvernementales ont reconquis la centrale électrique à l’entrée ouest, l’aéroport international au sud-est, et contrôlent partiellement le port au nord-est. Selon Ibrahim Bitelmal, le président du conseil militaire de Misrata, « Daech a perdu plus de 700 hommes sur son effectif initial de 2 500 ». Moins de 600 combattants continueraient de résister dans le centre-ville. Le reste serait parvenu à s’échapper, notamment vers le sud et l’est. Le porte-parole Mohamed Al-Gasri aime à montrer des photos de cheveux et de poils de barbe trouvés dans le lavabo d’une maison évacuée : « Il s’agit de Libyens de Daech qui reprennent une apparence normale afin de pouvoir se mêler à la population. » Il ajoute que certains d’entre eux ont pu rejoindre la ville de Beni Oualid, au sud-ouest, en « usant de connexions tribales ». « Promesses non tenues » Un homme politique de Misrata bien informé évoque des mouvements d’hommes de l’EI au nord de Beni Oualid, vers les localités montagneuses de Msallata et Nagasa, qui surplombent la ville côtière de Khoms. Selon cette même source, les chefs de l’EI à Syrte, comme Hassan Karami et Ali Safrani, auraient quitté la ville avant même le début de l’offensive. Dès lors, il resterait surtout à Syrte des combattants étrangers de l’EI, Tunisiens, Soudanais et Africains subsahariens. « Ils ne se rendront pas, ils se battront jusqu’au bout », anticipe M. Al-Gasri. TCHAD A Misrata, on ne doute pas un instant que le dernier carré de l’EI finira par tomber dans les semaines à venir. Mais la victoire aura « un prix élevé », regrette le colonel Reda Issa, chef des gardes-côtes de Misrata, dont la flottille de trois remorqueurs et deux Zodiac contribue à sécuriser les eaux au large de Syrte. Ce « prix élevé », c’est un bilan déjà lourd : 220 morts et 800 blessés du côté des combattants anti-EI. La journée de mardi 21 juin a été particulièrement sanglante, avec une cinquantaine de morts sur les fronts ouest et sud. L’amertume est grande à Misrata face à un soutien extérieur jugé dérisoire au vu des enjeux. Le dépit vise Tripoli, où le gouvernement Sarraj peine à s’imposer. « Nous n’avons aucun soutien de la marine nationale de Tripoli », grince Reda Issa. Mais le ressentiment naît surtout de l’attitude des gouvernements occidentaux, dans cette guerre anti-EI qu’ils ont pourtant appelée de leurs vœux. Certes, il y a l’action clandestine des forces spéciales américaines et britanniques – entre 15 et 20 soldats, selon M. Al-Gasri – qui aident à cibler des objectifs. Cet appoint est toutefois jugé insuffisant. « Il y a eu beaucoup de promesses, qui n’ont pas été tenues », déplore Ibrahim Bitelmal, le président du conseil militaire de Misrata. La complainte la plus amère concerne les besoins médicaux. « Nous nous sentons abandonnés par la communauté internationale, la Libye combat le terrorisme seule », s’offusque Jibril Raied, un industriel de Misrata qui contribue à l’effort de guerre. A Syrte, le combattant Mahmoud Al-Ashlem, assis sur son pick-up, s’étonne : « Ça devrait être la guerre du monde entier, et pas seulement celle de la Libye. » p frédéric bobin Plus de 11 000 arrestations au Bangladesh face à la terreur islamiste Le Bangladesh Nationalist Party, principal parti d’opposition, dénonce les interpellations arbitraires de ses sympathisants et de ses militants new delhi - correspondance L e gouvernement du Bangladesh répond à la terreur par des milliers d’arrestations arbitraires. Après une vague d’assassinats revendiqués par l’organisation Etat islamique (EI) et Al-Qaida qui ont fait près de 50 victimes en dix-huit mois, plus de 11 000 suspects ont été arrêtés en seulement une semaine – c’està-dire en un temps record. La police a désormais cessé de publier le nombre des arrestations mais la presse locale estime que celui-ci aurait atteint les 15 000. Or seulement 1,5 % des personnes interpellées sont soupçonnées d’être des islamistes radicaux. La plupart seraient des membres du Jamaat-ul-Mujahideen Bangladesh (JMB), un groupe islamiste radical qui a fait allégeance en 2015 à l’EI, et qui est interdit au Bangladesh depuis 2005 après s’être livré à une série d’attentats à travers le pays. Les autres sont soupçonnés de délits de droit commun. Cette vague d’arrestations ressemble surtout à une opération de communication visant à rassurer la communauté internationale et à incarcérer au passage des opposants politiques. Le Bangladesh Nationalist Party (BNP), principal parti d’opposition, a recensé près de 2 700 incarcérations parmi ses sympathisants et militants. « Sous couvert de réprimer les militants islamistes, beaucoup de citoyens ordinaires et innocents sont appréhendés », a déploré Mirza Fakhrul Islam Alamgir, secrétaire général du BNP. La première ministre, Sheikh Hasina, accuse ce parti et son allié islamiste, le Jamaat-e-Islami, de complicité dans la série d’assassinats pour déstabiliser le pays. Le gouvernement maintient que ni l’EI ni Al-Qaida ne sont présents sur le sol bangladais. Les minorités religieuses, qui craignaient jusqu’à présent d’être les victimes d’assassinats, ont désormais peur des arrestations arbitraires, lesquelles font parfois les bonnes affaires de la police. La Fédération des bouddhistes du Bangladesh a indiqué mercredi 22 juin que deux de ses membres avaient dû payer chacun 20 000 takas (230 euros) pour leur libération. « Arrêter chaque assassin » D’autres cas similaires ont été recensés, mettant au jour ce que l’on appelle au Bangladesh un « commerce des arrestations ». « L’arrestation de milliers de gens innocents ne va pas aider à combattre le terrorisme. Bien au contraire, estime Ali Riaz, professeur de sciences politiques à l’université d’Etat de l’Illinois (Etats-Unis), les groupes islamistes radicaux prolifèrent dans un contexte d’intolérance, où l’opposition est réprimée et les journalistes sont menacés. » Cette vague d’arrestations a été déclenchée par l’assassinat, dimanche 5 juin, de l’épouse d’un policier devant son enfant de 6 ans, en pleine rue. Cinq jours plus tard, Mme Hasina a promis d’« arrêter chaque assassin ». Et d’ajouter : « Nous les trouverons parce que le Bangladesh est un petit pays. » Un petit pays qui abrite tout de même une population de 168 millions d’habitants. Dix jours plus tard, un instituteur hindou a été victime d’une tentative d’assassinat, mercredi 15 juin, par trois hommes armés de machettes, faisant planer des doutes sur l’efficacité des méthodes employées par la police bangladaise. « Après une réaction lente et complaisante à ces attaques terrifiantes, les forces de sécurité s’en remettent à leurs vieilles tactiques et arrêtent les “suspects habituels” plutôt que de travailler dur et de mener de véritables enquêtes », déplore Brad Adams, le directeur pour l’Asie de l’ONG Human Rights Watch. Ces derniers mois, le rythme des assassinats s’est accéléré. Ce ne sont plus seulement les blogueurs partisans du sécularisme vivant à Dacca, la capitale, qui sont visés, mais des anonymes de tout le pays : un moine bouddhiste, un travailleur humanitaire italien, des militants de la cause homosexuelle. Sur fond de rivalités politiques, la radicalisation du Bangladesh pourrait mettre à mal la stabilité du pays. Les minorités apparte- nant à d’autres confessions que l’islam ne représentent déjà plus que 9 % de la population, contre 20 % en 1971. La mort lente d’une culture du syncrétisme religieux qui a longtemps fait la fierté du Bangladesh. p julien bouissou 6 | planète 0123 VENDREDI 24 JUIN 2016 RÉFÉRENDUM DU 26 JUIN Notre-Dame-des-Landes : dernière cartouche Le gouvernement demande aux électeurs de Loire-Atlantique de débloquer un dossier vieux de cinquante ans Q ue diable allaient-ils faire dans cet aéroport ? Et que diable vont-ils faire après le référendum ? Car, à l’issue de la consultation locale qui doit permettre, dimanche 26 juin, au petit million d’électeurs de Loire-Atlantique de répondre à la question « êtes-vous favorable au projet de transfert de l’aéroport actuel de Nantes-Atlantique sur la commune de Notre-Dame-desLandes ? », le problème va rester quasi entier. « Si le non l’emporte, le projet sera abandonné. Si le oui l’emporte dimanche, le projet sera engagé. Et je veux également rappeler que, quel que soit le résultat, les personnes qui occupent illégalement des propriétés devront partir », a déclaré Manuel Valls lors de la séance des questions au gouvernement à l’Assemblée nationale, mercredi 22 juin. Depuis les années 1960, l’Etat a décidé de construire un aéroport, à quinze kilomètres au nord de Nantes, censé contribuer au rayonnement du Grand Ouest (Pays de la Loire et Bretagne). Depuis, entre batailles juridiques, politiques et affrontements sur le terrain, le dossier est totalement bloqué. Notre-Dame-des-Landes est devenu en France l’emblème de la lutte contre les « grands projets inutiles ». « Référendum local » Pour sortir de l’impasse, le président de la République a annoncé, le 11 février, l’organisation d’un « référendum local ». L’idée était de légitimer, par un vote, un projet qui bénéficie pourtant de toutes les autorisations, depuis la déclaration d’utilité publique de 2008. Et qui a passé, presque, tous les obstacles judiciaires. Il reste encore quelques contentieux à régler, notamment au niveau européen. Mais l’opposition est virulente sur le terrain, en particulier dans la zone d’aménagement différé, la ZAD, devenue « zone à défendre », occupée par quelques centaines de militants, agriculteurs et habitants historiques qui y vivent depuis de nombreuses années. Légitimer par un oui au transfert de l’actuel aéroport le démarrage du chantier, se retourner vers les électeurs locaux, était une stratégie soutenue par de nombreux politiques, de la ministre de l’environnement, Ségolène Royal, plutôt hostile pourtant au projet actuel d’aéroport, jusqu’à certains écologistes, comme Emmanuelle Cosse qui voyait dans cette idée « une volonté de remettre ce dossier dans le débat public ». Les plus sceptiques étaient alors les supporteurs locaux du projet, avec, en tête, le président de région des Pays de la Loire, Bruno Retailleau (Les Républicains), mais aussi les socialistes locaux qui ont toujours porté ce dossier. Pour eux, le projet est légitime et il n’est pas nécessaire de le soumettre au vote. « Comment fait-on quand un projet a fait l’objet de toutes les validations et que les manifestations continuent ?, s’interroge Philippe Grosvalet, le président (PS) du conseil départemental de Loire-Atlantique. Cela risque de ne pas régler le problème. Si le oui l’emporte, les opposants continueront de s’opposer… » De fait, sur place, les zadistes ont déjà clairement annoncé leur volonté de rester. Et l’affrontement annoncé pour les déloger du bocage nantais aura lieu, quel que soit le vote, a réaffirmé Manuel Valls, lui qui, depuis plusieurs mois, annonce que le chantier démarrera à l’automne 2016. Tout le calcul du gouvernement est alors de réduire la base de soutien dont les opposants disposent. Contre un projet d’aéroport jugé inutile, illégitime, et même « surdimensionné », par les experts missionnés en janvier 2016 par la ministre de l’environnement, la solidarité a toujours été vive avec les occupants. Des manifestations de soutien ont déjà réuni, ces dernières années, plusieurs dizaines de milliers de personnes venues de la France entière. A la différence de Sivens (Tarn), où les agriculteurs locaux étaient violemment hostiles aux zadistes, les occupants de Notre-Dame-des-Landes qui, pour certains, ont développé des activités agricoles, bénéficient du soutien actif du monde rural. Le calcul du gouvernement est simple : « Si le oui l’emporte, cela Conférence à « La Vache rit », à Notre-Dames-des-Landes, le 22 juin. FRANCK TOMPS POUR « LE MONDE » mettra les organisations démocratiques, politiques comme les écologistes, professionnelles comme la Confédération paysanne, devant leurs responsabilités. Laisserontelles les travaux démarrer dans la paix sociale ? », demande Philippe Grosvalet. Si le non l’emporte, le calcul est le même. Privés du projet contesté d’aéroport, les zadistes auraient encore moins de légitimité à continuer d’occuper illégalement des terres. Les opérations d’expulsion pourraient alors avoir lieu dans de meilleures conditions, espèret-on au gouvernement. Mais ce scénario est risqué. Même s’il n’est que consultatif, ce référendum local, qui a valeur de repère pour MM. Hollande et Valls, souffre d’un défaut de légitimité. Tant dans le choix de son périmètre électoral (le département) que dans celui de la question posée, il est contesté par les opposants. Daniel Cohn-Bendit, cofondateur d’EELV, pourtant favorable, à l’origine, à ce référendum, a changé d’avis. « C’était une idée pour calmer le jeu, pour qu’il y ait une pacification. Mais, aujourd’hui, avec la manière dont il est préparé, on ne fait qu’augmenter les tensions, c’est une bonne fausse mauvaise bonne idée », déclarait le leader écologiste, le 7 avril, sur Europe 1. La ministre de l’environnement pensait débloquer la situation en L’affrontement annoncé pour déloger les zadistes aura lieu, quel que soit le vote, a réaffirmé Manuel Valls diligentant une nouvelle expertise et en proposant scénario alternatif, un aéroport à une piste, moins important, mais toujours sur le site de Notre-Dame-desLandes. Las, le premier ministre n’en a pas tenu compte. A l’issue du vote de dimanche, toutes les cartouches auront été tirées : une consultation locale, des missions d’expertise en tout genre, et même une commission du dialogue, créée par Jean-Marc Ayrault, en novembre 2012, à la suite de violents affrontements lors d’une tentative avortée d’expulsion de la ZAD. Le gouvernement va devoir prendre ses responsabilités, dans un contexte délicat où les forces de l’ordre sont débordées par les tâches de sécurité. Et cela, à quelques mois, de l’élection présidentielle. Oui ou non ? La balle revient dans le camp du gouvernement, là où elle a toujours été. p rémi barroux Divisée, la gauche se tient prudemment à l’écart des débats Hormis quelques élus écologistes, la plupart des responsables politiques n’ont pas pris part à une campagne à la connotation très locale A peine avaient-ils posé le pied sur le quai de la gare de Nantes, mercredi 22 juin, qu’ils étaient déjà plongés dans l’ambiance. Venus pour soutenir le non au référendum organisé dimanche sur le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, l’élue de Paris Cécile Duflot, l’eurodéputé Yannick Jadot et la dizaine de leurs amis écologistes qui les accompagnaient dans le train ont été fraîchement accueillis, entre sifflets stridents et cris du genre : « Ici, c’est oui, les bobos à Paris ! » Si le sujet se fait encore assez discret sur la scène nationale, la campagne bat son plein en Loire-Atlantique, à trois jours d’un scrutin qui pourrait dénouer une situation profondément enkystée, que les élus locaux attendent avec circonspection. Qu’ils l’espèrent ou le craignent, tous s’accordent sur un point : si le non sort majoritaire des urnes, quelle que soit la participation et quel que soit l’écart, le dossier « NDDL » sera classé. « Le non résout tout et le oui ne résout rien. Le oui, c’est l’enlisement, le non, c’est sa fin » cela ne changera rien à la situation, il y aura toujours des recours », anticipe François de Rugy, député écologiste de LoireAtlantique. Opposé au projet, il insiste sur le fait que « la consultation donnera la légitimité au projet, mais ne changera rien à sa légalité ». YANNICK JADOT eurodéputé EELV « Le non résout tout et le oui ne résout rien. Le oui, c’est l’enlisement, le non, c’est sa fin », résume Yannick Jadot depuis La Vache rit, une ferme située dans la ZAD (« zone à défendre »), lieu historique de la contestation contre l’aéroport. Comme il l’a redit lors de la séance de questions au gouvernement mardi 21 juin, le premier ministre, Manuel Valls, s’est en effet engagé à clairement « abandonner » le projet en cas de victoire du non. Mais si le oui l’emportait, « rien ne sera réglé, « Situation durcie » Pour lui, comme pour le député socialiste Dominique Raimbourg, pourtant favorable à l’aéroport, la pire des issues serait une courte victoire du oui, surtout si la participation n’est pas au rendez-vous, ce qui soulignera alors la faible mobilisation du camp des partisans. A l’inverse, « si le oui est franc, cela désarmera la Confédération paysanne », veut croire M. Raimbourg, qui espère un rapport de force autour de 60/40. Au-delà du fond, « tout cela aura fragilisé toute la capacité de débat et abîmé le processus démocratique », regrette de son côté le séna- teur écologiste Ronan Dantec (Loire-Atlantique). Avec François de Rugy, c’est lui qui avait poussé pour l’organisation d’un référendum, mais dans un périmètre plus large, incluant les cinq départements limitrophes de la LoireAtlantique. En remaniant son gouvernement, le 11 février, François Hollande avait alors retenu l’idée, en même temps que les candidatures de trois écologistes pour devenir ministre, mais il a finalement choisi de restreindre la consultation au seul département de Loire-Atlantique. « On aurait pu imaginer un réel exercice de démocratie environnementale mais on a dénaturé cette bonne idée en faisant un coup tactique pour rallier un certain nombre d’écologistes au gouvernement », regrette aujourd’hui David Cormand, patron d’EELV. « Les termes du débat ne sont pas posés. Sur le terrain, les gens sont perdus, n’ont pas confiance dans les chiffres donnés, qui varient énormément d’une étude à l’autre », appuie Ronan Dantec. Quant à Christophe Priou, seul député Les Républicains de LoireAtlantique, il craint que, quel que soit le résultat, « la consultation ne [résolve] rien », tant la situation s’est durcie et est devenue un « point de fixation ». « Bâton merdeux » Favorable à l’aéroport, il critique une « situation confuse entre François Hollande, qui veut gagner du temps, Manuel Valls, qui est pour, et Ségolène Royal, qui semble contre ». Surtout, rappelle-t-il, toute victoire du oui signifiera la reprise des travaux, et donc l’engagement d’importants moyens policiers pour évacuer et sécuriser la zone, et ce peu de temps après de nombreux débordements lors de manifestations contre la loi travail à Nantes. Dans l’ambiance de tension actuelle, également nourrie par les violences en marge de l’Euro de football, le gouvernement n’a guère envie de s’exposer à de nouveaux affrontements avec les opposants de Notre-Damedes-Landes. « On a décidé de grouper tous les problèmes entre fin juin et début juillet », riait jaune, il y a quelques semaines, Manuel Valls en privé. Mais en public, ni le premier ministre ni le reste du gouvernement ne se montrent très diserts sur le sujet, pour ne pas faire du référendum un sujet d’intérêt national. Et ce, même si l’enjeu politique est de taille au sein de l’exécutif, où tout le monde n’est pas sur la même ligne. « Pourvu que le non gagne, ça nous enlèverait ce bâton merdeux qui nous pourrit la vie depuis trop longtemps », confiait récemment un membre du gouvernement, résumant, d’une certaine manière, l’état d’esprit général de tout le monde sur cette affaire. p hélène bekmezian, raphaëlle besse desmoulières et bastien bonnefous planète | 7 0123 VENDREDI 24 JUIN 2016 L’aéroport de la discorde Biodiversité, trafic, nuisances, emploi : avantages et inconvénients des deux scénarios soumis au scrutin Vers Rennes Nantes-Atlantique Notre-Damedes-Landes Notre-Dame-des-Landes Casson TERRITOIRES ET ENVIRONNEMENT 1 650 hectares dont 463 ha à vocation 40 exploitations touchées P Vers Saint-Nazaire Malville Espaces agricoles Le Templede-Bretagne Sucé-sur-Erdre 5 Zones humides abritant des espèces protégées N16 Foncier libéré, en cas de transfert, pour des activités industrielles ou tertiaires (80 ha) et de l’habitat (570 ha de tissu urbain densifiable) Grandchampsdes-Fontaines Fay-de-Bretagne environnementale N137 Zone Natura 2000 Vigneux-deBretagne NUISANCES SONORES Personnes concernées : 42 000 en 20041 80 000 en 2050 dont 25 000 en exposition très forte à modérée Personnes concernées : 900 en 2017 2 700 en 2050 dont 600 en exposition très forte à modérée Bruit fort à modéré en 2004 Bruit fort à modéré en 2050 en 2030 Notre-Dame-des-Landes • Démarrage du chantier annoncé en 2016 par le gouvernement • Mise en service en 2021 • 7 communes • 1 650 hectares • 2 pistes de 2 800 et 2 900 m • A 24 km du centre de Nantes • Exploitation et construction : Aéroports du Grand Ouest (filiale de Vinci Airports) TRAFIC ATTENDU 6 à 8,3 millions de passagers* * Selon différents scénarios retenus par l’enquête publique, 2006 4 à 5 millions de passagers Zone de survol de Nantes Altitude des appareils au-dessus de Nantes Piste unique Deux pistes Tissu urbain Villes et villages Tram-train ChâteaubriantNantes Treillières 2019 Sautron Vers Rennes, Vannes 7 N13 Zone industrielle, commerciale La Chapelle-sur-Erdre 2050 Orvault Des solutions pour réduire le bruit (trajectoire, type d’approche, interdiction des vols de nuit) n’ont pas été étudiées LOIRE-ATLANTIQUE ACCESSIBILITÉ 7 700 places de parking Parkings Vinci N16 7 000 à 11 000 places de parking P Parkings low cost 5 Parkings Vinci insérés dans le bocage Saint-Herblain Tram A plus long terme : projet de gare TGV dans l’aérogare (Nantes-Rennes) le resurfaçage2 370 millions d’euros pour l’agrandissement de la piste actuelle3 740,2 millions d’euros pour l’agrandissement total de l’aéroport3 300 m Loir e De 561 millions d’euros, selon Vinci*, à 1,5 milliard d’euros, selon les opposants à la création de l’aéroport Bouguenais 600 millions d’euros de bénéfices** Airbus attendus4 90 à 600 millions d’euros Bouaye de pertes** attendues5 * Ne sont pas pris en compte le coût des infrastructures d’accessibilité à l’aéroport (tram-train, LVG Rennes-Nantes et gare TGV, bus à haut niveau de service) et la perte pour les activités de voisinage de Nantes-Atlantique (commerces, hôtels, restaurants). ** Sur trente ans Vers Pornic, Saint-Gilles-Croix-de-Vie 3 500 emplois dont 1 000 créés7 700 emplois agricoles détruits5 1.D’après le plan d’exposition au bruit ; 2.Selon les opposants à la création de l’aéroport ; 3.Selon la DGAC ; 4.Selon l’enquête publique de 2006 ; 5.Selon l’étude de CE Delft, 2011 ; 6.Selon le décret d’utilité publique ; 7.Selon Des Ailes pour l’Ouest vant d’être devenu un casse-tête politique et un imbroglio juridique, Notre-Dame-des-Landes est d’abord une histoire d’aéroport. Et c’est celle-ci que les électeurs de Loire-Atlantique vont devoir trancher, dimanche 26 juin, en répondant à la question : « Etes-vous favorable au projet de transfert de l’aéroport Nantes-Atlantique sur la commune de Notre-Dame-des-Landes ? » Une interrogation simple en apparence, pour un problème compliqué. A l’origine, il était question de créer un nouvel aéroport pour desservir l’ensemble du Grand Ouest, Bretagne et Pays- de-la Loire. On est dans les années 1960 et le transport aérien est en plein développement. Il existe pourtant déjà un aéroport à Nantes, jugé trop petit. A cette époque, le site de Notre-Damedes-Landes, un bourg agricole de moins de 2 000 habitants, à une quinzaine de kilomètres au nord de Nantes, est retenu pour le futur aéroport régional. En 1974, l’Etat y crée la première ZAD, la zone d’aménagement différé, de 1 225 hectares. La superficie globale du projet est aujourd’hui de 1 650 hectares. S’ensuivent des décennies de conflit et de mise en sommeil, jusqu’à la relance du Piste perpendiculaire PontSaintMartin Lac de Grand-Lieu 2 700 ha classés en réserve nationale Zone humide d’importance internationale Ramsar EMPLOI A SaintAignanGrand-Lieu Périmètre du nouvel aéroport6 Nouvelle piste ou rallongement de l’actuelle pourraient être transférés5 Rézé Vertou 100 à 150 millions d’euros de bénéfices** attendus5 1 850 emplois actuels qui Saint-Sébastiensur-Loire 200 m Pont de Cheviré Seul pont, souvent saturé, permettant de franchir la Loire à l’ouest de Nantes FINANCEMENT ET RENTABILITÉ 25 millions d’euros pour Gare TGV Centre-ville Projet d’une route 2 × 2 voies reliant la N165 à la N137 Navette 400 m Nantes Projet de ligne de tram-train Nantes-Atlantique • Construit en 1951 • Commune de Bouguenais • 340 hectares • 1 piste de 2 900 m • A 10 km du centre de Nantes • Exploitation : Aéroports du Grand Ouest (filiale de Vinci Airports) 48 000 EVOLUTION DU TRAFIC 20 000 mouvements d’avions* 4,4 millions La Chevrolière 0,9 million de passagers 1986 N 2 km SOURCES : EXAMEN DE L’ANALYSE GLOBALE COÛTS/BÉNÉFICES DE L’AÉROPORT DU GRAND OUEST, CE DELFT, 2011 ; ENQUÊTE PRÉALABLE À LA DÉCLARATION D’UTILITÉ PUBLIQUE, 2006 ; VINCI ; DIRECTION GÉNÉRALE DE L’AVIATION CIVILE ; ATELIER CITOYEN ; ACIPA ; NANTES MÉTROPOLE ; SUD-LOIRE-AVENIR ; DES AILES POUR L’OUEST projet dans les années 2000 par le gouvernement Jospin. Depuis la déclaration d’utilité publique, en 2008, les événements se sont accélérés, et, chaque camp, favorable ou opposé au transfert de l’actuel aéroport, a peaufiné ses arguments. « Projet surdimensionné » Les soutiens du « oui » mettent en avant la saturation de Nantes-Atlantique, arguant que « le trafic de 4,5 millions de passagers en 2015 a été atteint avec trois ans d’avance sur les prévisions les plus optimistes de l’enquête publique ». Ils soulignent l’importance des populations ex- posées au bruit et les risques éventuels d’accident pour les habitants de Nantes survolés par une partie du trafic actuel. Enfin, ils misent sur le développement économique des terrains que libérerait le transfert de l’actuel aéroport vers NotreDame-des-Landes. Un argument rejeté par les partisans du « non ». Ces derniers avancent que la piste actuelle ne serait pas détruite, afin de continuer à servir les besoins de l’industriel Airbus. Ils font aussi valoir que l’emport des avions a changé, qu’ils transportent plus de passagers et que le nombre de rotations, lui, augmente peu. * Atterrissages et décollages pour des vols commerciaux 2015 Ils dénoncent, enfin, l’artificialisation des sols et la perte de terres agricoles, la destruction de zones humides. Selon eux, le nouvel aéroport est inutile. Ils prônent donc le réaménagement possible de Nantes-Atlantique. Un scénario à peine effleuré dans un rapport commandé par Ségolène Royal et remis en mars à la ministre de l’environnement. Les trois experts estiment que « le projet de nouvel aéroport de Notre-Damedes-Landes apparaît surdimensionné ». Selon eux, une infrastructure à une seule piste répondrait aux nouveaux besoins. p rémi barroux 8| FRANCE 0123 VENDREDI 24 JUIN 2016 R É F O R M E D U C O D E D E T R AVA I L Manifestation : histoire d’une invraisemblable volte-face Après en avoir validé l’interdiction, M. Hollande a fini par donner son aval à un défilé syndical jeudi, désavouant M. Valls M ais que diable se passet-il exactement au sommet de l’Etat ? A la veille de la manifestation contre le projet de loi travail, programmée le jeudi 23 juin par les syndicats CGT, FO, Solidaires, FSU, UNEF, UNL et FIDL, la gestion politique de l’événement a pris un tour des plus rocambolesques. D’abord interdite, la manifestation a finalement été autorisée, quoique dans une formule très réduite, environ trois heures plus tard, par le gouvernement. Un moment ahurissant de flottement politique, dont ni François Hollande ni Manuel Valls ne sortent indemnes : le premier voit son autorité fragilisée, le second confirme sa difficulté à trancher. Depuis les débordements et dégradations en marge de la manifestation du 14 juin, l’exécutif semblait pourtant fermement camper sur la même ligne, celle de l’interdiction. Engagé dans un mano a mano avec Philippe Martinez et la CGT, Manuel Valls avait tôt brandi l’hypothèse de défilés autorisés « au cas par cas ». Hypothèse qu’à son tour François Hollande soutenait, au conseil des ministres du 16 juin : « Ce qui s’est passé est parfaitement inacceptable. Nous sommes dans un Etat de droit et nous respecterons toujours les libertés, le droit de manifestation et de grève. Mais cela ne peut déboucher sur des attaques et des dégradations de biens publics. Nous n’autoriserons plus ce type de manifestations si des garanties ne sont pas données. » « Faute historique » Le gouvernement espérait encore, mardi 21 juin, un compromis avec les organisations syndicales : en l’occurrence, la formule du « rassemblement statique », proposé par le ministre de l’intérieur. Mais les syndicats évacuent cette possibilité, et proposent des trajets alternatifs, dont une marche entre Denfert-Rochereau et place d’Italie. Refus de l’intérieur, pour des raisons d’ordre public. Et de Matignon, pour des motifs infiniment plus politiques : pas question, pour le premier ministre, de laisser échapper l’image de fermeté qu’il cultive depuis son arrivée à Matignon, et plus encore depuis le début de la crise sociale. « Valls en a fait une question de principe, sans surprise », note un conseiller. Mardi soir, le premier ministre n’assistait pas au dîner hebdomadaire de la majorité à l’Elysée, mais aux concerts de Manu Katché et de Nolwenn Leroy, dans la cour de Matignon, pour la Fête de la musique. Le président, lui, le répète aux participants : il faut « continuer de discuter avec les syndicats, mais pas question de manifester comme le 14 juin ». S’il ne s’en lave pas les mains, François Hollande va soigneusement laisser l’intérieur et la préfecture officier. « Le président a laissé les responsables de l’ordre public discuter avec les organisateurs de la manifestation, et arriver à la conclusion que les conditions n’étaient pas réunies », indique mercredi matin l’Elysée. Sans avoir personnellement arbitré, donc. Tour de bassin C’est peut-être la principale erreur d’appréciation du gouvernement : avoir considéré l’interdiction comme une décision technique, davantage que politique, et du coup sous-estimé la tempête. Quand la préfecture annonce l’interdiction par communiqué, vers 9 heures du matin, « c’est parti violent », note un conseiller. Du FN à la gauche de la gauche, les coups pleuvent sur l’exécutif. « Faute historique », tonne le leader des frondeurs, Christian Paul. « Politique du coup de force permanent », tempête Arnaud Montebourg. « Coup de force total », renchérit JeanLuc Mélenchon. Même des députés PS parfaitement légitimistes, comme Olivier Faure ou Sandrine Mazetier, s’émeuvent de l’interdiction à la réunion du groupe socialiste à l’Assemblée nationale. La tension monte dangereusement. C’est dans son train pour Saint-Malo que Laurent Berger a appris l’interdiction. Après avoir fait envoyer un communiqué de la commission exécutive selon lequel « la CFDT condamne l’interdiction des manifestations annoncées par la préfecture de police de Paris », le patron de la centrale réformiste, principal soutien du gouvernement sur la loi travail, a adressé des SMS aux plus hauts responsables de l’Etat : « Vous faites une immense connerie… » Pour la CGT et FO, Philippe Martinez et Jean-Claude Mailly ont publique- Manuel Valls et François Hollande à l’Elysée, le 22 juin. NICOLAS MESSYASZ/HANS LUCAS « LE PRÉSIDENT NE VEUT JAMAIS ASSUMER CLAIREMENT, VALLS LE SAIT ET C’EST DONC LUI QUI FAIT LE SALE BOULOT » UN AMI DU PREMIER MINISTRE ment appelé le gouvernement à une rencontre. Au conseil des ministres, François Hollande persiste : « Tant que les conditions de sécurité, de protection des biens et des personnes ne sont pas réunies, l’autorisation ne sera pas donnée », maintient-il. Mais quelques instants plus tard, le ministre de l’intérieur s’éclipse pour rencontrer MM. Mailly et Martinez, dans son bureau de la place Beauvau, à 11 heures. « Il y a une manière de s’en sortir : que vous acceptiez de repousser », attaque Bernard Cazeneuve qui, pendant plus de la moitié des quarante-cinq minutes de l’entretien, parle terrorisme, Euro de football, « casseurs » et épuisement des forces de l’ordre. Et propose, sans trop y croire, aux leaders syndicaux de remettre au 28 juin. Refus de ces derniers qui, après le couperet de la préfecture, ne peuvent décemment revenir vers les troupes avec cette proposition. Les deux parties s’accorderont donc sur un compromis, proposé par le préfet de police, Michel Cadot : « Un parcours alternatif, pas tout à fait statique, mais beaucoup plus court », résume un proche du ministre. En l’occurrence, un tour autour du bassin de l’Arsenal… Après le feu vert du président et du premier ministre à M. Cazeneuve, puis celui de l’intersyndicale, le compromis est adopté. Et l’interdiction levée. Dommage pour le porte-parole du gouvernement, Stéphane Le Foll, qui, une demi- Un déploiement policier « hors norme » pour sécuriser le parcours jamais un parcours de défilé syndical n’aura été aussi court, et pourtant jamais, ou presque, une manifestation n’aura mobilisé un aussi grand nombre de policiers. De mémoire de syndicaliste, 2 000 fonctionnaires pour assurer la sécurité d’un cortège, c’est une mobilisation « hors norme », assure le secrétaire général délégué d’Alliance Police nationale, Fabien Vanhemelryck, voire inédite. Après les violences des manifestations précédentes et les rebondissements de mercredi 22 juin – l’interdiction, puis l’autorisation de la manifestation parisienne du 23 juin contre la loi El Khomri –, le préfet de police de Paris, Michel Cadot, a détaillé les mesures prises pour éviter tout débordement. Le cortège devait partir et revenir place de la Bastille, après une boucle de 1,8 kilomètre autour du bassin de l’Arsenal. La Préfecture de police et le ministère de l’intérieur plaidaient pour un rassemblement statique – moins gourmand en hommes puisqu’il y a moins de carrefours et de commerces à sécuriser. Les syndicats voulaient défiler coûte que coûte. La solution retenue ressemblerait davantage à l’option souhaitée par la Préfecture. Pour éviter tout engorgement de la Bastille, le préfet de police recommande aux manifestants d’étaler leur arrivée sur les lieux et de se disperser aussitôt le tour du bassin fait. Contrôles en amont Des contrôles seront réalisés en amont, de manière à éviter que des projectiles ou des « déguisements » ne soient apportés par les manifestants. Pour limiter l’attente sur ces lieux de « préfiltrage », Michel Cadot recommande de venir sans sac à dos. Le port d’un foulard qui dissimulerait le visage est interdit. Toutes ces mesures n’ont qu’un but : empêcher les casseurs de s’infiltrer dans le cortège. A ce sujet, une centaine de personnes interpellées lors des précédentes manifestations devaient se voir notifier, d’ici au début du rassemblement, un arrêté d’interdiction de paraître, mais une source policière évalue quand même « à plusieurs centaines le nombre de casseurs, et de personnes les soutenant, qui pourraient se déplacer ». De petites unités de police seront également positionnées aux abords du parcours pour intervenir en cinq à six minutes, au cas où certains manifestants s’apprêteraient à commettre des exactions. Nicolas Comte, le représentant du syndicat Unité SGP police FO, se félicite qu’un compromis ait été trouvé. « La manifestation interdite aurait été beaucoup plus difficile à gérer. Mais on aurait pu arriver à cette solution sans passer par ce psychodrame. » Le syndicaliste espère en revanche que les instructions données aux forces de l’ordre seront claires. Après les précédentes journées de mobilisation, plusieurs syndicats de policiers avaient dénoncé le flou des consignes qui leur avaient été transmises. p émeline cazi heure plus tôt à la sortie du conseil des ministres, vient de la confirmer… Entre, d’une part, le procès en laxisme sécuritaire que lui intente l’opposition de droite, et, d’autre part, les accusations d’atteinte à la liberté d’expression portées par la gauche, le gouvernement avait d’abord semblé soucieux de parer au premier. Avant de rétropédaler pour tenter de prioritairement faire face aux secondes. Sous les lazzi. « On n’y comprend plus rien », raillait ainsi Nathalie Kosciusko-Morizet, députée LR et candidate à la primaire de droite : « Il n’y a plus de gouvernement, c’est une roue de la fortune pour les Français, on ne sait pas sur quoi on va s’arrêter… » Improvisation et tiraillements « On n’est pas ravis, concède un conseiller ministériel. Mais il n’y avait pas de bonnes solutions. » Un tête-à-queue que le gouvernement a cherché à habiller. Devant l’Assemblée nationale, Manuel Valls l’a ainsi affirmé : « Tout a été fait au niveau de l’exécutif – pour être clair, le président, le premier ministre et le ministre de l’intérieur, pour permettre l’expression démocratique » de la manifestation. D’autres, en un audacieux story-telling, dépeignaient même l’interdiction initiale comme un coup stratégique : « C’était un coup de pression, assure un conseiller du président. Nous avions le secret espoir que ça aboutisse à un bougé, et ça a marché. Je conçois que cela puisse sembler compliqué de l’extérieur. Mais c’est une négociation. Et la seule chose qui compte, c’est le résultat. » L’ensemble, nonobstant ces dénégations, donne cependant une impression d’improvisation et de tiraillements au sein du gouvernement. Mercredi, Manuel Valls invitait à déjeuner plusieurs ministres et une quarantaine de parlementaires socialistes. Il n’est pas revenu sur l’épisode. Mais certains de ses proches ne cachent pas leur lassitude concernant la gouvernance de François Hollande. « Le président ne veut jamais assumer clairement, Valls le sait et c’est donc lui qui fait le sale boulot, explique un ami du premier ministre. Avec Hollande, les choses sont claires à un an de la présidentielle : toutes les décisions impopulaires doivent reposer sur Valls et tous les matchs de foot à 21 heures sont pour le président. » p bastien bonnefous, michel noblecourt et david revault d'allonnes france | 9 0123 VENDREDI 24 JUIN 2016 La droite s’en donne à cœur joie sur la « déliquescence du pouvoir » Les divergences sur l’interdiction de défiler sont passées inaperçues F ace à un exécutif qui marche sur des œufs, la droite joue en apparence sur du velours. Depuis le début du mouvement social et l’irruption des casseurs, les dirigeants du parti Les Républicains (LR) ne cessent de dénoncer la « déliquescence du pouvoir ». La volte-face de mercredi leur a offert une nouvelle occasion de cibler l’exécutif. Nicolas Sarkozy a attendu la fin d’après-midi pour faire une déclaration au siège du parti. « Il n’y a plus d’autorité dans ce pays, la seule chose qu’il reste, c’est la CGT qui menace, la CGT auquel le gouvernement obéit », a déclaré l’ancien président de la République. « Ce gouvernement a une nouvelle fois montré aux Français sa perte totale d’autorité et de contrôle sur la situation. C’est un aveu d’impuissance, c’est un manque de fermeté, une marque coupable de faiblesse. » Pour se démarquer de son successeur, le président du parti LR a répété qu’il n’avait jamais utilisé le 49.3 lorsqu’il était à l’Elysée. Il a une nouvelle fois réclamé trois mesures : le rétablissement des peines planchers, l’interdiction « préventive » de manifester pour les « présumés » casseurs et l’engagement de la responsabilité civile et financière de la CGT lorsque les manifestations dégénèrent. Ses futurs rivaux à la primaire ont eux aussi assisté à la succession d’événements d’un œil très critique. Avant que la manifestation ne soit à nouveau autorisée, Alain Juppé a déploré que ce soit la préfecture de police qui annonce l’interdiction. « Le gouvernement se défile une nouvelle fois. (…) Cela arrive dans la panique », a regretté l’ancien premier ministre lors d’un déplacement en HauteLoire. Il a critiqué « l’incurie du gouvernement et son incapacité à maîtriser une situation ». « Depuis quatre ans, on a un président de la République mais pas de chef à la tête de l’Etat », a lancé un autre candidat, François Fillon, dans une interview au Figaro publiée mercredi 22 juin. Opposition divisée En instruisant ce procès en incapacité de l’exécutif, les candidats de droite surfent sur l’actualité en espérant convaincre l’opinion qu’ils auraient su ramener l’ordre. Et qu’ils tiendront face à la rue lorsqu’il s’agira d’appliquer leurs mesures libérales. Une analyse relayée à l’Assemblée par leurs lieutenants. « J’ai eu à gérer en tant que ministre des dossiers importants comme la réforme des retraites, jamais notre président de l’époque n’a eu à interdire de manifestation », a expliqué devant les micros Eric Woerth, secrétaire général de LR. Mais la réalité est que l’opposition est divisée sur la marche qu’il aurait fallu suivre. Comme Bruno Le Maire et Nathalie KosciuskoMorizet, Nicolas Sarkozy s’est opposé à une interdiction des manifestations, une décision pas « raisonnable » pour un « gouvernement républicain », selon ses mots prononcés à Berlin, mardi 21 juin. Avec cette déclaration, l’ancien chef de l’Etat a d’ailleurs pris à contre-pied deux de ses principaux soutiens. Guillaume Larrivé, porte-parole du parti Les Républicains, a répété, lundi 20 juin, qu’il fallait les interdire tandis qu’Eric Ciotti, député des Alpes-Maritimes, réclame leur annulation depuis le 29 avril, notamment à cause de l’état d’urgence. Alain Juppé aurait lui aussi préféré les proscrire et François Fillon aurait aimé qu’elles soient reportées après l’Euro. Sur ce front social, l’opposition s’avance donc en ordre dispersé en se demandant elle aussi comment calmer cette France en colère. « Vous nous reposerez la question sur ce qu’on ferait quand on sera au pouvoir, dans un an », résume un député LR. p matthieu goar et alexandre lemarié « Victoire » syndicale sur l’Arsenal La CGT et FO ont obtenu du ministère de l’intérieur l’autorisation de manifester, avec un inédit parcours en boucle au départ de la Bastille E n fin de matinée, mercredi 22 juin, au siège de la CGT à Montreuil (Seine-Saint-Denis), Bernadette Groison (FSU), Cécile Gondard-Lalanne (Solidaires) et les organisations de jeunesse patientent. Elles attendent le retour de leurs deux missi dominici, Philippe Martinez (CGT) et JeanClaude Mailly (FO), partis rencontrer en urgence Bernard Cazeneuve, le ministre de l’intérieur, après l’annonce de l’interdiction de manifester le 23 juin à Paris. Un communiqué a été prérédigé pour fustiger cette « remise en cause grave d’une liberté fondamentale » et prévenir que les sept organisations qui demandent le retrait de la loi travail ne se laisseraient pas intimider. Auraient-elles bravé l’interdit ? Nul ne le saura. Lorsque MM. Martinez et Mailly reviennent, c’est le coup de théâtre : la manifestation parisienne est autorisée… Devant la presse, en nombre, les deux secrétaires généraux clament à l’unisson que c’est « une victoire pour les syndicats et la démocratie ». Puis M. Martinez lit un communiqué commun : « Le gouvernement avait franchi un nouveau cap dans sa volonté de bâillonner le mouvement social, en interdisant la manifestation parisienne du 23 juin. (…) Après des discussions serrées avec le ministre de l’intérieur, les organisations syndicales et de jeunesse ont obtenu le droit de manifester à Paris le 23 juin, sur un parcours proposé par le ministre de l’intérieur, ainsi que l’autorisation de manifester le 28 juin, selon des modalités à discuter avec la préfecture. » M. Martinez, qui avait prévu de défiler à Bordeaux, a changé ses plans et il sera à Paris aux côtés de son homologue de FO. M. Cazeneuve a renoncé à imposer un « rassemblement statique », refusé par les syndicats, mais il a inventé une nouvelle manifestation, en boucle. Les opposants à la loi travail défileront de Bastille à Bastille et feront l’aller et retour (soit 1,8 km) autour du bassin de l’Arsenal. Le lieu est hautement symbolique, puisque ce point d’eau a été creusé en 1789, après la destruction de la Bastille, pour remplacer le fossé qui remplissait les douves de la forteresse en eau de la Seine. Nul doute que cette manifestation, qui ne pourra être massive compte tenu de la brièveté du parcours, et qui sera fortement sécurisée, restera dans les annales syndicales du fait de son caractère abracadabrantesque. « Coup de pub » Mais la CGT et FO ont obtenu l’essentiel : elles ont fait plier le gouvernement, l’obligeant à faire marche arrière. La victoire est particulièrement nette pour M. Martinez, qui a ainsi remporté son bras de fer, non sur le retrait de la loi mais sur le droit de manifester, avec Manuel Valls. L’annonce de l’interdiction avait suscité un tollé allant bien au-delà des opposants à la loi El Khomri. Avec une promptitude remarquée, la CFDT, qui se plaint d’être de plus en plus souvent la cible des militants de la CGT, avait « condamné l’interdiction des manifestations », soulignant qu’« il est indispensable de trouver les moyens pour assurer la sécurité des personnes et des biens, en lien avec les organisateurs ». L’UNSA rappelait que « le droit de manifester est un élément démocratique fondamental ». La CFECGC réaffirmait son « attachement indéfectible au droit de manifester », exhortant le gouvernement « à redonner toute la place et le temps nécessaires aux échanges pour favoriser une authentique sortie de crise ». La volonté de M. Valls d’interdire les manifestations a dérouté les syndicats. Elle est intervenue à un moment où la situation sociale semblait se décrisper : les grèves ont disparu du paysage, la mobilisation n’a pas connu le rebond attendu le 14 juin, le dialogue avait été renoué entre Myriam El Khomri, la CGT et FO. Pour Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT, ce faux pas sur l’interdiction « redonne un peu d’élan à ceux qui n’en avaient plus ». M. Mailly s’est même félicité du « coup de pub » donné à la manifestation du 23 juin. Du coup, les opposants à la loi travail sautent la case Matignon et s’adressent directement au président de la République. Notant qu’il n’a toujours pas répondu à leur demande d’audience, en date du 20 mai, les sept organisations ont affirmé que « le président Hollande n’a d’autre issue, pour sortir de cette impasse, que de réunir les organisations syndicales et de jeunesse très rapidement ». « Nos propositions permettent à tout le monde de sortir par le haut », a insisté M. Mailly, sans en révéler le contenu. « Je n’ai aucune envie de les aider à en sortir », confie M. Berger, qui récuse d’avance « tout petit bidouillage pour essayer d’éteindre le feu ». p m. n. Un rendez-vous mensuel de débats et d’échanges sur les grandes mutations économiques. Retrouvez le compte rendu des interventions des invités de la séance du 22 juin JACQUES ATTALI Président de Positive Planet & PIERRE-ANDRÉ DE CHALENDAR Président-directeur général du groupe Saint-Gobain sur lemonde.fr/le-club-de-l-economie 10 | france 0123 VENDREDI 24 JUIN 2016 Montebourg endosse son costume de campagne L’ex-ministre de l’économie, en visite en Indre-et-Loire, a multiplié les attaques contre l’Elysée et Matignon tours - envoyé spécial M on costume fait peur aux vaches ? Je peux mettre un teeshirt ! » Après deux ans de quasi-abstinence, Arnaud Montebourg ne cache pas son plaisir de revenir sur le devant de la scène politique. Mercredi 22 juin, l’ancien ministre de l’économie s’est offert une visite dans la région de Tours (Indre-et-Loire), à l’invitation du député socialiste frondeur Laurent Baumel, lors de laquelle il a affiché ses ambitions. « On est en campagne, c’est parti ! », s’est-il exclamé, enchaînant visite d’une ferme, entrevue à huis clos avec des élus locaux, débat avec des chefs d’entreprise et rencontre publique avec 200 à 300 militants, lors de laquelle il a présenté son « Projet France », une plate-forme participative dans laquelle il dit vouloir puiser pour élaborer son programme. LE CONTEXTE AILE GAUCHE Les différents courants de l’aile gauche du PS se réunissent, lundi 27 juin, pour entamer les discussions sur la possibilité de présenter un seul candidat face à François Hollande à la primaire de la gauche de gouvernement. La sénatrice Marie-Noëlle Lienemann, qui a déjà annoncé sa candidature, l’ancien ministre Benoît Hamon, qui a fait part de son intérêt, ou encore le chef des frondeurs, Christian Paul, seront représentés. Les proches d’Arnaud Montebourg devraient être présents. Ce dernier ne s’alarme pas du nombre de candidatures potentielles. « On verra le 1er décembre, nous discutons, nous avons le temps, calmos. Mais si on ne peut pas rallier ses propres amis, il sera difficile de rallier les Français », reconnaît-il. Manifestement, l’actuel viceprésident de la chaîne d’ameublement Habitat n’a toujours pas digéré son éviction du gouvernement, en août 2014, et a soif de revanche. Toute la journée, il a multiplié les attaques contre l’Elysée et Matignon. L’interdiction de manifester à Paris ? « La politique du coup de force permanent. » La loi travail ? « Un concours de biceps et d’enfantillages. » Le quinquennat ? « Vous votez pour “mon ennemi, c’est la finance” et vous avez le programme de Mme Merkel. » Le gouvernement ? « La cour du roi Ubu. » François Hollande ? « On ne peut pas diriger la France comme on gère les courants du PS. » Sur le fond, M. Montebourg a commencé à esquisser ce qui pourrait être son programme pour la primaire de la gauche de gouvernement et au-delà. L’idée forte ? « Restaurer la souveraineté de la France. » Pour cela, sa cible est toute choisie : Bruxelles. A l’écouter, la Commission européenne est responsable de tout, du chômage, des faillites, de la baisse des retraites, du trou de la Sécu… « Bruxelles, c’est une grande paralytique qui a paralysé l’Europe », affirme-t-il. Patriotisme « Le débat en 2017, ce sera la fin des traités de Maastricht, de Lisbonne… Cela va casser un peu de vaisselle, mais c’est mieux que le statu quo actuel, qui est en train de tuer l’Europe », estime l’ex-ministre. Pour cela, il se dit prêt à la confrontation avec la Commission, une politique dont M. Hollande n’aurait pas eu le courage. « Il faut réduire les champs d’intervention de Bruxelles, faire moins d’intégration et plus de coopération, décider ce qui relève des nations et de l’UE. La subsidiarité doit primer. » M. Montebourg en a profité pour égratigner Emmanuel Macron, son successeur à Bercy, jusqu’ici épargné mais devenu potentiel rival pour la présidentielle. « Le ni de droite ni de gauche, je ne sais pas ce que c’est. On ne se définit pas par une négation mais par une Arnaud Montebourg visite une ferme laitière à Nouzilly (Indre-et-Loire), le 22 juin. PATRICE DESCHAMPS/MAXPPP affirmation, on doit dire ce qu’on est. » De même, il a raillé l’inexpérience de l’ancien banquier. « Faire de la politique, c’est aller chez les gens, prendre le temps de les écouter, de rentrer dans leur tête. Moi, j’adore ça ! » « La loi travail, c’est une loi Macron déguisée, c’est lui son auteur caché », a également taclé M. Montebourg, ajoutant que « l’approche libérale tous azimuts n’est pas la [s]ienne ». Plus étonnant, M. Montebourg s’est également aventuré sur le terrain du souverainisme et du patriotisme, n’hésitant pas à utiliser des termes ou des références peu usités parmi les socialistes. Lors de son discours devant les militants, qu’il assure avoir improvisé, il a multiplié les références à Charlemagne, à Napoléon, à Charles X… « Le drapeau est à la poussière, nous allons le relever et repartir », at-il lancé, évoquant « le peuple de gueux, celui de Valmy ». Jusqu’ici concentré sur les questions économiques, il a aussi déploré « les Saint-Barthélemy » auxquelles la France est aujourd’hui confrontée en matière de religion, ajoutant qu’il n’est « pas pour une France qui additionnerait les communautés d’origine ». « L’inconscient de notre pays est national », at-il insisté. « Mais le patriotisme économique, c’est ma position depuis dix ans, je ne me positionne pas par rapport à Mme Le Pen ou qui que ce soit d’autre, réfute M. Mon- L’idée forte de ce qui pourrait être son programme ? « Restaurer la souveraineté de la France » tebourg au Monde. Je remarque d’ailleurs que ces idées ne font plus débat chez les militants socialistes, ce qui n’était pas le cas il y a quelques années. » Quant à savoir s’il participera à la primaire organisée par le PS ou s’il se présentera directement à l’élection présidentielle, comme Jean- Luc Mélenchon, M. Montebourg assure que sa liberté est « totale ». « Les primaires doivent être loyales, ouvertes et démocratiques, et non pas truquées, fermées et sur mesure », argue-t-il. Sa référence : le scrutin de 2011, qu’il avait participé à mettre en place. « Comme lors de la précédente primaire, il faut 10 000 bureaux de vote, ouverts à tous les Français. » De même, il demande que les conditions de parrainage ne soient pas assouplies, afin de limiter le nombre de candidats – « six, c’est bien ». Car, prévient-il, « s’il s’agit d’une primaire de ridiculisation, je ne me présenterai pas ». « Battling Montebourg » est définitivement de retour. p cédric pietralunga Au Sénat, la droite est sceptique sur les lanceurs d’alerte Le projet de loi Sapin 2 contre la corruption a été profondément remodelé en commission des lois mercredi 22 juin Q uoi qu’ils s’en défendent, les sénateurs ne vouent pas une forte tendresse aux lanceurs d’alerte. Il existerait même une discrète méfiance. La commission des lois du Sénat, à majorité de droite, qui a examiné mercredi 22 juin le projet de loi Sapin 2 de lutte contre la corruption, a ainsi, sur ce chapitre, remodelé les dispositions du texte issu de l’Assemblée nationale. Sur les 250 amendements examinés, ce sujet a été le plus discuté. «Beaucoup se méfient des lanceurs de fausses alertes qui risquent de porter préjudice à des intérêts publics ou privés », souligne Philippe Bas, le président (Les Républicains) de la commission. Pour le rapporteur, François Pillet, sénateur (LR) du Cher, « le mot de lanceur d’alerte en cache d’autres, il faut manier cette notion avec précaution ». Une définition plus restrictive, donc, une procédure graduée établissant une échelle des autorités auxquelles le lanceur d’alerte peut s’adresser – supérieur hiérarchique, personne référente pour les alertes si elle existe, autorité administrative, autorité judiciaire –, la commission a posé un cadre beaucoup plus resserré. Surtout, elle supprime la prise en charge financière des frais de justice ou d’éventuels dédommagements par le Défenseur des droits introduite à l’Assemblée nationale. « Le Défenseur des droits n’a pas pour fonction d’indemniser ou de jouer les avocats du lanceur d’alerte », estime M. Bas. La com- venant de choc « Le lanceur d’alerte ne peut pas être irresponsable s’il n’est pas de bonne foi » FRANÇOIS PILLET sénateur Les Républicains mission introduit une sanction judiciaire et une responsabilité civile à l’encontre de ceux qui dérogeraient aux règles. « Le lanceur d’alerte ne peut pas être irresponsable s’il n’est pas de bonne foi, insiste M. Pillet. Il peut être redevable du préjudice qu’il a fait subir. » Méfiance toujours vis-à-vis des autorités dites indépendantes et, en l’occurrence, de l’Agence française anticorruption, que les sénateurs préfèrent rebaptiser Agence de prévention contre la corruption. « Nous avons confiance dans la justice mais nous sommes méfiants quand il s’agit de donner des pouvoirs de sanction à une agence. Nous renvoyons cette responsabilité au juge », explique M. Bas. La commission a par conséquent supprimé la commission des sanctions dont était dotée l’agence. « Pour tout ce qui concerne la prévention, nous pensons que l’administration a un rôle primordial. En revanche, en matière répressive, place à la justice, ajoute François Pillet. L’agence contrôle, avertit et, en cas de man- quement, elle transmet à la justice. On ne peut pas être à la fois ange gardien et Père Fouettard. » Lobbyistes actifs Par ailleurs, les sénateurs souhaitent revoir le dispositif d’encadrement des rémunérations des dirigeants d’entreprise introduit à l’Assemblée nationale, qui rend contraignant et public le vote des assemblées générales d’actionnaires. Ils préfèrent confier à l’assemblée générale le soin de définir des « principes généraux ». A charge pour elle de vérifier si la politique salariale mise en œuvre correspond bien aux critères. « Je ne désespère pas que le gouvernement, l’AFEP [Association française des entreprises privées] et le Medef trouvent cette disposition nicolas demorand le 18/20 18:15 un jour dans le monde 19 :20 le téléphone sonne positive », glisse François Pillet. Certains représentants d’intérêt seraient-ils discrètement intervenus à cette fin ? Cette question du registre des lobbyistes continue de susciter chez les sénateurs une certaine… méfiance. Défendant le principe de la séparation des pouvoirs, ils s’opposent à l’idée d’un registre unique « à la main de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique ». Preuve, pourtant, que ces lobbyistes sont bien actifs, le portail ouvert sur le site du Sénat en vue de la préparation des travaux sur le projet de loi a dû être bloqué : une société de courtage intéressée à l’élaboration d’un des articles avait fait envoyer plus d’un millier de courriels en une journée ! p patrick roger avec les chroniques d’Arnaud Leparmentier, d’Alain Frachon et de Vincent Giret dans Un jour dans le monde de 18:15 à 19:00 france | 11 0123 VENDREDI 24 JUIN 2016 Justice : des détenus libérés faute d’escorte La pénitentiaire n’a pas les moyens d’assurer tous les trajets entre prisons et tribunaux L e procureur de la République de Brest est sorti de ses gonds à la suite de la « libération intempestive », mardi 21 juin, d’un homme de 36 ans accusé de trafic de drogue, faute de personnel pour l’escorter de la maison d’arrêt de Brest au tribunal… de Brest. Une « première », pour le procureur Eric Mathais, conséquence directe du transfert de la mission des extractions judiciaires à l’administration pénitentiaire, intervenu le 1er mai. Auparavant, c’est la police et la gendarmerie qui étaient chargés de cette mission. « La justice pénale se désorganise et (…) les renvois et les dysfonctionnements se multiplient », a affirmé le procureur au cours d’une conférence de presse relatée notamment par l’AFP et Le Télégramme, évoquant « un vrai risque de trouble à l’ordre public ». Nombre de procureurs et de présidents de tribunaux n’avaient pas osé mettre publiquement les pieds dans le plat, mais partagent ce constat. Le transfert des extractions judiciaires du ministère de l’intérieur à celui de la justice, décidé en 2010 par Brice Hortefeux et Michèle Alliot-Marie, a été expérimenté en 2011 avant son extension progressive sur le territoire national, qui doit s’achever fin 2019. Brest, Lorient ou Quimper, qui viennent de basculer dans ce dispositif, découvrent le sousdimensionnement du dispositif. Là où plus de 3 000 policiers et gendarmes assuraient ce service, qui comprend également les transfèrements à l’hôpital et l’éventuelle surveillance sur place, les deux ministères avaient chiffré le besoin à 800 équivalents temps plein, avant de le réévaluer à 1 200 en 2013. Un chiffrage largement insuffisant. Deux heures de route aller La catastrophe était annoncée. Elle se réalise. A Niort, un mineur soupçonné de trafic de drogue a été remis en liberté mercredi 22 juin après cinq jours d’incarcération, révèle Le Courrier de l’Ouest du 23 juin, selon lequel « le juge qui devait statuer sur son cas n’a jamais pu le rencontrer faute d’escorte dévolue au service pénitentiaire ». Le jeune homme a été remis en liberté, sans contrôle judiciaire. A Nantes, fin mai, le tribunal correctionnel qui devait juger quatre hommes dans une affaire d’escroqueries en série à la carte bancaire n’a pu en entendre que deux. Les deux autres détenus n’avaient pas pu être transférés pour leur procès. Le tribunal a décidé de les libérer alors qu’ils étaient déjà incarcérés depuis neuf mois sans jugement et de remettre leur procès à plus tard. A Rouen, quelques semaines plus tôt, la chambre de l’instruction de la cour d’appel a ordonné la remise en liberté d’un détenu, justifiant que le refus de l’administration pénitentiaire d’assurer l’extraction de sa cellule faute de personnel n’était pas une « cause insurmontable », explique Virginie Duval, présidente de l’Union syndicale des magistrats (USM). Le syndicat, majoritaire, prévenait le 25 mai : « L’USM refusera que les magistrats soient tenus responsables des inévitables libérations anticipées pour non-respect des durées maximales de détention en cas de carence de l’administration pénitentiaire dans l’exécution des réquisitions d’extraction. » Le sous-calibrage des pôles de rattachement des extractions judiciaires (PREJ) n’est pas seul en cause. L’organisation l’est aussi. Le maillage de ces PREJ, où sont localisés les personnels chargés de cette mission spécifique (ils sont armés, contrairement aux surveillants en détention), n’est pas aussi serré que celui des 188 établissements pénitentiaires du pays. A Bar-le-Duc, où la maison d’arrêt peut difficilement être plus proche du tribunal de grande instance puisque les deux bâtiments sont mitoyens, c’est l’équipe du PREJ de Nancy qui est compétente et doit faire deux heures de route aller et autant au retour pour assurer un transfèrement de quelques dizaines de pas. Les autorités de régulation et de programmation des extractions judiciaires (Arpej), à qui les magistrats adressent leurs demandes, gèrent la pénurie d’effectif et répondent par trois lettres, « IDF », pour « impossibilité de faire », lorsque l’extraction ne pourra pas être honorée. En moyenne, 11 % des demandes d’extractions judiciaires adressées aux Arpej en 2015 n’ont pas été exécutées. Mais les écarts Les écarts de réussite s’installent dès l’école primaire En moyenne, en 2015, 11 % des demandes d’extractions judiciaires n’ont pas été exécutées sont importants. A Valenciennes (Nord), 30 demandes sur les 130 adressées au cours des deux derniers mois de 2015 se sont vu opposer une « IDF », apprend-on auprès du parquet. Et avec l’Euro de football, les services de police qui pouvaient être sollicités pour suppléer aux carences des PREJ ne sont plus disponibles. « Exercice de haute voltige » « Les renvois d’audience et de procès ont tendance à se multiplier », explique le procureur de Valenciennes, qui parle d’un « exercice de haute voltige pour éviter toute remise en liberté prématurée ». A Brest, M. Mathais déplore n’avoir reçu que 65 réponses positives pour 169 réquisitions d’extraction. Les auditions par vidéoconférence, qui constituent une alternative, peuvent être refusées par le détenu… et ne fonctionnent pas toujours. Jean-Jacques Urvoas, le ministre de la justice, a reconnu le 14 juin devant les commissions des finances et des lois du Sénat que le problème des extractions judiciaires « est un sujet béant ». Il a ordonné une mission d’inspection et est parvenu à impliquer le ministère de l’intérieur. Dans un courrier du 31 mai, les deux directeurs de cabinet de M. Urvoas et de Bernard Cazeneuve demandent à l’inspection générale des services judiciaires et à l’inspection générale de l’administration (ministère de l’intérieur) d’analyser la situation et de faire des recommandations d’ici le 31 juillet. Elles devront « porter une appréciation globale sur l’efficience de l’organisation mise en place » et procéder « à une nouvelle évaluation du coût pour le ministère de la justice de la mesure de transfert ». Les équipements en véhicules, armement et gilets pare-balles représentent un budget significatif qui lui aussi avait été sous-évalué. Dans cet ordre de mission, les directeurs de cabinet Thomas Andrieu et Patrick Strzoda demandent même d’étudier la possibilité de restituer au ministère de l’intérieur, en particulier à la gendarmerie, « disposant d’une implantation locale avantageuse », les extractions judiciaires qui posent aujourd’hui des problèmes aux PREJ « en raison de leur éloignement géographique ». Au cabinet de M. Urvoas, on assure que « des décisions seront prises rapidement ». Pour l’heure, l’administration pénitentiaire devrait affecter à ces missions 450 emplois supplémentaires d’ici à la fin 2017 grâce aux créations de poste inscrites dans le plan de lutte antiterroriste de fin 2015. p jean-baptiste jacquin S OC I AL RSA : les départements rejettent le plan de l’Etat L’Assemblée des départements de France a rejeté, mercredi 22 juin, les propositions du gouvernement pour une reprise en charge par l’Etat du financement du revenu de solidarité active (RSA). Cette « recentralisation » se serait accompagnée d’une ponction sur les recettes des départements. – (AFP.) Assurance-maladie : les médecins libéraux quittent la négociation Le premier syndicat de médecins libéraux, la CSMF, a annoncé, mercredi 22 juin, qu’il « quittait la table » des négociations tarifaires en cours avec l’Assurance-maladie. Il déplore l’absence d’« éléments chiffrés » et de « réponses concrètes ». – (AFP.) BI OD I VERS I T É L’Assemblée renonce à surtaxer l’huile de palme Les députés ont renoncé, mercredi 22 juin, à la surtaxation de l’huile de palme, prévue dans le projet de loi Biodiversité. Cela avait entraîné les protestations de l’Indonésie et de la Malaisie. – (AFP.) J UST I C E Echec du projet de loi instaurant le divorce sans le juge Les députés et sénateurs n’ont pas trouvé de compromis, mercredi 22 juin, en commission mixte paritaire, sur le projet de loi sur la justice du XXIe siècle, instaurant notamment le divorce sans juge. Une seconde lecture aura donc lieu devant les deux assemblées. – (AFP.) Avec le soutien du groupe ARTEMIS et la Fondation SNCF A l’entrée en 6e, près de 20 % des élèves n’ont pas les bases en français E n dépit des politiques et des discours sur l’égalité des chances, le système scolaire français reste fortement marqué par des écarts de réussite. Il ne parvient pas à réduire ce « noyau dur » d’élèves en difficulté, qui sont en grande majorité issus de milieu social défavorisé. La dernière étude en date, réalisée par le service statistique du ministère de l’éducation nationale, la DEPP, vient confirmer ce constat. Publiée mardi 21 juin, elle montre que dans l’ensemble, à la fin de l’école primaire, près de 20 % des élèves n’ont pas les bases suffisantes en français ; ils sont environ 30 % dans ce cas en mathématiques et en sciences. Entre enfants de milieu favorisé et enfants d’origine défavorisée, c’est le grand écart : quand 90 % environ des premiers ont les « acquis attendus » dans les deux domaines, ils sont moins de 70 % en français et seulement 55 % en mathématiques et en sciences, dans les familles les plus modestes. C’est la première fois que la DEPP a conduit une évaluation auprès d’élèves par ordinateur – en lieu et place des feuilles de papier –, ce qui lui a permis de mener un test de grande ampleur : 160 000 élèves de 6e y ont participé en novembre 2015, répartis dans plus de 4 000 collèges de toutes les académies. Soit environ un élève de 6e sur cinq, dans près de deux tiers des collèges. En français, ceux-ci ont été évalués en lecture, orthographe, grammaire et vocabulaire. En maths, sur les nombres et calculs, la géométrie… En sciences, sur le vivant, la matière ou encore la pratique d’une démarche scientifique. Il en ressort que les différences de niveau, fortement corrélées à « Il existe des marges de manœuvre pour dépasser les déterminismes sociaux » FABIENNE ROSENWALD directrice de la DEPP l’origine sociale, sont bien installées dès la fin du primaire. Différences que la politique d’éducation prioritaire ne parvient pas à réduire : en maîtrise de la langue, l’écart de niveau est de plus de 20 points entre les élèves de « REP + » (réseaux d’éducation prioritaire) et ceux scolarisés hors éducation prioritaire ; il atteint 30 points en maths et sciences. Le constat est proche de celui fait par l’OCDE à travers son enquête triennale PISA menée sur des élèves de 15 ans. La dernière version, en 2013, classait la France parmi les pays les plus inégalitaires. Disparités géographiques Originalité de l’étude de la DEPP : elle s’intéresse aux écarts de réussite entre académies, qui « s’expliquent en grande partie par leur profil socio-économique », explique Fabienne Rosenwald, la directrice de la DEPP. Moins de 80 % des élèves ont des acquis suffisants en français dans les académies du nord de la France – Lille (77 %), Amiens (78 %), Rouen (78 %) et Créteil (79 %) –, ainsi que dans les départements d’outremer (autour de 70 % à la Réunion, en Guadeloupe et en Martinique, et seulement 40 % en Guyane). Or ces académies ont les indices de niveau social parmi les plus faibles. A l’inverse, Paris affiche la plus haute performance en maîtrise de la langue en même temps que l’indice social le plus élevé. C’est également le cas des académies de Rennes, Versailles, Grenoble et Lyon, où performance et niveau social vont de pair. Toutefois, « tout ne s’explique pas par le contexte socio-économique. A niveau social comparable, certaines académies s’en sortent mieux en termes de performance et d’équité », précise Mme Rosenwald. C’est par exemple le cas de Rouen et Besançon : les deux académies ont le même indice social, mais les performances sont meilleures dans la seconde. « On voit bien qu’il existe des marges de manœuvre pour dépasser les déterminismes sociaux, ajoute la directrice de la DEPP. L’éducation nationale va se saisir de ces résultats pour tenter de comprendre ces différences : est-ce que dans tel endroit, la scolarisation précoce est plus développée ? Est-ce que dans tel autre, un effort particulier est fait en matière de formation des enseignants ?… » Autre information de l’étude, également révélée dans les tests de lecture réalisés chaque année lors de la Journée défense et citoyenneté (JDC) : les filles réussissent mieux que les garçons en maîtrise de la langue (86 % d’entre elles ont les bases suffisantes, contre 78,4 % des garçons). Cet écart n’apparaît pas, en revanche, dans le domaine scientifique. Enfin, les élèves ayant redoublé durant le primaire ont des résultats bien inférieurs aux autres (plus de 40 points de différence). Signe que leur redoublement n’a pas permis de rattraper leur retard. p aurélie collas Nous avons plus que jamais besoin de la culture! Dans une société en crise, elle est le dernier ciment, le lien aux autres, le lieu où inventer, imaginer, rêver… A moins d’un an de l’élection présidentielle, Télérama croit essentiel de faire circuler paroles, désirs, points de vue, et de mettre en lumière des initiatives exemplaires et prometteuses. Notre objectif : (re)placer la culture au cœur du débat d’idées. La culture est l’affaire de tous. Comment la penser ensemble, pour l’ensemble ? Il y a urgence à partager et s’engager, collectivement, pour une culture qui fasse jubiler la démocratie et l’intelligence. Ces « Etats Généreux de la Culture » vont s’écrire dés maintenant, avec vous – les professionnels, les amateurs, le public ! Nous avons besoin de vos idées, vos suggestions, de connaître vos expériences. Dés à présent, partageons nos idées, nos expériences sur etats-genereux.telerama.fr Et des grands débats public à Lyon 19 novembre Marseille 26 novembre Paris 3 décembre Lille 10 décembre Institut Lumière Mucem CentQuatre Théâtre du Nord 12 | france 0123 VENDREDI 24 JUIN 2016 Comptes offshore, trafic d’art et fausses antiquités « Le Monde » révèle un système de blanchiment derrière le scandale qui ébranle le marché du mobilier ancien au juge d’instruction. Il reste que, selon nos sources, l’existence de la société offshore Balart Inc. n’a pas été portée à la connaissance des enquêteurs et de la justice, dans le cadre de la procédure en cours. Il s’agit donc d’un élément nouveau dans ce dossier lourd et complexe. L’enquête devra également dire si d’autres protagonistes de l’affaire disposent également, ou ont également disposé, de comptes bancaires non déclarés, en Suisse ou ailleurs à l’étranger. Et, le cas échéant, si des flux financiers ont transité entre ces différents comptes. L’ affaire des faux meubles du XVIIIe siècle, dont certaines pièces auraient été acquises par le Château de Versailles et par de riches collectionneurs privés de Russie et du Qatar, a créé la stupeur sur le très chic marché de l’art, début juin. Les premières révélations de l’enquête menée par l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC) – la « police de l’art » française – portent en germe tous les ingrédients d’un scandale : un ébéniste réputé reconverti en faussaire présumé, dont les faux remarquablement faits auraient été écoulés, sciemment ou non, par de célèbres marchands d’art et auraient trompé les meilleurs experts… Jusqu’à se retrouver classés, pour certains, « trésors nationaux ». Mais l’enquête, lancée dès l’été 2014 par l’OCBC – qui a donné lieu à l’ouverture d’une information judiciaire par le parquet de Pontoise (Val-d’Oise) il y a quelques mois et à plusieurs mises en examen – est loin d’avoir livré tous ses secrets. Elle pourrait se muer en une vaste affaire de blanchiment d’argent entre la France, la Suisse et le Panama. D’après nos investigations, menées pour partie grâce aux données des « Panama papers », l’un des personnages centraux de l’affaire, l’antiquaire parisien Bill Pallot, a organisé, à partir de Genève, un système de dissimulation de ses avoirs financiers offshore, avec compte bancaire en Suisse et société-écran au Panama. Transactions via la Suisse Ce système lui aurait permis de soustraire au fisc d’importants bénéfices liés à la vente de meubles anciens, jusqu’au début des années 2010. Il aurait pu être utilisé, dans l’affaire en cours, pour dissimuler d’éventuels achats de meubles contrefaits. M. Pallot a été mis en examen, le 9 juin, pour « blanchiment aggravé, escroquerie en bande organisée et recel », et placé en détention provisoire. Ainsi, cet éminent expert en sièges d’époque Louis XV, représentant de la prestigieuse galerie Aaron, apparaît, dans les données des « Panama papers », comme le bénéficiaire effectif de Balart Inc., une société-écran immatriculée au Panama par les soins du cabinet d’avocats Mossack Fonseca. Balart Inc. a été créée le 19 juillet 2005, avec l’aide de la banque suisse HSBC, et reliée à un compte bancaire non déclaré préalablement ouvert par M. Pallot dans cet établissement. Un compte en banque richement doté puisqu’il affichait, en 2007, un solde de 1,47 million de dollars (1,3 million d’euros aujourd’hui), selon des documents confidentiels issus de la banque, auxquels Le Monde a eu accès. « Le client signe les documents pour l’ouverture d’une société au Panama et donne instruction de virer ses avoirs sur son nouveau compte », écrit ainsi un conseiller de HSBC après une visite de son client, le 12 juillet 2005, dans une note interne à la banque. Puis il ajoute, apportant la preuve que des transactions liées au commerce de meubles ont bel et bien transité par la Suisse : M. Pallot « donne l’instruction, si nécessaire, de mettre 200 000 euros à disposition de Mme Sylvie R., pour l’achat d’une paire de fauteuils époque Louis XV, vers 1750 ». Ouverte par l’entremise de Mossack Fonseca, la société-écran Balart Inc. a été gérée par ce cabinet jusqu’en 2009-2010, date à laquelle elle a été transférée, à la demande de M. Pallot, à un autre cabinet d’avocats panaméen, Aleman, Cordero, Galindo & Lee. Un cabinet qui, par pure coïncidence, se trouverait actuellement dans le viseur du service antiblanchiment français, Tracfin. Ce cabinet d’avocats aurait en effet, selon nous Bill Pallot, éminent expert en sièges de l’époque Louis XV, apparaît dans les « Panama papers » sources, fait l’objet de nombreuses déclarations de soupçons de la part de banques françaises. Au-delà de 2011, la trace de Balart Inc. se perd ensuite dans les données des « Panama papers » et rien ne permet donc d’affirmer que la société est encore ouverte aujourd’hui. Mais une chose semble établie : les liens de Bill Pallot avec la Suisse et le monde de l’offshore sont anciens. L’antiquaire aurait ainsi ouvert son premier compte bancaire chez HSBC en 1997, selon d’autres documents confidentiels. Avant d’opter pour une sociétéécran au Panama, l’expert aurait participé à la création d’une société aux îles vierges britanniques, Chicago Art Inc., active de la fin des années 1990 au début des années 2000. Interrogé sur ces montages financiers illégaux, l’avocat de Bill Pallot, Emmanuel Pierrat, indique au Monde que son client « a fermé spontanément son compte HSBC en 2013 » et, affirmet-il, « a régularisé avec Bercy le rapatriement des sommes qui y figuraient ». « Il n’a donc plus aucun avoir à l’étranger qui n’ait été régularisé », affirme l’avocat. Ces informations auraient été transmises Revente de meubles litigieux Dans l’attente de nouveaux développements judiciaires, les antiquaires parisiens retiennent leur souffle, inquiets des répercussions de l’affaire. Ils redoutent de voir se tenir, dans ce contexte trouble et confus, la prochaine Biennale des antiquaires, prévue en septembre. D’autant que de nouvelles auditions de figures du marché de l’art pourraient avoir lieu d’ici là, apportant leur lot de révélations supplémentaires. Tandis que certains prévenus gardent le silence, d’autres ne veulent pas attendre pour se défendre. C’est le cas de Laurent Kraemer, le deuxième antiquaire mis en examen, le même jour que Bill Pallot et pour les mêmes faits, mais libéré pour sa part sous caution. Ce représentant de la galerie Kraemer, la plus ancienne galerie familiale de Paris, spécialisée depuis 1875 dans le mobilier et les objets d’art du XVIIIe siècle, aurait, lui, participé à la revente de meubles litigieux. Mais, affirme-t-il, à son insu. « En cent quarante ans d’histoire, nous n’avons jamais vendu un meuble dont nous n’étions pas convaincus de l’authenticité, ni acheté un objet en ayant le moindre doute, ce qui serait contraire à notre éthique, déclare au Monde M. Kraemer. Il faut nous considérer comme des victimes dans cette affaire de faux meubles potentiels. » « Si celle-ci se révélait exacte, que des faux indétectables aient été fabriqués et revendus, et que les plus hautes autorités aient effectivement été abusées, alors nous serions dans le même cas qu’elles », poursuit l’antiquaire, qui précise n’avoir « jamais travaillé directement avec Bill Pallot ». p anne michel Les agriculteurs en première ligne face aux pesticides Un rapport de sécurité sanitaire dont la publication a été reportée explore les lacunes dans la protection et l’information des professionnels V a-t-on vers un nouveau scandale des pesticides ? En 2011, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a pris l’initiative de se pencher sur ceux qui sont en première ligne face à ces substances : les agriculteurs. Las, après quatre années de recherches, d’innombrables auditions, une exploration poussée de la littérature scientifique en France et à l’étranger, des plongées dans les statistiques difficilement accessibles du secteur agricole, la publication de ses sept copieux volumes n’a rien d’assuré. Après une présentation au ministère de l’agriculture en avril, une réunion de restitution était annoncée le mercredi 22 juin. Elle a été ajournée in extremis, provoquant la colère des associations environnementalistes. Le rapport de l’Anses intitulé « Expositions professionnelles aux pesticides en agriculture » – dont Le Monde a pu consulter le L’absence de transparence produit un « relatif silence » sur les maladies professionnelles 60 000 tonnes en 2014, 9 % de plus qu’en 2013, comme l’année précédente. Or les alertes se multiplient sur les liens possibles avec les hémopathies malignes, cancers de la prostate, de la peau, tumeurs cérébrales, maladies de Parkinson et d’Alzheimer, troubles de la reproduction et du développement… volume central – explore les pratiques des agriculteurs, la façon dont ils se protègent ou pas des effets des pesticides, les conseils de prévention et les informations sur la toxicité qui leur sont dispensés. L’idée des experts – praticiens hospitaliers, vétérinaires, agronomes, toxicologues, sociologues, ergonomes… – était d’esquisser des pistes de réduction des risques. L’état des lieux en dit long sur le fonctionnement de la ferme France, un système incapable de freiner l’emballement du recours aux pesticides, dont la consommation s’est élevée à au moins Cancers, tumeurs, maladies… Le groupe de travail de l’Anses souligne que les données sur l’exposition aux phytosanitaires des 1,01 million de personnes qui s’activent dans les champs, les vignes, les vergers arboricoles où les traitements sont les plus fréquents, ou encore les plantations, les bergeries badigeonnées d’insecticides, sont « fragmentées », « lacunaires ». D’ailleurs, « aucune organisation en France n’est chargée de les produire ». Cette absence de transparence produit une « invisibilité des problèmes », un « relatif silence » sur les maladies professionnelles. Celui-ci s’explique entre autres par les obstacles quasi insurmontables que rencontrent les malades à faire reconnaître leurs pathologies chroniques, à la différence des intoxications aiguës. Entre 2002 et 2010, la sécurité sociale agricole, la MSA, a admis 47 maladies professionnelles de ce type en tout et pour tout. Sur 607 dossiers reçus en trois ans, seuls 101 concernaient une pathologie chronique. La MSA en a classé 54 sans suite. Les « limites de connaissances produites lors de l’homologation » constituent un autre frein à la prise de conscience. Dit autrement, les éléments fournis par les industriels avant la mise sur le marché d’un pesticide ne suffisent pas à en mesurer le degré de dangerosité. Leurs études ne sont pas publiées dans des revues scientifiques, ne reposent ni sur des statistiques agricoles, ni sur des enquêtes de terrain, et ne reflètent pas l’éventail des situations réelles. Surtout, ils correspondent à des scénarios idéaux avec des opérateurs portant gants, masques, combinaison de protection – neufs –, et respectant scrupuleusement les recommandations d’usage. « Ceci ne correspond pas aux pratiques habituelles des agriculteurs », constatent sobrement les experts. Ces derniers pointent aussi du doigt cette surprenante habitude d’écarter de la procédure d’homologation les 25 % des valeurs d’exposition les plus élevées, en arguant qu’elles correspondraient à des situations extrêmes. Les 25 % les plus basses, elles, sont bien prises en compte. Conflit d’intérêts Des études ont par ailleurs montré que l’exposition peut être six fois plus élevée au moment de pénétrer dans une parcelle fraîchement traitée que lors de l’épandage. Le délai de « réentrée » est de quarante-huit heures en France, de douze jours minimum au Canada selon les substances. S’il s’avère difficile de protéger les cultivateurs et les éleveurs des effets des pesticides, le plus sim- ple ne serait-il pas d’en utiliser moins ? Tel est l’objectif affiché par le ministère de l’agriculture, de multiples organismes sous sa tutelle ont pour mission d’y contribuer. Pourtant, la mission de conseil n’est exercée par personne, estiment les experts. Leur rapport épingle la multiplicité des conflits d’intérêts, en citant, entre autres, les vétérinaires qui réalisent 40 % de leur chiffre d’affaires en prescrivant des produits antiparasitaires pour les troupeaux. Enfin, le rapport se penche sur le cas intéressant des 500 000 « Certiphyto » accordés après une courte formation financée par l’Etat. Ces certificats, qui attestent d’une connaissance suffisante pour utiliser les phytosanitaires en toute sécurité, sont délivrés par des prestataires les plus divers… y compris, en Gironde, par des organismes vendant des pesticides. Ces derniers y voient d’ailleurs un bon « moyen pour nouer des contacts commerciaux ». p martine valo | 13 0123 VENDREDI 24 JUIN 2016 Le crépuscule de Zlatan Zlatan Ibrahimovic, mercredi 22 juin, à Nice, à la fin du match Suède-Belgique (0-1). JONATHAN NACKSTRAND/AFP nice – envoyé spécial A quoi reconnaît-on une légende ? A la place qu’elle prend même quand elle est absente ? Zlatan Ibrahimovic ne s’est pas attardé devant la presse, mercredi 22 juin à l’Allianz-Riviera de Nice, après l’élimination de la Suède de l’Euro 2016. L’avantcentre suédois venait – sauf volte-face toujours possible de sa part –, de disputer son 116e et dernier match avec la sélection nationale, battue par la Belgique (1-0). Et c’est bien sa retraite internationale, annoncée par ses soins la veille, qui captivait l’intérêt général. Elu meilleur joueur du match, le milieu belge Eden Hazard, passeur décisif sur le but magnifique de Radja Nainggolan, a même dû, avant toute autre question, donner son avis sur la dernière du géant Zlatan. Dans les minutes précédant la partie, les deux hommes, pareillement capitaines, avaient échangé quelques mots et leurs fanions. Sur le terrain, le petit Eden (1,73 m) et le grand Ibra (1,95 m), se sont peu croisés. « Ibrahimovic est un grand monsieur du football qui a fait beaucoup de choses importantes dans sa carrière », a débuté, un peu surpris, Eden Hazard. Puis, le joueur de Chelsea, conscient de l’importance du moment, est devenu moins politiquement correct : « Avec un tel attaquant, on savait que cela allait être difficile pour nos défenseurs. Je pense que Zlatan aurait voulu aller plus loin dans ce tournoi… Malheureusement, en se qualifiant pour les 8es de finale, on l’élimine. » Marc Wilmots, son sélectionneur, homme franc et ancien joueur, sera plus direct. A la sortie du terrain, alors que le Suédois, brassard à la main, prenait le temps de saluer une dernière fois son public, le Belge L’ex-attaquant du PSG a disputé son dernier match pour la Suède, mercredi 22 juin, à Nice. La défaite contre la Belgique met un terme à une carrière internationale sans titre et à un tournoi décevant a glissé quelques mots à l’oreille de Zlatan. D’international à la retraite à jeune retraité international. « Quand une grande personne du football tire sa révérence, explicitait-il quelques minutes plus tard, la moindre des choses, c’est de lui dire : “Merci pour ta carrière et bravo pour ce que tu as fait.” » « Je n’envisage pas de trouver un autre Zlatan », concluait peu après, boule dans la gorge, Erik Hamren. Sonné, le sélectionneur suédois venait, le même soir, d’être éliminé de l’Euro et de voir partir, en plus d’Ibrahimovic (34 ans), le gardien Andreas Isaksson (34 ans) et le créateur Kim Källström (33 ans). « Les trois meilleurs joueurs que notre pays a jamais eus », regrettait-il, abasourdi. Privé d’un but valable Cet Euro n’a pas été tendre avec la Suède et ses gentils supporteurs. Son équipe nationale quitte le tournoi avec un bilan décevant. Deux défaites contre l’Italie et la Belgique (1-0, à chaque fois) et un match nul contre l’Irlande (1-1) lui laissent la quatrième place, la seule éliminatoire du groupe F, l’un des plus difficiles du tournoi. Pire, mercredi contre la Belgique, son hé- A 34 ans, son bilan international reste, finalement, aussi anecdotique que son palmarès européen avec le PSG ros a été privé d’une sortie glorieuse, et surtout d’un but qui semblait valable, dans son match le plus abouti depuis le début de la compétition. Beaucoup d’arbitres autres que l’Allemand Felix Brych auraient, en effet, validé cette reprise réussie de la 62e minute, au nez de Jan Vertonghen. Un but à la Zlatan, pied à la hauteur des yeux, façon kung-fu, sur une remise de l’autre géant de l’attaque suédoise Marcus Berg. Bras en croix, face au mur humain jaune et bleu bâti par le public suédois, Ibrahimovic a savouré la joie… puis a subi cet ultime martyre sans débordement. Il restait encore une bonne demi-heure de jeu dans cette partie complètement débridée. Et l’ex-joueur du Paris-Saint-Germain pensait sûrement pouvoir faire plier cette défense belge, qu’il a secouée comme aucune autre dans cet Euro. Face à l’Irlande, au Stade de France, Ibrahimovic s’est créé quatre occasions. Contre l’Italie, au match précédent, les vieux grognards de la Juventus, Chiellini, Barzagli et Bonucci, lui en ont laissé deux fois moins. Mercredi, Zlatan Ibrahimovic a frappé six fois vers les buts du gardien belge Thibaut Courtois, l’obligeant à deux arrêts. Soit la moitié des tirs de son équipe. Son ultime tentative – une frappe jambe tendue, après un contrôle de la poitrine à la 88e minute du match – a dû conforter ceux qui pensent que l’attaquant n’est pas aussi fort qu’il le dit lui-même. Roi de France, certes, mais simple baron qui se hausse du col à la cour des meilleurs joueurs du monde. Dans l’après-midi, le Portugais Cristiano Ronaldo a sonné la révolte de son équipe par un doublé contre la Hongrie (3-3). Catastrophique jusqu’alors, loupant un penalty contre l’Autriche, la star du Real Madrid a trouvé les ressources pour sauver les Lusitaniens. Dans la nuit niçoise, devant sa compagne Helena Seger et leurs deux enfants, Zlatan, lui, n’a pu empêcher le naufrage de la Suède, se cognant encore et toujours à ce plafond de verre du dernier niveau international. Un plafond qui, quatre saisons d’affilée, l’a également empêché de s’approcher d’une finale de Ligue des champions avec le PSG. Et explique sûrement la fin de son aventure française. il était à l’Euro « pour le gagner » Avant le tournoi, dans une interview au Monde (daté du mercredi 8 juin), le capitaine suédois annonçait, du haut de son arrogance et de ses 20 millions d’euros de salaire annuel, qu’il était à l’Euro « pour le gagner ». A l’heure de la retraite, son bilan international reste, finalement, aussi anecdotique que son palmarès européen avec le PSG. Malgré ses 62 buts marqués depuis 2001, Ibrahimovic n’aura atteint qu’un quart de finale à l’Euro 2004, et deux huitièmes aux Mondial 2002 et 2006. Pas mal pour un Suédois ? Ce serait oublier la finale de la Coupe du Monde 1958 (perdue contre le Brésil 5-2) et la troisième place au Mondial 1994 atteintes par le pays. Alors que les supporteurs suédois partaient, tranquillement, noyer leur déception dans la bière, Marc Wilmots, lui, tirait les conclusions qui s’imposaient : « On est là et bien là » glissait, espiègle, le sélectionneur belge. Positionnés dans une partie de tableau où l’équipe la plus forte s’avère la Croatie – adversaire potentiel en demi-finale – les Diables rouges peuvent rêver tout haut d’atteindre la finale dimanche 10 juillet. D’ici là, la retraite de Zlatan Ibrahimovic ne sera plus un sujet. p gilles rof 14 | 0123 VENDREDI 24 JUIN 2016 « Tonton » Evra, le capitaine de l’ombre ARRÊT DE JEU | CHRONIQUE Le vétéran des Bleus retrouvera l’Eire, qu’il avait contribué à priver du Mondial 2010 par b e noît hop q uin La joie de perdre D ans le camp retranché des Bleus, à Clairefontaine (Yvelines), ses partenaires le surnomment affectueusement « Tonton Pat’ ». A 35 ans, Patrice Evra est le vétéran de l’équipe de France, qui affrontera donc l’Irlande – pas celle du Nord, comme le pensaient les pronostiqueurs – en huitièmes de finale de « son » Euro, dimanche 26 juin à 15 heures, à Lyon. L’arrière gauche de la Juventus Turin honorera sa 77e sélection contre les « Boys in Green » lors d’un match au parfum de revanche, près de sept ans après la qualification controversée (1-1 après prolongations) des Bleus contre l’Eire lors du barrage retour pour le Mondial 2010. Ce 18 novembre 2009, « Tonton Pat’» était déjà sur la pelouse du Stade de France lorsque Thierry Henry toucha à deux reprises le ballon de la main sur le but égalisateur des hommes de Raymond Domenech, synonyme de qualification pour les Bleus et de scandale diplomatique. A l’Euro, Evra dispute sa cinquième phase finale d’une compétition internationale. Cadre de la Juve, avec laquelle il a prolongé son contrat jusqu’en 2017, le latéral fait figure de rescapé au sein d’une arrièregarde exsangue. Sur les quatre défenseurs titulaires lors du Mondial 2014, il est le seul à être encore sur pied après les forfaits de Raphaël Varane et de Mathieu Debuchy, et la suspension pour dopage de Mamadou Sakho. Profil bas après Knysna D’ordinaire combatif et appliqué, Evra a complètement raté son entame de tournoi lors de la victoire (2-1) à l’arraché des Bleus face à la Roumanie. Auteur d’une faute grossière dans sa surface, il est à l’origine de l’égalisation des Roumains sur penalty. « Patrice a voulu trop bien faire. Il s’est mis consciemment ou non trop de pression », l’a excusé Didier Deschamps, qui l’a lancé à l’AS Monaco en 2002 et a fait de lui son homme de base depuis son intronisation, en 2012, au poste de sélectionneur. Davantage percutant lors du succès poussif (2-0) obtenu contre l’Albanie, l’ex-arrière de Manchester United (2006-2014) s’est distingué par sa combativité face à la Suisse (0-0). Respecté pour sa longévité, le doyen au profil d’aboyeur s’est surtout imposé, au fil des années, comme le taulier du vestiaire, dont les causeries ont son effet galvanisant. « Il sait nous parler, glissait, avant l’Euro, I Patrice Evra, au milieu de ses jeunes coéquipiers, à Marseille, le 14 juin. FRANCK FIFE/AFP « Il sait nous parler. Tu veux te battre pour des mecs comme ça » PAUL POGBA milieu des Bleus et coéquipier de Patrice Evra à la Juventus au Monde, Paul Pogba, son jeune coéquipier à la Juve et chez les Bleus. Tu veux te battre pour des mecs comme ça. » Fort en gueule, Evra se définit lui-même comme le capitaine officieux donnant de la voix en coulisses tandis que le détenteur du brassard, le gardien Hugo Lloris, arrondit les angles et aligne les platitudes sur un ton monocorde en conférence de presse. Ce bout d’étoffe, Evra ne le portera plus autour du bras en sélection. Car l’enfant des Ulis (Essonne) paye son statut de capitaine lors de la fameuse grève du bus de Knysna qui avait scellé le fiasco des Bleus lors du Mondial 2010 en Afrique du Sud. « Patrice sait qu’il ne sera jamais capitaine avec moi », répète inlassablement Didier Deschamps. « Domenech l’avait désigné capitaine car c’est un leader, un stakhanoviste doublé d’un gagneur, assure François Manardo, chef de presse de l’équipe de France de 2008 à 2010. Pat’ a mangé la terre, il n’a jamais fait de centre de formation et a commencé comme attaquant à 17 ans à Marsala, en Sicile. A la lumière des événements de 2010, il ne veut plus de ce brassard. Mais il reste un relais essentiel dans un groupe. » Suspendu cinq matchs par la Fédération française de football (FFF) après le crash de Knysna, Evra a d’abord fait profil bas lors de son retour en sélection, en mars 2011. Snobant la presse française, le trentenaire s’est ensuite distingué par sa charge maladroite, en octobre 2013, contre trois consultants vedettes, qualifiés de « parasites et de clochards ». Durant le Mondial 2014, il finit par se réconcilier avec les suiveurs des Bleus lors d’une conférence de presse d’anthologie, refermant l’épisode grotesque de la chasse à la « taupe » qui permit à L’Equipe de titrer « Va te faire enculer, sale fils de pute ! » (son auteur, Anelka, fut expulsé du groupe) lors du désastre en Afrique du Sud. Paratonnerre médiatique Désireux de normaliser ses relations avec la presse, Evra a multiplié les interviews avant l’Euro. « Il n’est pas dans la séduction, juge François Manardo. Il n’est pas non plus dans la rédemption. Il a pris de la distance par rapport à un événement qui a marqué sa carrière. On ne mesure pas à quel point il aime les Bleus. » Perçu comme un « grand frère » au sein du vestiaire, Evra n’a pas hésité à placer le prodige Paul Pogba – avec qui il entretient un rapport quasi paternel – face à ses responsabilités au début du tournoi. Il s’est aussi mué en paratonnerre, demandant aux médias « d’arrêter » avec « les polémiques » après que le banni Karim Benzema a accusé Didier Deschamps d’avoir « cédé à la pression d’une partie raciste de la France » en ne le retenant pas pour l’Euro. Malgré un impact physique déclinant, Evra souhaiterait poursuivre jusqu’au Mondial 2018, en Russie. Il faut dire que la relève, incarnée sur le flanc gauche par Lucas Digne et Layvin Kurzawa, respectivement âgés de 22 et 23 ans, tarde à confirmer. « Pat’ ira en Russie », sourit son ami d’enfance Gaye Niakaté, qui l’a fait revenir aux Ulis, avant l’Euro, pour coacher un match entre des jeunes. « Sa place, il va falloir aller la lui prendre. » « Tonton Pat’» n’est pas disposé à la céder à ses « neveux ». p rémi dupré Cristiano Ronaldo, sauveur du Portugal Grâce à un doublé et à une passe décisive face à la Hongrie, le triple Ballon d’or qualifie son équipe pour les huitièmes lyon – envoyé spécial C’ est ce qu’on appelle avoir le sens de l’à-propos. Mercredi 22 juin, au Parc OL, trois éclairs de génie de Ronaldo ont sauvé la sélection portugaise dans un match couperet : une passe décisive lumineuse, une belle détente pour un but de la tête et une reprise acrobatique victorieuse, derrière le pied d’appui, « à la Madjer », du nom de son inventeur algérien. Décevante depuis le début de l’Euro, la vedette du football mondial a évité à son équipe une élimination face à des Hongrois redoutables (3-3), qui ont mené trois fois au score et terminent en tête du groupe F. Les coéquipiers de « CR7 » se qualifient également in extremis pour les huitièmes de finale au terme du match le plus fou de ce premier tour. Aucune victoire et une troisième place derrière l’Islande, le Portugal est la première équipe de l’histoire à se qualifier sans avoir remporté la moindre rencontre de poule. « A trois reprises, nous pensions être éliminés mais nous avons réussi à revenir. C’est pour moi un privilège d’avoir été nommé homme du match, mais la priorité était de gagner. Nous n’avons pas réussi, mais le plus important, c’est la qualification. Nous l’avons fait », a expliqué celui qui a réussi l’exploit d’être le premier joueur à marquer dans quatre Euros différents (2004, 2008, 2012 et 2016). Au coup d’envoi, il s’était emparé d’un autre record, celui du plus grand nombre de rencontres disputées en championnat d’Europe, dix-sept, soit une de plus que le Français Lilian Thuram et le Néerlandais Edwin Van der Sar. Encore agaçant d’individualisme, comme lorsqu’il s’obstine à tirer directement chaque coup franc de n’importe quelle position, Ronaldo a enfin assumé le rôle de leader d’une équipe portugaise qui dépend plus que jamais de son attaquant. Le matin même, le numéro 7 montrait la tension qui l’habitait par un geste d’humeur. Lors de la traditionnelle promenade d’avant-match, le micro d’un journaliste lusitanien terminait dans l’eau à la première question anodine posée à l’orgueilleux. Prochain adversaire : la Croatie « Je pense qu’il va oublier tout cela et continuer à faire ce qu’il fait de mieux : marquer des buts », voulait pourtant croire son sélectionneur, Fernando Santos, en conférence de presse. Quelconque lors des deux premiers matchs – il avait même manqué le penalty décisif contre l’Autriche (0-0) – le Madérien a en effet effacé 237 minutes d’impuissance dans cet Euro grâce à un doublé. Une fois n’est pas coutume, le déclic est venu d’un geste altruiste : un service sur un plateau à son partenaire d’attaque, Nani (42e). Le joueur du Real Madrid a honoré sa 128e sélection et devient du même coup l’international portugais le plus capé de l’histoire, devançant Luis Figo. Avec ses septième et huitième buts, il s’empare seul, devant Nuno Gomes, du classement des meilleurs buteurs portugais lors d’un championnat d’Europe. Fort de soixante buts dans sa carrière sous le maillot de la Selecçao, il menait déjà le classement général, loin devant l’ancien Parisien Pauleta et ses 47 buts. Samedi 25 juin à Lens, Cristiano Ronaldo aura l’occasion d’égaler ou de battre Michel Platini, meilleur buteur de la compétition (neuf buts en une seule édition à l’Euro 1984). La tâche ne sera cependant pas aisée contre les Croa- tes, tombeurs de l’Espagne, double tenante du titre. « C’est 50-50. Nous avons vu le résumé du match. Ce n’est pas tous les jours que l’on bat l’Espagne. Nous avons beaucoup de respect pour les Croates mais nous connaissons nos forces, nous n’allons pas baisser la tête et nous nous battrons pour nous qualifier », a prévenu Ronaldo. Titulaire lors de la désillusion à domicile contre la Grèce (défaite 1-0) en finale de l’Euro 2004, traumatisé il y a quatre ans par l’élimination en demi-finales aux tirs au but contre l’Espagne, futur champion, « CR7 » n’a toujours rien gagné avec sa sélection. Triple Ballon d’or et recordman des buts en Ligue des champions (94), Cristiano Ronaldo échangerait peutêtre quelques-unes de ses performances individuelles contre un premier sacre sous le maillot portugais. A 31 ans, le temps presse. p anthony hernandez l est quelque avantage à être un petit pays, une nation de rien. Surtout dans le foot, ce passe-temps qui a la folie des grandeurs. Le statut de perdant désigné, d’Indien des stades, permet de s’éviter toute vanité superflue. Et de cultiver une rare vertu : l’autodérision. Cela a des avantages, au fond, ce rôle de faire-valoir. Promis à la déconvenue comme mouton à l’abattoir, le public ne sera jamais déçu par un revers. Nulle catastrophe, nul naufrage ne noircira leur soirée. Aucun lendemain qui déchante ne les guettera. Communion faite, score encaissé, ils rentreront chez eux avec la satisfaction du devoir accompli. Leur bière aura toujours le même goût. « Seule la victoire est belle », affirme un poncif. Du fond des classements, eux vous démontreront le contraire. Ils vous diront plutôt que tout est bon dans le football. Heureux losers. Ils ont la joie de vivre et la joie de perdre. À ces chanceux, un match ne peut réserver que de divines surprises. Un nul les ravit. Une victoire les transporte. Alors, une qualification, une simple qualification au tour suivant et c’est la pâmoison, tout un pays qui chavire. Les voilà qui se rêvent comme l’irénique Corée du Nord, quart-de-finaliste de la Coupe du monde 1966. Qui se prennent pour l’Irlande du Nord ou le Costa Rica, qui arrivèrent au même stade lors des Mondiaux 1982 ou 2014. Second degré L’Irlande du Nord, tiens, justement, parlons-en. Ils sont un cas d’école. Au fil des déroutes, l’équipe et son public ont développé un rare humour, dont chacun sait qu’elle est l’élégance du désespoir. « C’est la meilleure défaite que l’on pouvait espérer », a ainsi expliqué le sélectionneur après un court revers contre l’Allemagne, mardi. Leurs supporteurs sont aux antipodes des morgues française, allemande, italienne, espagnole, etc. Ils n’ont jamais eu l’occasion de chanter ces chants triomphaux qui vous gonflent inévitablement un ego. Eux font plutôt dans ce second degré qu’ils ont forgé dans le fond des classements. « Nous ne sommes pas le Brésil, nous sommes l’Irlande du Nord, mais c’est pareil », entonnentils régulièrement. Ils sont en train de populariser, bien au-delà des travées qui leur sont réservées, un autre de leurs hymnes. « Will Grigg’s on fire, your defence is terrified » (« Will Grigg est déchaîné, votre défense est terrifiée »). Il convient de préciser que le héros de cette chanson est un remplaçant de la sélection, modeste attaquant de Wigan, qui végète dans la quatrième division anglaise. Ils sont en train de faire de ce modeste joueur, de cet obscur avant, une des vedettes de l’Euro, l’alter ego dans les cœurs et les mémoires des milliardaires du ballon. Impayable revanche, superbe pied de nez d’un petit pays à la caste. Quelle belle, quelle éclatante victoire ! Mais voilà une nouvelle qui nous alarme au plus haut point. Des experts nous affirment aujourd’hui qu’il n’y a plus de petites équipes. Les qualifications de l’Islande, de la Slovaquie et de l’Irlande du Nord confirmeraient cette prémonition. Plus de perdants magnifiques ? Tremblons pour le foot ! p | 15 0123 VENDREDI 24 JUIN 2016 Daniele De Rossi, le légionnaire coup de fusil par la pègre locale : « Il faut honorer sa famille. » Bon soldat, De Rossi poursuit sa tâche sous l’autorité d’Antonio Conte, qui compte sur lui pour instruire les jeunes pousses. Il partage sa longue expérience des rencontres au sommet avec Gigi Buffon, 38 ans. Son entrée sur le terrain, signée d’un but de la tête, lors du dernier match de préparation de la Squadra Azzurra contre la Finlande, le 6 juin, a redonné de la confiance à ses coéquipiers avant d’entrer dans la compétition. A 32 ans, le milieu, pilier de la sélection italienne et de l’AS Roma, vit sa dernière compétition internationale. Lundi 27 juin, il sera essentiel face à l’Espagne en huitièmes de finale PORTRAIT rome - correspondant S ur la plage du Lido d’Ostie, au bout de la via Cristoforo Colombo qui sépare le centre de Rome de la mer, il y a un établissement balnéaire appelé le Sporting Beach. L’hiver, quand la température a découragé les baigneurs, des petits vieux viennent y taper le carton. A les regarder du coin de l’œil, à les écouter raconter toujours les mêmes histoires, à jouer parfois avec eux, il y a Daniele De Rossi, le pilier de l’AS Roma et des Azzurri. Normal, le bar appartient à sa famille. Normal, Daniele De Rossi habite à Ostie. Normal, il y est né. On voit par là que le milieu de terrain n’aime pas trop s’éloigner de chez lui. Même si Francesco Totti, de sept ans son aîné, a déjà battu le record LES DATES 24 JUILLET 1983 Naissance à Rome. 2001 Fait ses débuts professionnels à l’AS Roma. 2006 Est sacré champion du monde avec l’Italie. 2007 ET 2008 Remporte la Coupe d’Italie avec l’AS Roma. 2012 Finaliste de l’Euro avec la Squadra Azzurra, qui s’incline face à l’Espagne (4-0). 27 JUIN 2016 L’Italie affronte l’Espagne, double tenante du titre, en huitième de finale, au Stade de France. de longévité au sein du club de la louve (vingt-quatre ans), Daniele De Rossi, qui porte les couleurs rouge et or de l’AS Roma depuis seize ans, pourrait lui aussi avoir droit à une golden card pour récompenser sa fidélité – 521 matches sous le même maillot (contre 758 pour le « roi de Rome »). « Je n’ai qu’un seul regret, a-t-il dit un jour : celui de ne pouvoir offrir qu’une seule carrière à mon club. » Le genre de phrase qui va droit aux tripes des supporteurs. Tout comme son rival dans le cœur des tifosi de la capitale, cet Italien au visage de Viking n’a jamais voulu quitter les parages de la Ville éternelle, considérant avec sagesse qu’elle a tout ce qu’un homme peut désirer. En revanche, sa carrière avec la Nazionale est plus fournie que celle de Totti : 104 sélections et 18 buts (contre 58 présences et 9 réalisations pour « François 1er »). Les deux hommes se sont croisés pour la première fois sur la pelouse du Stadio Olimpico, il y a longtemps, lorsque Daniele était un simple ramasseur de balles et que Francesco les mettait au fond ; lorsque le premier courrait après le second pour lui réclamer un autographe. Ils ont soulevé ensemble, le 9 juillet 2006, une Coupe du monde à Berlin. Depuis, De Rossi poursuit sa route avec les Azzurri, vétéran d’une équipe dont il est depuis douze ans (première sélection le 4 septembre 2004 contre la Norvège, 1 but) le poumon et le cœur. Mercredi, le sélectionneur Antonio Conte l’a laissé au repos lors du match perdu (1-0) face à l’Irlande, une rencontre sans enjeu pour les Azzurri. Il sera en revanche bel et bien là, lundi 27 juin, lors du choc face à l’Espagne en huitièmes de finale. Un club en héritage Dans un entretien fleuve et passionnant accordé à nos confrères de So Foot, en mars 2014, Daniele De Rossi est longuement revenu sur sa carrière et, par-dessus tout, sa passion du football, inextricablement liée à celle qu’il nourrit pour sa ville et son équipe. Une passion romaine. Donc irraison- nable et mélodramatique. Presque un an avait passé depuis la défaite de l’AS Roma contre la Lazio de Rome, le 26 mai 2013, en finale de la Coupe d’Italie, mais le joueur s’en remettait à peine. « Les Romains savent qu’il s’agit d’une haine footballistique, une haine qui s’impose à toi lorsque tu choisis un des deux clubs – disons plutôt lorsqu’un des deux clubs t’est transmis en héritage par un de tes parents. » Mais le poids du destin peut aussi s’alléger : « C’est fascinant de vivre dans une ville où il y a deux clubs. Parfois, tu fais une mauvaise saison, tu termines huitième, mais si la Lazio finit dixième, c’est bon, tu peux respirer. » Avec la Nazionale, en revanche, il n’y a pas de prix de consolation. Pas d’équipe à détester pour se réjouir de ses malheurs. De Rossi est un champion du monde, génération 2006, même s’il a pris quatre matchs de suspension pour un coup de coude contre l’Américain McBride. Malgré ce passif, l’entraîneur Marcello Lippi lui maintient sa confiance. C’est lui qui marque le tir au but qui donne l’avantage à l’Italie après que David Trezeguet a frappé sur la barre le soir de la finale Italie-France, à Berlin. Il n’en fait pas une affaire : « Si tu me demandes de tirer un coup franc du milieu de terrain avec un bandeau sur les yeux, ce n’est pas dans mes cordes. Mais un penalty, je peux le marquer, et je l’ai marqué. » Simple, non ? Tout aussi simple, selon lui, que de dédier en 2008 un but à son ex-beau-père, un homme d’affaires plutôt louche assassiné d’un Groupe B Groupe C Groupe D France - Roumanie 11/6 Albanie - Suisse 15/6 Roumanie - Suisse 15/6 France - Albanie 2 - 0 16/6 Angleterre - P. de Galles 2 - 1 16/6 Allemagne - Pologne 0 - 0 17/6 19/6 Suisse - France 0 - 0 20/6 Slovaquie - Angleterre 0 - 0 21/6 0 - 1 21/6 Rép. tchèque - Turquie 3 I Albanie e 4 I Roumanie 3 points 1 point 0 - 2 14/6 Portugal - Islande 1-1 2 - 2 17/6 Italie - Suède 1 - 0 18/6 Islande - Hongrie 1-1 3 - 0 18/6 Belgique - Eire 3 - 0 18/6 Portugal - Autriche 0-0 0 - 2 22/6 Italie - Eire 0 - 1 22/6 Hongrie - Portugal 3-3 2 - 1 22/6 Suède - Belgique 0 - 1 22/6 Islande - Autriche 2-1 2 - 0 13/6 Espagne - Rép. tchèque 1 - 0 13/6 Russie - Slovaquie 1 - 2 16/6 Ukraine - Irl. du Nord 0 - 2 17/6 Rép. tchèque - Croatie (+ 3) 1er I Pays de Galles 6 points (+ 3) 1er I Allemagne 5 points Belgique - Italie 1 - 1 12/6 Allemagne - Ukraine 1er I France e 0-2 0 - 1 11/6 Angleterre - Russie 0 - 1 20/6 Russie - Pays de Galles 2 I Suisse Autriche - Hongrie 1 - 0 12/6 Ukraine - Pologne e (+ 1) 2 I Angleterre e (– 2) 3 I Slovaquie e (– 2) 4 I Russie 0 - 3 21/6 Irl. du Nord - Allem. e 5 points (+ 1) 2 I Pologne 4 points 1 point 0 - 1 21/6 Espagne - Turquie Croatie - Espagne 7 points (+ 3) 1er I Croatie e 7 points (+ 2) 2 I Espagne e e e e (0) 3 I Irlande du Nord 3 points (0) 3 I Turquie (– 4) 4 I Ukraine Groupe F 1 - 1 14/6 2 - 1 12/6 Pologne - Irl. du Nord 1 - 1 15/6 Turquie - Croatie en gras : les équipes qualifiées Eire - Suède 2 - 1 11/6 P. de Galles - Slovaquie 19/6 Roumanie - Albanie 7 points DANIELE DE ROSSI milieu de l’AS Roma Groupe E 10/6 e « Je n’ai qu’un regret. Celui de ne pouvoir offrir qu’une seule carrière à mon club » Le chiffre entre parenthèses indique la différence de buts (goal average) RÉSULTATS ET CLASSEMENTS (au 23 juin 2016) Groupe A Tournée d’adieu Mais cet Euro a pour le milieu de terrain les allures d’une tournée d’adieu. Ensuite ? Ensuite, il lui restera l’AS Roma, le seul club qu’il ait connu mis à part celui d’Ostia Mare, à ses débuts. Il sait que Rome lui réserve une part de son éternité. « Dans ce sport, disait-il encore à So Foot, il y a beaucoup de choses qui ne me plaisent pas. Mais je suis sûr que lorsque je ne serai plus dans ce monde-là, il me manquera tellement que je voudrais y revenir. En tant qu’entraîneur, dirigeant, je ne sais pas encore. » Rien ne presse. Après tout, Totti ne vient-il pas de négocier une année de contrat supplémentaire pour services rendus ? Rome, unique port d’attache ? Le lido d’Ostie pour seul horizon ? Tout le reste lui semble indifférent. Il n’a jamais voté, avoue-t-il. On lui prête des sympathies envers l’extrême droite. Il balaye : « Au lycée, quand il y avait des grèves organisées par les communistes ou les fascistes, je faisais partie de ceux qui en profitaient pour dormir plus longtemps. » Pourtant, il se félicite de l’élection de Virginia Raggi (du Mouvement 5 étoiles) à la mairie de Rome. Une fois, De Rossi a quitté son bord de mer pour s’installer au cœur du centre historique, à Campo dei Fiori : « Le matin, quand il y a le marché sur la place, on voit la vraie Rome sortir de terre. Des familles qui travaillent à leur étalage depuis des siècles, qui sont de Rome depuis des siècles, qui y habitent depuis des siècles. Ces gens ont pris soin de moi. Notamment les soirs de défaites. Je suis devenu l’un des leurs, un mec du quartier, rien de plus. » Mais finalement il est retourné à Ostie. Une autre fois, il a failli signer à Manchester United. Il s’en est fallu de quelques jours. Les Anglais ont traîné à donner leur réponse ; de son côté, l’entraîneur français Rudi Garcia est arrivé à l’AS Roma et a trouvé les mots pour le retenir. « J’aurais adoré jouer à l’étranger, dit-il encore. Voyager, découvrir d’autres villes, apprendre d’autres langues. Mais beaucoup de joueurs auraient voulu avoir ce que j’ai sans bouger de chez moi, avec mes copains, mes parents, à la maison. » Sans oublier les petits vieux du Sporting Beach. p philippe ridet 0 - 1 13/6 7 points (+ 2) 1er I Italie e 6 points (+ 3) 2 I Belgique e 3 point (– 2) 3 I Eire e 0 point (– 5) 4 I Rép. tchèque 1 point (– 3) 4 I Suède 6 points 6 points 4 point 1 point (+ 2) 1er I Hongrie 5 points (+ 2) e 5 points (+ 1) e 3 points (0) e 1 point (+ 2) 2 I Islande (– 2) 3 I Portugal (– 2) 4 I Autriche (– 3) 16 | 0123 VENDREDI 24 JUIN 2016 Pendant ce temps-là... olivier touron/divergence pour « le monde » Lille, mercredi 22 juin, 17 h 16. Le supporteur irlandais est décidément extraordinaire. Il savait que son équipe, celle de la République, pas du Nord, allait terrasser l’Italie dans les ultimes minutes de la dernière rencontre des matchs de poules à Lille. Il se doutait que la Green Army allait retrouver le pays hôte pour une revanche du match qui avait privé le peuple vert du Mondial 2010. Alors le supporteur irlandais est allé au Musée des beaux-arts de la capitale des Flandres, où trône un vase gigantesque qui ressemble étrangement au trophée qui sera remis aux champions d’Europe, dimanche 10 juillet. Les bizuts reçus quatre sur cinq FOOT BALL Le Chili de nouveau opposé à l’Argentine en finale de la Copa America Le Pays de Galles, l’Islande, l’Irlande du Nord et la Slovaquie sont en huitièmes. Seule l’Albanie est sortie L’équipe du Chili a battu (2-0) la Colombie, mercredi 22 juin, à Chicago (Etats-Unis), en demi-finale de la Copa America. Comme en 2015, la Roja a rendez-vous avec l’Argentine en finale, dimanche 26 juin. L’occasion pour l’Albiceleste, qui s’était inclinée aux tirs au but, de prendre sa revanche. CYC LISME lille - envoyé spécial I ls avaient parfois été présentés, un peu trop vite, comme de futures victimes expiatoires. Une touche folklorique, pas vraiment crédible, de cette compétition désormais élargie à vingt-quatre sélections. Et pourtant, à l’issue de la phase de groupes, ils ont été reçus quatre sur cinq. Après deux semaines de matchs, les bizuts de cet Euro – Albanie, Pays de Galles, Islande, Irlande du Nord et Slovaquie – ont déjà marqué de leur empreinte le tournoi. Non pas en accumulant les fessées, ni en abaissant le niveau d’une compétition qui, certes, ne plane pas pour l’instant à de hautes altitudes. Bien au contraire, en prouvant sur le terrain qu’ils avaient leur place. Et en offrant, par le biais de leurs supporteurs, une ferveur particulière. Meilleure attaque En ce mois de juin se vérifie ainsi l’un des poncifs du football : il n’y a plus de petites équipes. Le Pays de Galles, l’Irlande du Nord, la Slovaquie et l’Islande ont validé leur ticket pour les huitièmes de finale, pour certains grâce aux largesses du tamis, avec seize sélections retenues sur vingt-quatre. L’Albanie, arrivée troisième du groupe A après sa victoire face à la Roumanie (1-0), a pu y croire pendant plusieurs jours, en attendant les résultats des autres équipes. Mais la sélection du capitaine Lorik Cana ne fait finalement pas partie des quatre « meilleurs troisièmes ». Si l’heure des vacances a sonné pour les joueurs de Gianni De Biasi, ils auront néanmoins respecté la déclaration de leur sélectionneur avant le début de la compétition : « Nous ne sommes pas là en touristes. » Lors des deux premières semaines de l’Euro, de « touristes » il n’y eut pas parmi ces « petites » nations. La plus grosse performance revient sans conteste au Pays de Galles. Au terme des matchs de poules, les Dragons possèdent « Sur le plan géographique, on est un petit pays, mais, avec les encouragements des supporteurs, on est un continent » CHRIS COLEMAN sélectionneur du Pays de Galles dans leur rang l’actuel comeilleur buteur de la compétition (Gareth Bale, trois réalisations), et la meilleure attaque du tournoi (six buts, comme la Hongrie), rien de moins. Avec deux victoires et une défaite in extremis face aux Anglais, les Gallois ont terminé premiers du groupe B devant l’Angleterre, la Slovaquie et la Russie, eux qui n’avaient plus participé à la phase finale d’une grande compétition internationale depuis la Coupe du monde 1958. Pas aussi solides défensivement que l’on pouvait s’y attendre, les coéquipiers de Gareth Bale ont montré plus de qualités offensives qu’on ne leur en prêtait à la vue des éliminatoires, prouvant qu’outre leur star du Real Madrid ils peuvent s’appuyer sur deux milieux très talentueux, Aaron Ramsey et Joe Allen. Ils affronteront l’Irlande du Nord, samedi 25 juin au Parc des Princes. Il y aura donc au moins un bizut en quarts. Les autres novices ont connu des parcours plus compliqués que les Gallois, à l’image de la Slovaquie, arc-boutée sur son but lors des fins de match contre la Russie (2-1) puis l’Angleterre (0-0). La Narodni Tym n’a dû sa qualification qu’aux éclairs de son génial milieu, Marek Hamsik, buteur et passeur décisif face à la Russie. L’Islande, remarquable d’abnégation, est allée arracher une victoire dans les dernières secondes de son dernier match de groupe, face à l’Autriche (2-1), alors même qu’un nul lui assurait déjà une qualification parmi les meilleurs troisièmes. Avec deux nuls et une victoire, la sélection nordique termine deuxième derrière la Hongrie, mais devant le Portugal de Cristiano Ronaldo, qu’elle avait réussi à tenir en échec. Pour certains débutants, peu importait la façon de se qualifier, pourvu qu’ils aient l’ivresse. « C’est la meilleure défaite que l’on pouvait espérer », commenta ainsi le sélectionneur nord-irlandais, Michael O’Neill, après avoir été battu (1-0), mercredi 22 juin, par les champions du monde allemands lors de la dernière rencontre du groupe C. Dans le Parc des Princes, les fans de la Green and White Army, fous de joie, ne semblaient pas penser autre chose. Peut-être parce qu’ils n’ont pas l’habitude d’aller soutenir leur sélection lors de phases finales, les supporteurs des bizuts se sont fait remarquer par leur enthousiasme. A l’image de ces Islandais venus à plus de 20 000 en France, pour un pays recensant quelque 300 000 habitants, ou des Albanais et leur « plisat », chapeau traditionnel au style si particulier, ils ont rythmé la compétition de leurs chants et effacé progressivement les images des hooligans russes à Marseille. « Sur le plan géographique, on est un petit pays, mais avec les encouragements des supporteurs, on est un continent », a résumé le sélectionneur gallois, Chris Coleman. Dans les esprits des supporteurs comme des joueurs, un exemple historique revient souvent : celui de la Grèce, championne d’Europe 2004 après avoir déjoué tous les pronostics. Il est peu probable qu’un tel exploit se reproduise mais les bizuts, eux, sont déjà entrés dans l’histoire de leur pays. « On va peut-être changer le jour de notre fête nationale ! », plaisante Heimir Hallgrimsson, le cosélectionneur de l’Islande. Il n’a pas encore fixé la date. p yann bouchez Cancellara, champion de Suisse du contre-la-montre pour la dixième fois Fabian Cancellara (Trek) est devenu, mercredi 22 juin, à 35 ans et pour sa dernière saison professionnelle, champion de Suisse du contre-la-montre pour la dixième fois. Il a parcouru les 41 km en 53 minutes et 12 secondes. D OPAGE Les haltérophiles russes menacés d’être exclus des JO de Rio Les haltérophiles russes sont sous la menace d’être exclus des JO de Rio, a annoncé, mercredi 22 juin, la Fédération internationale d’haltérophilie (IWF) après de nouveaux cas de dopage révélés par des analyses d’échantillons des JO de 2008 et 2012. Cette décision, qui concerne aussi le Kazakhstan et la Biélorussie, doit toutefois être avalisée par le CIO, a ajouté l’IWF. VOILE Erwan Tabarly remporte la première étape de la Solitaire du Figaro Erwan Tabarly (Armor Lux) a remporté, mercredi 22 juin, la première étape de la Solitaire du Figaro, franchissant la ligne d’arrivée située dans l’ouest de l’île de Wight, devant Yoann Richomme (Skipper Macif 2014) et Charlie Dalin (Skipper Macif 2015). Le neveu d’Eric Tabarly a franchi la ligne d’arrivée à 22 h 27, heure française, après 3 jours, 9 heures et 25 minutes de course. Le « Brexit » se joue aussi sur les terrains de foot Même les joueurs anglais sont divisés quant à leur avenir européen londres – correspondance P as de « Brexit » dans l’Euro 2016. Pas moins de trois équipes britanniques seront présentes en huitièmes de finale : l’Angleterre, le Pays de Galles et l’Irlande du Nord. Ces deux dernières joueront même l’une contre l’autre, ce qui garantit une présence British en quarts de finale (tandis que l’Angleterre affrontera l’Islande). On ne se débarrasse pas si facilement de nos voisins… On aurait d’ailleurs tort de se moquer de l’influence du football sur le référendum du RoyaumeUni pour rester ou sortir de l’Union européenne qui a lieu jeudi 23 juin. Un très sérieux sondage de l’institut BMG Research pour le quotidien Evening Standard, réalisé avant le match Angleterre-Slovaquie, indiquait qu’un bon parcours anglais dans le tournoi allait renforcer le camp du « Remain ». Pour être précis, ils étaient 22 % à penser que l’atmosphère festive que cela provoquerait serait propice pour convaincre les gens de rester dans l’UE. Ceux qui pensent l’inverse sont moitié moins. On a vu du côté de la Commission européenne quelques cheveux blanchir quand l’Angleterre a été tenue en échec contre la Slovaquie, lors d’un match bien médiocre… Pas sûr cependant que les hooligans anglais soient d’accord avec cette vision ouverte sur l’UE. A Lille, avant le match contre le Pays de Galles, une poignée d’entre eux chantaient avec ferveur et poésie : « We’re all voting out/ We’re all voting out/Fuck off Europe/We’re all voting out. » Ce qui se passe de traduction. Preuve de l’importance du football en politique, les deux camps du référendum se battent pour obtenir des soutiens de joueurs. Aucun de ceux actuellement dans l’Euro 2016 ne s’est prononcé. En revanche, mardi 21 juin, la campagne « Britain Stronger in Europe » a envoyé un communiqué triomphal : « David Beckham soutient “Remain”. » Les chargés de presse lui font dire une phrase qu’on ne l’imagine pas très bien prononcer : « Nous vivons dans un monde vibrant et connecté où, ensemble, nous sommes forts ; pour nos enfants et leurs enfants, nous devons faire face aux problèmes du monde ensemble et pas seuls. » L’icône tatouée ajoute aussi des arguments qui toucheront plus directement les fans du ballon rond. Il rappelle que son ancien club, Manchester United, n’aurait pas été aussi fort sans le gardien danois Peter Schmeichel ou la technique d’un Eric Cantona. « J’ai aussi eu le privilège de jouer à Madrid, Milan et Paris avec des coéquipiers de toute l’Europe et du monde entier. » « Contrôle du jeu » Les partisans du « Brexit » aussi ont tenté d’obtenir des soutiens du côté du football. Ils pensaient avoir trouvé avec John Barnes, un ancien ailier gauche des années 1980, qui compte 79 sélections en équipe d’Angleterre. Michael Gove, l’un des principaux leaders de la campagne du « Leave », s’est publiquement honoré de son soutien… jusqu’à ce qu’on entende les démentis furieux de M. Barnes. Sol Campbell, 73 sélections en équipe nationale, s’est en revanche officiellement rangé derrière le « Brexit ». Selon lui, il y a trop de joueurs étrangers en Premier League, si bien que les Anglais n’ont pas l’opportunité de se mettre en valeur. « Nous devons reprendre le contrôle du jeu que nous aimons », explique-t-il. Selon lui, c’est la seule façon de renforcer l’équipe d’Angleterre. Ce point de vue semble pourtant bien minoritaire dans le milieu du football. Chacune des 20 équipes de Premier League s’est déclarée en faveur du « Remain ». Ces clubs dépendent très fortement des joueurs étrangers. Les Européens n’ont pas besoin de demande de visa. Pour les autres, en revanche, les règles sont dures : seuls les joueurs sélectionnés dans leur équipe nationale, au moins de temps en temps, peuvent obtenir un permis de travail automatique (des dérogations sont possibles). Sur cette base, de nombreux joueurs français qui évoluent actuellement en Premier League n’auraient pas pu être recrutés. p éric albert enquête | 17 0123 VENDREDI 24 JUIN 2016 L’Europe divise les PME britanniques Qui est «in» ? Qui est « out » ? 4|4 La crainte de perdre l’accès au marché européen retient certains petits patrons. Mais la tentation du « Brexit » n’est jamais loin, pour se libérer du « carcan » de Bruxelles, jugé plus favorable aux grands groupes imon Boyd adore l’Europe. Le vin français est sa boisson préférée et le moteur de sa Land Rover est allemand, comme les machinesoutils qu’il choisit pour REIDsteel, la société de construction métallique dont il est le directeur général. Mais il suffit de prononcer devant lui le mot « Union européenne » pour déclencher d’intarissables flots de bile. « Sincèrement, le marché unique est un désastre, attaque-t-il. C’est un carcan qui empêche de faire des affaires dans le reste du monde. » Le patron de cette entreprise familiale de 130 salariés installée à Christchurch, non loin de Bournemouth, dans le sud de l’Angleterre, l’assure : il n’a rien contre ses « voisins et amis européens ». Le problème, articule-t-il, c’est Bruxelles et ses « bureaucrates non élus qui ne paient pas d’impôts mais savent mieux que nous comment nous devons travailler ». Dans le couloir menant à son bureau, des photos présentent fièrement quelques réalisations de REIDsteel, société ironiquement fondée en France en 1919 : un pont au Népal, un hangar aéronautique à l’île Maurice, les tribunes du stade d’Aston Villa en Angleterre. Mais rien dans le reste de l’Union européenne. « Nous exportons dans 140 pays : en Mongolie comme à Madagascar et cela représente 80 % de notre activité, mais pas en Europe. C’est complètement fou ! », s’exclame le chef d’entreprise au solide accent écossais. Chinois et voit l’UE comme une sorte de machination des multinationales contre les PME. « Les grosses entreprises adorent l’UE, explique-t-il, car elles ont les moyens de faire du lobbying pour façonner les règles au mieux de leurs intérêts, mais au détriment des PME. Celles-ci sont bien intégrées localement et ne peuvent pas se permettre de se délocaliser pour ajuster leurs coûts salariaux ou fiscaux. » Pour le directeur général, le « Brexit » relève même de l’urgence. Il craint que le Royaume-Uni, marginalisé par l’avancée de l’intégration de la zone euro – « une gigantesque erreur » –, soit mis hors jeu tout en restant soumis aux réglementations qu’il abhorre. Les dirigeants de REIDsteel sont allés jusqu’à transformer les ateliers de Christchurch en salle de meeting pour Boris Johnson, leader de la campagne pro-« Brexit ». Le 14 mai, devant les ouvriers médusés, l’ex-maire de Londres a enfilé un gilet fluo, revêtu un masque qui lui a donné l’air d’un extraterrestre, brandi une disqueuse et fait mine d’attaquer l’immense panneau où était inscrit l’un de ses slogans fétiche : « 350 millions de livres par semaine ! », soit le coût, très contesté, de la contribution britannique au budget européen qu’il se fait fort de « rapatrier ». Les médias ont adoré la photo. Dénonçant le blocage du marché français, il a promis un avenir radieux pour l’après-« Brexit » : « Nous pourrons signer des accords avec des économies en croissance dans le monde entier, des accords que l’UE a été incapable de passer à cause des forces protectionnistes européennes. Libérés des chaînes de Bruxelles, nous pourrons créer des centaines de milliers de nouveaux emplois dans notre pays ! » PROTECTIONNISME UN SELFIE AVEC BORIS JOHNSON Assis devant sa table à dessiner où prend forme une charpente d’acier, Rollo Reid, directeur technique, précise dans un français impeccable : « On nous dit qu’il existe un marché commun, mais ce n’est pas vrai. Chaque pays érige des obstacles administratifs à des fins protectionnistes. Ainsi, nous ne pouvons pas exporter en France, car on y exige une assurance décennale que nous ne pouvons pas souscrire, car nous ne sommes pas une société française. Au total, nous sommes soumis à des réglementations tatillonnes qui augmentent nos prix et compromettent notre compétitivité. » Boulet à l’échelle du continent européen, l’UE est aussi, pour Rollo Reid, une entrave à la signature d’accords commerciaux avec le reste du monde. Tranché, son credo sonne comme une condamnation définitive : « La globalisation a rendu le projet européen obsolète. » On s’en doute, les dirigeants de REIDsteel voteront en faveur du « Brexit » lors du référendum du jeudi 23 juin. Après le divorce, pensent-ils, le Royaume-Uni pourra enfin s’élancer sans entraves à la conquête des marchés mondiaux. Simon Boyd, qui est aussi responsable régional de Business for Britain, une association patronale pro-« Brexit », a longtemps représenté l’industrie métallurgique britannique à Bruxelles. Il a bataillé contre la directive sur le temps de travail, contre le dumping des Les selfies pris par les salariés avec « Boris » trônent toujours sur un panneau, au milieu de l’atelier. « Ça a été un grand événement », commente Simon Boyd, qui assure que « les ouvriers n’étaient pas obligés d’y assister » mais qu’ils ont été « ravis d’avoir la chance de poser des questions à Boris ». La rupture avec un marché de 500 millions d’habitants n’effraie-t-elle personne chez REIDsteel ? « Vous savez, rassure Simon Boyd, le “Brexit”, ce n’est pas la fin du monde. » Quant aux droits de douane, il n’y croit pas, car, dit-il, les continentaux, largement bénéficiaires dans les échanges avec le Royaume-Uni, n’ont pas intérêt à ériger des barrières. « Je ne pense pas, dit-il, que vous allez arrêter de nous vendre du vin ni empêcher les Britanniques d’aller en vacances en France. » Et quand on lui demande pourquoi le monde économique britannique est largement anti-« Brexit », le patron de REIDsteel dégaine à nouveau l’argument des « gros » « qui sont pro-EU, car ils savent la tourner à leur avantage ». A Birmingham, deuxième ville d’Angleterre, à 200 km au nord à vol d’oiseau, Jason Wouhra ne comprend rien à ces arguments eurosceptiques. « Exporter en Espagne ou dans le reste de l’Europe est aussi simple que de vendre des produits à Londres, explique le patron d’East End Foods, dans son immense hangar de 120 000 mètres carrés où planent de délicieuses odeurs d’épices. Il n’y a aucune éric albert et philippe bernard christchurch, birmingham (royaume-uni) envoyés spéciaux S ISABELLE ESPANOL 200 km complication administrative. Les frontières n’existent pratiquement pas. » Aberdeen Cette opinion proeuropéenne domine très largement dans la communauté d’affaires. Tous les sondages le montrent : 80 % des adhérents du CBI (Confederation of British InROYAUMEUNI dustries), le principal groupe patronal britanBirmingham nique, souhaitent rester dans l’UE. Les membres des chambres de commerce britanniques, qui regroupent des entreprises de plus Londres petite taille, sont pourtant plus divisés – 54 % pour rester, 37 % pour sortir –, mais ils restent BEL en majorité opposés au « Brexit ». East End Foods est une « success story » de l’agroalimentaire britannique. Créée par cinq frères immigrés d’Inde au Royaume-Uni il y a quarante-cinq ans, la petite épicerie de quartier est devenue une grosse entreprise familiale de 400 employés, avec un chiffre d’affaires de 200 millions de livres (250 millions d’euros). Elle fournit en produits de base des milliers d’épiceries du Royaume-Uni et fabrique sa propre marque d’ingrédients indiens : curcuma, coriandre, lentilles… Progressivement, grâce au bouche-à-oreille, les exportations ont commencé. Aujourd’hui, elles représentent 20 % du chiffre d’affaires, presque entièrement dans l’UE – Espagne, Italie et Scandinavie en tête. « LE “BREXIT” N’EST PAS LA FIN DU MONDE. LES FRANÇAIS NE VONT PAS ARRÊTER DE NOUS VENDRE DU VIN, NI LES BRITANNIQUES D’ALLER EN VACANCES EN FRANCE » SIMON BOYD directeur général de REIDsteel 500 MILLIONS DE CONSOMMATEURS « On exporte un peu au Moyen-Orient, mais c’est vraiment compliqué. Je suis obligé de refaire toutes les étiquettes, parce que la réglementation est différente. Imaginez ce que cela représente : si j’envoie cent caisses, chacune avec vingt paquets à l’intérieur, cela en fait des étiquettes… » Jason Wouhra, 38 ans, fils de l’un des fondateurs, n’a pas ce souci avec l’UE et regarde avec ambition ces marchés qui ressemblent à ceux du Royaume-Uni. « L’Espagne connaît les mêmes tendances démographiques qu’ici, avec une population qui prend de plus en plus goût aux épices. » Turban noir sikh sur la tête, collier de barbe soigné, le jeune chef d’entreprise voit maintenant plus loin et rêve de faire d’East Ends « une marque internationale respectée ». Dans cette optique, le marché unique et ses 500 millions de consommateurs représentent sa priorité. « C’est notre principale cible. » Outre l’absence de droits de douane et la réglementation centralisée, l’UE lui permet aussi de déposer sa marque en un lieu unique, ce qui réduit la paperasserie et le coût. « En comparaison, aux Emirats arabes unis, où j’ai exporté, il faut faire une demande pour sa marque dans chaque émirat. Cela coûte à chaque fois 2 000 livres, pour chaque catégorie de produit. Et j’en ai enregistré une quinzaine… » Jason Wouhra n’est pas naïf. Il ne considère pas l’Union européenne comme parfaite, loin de là. Certaines réglementations alimentaires l’agacent au plus haut point. Il reconnaît aussi que ses exportations vers l’Europe continueraient, même en cas de « Brexit ». « On s’adapterait. Mais cela rendrait les choses un peu plus compliquées et forcément un peu plus chères. Et, franchement, pourquoi prendre le risque ? L’économie britannique reste fragile et on n’a pas besoin de cela. » Les arguments sont connus. L’UE représente 45 % des exportations britanniques. Une sortie de la construction européenne obligerait à renégocier l’accès au marché unique, probablement dans des conditions plus difficiles. Le temps de ces discussions, de nombreuses entreprises pourraient repousser leurs investissements, en attendant d’y voir plus clair. Dans ces conditions, les économistes sont pratiquement unanimes : un « Brexit » affaiblirait la croissance britannique, au moins à court terme. Seule l’ampleur de l’impact fait débat. Mais, face aux avertissements du FMI, de l’OCDE, du Trésor britannique ou encore de la Banque d’Angleterre, le camp du « Brexit » a su habilement manier la division au sein des entreprises pour trouver des figures emblématiques favorables à la sortie de l’Union européenne . C’est le cas de la marque d’électroménager Dyson, du fabricant d’engins de construction JCB ou de la chaîne de pubs Wetherspoon. De quoi inquiéter des patrons comme Jason Wouhra. Si lui et sa femme, qui travaille elle aussi dans l’entreprise, sont persuadés des bienfaits de l’UE, ils sont bien obligés de constater qu’il n’y a pas unanimité chez leurs employés, ou dans les petites épiceries qu’ils fournissent. « Les arguments sont pourtant clairs », soupire le chef d’entreprise. p 18 | CULTURE 0123 VENDREDI 24 JUIN 2016 CINÉMA Sur le fumier de Manille, une rose venimeuse « Insiang », du Philippin Lino Brocka, qui dénonce les conséquences dramatiques de la surpopulation, ressort en salles L REPRISE a sortie d’une version d’Insiang (1976) restaurée par la Cineteca de Bologne est un événement qui permet enfin aux nouvelles générations de découvrir le travail du grand Lino Brocka, cinéaste essentiel dont l’œuvre est restée indisponible pendant près de trente ans. Lino Brocka, né en 1939, mortellement fauché à 52 ans par une voiture, fut une étoile filante du théâtre et du cinéma philippins, et l’un de leurs principaux héros, en ceci qu’il s’est opposé courageusement, à travers ses œuvres, à la loi martiale de Ferdinand Marcos. Premier cinéaste de l’archipel à atteindre une envergure internationale par sa présence, dès 1978, au Festival de Cannes (fait d’armes du grand découvreur Pierre Rissient), Brocka était pris d’une fièvre intarissable de création : au terme de vingt ans de carrière, sa filmographie avoisinait les soixante titres (soit en moyenne trois films par an). Il a fait partie d’une génération de rénovateurs du cinéma philippin, ayant su conquérir leur indépendance à l’intérieur d’une économie de genres solidement constituée. Loin de chercher à s’en distinguer, Brocka œuvra selon les codes du ci- néma populaire, dont il sut convertir la force émotionnelle en puissant levier de contestation politique. Insiang, l’un de ses films les plus célèbres, se présente donc comme un mélodrame, dont la structure tragique et les torsions sadiques sont vouées à dénoncer en contrepoint la surpopulation de grandes métropoles comme Manille, où se déroule l’action, et la promiscuité des bidonvilles condamnant leurs habitants à s’entre-dévorer. Le film s’ouvre comme un coup de tonnerre, en plein cœur d’un abattoir où travaille l’un des protagonistes : on assiste, dans un raffut de tous les diables, à l’exécution des porcs, puis au circuit industriel glaçant par lequel transitent leurs carcasses – pendues, ébouillantées, pelées, concassées, etc. L’attaque, particulièrement brutale, fonctionne moins comme une métaphore convenue de la condition des sousprolétaires (le « système » broyant les pauvres) que comme une façon franche de dessiller le regard du spectateur, de lui signifier par une note stridente que le drame auquel il assiste le concerne bien au-delà des apparences – pas de tiers-mondisme folklorique ici-bas. Insiang, c’est le prénom de l’héroïne, est une jeune blanchisseuse (inoubliable et « Insiang » (1976), de Lino Brocka. THE FILM FOUNDATION/THE FILM DEVELOPMENT COUNCIL OF THE PHILIPPINES Tourné en onze jours seulement, le film affiche une mise en scène « à l’os » merveilleuse Hilda Koronel) qui sillonne le bidonville pour livrer le linge à domicile. On la découvre marchant, beauté étincelante, à travers les ruelles sombres, les baraquements sommaires, la crasse, les amoncellements de détritus où s’amusent les gamins du quartier. Sur son visage, une retenue, une mélancolie insondable. Insiang vit chez sa mère, poissonnière irascible qui veille comme un dragon sur sa virginité, dans un cabanon où s’entasse aussi toute une bellefamille venue de la campagne. La mégère renvoie bientôt ce petit monde, livré au chômage et à l’alcoolisme, pour accueillir son amoureux, Dado, un voyou qui joue les gigolos avec elle, mais se rabat très vite sur la jeune fille. Celle-ci voudrait s’enfuir avec son petit ami, Bebot, garagiste trop désinvolte pour avoir le romantisme de l’enlever et qui n’attend, lui aussi, que le bon moment pour Du Mexique à l’Italie, le « mélo » fait pleurer le monde ANALYSE ce que l’on appelle mélodrame est devenu une des grandes catégories de l’histoire du cinéma. Conçu comme une manière de provoquer l’émotion du spectateur, le mélo est un genre à part entière, considéré dans les grandes cinématographies industrielles comme un moyen d’attirer un public particulier, plus précisément féminin, au terme d’une stratégie de « marketing » que la composition oligopolistique des grandes structures de production a toujours favorisé. Le mélodrame repose sur des ressorts psychologiques et émotionnels particuliers, parfois de purs réflexes pavloviens, provoquant chez le spectateur, dans le déchirement de ses récits, une forme de « plaisir dans le déplaisir ». Les thèmes de l’amour empêché ou contrarié y induisent ceux du sacrifice. Le cinéaste italien Riccardo Freda, auteur de quelques fleurons du genre, y voyait une manière très facile d’attirer le public. « Vous séparez une mère de son enfant et ça marche toujours », dira-t-il. Le mélodrame aura été une manière, pour le cinéma, de trivialiser la tragédie. Hollywood en produisit beaucoup, certains regroupés sous l’appellation générique de « women’s pictures ». Longtemps, et parfois à tort, on a considéré ces films comme une manière de fiction aliénante, qui maintiendrait ses héroïnes souffrantes dans un état de soumission et de résignation masochiste. Certains cinéastes, comme John Stahl, King Vidor ou Douglas Sirk, ont inversé cette idéologie, dénonçant une aliénation qui serait le produit de la société elle-même. Tradition catholique L’Italie sera aussi un des grands producteurs de mélodrames, le genre s’épanouissant aprèsguerre sous la forme de ce qu’on a appelé le « mélo catholique ». La dénonciation sociale y est parfois délaissée au profit d’un lyrisme quasiment opératique, élevant les sentiments jusqu’au sublime dans les films d’un Vittorio Cottafavi et surtout d’un Raffaello Matarazzo. Au Mexique, autre cinématographie profondément empreinte d’une tradition catholique, c’est la dimension sexuelle qui prévaudra notamment dans les films d’un Roberto Gavaldon. Elle constituera un terreau favorable à la perversité buñuélienne (Tourments, Susana la perverse, etc.). Le Japon de son côté offrait la cruauté des chefs-d’œuvre d’un Mizoguchi, poignante évocation du sort des femmes. Le mélodrame aura ainsi exemplairement illustré un état d’esprit national, si bien représenté par l’évolution spécifique du genre dans le cinéma français, de l’adhésion à la méfiance un peu cynique puis à la distanciation moderne. p jean-françois rauger culture | 19 0123 VENDREDI 24 JUIN 2016 La tournée de l’après-René Céline Dion donne à Paris neuf concerts teintés d’émotion endeuillée CHANSON anvers (belgique) Aux larmes citoyens A La Cinémathèque, un cycle célèbre les « mélos » français L coucher. Tiraillée entre un intérieur et un extérieur qui l’emprisonnent tout autant, cernée par le désir féroce d’hommes désœuvrés, Insiang est une figure tragique, c’est-à-dire piégée (elle ne peut littéralement pas sortir), et doit trouver au sein même de la violence qu’on lui fait, des étreintes qui l’emportent, une arme à retourner contre sa condition. Tourné en onze jours seulement, dans un geste fou de rage et de détermination, Insiang affiche une mise en scène « à l’os », qui ne dévie pas d’un poil de l’action ni du sujet, suivant simplement, mais avec une grande assurance, les élans et les stations successives de ses personnages, comme autant de configurations de désir et de domination mêlés. e nouveau cycle qui s’est ouvert à La Cinémathèque française ne pouvait mieux s’accorder à l’atmosphère actuelle. En cinquante films, « le mélodrame français » nous offre la promesse de se réchauffer, à la douceur de nos larmes, devant des histoires de passions sacrifiées sur l’autel des conventions sociales, d’amours empêchées, de sentiments exacerbés par la violence de l’histoire ou la fatalité… Intriguant, tant le cinéma français, dominé par une tradition naturaliste, a toujours entretenu un rapport un peu contrarié aux genres en général, et à celui-ci en particulier, cet intitulé est le prétexte à une relecture anamorphosée de son histoire, depuis l’époque, très faste pour le mélo, du muet jusqu’à ses maîtres contemporains que sont Paul Vecchiali ou Jean-Claude Brisseau. Entre ces deux moments, le mélodrame n’aura cessé de hanter l’imaginaire en empruntant des formes et des motifs différents. Les années 1930 auront ainsi été marquées par les films de Marcel Pagnol et de Jean Grémillon ; la guerre par les « mélos pétainistes » (de Jean Stelli notamment) et des chefs-d’œuvre comme Donne-moi tes yeux, de Sacha Guitry, et Vénus aveugle, d’Abel Gance ; l’après-guerre par une niche mélodramatique de films dits « de prostitution », alors que le cinéma désabusé de « la qualité française » se défiait des effusions sentimentales ; la Nouvelle Vague et la modernité qui en est issue étaient moins compatibles encore avec le premier degré requis par le mélodrame, mais n’ont pas empêché certains cinéastes de s’en emparer comme d’un matériau quasi expérimental (Godard, Resnais), ou de retrouver, en renouant avec les formes classiques, le chemin de l’émotion pure. Triangulation perverse Le film supplante magistralement le misérabilisme par la vigueur de son exploration sociale, rebondissant de personnage en personnage, à travers un portrait proliférant du bidonville, de ses figures, de ses lieux stratégiques (échoppes, cinémas, salles de jeu, etc). A mi-parcours, il se replie sur la triangulation perverse s’établissant entre la mère, sa fille et le « beau-père » qu’elles se partagent, jusqu’à révéler qu’il n’existe làdedans ni victime ni bourreau, mais un sac de frustrations et de pulsions ingérables, car exténuées par la claustration de l’environnement. Le plus frappant, c’est l’usage que Brocka fait de la couleur, par la vivacité polychrome des vêtements perçant la grisaille des faubourgs, ou la virulence maladive de certains éclairages, témoins d’une profonde fermentation du désir (les dominantes rouge ou glauque dans ces chambres où les hommes profitent d’Insiang). Grande tradition du mélodrame qui veut que la couleur brûle l’écran jusqu’à en déchirer la toile. En revers immédiat de sa force politique, Insiang se révèle aussi un grand film sur l’écrasement de la beauté, l’impossibilité de son rayonnement dans ces poches de misère qui fleurissent dans les moindres recoins des sociétés malades. Lors d’une fin splendide, dont nous ne dirons rien, le film semble se retourner sur lui-même : les larmes d’Insiang violée se retrouvent soudain dans les yeux de sa mère, et vient rappeler que si l’homme est un loup pour l’homme, c’est encore la femme qui est le plus souvent victime de ses crocs. p mathieu macheret Ciselé et sophistiqué Ce genre populaire, originellement destiné à un public féminin, s’est infiltré dans les moindres replis du cinéma français. Et c’est la grande qualité de cette programmation que de musarder entre des chefs-d’œuvre connus – Gueule d’amour, de Jean Grémillon (1937), La Femme d’à côté, de François Truffaut (1981)… –, des films plus mineurs et des trésors oubliés. Conflit (1938), de Léonide Moguy, s’inscrit dans cette dernière catégorie. Enroulé autour d’un écheveau de sentiments où se mêlent l’amour, la jalousie, la cruauté et le sacrifice, ce film, qui met aux prises deux sœurs et un enfant illégitime, pourrait être qualifié de « polar émotionnel ». Si l’incursion d’un grand cinéaste comme Jean-Pierre Melville dans le mélo, avec Quand tu liras cette lettre (1953), n’a pas marqué les mémoires, c’est peut-être en raison de la piètre estime dans laquelle le genre a longtemps été tenu. Le film mérite néanmoins qu’on s’y attarde, ne serait-ce que pour la belle prestation de Juliette Gréco dans le rôle d’une nonne. C’est moins la qualité de la mise en scène que la magie des acteurs qui fait le sel de ce cycle, que l’on peut aussi bien envisager comme une histoire parallèle du cinéma français que comme une généalogie de ses interprètes. Magnifiés par des gros plans qui viennent cueillir la douleur, la tristesse, le désespoir à même leur peau, Jean Gabin, Michèle Morgan, Edwige Feuillère, Marguerite Moreno, Fanny Ardant, Gérard Depardieu et bien d’autres y figurent dans certains des rôles les plus bouleversants de leurs carrières. Jamais Fernandel n’aura été si émouvant que dans Angèle, de Pagnol (1934). Jamais Sabine Azéma n’aura semblé plus troublante que dans Mélo, d’Alain Resnais (1986). Si académique que soit Dernier amour, de Jean Stelli, le plaisir qu’y provoque l’apparition de Jeanne Moreau à 21 ans, dans son premier rôle au cinéma, est unique. Comme est unique la jeune Vanessa Paradis dans Noce blanche (1989). Diamant à la blancheur diaphane, elle détenait cette chose secrète que voulait exalter Jean-Claude Brisseau, cette émotion brute sans laquelle son film n’aurait été rien. Car le mélo est avant tout un art vampire. p isabelle regnier Film philippin de Lino Brocka. Avec Hilda Koronel, Mona Lisa, Ruel Vernal, Rez Cortez, Marlon Ramirez (1 h 35). Jusqu’au 31 juillet, à La Cinémathèque française. 51, rue de Bercy, Paris 12e. Cinematheque.fr J e voulais vous remercier pour tous vos mots, vos regards, vos sourires… », déclare Céline Dion, le 21 juin, au public du Sportpaleis d’Anvers. « Les enfants et moi, nous allons bien. » En réponse aux messages de condoléances, une veuve écrit en général des lettres. La chanteuse québécoise part, elle, en tournée. Cinq mois après les funérailles de son époux et mentor, René Angélil, dans la basilique de Montréal, filmées par douze caméras, Céline prolonge en concert la mise en scène de son deuil. Difficile de faire le tri entre les excès de la starification et une volonté revendiquée « de garder le contact avec le public » pour un dialogue sincère entre les fans et leur cousine de (la belle) province. Avant neuf concerts parisiens qui, du 24 juin au 9 juillet, feront le plein (113 500 billets vendus) à l’AccorHotels Arena, Céline Dion a tenu à rassurer la Belgique sur le moral de sa famille et sa forme artistique. Sur un écran s’écrit d’abord l’extrait d’une vieille chanson, Trois heures vingt, dit en même temps par la chanteuse encore cachée des regards : « Tout ira bien tu le sais/ Puisqu’à la fin… où tu vas, je vais… » Avant qu’un nouveau titre – Encore un soir – poursuive cette plongée dans l’émotion endeuillée. Pour cette chanson, sortie en single avant un nouvel album annoncé pour fin août, Céline Dion a fait appel à Jean-Jacques Goldman, qui, à l’occasion de trois albums au succès vertigineux – D’eux (1995), S’il suffisait d’aimer (1997) et Une fille et quatre types (2002) –, avait déjà eu ce rôle de quasi-biographe du couple. Contacté par la dame avant la mort de son mari, il avait tissé cette supplique. « Encore un soir/Encore une heure/Encore une larme de bonheur… » Ces couplets comme cette tournée ont un rôle cathartique. « Ces chansons sont comme des épaules sur lesquelles m’appuyer », insiste Céline, qui sent le besoin de parler avec le public. Pour évoquer son époux. Pour donner aussi le mode d’emploi du concert. « J’espère que vous aimez mon look », demandet-elle (sur les réseaux sociaux, le pantalon et la veste noire sur un chemisier blanc n’ont pas emballé tout le monde). Contrairement au show qui a accaparé la chanteuse, depuis 2003, au casino Caesars Palace de Las Vegas, aucun changement de tenue n’est prévu pendant un spectacle où Céline dit vouloir rester elle-même. Reprises de « Purple Rain » Accompagnée de 29 musiciens divisés en une section de cordes, dirigée par le pianiste Scott Price, et un groupe de cuivres et de choristes, Céline Dion baisse de ton après ce climax introductif. Illustré de vidéos peu créatives, le récital se déroule sans relief jusqu’à l’un des classiques goldmaniens, Pour que tu m’aimes encore, rappelant à quel point le Français avait réussi à transcender la Québécoise, en lui suggérant la retenue. Le show reprend enfin son envol. Une adaptation d’un morceau de son compatriote Robert Charlebois, Ordinaire, figurera dans le prochain album. Une façon de rappeler les origines modestes de la fille de Charlemagne (Québec), sa dépendance au métier de chanteuse, mais aussi son rapport privilégié avec ses fans – « J’aime mon prochain, j’aime mon public (…) Je me fous pas mal des critiques/Ce sont des ratés sympathiques. » Longtemps moquée par le milieu branché, Céline ne serait pourtant pas loin de bénéficier d’un retournement de situation. Surtout depuis que Xavier Dolan a utilisé une de ses chansons, On ne change pas, dans le film Mommy. Elle n’aura bientôt plus à s’excuser d’être une athlète de la chanson sentimentale. Même si on continuera de ne pas s’excuser de trouver qu’elle surjoue son répertoire anglophone ou que son professionnalisme annihile souvent la spontanéité de ses émotions. Après la jolie sobriété d’une session acoustique, violons et guitares se mettent au diapason d’envies rock volcaniques avec des reprises de Purple Rain, de Prince, de River Deep Mountain High, d’Ike et Tina Turner, et du Show Must Go on, qui, en 1991, signait les adieux pompiers de Freddie Mercury (1946-1991), le chanteur de Queen. « Le spectacle doit continuer », le message est on ne peut plus clair, avant un dernier adieu à René, avec S’il suffisait d’aimer, sous une grande photo d’elle enlaçant son époux, les yeux embués par l’ovation de la foule. p stéphane davet Concerts : les 24, 25, 28 et 29 juin et 2, 3, 6, 7 et 9 juillet, à l’AccorHotels Arena, Paris 12e (complet). 20 | télévisions 0123 VENDREDI 24 JUIN 2016 Peurs sur la ville VOTRE SOIRÉE TÉLÉ « Show me a hero » sonne le retour du grand auteur de séries David Simon, le créateur de « The Wire » VE N D R E D I 24 J UIN OCS GO VENDREDI 24 – À LA DEMANDE SÉRIE A près avoir créé les formidables séries « The Corner », « The Wire » et « Treme », David Simon s’attaquait, en 2015, à la question raciale, en adaptant Show me a hero, le roman documenté de faits réels de la journaliste Lisa Belkin, dont le titre est extrait d’une citation de F. Scott Fitzgerald : « Show me a hero and I’ll write you a tragedy ». Une manière, pour David Simon, de mettre en images la façon dont il perçoit l’évolution de son pays, qu’il évoquait ainsi, en 2013 : « L’Amérique est un pays maintenant totalement divisé, que ce soit en termes de société, d’économie ou de politique. (…) Nous nous sommes débrouillés, en quelque sorte, pour nous engager vers deux futurs distincts… » Show me a hero renvoie à la controverse que suscita, au milieu des années 1980, un avis de la Cour fédérale à l’encontre de la ville de Yonkers (Etat de New York). Recon- nue coupable d’avoir détourné des fonds fédéraux en faveur du logement pour renforcer la ségrégation entre Noirs et Blancs, la ville de Yonkers (à 80 % blanche) se voyait contrainte par un juge fédéral de construire des logements sociaux dans ses quartiers blancs. Faute de cela, Yonkers devrait se déclarer en faillite, étant donné l’amende prévue si la municipalité continuait de résister à cette « déségrégation ». Autrement dit, une partie de la population noire de Yonkers allait pouvoir quitter son sordide ghetto et « envahir » l’autre côté de la ville… celle des pavillons proprets d’une petite bourgeoisie blanche farouchement non consentante. Détail et neutralité S’annonçait là une intolérable atteinte à leurs droits et à leur mérite, pour ces pères et mères de famille blancs, puisque leur propriété allait du même coup perdre toute sa valeur, que leurs enfants seraient fatalement soumis à la drogue et tout le quartier à la violence… D’où une intense controverse, qui opposera deux visions politiques quant à la défense des TF1 20.55 Vendredi, tout est permis avec Arthur Divertissement présenté par Arthur. 23.30 Action ou vérité Talk-show animé par Alessandra Sublet. France 2 20.45 Rugby Finale Championnat de France. Top 14. En direct du Camp Nou, à Barcelone. 23.05 Taratata 100 % live Présenté par Nagui. Invités : Christophe Maé, Imany, Keren Ann, Julian Perretta… Nick Wasicsko (Oscar Isaac) et Nay Noe Wasicsko (Carla Quevedo). HBO/PAUL SCHIRALDI plus pauvres. Inutile de rappeler les exemples qui, aujourd’hui même en France, s’assimilent à cette lutte entre ceux qui souhaiteraient des infrastructures pour les plus démunis et ceux qui n’en veulent pas chez eux (selon la formule « Not in my backyard ! »). Ecrite par David Simon avec son compère William F. Zorzi, réalisée par Paul Haggis, cette minisérie met en scène l’acteur Oscar Isaac pour redonner vie au jeune maire Nick Wasicsko, qui, à la fin des années 1980, dut effectivement, con- tre son gré (au départ) et contre l’avis de ses électeurs, construire des logements sociaux au sein de la ville. Au travers de ses personnages, le scénario relate dans le plus grand détail et avec neutralité les arguments sincères, mais aussi les roueries dont usèrent politiques, religieux et citoyens pour lutter contre l’ordre fédéral. Précise, mesurée, intelligente, Show me a hero ne manque pas de montrer les peurs compréhensibles qu’inspire la criminalité d’un ghetto de banlieue, tout autant que l’incapacité de Blancs à voir les gens de couleur autrement que comme un danger. De même, de très belles scènes montrent l’inquiétude, voire la paralysie qui peut saisir quelqu’un à l’idée d’emménager dans un quartier où il se sait haï d’avance… p martine delahaye Show me a hero, minisérie créée par David Simon et coécrite avec William F. Zorzi. Avec Oscar Isaac, Catherine Keener (EU, 2015, 3 volets de 90 à 120 min). Voyage au pays du cinéma avec Aki Kaurismäki Le réalisateur finlandais nous convie à une célébration bouleversante et drôle du 7e art OCS CITY VENDREDI 24 – 22 H 30 FILM U n homme farfouille derrière un juke-box et reparaît, quelques pièces détachées à la main. Il dit : « Tout ça, c’était en trop. Là, ça devrait marcher. » Il pousse une touche, on entend une voix, une guitare, enregistrées il y a longtemps dans le Mississippi. Blind Lemon Jefferson chante That Crawlin’Baby Blues. Ce rite purificateur mystérieux qui fait que la musique peut à nouveau jaillir, Aki Kaurismäki l’a accompli au cinéma pour réaliser L’Homme sans passé, film réparé et réparateur, qui atteint et répand la pureté. Il commence pourtant par une flambée de violence : le soir de son arrivée par le train à Helsinki, un homme s’endort sur le banc d’un jardin public. Trois jeunes gens le frappent dans son sommeil, le dévalisent et le laissent ensanglanté, le visage recouvert du masque de soudeur qu’ils ont trouvé dans sa valise, une vraie image de terreur. Au plan suivant, on revient à la gare, où la foule s’écarte devant la caméra qui avance. L’homme s’est réveillé et titube avant de s’effondrer dans les toilettes, où un employé le tient pour mort. Puis, on le voit à l’hôpital, le visage enveloppé de bandelettes. Des références précises On est un peu désolé d’émousser l’impact de cette brève et saisissante introduction en la racontant, mais il le faut bien pour expliquer les circonstances du miracle qui va suivre. On a donc vu cet homme passer par des épreuves que le cinéma contemporain nous a rendues familières, la violence gratuite, l’exposition de la souffrance et de la dégradation physique au regard du monde. Mais sa résurrection mystérieuse est le signe du passage d’un monde à l’autre. Au matin, l’homme se réveille au bord de l’eau. Comme dans une très vieille histoire, il est recueilli dans la cabane d’un pauvre pêcheur où il recouvre la santé, mais pas la mémoire. Cet endroit, nous explique le scénario, est un village de conteneurs métalliques transformés en bicoques, où survivent les pauvres du port d’Helsinki. Mais les images qui bougent sur l’écran montrent autre chose : l’amnésique est arrivé au pays du cinéma. Les couleurs éclatantes, la lumière sur l’eau, la beauté conférée aux visages les plus ordinaires, tout nous dit qu’on vivra, pour le reste du film, dans l’utopie du cinéma. France 3 20.55 La Loi de Barbara Téléfilm de Didier Le Pêcheur. Avec Josiane Balasko (Fr., 2014, 100 min). 23.10 Le Divan de Marc-Olivier Fogiel Invitée : Nana Mouskouri L’Homme sans passé est gorgé justement du passé de cet art qui en irrigue chaque image. On peut retrouver des références précises, à des films, à des metteurs en scène. Aki Kaurismäki est un homme d’une grande culture. Ce n’est pourtant pas à un jeu de mémoire qu’on est convié, mais à une célébration destinée à redonner toute leur force aux enchantements du cinéma, qui se déploient à chaque séquence. p thomas sotinel L’Homme sans passé, d’Aki Kaurismäki. Avec Markku Peltola, Kati Outinen, Juhani Niemelä (Fin. - All. - Fr., 2002, 97 min). Canal+ 20.45 Rugby Finale Championnat de France. Top 14. En direct du Camp Nou à Barcelone. 23.15 Terminator : Genisys Film de science-fiction. Avec Arnold Schwarzenegger, Emilia Clarke (EU, 2015, 120 min). France 5 20.50 La Maison France 5 « Spécial Bordeaux » Magazine animé par Stéphane Thebaut. 22.20 Silence, ça pousse ! Présenté par Stéphane Marie et Caroline Munoz. Arte 20.55 L’Assassin idéal Téléfilm de Johannes Grieser. Avec Hinnerk Schönemann, Teresa Weissbach (All., 2014, 90 min). 22.25 A qui appartiennent les océans ? Documentaire de Max Mönch et Alexander Lahl (All., 2015, 55 min). M6 21.00 NCIS Série créée par Donald P. Bellisario et Don McGill. Avec Mark Harmon, Michael Weatherly, Pauley Perrette Sean Murray (EU, saison 13, ép. 4/24 ; S9, ép. 12 à 14/24 ; S7, ép. 6 et 7/24). 0123 est édité par la Société éditrice GRILLE N° 16 - 149 PAR PHILIPPE DUPUIS 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 I II III IV V VI VII VIII IX X SOLUTION DE LA GRILLE N° 16 - 148 HORIZONTALEMENT I. Unificatrice. II. Légataire. Oc. III. Coureuse. Pro. IV. Elan. Session. V. Ronéoté. Alto. VI. Ages. Mue. VII. Ti. Esquif. Aï. VIII. ISO. Ours. Uns. IX. Omni. Ebarbée. X. Nécessiteuse. VERTICALEMENT 1. Ulcération. 2. Néologisme. 3. Iguane. Onc. 4. Farnèse. Ie. 5. Ite. SO. 6. Caustiques. 7. Aisée. Urbi. 8. Très. Misât. 9. Ré. Sauf. Rê. 10. Pile. Ubu. 11. Corot. Anes. 12. Economisée. I. Passages pour arriver à bon port bien étanché. II. Tient sur un bout de carton. III. Pour les amateurs de bulles. Porteuse de feuilles. Un sommet chez les Anglais. IV. Eclate en beauté. Facilitât le placement. V. Vient de mettre un point inal à ses combats. Fils de Robert le Fort, vainqueur des Normands. Le titane. VI. Lâcha brusquement. Masse dure. Pressé pour donner. VII. Cries avec les loups. Fait des vagues dans la tribune. VIII. Bien salées. Creuse la terre sans la retourner. IX. Bien arrivées. Ramasse sur les lots. X. Préparent la mise en culture. VERTICALEMENT 1. Frappé à coups de marteaux pour se faire entendre. 2. Comme de belles chevelures au vent. 3. Sorties du livre. Intitulées. 4. Gamin de Paris. Travailla sur les cylindres. 5. Nécessaire, voire indispensable. Préposition. 6. Un rien les rend agressifs. Assure la liaison. 7. Quart de tour. Bas de gamme. Joli coup sur le court. 8. Introduit le doute. Etiquette à respecter. 9. Petits maux, grands consommateurs. Gratte, rase et coupe. 10. Chez Diane de Poitiers. Mécréant. 11. Veuve en larmes et en lammes. Chaude période. 12. Ne ratent pas les erreurs et les propos ridicules. SUDOKU N°16-149 8 1 4 5 6 2 8 5 7 3 8 1 2 4 9 7 5 6 3 7 4 6 1 3 5 8 9 2 5 3 9 8 6 2 4 7 1 2 9 5 6 7 4 1 3 8 4 8 1 3 2 9 6 5 7 3 6 7 5 1 8 2 4 9 9 5 8 2 4 3 7 1 6 1 7 4 9 8 6 3 2 5 6 2 3 7 5 1 9 8 4 Difficile Complétez toute la grille avec des chiffres allant de 1 à 9. 2 1 Chaque chiffre ne doit être utilisé qu’une 3 8 9 1 seule fois par ligne, par colonne et par 4 6 3 carré de neuf cases. Réalisé par Yan Georget (http://yangeorget.net) 6 3 9 8 4 du « Monde » SA Durée de la société : 99 ans à compter du 15 décembre 2000. Capital social : 94.610.348,70 ¤. Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS). Rédaction 80, boulevard Auguste-Blanqui, 75707 Paris Cedex 13 Tél. : 01-57-28-20-00 Abonnements par téléphone : de France 3289 (Service 0,30 e/min + prix appel) ; de l’étranger : (33) 1-76-26-32-89 ; par courrier électronique : abojournalpapier@lemonde.fr. 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Commission paritaire des publications et agences de presse n° 0717 C 81975 ISSN 0395-2037 0123 Les Unes du Monde RETROUVEZ L’INTÉGRALITÉ DES « UNES » DU MONDE ET RECEVEZ CELLE DE VOTRE CHOIX ENCADRÉE Encyclopéd ie Universalis www.lemond e.fr 65 e Année - N˚19904 - 1,30 ¤ France métropolitaine L’investiture de Barack Nouvelle édition Tome 2-Histoire --- Jeudi 22 janvier Uniquement 2009 Fondateur Premières mesures Le nouveau président américain a demandé la suspension : Hubert Beuve-Méry En plus du « en France - Directeur Monde » métropolitaine : Eric Fottorino Obama des audiences à Guantanam o Barack et Michelle Obama, à pied sur Pennsylvania WASHINGTON Avenue, mardi 20 janvier, CORRESPONDANTE se dirigent montré. Une vers la Maison evant la foule nouvelle génération Blanche. DOUG tallée à la tête s’est insqui ait jamais la plus considérable MILLS/POOL/REUTERS a Les carnets transformationde l’Amérique. Une ère d’une chanteuse. national de été réunie sur le Mall de Angélique a Washington, Des rives du commencé. Kidjo, née au Obama a prononcé, a Le grand Barack lantique, Pacifique à jour. Les cérémonies celles de l’At- aux Etats-Unis pendant Bénin, a chanté discours d’investituremardi 20 janvier, toute l’Amérique la liesse ; les la campagne de Barack Obama ; ambitions d’un presque modeste.un sur le moment s’est arrêtée a Feuille force d’invoquer en 2008, la première rassembleur qu’elle était pendant les A vivre : décision de ; n’est jamaisde route. « La grandeur Abraham en train de festivités de et de nouveau administration: Martin Luther l’accession la nouvelle Lincoln, un l’investiture, au poste du 18 au dant en chef Avec espoir et dû. Elle doit se mériter. avait lui même King ou John Kennedy, pendant cent la suspension des armées, de comman- raconte 20 janvier. Pour Le Monde, (…) vertu, il placé la barre responsable vingt : les cérémonies, elle de plus les courants bravons une fois discours ne très haut. Le l’arme nucléaire, d’un de Guantanamo. jours des audiences passera probablement les rencontres jeune sénateur de – elle a croisé l’actrice glacials et endurons cain-américain Pages 6-7 les tempêtes à postérité, mais afri- le chanteur page 2 et l’éditorial Lauren de 47 ans. venir. » Traduction il fera date pour pas à la Harry Belafonte… Bacall, du discours ce qu’il a inaugural du e intégrale miste Alan Greenspan. Lire la suite et l’écono- a It’s the economy... des Etats-Unis. 44 président page 6 la Il faudra à la velle équipe taraude : qu’est-ce Une question nou- a Bourbier Page 18 beaucoup d’imagination Corine Lesnes pour sortir de que cet événement va changer pour irakien. Barack a promis de l’Afrique ? Page Obama et économiquela tourmente financière retirer toutes 3 qui secoue la de combat américaines les troupes Breakingviews planète. page 13 d’Irak d’ici à mai 2010. Trop rapide, estiment les hauts gradés de l’armée. D Education UK price £ 1,40 HORIZONTALEMENT L’avenir de Xavier Darcos Ruines, pleurs et deuil : dans Gaza dévastée « Mission terminée »: le ministre de REPORTAGE ne cache pas l’éducation considérera qu’il se GAZA bientôt en ENVOYÉ SPÉCIAL disponibilité pour ans les rues tâches. L’historien d’autres de Jabaliya, les enfants ont de l’éducation trouvé veau divertissement.un nouClaude Lelièvre explique lectionnent les éclats d’obusIls colmissiles. Ils comment la et de déterrent du rupture s’est sable des morceaux d’une faite entre les enseignants qui s’enflamment fibre compacte et Xavier Darcos. immédiatement au contact de Page 10 l’air Bonus Les banquiers ont cédé Enquête page Nicolas Sarkozy des dirigeants a obtenu françaises qu’ilsdes banques renoncent à la « part variable de leur rémunération ». En contrepartie, les banques pourront bénéficier d’une D et qu’ils tentent aide difficilement de l’Etat de d’éteindre avec 10,5 pieds. « C’est d’euros. Montantmilliards du phosphore. leurs dez comme ça Regarbrûle. équivalent à Surles mursde » celle accordée cetterue,des fin 2008. Page cesnoirâtres tra- boutique. 14 sont bes ont projeté visibles.Les bom- victime, Le père de la septième âgée de 16 ans, chimique qui partout ce produit re ne décolèa incendié une pas. « Dites fabrique de bien aux dirigeants Au bord de papier. « C’est petite des nations occidentales la mière foisque que ces sept je voiscela après la pre- innocents sont il y a quelquesfaillite huit ans d’occupation trentemorts pour semaines, rien. l’Américain israélienne », Qu’ici, il n’y a jamais s’exclame Mohammed eu de tirs de Chrysler roquettes. Que Abed négocie l’entrée bo. Dans son c’est costume trois Rab- nel. Que les Israéliensun acte crimidu cette figure constructeur nous en don- La parution du quartier pièces, nent la preuve, italien Fiat deuil. Six membres porte le puisqu’ils sur- de deux dans son capital, textes inédits de sa famille veillent tout depuis le ciel ont été fauchés », enrage de Roland Rehbi Hussein de 35 %. L’Italie à hauteur devant par Barthes, Heid. un magasin, une bombe mains, de cette bonne se réjouit il tient une Entre ses mort en 1980, le 10 janvier. Ils étaient venus enflamme feuille de le s’approvisionner papier avec tous cercle de ses pour l’économienouvelle pendant noms des nationale. décrétéesles trois heures de trêve morts et des blessés,les Le demi-frère disciples. Chrysler, de par Israël pour âge, qu’il énumère ainsi que leur son côté, aura tre aux Gazaouis permet- reprises, l’écrivain, qui de à accès à une comme pour plusieurs en a autorisé technologie Le cratère de de souffler. se persua- la publication, der qu’ils sont plus innovante. la bombe est jours là. Des bien morts. essuie touPage 12 éclats les foudres Michel Bôle-Richard mur et le rideau ont constellé le de l’ancien Algérie 80 DA, métallique de éditeur de Barthes, Allemagne 2,00 Lire la suite ¤, Antilles-Guyane la 2,00 ¤, Autriche page 19 27000profs partirontcha quean àlaretraite,d ’icià2012. née Automobile Fiat : objectif Chrysler Edition Barthes, la polémique et Débats page 5 17 François Wahl. L elivre-en q u êtein co n to u rn ab lep o u ralim en terled su rl’aven éb at ird el’éco le. 2,00 ¤, Belgique 1,40 ¤, Cameroun Maroc 10 DH, 1 500 Norvège 25 KRN, Pays-Bas F CFA, Canada 3,95 $, Côte 2,00 ¤, Portugal d’Ivoire 1 500 F CFA, Croatie cont. 2,00 ¤, u né 18,50 Kn, Danemark Réunion 2,00 d ite u rd ¤, Sénégal 1 e rriè 500 F CFA, Slovénie 25 KRD, Espagne 2,00 rel’é c ra ¤, Finlande n>w 2,20 ¤, Suède 2,50 ¤, Gabon w w 28 KRS, Suisse .a rte b o 2,90 FS, Tunisie 1 500 F CFA, Grande-Bretagne u tiq u e .c 1,9 DT, Turquie o m 1,40 £, Grèce 2,20 ¤, USA 2,20 ¤, Hongrie 3,95 $, Afrique 650 HUF, Irlande CFA autres 2,00 ¤, Italie 1 500 F CFA, 2,00 ¤, Luxembourg 1,40 ¤, Malte 2,50 ¤, Page 20 RENDEZ-VOUS SUR www.lemonde.fr/boutique Présidente : Corinne Mrejen PRINTED IN FRANCE 80, bd Auguste-Blanqui, 75707 PARIS CEDEX 13 Tél : 01-57-28-39-00 Fax : 01-57-28-39-26 L’Imprimerie, 79 rue de Roissy, 93290 Tremblay-en-France Toulouse (Occitane Imprimerie) Montpellier (« Midi Libre ») styles | 21 0123 VENDREDI 24 JUIN 2016 MILAN | MODE HOMME PRINTEMPS-ÉTÉ 2017 table des matières Les défilés se sont terminés mardi 21 juin. Par la richesse textile déployée, les plus grands noms du prêt-à-porter italien ont fait forte impression MODE L Giorgio Armani. Moncler Gamme Bleu. Gucci. Prada. MONICA FEUDI milan - envoyée spéciale e défilé Prada surprend toujours. On vient avec en tête les marins si jolis de la saison dernière et voilà que la griffe, dans un décor passé du bois brut contreplaqué au grillage métallique de chantier, déroule une histoire aux antipodes de l’ambiance romantique attendue. « Prada, c’est Miuccia et c’est tout », entend-on après le défilé de la bouche d’une de ses collaboratrices qui tente ainsi d’expliquer la force de la créatrice italienne. Elle veut dire par là que les autres maisons font beaucoup parler d’elles en changeant de directeur artistique et donc de style. On pense évidemment à Gucci, Dior ou Saint Laurent. Mme Prada prend, elle, ses virages esthétiques à 180 degrés toute seule. Elle sidère encore une fois son public avec une collection technique et sport qui renoue avec ce qui fit le succès de la marque dans les années 1970 : ses fameux sacs en Nylon. Sur le podium, les mannequins semblent devoir faire une longue marche dans un environnement hostile avant d’aller au bureau ou à une soirée. Il va pleuvoir aussi, sans doute. Mais ils ont tout prévu. Les chaussures de ville (et les talons pour les filles) sont accrochées au sac à dos avec une gourde, une torche, un portefeuille, une pochette en cuir, un porte-clés, etc. Aux pieds, des bottines scratchées façon chausson de plongée à grosse semelle caoutchouc. Ceinturés à la taille de tenues sportives néoformelles ou très habillées, de grands coupe-vent imperméables en Nylon théâtralisent la silhouette par leur couleur vive et leur métrage conséquent. Chez Gucci, en seulement dixhuit mois, le directeur artistique Alessandro Michele a imposé un style d’une grande richesse et originalité, qui détonne dans le paysage, et sait, dans une permanence esthétique assez remarquable, distiller de la nouveauté. Les personnages (plus que des mannequins) qui défilent dans un décor vert acide portent une histoire et des pièces dont l’enrichissement textile impressionne dans un vestiaire aussi branché : long manteau noir à « jupe » plissée, smoking réveillé de Donald vintage, tulle brodé de fleurs qui dépasse des manches, guipures, brandebourgs et passepoils, imprimés exclusifs et toile de Jouy revisitée, touches de fourrure colorée, souliers en velours brodé, patch, franges, clous, sequins… Ce foisonnement sert une poésie troublante et nourrit une quête qui se précise un peu plus chaque saison : les « coups de mode » des premiers défilés (message « Blind for love » écrit dans le dos, mocassins fourrés, bestiaire baroque ou régressif, bagues à tous les doigts) n’étaient donc pas que cela puisqu’on les retrouve encore ici. Déterminé, Michele impose son lyrisme et transforme ses audaces premières, des « must have » périssables par nature, en intemporels. Après avoir lancé sa collection capsule très street et sport baptisée « Remix », dimanche 19 juin, puis fait défiler Emporio lundi matin, Giorgio Armani a clôturé la fashion week masculine de Milan mardi 21 avec une foi inaltérée dans son style qui semble ne pas devoir vieillir : le charme des pantalons – plutôt « carrot » désormais – opère sur les hommes mais aussi sur les femmes depuis longtemps déjà… Diane Keaton en portait un inoubliable dans Annie Hall. Le couturier italien, fidèle à ses silhouettes souples et déconstruites, a concentré son énergie sur les matières traitées pour paraître avoir déjà vécu et sur la vibration des dessins, tissages et textures (costume en seersucker rafraîchissant, mélange de motifs végétaux et géométriques…). Le résultat est étonnamment viril et douillet, tranquillement sophistiqué et voluptueux. Chacun à sa façon a remis les savoir-faire textiles au cœur d’un dressing très « sport », cette saison, ou carrément cool. En s’inspirant des photos d’Irvin Penn des années 1950, Andreas Melbostad, directeur artistique de Diesel Black Gold, a voulu revenir aux origines du denim, dans ses aspects utilitaires mais nettoyés, stylisés : les baggys sont aussi clean que les slims. Les superpositions de pièces sont réduites à leur minimum, une rigueur japonaise, un tailoring appliqué au streetwear donne à la collection une sophistication nouvelle soutenue par des combinaisons subtiles de matières. Toiles de coton « PRADA, C’EST MIUCCIA ET C’EST TOUT », ENTEND-ON APRÈS LE DÉFILÉ POUR EXPLIQUER LA FORCE DE LA CRÉATRICE ITALIENNE et de parachute, Nylon surpiqué, veau velours, cuir bleu nuit, ceinture obi en agneau. Chez Moncler Gamme Bleu, Thom Browne profite d’un camp de boy-scouts au cœur d’une forêt de pins pour faire une nouvelle fois la démonstration de son sens de la coupe et de son infatigable goût pour la duplication. L’uniforme militaire s’y prête à merveille. Browne pourrait d’ailleurs revoir les tenues de l’armée tant sa rigueur obsessionnelle et le chic impeccable qui en découle conviendrait à la grande muette. Bref, pour l’été prochain chez Moncler, il excelle dans ses variations textiles sur un même thème. Accumulant les poches cargo jusqu’à saturation de la sur- face du vêtement, il égrène avec une application virtuose une variété infinie de techniques et de matières : imprimés sur mesh, finitions hydrofuges, coupes au laser, broderies et coutures sur fibres naturelles ou synthétiques. Fendi a pour sa part travaillé en touches la fourrure, son cœur de métier (même en été), mais aussi les éponges, la maille Milano, les textures peau de pêche, les satins fluides, les soies, les jacquards, les cuirs « papier », non sans humour : les garçons qui évoluent de façon désinvolte autour d’un couloir de nage sont prêts à aller se baigner ou en reviennent, en survêt luxueux ou pyjama de soie sous veste en maille bouclette. Ils sont de bonne humeur, tout comme les professionnels et les amis de la famille qui défilent pour Etro. Une bande riante et pieds nus à qui la mode bohème de la maison correspond parfaitement. Les ikats, les grands pardessus en coton cloqué, les chemises en fil-à-fil, les cardigans indigo dégagent une grande douceur et vont à un beau gosse athlétique de 20 ans comme à un vieil intello barbu, pourvu qu’ils passent l’été sur une île de la Méditerranée. p caroline rousseau 22 | disparitions 0123 VENDREDI 24 JUIN 2016 Pierre Pachet Ecrivain P ierre Pachet, qui est mort chez lui, à Paris, mardi 21 juin, à l’âge de 79 ans, des suites de plusieurs maladies, a pris soin de ne pas laisser traîner de longues notices biographiques. Il ne cultivait pourtant pas le secret ni n’exprimait le moindre dédain pour les choses de la vie. D’ailleurs, quand on le croisait dans le quartier du Marais, à Paris, où il habitait, il aimait donner de ses nouvelles. Et en prendre de son interlocuteur, quitte à l’entraîner pour continuer la discussion autour d’un repas. Avec son air bougon mais toujours attentif, avec une ironie dont, parfois, on peinait à discerner les frontières, il parlait de la pluie et du beau temps, d’un livre qu’il venait de lire… La plainte n’allait jamais chez lui sans un certain humour, et d’abord exercé à ses dépens. C’est « l’hétérogénéité des moments, des humeurs, des activités » qui, comme dans ses livres, se parlait, s’échangeait. Tout cela au présent, dans les détails et la multiplicité du présent. C’est au titre de ce présent insistant qu’il appréciait l’œuvre du poète anglais W.H. Auden (1907-1973) dont il a traduit des textes, avec d’autres. « Si un thème pouvait m’inspirer le désir de construire une œuvre, ce serait le thème de l’“individu”, terme par lequel je nomme le devoir que l’on a d’être celui que l’on est », affirmait Pachet. Dans un numéro spécial de la revue Critique (novembre 2005), Martin Rueff parle à son propos d’une « anthropologie littéraire de l’individu moderne ». Cette attention à la singularité des êtres allait de pair avec une vigilance à l’égard de toutes les politiques qui menaçaient d’écraser les hommes sous l’idéologie. D’où sa fidélité à des figures qui avaient tenté de maintenir une espérance d’émancipation malgré les catastrophes du XXe siècle. Ainsi de l’éditeur Maurice Nadeau : aux obsèques de celui-ci, en 2013, exaspéré par un discours qu’il trouvait trop complaisant vis-à-vis du Parti communiste et de son passé, Pachet lança un tonitruant : « A bas les staliniens ! »… Ainsi, également, de Claude Lefort, penseur antitotalitaire disparu en 2010, et dont il fut un proche : récemment encore, Pachet préfaçait la réédition en poche (chez Belin) d’Un homme en trop, le livre que Lefort consa- cra à L’Archipel du goulag, d’Alexandre Soljenitsyne. Saluant le texte de son ami, Pachet y évoquait « un mouvement passionné et émotif, épris à la fois de liberté et de connaissance ». Cet élan valait aussi pour lui. En témoigne son étonnante entreprise autobiographique, inaugurée avec un livre magnifiquement surprenant, Autobiographie de mon père (Belin, 1987). La piété filiale traditionnelle y laisse place au désir de comprendre la réalité perdue de l’existence. Dans ce bref récit, il fait parler à la première personne son père, juif d’Odessa arrivé en France juste avant la première guerre mondiale, mort en 1965. « La voix de mon père mort demandait à parler par moi, comme elle n’avait jamais parlé, au-delà de nos deux forces réunies. Elle me niait, me demandait mon aide pour se consacrer à ellemême, et je voulais cela. […] J’avais cette voix en tête, je n’avais même qu’elle. Elle était en moi la voix la plus spontanée. » Plus tard, dans Conversations à Jassy (éd. Maurice Nadeau, 1997), il racontera la visite qu’il fit dans « le pays de son passé » et de celui de son père, en Roumanie et en Moldavie (ex-république soviétique). Jassy était du côté russe, puis, après la cession de la Bessarabie à la Roumanie, le père russe était devenu citoyen roumain. Il part ensuite faire ses études de médecine en France et s’y installe. Ses enfants naissent, dont Pierre en 1937. Lorsque les Allemands envahissent la France, il décide de ne pas déclarer les siens comme juifs et inscrit ses enfants dans une école catholique. La famille s’installe à Saint-Etienne. A la Libération, le père ouvre un cabinet de stomatologie à… Vichy. Pilier de « La Quinzaine littéraire » Pierre Pachet poursuivra ensuite des études de lettres et de philosophie, sera traducteur, notamment de La République de Platon, enseignera la philosophie grecque et la littérature française à l’université de Clermont-Ferrand et de ParisVII-Diderot ainsi que dans différentes universités étrangères (Algérie, Etats-Unis). Avec Maurice Nadeau, il est membre du comité de rédaction de La Quinzaine littéraire, fondée en 1966, et coresponsable de la collection « Littérature et politique » chez Belin. Fidèle à l’esprit du fondateur de La Quin- En 2003. HANNAH ASSOULINE/OPALE/LEEMAGE zaine, il participe ces deux dernières années au site de rencontres entre auteurs et critiques littéraires En attendant Nadeau, créé en 2015 après un conflit avec la nouvelle direction du journal. L’autobiographie n’est pas un genre dans lequel Pierre Pachet souhaitait s’enfermer. Il l’aborda d’ailleurs par diverses entrées. Celles des études littéraires par exemple, comme dans son étude sur Baudelaire, Le Premier Venu (Denoël, 1976) ou dans Les Baromètres de l’âme, essai lumineux sur la « naissance du journal intime » (Hatier, 1990). Il consacra également deux livres au sommeil, avec sa part de rêves mais aussi, et surtout, de conscience : Nuits étroitement surveillées (Gallimard, 1981) et La Force de dormir (Gallimard, 1988). Mais l’écriture de soi qui, pour Pachet, ne trouve sens que dans la 9 DÉCEMBRE 1937 Naissance à Paris. 1976 Le Premier Venu. 1981 Nuits étroitement surveillées. 1987 Autobiographie de mon père. 1990 Baromètres de l’âme. 1997 Conversations à Jassy. 1999 Décès de Soizic, son épouse. 2001 Adieu. 2002 Aux aguets. 2007 Devant ma mère. 2011 Sans amour. 21 JUIN 2016 Mort à Paris. lecture des autres, n’est pas tarie. Adieu (Circé, 2001) raconte la maladie et la mort de son épouse, Soizic, en janvier 1999. De même, selon un autre regard, son très beau Devant ma mère (Gallimard, 2007), exploration du mystère joyeux qui lie deux êtres ensemble. Dans Sans amour (Denoël, 2011), il fait le portrait de cinq femmes qu’il a connues à différents âges de sa vie. En 2014, fidèle à cette pensée oblique ou décalée qui est la sienne, en non-spécialiste qui se revendique comme tel, il rend compte de deux voyages dans la Chine postcommuniste (L’Ame bridée, éd. Le Bruit du Temps, 2014). Dans chacun de ces livres, on retrouve la mélancolie vivace qui est la marque de Pachet, loin de tout désespoir romantique ou du cynisme de l’autosuffisance. On retrouve aussi le motif qui fut jusqu’à la fin l’une de ses principales obsessions : celui de la conscience, et d’abord d’une « conscience férocement aux aguets », comme il était dit dans Aux aguets. Essais sur la conscience et l’histoire (Maurice Nadeau, 2002). « La littérature est pour moi liée aux idées, à la capacité d’avoir des idées, et non au langage, à la langue », affirmait Pachet. De fait, chez lui, l’homme de pensée, l’observateur et l’écrivain ne faisaient qu’un. Ils étaient autant de facettes d’une conscience à la fois tendre et exigeante, nourrie par l’optimisme des grands inquiets. Evoquant la mort dans l’un des textes d’Aux aguets, justement, Pachet concluait par ces mots : « Un individu peut se suicider (ou s’endormir). Une conscience, pas vraiment ». p patrick kéchichian et jean birnbaum « Mon ami désamarré », par Emmanuel Carrère Pour « Le Monde », l’écrivain rend hommage à celui dont il a été proche pendant quinze ans et qu’il n’appelait que par son nom de famille L a photo de l’auteur en couverture de L’Œuvre des jours, publié en 1999, montre un visage puissant, romain, massif, un peu fermé. Ce n’est pas le visage aigu, mobile, à la fois sarcastique et inquiet, du Pachet que j’ai connu quelques années plus tard et à qui m’a lié un coup de foudre amical qui a duré jusqu’à sa mort. Celui que j’ai connu, c’était le Pachet veuf. Je n’ai pas connu Soizic, sa femme, la mère de ses enfants Yaël et François, dont il a raconté l’agonie dans un livre brutalement poignant, Adieu. Je n’ai pas connu l’intellectuel austère qu’il disait avoir été auprès d’elle, solidement amarré à ses études, à la vie de couple et de famille dont il s’était fait un rempart. L’homme que j’ai connu était désamarré. Il écrivait toujours, des livres de plus en plus libres, de plus en plus intimes, de plus en plus inclassables. Depuis Autobiographie de mon père, j’étais fasciné par ces livres, par cette voix sourde et obstinée, par cette façon de regarder sans ciller, un peu comme Michaux, tout ce qui compose une expérience humaine : un bras cassé, l’approche de l’âge, la perte du langage qui a affecté sa mère atteinte d’Alzheimer, les gens qui parlent tout seuls dans la rue, les femmes qui ne sont plus touchées et ne connaissent plus le contact d’une autre peau que la leur… J’évoque ici Le Grand Age, Devant ma mère, Sans amour : tous ces livres pourraient, comme l’un d’entre eux, s’appeler Aux aguets. Tous sont des exercices d’intranquillité et de vigilance. Celui qui me touche le plus, c’est L’Amour dans le temps, qui est le livre de son veuvage. La mort de Soizic l’a dévasté, mais dévasté dans le sens de la phrase sublime de Céline : « C’est peut- être ça qu’on cherche à travers la vie, rien que cela, le plus grand chagrin possible pour devenir soimême avant de mourir. » Est-il devenu lui-même, est-il devenu un autre ? « J’assure la succession de Pierre Pachet, écrit-il, j’expédie les affaires courantes, mais je ne suis plus cet homme-là. » Plus loin dans le même livre, cependant : « L’énergie érotique qui m’anime ne fait que poursuivre ce que le chagrin avait mis en mouvement. Le chagrin n’est pas éteint en moi, il couve, il brûle, mais par une étrange transmutation que je voudrais observer et comprendre, il alimente une puissante envie de vivre, de plaire, de me donner… » Prodigieusement vivant Vivre, plaire, se donner, être digne de la vie où Soizic l’avait laissé seul : le Pachet que j’ai connu était un artiste du monde flottant, à la fois désespéré et prodigieusement vivant, mar- chant dans les rues le nez au vent, ouvert à tout, disponible à tous et particulièrement à ces jeunes femmes dont nous, le cercle rapproché de ses amis, découvrions, un peu médusés par la rapidité de leur succession, un peu jaloux aussi, les prénoms, les visages, les histoires, les chagrins d’amour – car nul n’était meilleur public que lui pour les chagrins d’amour. Pachet aimait les femmes, les hommes l’emmerdaient un peu : je le sentais, malgré son affection, quand nous étions tous deux en tête-àtête ou même quand nous fêtions, ensemble, nos anniversaires – car nous sommes nés le même jour à vingt ans d’intervalle, et il aimait penser à la différence d’âge, pas seulement la nôtre, comme à « une rambarde à laquelle s’accouder pour converser commodément ». Pachet donnait des fêtes dans son appartement de la rue Cha- pon, à Paris, et, dans ces fêtes qu’organisait dans la plus russe des improvisations un homme de plus de 70 ans, il y avait des gens de tous âges, de tous milieux, et surtout il n’y avait jamais les mêmes gens. Sans cesse, il en rencontrait de nouveaux, s’intéressait à ce qui les faisait singuliers, les provoquait de son ton inimitablement peau de vache. Le soir de sa mort, nous avons en guise de veillée funèbre fait une fête de ce genre, chez lui, avec joints, vodka et musique, car il aimait danser, et surtout que les gens dansent, et idéalement qu’ils s’embrassent. Tout cela, il lui importait de le vivre infiniment plus que de l’écrire. Un grand professeur Auteur d’une vingtaine de livres, cet homme qui avait été un grand professeur, subjuguant ses étudiants et encore plus ses étudiantes, un critique de la volée d’un Jean Starobinski, et qui avait sur le tard quitté la prose d’idées pour l’écriture intime, ne se voyait pas comme un homme de lettres mais comme un sursitaire, un stagiaire dans la vie, un essayiste aussi, au sens où Robert Musil définissait l’« essayisme » : pas une forme littéraire, mais une façon de vivre, une morale d’absolue fidélité à l’expérience. Pachet – que j’appelais toujours Pachet, jamais Pierre, et il aimait bien ça, ça le faisait marrer – est autre chose pour moi qu’un écrivain que j’admire. Pendant les quinze ans de notre amitié, et je sais que ce que je dis là vaut pour beaucoup d’autres gens, il a été par sa lucidité, sa séduction bougonne, son visage sensuel et marqué qui me rappelait celui de l’acteur Ben Gazzara, son engagement à la fois nonchalant et total dans le métier de vivre, un de mes héros dans la vie réelle. p emmanuel carrère carnet | 23 0123 VENDREDI 24 JUIN 2016 Lorient. Larmor-Plage. Paris. en vente actuellement K En kiosque Xqu itcpfu fixfipgogpvu Pckuucpegu. dcrv‒ogu. hkcp›cknngu. octkcigu 0123 Cxku fg ffieflu. tgogtekgogpvu. oguugu. eqpfqnficpegu. jqoocigu. uqwxgpktu HORS-SÉRIE 1936 • LA VIE CHANGE • LA MENACE FASCISTE • LES PHOTOGRAPHES DU FRONT POPULAIRE Eqnnqswgu. eqphfitgpegu. ufiokpcktgu. vcdngu/tqpfgu. Hors-série & CIVILISATIONS Ng Ectpgv & CIVILISATIONS LE TEMPS DES MAHARAJAS SPLENDEUR ET DÉCADENCE rqtvgu/qwxgtvgu. hqtwou. rtqlgevkqpu/ffidcvu. cuugodnfigu ifipfitcngu Uqwvgpcpegu fg ofioqktg. vjflugu. JFT Gzrqukvkqpu. xgtpkuucigu. ukipcvwtgu. ffifkecegu. eqoowpkecvkqpu fkxgtugu GUERRE DE SEPT ANS POURQUOI LA FRANCE A PERDU L’AMÉRIQUE TRÉSORS LES GALIONS ENGLOUTIS DE L’ATLANTIQUE DE JÉRICHO À URUK COMMENT LES VILLES SONT APPARUES LES TYRANS D’ATHÈNES ILS ONT INVENTÉ LA DÉMAGOGIE Mensuel Xqwu rqwxg| pqwu vtcpuogvvtg xqu cppqpegu nc xgknng rqwt ng ngpfgockp < s fw nwpfk cw xgpftgfk lwuswÔ 38 j 52 *lqwtu hfitkfiu eqortku+ s ng fkocpejg fg ; jgwtgu 34 j 52 Rqwt vqwvg kphqtocvkqp < 23 79 4: 4: 4: 23 79 4: 43 58 ectpgvBorwdnkekvg0ht AU CARNET DU «MONDE» Naissances 2 Hors-séries jeux Collections Les nouvelles bilingues du Alice et Bastien annoncent avec joie que Alain MOREIRA - PELLET est né le 6 juin 2016. Sarah DORMONT et Thibault LE STRAT partagent avec la joie de vous annoncer la naissance de Gabrielle, APPRENDRE à PHILOSOPHER le 18 mai 2016, à Paris. Décès Sa famille Et ses amis, ont la tristesse d’annoncer le décès de M. Jacques AKNIN, ingénieur chimiste, docteur es sciences, ancien attaché scientiique à l’ambassade de France au Mexique, ancien conseiller ministériel, professeur au CNAM, décoré de l’ordre de l’aigle Aztèque, survenu le 19 juin 2016, à Paris à l’âge de quatre-vingt-quatre ans. Dès mercredi 22 juin, le volume n°16 SAINT AUGUSTIN Une cérémonie aura lieu au funérarium du cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e, le vendredi 24 juin, à 13 heures. EGYPTOMANIA Une collection pour découvrir la vie Alain et Catherine Barluet, ses enfants, Ysé et Jeanne, ses petites-illes, Anne Ephrussi, sa sœur, Halldór Stefansson et Alexander Halldórsson Ephrussi, Thomas Phélizon, et les mystères de l’Egypte des pharaons EGYPTOMANIA LES TRÉSORS DE L’ÉGYPTE ANCIENNE Les pharaons ramessides Aton, le pouvoir du soleil Les coutumes amoureuses Le musée de Louqsor ont la douleur de faire part de la disparition de Irène BARLUET, née EPHRUSSI, Dès jeudi 23 juin, le vol. n°24 Les pharaons ramessides - Aton, le pouvoir du soleil - Les coutumes amoureuses - Le musée de Louqsor Nos services Lecteurs K Abonnements www.lemonde.fr/abojournal K Boutique du Monde www.lemonde.fr/boutique K Le Carnet du Monde Tél. : 01-57-28-28-28 survenue le 18 juin 2016, dans sa quatre-vingt-douzième année. Des dons peuvent être effectués à la Ligue nationale contre le cancer. 83, rue de la Tombe-Issoire, 75014 Paris. ont la tristesse de faire part du décès de Mme Raymonde BLANCHARD, née CLERMONTÉ, ancienne élève de l’Ecole normale supérieure ULM-Sèvres, chevalier dans l’ordre des Palmes académiques, survenu à l’âge de quatre-vingt-six ans. Les obsèques ont été célébrées dans l’intimité familiale. Condoléances sur www.dansnoscœurs.fr Marine et Louis Darcel Raverdy, ses enfants, Léon Darcel, son père, Sa famille et ses proches, sont tristes d’annoncer la mort de Philippe DARCEL, survenue le 20 juin 2016, à l’âge de soixante-six ans. La cérémonie se déroulera le vendredi 24 juin, à 14 h 15, au crématorium de Nantes, cimetière du Parc. darcelfamille@gmail.com Stélio, son mari, Pierre, Hélène, Isabelle, ses enfants, Nicolas, Emilie, Pierre et Paul, ses petits-enfants, Mireille, sa sœur, ont la douleur d’annoncer le décès de Lou, sa grande sœur, Dès jeudi 23 juin, le volume n°2 EDGAR ALLAN POE Henri, son époux, Catherine et Pierre, Yves et Isabelle, ses enfants et leurs conjoints, Jules et Hugo, ses petits-enfants et Antoine, Renée Odiot, sa sœur Ainsi que toute la famille, Jacqueline FARANDJIS, survenu le 21 juin 2016. On se recueillera en l’église Saint-Martin de Lognes, le mardi 28 juin, à 10 h 30. Adresse familiale : 6, cours des Petites-Ecuries, 77185 Lognes. Katia et Yaëlle Garner ont la tristesse d’annoncer le décès, le 14 juin 2016, à Newmarket (Ontario), de leur grand-mère, Charlotte GARNER, née à Vienne (Autriche), en 1925, mère de Georg R. GARNER, décédé à Paris, le 15 juin 2003 et de Harold GARNER. Blandine et Lison de Caunes, Constance Guimard, ses illes, Violette (†), Clémentine, Pauline, ses petites-illes, Zélie, son arrière-petite-ille, ont la tristesse de faire part du décès de Benoîte GROULT GUIMARD, survenu le 20 juin 2016, à l’âge de quatre-vingt-seize ans. Les obsèques auront lieu dans la plus stricte intimité, à Hyères. Un hommage lui sera rendu en septembre, à Paris. # # $ !# $ # #$ $# &. + *2.+ #$ $ #$ $ $# $ # *'$ %&# & #$ # . *&%%* # $ !# ! #! *%& + &/& #$ %# # # " $ #$ ! #! # %&!- &(). % * ** %%#&%. * % # %* # * .* # # ** &.*-& + # % *&% 2#/ .$%% *%. (*$%- * # $ $ %%- &- # (( &.* # 3"&0+" # $# *%" &%%+ # .** % * +- % ++&# #$ $ $ %# $ $ ##+ /% &- #$ $ %# $ $ .# % *&&.*#$ % !# # #! %%- * # % &.1 #$ #!#$ * + (-&&*&. # &#+ $%3 * 3 #$ *%" &. # $ $ -* %  # # * +- % ! !$ % ** * (*+ %- +- % *% & / (*+ %- Benoîte GROULT nous a quittées. Grande igure de la cause des femmes, elle lui a apporté sa liberté, son intelligence joyeuse, ses écrits, sa solidarité. De sa rencontre avec Antoinette Fouque, il y a plus de quarante ans, était née une vive amitié. Elles ont partagé de nombreux combats pour la libération des femmes, en France et dans le monde. Exposition Exposition du peintre ISDIS, (peintures, Retour en Auvergne, Relets du Monde), du 13 juin au 12 juillet 2016, de 14 h 30 à 18 h 30, tous les jours, à Chaudes-Aigues (Cantal), chapelle des Pénitents, vernissage le 24 juin, à 18 heures. Prix Nous pensons à elle avec affection et admiration. Notre sympathie va à sa famille. Ses amies du MLF, des éditions des femmes et de l’Alliance des Femmes. 8e prix parlementaire franco-allemand 10 000 € (Le Monde du 23 juin.) Alain MALLET, fondateur des théâtres d’Edgar et Rive Gauche, nous a quittés le 18 juin 2016. Un dernier hommage lui sera rendu le vendredi 24 juin, à 15 h 30, au crématorium du cimetière du Père-Lachaise, en la salle de la Coupole, Paris 20e. Sa famille et ses amis. Claudine Mesnager, son épouse, Romain et Séverine, ses enfants, Pacôme, Anatole et Violette, ses petits-enfants et leur famille ont la tristesse de faire part du décès de Jean MESNAGER, survenu le 20 juin 2016, à Batz-sur-Mer, à l’âge de soixante-dix huit ans. La cérémonie d’adieu pour ses proches aura lieu le vendredi 24 juin, à 14 h 30, au crématorium de Saint-Nazaire La Fontaine Tuaud. Le prix parlementaire franco-allemand récompense deux lauréats, l’un français, l’autre allemand, pour un ouvrage qui contribue à une meilleure connaissance mutuelle des deux pays dans les domaines juridique, politique, économique, social ou dans celui des sciences humaines. Le 8e prix sera remis courant 2017. Edgard PISANI, qui s’est éteint le 20 juin 2016, à l’âge de quatre-vingt-dix-sept ans. Conformément à sa volonté, la cérémonie d’adieu se déroulera dans l’intimité familiale, aux Invalides. 33, rue Lhomond, 75005 Paris. edgardpisani@gmail.com Festival Européen Jeunes Talents, 16e édition La musique classique au cœur du Marais ! Du 3 au 23 juillet 2016 aux Archives nationales, Paris 3e, 100 jeunes musiciens sont présents : Anne Queffélec, l’Ensemble Les Contre-Sujets, Vassilena Seraimova, le Trio Karénine, Julian Trevelyan, Romain Leleu, Clémentine Decouture, Aurélien Pascal, Fanny Clamagirand, Tanguy de Williencourt, le Quatuor Akilone, le Quatuor Van Kuijk, et tant d’autres. Concerts de musique de chambre du mardi au samedi à 20 heures et le dimanche à 18 heures. Tarifs de 8 € à 15 €. Informations et réservations sur www.jeunes-talents.org / 01 40 20 09 32. Communications diverses Les postulants français doivent adresser leur candidature à l’Assemblée nationale le 16 septembre 2016 au plus tard, le cachet de La Poste faisant foi. Ils y joindront en trois exemplaires : leur ouvrage, un résumé de celui-ci (trois pages maximum), une lettre de motivation (une page maximum) et un curriculum vitæ (deux pages maximum), qu’ils feront parvenir à l’adresse : Division du protocole et de la gestion Assemblée nationale, 126, rue de l’Université, 75355 Paris Cedex 07 SP. prixfrancoallemand@assemblee-nationale.fr Mme Vanda Pisani, son épouse, Ses enfants, Ses petits-enfants, Ses arrière-petits-enfants Et son frère, ont la tristesse d’annoncer le décès de Concerts Conférence Conférence de Pierre Iselin suivi d’un concert des Sorbonne Scholars, université Paris-Sorbonne « Shakespeare et la France », mardi 28 juin 2016, à 17 heures (concert à 20 heures), Amphithéâtre Richelieu 17, rue de la Sorbonne, Paris 5e. Tarif : gratuit mais inscription obligatoire au préalable à formation-continue@paris-sorbonne.fr ou 01 53 42 30 39 http://universite.ete.sorbonne-universites. fr/conferences-du-soir.html (Le Monde du 23 juin.) Colloque Journée « Claude Lévi-Strauss et le Japon » au salon Paul Pelliot de l’Hôtel d’Heidelbach, avec la participation de Junzo Kawada, traducteur et ami de Lévi-Strauss. Samedi 25 juin 2016, à partir de 10 heures, Salon Paul-Pelliot, Hôtel d’Heidelbach, 19, avenue d’Iéna, Paris 16e. Entrée libre dans la limite des places disponibles. Plus d’informations sur www.guimet.fr Université Paris I Panthéon-Sorbonne Diplôme universitaire d’études sur le Judaïsme (DUEJ), réunion d’information ce jeudi 23 juin 2016, à 17 h 30, Espace Rachi - Guy de Rothschild 39, rue Broca, Paris 5e, salle A. Enseignement pluridisciplinaire 2016-2017, Histoire - Droit - Anthropologie Histoire de l’Art / Cinéma Introduction à la Bible et au Talmud - Hébreu. Programme d’études sur deux ans, niveau requis : licence ou équivalent. Pour tous renseignements : 01 42 17 10 48. Email : duej@fsju.org http://duej.univ-paris1.fr Inscriptions : http://sesame.univ-paris1.fr Assemblée générale Société des employés et Société des cadres du « Monde » La société des employés du Monde (SDEM) et la société des cadres du Monde (SCM) Cannes. Paris. Sydney. Son épouse, Ses enfants, Ses petits-enfants, ont la profonde tristesse de faire part du décès de Cherif YACEF. L’Association française de psychiatrie propose un colloque sur Les obsèques ont lieu dans l’intimité. « Qu’est-ce que penser ? » maefy@wanadoo.fr les 1 et 2 juillet 2016, er Anniversaires de décès In memoriam, Marie-Louise BECKER, à Suze-la-Rousse (Drôme). Programme et Inscription : www.psychiatrie-francaise.com ont décidé de réunir conjointement leurs associés en assemblée générale ordinaire, au siège social du journal, 80, boulevard Auguste Blanqui, Paris 13e, jeudi 30 juin 2016, à 11 heures. Ordre du jour : - Lecture du rapport du conseil de gérance, - Approbation des comptes des sociétés des cadres et employés au 31 décembre 2015 et quitus, - Nominations de co-gérants pour la SCM, - Questions diverses. née LABROSSE, 3 mai 1943 - 19 juin 2006. Le 24 juin 1980, Sarah KERBER nous quittait. Nous pensons à elle en y associant le souvenir de son époux Chaim KERBER, 99 *;; 9;8; 98 9" *;; , ;; 94 *;; ,!;; de son petit-ils adoré Fabian Cyril BOISSON, trop tôt disparu et de sa ille Nathalie KERBER. Hommage La Fondation de l’école HEC souhaite, en ce jour anniversaire de la disparition de l’un de ses bienfaiteurs, rendre hommage à tous ceux qui contribuent, par leur générosité et leur engagement, à favoriser l’accès à l’enseignement supérieur et à développer l’entrepreneuriat. 9 % ,4 . / 1)2#&372()7 ' '27&+) -2'' :-23 ' &2& 2&3 ,5%,894 2(3 ''&2 % % -&7' "0*450;;; :2+3 &# +&' 9" 2: : :+:2# &)7%+)+2 4!;; 2&3 % 5*5 !9; ",; 2&3 24 | DÉBATS & ANALYSES 0123 VENDREDI 24 JUIN 2016 Dimanche 26 juin, les 967 500 électeurs du département de Loire-Atlantique sont invités à se prononcer par référendum sur le projet de transfert de l’aéroport de Nantes Notre-Dame-des-Landes : le scrutin éteindra-t-il le conflit ? C’est une consultation locale totalement bâclée Le périmètre retenu n’est pas bon, la question ne permet pas un choix entre plusieurs options et le dossier fourni aux électeurs est incomplet Par BERNARD CHEVASSUS-AU-LOUIS et DENEZ L’HOSTIS S ortir de l’inextricable conflit de Notre-Dame-des-Landes par une consultation populaire, dont le résultat déterminerait la décision ultérieure de l’Etat sur le projet retenu, pouvait sembler être une idée séduisante. Mais pour fournir une réponse solide, cette consultation devait remplir trois conditions sur le fond : que le périmètre de consultation soit bien choisi, que la question permette un choix clair et que les informations données au public montrent bien les enjeux du débat. A ce jour, on en est loin. La question posée, « Etes-vous favorable au projet de transfert de l’aéroport de Nantes Atlantique sur la commune de Notre-Dame-des-Landes ? », ne permet pas l’expression d’un choix parmi les options envisageables. En effet, il existe deux options de transfert différentes : un projet à deux pistes de 3 600 mètres de long, et un projet à une seule piste, de 2 900 mètres. La réponse « oui » recouvre deux options différentes. Quant à l’option de maintien de l’aéroport actuel Nantes Atlantique en l’absence de transfert, qui correspondrait à la réponse « non », elle n’a jamais été décrite dans les dossiers présentés. Le document d’information support de la consultation a été rendu public jeudi 9 juin par la Commission nationale du débat public (CNDP). La législation européenne définit ce que les citoyens sont en droit d’attendre de ce document. Jugé à l’aune de ces exigences, le document établi présente des lacunes et des biais importants. Consulté par la CNDP, estimant elle aussi que le mot « transfert » ne suffisait pas à définir le projet, le gouvernement a indiqué qu’il s’agissait du projet à deux pistes de 3 600 mètres. Aucune argumentation n’est présentée dans le dossier en faveur de cette option par rapport à l’alternative à une seule piste plus courte. Aucune comparaison n’est faite entre le projet retenu par l’Etat et les deux options de substitution que sont le projet de transfert à une seule piste plus courte, et le maintien à Nantes, au regard de l’ensemble des critères d’appréciation. tres et aériens, le projet de transfert apparaît en contradiction manifeste avec les objectifs consacrés tout récemment par l’accord de Paris faisant suite à la COP21. Les impacts sur l’eau et la biodiversité sont à l’évidence plus importants dans les deux options de transfert que dans l’option du maintien. L’urbanisation induite, toujours constatée à proximité des nouveaux aéroports en rase campagne, ne ferait qu’accentuer cette différence. Enfin, la comparaison de l’appel aux financements publics dans les différentes options aurait mérité d’être plus solide, en ces temps de rigueur budgétaire pour l’Etat et les collectivités. Certains points sont omis, comme les impacts du développement du trafic low cost sur les subventions publiques, et le coût de la totalité des accès routier et ferroviaire. Dans chaque option, les risques financiers supportés par le concessionnaire et par la puissance publique auraient dû être précisés. Enfin, le coût d’investissement dans l’option du maintien à Nantes est très surévalué en défaveur de cette option, faute d’avoir appliqué aux dépenses prévues en 2030 et 2050 l’abattement résultant du taux d’actualisation permettant, comme c’est la règle en la matière, de comparer les dépenses futures aux présentes. Il aurait donc été possible de fournir avant la consultation un tableau comparatif rigoureux du projet présenté par l’Etat au regard des deux options alternatives possibles. En son absence, les éléments avancés en faveur de la solution de transfert proposée ne reposent que sur l’extrapolation de tendances issues d’une période révolue et non sur une argumentation solide intégrant des transitions dont personne ne conteste plus la nécessité. Dans cette consultation, le périmètre retenu n’est pas bon, la question est mal posée et le dossier fourni au public ne permet pas de comprendre ni de comparer les conséquences réelles des options envisageables. Vouloir fonder une sortie de conflit sur une telle démarche, semblable à celle ayant conduit à l’enlisement actuel, est bien loin de l’exemplarité qui devrait s’imposer en matière de démocratie participative. Faute d’être l’occasion d’un réel réexamen du dossier au vu des enjeux de 2016 et non du siècle passé, elle ne donnera ni solution claire ni légitimité au projet. p ¶ Bernard Chevassus-au-Louis, président de l’association Humanité et Biodiversité et Denez L’Hostis, président de l’association France Nature Environnement. CONTRADICTION MANIFESTE Sur certains points, il aurait pourtant été simple de comparer les trois options en présence. Ainsi, il est indiqué que l’analyse du rapport entre le coût et le bénéfice fournit un résultat positif pour le projet de transfert à deux pistes. Le résultat du calcul serait évidemment bien meilleur pour le projet à une seule piste puisqu’il bénéficie d’un montant investi plus faible, tous les autres paramètres de calcul étant semblables. Il est certain qu’il serait plus favorable encore pour le maintien à Nantes Atlantique, lequel bénéficie, en sus, de gains de temps pour les accès à l’aéroport… Une telle analyse du rapport entre le coût et le bénéfice, pesant les avantages et les inconvénients pour la société d’un projet par rapport à ce qui se passerait en son absence, doit aussi intégrer les effets du projet sur d’autres infrastructures existantes, notamment celui des nombreux petits aéroports du Grand Ouest : leur rentabilité fragile, voire leur existence, pourrait s’en trouver remise en cause. Le dossier n’évoque quasiment pas les enjeux liés au climat et aux émissions de gaz à effet de serre. Pourtant, tout indique que le projet de transfert repose sur l’hypothèse d’une augmentation significative du trafic aérien. Par ailleurs, les émissions liées aux allers et retours des passagers entre leur domicile et l’aéroport seront plus fortes à Notre-Dame-des-Landes qu’à Nantes Atlantique, l’essentiel des passagers venant de Nantes. Même avec des progrès importants espérés en matière de consommation de carburant fossile dans les transports terres- Débats publics | par selçuk Ce projet de transfert est porteur d’une vision d’avenir Nous avons le choix entre devenir la porte d’entrée de l’Europe ou en être le cul-de-sac. Je choisis la vision positive et l’Etat de droit Par ALAIN MUSTIÈRE L e transfert de l’aéroport de Nantes-Atlantique à Notre-Dame-des-Landes engage l’avenir de notre territoire, non pas pour les cinq prochaines années mais pour les cinquante ans qui viennent. C’est un enjeu pour nos enfants. Notre responsabilité est de préparer l’avenir des futures générations qui aspirent à venir travailler dans l’Ouest. La Bretagne et les Pays de la Loire vont accueillir 1,5 million d’habitants d’ici à 2040, la Loire-Atlantique accueille chaque année 15 000 nouveaux habitants. Quel avenir leur propose-t-on ? Un avenir positif sur un territoire ouvert sur le monde, ou un avenir pessimiste sur un territoire replié sur lui-même ? On a le choix entre devenir la porte d’entrée de l’Europe ou en être le cul-de-sac. Mon choix est fait. Je vote pour une vision positive où l’homme n’est pas l’ennemi de la nature, où le développement concilie préservation de l’environnement et amélioration de la qualité de vie. Le transfert de l’aéroport permettra d’accompagner la croissance du trafic, qui a doublé en dix ans et qui doublera encore d’ici à quarante ans. Nantes-Atlantique est l’aéroport régional qui connaît la plus forte croissance depuis cinq ans. Deux cent cinquante destinations ont été refusées aux compagnies en 2015 et donc aux habitants du Grand Ouest car l’aéroport est déjà saturé plus de 135 jours par an. Est-ce qu’on freine ce développement alors que plus de 50 destinations sont accessibles depuis Bordeaux, Toulouse, Marseille, Lyon ou Nice et pas encore à Nantes ? Est-ce qu’on s’inscrit dans le déclinisme prôné par les opposants ou est-ce qu’on s’inscrit dans la démocratisation du transport aérien ? Bien loin des prévisions des opposants qui, en 1997, déclaraient que les 4 millions de passagers seraient atteints à Nantes en 2036 ! On en est déjà à 4,4 millions ! Ils avaient vingt ans de retard en 1997 et ils ont toujours vingt ans de retard ! Airbus, qui emploie près de 6 000 personnes dans la région, et les chantiers ont dix ans de carnets de commandes. On n’a jamais connu cela sur le territoire. Il est indispensable d’accompagner cette croissance. Et ce n’est pas sur l’aéroport actuel qui date des années 1930, enclavé entre le périphérique et une zone Natura 2000, qu’on pourra l’étendre pour cinquante ans afin de faire face à un doublement du trafic. Cela pour plusieurs raisons majeures. Parce que l’alignement de la piste dans l’axe du centre-ville ferait peser trop de nuisances, de pollution et de risques sur les habitants de l’agglomération nantaise qui serait survolée à basse altitude avec un avion toutes les trois minutes en heure pointe. Quarante-deux mille personnes sont actuellement soumises à ces nuisances et à ces risques, 80 000 à terme alors qu’elles seront moins de 900 à Notre-Damedes-Landes, où aucun bourg ne sera survolé. Parce que le maintien du survol de l’agglomération nantaise à basse altitude entraînerait un gel d’une grande part des projets urbains de logements et d’activités. Avec ce transfert, 6 000 logements peuvent être construits dans l’agglomération en évitant de consommer des terres agricoles en deuxième ou troisième couronne. Parce qu’une extension de l’aéroport et de la piste autour du lac de Grand-Lieu, zone Natura 2000 protégée par la convention internationale sur les zones humides, est trop contrainte par la loi littoral et les procédures européennes qui ont d’ailleurs conforté ce transfert. CINQ MILLE NOUVEAUX EMPLOIS Nous ne devons pas nous laisser enfermer dans cet entonnoir vers lequel tentent de nous entraîner les opposants qui ne veulent d’aéroport ni là ni ailleurs. Au mépris de la démocratie, du choix des majorités politiques toutes tendances confondues et de près de cent soixante décisions de justice, toutes favorables, les opposants imposent par la force le blocage d’un projet légitime porté par trois présidents de la République, six premiers ministres, deux régions, deux départements, les villes de Nantes et de Rennes, prévu de longue date et accompagné puisque quatre-vingt-quatorze anciens propriétaires ont négocié à l’amiable leur relocalisation. Seuls quatre agriculteurs s’opposent au projet. Il est temps d’agir. Pour l’emploi, car 5,4 millions d’heures de travail seront libérées tout de suite. Le transfert de l’aéroport va permettre d’injecter 561 millions d’euros dans l’économie régionale, dont plus de la moitié par un concessionnaire privé. Au moment où notre pays est englué dans un chômage de masse, cette bouffée d’oxygène pour notre région n’est pas à négliger pour les 3 000 personnes qui travailleront sur le chantier. L’espace libéré par le transfert permettra d’accueillir 5 000 nouveaux emplois et 1 000 chercheurs autour de l’Institut de recherche technologique mutualisé JulesVerne, du Technocampus et du pôle industriel d’Airbus qui a besoin de foncier pour accueillir ses sous-traitants à proximité de ses usines. Pour en finir avec le modèle de société prôné sur la zone à défendre (ZAD) : 200 incidents envers des riverains qui vivent un enfer, maisons saccagées, routes coupées et checkpoint pour les autres, entreprises menacées, juge caillassé, scientifiques molestés, gendarmerie attaquée et voiture de gendarmerie brûlée et une situation délétère qui se propage dans les villes de Nantes et de Rennes. Ce n’est pas avec cette image que nous ancrerons ici de l’activité et des emplois pour nos enfants. Dimanche 26 juin, c’est une chance unique de s’exprimer et de dire « oui » à la démocratie, « oui » au respect des décisions de justice, à l’Etat de droit et à l’évacuation de la ZAD qui constitue la première étape du lancement de l’aéroport du Grand Ouest. Pour les générations qui nous suivent et qui auront besoin de mobilité, nous devons assumer cette responsabilité de dire « oui » au transfert de l’aéroport. p ¶ Alain Mustière est président de « Des Ailes pour l’Ouest », l’association favorable à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. débats & analyses | 25 0123 VENDREDI 24 JUIN 2016 Un paysage syndical modifié par la bataille sur la loi El Khomri Analyse IL N’Y A PAS UN SEUL DIRIGEANT SYNDICAL PRÊT AUJOURD’HUI À PARIER SUR UNE RÉÉLECTION DE FRANÇOIS HOLLANDE Q uelle que soit l’issue du bras de fer sur la réforme du code du travail, il y aura un avant et un après loi El Khomri pour le syndicalisme français. Le texte de la ministre du travail a provoqué de profondes déflagrations dans le paysage syndical. La fracture entre une CGT « contestataire » et une CFDT « réformiste » s’est accentuée au point que leur confrontation a pris parfois une tournure violente. Et le bloc réformiste – CFDT, CFTC, CFE-CGC, UNSA – s’est largement fissuré. Le changement de pied de la centrale des cadres après l’élection de son nouveau président, François Hommeril, qui a aussitôt demandé la « suspension » du débat parlementaire sur la loi travail, a amené le camp des contestataires à fêter une prise de guerre. La CGT et FO ont fait leurs comptes et clament qu’avec le renfort de la CFE-CGC – qui ne réclame pas formellement le retrait de la loi – les syndicats représentatifs hostiles ont une audience électorale de 52,14 % contre 35,3 % pour ceux qui, comme la CFDT et la CFTC, soutiennent la réforme. Manuel Valls, affirmentils, ne peut plus se prévaloir d’un soutien syndical majoritaire. Derrière le débat sur la négociation d’entreprise et l’inversion de la hiérarchie des normes, déjà écornée depuis 1982, se livrent deux autres batailles intersyndicales. La première concerne la prochaine mesure de représentativité syndicale, en mars 2017, qui pourrait voir la CFDT ravir la première place à la CGT, lors d’un rendez-vous important à la fin de cette année avec le scrutin dans les très petites entreprises (TPE, de moins de onze salariés). La seconde est plus politique puisqu’il s’agit de l’élection présidentielle dans moins d’un an. Il n’y a pas un seul dirigeant syndical prêt aujourd’hui à parier sur une réélection de François Hollande qui avait bénéficié, en 2012, du soutien explicite (CGT) ou implicite d’une majorité d’organisations. Tous les syndicats appelleront probablement à faire barrage au Front national (FN), mais ils anticipent déjà l’hypothèse d’un retour au pouvoir d’une droite prête, à des degrés divers selon les candidats, à aller beaucoup plus loin que Myriam El Khomri sur la réforme du code du travail et même à s’en prendre au « pouvoir syndical ». C’est à travers le prisme de cette double bataille que se lit la stratégie radicale de Philippe Martinez, accentuée lors du congrès de Marseille de la CGT, en avril. Contestant la politique de M. Hollande, le secrétaire général de la CGT avait martelé que « le gouvernement actuel prolonge et amplifie ce que faisait celui de Nicolas Sarkozy ». Et le 19 juin, il a redit que le chef de l’Etat « a trahi son électorat ». M. Marti- nez pense que sa posture de commandant des luttes et de chef de l’opposition syndicale lui permettra, outre une légitimation de son autorité en interne, d’aborder favorablement les élections dans les TPE et de rattraper son retard sur la CFDT. En cas d’échec sur la loi travail, il mettra à son actif les modifications obtenues et agitera, face à un gouvernement inflexible au point d’avoir tenté d’interdire une manifestation syndicale, la menace de la sanction des urnes. Son message visera aussi la droite : en 2017, il faudra compter avec la CGT. DEUX FERS AU FEU L’équation est moins simple pour FO. Seul dirigeant d’une confédération membre du Parti socialiste, où il est proche de Martine Aubry, Jean-Claude Mailly doit naviguer entre une influente minorité trotskiste et un marais réformiste qui peine à se faire entendre, tout en tentant de se protéger des tentatives de pénétration du FN. Dans le conflit sur la loi travail, le secrétaire général de FO a toujours eu deux fers au feu : en tête de l’action, mais derrière la CGT, avec le risque d’avoir peu de visibilité, mais sans jamais abandonner les tractations en coulisses avec le président et les parlementaires. Son compagnonnage avec M. Martinez risque à terme de faire grincer des dents en interne dans une centrale née d’une scission avec la CGT en 1947. M. Mailly sait par ailleurs qu’il a peu de chances de redevenir en 2017 un interlocuteur privilégié d’une droite qui met en cause le paritarisme dont FO se veut l’ardente défenseure. Du côté des réformistes, Laurent Berger ne renie rien de sa défense de la loi El Khomri, jugeant que c’est la CFDT qui a réussi à réécrire le projet dans un sens qu’il estime « porteur de progrès social » pour les salariés. L’obsession du secrétaire général de la CFDT est de rendre le syndicalisme « utile » et il voit dans la priorité aux accords d’entreprise le moyen pour les syndicats de « consolider leur pouvoir de négociation pour répondre aux préoccupations des salariés ». M. Berger a maintenu la cohésion de sa centrale et espère toujours monter en haut du podium en 2017. Mais le prix politique peut être lourd. Le bloc réformiste a éclaté. La CFE-CGC a rompu les amarres et l’UNSA, proche de la CFDT et du PS, a multiplié les critiques sur la loi travail. En soutenant la réforme d’un gouvernement impopulaire, la CFDT risque aussi d’être la cible privilégiée de la droite si elle gagne en 2017. Le débat sur la loi travail a fait passer au second plan deux bonnes nouvelles pour le syndicalisme. Le taux de syndicalisation (11,2 % en 2013) est moins faible que ce que l’on croyait jusqu’alors. Un rapport parlementaire, émanant du député Arnaud Richard (UDI, Yvelines), a préconisé la création d’un haut conseil de la négociation collective. La CFTC y voit un outil susceptible de « révolutionner les relations sociales ». Minces consolations. p michel noblecourt Edgar Poe, entre élégance et noirceur Disneyland entre en Chine | par serguei NOUVELLES BILINGUES DU « MONDE » - EDGAR ALLAN POE « LA LETTRE VOLÉE », « BÉRÉNICE » Livre/CD n° 2, 4,99 € En vente dès le 23 juin Collection O n dit souvent d’Edgar Allan Poe (1809-1849) qu’il est l’« inventeur » du roman policier. C’est en partie avec La Lettre volée que s’est forgée cette réputation. Publié en 1844, ce récit est considéré comme un texte fondateur du genre. Et pour cause : il en redéfinit totalement les codes. Poe lui-même considérait La Lettre volée comme sa meilleure nouvelle de « ratiocination », une expression qui désignait pour lui l’art de raisonner de façon subtile et non conventionnelle. Dans cette histoire singulière, un détective amateur nommé Auguste Dupin cherche à aider la police alors que celle-ci peine à retrouver une lettre dérobée à la reine par son ministre. Dupin parvient à la localiser, mais ce qui est frappant, c’est qu’il perce le mystère uniquement grâce à son imagination et à son esprit de déduction, sans bouger de son fauteuil ou presque. Le récit se déroule ainsi dans une seule pièce, où conversent Dupin et le narrateur, alors que l’action, elle, est seulement rapportée par flash-back. En résolvant cette énigme, Dupin démontre que l’imagination poétique l’emporte le plus souvent sur la réflexion mathématique. Une démonstration qui traduit parfaitement la conception du monde d’Edgar Poe, homme de lettres réputé. Sous sa plume, la réflexion prime désormais sur l’action, contrairement à ce qui prévalait jusqu’alors dans le roman policier. Poe nous familiarise avec une nouvelle méthode d’investigation. Celle qui consiste à se mettre dans la peau et l’esprit du criminel, pour mieux percer son schéma de pensée et éclairer ses agissements. POLITIQUE | CHRONIQUE DE FRANÇOISE FRESSOZ Le suicide de la gauche E tonnante, stupéfiante même, cette guerre des gauches qui se déroule sous nos yeux et semble vouée à ne connaître aucun répit. Une guérilla de quatre ans dont la cause n’est plus le pacte de stabilité, ni le pacte de responsabilité, ni la déchéance de nationalité, ni l’inversion de la hiérarchie des normes sociales, mais la violence tout simplement. La violence infligée par la gauche à une autre gauche et vice versa : les syndicats opposés au projet de loi El Khomri, parmi lesquelles la CGT, FO et quelques organisations de jeunes, ont crié à la « violence politique » lorsque le gouvernement a voulu interdire une manifestation prévue jeudi 23 juin, avant de donner son feu vert à un autre parcours. En retour, le gouvernement ne cesse d’accuser la CGT, qui s’est radicalisée ces derniers mois, d’entretenir « la violence », faute de savoir ou de vouloir maîtriser les casseurs qui s’en donnent à cœur joie durant les manifestations. On ne s’écharpe plus sur le contenu du projet de loi travail, ce fameux article 2 qui consacre la négociation en entreprise et donne des ailes à la CFDT, au UNE EXISTENCE SOMBRE grand dam de FO et de la CGT. On s’accuse mutuellement de comportements antidémocratiques. Un comble pour la gauche ! Et l’équivalent d’un suicide politique. ÉTAT DE DÉCOMPOSITION Car qui désormais pour défendre le contenu du texte, aujourd’hui totalement occulté, y compris dans sa dimension la plus sociale, le compte personnel d’activité, qui était l’esquisse d’une sécurité sociale professionnelle voulue à la fois par la CGT et la CFDT ? Au lieu de quoi, la guerre, qui n’a aucune chance de se calmer car chaque coup porté est là pour nourrir la confrontation électorale qui se jouera en 2017 : gauche d’opposition contre gauche gouvernementale. La première éparpillée mais de plus en plus offensive, la seconde comme réduite à peau de chagrin. Et tant pis si la droite l’emporte ! Pour certains, tant mieux même ! Eh oui, on en est là ! Que la gauche du programme commun, qui devint ensuite la gauche plurielle, ait atteint ce degré de violence au bout de quatre années d’exercice périlleux du pouvoir en dit long sur l’état de décomposition de ce camp. Au fond, ils n’étaient d’accord sur rien. Pis, ils avaient négligé de s’accorder sur quelques grands principes, ce qui explique la force du procès en trahison instruit non seulement par JeanLuc Mélenchon mais aussi par Pierre Laurent, Cécile Duflot, Arnaud Montebourg ou encore Christian Paul à l’encontre de François Hollande. Lequel aggrave chaque jour son cas en négligeant de plaider sa cause et celle du texte qu’il a voulu dans le prolongement d’autres choix significatifs comme la restauration de la compétitivité. Le comble, c’est que la conjoncture s’améliore et que le bilan n’est pas nul. Mais comment le dire, alors que tous autour du président semblent avoir intégré la défaite. A commencer par Manuel Valls qui, à travers son bras de fer assumé avec la CGT, entend achever l’œuvre de scissiparité des gauches à laquelle il s’est attelé dans l’espoir de tout reconstruire… après. p fressoz@lemonde.fr Nouvelle non violente, La Lettre volée contraste avec l’horreur de Bérénice, un récit qui s’inscrit dans une autre veine d’Edgar Poe, celle du morbide. Il y a un côté sombre dans l’existence de Poe. Sa vie est jalonnée de nombreux décès, dont celui de sa femme, et marquée par une consommation souvent excessive d’alcool. La nouvelle, publiée en 1935, relate l’histoire d’Egaeus, chez qui l’addiction à l’opium crée une obsession pour les dents de sa cousine Bérénice, qu’il s’apprête à épouser. Celle-ci est atteinte d’une grave maladie qui la fait dépérir. Plus son état se dégrade, plus la folie de son cousin empire, l’amenant jusqu’à considérer sa future femme comme un être abstrait. Poe aime jouer avec l’horreur du roman gothique. Il a d’ailleurs scandalisé des lecteurs de son époque par le côté « gloomy », c’est-à-dire sinistre, lugubre, de son histoire. On y retrouve les thèmes de la folie et de l’obsession, très appréciés de l’auteur. Et l’on y plonge dans une atmosphère d’épouvante et de monstruosité. Autant La Lettre volée joue sur l’élégance des personnages et des situations, autant Bérénice témoigne du goût de l’écrivain américain pour le macabre et la noirceur. Dans les deux cas, ces nouvelles font de Poe un maître de la beauté autant que de l’étrangeté. p juliette hirsch 26 | 0123 0123 VENDREDI 24 JUIN 2016 INTERNATIONAL | CHRONIQUE p a r a l a in fr a cho n La fin de l’Etat islamique ? L e « califat » d’Abou Bakr Al-Baghdadi ne durera pas. Son prétendu Etat islamique (EI), autodéclaré il y a deux ans, est sur la défensive. Il se dissipera aussi vite qu’une brume matinale sur les rives de l’Euphrate. Mais le djihadisme, le terrorisme islamiste, les guerres d’Irak et de Syrie, ce qui constitue le chaos moyen-oriental ? Hélas, tout cela ne disparaîtra pas avec l’EI. D’ici quelques semaines, quelques mois, la ville sunnite de Fallouja, aux mains de l’EI depuis janvier 2014, sera reprise. L’armée irakienne progresse, l’EI recule. Courant 2016, les hommes de l’EI ont déjà dû abandonner Tikrit et Ramadi. Bientôt se profilera la bataille de Mossoul, deuxième ville d’Irak et « capitale » du « califat » au bord du Tigre. L’autre bastion d’Al-Baghdadi, en Syrie celui-là, la ville de Rakka, sur les rives de l’Euphrate, va subir les assauts conjugués de l’armée du régime, d’un côté, et des Kurdes, de l’autre. On prête à Barack Obama le désir de voir l’EI chassé de Mossoul et de Rakka d’ici à janvier 2017, quand il quittera la Maison Blanche. Aucune des percées réalisées ces derniers mois en direction de ces deux villes n’a été possible sans les interventions de l’US Air Force. Dans la lutte contre l’EI, la contribution aérienne décisive, jusqu’à présent, est venue des Etats-Unis, pas de la Russie (qui n’intervient qu’en Syrie). Que signifiera la perte de Rakka et de Mossoul pour l’organisation d’Al-Baghdadi ? Elle marquera le démantèlement des structures paraétatiques du « califat » : ce début d’administration, de collecte de l’impôt, d’application de la charia, de vente de pétrole – ce qui a fait dire que l’EI était un mouvement terroriste plus riche et plus durable que les autres. Conséquence salutaire : les six millions de personnes qui, de part et d’autre de la frontière, vivent sous la tyrannie de la soldatesque du « calife », seront libres. Le temps de la vengeance Il ne faut pas se tromper. L’avènement de l’EI, mouvement sunnite, a ajouté aux tragédies irakosyriennes, il ne les a pas créées. Au contraire, l’EI est né de ces drames et s’en nourrit. Avec la reprise de Rakka et de Mossoul, l’embryon d’Etat qu’est l’EI sera détruit. Bon point, la défaite militaire lui enlèvera ce qui a été l’un des éléments de son « aura » : son image d’invincibilité. Mais l’idéologie qui anime son action, le djihadisme sunnite, lui survivra, sous une forme ou sous une autre. Il en ira ainsi tant que les Arabes sunnites seront dans le malheur. Explication, à gros traits. En Irak, les Arabes musulmans sunnites représentent 20 % de la population. Cette minorité s’est confondue avec l’ancien régime, le Baas de Saddam Hussein. Trente ans durant, le Baas va tyranniser la majorité arabe musulmane chiite et martyriser l’autre minorité, les Kurdes. Quand les Etats-Unis renversent Saddam Hussein en 2003, les Kurdes, dans le Nord, sont déjà constitués en L’AVÈNEMENT DE L’EI, MOUVEMENT SUNNITE, A AJOUTÉ AUX TRAGÉDIES IRAKOSYRIENNES, IL NE LES A PAS CRÉÉES LE DJIHADISME, AU-DELÀ DE SA FOLIE POLITICORELIGIEUSE, A TROUVÉ UNE CAUSE : LA DÉFENSE DES SUNNITES région autonome. Pour les chiites, qui s’installent aux commandes, le temps de la vengeance a sonné : au tour des sunnites d’être pourchassés, marginalisés, embastillés, torturés, exécutés au hasard d’un checkpoint. En Syrie, le Baas a vite été dominé par l’une des minorités religieuses du pays, les alaouites. Mais la majorité des Syriens est sunnite (60 % de la population). C’est chez eux que se trouveront les opposants les plus résolus au régime des AlAssad, les Frères musulmans – mais pas seulement. Au départ, l’insurrection syrienne de 2011 est, très largement, le fait de la paysannerie sunnite. Les « grands » de la région s’en sont mêlés. Puissance chiite, la République islamique d’Iran soutient et organise aujourd’hui le pouvoir chiite à Bagdad. Puissance sunnite par excellence, l’Arabie saoudite – mais aussi la Turquie – prend le parti des sunnites. Né en Irak, l’EI, greffe d’Al-Qaida, va être l’incarnation de la révolte sunnite contre l’oppression des chiites. Dans la tourmente irakienne de ces dernières années, héritage de l’invasion américaine, qui voit l’Etat central s’effondrer, l’EI va croître et s’épanouir. Comment ? En se présentant comme le protecteur des sunnites d’Irak. L’EI va déborder en Syrie et s’efforcer, aux côtés d’AlQaida, de passer pour une des branches les plus actives du combat contre Damas. Sur les ruines de deux Etats en voie de décomposition avancée, le djihadisme, au-delà de sa folie politico-religieuse, a trouvé une cause : la défense des sunnites. Cette cause n’est pas sans objet. Les Arabes sunnites d’Irak et de Syrie sont menacés. Dans ce dernier pays, ils constituent la majorité des cinq millions de personnes déplacées par les combats, rapporte Patrick Cockburn, journaliste de The Independant. En Irak, ils errent par centaines de milliers, d’un camp de réfugiés à l’autre ; ils sont réduits à quelques enclaves, chassés de Bagdad, chassés de leurs villes (Ramadi, Tikrit) détruites dans la fureur des combats contre les bandes d’Al-Baghdadi. Atroce, la réplique de l’EI, à coups de voitures piégées dans les quartiers chiites, ne fait qu’exacerber la colère de ceux-ci contre les sunnites. La lutte contre l’EI est politicomilitaire. Il ne s’agit pas seulement de chasser Al-Baghdadi de Rakka et de Mossoul, cités sunnites, mais de savoir qui les contrôlera « après ». Si Fallouja est reprise par les milices chiites, non par l’armée régulière, la colère sunnite se traduira par une sympathie renouvelée pour l’EI. Alors, même détruit en tant qu’organisation paraétatique, celui-ci ressuscitera pour incarner le malheur sunnite. Le djihadisme survivra à la défaite du « califat » : on passera de l’« Etat » à la guérilla. Jusqu’à quand ? Réponse : tant que la Syrie et l’Irak ne seront pas des Etats tolérant, à droits égaux, la diversité de leurs populations. C’est l’affaire d’une génération. p frachon@lemonde.fr Tirage du Monde daté jeudi 23 juin : 234 837 exemplaires NOTRE-DAMEDES-LANDES : UN PATAQUÈS INSOLUBLE D imanche 26 juin, les 967 500 électeurs de Loire-Atlantique sont invités à répondre à une question qui paraît d’une simplicité biblique : « Etesvous favorable au projet de transfert de l’aéroport Nantes-Atlantique sur la commune de Notre-Dame-des-Landes ? » Traduction, pour ceux qui n’auraient pas suivi les interminables débats et controverses suscités par ce projet d’aménagement : « Etes-vous favorable à la construction d’un nouvel aéroport régional, installé à une vingtaine de kilomètres au nord de Nantes, dans une paisible zone de bocage ? » L’organisation de ce référendum consultatif a été décidée en février par le président de la République. Pour François Hollande, il s’agissait de faire trancher la question par les premiers concernés, les habitants du dé- partement. Et de tenter ainsi, par une procédure démocratique, de débloquer un dossier enlisé depuis de très longues années. Cela fait, en effet, un demi-siècle que le site de Notre-Dame-des-Landes a été retenu. Dès 1974, une zone d’aménagement différé (ZAD) a été créée sur 1 225 hectares pour l’accueillir. Mis en sommeil, le projet est ensuite relancé en 2000 par le gouvernement de Lionel Jospin, et déclaré d’utilité publique en 2008 sous le gouvernement de François Fillon. Devenu premier ministre en 2012, l’ancien maire de Nantes, JeanMarc Ayrault, veut faire avancer le projet pour permettre l’ouverture du nouvel aéroport, programmée pour 2017. Mais il se heurte à une opposition virulente regroupant à la fois les derniers agriculteurs menacés d’expulsion ou des militants écologistes, dont quelques centaines de « zadistes » radicaux qui occupent le terrain. Il est alors décidé de suspendre les travaux sur le site jusqu’à l’épuisement complet des innombrables recours juridiques. Nous y sommes, ou presque. Pour autant, la confusion est complète. Sur le bien-fondé de cet aménagement, tous les arguments ont été échangés. Pour les partisans du transfert, élus locaux, de gauche comme de droite, ou responsables économiques, il s’agit de doter la région d’un équipement capable de répondre à l’augmentation prévue du trafic aérien, 2014 - 2015 dans une zone peu peuplée et donc peu soumise aux nuisances sonores. Les arguments des opposants relèvent à la fois d’une logique écologique et économique. Non seulement ils jugent nécessaire de protéger la zone de bocage où s’installerait le nouvel aéroport, mais ils contestent la validité des études réalisées pour justifier cet aménagement. Certaines données, concernant notamment l’évolution du trafic, seraient dépassées ; quant au coût de l’opération, confiée à Vinci, il serait trois fois supérieur aux quelque 500 millions d’euros annoncés. Et pour ajouter à la confusion, une nouvelle expertise commandée par la ministre de l’environnement, Ségolène Royal, a reconnu, en mars, qu’il est « difficile pour le public de s’y retrouver parmi les arguments des opposants et des partisans ». Quant à l’imbroglio politique, il ne sera, à l’évidence, pas dénoué par le référendum de dimanche. Si le non l’emporte, le projet Notre-Dame-des-Landes sera arrêté. Le gouvernement l’a clairement indiqué. Au grand dam des élus locaux. Si le oui l’emporte, les opposants, et notamment les « zadistes », ont clairement signifié leur volonté de poursuivre leur combat. Etonnante conception de la démocratie. Déplorable impuissance publique. Accablante capacité de ce pays à transformer tout projet ou toute réforme en pataquès insoluble. p HORS-SÉRIE et Avec Régis Debray, Assia Djebar, Alain Finkielkraut, Marcel Gauchet, Stéphane Hessel, Étienne Klein, Daniel Lindenberg, Pierre Nora, Jacques Rancière, Christiane Taubira... 1986-2016 : trente livres événements 30 ANS DE DÉBATS Un hors-série du « Monde » 164 pages - 8,50 € Chez votre marchand de journaux et sur Lemonde.fr/boutique Chaque été, à Montpellier, dans la cour où Pétrarque tomba amoureux de Laure, la fine fleur des intellectuels européens débat de l’époque. A l’occasion du 30e anniversaire des Rencontres de Pétrarque, Le Monde et France Culture s’associent pour ce hors-série exceptionnel, qui reprend les meilleurs moments de ces discussions entre esprits éclairés du temps. Réfléchissez avec Régis Debray, Stéphane Hessel, Christiane Taubira, José Bové, Marcel Gauchet, etc., à ces trente dernières années qui, entre la chute du mur de Berlin et les attentats de Paris, nous ont ébranlés… Les professions de l’hébergement s’attaquent aux plates-formes ▶ Le parquet de Paris ▶ En 2015, des hôteliers, ▶ AhTop est à l’origine, ▶ Les plates-formes ont du et Bercy enquêtent depuis sept mois sur les pratiques des sites d’hébergement à la suite d’une plainte de professionnels des voyagistes et des agents immobiliers ont créé l’association AhTop pour combattre la concurrence « déloyale » des plates-formes avec d’autres, de la plainte qui a permis de mettre au jour des dérives et des montages permettant de payer moins d’impôts souci à se faire. Plusieurs villes, dont San Francisco, berceau d’Airbnb, leur imposent de nouvelles règles PAGE 3 Veolia dans le collimateur de la justice américaine ▶ Le groupe français est poursuivi pour négligence dans le cadre du scandale de l’eau contaminée, à Flint ▶ Selon la justice, la multinationale n’a pas réussi à détecter l’apparition des problèmes de corrosion dans les canalisations de cette ville du Michigan ▶ Veolia juge ces « allégations injustifiées » 7,5 Distribution de bouteilles d’eau minérale à Flint, dans le Michigan, en mars. MILLIARDS D’EUROS C’EST LE MONTANT DE LA NOUVELLE TRANCHE D’AIDES VERSÉES À LA GRÈCE, MARDI 21 JUIN JIM YOUNG/REUTERS PAGE 5 ENVIRONNEMENT LE GROUPE PAPREC OUVRE LE PLUS GRAND CENTRE DE TRI DE DÉCHETS DE FRANCE PAGE 4 j CAC 40 | 4 409 PTS + 0,68% J DOW JONES | 17 780 PTS – 0,27% j EURO-DOLLAR | 1,1340 J PÉTROLE | 50,14 $ LE BARIL J TAUX FRANÇAIS À 10 ANS | 0,40 % VALEURS AU 23 JUIN À 9 H 30 PERTES & PROFITS | SHARP - FOXCONN NAUX RCHAND DE JOUR CHEZ VOTRE MA Les tribulations d’un Chinois au Japon L e général Guan Yu est un héros de la mythologie chinoise. Géant barbu réputé invincible, courageux et loyal, il a accompli des exploits dans la Chine des trois royaumes aux alentours de l’an 200. Exécuté par ses ennemis, il a été divinisé par les taoïstes et les bouddhistes, devenu dieu des guerriers et des hommes d’affaires. Quand il s’est rendu aux ultimes réunions de négociations à Osaka, en février 2016, Terry Gou, le PDG de Foxconn, n’a pas oublié d’arborer un foulard jaune étincelant béni dans le sanctuaire du dieu Guan dans le Shanxi, la région natale de son père, au cœur de la Chine. Comme son idole, l’homme d’affaires taïwanais est un guerrier insatiable. Fidèle aux préceptes du stratège Sun Tzu, il a patienté plus de cinq ans, quand les éléments lui étaient défavorables, avant de sauter sur sa proie une fois celle-ci affaiblie. Jeudi 23 juin, l’assemblée générale des actionnaires de Sharp a approuvé le rachat de ce fleuron de l’électronique japonaise par l’entreprise taïwanaise Hon Hai. Un japonais dirigé par un Taïwanais Plus connue sous le nom de Foxconn, elle est le premier sous-traitant électronique mondial et emploie près d’un million de salariés dans ses usines en Chine et dans le monde entier, qui produisent pour toutes les grandes marques mondiales, de Sony à HP, en passant par Apple. Pour la première fois, un groupe japonais sera dirigé par un Taïwanais, Tai Jeng-wu, le bras droit du chef. Humiliation suprême, il dirigera Cahier du « Monde » No 22221 daté Vendredi 24 juin 2016 - Ne peut être vendu séparément l’affaire depuis son siège de Shenzhen, dans le sud de la Chine. Le passage de témoin sera effectif le 1er juillet. Elle marquera une forme de défaite du Japon dans le domaine des écrans plats dont il était pourtant l’inventeur et le promoteur. Sharp n’a pu suivre le rythme infernal d’augmentation des cadences et de chute des prix qui ont permis aux Coréens, puis aux Chinois, de s’imposer. Selon la presse japonaise, le nouvel actionnaire pourrait annoncer la suppression de près de 7 000 postes, soit 15 % de l’effectif total. Et le pire est peut-être à venir. Le ralentissement des ventes de smartphones, notamment celles d’Apple, est en train de se répercuter sur l’ensemble de la chaîne logistique mondiale, en grande partie située en Asie. Pour Foxconn, dont Apple représenterait la moitié du chiffre d’affaires, cela s’est traduit par une chute des profits de plus de 9 % en ce début d’année. Quant à Sharp, son exercice 2015-2016 s’est achevé sur une perte de plus d’un milliard de dollars dans sa division écrans. La baisse du marché fragilise les gros et élimine les petits. En attendant une nouvelle génération technologique (les écrans OLED) et des relais de croissance, comme l’automobile ou les objets connectés. Un changement du monde surveillé de près par les grandes marques américaines. Certains prétendent que le général Gou aurait été soutenu par l’empereur Apple dans son offensive japonaise. La géopolitique industrielle est souvent bien tortueuse. p philippe escande & CIV ILIS ATI ONS UMICORE MIS À L’AMENDE POUR POSITION DOMINANTE SUR LE ZINC S oulagement à Athènes. Mercredi 22 juin, la Banque centrale européenne (BCE) a décidé de rouvrir, ces prochains jours, son principal guichet aux banques grecques. L’institut de Francfort prend ainsi acte des réformes appliquées par le pays dans le cadre du troisième plan d’aide international (86 milliards d’euros), adopté à l’été 2015. « La Grèce a franchi un cap critique », a ainsi félicité Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, mardi 21 juin. Dans le détail, la BCE va rétablir le régime d’exception qu’elle avait suspendu en février 2015, lorsque la gauche radicale arrivée au pouvoir souhaitait s’affranchir de la tutelle de ses créanciers. Ce régime autorise les banques grecques à apporter des obligations d’Etat grecques comme garantie en échange des liquidités de la BCE – obligations qu’en théorie la BCE doit refuser, car considérées comme de mauvaise qualité. Privés de cette dérogation, les établissements hellènes ont été contraints à recourir pendant des mois au guichet d’urgence « ELA » de la BCE, qui leur coûte plus cher. En restaurant son principal robinet de refinancement, l’institut monétaire apporte un bol d’air bienvenu au secteur bancaire et à l’économie grecque, laminée par des années de récession. p PAGE 6 PAGE 3 CONCURRENCE Coup de pouce de la BCE aux banques grecques N° 19 JUILLET AOÛT 2016 NS & CIVILISATIO LA SPLENDEUR DE BYZANCE DE CONSTANTIN AUX OTTOMANS L’OLYMPISME ANTIQUE GLOIRE, E TRICHE ET DOPAG BRE D’OR LE NOMTUR E UNE IMPOS MODERNE LA MARSEILLAISE COMMENT ELLE EST DEVENUENAL UN HYMNE NATIO LAURENT DE MÉDICISCE PHARE DE FLOREN À LA RENAISSANCE Chaque mois, un voyage à travers le temps et les grandes civilisations à l’origine de notre monde 2 | plein cadre 0123 VENDREDI 24 JUIN 2016 L’application Makeup Genius de L’Oréal fonctionne comme un miroir pour tester du maquillage avec son smartphone en temps réel. L’ORÉAL los angeles, san francisco N ouveaux gadgets ou véritables marchés d’avenir ? La beauté connectée s’impose aussi bien dans les boutiques, où les consommatrices peuvent essayer virtuellement du maquillage et du vernis à ongles, que dans de nouvelles gammes d’objets, toujours plus sophistiqués et personnalisés. Grâce à la collecte massive de données sur leurs clientes – destinée à détecter les futures tendances –, des services sur Internet et des applications téléphoniques s’insèrent dans de nouveaux rituels de beauté. Ils constituent aussi une condition sine qua non pour rajeunir l’image des groupes de cosmétique. « Après l’ancien digital – les sites Internet, l’engouement pour les youtubeuses, les blogueuses – arrive la beauté connectée avec ses interfaces digitales interactives entre les consommatrices et les marques de beauté. Ces objets et ces applications obéissent davantage à une problématique communautaire et structurante qu’à une réelle recherche d’augmentation de chiffre d’affaires », assure l’expert Nicolas Boulanger, directeur du cabinet L & CPG. Un peu comme pour les marques de sport, il s’agit, selon lui, d’engranger un maximum de données sur les consommatrices, pour « renouer le lien avec elles, proposer des services additionnels que n’offrent pas encore leurs concurrents et développer une communauté ». La grande partie de ces nouveautés éclot au sein de start-up. Dans un ancien quartier industriel de San Francisco, Guive Balooch, vice-président de l’incubateur de beauté de L’Oréal et du California Research Center, travaille ainsi sur l’essor des objets connectés en ligne et les services liés aux big data, l’exploitation de quantités colossales de données collectées en ligne. Ce biologiste canadien a mis au point pour La Roche Posay (filiale de L’Oréal) un patch qui permet de mesurer l’exposition de la peau aux ultraviolets. En forme de petit cœur bleu, il se colle sur la peau. Si sa couleur vire au blanc, une application téléphonique permet au porteur de patch de vérifier s’il doit mettre de la crème solaire. Quelque 600 000 unités seront écoulées cet été dans 22 pays. Cette nouveauté rappelle le bracelet connecté développé par Netatmo, qui mesure aussi le temps d’exposition au soleil. Les marques cherchent à coller à l’air du temps. Et à faire croire aux consommateurs qu’ils peuvent atteindre le sommet de la modernité. L’incubateur de San Francisco a participé avec Sayuki, une autre start-up californienne rachetée par L’Oréal et spécialisée dans les algorithmes informatiques, à la mise au point pour Lancôme d’un nouveau fond de teint high-tech, personnalisé et baptisé Le Teint Particulier. Le visage de la cliente est scanné en trois endroits différents. Ce qui permet de définir la teinte exacte dans un Appli, ma belle appli, aide-moi à être la plus belle La beauté connectée fait son chemin, avec le big data, chez les grands de la cosmétique. Avec l’aide de start-up californiennes spécialisées, ils proposent des services plus personnalisés et rajeunissent leur image échantillon de 22 000 couleurs Pantone contenu dans un ordinateur relié à un instrument de la taille d’une machine à café. Livrée en vingt minutes, la crème est facturée 80 dollars (71 euros), contre 47 dollars pour la plus vendue par Lancôme. DE NOUVELLES MACHINES Dans la même veine, mais à domicile, Romy commercialise une petite machine qui ressemble à une Nespresso. Les clientes l’utilisent avec des petites dosettes de crèmes adaptées au jour le jour. Les cofondateurs, Morgan Acas et Thomas Dauxerre, collectent des stocks d’informations sur les clientes au moyen de leur téléphone portable (questionnaire sur leur peau mais aussi accès aux appli de relève de la géolocalisation, de pratiques sportives, de temps de sommeil…). Morgan Acas assure ne s’en servir que pour proposer aux clientes, toujours par l’intermédiaire de leur application téléphonique, les mélanges les mieux adaptés. « Les mini-doses de crèmes permettent de ne pas oxyder les produits cosmétiques et d’utiliser des agents actifs en plus grande quantité », affirme-t-il. La jeune entreprise n’a vendu pour l’heure que « de 200 à 300 » machines. En attendant de s’implanter dans un circuit de distribution très sélectif. Quant au fondateur de la start-up Feeligreen, Christophe Bianchi, il commercialise un appareil de diffusion de microcourants bipolaires et de traitement lumineux par LED censés augmenter l’efficacité des produits cosmétiques. Une application permet, là aussi, d’obtenir les données des clientes. M. Bianchi préférerait, lui, que son appareil GRÂCE À LA COLLECTE MASSIVE DE DONNÉES SUR LEURS CLIENTES, DES SERVICES SUR INTERNET ET DES APPLICATIONS TÉLÉPHONIQUES S’INSÈRENT DANS DE NOUVEAUX RITUELS DE BEAUTÉ « soit vendu chez Darty plutôt que chez Sephora ». Les exemples sont légion, comme le masque en silicone Mapo, développé par deux anciens de L’Oréal, Jean-Roch Meunier et Stanislas Vandier : il permet de capter précisément le taux d’hydratation de la peau du visage et, en chauffant pendant dix minutes, il améliore les propriétés de la crème. Le cube OKU se targue quant à lui d’être un « coach » pour la peau, qui diagnostique l’état de l’épiderme et en identifie les besoins. Des objets, de nouvelles machines, mais aussi de simples applications… Image Metrics, une autre start-up californienne, de réalité augmentée, s’est focalisée pour L’Oréal sur l’analyse et la reconnaissance faciale. L’application numérique Makeup Genius fonctionne comme un miroir : elle permet d’appliquer un maquillage virtuel sur un visage en temps réel. Et de tester autant de combinaisons sur un téléphone portable, tout en donnant accès à un système d’achat en ligne. L’expérience a été suffisamment concluante (17 millions de téléchargements depuis 2015) pour être suivie par des déclinaisons équivalentes pour les fonds de teint (Shade Genius) et les vernis à ongles, aussi bien chez L’Oréal (Nail Genius et Essie) que chez Coty (O.P.I.). « NE PAS LOUPER LE VIRAGE NUMÉRIQUE » Ces applications se multiplient : pour tester de nouvelles coupes de cheveux avant de confier sa tête à un coiffeur (HairStyle Makeover), assortir sa coiffure à sa tenue (Uniqlo)… Toutefois Guive Balooch a des difficultés à mettre au point un programme destiné aux colorations capillaires. « Les 100 000 cheveux que l’on a sur la tête bougent tous dans différentes directions », explique-t-il. La reconnaissance des mouvements du visage est plus facile à financer, « car les algorithmes sont également exploitables par les acteurs de la sécurité ». Pour Mathilde Lion, analyste du secteur Beauté au sein du cabinet NPD, « toutes ces nouveautés permettent surtout d’aller plus loin dans les conseils, de personnaliser toujours davantage l’offre de soins ou de maquillage. Et aussi de proposer quelque chose de plus ludique pour les jeunes générations ». Son confrère Nicole Boulanger confirme : « Ce n’est pas un nouveau marché, mais quelque chose qui fait bouger les lignes. » Certaines start-up travaillent exclusivement sur les données. Pour améliorer là encore le conseil. Anne-Laure de Belloy, cofondatrice de Lucette.com, a lancé le premier site de recommandations de produits cosmétiques. En fonction de données fournies par l’internaute (caractéristiques physiques, comportement et aspirations), un algorithme propose des produits cosmétiques personnalisés parmi 250 marques. « Les consommatrices cherchent des conseils indépendants, ne croient plus à ceux dispensés en boutiques ni par les youtubeuses achetées par les marques », affirme Mme de Belloy. « Dans la beauté connectée, on n’est pas en retard, mais il faut s’y mettre pour ne pas louper le virage numérique », assure Christophe Masson, directeur scientifique de la Cosmetic Valley, le pôle de compétitivité de ce secteur. Selon lui, « si la France reste le premier exportateur mondial de cosmétiques, la Corée du Sud et Taïwan travaillent d’arrache-pied sur ces sujets ». Dans le cadre du dernier appel à projets thématiques lancé par le gouvernement, le dossier Beauty French Tech espère fédérer à Chartres un réseau national de start-up. De façon encore homéopathique, les magasins eux-mêmes deviennent connectés. Sephora (LVMH) a ouvert à Paris son premier magasin interactif : des tablettes d’achat en ligne permettent de tester 14 000 références sur des miroirs à selfies. Burberry a installé son bar à ongles digital dans sa plus grande boutique londonienne. Nyx (L’Oréal), qui vise les jeunes « junkies » du maquillage, propose des services similaires aux Etats-Unis. Pour l’industrie cosmétique, le Graal, dans la beauté connectée, consiste à être adoubé par les géants de l’Internet. Procter & Gamble et L’Oréal ont réussi à « infiltrer » Google. Un cadre de chacun des groupes est appointé officiellement par la firme de Mountain View. Puisque L’Oréal fait partie des trente plus gros annonceurs mondiaux de Google, son représentant, Marc Speichert a accès à des données exclusives sur les comportements des internautes. Ce qui permet au leader mondial de mieux coller aux attentes. D’affiner les publicités ou de lancer par exemple, mi-juin, un magazine hebdomadaire, « Beauty Academy », de L’Oréal Paris sur YouTube. Et d’être aux avant-postes pour transformer la beauté connectée en vrai marché. p nicole vulser économie & entreprise | 3 0123 VENDREDI 24 JUIN 2016 Guerre ouverte aux plates-formes d’hébergement Airbnb et d’autres acteurs similaires font l’objet d’une enquête du parquet de Paris et du fisc L’ association des Acteurs de l’hébergement et du tourisme professionnels (AhTop), créée en juillet 2015, qui revendique 30 000 adhérents, surtout parmi les hôteliers (par exemple, la chaîne Best Western, mais pas le groupe AccorHotels) et les agents de voyage, a décidé de combattre la concurrence, qu’elle juge déloyale, des plates-formes Internet de location d’appartements pour touristes. Elle en a recensé 127, dont, bien sûr, les spécialisées Airbnb ou Abritel, mais désormais également des généralistes comme Leboncoin, SeLoger, Booking. com… Ce jeudi 23 juin, AhTop abat plusieurs atouts dans la partie serrée qu’elle joue contre elles. La première carte est judiciaire : 60 organisations, en particulier des syndicats comme la Fédération nationale de l’immobilier, l’Union des syndicats de l’immobilier et le Syndicat national des professions de l’immobilier, avaient, le 13 novembre 2015, porté plainte dans ce dossier. Ils reprochent à ces sites des infractions variées, notamment à la loi Hoguet sur la profession d’agent immobilier et au code du tourisme, mais n’ont pas rendu leur action publique, afin de laisser le parquet investiguer discrètement. « Sept mois plus tard, les pre- miers éléments de l’enquête montrent des dérives importantes, affirme Jean-Bernard Falco, président d’AhTop. A Paris, par exemple, les 41 000 adresses proposées – soit environ 75 000 lits, presque autant que de chambres d’hôtel – sur le site Airbnb sont, à 88 %, des logements entiers, et 67 % ne respectent pas la réglementation parisienne. » Optimisation fiscale Sont visés des multipropriétaires (un tiers des annonces en France), par exemple celui dont le pseudo est « Fabien », qui met en ligne 257 logements et agit donc en véritable agent immobilier professionnel. Il y a aussi des annonceurs qui prétendent louer leur résidence principale, alors qu’elle ne l’est pas, ou qui dépassent allègrement les 120 jours de location annuelle autorisés par la loi pour l’accès au logement et à un urbanisme rénové du 24 mars 2014. Le parquet de Paris et le Service national des enquêtes (SNE), qui dépend du ministère des finances, se sont, pour leurs investigations, appuyés sur le site Inside Airbnb, ouvert par des universitaires américains qui avaient « aspiré » les banques de données de la société dans plusieurs villes du monde, dont Paris, et les avaient rendues publiques et en accès libre. « Nous ne sommes pas du tout La justice américaine poursuit Veolia Le groupe serait impliqué dans le scandale de l’empoisonnement de l’eau de Flint new york - correspondant L e groupe français Veolia est poursuivi par la justice américaine dans le cadre du scandale de l’empoisonnement de l’eau de la ville de Flint, dans le Michigan. Le procureur général de l’Etat a annoncé la décision, mercredi 22 juin, accusant l’entreprise de négligence et d’avoir exacerbé une situation déjà critique. Un concurrent américain de Veolia, Lockwood, Andrews & Newnam (LAN) fait lui aussi l’objet de poursuites au civil. « A Flint, on a fait appel à Veolia et à LAN pour faire un travail, et ils ont lamentablement échoué », a affirmé le procureur, Bill Schuette, parlant de « travail bâclé ». « Ils n’ont pas empêché l’empoisonnement de l’eau, ils ont même aggravé la situation », a-t-il ajouté. « Allégations injustifiées » Le scandale remonte à 2014. A la suite de graves problèmes financiers, Flint avait été placé sous tutelle par le gouverneur républicain du Michigan, Rick Snyder. A la recherche d’économies à tout prix, l’équipe chargée d’administrer la ville avait décidé de ne plus acheter l’eau potable à Detroit, située à une centaine de kilomètres, mais de la puiser directement dans la rivière locale. Très vite, les habitants ont commencé à se plaindre de la couleur et du goût de l’eau, tandis que certains souffraient de vomissements et d’éruptions cutanées. Après dix-huit mois de mobilisation, les citoyens sont parvenus à faire éclater la vérité : extrêmement corrosive, l’eau de la Flint River a rongé le réseau d’approvisionnement, libérant du plomb, et exposant ainsi les enfants et les femmes enceintes au saturnisme. La ville avait fait appel à Veolia en 2015. Selon la justice, le groupe français n’a pas réussi à détecter l’apparition des problèmes de corrosion dans les canalisations. Le procureur reproche même à Veolia d’avoir décidé de rajouter un chlorure, qui n’aurait fait qu’aggraver le problème. Le groupe s’est défendu vigoureusement, mercredi, contre « des allégations injustifiées ». Veolia souligne qu’un groupe de travail missionné par M. Snyder a pointé de façon claire la responsabilité de l’Etat, et qu’il n’a pas mentionné l’entreprise, ni ne lui a adressé des reproches. « Le procureur général n’a pas discuté avec Veolia de son implication à Flint, n’a pas questionné les experts du groupe ou posé des questions sur notre contrat ponctuel d’un mois à Flint », insiste l’entreprise française. Le groupe affirme qu’il n’avait pas été mandaté pour tester la teneur en plomb, et que ce travail a été confié à une autre société. Même défense du côté du groupe LAN, qui estime que la justice a « mal interprété » le rôle joué par la société. La décision de ne pas contrôler le niveau de corrosion incombe à la municipalité et aux autorités de l’Etat, insiste LAN, qui affirme même que la société avait poussé l’administration à réaliser ces tests, en vain. Parallèlement à ces poursuites contre les deux sociétés, deux responsables des services de l’environnement de l’Etat du Michigan font déjà l’objet de poursuites criminelles. Le procureur a promis que d’autres allaient suivre. Depuis le mois d’octobre, Flint est à nouveau connectée au réseau de distribution d’eau de Detroit, tandis que le Michigan a débloqué 240 millions de dollars (211 millions d’euros) pour tenter de résoudre les conséquences du scandale. Selon la plainte, les dommages réclamés par la justice, qui pourraient, dans le cas de Veolia et de LAN, s’élever à plusieurs centaines de millions de dollars, devraient être utilisés pour remplacer les kilomètres de canalisations endommagées. p stéphane lauer « Les premiers éléments de l’enquête montrent des dérives importantes » JEAN-BERNARD FALCO président d’AhTop contre l’accueil de touristes dans des appartements de particuliers et en avons même besoin pour augmenter la capacité d’hébergement sur Paris et en France, et passer, d’ici à 2030, de 85 à 130 millions de visiteurs, mais il doit être régulé », demande M. Falco. Les syndicats d’agents immobiliers alliés à AhTop contestent, eux, que cette activité soit exercée sans aucune des obligations qui sont les leurs : carte de gestion, caution financière, assurance de responsabilité civile… Ils constatent également que 25 % des baux d’habitation sont ainsi « hôtellisés », c’est-à-dire transformés en meublés touristiques, ce qui assèche le parc locatif classique. L’Observatoire des loyers de l’agglomération parisienne avait déjà recensé 20 000 logements locatifs privés disparus entre 2011 et 2014. Un autre angle d’attaque d’AhTop est la fiscalité, d’abord celle des plates-formes. Si Abritel paye des impôts sur son activité en France, ce n’est pas le cas d’Airbnb France, qui n’y embauche que 25 employés et, malgré ses commissions estimées à plus de 150 millions d’euros (15 % du milliard d’euros qu’il collecte pour le compte des loueurs), n’acquitte que 89 000 euros d’impôts. Le montage fiscal est identifié : une filiale à Londres et des sous-filiales en Irlande et aux Pays-Bas permettent de délocaliser les bénéfices réalisés en France. AhTop dénonce cette optimisation – certes légale – comme « une iniquité concurrentielle de plus ». Quant au revenu des loueurs, qui sont seulement 15 % à les déclarer, AhTop propose que les plates-formes soient tenues d’en transmettre les données au fisc. La bataille se joue également au plan législatif, avec l’adoption de la loi sur le numérique, qui, après une première lecture à l’Assemblée et au Sénat, arrive en commission paritaire mercredi 29 juin. Les hôteliers soutiennent quatre amendements : l’obligation de s’immatriculer comme loueur auprès de sa mairie dans les agglomérations de plus de 200 000 habitants qui l’instaureront, comme se promet de le faire Strasbourg ; le contrôle obligatoire de la qualité du loueur, propriétaire ou locataire autorisé par son bailleur ; la transmission des données sur les revenus perçus au fisc ; le blocage des annonces des loueurs qui ont dépassé les cent vingt jours légaux. « San Francisco, berceau d’Airbnb, vient d’adopter une telle immatri- culation assortie d’une taxe hôtelière de 14 % ; New York et Barcelone imposent une durée minimale de location (respectivement vingtneuf et quinze jours) pour limiter les séjours de courte durée ; Madrid et Berlin interdisent la location d’un logement entier… Nos propositions sont donc, en comparaison, modérées », se félicite M. Falco. AhTop veut s’allier l’opinion publique, indispensable pour soutenir le travail parlementaire, et a commandité un sondage (réalisé par Harris Interactive auprès de 997 personnes, du 24 au 26 mai), qui révèle que 72 % des sondés sont favorables ou très favorables à l’enregistrement en mairie par Internet, 69 % approuvent la déclaration automatique des revenus à l’administration fiscale et 66 % le blocage des annonces audelà des cent vingt jours autorisés – les personnes de plus de 50 ans et les sympathisants socialistes étant encore plus convaincus. p LES JEUX DE L’ÉTÉ 2 CAHIERS DE JEUX LUDIQUES ET INSTRUCTIFS LE HORS-SÉRIE 5,€95 Découvrez à travers ces deux cahiers, composés de plus de 200 jeux chacun, de quoi muscler vos neurones, enrichir vos connaissances et tester votre mémoire. Entreprenez l’incroyable voyage à travers le temps et le corps, du fonctionnement des rouages de votre tête au contenu de vos assiettes. EN VENTE CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX Et sur www.lemonde.fr/boutique isabelle rey-lefebvre 4 | économie & entreprise 0123 VENDREDI 24 JUIN 2016 Les syndicats inquiets pour l’avenir de SFR Un plan de départs volontaires a déjà été annoncé dans les filiales de distribution P Paprec a inauguré, le 17 juin, un centre de tri de dernière génération à Dieulouard (Meurthe-et-Moselle). JEAN-MARC DUGES Dans le tri des déchets, la course au gigantisme est engagée Alors que les petites unités ferment peu à peu, Paprec inaugure, vendredi 24 juin, à Rennes, le plus important centre de tri de France U n centre de tri de déchets ménagers ? Autant parler d’une véritable usine. Le site de Paprec qui doit être inauguré vendredi 24 juin au Rheu, à proximité de Rennes (Ille-et-Vilaine), sera le plus important du genre en France. Chaque année, 60 000 tonnes de déchets issus de la collecte sélective pourront y être traitées. A l’entrée, le contenu des poubelles réservées aux emballages. A la sortie, de nouvelles matières premières, mises en balles pour être réutilisées : des vieux papiers, du carton, des bouteilles de différents plastiques, de l’aluminium, etc. Entre les deux, toute une série de machines, trieurs op- LES CHIFFRES 67 % C’est le taux de recyclage de l’ensemble des emballages ménagers en France. Il n’est que de 23 % pour les plastiques. 240 C’est le nombre actuel de centres de tri de déchets d’emballage. Environ la moitié d’entre eux devraient fermer à terme, selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). 1 MILLIARD D’EUROS C’est le montant approximatif des investissements nécessaires pour adapter le parc actuel de centres de tri au recyclage des pots, barquettes et films plastique. L’Ademe évoque une fourchette de 850 millions à 1,1 milliard d’euros. 20 % C’est le niveau maximum des aides publiques pour ce type d’investissement. L’Ademe a adapté ses modalités de soutien début 2016. tiques, cribles balistiques, pour séparer les différents produits en fonction de leur poids, de leur format, de leur matériau. « Un fleuron technologique », assure Thierry Seiller, directeur de Paprec pour le Grand Ouest. Le groupe propriétaire du site entend en faire sa vitrine. Sur place, il a d’ailleurs prévu un espace spécifique pour que le public puisse saisir le fonctionnement du centre, en particulier les élèves des écoles voisines. L’ouverture de l’usine du Rheu, qui fonctionnera réellement en septembre à l’issue d’une phase de tests, constitue la dernière étape en date d’un vaste remueménage dans le recyclage des emballages ménagers. Une petite révolution est en marche. D’un côté, quelques grands centres de tri sortent du sol au prix d’investissements élevés – celui du Rheu a coûté environ 25 millions d’euros. Le prochain sera peut-être celui de Villers-SaintPaul (Oise), où plusieurs collectivités locales se sont associées pour lancer un projet d’une capacité fixée également à 60 000 tonnes par an. Divers industriels, dont Paprec, sont sur les rangs. Dans l’Allier, sept collectivités viennent aussi de créer une société commune pour créer un gros centre à Chézy, et remplacer les structures actuelles, jugées obsolètes. « Un maillon un peu faible » D’un autre côté, les petites unités ferment les unes après les autres, à l’image de celle de Segré (Maineet-Loire), exploitée par Sita (Suez Environnement) et arrêtée depuis avril. Désormais, les déchets à trier sont expédiés au Mans, à une centaine de kilomètres. Au total, le nombre de centres ne cesse de diminuer. De 273 en 2007, il est tombé à moins de 250 aujourd’hui. Ce n’est sans doute qu’un début. Pendant des années, le tri a constitué une activité relativement artisanale, souvent laissée à l’initiative des collectivités locales, qui ont multiplié les centres de petite taille. Le travail y est fréquemment effectué à la main, ou peu mécanisé, dans des condi- Un élément a changé la donne : la volonté des pouvoirs publics, depuis 2010, de recycler davantage tions parfois dures pour les ouvriers et à des coûts élevés. Si bien que le tri est devenu « un maillon un peu faible » de la chaîne du recyclage : « Les petites unités n’ont pas les moyens d’utiliser les techniques les plus performantes », explique Carlos de Los Llanos, l’un des dirigeants d’EcoEmballages. Industrialisation du tri Un élément a changé la donne : la volonté des pouvoirs publics, depuis 2010, de recycler davantage. En particulier les plastiques, dont le taux de recyclage stagne autour de 23 % seulement, contre 67 % pour la moyenne des emballages ménagers. Pour y parvenir, il devient nécessaire de traiter non seulement les bouteilles d’eau et de sodas, mais aussi les barquettes, les pots de yaourt, les films souples et autres produits complexes à recycler, car ils sont souvent composés de plusieurs plastiques différents. D’ici à la fin d’année, les habitants d’un quart de la France devraient être incités à trier ainsi tous les plastiques, l’objectif étant d’atteindre toute la population en 2022. Rien de tout cela n’est possible sans centres de tri adaptés. A même, comme celui de Paprec à Rennes, de séparer tous les emballages, y compris les divers plastiques, à un prix raisonnable. Pour les professionnels, tout pousse donc à une industrialisation du tri, en s’appuyant sur des centres automatisés traitant de 30 000 à 60 000 tonnes par an de déchets. Voire plus, à Paris. Ce mouvement « devrait aboutir, à terme, à réduire de moitié le nombre » des unités de tri en France, affirmait l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) dans un rapport sur le sujet en mai 2014. Simultanément, « il serait possible de mettre en place sept centres de tri de très grande capacité », qui trieraient ensemble 25 % du tonnage collecté à l’horizon 2030. Puisque les cartes doivent être rebattues, les dirigeants de Paprec espèrent bien en profiter pour s’imposer face aux poids lourds actuels Veolia et Suez. Au Rheu, après avoir remporté un contrat pour traiter les déchets de l’agglomération rennaise, soit moins de 25 000 tonnes par an, la société a ainsi parié qu’elle trouverait d’autres clients. Elle a donc construit un centre d’une capacité plus de deux fois supérieure. « Mais si tous ses concurrents font le même pari, on risque de se retrouver avec des surcapacités, met en garde Marc Cheverry, de l’Ademe. Nous incitons donc les collectivités, avant de lancer des appels d’offres, à réaliser des études au niveau régional. » Objectif : mutualiser les besoins et élaborer des schémas directeurs pour éviter le gaspillage d’argent public ou privé. En tout état de cause, la construction des grands centres demande du temps. Le cas de Dieulouard (Meurthe-et-Moselle) en atteste. Paprec y a inauguré le 17 juin un centre de tri de dernière génération, sur le site d’une ancienne forge ayant plusieurs fois fait faillite. Une belle réindustrialisation célébrée par tous les élus locaux. Mais pour y arriver, le PDG Jean-Luc Petithuguenin a dû se montrer très patient. « Entre l’achat du terrain et le démarrage, j’ai dû attendre huit ans, raconte le patron de Paprec. Après la dépollution, il a fallu compenser le fait de couler du béton par des mesures favorables à l’environnement. Or la procédure a été longue. Nous avons finalement dû maintenir en l’état le terrain vert sur lequel nous espérions construire un autre bâtiment. Si bien que l’usine est deux fois plus petite que prévu. On a serré les machines… » p denis cosnard atrick Drahi a levé les derniers doutes de ceux qui craignaient un plan de départs. Le propriétaire de SFR a évoqué, mardi 21 juin à New York, les problèmes de « sureffectifs » de l’opérateur de télécommunications. « Tous nos concurrents ont licencié à tour de bras et, nous, on a pris une garantie sur trois ans à un moment où on vend à 1 euro par mois des abonnements. Ça n’a ni queue ni tête », a lancé le principal actionnaire de SFR devant un cercle de journalistes. En rachetant l’opérateur télécoms, en 2014, à Vivendi, l’homme d’affaires s’était engagé devant les pouvoirs publics et les organisations syndicales à maintenir l’emploi pendant trois ans. Depuis ce changement de propriétaire, les salariés redoutaient donc la date de juillet 2017, échéance de l’accord de M. Drahi. Ils savent, désormais, qu’un plan est probablement en préparation. « Ses propos ne nous étonnent pas, vu les positions prises depuis vingt-quatre mois », indique Fabrice Pradas, délégué syndical UNSA. En interne, 15 chantiers de réorganisation ont été ouverts, et les coûts ont été passés à la paille de fer. L’inquiétude est d’autant plus grande que l’opérateur a perdu plus d’un million de clients. « Engagements non respectés » « D’ores et déjà, les engagements sur le maintien de l’emploi ne sont pas respectés », lance Xavier Courtillat, délégué central CFDT. Même si aucun plan de licenciement n’a été mené, l’opérateur a vu de nombreux salariés démissionner. SFR a perdu 500 personnes en quinze mois. Il est passé de 9 400 à 8 900 salariés. Sur l’ensemble du groupe, qui comprend aussi l’ex-Numericable et l’inté- grateur de réseau Telindus, les effectifs ont maigri de 1 200 personnes, et sont tombés à 15 800 salariés. « Tous les mois, entre 20 et 50 personnes quittent SFR, car les gens sont de plus en plus inquiets, et leurs postes ne sont jamais remplacés », dit M. Courtillat. En attendant 2017, l’opérateur a commencé à restructurer en toute discrétion. Il s’est ainsi attaqué à ses filiales de distribution, qui coiffent les boutiques et emploient 3 900 personnes, et dont il estime qu’elles ne font pas partie de l’accord signé avec les syndicats. Les différentes divisions vont être rationalisées, tandis que leurs salariés vont être répartis dans deux entités, « grand public » et « entreprises ». En outre, 600 salariés de SFR et de Numericable seront transférés dans ces structures aux conventions collectives différentes de la maison mère. Enfin, Michel Paulin, le nouveau patron de SFR, a déjà annoncé la couleur, en indiquant, dans un courrier adressé aux salariés, que cette réorganisation s’accompagnerait d’« un plan de départs volontaires ». Fabrice Pradas a calculé que 800 à 1 000 personnes pourraient être concernées. Le comité central d’entreprise de SFR, qui se plaint de ne pas avoir été informé de ce plan, n’exclut pas un recours en justice. Les syndicats ont quand même remporté une petite victoire. Depuis le rachat, les salariés avaient vu leur intéressement au titre de l’année 2015 divisé par deux, en passant de 1 000 à 500 euros. Le tribunal de grande instance de Paris, considérant que l’opérateur avait rompu les accords conclus par le passé, l’a condamné, mardi, à compléter ses versements pour atteindre les sommes initiales. p sandrine cassini Devant les sénateurs, Vincent Bolloré joue le « paratonnerre » J e sers à faire le paratonnerre. » Vincent Bolloré n’est pas peu fier de sa formule, qu’il répète face aux sénateurs qui l’ont convié à une audition, mercredi 22 juin, dans un sous-sol du Palais du Luxembourg a priori protégé du risque de foudre. Hélas, la commission de la culture compte une scientifique. « Vous vous dites paratonnerre, mais un paratonnerre, ça fait baisser la tension », observe Marie-Christine Blandin, sénatrice écologiste du Nord, dans une allusion à l’agitation constatée chez Canal+, depuis sa reprise en main par l’industriel, en 2015. L’actionnaire de référence de Vivendi tente bien de caresser ses interlocuteurs dans le sens du poil, en expliquant vouloir faire du groupe de médias « un champion de la culture française et européenne ». Non, le futur service de vidéo à la demande Watch ne sera pas localisé en Allemagne. Oui, Canal+ maintiendra son investissement dans le cinéma, qui est « la carte essentielle » dans son jeu. Mais, pour cela, M. Bol« JE NE SUIS PAS loré veut être soutenu plutôt que criLA CAUSE DES PROtiqué. « Veut-on ou ne veut-on pas de champions français ? » interroge-t-il, BLÈMES DE CANAL+, face à des sénateurs partagés entre JE SUIS LEUR CONSÉ- déférence et défi. « Je ne suis pas la cause des problèQUENCE ET, PEUT-ÊTRE, mes de Canal+, je suis leur conséquence et, peut-être, leur solution », reLEUR SOLUTION » prend l’homme d’affaires, dans une formule qu’il affectionne. Les chiffres VINCENT BOLLORÉ qu’il égrène avec le directeur général, PDG du groupe Bolloré Maxime Saada, restent alarmants : 400 millions d’euros de pertes prévues pour les chaînes de Canal+ en 2016 et moins de 4 millions d’abonnés en fin d’année. Mais M. Bolloré veut aussi dire que « ça va mieux » : « Je pense que Canal est redressé », affirme-t-il, en soulignant aussi une progression des abonnements en juin. L’électricité jaillit finalement quand le sénateur (PS) de Paris David Assouline rappelle la déprogrammation d’un documentaire sur le Crédit mutuel, les projets de publireportage et évoque la « destruction d’une rédaction » chez i-Télé. « Ce sont des blagues », répond l’industriel, estimant que « les gens ont crié au loup sur des histoires qui n’en sont pas » et que les rédactions sont surtout mécontentes d’être « à la diète ». La question d’une sénatrice sur la probable suppression du magazine « Spécial Investigation » est discrètement éludée. p alexis delcambre économie & entreprise | 5 0123 VENDREDI 24 JUIN 2016 L’Autorité de la concurrence « dézingue » Umicore Le groupe belge est sanctionné pour abus de position dominante sur le marché du zinc en France I ls sont l’un des symboles de Paris dans le monde. Les toits de la capitale espèrent même devenir Patrimoine mondial de l’Unesco. Cependant, sans le zinc qui vient coiffer les immeubles, Paris ne serait plus vraiment la Ville Lumière avec ses reflets moirés. Mais, s’il est affaire d’esthétisme, le zinc est aussi une histoire de gros sous. Jeudi 23 juin, l’Autorité de la concurrence française a décidé de sanctionner Umicore, l’un des premiers fournisseurs mondiaux du zinc laminé, d’une amende de 69,2 millions d’euros. Le conglomérat belge, fondé dès 1837 et qui a réalisé près de 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2015, a abusé pendant neuf ans de sa position dominante sur le marché français de ce métal gris-bleu. Le groupe récolte la quatrième amende la plus importante de l’histoire, infligée pour ce type d’infraction par le gardien de la concurrence. C’est bien loin de l’amende record de 350 millions d’euros infligée à Orange en 2015, mais cette sanction reste plus sévère, par exemple, que celle infligée en 2012 à Fret SNCF (60,9 millions d’euros). Il aura fallu pas moins de cinq ans à l’Autorité de la concurrence, saisie fin 2010 par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), pour arriver au bout de cette enquête hors norme sur les pratiques commerciales d’Umicore. Entre 1999 et 2007, la société a forcé ses revendeurs à ne travailler en France qu’avec elle. Traditionnellement, le zinc cohabite avec la tuile ou l’acier, mais l’un remplace rarement l’autre, comme le note l’Autorité de la concurrence. « Pour des raisons esthétiques, de réglementation du patrimoine ou de tradition régionale, le zinc reste privilégié pour la couverture, notamment en rénovation, relève Emmanuel Combe, vice-président de l’Autorité de la concurrence, chargé du dossier. La preuve, quand les prix ont doublé entre 2005 et 2006, les ventes sont restées très stables. Les acheteurs ne se sont pas reportés sur d’autres matériaux. » Menaces et représailles Dans ce contexte, la France, deuxième marché mondial du zinc derrière l’Allemagne, présente ces dernières années des signes singuliers. Umicore, acteur historique disposant d’une très bonne réputation, détient, selon le produit, entre 50 % et 70 % du marché. Et ce de manière constante. Aucun autre pays ne voit un acteur se montrer aussi dominant. Le secret de cette mainmise ? La qualité des matériaux proposée bien sûr, ainsi qu’un travail de « prescription » des produits auprès des donneurs d’ordre, comme les architectes et les maîtres d’œuvre, qui peuvent imposer une marque à leurs sous-traitants. Mais la société ne s’en est pas tenue là, selon l’enquête de l’Autorité de la concurrence. Elle n’a cessé d’évincer les concurrents dans les points de vente indépendants, parmi lesquels des acteurs de poids comme Point P (SaintGobain), avec qui elle travaille. Sur la période 1999 à 2003, les revendeurs labellisés VMZinc, la marque d’Umicore, devaient s’engager par contrat à assurer « la promotion des produits et marques d’Umicore à l’exclusion des produits et marques concurrentes », note, preuve à l’appui, le gendarme de la concurrence. Ensuite, les contrats ont été réécrits, mais les mêmes règles restaient valables selon tous les acteurs du marché. Conclusion : 90 % du zinc commercialisé dans les points de vente indépendants était fourni par Umicore. Pour le groupe, cela représente chaque année 125 millions d’euros de chiffre d’affaires en France sur le zinc (1,1 milliard sur la période de l’enquête). Pour conserver ses généreuses parts de marché face à ses concurrents allemand, Rheinzink, néerlandais, Nedzink, ou italien, Simar, Umicore ne s’est pas arrêté là. Une surveillance des points de vente a été organisée, avec visite périodique et impromptue des stocks. « Ces visites avaient pour but de vérifier l’absence dans les stocks de produits concurrents », relève un ancien cadre d’un distributeur, in- terrogé par les enquêteurs. « Certains distributeurs étaient amenés à cacher les produits en provenance d’autres fournisseurs. » De même, pour s’assurer qu’un revendeur ne mettait pas en vente d’autres marques, une clause de « prévision unilatérale de tonnage » a également été mise en place pour détecter la vente éventuelle de produits concurrents en comparant les prévisions de ventes et les matériaux commandés à Umicore. « Des ventes anormalement basses ou des baisses de commandes étaient suivies de demandes d’explications auprès des distributeurs… », écrit le gardien de la concurrence. Après la surveillance, les commerciaux d’Umicore passaient aux menaces, voire aux représailles : réduction ou suppression de bonifications pour les distribu- Concurrence : un gendarme bien occupé Le secteur du BTP a toujours été regardé à la loupe par l’Autorité de la concurrence. « Avant 2008, cela concernait 50 % des enquêtes », rappelle Bruno Lasserre, son président. Beaucoup d’ententes ont ainsi été dénoncées comme celle pour la restauration des monuments historiques en 2011. Cette année, l’Autorité de la concurrence doit présenter ses conclusions concernant une entente sur le marché des isolants minces. D’autres secteurs mobilisent le gendarme de la concurrence, comme la téléphonie mobile, qui a vu une pluie d’amendes pour entente ou abus de position dominante, ou le secteur des produits d’hygiène et d’entretien où une entente avait été sanctionnée fin 2014 à hauteur de 951,2 millions d’euros. DÈS VENDREDI EN KIOSQUE 6 272 Tel est, en kilomètres, la longueur du trajet accompli en trois jours au-dessus de l’océan Atlantique par l’avion solaire Solar Impulse 2, qui, parti de New York, s’est posé, jeudi 23 juin, sur l’aéroport de Séville, en Espagne. « Je ne peux pas réaliser, c’est tellement fantastique », s’est exclamé le pilote suisse Bertrand Piccard, après ce premier vol transatlantique. L’avion a commencé son tour du monde le 9 mars 2015, à Abou Dhabi (Emirats arabes unis). Pas plus lourd qu’une fourgonnette (1,5 tonne), aussi large qu’un Boeing 747, doté de 17 000 cellules photovoltaïques sur ses ailes, il vole à une vitesse moyenne de 50 km/h. CON J ON CT U R E Le climat des affaires se détériore en juin Le climat des affaires s’est dégradé, en juin, en France, en particulier dans les services et dans l’industrie, a annoncé, jeudi 23 juin, l’Insee. L’indicateur, calculé à partir des réponses des chefs d’entreprise des principaux secteurs d’activité, est revenu à 100 points, contre 102 en mai, retrouvant ainsi « son niveau moyen de long terme », selon l’institut de statistique. « L’indicateur de retournement pour l’ensemble de l’économie passe dans la zone indiquant une conjoncture défavorable », souligne l’Insee. – (AFP.) bunal de commerce est attendu mercredi 29 juin. F I N AN C E La Banque postale épinglée L’Autorité des marchés financiers a annoncé, mercredi 22 juin, avoir condamné la Banque postale à verser une amende de 1,5 million d’euros pour insuffisance d’informations concernant la commercialisation d’un fonds à destination de particuliers. En 2012, des centaines de clients ont cédé leurs parts de ce fonds Progressio avant l’échéance, subissant des pertes élevées, alors même que leur capital était garanti au bout de huit ans de détention. – (AFP.) LUXE Le couturier Hedi Slimane assigne Kering en justice Vente des activités bancaires de GE en France Le couturier Hedi Slimane, ancien designer vedette de Saint Laurent, a assigné en justice le groupe Kering, propriétaire de la marque, affirme l’agence Reuters, mercredi 22 juin. Le couturier réclame « une très importante indemnité, de plusieurs millions d’euros, pour rupture abusive de contrat ». Kering a confirmé l’existence d’une procédure, précisant qu’elle concernait « les obligations de non-concurrence d’usage ». Le jugement du tri- La société d’investissement américaine Cerberus a proposé au conglomérat General Electric (GE) de lui racheter ses activités bancaires en France regroupées dans GE Money Bank, selon un communiqué diffusé jeudi 23 juin. La transaction, dont le montant n’a pas été dévoilé, couvrirait des encours de 4,6 milliards de dollars (4 milliards d’euros). L’opération reste soumise à l’accord des autorités réglementaires. – (AFP.) teurs fautifs, retrait du statut de centre VMZinc, etc. Or, « sans ce statut, difficile d’attirer les acheteurs qui voulaient le plus souvent des produits d’Umicore… », indique Emmanuel Combe. Un distributeur ayant choisi de se fournir en Slovénie auprès d’un concurrent a ainsi été privé de son statut VMZinc… Selon l’Autorité de la concurrence, ces menaces ou représailles n’ont concerné qu’un nombre limité de distributeurs. Cependant, Umicore, par effet de signal, a réussi à « discipliner le marché ». Ses concurrents trouvaient ainsi portes closes chez les revendeurs bien placés sur le marché… Et la conséquence est sonnante et trébuchante : cette prédation du marché a poussé les prix du zinc vers le haut, de 10 % à 15 %, juge le gardien de la concurrence, pénalisant l’ensemble des clients (collectivités locales, particuliers, etc.). p LEMONDE.FR/M-LE-MAG philippe jacqué 6 | économie & entreprise 0123 VENDREDI 24 JUIN 2016 Les banques grecques franchissent un cap décisif La Banque centrale européenne a rouvert son principal guichet de financement aux établissements hellènes C’ est une excellente nouvelle pour Athènes. Mercredi 22 juin, la Banque centrale européenne (BCE) a décidé de rouvrir, dès le 29 juin, l’accès des banques grecques à ses opérations classiques de financement, dont celles-ci étaient exclues depuis début 2015. « C’est un bol d’air considérable pour ces établissements et surtout la reconnaissance des efforts du gouvernement grec », confie une source européenne, proche des créanciers du pays (BCE, Mécanisme européen de stabilité, Commission européenne, Fonds monétaire international). Cette décision est intervenue au lendemain du versement d’un nouveau prêt de 7,5 milliards d’euros à Athènes, dans le cadre du troisième plan d’aide de 86 milliards signé l’été 2015 avec ses partenaires européens. « La Grèce a franchi un cap critique », a félicité le 21 juin Jean- Claude Juncker, le président de la Commission européenne, saluant « le courage et la détermination » de son peuple. Cette nouvelle aide a été accordée en échange de l’adoption d’une série de réformes. Saluant ces efforts, la BCE a, comme l’espérait le gouvernement grec, fait à son tour un geste envers le pays. En février 2015, lorsque la gauche radicale de Syriza menaçait de rompre les liens avec ses créanciers et de ne pas appliquer les mesures exigées, l’institution avait, en effet, suspendu une dérogation essentielle pour les établissements hellènes, une décision vécue comme un coup de tonnerre. Cette exemption leur permettait de déposer à la BCE les bons du Trésor grec qu’ils détenaient comme garantie en échange de prêts de li- De nouveaux prêts géants aux établissements de la zone euro La Banque centrale européenne (BCE) a lancé, mercredi 22 juin, la seconde série de ses prêts géants au secteur bancaire, les TLTRO. D’une durée de quatre ans, assortis de conditions avantageuses, ils visent à encourager les banques à prêter à leur tour aux entreprises et aux ménages. Celles qui auront, pendant une période de référence d’au moins deux ans, augmenté leur portefeuille de prêts de 2,5 %, se verront offrir un taux de – 0,4 % pour le TLTRO, dont le coût final sera déterminé au moment du remboursement. Les plus vertueuses d’entre elles recevront ainsi une prime. La BCE devait dévoiler, vendredi 24, le montant des prêts sollicités par les banques. Les économistes estiment que la demande devrait être forte. quidité. Mais ces titres étant classés en catégorie « spéculative » par les agences de notation, la BCE n’avait en théorie pas le droit de les accepter, sauf dérogation… L’arme des liquidités Privées de ce robinet principal, les banques grecques s’étaient alors tournées vers le guichet d’urgence de la BCE, celui des « ELA », beaucoup plus cher (1 % à 1,5 % de plus), où elles se financent toujours. Une situation délicate, alors que la plupart d’entre elles sont fragilisées par des années de récession et de crise de confiance. Choqués par la décision de la BCE, nombre d’observateurs avaient, en février 2015, dénoncé un « chantage » et un « coup d’Etat financier » envers Athènes. De fait, l’institut monétaire a déjà utilisé l’arme des liquidités pendant la crise. En 2010, JeanClaude Trichet, président de la BCE à l’époque, avait ainsi menacé de couper le robinet d’urgence aux Athènes rêve que la BCE accepte les titres souverains hellènes dans son programme de rachat de dettes publiques banques irlandaises si le gouvernement de l’île n’entrait pas sous un plan de sauvetage européen. Ce qu’il fit presque aussitôt… De son côté, la BCE a toujours affirmé que son rôle n’était pas de prendre des risques en acceptant des titres peu sûrs si, en échange, les Etats concernés ne font pas d’efforts. En rétablissant la dérogation suspendue en février 2015, la banque centrale recommencera, dès le 29 juin, à accepter les titres d’Etat grecs comme garantie. Une étape importante pour le retour à la normale du financement de l’économie grecque, toujours sous contrôle des capitaux. Selon les experts, cela contribuera à rétablir la confiance dans le secteur bancaire. Et au retour progressif des dépôts, que les particuliers et entreprises grecs ont massivement retiré ces dernières années. Le gouvernement grec rêve que, dans la foulée, la BCE accepte également les titres souverains hellènes dans son programme de rachat de dettes publiques, l’assouplissement quantitatif (quantitative easing, ou QE). Cela aiderait beaucoup le pays, en tirant à la baisse les coûts de financement de son économie. Et en le protégeant de la spéculation contre sa dette. La BCE a indiqué qu’elle se pencherait sur la question « à une date ultérieure ». D’ici là, la Grèce devra encore faire preuve de bonne volonté dans l’application des réformes exigées par ses partenaires. p marie charrel Le FMI révise à la baisse la croissance américaine et s’inquiète de la pauvreté Un Américain sur sept est pauvre et la hausse du PIB a été ramenée à 2,2 % en 2016 M Ecriture, sciences, religion, architecture, villes... le Proche-Orient a longtemps illuminé de ses splendeurs une partie de l’humanité. Comment ce berceau de civilisations majeures est-il devenu, en un peu plus d’un siècle, une région d’afrontements aux conséquences géostratégiques mondiales ? Alors que le monde arabe traverse une période de fortes turbulences, les meilleurs spécialistes revisitent l’histoire de cette civilisation millénaire. Pour analyser et comprendre, au-delà des émotions. L’HISTOIRE DU PROCHE-ORIENT Un hors-série 188 pages - 12 € Chez votre marchand de journaux et sur Lemonde.fr/boutique ercredi 22 juin, à la veille du « Brexit », le Fonds monétaire international (FMI) n’a pas hésité à jeter un nouveau pavé dans la mare de l’économie mondiale. Dans son rapport sur les EtatsUnis, il a révisé à la baisse sa prévision de croissance : en 2016, le produit intérieur brut (PIB) américain devrait progresser de 2,2 %, soit 0,2 point de moins par rapport à la prévision d’avril. Pour 2017, l’institution basée à Washington projette toujours une croissance de 2,5 %. La veille, lors de son audition devant le Congrès, la présidente de la Réserve fédérale américaine (Fed), Janet Yellen, le reconnaissait : une « incertitude considérable » plane sur l’économie mondiale. Selon elle, une victoire du « Brexit » risquerait d’avoir des « répercussions économiques importantes », même si elles sont « difficiles à prévoir ». Un vote en faveur du « Leave » (« quitter ») pourrait inaugurer « une période de volatilité sur les marchés financiers », a-t-elle averti, en précisant qu’une des premières conséquences serait probablement l’appréciation du dollar. « Des vulnérabilités demeurent » à l’international, a ajouté la patronne de la banque centrale : si les craintes d’un ralentissement chinois se sont un peu dissipées, Pékin « continue de faire face à des défis considérables pour rééquilibrer son économie (…) », a-t-elle rappelé. De son côté, la présidente du FMI, Christine Lagarde, a surtout mis l’accent sur les fragilités intrinsèques du pays. Elle a ainsi listé quatre défis, rassemblés sous le sigle « des quatre P » : la chute de la « participation à l’emploi », le ralentissement de la croissance de la « productivité », la « polarisation » grandissante des revenus et la « pauvreté ». « Si on ne s’en occupe pas, ils vont corroder les bases de la croissance et freiner les gains de niveau de vie aux EtatsUnis », a-t-elle prévenu. La Française a notamment souligné que la part des revenus fournie par le travail s’est réduite de 5 % depuis quinze ans dans le pays et que la taille de la classe moyenne n’a jamais été aussi faible en trente ans. « La distribution de la richesse et des revenus est de plus en plus polarisée et la pauvreté a augmenté », souligne l’institution, affirmant qu’il y a « une nécessité urgente à s’attaquer à la pauvreté ». Un Américain sur sept, soit 46,7 millions de personnes, vit dans la pauvreté. Pourtant, 40 % d’entre eux travaillent. Pour y remédier, le FMI préconise des crédits d’impôts mieux ciblés et le relèvement du salaire minimum fédéral (actuellement de 7,25 dollars de l’heure). Réforme de l’immigration Selon le FMI, le pays doit aussi se donner les moyens d’enrayer la chute du taux de participation à l’emploi. La proportion de personnes travaillant ou cherchant activement un emploi est passée de plus de 67 % dans les années 2000 à moins de 63 % en 2015. Pour redresser la barre, l’institution suggère des mesures en faveur de l’emploi des femmes (aide à la garde d’enfants, congés parentaux) et surtout l’adoption d’une réforme de l’immigration sur la base des qualifications. Le dernier rapport mensuel sur l’emploi a révélé un ralentissement des créations d’emplois. Mme Yellen a souligné qu’il était particulièrement « troublant » que le chômage touche davantage les minorités, en particulier les Noirs et les Hispaniques. « Nous allons observer de près le marché de l’emploi pour voir si le ralentissement récent est provisoire, comme nous le pensons », a-t-elle affirmé, en assurant être optimiste pour l’avenir. Pour relancer l’économie, le Fonds presse les Américains d’accroître leurs dépenses d’infrastructures. « De nouveaux investissements sont requis de manière urgente (…) particulièrement en ce qui concerne les transports en surface », a insisté le FMI. « Cela aiderait à se débarrasser de la congestion et des goulets d’étranglement et doperait la productivité de l’activité privée », ajoute le FMI. Selon lui, la qualité actuelle des infrastructures américaines arrive loin derrière celles de l’Allemagne et du Japon et un peu devant celles de la Corée. p chloé hecketsweiler idées | 7 0123 VENDREDI 24 JUIN 2016 Jacques Attali, président de Positive Planet, et Pierre-André de Chalendar, PDG de Saint-Gobain, étaient les invités, mercredi 22 juin, du Club de l’économie du « Monde » Jacques Attali : « La fermeture engendre la barbarie » L’ancien conseiller de François Mitterrand analyse les nouveaux risques auxquels l’Europe est confrontée, regrette l’absence de vrais débats à l’approche de la présidentielle et n’exclut pas d’être candidat ¶ Jacques Attali, économiste, est président de Positive Planet. Il est l’auteur de « 100 jours pour que la France réussisse » (Fayard, 304 pages, 20 euros). « Le référendum sur le “Brexit” va laisser des traces profondes » J’ai toujours pensé que les Britanniques rejetteraient le « Brexit ». La sortie de l’Union européenne serait un suicide pour le Royaume-Uni. Il existe, dans l’histoire, des cas où des nations se sont suicidées, mais je ne crois pas que ce soit la tentation des Britanniques. Dans tous les cas, pourtant, cette campagne va laisser des traces profondes. Une idée est en train de s’installer : l’Europe n’est pas irréversible. Ceci est d’ailleurs inscrit dans un péché mortel commis par les Européens dans la négociation avec le RoyaumeUni, en février, pour permettre à David Cameron de dire qu’il voterait « oui » au maintien dans l’Union. Cet accord dit que les traités ne seraient plus obligés de s’inscrire dans la perspective d’« une intégration plus grande ». Avec une très grande ambiguïté d’ailleurs, car il n’est pas clairement dit si cela concerne le Royaume-Uni, ou si cela concerne l’ensemble du projet européen. Cette crise s’inscrit dans un mouvement plus profond : nous avons accepté la mondialisation, mais nous n’avons pas mis en place une règle de droit commune. Or, sans elle, il ne peut pas y avoir de globalisation réelle du marché. Deux fois déjà, dans l’histoire, cette absence de règle de droit a produit des effets désastreux. En 1780, il y a eu une première vague de mondialisation pour des raisons à la fois économiques et technologiques, idéologiques, culturelles avec les Lumières. Et puis le mouvement s’est arrêté. Etonnement, le premier signal d’arrêt a été l’interdiction d’écrire des opéras en italien et l’obligation d’écrire des opéras dans les langues nationales. Trente ans de guerre ont suivi. En 1910, tout semblait lancer un XXe siècle heureux : la technologie, la démocratie, la démographie, la mondialisation. La fermeture a engendré la barbarie. Nous sommes aujourd’hui dans un moment de même nature. On a tout pour créer une globalisation démocratique et heureuse, et on est en train, progressivement, un peu partout à travers le monde, de se replier sur le national. « Une nouvelle crise de l’euro est inévitable » Tout se met en place pour une grande crise de la zone euro, indépendamment de la question britannique. Pour plusieurs raisons. D’abord, la zone euro est incomplète. Nous n’avons pas mis en place l’accord budgétaire de limitation des dépenses, qui permet d’avoir une coordination budgétaire, et nous n’avons pas mis en place la totalité de l’accord bancaire. A la prochaine récession, nous n’aurons plus, et la Banque centrale européenne [BCE] n’a déjà plus, les moyens de faire face. La crise de 2008 a entraîné un tel gaspillage de dépenses publiques qu’on se retrouve avec 100 % de dette publique en France et dans beaucoup d’autres pays, et les taux d’intérêt sont à un niveau négatif. Donc la BCE n’a plus les moyens de résister et l’euro ne tiendra plus face à la récession suivante. D’autre part, et c’est plus grave encore, nous n’avons pas mis en place les mécanismes de la discipline commune, et les intérêts de la France et de l’Allemagne sont désormais totalement divergents. La France a intérêt à avoir un euro faible, une inflation forte et des taux d’intérêt bas ; pour l’Allemagne, c’est l’inverse, notamment pour financer ses retraites. « Le risque d’une troisième guerre mondiale en 2025-2030 » Seul un nouveau projet, une nouvelle avancée dans une construction européenne, pourrait nous permettre de recréer une convergence d’intérêts franco-allemande. Les Européens sont en train, trop lentement, de comprendre que plus personne n’assure leur défense face à des menaces nouvelles. Les Américains ne sont plus là, qu’on le veuille ou non. Donald Trump ou Hilary Clinton n’y changera rien. Non seulement ils n’assurent plus la défense de l’Europe, mais plus non plus celle de la Méditerranée, de l’Afrique et même du Moyen-Orient. Il faut créer une Europe de la sécurité et de la défense, financée par des euro-obligations, pour défendre nos frontières et faire face aux nouveaux risques régionaux. Les peuples s’unissent pour se protéger. La prochaine étape de la construction européenne est la protection contre toute forme de menace. Depuis longtemps, je prédis que la troisième guerre mondiale, si rien ne change, est pour 2025-2030. Tout semble se mettre en place. Les Européens sont au cœur de l’enjeu. S’ils se donnent le projet de se défendre ensemble, alors ils pourront faire face. Si nous ne sommes pas capables de nous rassembler, de créer les conditions de développer l’Afrique, qui est notre menace en même temps que notre paradis, nous courons à la catastrophe. « L’élection présidentielle : plus le temps passe, plus j’ai envie d’être candidat » Je suis consterné, chaque jour davantage, quand je vois le tour que prend la campagne présidentielle. Chacun s’évertue à retarder le moment où on va parler des enjeux. Je suis scandalisé quand je vois les candidats à la primaire républicaine ne parler que de leur personne, n’annoncer aucun programme global et dire, eux-mêmes, que le programme de la primaire ne sera pas celui du candidat à la présidentielle. Je suis tout autant scandalisé quand je vois la gauche annoncer une primaire pour janvier [2017], ce qui signifie qu’elle n’aura pas de programme avant février, un programme sans doute improvisé sur un coin de table ou dans un discours de meeting. On n’aura donc pas fait mûrir, dans l’opinion publique, les grands sujets qui impliquent des réformes. Je suis convaincu que la France ne se réforme que de façon brutale ou plus exactement massive, parce que c’est son histoire. Et pour réformer de façon massive et démocratique, il faut que la campagne présidentielle soit le lieu de cette maturation des idées. J’ai essayé de cerner quelques idées centrales de réforme majeure à faire dans un livre collectif. Elles ne sont absolument pas débattues. Les candidats s’empressent surtout de ne pas débattre sérieusement. La réforme des institutions et de l’école maternelle, l’augmentation des moyens de la défense et de la justice, le bouleversement de la politique culturelle, les départements et territoires d’outre-mer, l’environnement, la francophonie… Autant de sujets majeurs dont personne ne parle, mais qui font, pourtant, l’identité française et qui détermineront la place de la France au XXIe siècle. Les mois qui nous séparent de la présidentielle sont fondamentaux : c’est dans cette période que doit se cristalliser le lien entre une personne et des propositions, et si cette personne et ces propositions sont identifiées, si elle est élue, alors cette personne aura un mandat clair pour agir. C’est le seul cas de figure où la réforme est possible. Et plus le temps passe, plus l’absence de débat me consterne, plus j’ai envie d’être moi-même candidat à l’élection présidentielle. La seule chose qui pourrait m’empêcher d’y aller, c’est la peur du ridicule. » p propos recueillis par philippe escande et vincent giret Pierre-André de Chalendar : « Le coût du travail reste un problème » Le PDG de Saint-Gobain estime que la France est sur la voie de la reprise, mais qu’elle reste handicapée par son manque de compétitivité. Il déplore par ailleurs le manque d’incitations à embaucher et à travailler. La reprise est-elle enfin là en Europe et en France ? Elle s’est clairement vue en Europe dès 2015. Hors de France, nos ventes ont cru de 2 %, alors que, dans notre pays, elles baissaient de 4 %. Cette année, l’Europe fait mieux et la France est passée à zéro. Ce qui est un énorme progrès, puisqu’elle représente 25 % de notre chiffre d’affaires. Du côté du bâtiment, les indicateurs sont bons, mais je ne vois pas repartir l’activité de rénovation, très importante pour nous. Les PME du secteur, qui sont nos clientes, n’ont toujours pas confiance et ont peur d’embaucher. Du coup, quand il y a plus de commandes, au lieu de créer des emplois, elles étalent les travaux dans le temps. La France a détruit beaucoup d’emplois industriels. Des usines ont fermé. Le pays a-t-il encore une industrie à la hauteur de ses ambitions ? Nous avons un vrai sujet de compétitivité. La gauche l’a découvert avec le rapport de Louis Gallois en 2012. Il a fait un exercice de pédagogie très utile. Nous avons un problème de coût et un autre de niveau de montée en gamme. Ce dernier sujet se traite avec l’innovation et la R&D. De ce point de vue, la France dispose d’un bon instrument avec le crédit d’impôt recherche. Il nous a permis d’augmenter la proportion de notre effort de recherche en France. Dans ce domaine, les politiques publiques, depuis quelques années, ont de la continuité. En ce qui concerne les coûts du travail, nous avions un gros décalage. De 1998 à 2012, ils ont dérivé de 15 points entre la France et l’Allemagne. Avec le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi [CICE] et le fait que les salaires allemands augmentent, nous avons récupéré un peu plus du tiers de cet écart. Mais, pour nous, la France reste encore le pays le plus cher d’Europe. C’est moins un handicap pour SaintGobain que pour d’autres industries, car nos produits voyagent peu. Le sujet du coût du travail est donc moins important. De plus, le CICE est mal ciblé. Nous avons touché 60 millions d’euros. Qui en a bénéficié le plus ? Notre distributeur Point P. Qui en a le moins besoin ? Point P. Parce que le différentiel de coût entre le Point P français et le Point P allemand, je m’en fiche. Cela aurait eu une incidence plus forte de donner la même somme à notre filiale industrielle Pont-à-Mousson. Lafarge, Alstom, Alcatel, Technip… Plusieurs grandes entreprises ont vu leurs sièges sociaux déménager à la suite d’une acquisition. La nationalité d’une société a-t-elle de l’importance ? La nationalité d’une entreprise peut se définir par le lieu de son siège social. Cela se retrouve aussi dans la nationalité d’une partie importante de ses dirigeants. Ce n’est pas complètement neutre. On consacre une part nettement plus importante de la R&D et des investissements dans son pays d’origine. C’est vrai au Royaume-Uni et en France, cela l’est encore plus en Allemagne. Les très vives tensions qui se sont fait jour avec les manifestations contre la loi El Khomry donnent l’impression que le dialogue social est en très mauvais état en France. Est-ce que vous constatez cela chez vous ? Pas du tout. Il y a un énorme décalage entre le niveau national et le niveau local. Nous négocions déjà au niveau de l’entreprise et cela se passe très bien. La CGT signe quantité d’accords avec Saint-Gobain, elle n’a rien à voir avec la CGT nationale, qui se radicalise, car elle a peur des élections de l’année prochaine. Quel est le problème en France ? Il n’y a pas d’incitations suffisantes à embaucher ni à travailler. Quand je compare notre pays avec ses voisins européens, je constate que la différence principale ne porte pas sur le niveau de croissance, mais sur l’emploi. Il n’y a pas de chômage chez eux. Ni en Suisse, ni en Angleterre, ni en Allemagne. Pourquoi ? Parce que les PME y embauchent plus facilement. Il y a un travail de pédagogie à faire. Quand je dis que, plus c’est facile de licencier, plus on va embaucher, ce n’est pas évident à comprendre, mais c’est vrai. Et c’est un problème pour les PME. Moi, je sais très bien me débrouiller. J’ai des armées de ressources humaines. Le fait d’attendre un an une décision des prud’hommes, cela ne me dérange pas. Pour une PME, c’est dramatique. p propos recueillis par v. gt et p. es. ¶ Pierre-André de Chalendar, PDG de Saint-Gobain. L’entreprise française est spécialisée dans la production, la transformation et la distribution de matériaux de construction. 8 | MÉDIAS&PIXELS 0123 VENDREDI 24 JUIN 2016 Les start-up françaises se sentent pousser des ailes Le rideau est tombé, mercredi 22 juin, sur la 3e édition de la French Touch Conference, à New York new york C’ est une affaire qui roule… Ou plutôt qui vole. Lancée il y a tout juste trois ans, la French Touch Conference, qui se déroulait à New-York les mardi 21 et mercredi 22 juin, s’est imposée comme un événement de référence sur la scène tech tricolore. Son but ? Promouvoir les start-up hexagonales et développer les liens entre les écosystèmes français et américain. Et pour marquer le coup de cette troisième édition, Gaël Duval, PDG de JeChange.fr et à l’origine du projet, a organisé à cette occasion le premier concours de start-up dans un avion. Six jeunes pousses françaises ont été sélectionnées pour présenter leur projet en plein vol Paris - NewYork à la manière d’un speed dating : des entretiens de 7 minutes en face à face avec chacun des sept membres du jury. « L’avion est une formidable opportunité pour faire des rencontres d’affaires. C’est d’ailleurs dans un avion que j’ai rencontré JeanMarie Messier et que je l’ai convaincu de venir parler à la à la French Touch Conference », précise Gaël Duval. A la clé pour la start-up gagnante : un an de trajets Paris - New York gracieusement offerts par la compagnie aérienne OpenSkies, partenaire de l’événement, et une aide financière et opérationnelle pour le développement de la jeune pousse. Oublier le « French bashing » Dans le Boeing 757 qui emmenait une partie des start-up et investisseurs inscrits à l’événement, la formule a séduit. « C’était plutôt intense. Mais j’ai beaucoup apprécié d’avoir un retour immédiat des jurés et de pouvoir discuter plus longuement avec eux à la fin du concours », raconte Anaïs Barut, 26 ans, à la tête de Damae Medical, une jeune pousse parisienne qui Aux Etats-Unis, l’industrie musicale contre YouTube De grandes maisons de disques interpellent le Congrès sur les pratiques de la plate-forme san francisco – correspondance D ans sa bataille contre YouTube, l’industrie du disque interpelle le Congrès des Etats-Unis. Mardi 21 juin, les grandes maisons de disques, les associations professionnelles et près de 200 artistes, dont Taylor Swift, U2 et Paul McCartney, ont adressé une lettre ouverte aux parlementaires américains. Ils réclament un changement de législation, estimant que la populaire plate-forme de vidéos en ligne tire injustement profit des règles existantes. Dans leur viseur : le Digital Millennium Copyright Act (DMCA). Votée en 1998, cette loi protège les sociétés Internet d’éventuelles poursuites judiciaires liées à des contenus publiés illégalement par leurs utilisateurs. Cela signifie que YouTube ne peut être attaqué en justice pour des clips musicaux mis en ligne sans l’autorisation des artistes. En échange, ces sociétés doivent proposer des outils aux détenteurs de droits pour retirer les vidéos ou les chansons en infraction. « Cette loi a été écrite à une époque où la technologie n’était pas aussi avancée qu’aujourd’hui, regrettent les professionnels de la musique dans leur missive. Elle a permis aux grandes entreprises technologiques de générer d’importants profits, en permettant à chacun d’accéder à quasiment toutes les chansons depuis un smartphone. La consommation de musique s’est envolée, mais les revenus des auteurs et des artistes se sont effondrés. » « Ennemi public numéro un » Si le courrier ne mentionne pas directement la filiale de Google, celle-ci est bien la cible. « C’est devenu le nouvel ennemi public numéro un », souligne Mark Mulligan, directeur de MIDiA Research. « Le système est inéquitable. De toute ma carrière, je n’ai jamais vu une menace aussi sérieuse pour les artistes », lançait récemment Irving Azoff, manageur de plusieurs vedettes de la chanson. Comme le prévoit la loi, YouTube propose un dispositif, baptisé Content ID, qui permet de détecter et de supprimer les vidéos qui ne respectent pas les droits d’auteurs. Au cours de la pre- développe un dispositif innovant et non invasif permettant la détection précoce de cancers de la peau. Dans le couloir de la première classe, Timothée Saumet, cofondateur de Tilkee, une solution qui permet d’optimiser la relance commerciale, profite d’un bref moment de calme d’un des membres du jury pour lui présenter sa société. « Ce n’était pas prévu mais c’est l’occasion de se faire connaître », souligne le jeune Lyonnais, qui s’intéresse de près au marché américain. Sur sa chemise, son badge affiche avec humour ses ambitions : « Voulez-vous signer avec moi, ce soir ? » En l’espace de trois ans, la formule a pris de l’ampleur : cette année, plus de 700 participants ont fait le déplacement à New-York pour assister à l’événement, contre 500 (dont plus d’une centaine d’investisseurs) lors de la précédente édition. « La France est le premier pays créateur de start-up en Europe. Il faut arrêter de s’autofla- « La France est le premier pays créateur de start-up en Europe » GAËL DUVAL fondateur de la French Touch Conference geller et montrer aux Américains que notre entrepreneuriat est top et que nous n’avons pas à rougir de nos talents », insiste M. Duval. Parmi les pépites présentes durant ces deux jours : Withings, Synthesio ou encore PeopleDoc, venus témoigner de leur réussite. Dans les couloirs de l’Axa Center de New-York, où se tient la manifestation, les discussions privées et les échanges de cartes de visite vont bon train. « Le plus important, c’est le off. Je profite de l’événement pour emmener des clients et leur Léa s’émerveille avec Edgar Poe faire rencontrer des start-up intéressantes », explique Stéphane Régnier, vice-président chargé du numérique chez Cap Gemini Consulting. D’autres grands groupes, comme Michelin, IBM ou Microsoft, étaient également de la partie, mais restaient au final assez peu nombreux. Côté investisseurs, français et américains ont toutefois répondu plus présents. Lors de la première édition, les rencontres entre investisseurs et start-up avaient ainsi permis la levée de plus de 7 millions d’euros. « C’est un cadre qui se prête facilement à l’échange, raconte Tatiana Jama, cofondatrice de Selectionnist, une application qui permet de flasher et acheter des produits repérés dans la presse. Grâce aux rencontres faites en 2014, la start-up a réussi à obtenir 2 millions d’euros auprès d’Elaia Partners et du fonds new-yorkais Conegliano Ventures. Idem pour Sharalike, une application de gestion de photos qui compte 1,3 million d’utilisateurs : « Lors de la soirée networking, j’ai pu discuter avec le fonds Breega Capital. Une semaine plus tard, nous avons signé une levée de fonds de 650 000 euros, alors que notre application était encore en bêta [en test] ! », se souvient Etienne Leroy, le cofondateur de la start-up. Pour Axelle Lemaire, secrétaire d’Etat chargée du numérique et marraine de l’événement depuis ses débuts, ces exemples sont autant de signes du dynamisme croissant de la tech française. « Pour le premier trimestre, entre 20 % et 30 % de la croissance était tirée du numérique. Quant au marché du capital-risque, il a doublé entre 2014 et 2015 », confiait-elle lors de sa venue à New-York. En octobre, la French Touch Conference devrait poser ses valises à Shanghaï. Une première, qui sera suivie par une nouvelle édition aux Etats-Unis en janvier 2017, cette fois-ci à San Francisco. p zeliha chaffin Léa réveille son anglais mière semaine du mois de juin, plus de 22 millions de vidéos ont ainsi été retirées de la plateforme. C’est quatre fois plus qu’il y a deux ans. Pour autant, les artistes estiment que ces outils ne sont pas assez efficaces, car rien n’empêche de publier à nouveau les contenus supprimés. 0,0008 dollar par écoute En outre, « le DMCA limite le pouvoir de négociation des maisons de disques », avance Russ Krupnik, directeur du cabinet MusicWatch. A l’image des services de streaming musicaux, comme Spotify, Apple Music ou Deezer, YouTube a conclu des accords de licence. Ces derniers sont récemment arrivés à leur terme. Et une longue et complexe période de discussions s’est ouverte avec les détenteurs de droits. Mais, même en cas d’échec, « les utilisateurs de YouTube pourront continuer de poster des chansons, qu’il sera difficile de faire retirer », note M. Krupnik. Selon les estimations de MIDiA Research, YouTube reverse actuellement 0,0008 dollar, en moyenne, par écoute. C’est légèrement moins que la partie gratuite de Spotify, elle aussi remise en question par l’industrie du disque. Cependant, cette rémunération ne prend pas en compte les contenus postés en dehors des chaînes officielles. « Nous avons reversé plus de 3 milliards de dollars [2,6 milliards d’euros] aux artistes », indique le site de vidéos, qui cherche à minorer son importance. « Nos utilisateurs consomment une heure de musique par mois, bien moins que la moyenne sur Spotify ou sur Apple Music. » Mais YouTube compte plus d’un milliard d’utilisateurs dans le monde, contre seulement 100 millions pour Spotify. Selon Jimmy Iovine, le responsable d’Apple Music, YouTube représenterait ainsi 40 % de la consommation totale de musique. Mais seulement 4 % du chiffre d’affaires. C’est moins que les recettes générées par les ventes de vinyles. Il est peu probable que la lettre adressée au Congrès entraîne une modification de la législation. Les maisons de disques et les artistes veulent surtout apparaître unis, afin de peser plus sur les négociations avec YouTube. p jérôme marin Les nouvelles bilingues du Cet été, réveillez votre anglais avec des textes en VO/VF des grands auteurs. Oscar Wilde–Edgar Allan Poe–Charles Dickens–Virginia Woolf, Mark Twain–Joseph Conrad–Rudyard Kipling... Une collection de textes bilingues accompagnés d’un glossaire et d’un CD pour enrichir votre anglais avec plaisir et sans efort. EN VENTE CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX Le volume 2 4 € ,99 seulement ! Edgar Allan Poe 2 C’EST D’ACTUALITÉ v CARITATIF Les livres du cœur ont du succès 3 MOTS DE PASSE v La petite musique de Julian Barnes Yves Bonnefoy, passé présent Dans « L’Echarpe rouge », magnifique essai autobiographique, le poète reprend des vers anciens, inachevés, à la recherche des origines de sa vocation 4 LITTÉRATURE FRANÇAISE Martin Page, Patrick Wald Lasowski, Pierre Alferi amaury da cunha A vec L’Echarpe rouge, Yves Bonnefoy creuse une brèche dans le passé. Rien de régressif, cependant, dans ce magistral essai autobiographique. Pour le poète, né en 1923, l’expérience acquise permet désormais de circuler dans l’épaisseur d’une œuvre. D’un livre à l’autre, d’un recueil de poèmes à un essai théorique sur l’art, avec la même intensité littéraire, Bonnefoy n’a cessé d’interroger notre rapport au réel à travers les mots. S’ils permettent d’accéder à l’évidence des choses, à leur « présence plénière », ils représentent aussi un risque. Celui de réduire ce que nous tentons de nommer à des identités figées et d’obscurcir l’énigme de nos vies. L’enjeu de L’Echarpe rouge, pour Yves Bonnefoy, est celui d’une épreuve. Elle consiste à entrer dans un texte d’autrefois pour l’habiter à nouveau et saisir le sens des mots qui demeurent encore incompris. En 1964, Yves Bonnefoy a en effet écrit une centaine de vers dans une forme libre. Il y est question de mystérieuses images. Morceaux d’un puzzle, comme sortis d’une toile de Giorgio De 5 LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE Joyce Carol Oates, Rachel Cusk 6 HISTOIRE D’UN LIVRE « Bambi », de Felix Salten 7 Il est rare de trouver dans l’œuvre du poète des textes aussi intimes qui identifient radicalement l’écriture à la vie Chirico. Dans ce poème, l’écrivain évoque une enveloppe avec l’adresse d’un inconnu écrite au dos, une maison oubliée, un voyage en train à Toulouse, une rencontre avec une femme fantomatique, une disparition, un masque de NouvelleGuinée… Il ne parviendra cependant pas à finir ce poème, ou cette « idée de récit », comme il le nomme. « Du sans cesse interrompu, de l’inachevable, écrit-il dès les premières pages de L’Echarpe rouge, l’œuvre de quelqu’un d’autre. » Pour Yves Bonnefoy, la poésie est un acte qui se poursuit mentalement, même lorsque l’écriture s’arrête. Un demi-siècle plus tard, l’écrivain décide donc de reprendre ce texte qui demeurait enfoui au fond d’un tiroir, dans le secrétaire de son grand-père. Plutôt que d’en chercher une suite, Bonnefoy préfère passer du vers à la prose, pour mieux enquêter sur ces images primitives. Dans ce magnifique essai qui analyse le poème inaugural jamais publié – dont le titre était déjà L’Echarpe rouge –, l’origine de la vie et celle de l’écriture se retrouvent mêlées. Bonnefoy évoque son enfance, notamment à travers la relation à ses parents. Le poème initial faisait entrer en scène un homme mystérieux, revenu du passé. Le poète l’identifie aujourd’hui comme son père. Cet ouvrier ajusteur parlait peu, ou alors réduisait le ESSAIS L’éthique topographique des Apaches selon Keith Basso 8 CHRONIQUES v LE FEUILLETON Eric Chevillard mène l’enquête avec Paul Fournel ÉRIC GARAULT/PASCO langage à une fonction strictement utilitaire, fonctionnelle : « Le travail qu’il fait l’oblige à l’emploi de la pensée conceptuelle, il doit en parler l’abstraction, ses mots le privent d’avoir avec l’arbre proche, ou la barrière grinçante sur le chemin, ce rapport d’immédiateté qui est à la fois toucher, voir, respirer, sentir. » La vocation poétique ne survient-elle pas pour compenser ce silence ? Ecrire pour le père, ou alors contre lui ? Devenir poète, c’est peut-être vouloir subvertir l’ordre du langage, laisser entrer en lui le vacillement du sens. Dans L’Echarpe rouge, au sein de cette maison familiale, Yves Bonnefoy raconte sa découverte intérieure du langage. D’abord dans les mots échangés par ses parents, dans un patois qu’il ne comprenait pas, mais à travers lequel l’enfant s’enchantait de découvrir la primauté du son des mots sur leur signification. Beauté d’une langue étrangère qui est aussi celle de la Cahier du « Monde » No 22221 daté Vendredi 24 juin 2016 - Ne peut être vendu séparément poésie. C’est ensuite dans un abécédaire qu’il découvre d’autres mots, dessinés sur un livre. « C’étaient des dessins au trait qui n’avaient pas l’ambition de savoir ce que les dictionnaires disent des choses ». Aux yeux d’Yves Bonnefoy, cette expérience a été décisive dans sa pratique future de la poésie – et sa recherche du mot comme pourvoyeur d’images. « Et j’étais donc invité à rester fidèle au premier emploi que l’on fait des mots, le désignatif, l’exclamatif », écrit-il. Car la poésie, pour lui, n’est pas la recherche d’un savoir quelconque. Discipline qui n’exclut cependant pas le maintien d’une pensée toujours vive, jamais séparée de la riche épaisseur du monde, forée par les mots. Si L’Echarpe rouge peut parfois sembler abrupt, ce livre demeure essentiel : il réussit à déceler une jonction entre l’évidence de la vie et son inévitable mystère. Il est rare de trouver dans l’œuvre d’Yves Bonnefoy des textes aussi intimes qui identifient radicalement l’écriture à la vie. Dans Ensemble encore, un autre ouvrage qui paraît en même temps, constitué de poèmes pour la plupart inédits, Yves Bonnefoy évoque à nouveau l’enfance, comme le lieu et le moment de toutes nos origines. Ces images d’un « très lointain autrefois » se retrouvent aujourd’hui au premier plan dans la vie d’un poète de 93 ans qui ne cesse d’explorer toutes les strates du temps. p l’écharpe rouge, d’Yves Bonnefoy, Mercure de France, 272 p., 19 €. ensemble encore suivi de perambulans in noctem, d’Yves Bonnefoy, Mercure de France, « Poésie », 144 p., 14,80 €. 9 MÉLANGE DES GENRES v JEUNESSE Le papa pas poule de Marie-Aude Murail 10 RENCONTRE Achille Mbembe, le passant soucieux 2 | C’est d’actualité La Bibliothèque hermétique ne le sera bientôt plus 0123 Vendredi 24 juin 2016 Selon la légende, la rencontre de Cassius avec la boxe a lieu en octobre 1954 » L’écrivain américain Dan Brown a fait don de 300 000 euros pour numériser les œuvres qui lui ont inspiré Le Symbole perdu et Inferno (JC Lattès, 2009 et 2013). Il espère ainsi rendre l’inestimable collection de la Bibliotheca Philosophica Hermetica, à Amsterdam, plus accessible au grand public. 4 600 livres anciens sont concernés par ce geste et devraient être consultables sur Internet dès le printemps 2017. L’historien et sociologue Claude Boli signe la biographie du boxeur américain Mohamed Ali, né Cassius Clay, décédé le 3 juin 2016 (Folio, « Biographie », 352 p., 8,20 €. En librairie le 1er juillet). On y apprend, entre autres, qu’en octobre 1954, le garçon de 12 ans, futur triple champion du monde des poids lourds, fait ses débuts de boxeur après le vol de son vélo. Glissant à la BNF La librairie parisienne résiste Les archives de l’écrivain martiniquais Edouard Glissant, classées « trésor national » en décembre 2014, entrent à la BNF. Elles regroupent près de quarante ans (des années 1970 à sa mort, en 2011) de textes inédits, brouillons et correspondances, avec Yves Bonnefoy, Aimé Césaire, Michel Leiris. On y trouve aussi les différentes étapes de ses deux essais les plus célèbres, Discours antillais et Traité du Tout-Monde (Gallimard, 1981 et 1997). Paris est l’une des capitales européennes dont le réseau de librairies résiste le mieux, selon une enquête de l’Atelier parisien d’urbanisme (APUR), qui s’est penché sur l’évolution du secteur de 2003 à 2014. Entre ces deux années, le nombre des librairies à Paris a tout de même diminué de 22 %, passant de 969 à 756, dont 548 indépendantes. Aujourd’hui, nombre de ces dernières ont fait le choix de se regrouper en réseaux (Paris Librairies, Librest, Canal BD), qui leur permettent à la fois de mutualiser leurs stocks et de communiquer davantage sur leurs activités. VERSION ORIGINALE L’action caritative passe aussi par l’édition de livres collectifs La force féconde de Norman Manea Ouvrages de bienfaisance ÉDITION IL DIT QU’IL A « 8 000 ans ». Norman Manea en aura en fait 80, le 19 juillet. En 2016, cela fera aussi trente ans exactement qu’il a quitté son pays natal, la Roumanie, contraint par le régime de Ceausescu, et est parti vivre aux Etats-Unis. On imagine son émotion lorsque, à Bucarest en mai puis à Berlin en juin, devant une assemblée venue du monde entier pour célébrer le plus grand écrivain roumain vivant, Manea a rappelé son parcours, depuis le camp de concentration en Transnistrie – dont, dit-il, « il est sorti vieillard à l’âge de 9 ans » – jusqu’à l’âpre expérience de l’exil. Fêté par l’académie roumaine et décoré de l’ordre de l’Etoile de Roumanie, la plus haute distinction de son pays, l’enfant « prodigue » a savouré cette reconnaissance tardive de sa terre d’origine, celle « de Georges Enesco, de Constantin Brancusi et de l’immortel Dracula ». virginia bart L ongtemps associée au monde du spectacle, l’action caritative se décline désormais en livres. Le 11 mai, Le Livre de poche a ainsi lancé Enfant, je me souviens, recueil de nouvelles imaginées par Philippe Claudel, Tatiana de Rosnay ou Alain Mabanckou en faveur de l’Unicef (192 p., 5 €, dont 1,50 € reversé à l’Unicef). Tiré à 50 000 exemplaires, l’ouvrage est destiné à aider les 124 millions d’enfants non scolarisés dans le monde. « Un livre vendu permet d’acheter huit ardoises ou cinquante crayons, et cent volumes un kit complet permettant à un instituteur de faire cours dans un camp de réfugiés », précise Stéphane Billerey, directeur collectes et ventes pour Unicef France. Le 1er juin, Librio a pour sa part lancé Je te donne, réunissant trois nouvelles signées Agnès Ledig, Martin Winckler et Baptiste Beaulieu, en faveur de l’Etablissement français du sang (96 p., 3 €). Sur les 37 000 exemplaires imprimés, 25 000 ont été offerts par l’EFS à chaque personne venue donner son sang le 14 juin. « Recruter des volontaires est toujours difficile. Le livre est une façon de dédramatiser un acte qui effraie encore », explique Fleur d’Harcourt, éditrice chez Librio. Nouvelle façon de lever des fonds autant que de communiquer, le livre solidaire est né fin 2014 chez Pocket avec 13 à table !, collectif réunissant Guillaume Musso, Marc Levy, Françoise Bourdin et autres poids lourds des ventes au profit des Restos du cœur. Objectif : un livre vendu (à 5 €), trois repas distribués. Succès fulgurant avec 340 000 exemplaires vendus. « Nous voulions créer l’équivalent des “Enfoirés” en littérature », raconte François Laurent, directeur général adjoint de Pocket, avant de vanter « l’implication totale et bénévole des auteurs et de quasiment toute la chaîne du livre de la diffusion-distribution à la librairie ». Renouvelée l’année suivante avec un nouveau volume rassemblant Bernard Werber, Maxime Chattam ou Romain Puertolas, l’opération a totalisé 200 000 Dons de livres à des enfants de réfugiés, en Allemagne, en mars. CHRISTOF STACHE/AFP ventes. Un principe repris par d’autres éditeurs poche comme Points, qui proposait en décembre 2015 Bienvenue ! 34 auteurs pour les réfugiés, en faveur du Haut-Commissariat des Nations unies (HCR), avec des textes et des illustrations d’Olivier Adam, Lydie Salvayre, Sorj Chalandon, Joann Sfar, Jul ou Plantu. Ecoulé à Phénomène éditorial, le « charity book » est surtout une manière sobre et modeste de solliciter la solidarité citoyenne 30 000 exemplaires, le livre, vendu 5 €, dont les bénéfices aident à l’acquisition de sacs de couchage, matelas ou tentes, a été imaginé par la romancière Véronique Ovaldé, également éditrice chez Points, émue par le sort de « réfugiés soudanais vivant près de chez [elle] dans le 18e arrondissement de Paris. » Phénomène éditorial, le charity book est surtout une manière sobre et modeste de solliciter la solidarité citoyenne. Moins « strass et paillettes » que les grands spectacles caritatifs, moins cher qu’une place de concert, un DVD ou CD, le livre est aussi un antidote aux critiques dont l’action humanitaire est régulièrement l’objet, entre dérives médiatiques, stars accusées de confondre engagement et publicité personnelle. « A 5 euros l’ouvrage, aider est vraiment à la portée de tous », avance Véronique Cardi, directrice générale du Livre de poche, qui souligne également le côté direct du geste : « Acheter un livre est beaucoup plus facile que de faire un don par chèque avec les formulaires que cela implique. » Mais le texte confère aussi davantage de sens à l’action caritative. « L’écrit a de l’impact. C’est un formidable support pour organiser des tables rondes et des débats et ainsi, au-delà de l’émotion, réfléchir et poser les questions de fonds », assure Véronique Ovaldé. « Il offre en effet une surface d’exposition intéressante et surtout nouvelle pour les associations, notamment dans les Salons du livre », renchérit Stéphane Billerey, de l’Unicef. « L’objet littéraire touche aussi peut-être un autre type de public que celui les concerts et c’est un soutien de plus pour nous », estime quant à lui Olivier Berthe, président des Restos du cœur, qui prépare d’ores et déjà avec Pocket un troisième volume pour la fin de l’année, mais « toujours avec des écrivains populaires qui n’ont pas besoin des Restos pour faire leur pub ». Il ne faudrait pas qu’à peine né, le charity book se transforme en « business ». p Nouveau roman L’infatigable octogénaire a aussi confié qu’il travaillait à un nouveau roman, « L’ombre ». L’ouvrage mettra en scène Adelbert von Chamisso (1781-1838) et son héros, Peter Schlemihl, l’homme qui a perdu son ombre et qui, comme Manea et Chamisso, est « poursuivi par le malheur d’être différent ». De cette différence, Manea a su tirer une force féconde. Celle qui – depuis Le Bonheur obligatoire (Albin Michel, 1991) jusqu’à La Cinquième Impossibilité (Seuil, 2013), en passant par Les Clowns : le dictateur et l’artiste (Seuil, 2009) – lui a inspiré, selon l’expression de Claudio Magris, une « littérature de résistance ». Et qui aide à résister. Une littérature tout en ironie, dénonçant la haine de l’autre, la tentation des extrêmes, les idéologies meurtrières. C’est fou ce qu’on est dans le vent quand on a 8 000 ans. p Florence Noiville Mona Ozouf en majesté L’historienne a été célébrée lors des récentes Rencontres de Fontevraud – quitte à froisser sa modestie COLLOQUE julie clarini I l en va des colloques savants comme des journées de printemps : il est bon qu’y alternent les lumières. L’humeur des participants rencontrant celle du ciel, les trois journées consacrées à l’œuvre de Mona Ozouf, du 17 au 19 juin dans le Maine-et-Loire, offrirent de belles éclaircies de chaleur et d’intelligence. Ces Rencontres de Fontevraud, qui se tiennent chaque année, dans le magnifique cadre de l’abbaye, organisées par la Maison des écrivains étrangers et des traducteurs (MEET), ont rassemblé plusieurs grands noms de la discipline historique, des proches, des écrivains et des chercheurs. Patrick Deville, directeur littéraire de la MEET, s’est ainsi offert de rompre avec la coutume de se retrouver autour d’un auteur soit étranger, soit disparu. Pour ce romancier s’inspirant de faits ou de personnages historiques (Peste et Choléra, Viva… Seuil, 2012, 2014), gageons qu’il y avait chez Mona Ozouf un mystère à lever. Celui d’une œuvre qu’on ne peut réduire à la seule production d’une historienne mais qui est aussi, selon la formule de Pierre Nora, celle d’« un écrivain qui s’est exprimé autrement que par la littérature ». Formule si heureuse qu’elle pourrait résumer ces trois jours pendant lesquels il est abondamment question de style et d’écriture, quand bien même s’égrènent, au fil de tables rondes et de conférences, les grands thèmes que sont l’amitié, la Révolution française, Jules Ferry et l’école, les femmes ou encore les livres, chacun occasionnant de courtes inter- ventions de Mona Ozouf, parfois des remontrances amusées devant tant d’éloges. Elle assure que si elle ne peut s’inscrire pleinement dans le registre littéraire, c’est simplement que « les grands exemples en littérature me paraissent hors de portée, inatteignables. Il y a chez moi une sorte de timidité bretonne liée à l’enfance ». La marche a semblé trop haute à celle qui fut dans les années 1930 une enfant solitaire, fille d’institutrice, dont l’éducation à l’humilité est lisible dans Composition française (Gallimard, 2009), son chef-d’œuvre mais aussi son livre le plus autobiographique. Un mot imprononçable Jamais Mona Ozouf n’évoque directement les effets d’intimidation sociale. L’analyse de la domination est la grande absente, tous débats confondus, de ces rencontres, comme si le mot était devenu imprononçable dans la bouche d’une génération, celle de François Furet, de Jacques Ozouf, de Maurice Agulhon et de tant d’autres, marquée par son adhésion brève mais réelle au PCF. L’échange entre Pierre Nora et Jacques Revel, rejoints par Guillaume Mazeau, sur le panorama des études révolutionnaires scindées, à la veille du Bicentenaire, entre Michel Vovelle, l’héritier de Soboul et de l’analyse marxiste, et « la bande de Furet », s’avère pourtant des plus passionnants. Un autre mot s’impose – faut-il en imputer la récurrence à la pieuse influence des murs ? –, celui d’« incarnation ». La romancière Chantal Thomas souligne cette fabuleuse puissance de l’écriture de Mona Ozouf. Son don pour les portraits, pour la restitution d’un tempérament dans une époque, n’est pas qu’affaire de style mais aussi, est-il apparu en filigrane de ces journées, de position existentielle : « Je serais incapable d’écrire une biographie. Comme on connaît la fin, il est difficile de faire sentir la présence de la liberté et de l’intempestif. Je ne peux pas dérouler le fil d’une vie. » Quelque chose chez l’historienne répugne à conclure et préserve partout, toujours, une part à l’indéterminé. N’est-ce pas sur cet arrière-fond, cette toile vibrante, que s’inscrit l’histoire telle qu’elle l’entend ? Quant au fameux débat sur l’usage de la fiction, tant discuté chez les historiens depuis la fin des années 2000, là encore, réticente aux lignes étanches, sans doute en cela fidèle à son maître, l’historien Alfred Dupront (1905-1990), qui recommandait de ne jamais trop définir, elle suggère que « le divorce entre histoire et littérature ne peut être consommé ». p Signalons que les actes du colloque « Pour Mona Ozouf » seront publiés par la MEET et qu’un numéro de la revue Critique lui sera consacré à l’automne. Mots de passe | 3 0123 Vendredi 24 juin 2016 La petite musique de Julian Barnes Quelques thèmes majeurs résonnent dans l’œuvre de l’écrivain britannique, qui lui donnent sa tonalité inimitable. Ils s’entendent dans « Le Fracas du temps », son nouveau roman. En voici la clé EXTRAIT « Ils venaient toujours vous chercher au milieu de la nuit. Et donc, plutôt que d’être entraîné hors de chez lui en pyjama, ou forcé d’enfiler ses vêtements devant quelque milicien dédaigneusement impassible, il était d’abord allé au lit tout habillé (…). Il dormait à peine, imaginant les pires choses (…). Son anxiété empêchait aussi Nita de dormir. Chacun feignait d’être assoupi et de ne pas percevoir la terreur de l’autre. Un de ses cauchemars éveillés persistants était que le NKVD leur prendrait Galya et l’emmènerait – si elle avait de la chance – dans un orphelinat spécial pour les enfants des ennemis de l’Etat. Où on lui donnerait un nouveau nom et où l’on ferait d’elle une citoyenne soviétique modèle – un petit tournesol levant son visage vers le grand soleil appelé Staline. » florence noiville C’ est une année anniversaire pour Julian Barnes. Né à Leicester en 1946, l’écrivain britannique a fêté en janvier ses 70 ans. Et c’est en 1986, il y a trente ans, qu’on l’a découvert en France, avec Le Perroquet de Flaubert (Stock) où, sous prétexte de nous parler de son auteur favori – il a lu Madame Bovary à 15 ans et dit avoir été « fasciné par l’adultère avant même de connaître le mariage » –, il nous donnait un splendide livre sur la littérature. Aujourd’hui, dans Le Fracas du temps, Julian Barnes pénètre dans la tête de Dimitri Chostakovitch (1906-1975) pour retracer trois moments-clés de la vie du pianiste et compositeur soviétique. Au lendemain du référendum sur le « Brexit », retour sur quelques thèmes de prédilection de celui qu’il est convenu d’appeler « le plus européen des écrivains anglais ». Europe. Avec des parents enseignants, tous deux particulièrement ouverts sur le monde et europhiles, Barnes a toujours été un Européen convaincu. Le contraire de ces Britanniques autocentrés qu’il épingle joyeusement dans England, England (Mercure de France, 2000). « Vous imaginez donc dans quel émoi j’ai vécu toute cette campagne autour du “Brexit” », confie-t-il. Barnes se souvient que, dans son enfance, on n’allait « pas à l’église mais à la bibliothèque », ce qui a contribué à aiguiser sa faim d’ailleurs. Sa francophilie en particulier. Dans Par la fenêtre (Mercure de France, 2014), il évoque les virées familiales, avec son frère et ses parents, dans une France profonde reconnaissable à « ses bureaux des PTT, ses lavoirs et ses pissotières ». Et disserte aussi brillamment sur Chamfort que sur Félix Fénéon, Prosper Mérimée ou Michel Houellebecq. C’est justement dans un essai intitulé « Michel Houellebecq et le péché de désespoir » que, revenant à l’Europe, il rapporte cette plaisanterie sur l’UE : « Un délégué britannique se rend à Bruxelles pour y faire des propositions. Comme il est britannique, celles-ci sont pragmatiques, raisonnables et détaillées. Le commissaire français y réfléchit un long moment. Puis hoche la tête et dit : “Je vois certes que ce plan fonctionne en pratique… Mais en théorie ?” » Chostakovitch sur un fil LE 26 JANVIER 1936, Dimitri Chostakovitch (1906-1975) est prié d’assister à la représentation de son propre opéra, Lady Macbeth de Mzensk. Cela se passe à Moscou, au Bolchoï. Le camarade Staline est là avec Molotov et Jdanov. Ils sont dans la loge gouvernementale, qui a le malheur de se situer au-dessus des percussions et des cuivres… Ainsi s’ouvre Le Fracas du temps où, avec une aisance éblouissante, Julian Barnes se glisse dans la tête du grand musicien soviétique pour retracer trois momentsclés de sa tortueuse existence. Le premier suit cette représentation – Staline a jugé que l’opéra était « du fatras en guise de musique », la Pravda publie un éditorial accablant, et Chostakovitch sait que ses jours sont comptés. Le deuxième se passe en 1948 dans l’avion qui le ramène de New York, après l’échec d’un Congrès pour la paix. Et le dernier dans les années 1970, après que le musicien, qui a adhéré au Parti, est accusé d’avoir lâchement « collaboré ». Que fallait-il faire ? Telle est la question du roman qui ne la tranche évidemment pas, mais en éclaire les complexités de l’intérieur. Passionnant, le livre montre à quel point, en URSS, les artistes évoluaient sur un fil, leur vie et celles de leurs proches étant constamment en jeu. Lâcheté, renoncements, mais aussi désespoir et désillusion, c’est tout cela que l’on ressent chez Barnes plus encore qu’on ne le comprend. Cette grande page d’histoire et de psychologie est aussi un plaidoyer magnifique pour la musique. La « grande », mais aussi « celle qui est en nous ». La seule capable, si elle est pure, de « recouvrir le fracas du temps ». p fl. n. le fracas du temps (The Noise of Time), de Julian Barnes, traduit de l’anglais par Jean-Pierre Aoustin, Mercure de France, « Bibliothèque étrangère », 208 p., 19 €. Signalons, du même auteur, par le même traducteur, la parution en poche de Par la fenêtre (Through the Window), Folio, 400 p., 8,20 €. le fracas du temps, page 27 des accords feutrés de cordes élégantes. S’il fallait le comparer à un compositeur français – pour flatter sa francophilie –, on pourrait penser à Poulenc ou à César Franck. Elégant, spirituel, humoristique. SARAH LEE/EYEVINE/BUREAU233 Histoire(s). Entre la petite et la grande, toute l’œuvre de Julian Barnes gravite autour de l’Histoire. Mais aussi de la puissance des récits que nous nous servons à nous-mêmes. Dans Avant moi (Denoël, 1991), l’un de ses tout premiers livres, un mari jaloux, professeur d’histoire justement, reconstitue de façon obsessionnelle le passé de sa deuxième femme pour y débusquer les « mensonges » qui l’empêchent de vivre. Sur un plan plus général, le narrateur d’Une histoire du monde en dix chapitres et demi (Stock, 1990) se méfie quant à lui de « l’histoire des historiens » et s’amuse à raconter le Déluge du point de vue décalé d’un ver à bois. Lequel, lucide, prévient : « Nous nous racontons des histoires pour maquiller les faits que nous ne connaissons ou que nous n’acceptons pas. Nous préservons un noyau de faits réels et nous brodons autour. Notre panique, notre souffrance ne sont allégés que par des récits euphorisants. C’est ce que nous appelons histoire. » Sagesse de ver à bois. Mémoire. Julian Barnes tient un journal. Espérons que ses lecteurs fidèles pourront un jour le tenir entre leurs mains… En attendant, ce qui frappe l’écrivain chaque fois qu’il s’y replonge, c’est le côté fictionnel de la mémoire. « Je suis stupéfait, nous déclarait-il à Londres en 2013, de voir à quel point ce que j’ai en tête ne coïncide pas du tout avec ce qui est consigné dans mes pages ! » Cette question de la vérité et de la « fabrique de la mémoire » est partout dans son œuvre. En particulier dans Une fille, qui danse (Man Booker Prize ; Mercure de France, 2013), où un personnage se demande sur quoi il pourrait vraiment prêter serment s’il était, à l’instant où il parle, à la barre d’un tribunal. Mais c’est aussi le cas dans Le Fracas du temps, où l’on voit Chostakovitch répondre avec peine aux questions d’un sbire de Staline. Toute mémoire serait-elle une réélaboration de la vérité – voire un mensonge ? Et dans ce cas, pourquoi l’espèce humaine en est-elle si friande ? « Nous sommes des “narrative animals”, dit Barnes, des animaux affamés de récits. Quoi que nous fassions, cet appétit l’emporte sur le reste. » Musique. Les mots peuvent trahir. Mais pas les notes. La musique est un langage qui « permet de dire certaines choses devant des oreilles hostiles ». Elle « échappe aux mots », « c’est sa raison d’être et sa noblesse », fait dire Barnes au jeune Chostakovitch dans Le Fracas du temps. Un peu plus loin dans le livre, alors que la Pravda vient de démolir sa dernière œuvre et qu’il est désormais présenté comme un « ennemi du peuple », le compositeur russe se demande pourquoi le pouvoir stalinien s’est tout à coup tourné vers lui et sa musique. « Le Pouvoir s’était toujours plus intéressé au mot qu’à la note ; des écrivains, des compositeurs, avaient été proclamés “ingénieurs de l’âme humaine”. Les écrivains étaient condamnés à la “une” de la Pravda, les compositeurs en page 3. Deux pages d’écart. Mais ce n’était pas rien : cela pouvait faire la différence entre la vie et la mort. » Barnes n’a pas conçu Le Fracas du temps comme un roman musical. Son livre n’est pas construit comme une sonate en trois mouvements. N’empêche que la prose de Barnes a sa musique propre. Un mélange de plaisir et de mélancolie, de douce ironie et de déploration du temps qui passe. Des mélodies immédiatement reconnaissables. Pas de grands bruits de cuivre ou d’orchestre. Plutôt Humour. Humour toujours. Et anglais forcément, donc bien difficile à définir… Le mieux est encore d’en donner des échantillons (trouvés le plus souvent dans la bouche de ses personnages). Sur l’Angleterre : parce que ses habitants ont « du brouillard entre les oreilles », « cette île confortable vous tire vers le bas, vers la mollesse et la médiocrité, la religion et le mariage ». Sur le hasard des débuts : « Mes parents étaient professeurs de français. S’ils avaient enseigné l’espagnol, j’aurais peutêtre écrit “Le Perroquet de Cervantès”. » Sur les Français : « Un Français doit toujours parler, qu’il connaisse quelque chose ou non à la question. » Sur l’amour : « Juste un code qui oblige les gens à vous appeler chéri(e) après le sexe. » Cuisine. Julian Barnes n’est pas seulement un écrivain à sa table de travail, c’est aussi Un homme dans sa cuisine, pour reprendre le titre d’un de ses essais humoristiques sur les recettes, les aliments, les ustensiles (Mercure de France, 2005)… Insatiable amateur de bonne chère, fin palais et cordon-bleu, Barnes est aussi attentif aux mets qu’aux mots. Religieusement, il cuisine une oie farcie le 12 décembre de chaque année, pour l’anniversaire de la naissance de Flaubert ! Gastronomie et littérature se mêlent d’ailleurs souvent dans son œuvre. Dans « Appétit », une délicieuse nouvelle de La Table citron (Mercure de France, 2006), les souvenirs de menus, de restaurants et de compositions des repas sont les seules pensées qui arrivent à susciter une lueur de conscience et d’intérêt chez un vieux monsieur atteint d’Alzheimer. Aussi sa femme lui fait-elle consciencieusement la lecture de recettes. « J’ouvre la Joie de cuisiner mettons à la page 422 et lis à voix haute : Agneau forestière ou Fausse venaison. » A « ragoût irlandais », l’homme lève la tête. « Oignons, pommes de terre, peler et couper en tranches, marmite, sel et poivre, persil haché menu, eau ou bouillon. » Dieu sait ce que les mots « bouillon » ou « queue de bœuf » peuvent avoir comme effet sur les neurones ramollis du vieillard. Saveurs et souvenirs se mêlent. Des ardeurs oubliées se réveillent. Il revient à la vie… Où l’on découvre l’intense pouvoir érotique des paupiettes de veau et des roulades de bœuf ! p 4 | Littérature | Critiques 0123 Vendredi 24 juin 2016 Grâce à une curieuse sculpture, un écrivain en panne passe ses nuits à dialoguer avec lui-même enfant. C’est « L’Art de revenir à la vie », de Martin Page La machine à réapprendre à écrire A De livre en livre, la phrase de Martin Page trace un pli singulier dans le vaste tissu qu’est la littérature contemporaine d’ailleurs rien de glorieux. Chemin faisant, il rumine les réparations onéreuses qu’entraîne la fuite du toit de sa maison, et s’il pense avec tendresse à son petit garçon resté en province, c’est avec dépit qu’il songe au manuscrit en cours : un « livre sur [son] père » destiné à « secouer le lecteur », mais embourbé depuis des mois. Parler poésie avec Alferi EN DÉPIT de ses thèmes et de son apparente façon, Brefs est un livre ouvert. Essentiellement consacrés à la poésie contemporaine (mais aussi au roman et au cinéma), les textes collectés ici s’avèrent rapidement d’une étonnante accessibilité. Leur forme de départ y est pour beaucoup. Destinés à être prononcés en public, publiés entre 1991 et 2015, ils s’écartent constamment des figures closes de l’oralité : exposé, cours magistral, essai, pamphlet ou théorie. Et même : ces Discours (le volume est ainsi sous-titré) s’avancent toujours vers leur interlocuteur comme autant d’invitations à débattre ou à discuter. S’agissant de poésie, la démarche est fréquente et toujours un peu paradoxale. La position très minoritaire des poètes sur la scène littéraire et artistique ne va pas sans mouvements de repli théorique et de crispation dans le discours — justement. Chez l’auteur de Sentimentale Journée ou de Kiwi (POL, 1997 et 2012), nulle raideur intellectuelle. Les questions posées par ses différents textes sont simples et pratiques : forme, style, rapport au réel, au cliché, au symbole, tentatives d’y voir clair dans telle ou telle production contemporaine, etc. Le ton est parfois amusé, voire badin, mais sans jamais d’aigreur ou de froideur dans l’ironie. Tout va bien se passer, réfléchissons. Parlons ensemble. bertrand leclair u bonheur des titres efficaces, Martin Page tient la corde, de L’Apiculture selon Samuel Beckett (L’Olivier, 2013) à cet Art de revenir à la vie, en passant par son Manuel d’écriture et de survie (Seuil, 2014). Ce dernier titre laissait-il entendre qu’il s’agit, écrivant, de ne pas mourir de faim ou qu’il s’agit de « sur-vivre », façon « sur-réaliste », légèrement audessus du sol où rôde la mort ? Cette fois encore, quelque chose vient légèrement brouiller une intention d’allure didactique : proposer « l’art » comme moyen de « revenir à la vie » suggère que l’on peut donc en sortir sans être tout à fait mort encore… De livre en livre, la phrase de Martin Page trace un pli singulier dans le vaste tissu qu’est la littérature contemporaine, écrivant mine de rien ou d’une mine de rien pour mieux entraîner le lecteur en terrain joyeusement miné. Au premier abord, la phrase semble dépourvue d’autre ambition que de dire les choses sobrement. « Ce matin d’avril, je vais à Paris pour une raison précise et je ne sais pas encore que ce périple m’entraînera dans des aventures très éloignées de mon but initial. (…) Demain j’ai rendez-vous avec Sanaa Okaria, une productrice. Elle veut m’engager pour travailler sur l’adaptation d’un de mes romans. » L’autoportrait que brosse le narrateur, Martin, écrivain quadragénaire comme l’auteur, n’a APARTÉ Le jeu s’intensifie alors que Martin s’installe pour quelques jours dans l’appartement parisien que lui prête un ami artiste, Joachim. « Plein d’énergie et de paranoïa », ce dernier se révèle aussi bouillonnant que le narrateur est éteint. Le contraste est d’autant plus saisissant que l’artiste, avant de lui confier les clés, reproche à Martin d’accepter n’importe quel travail alimentaire : « Mets-toi en colère, Martin. La colère est un attribut divin. Les hommes ont besoin d’attributs divins, sinon leurs congénères les méprisent. Lancer des éclairs, séparer des océans, faire tomber des pluies de sauterelles. » Dans le petit salon trône la dernière œuvre de Joachim, une sculpture en forme de caisson métallique, qui ressemble « à ces cabines dans lesquelles les gens se font bronzer », mais couverte de boutons et de circuits électriques grotesques. Il s’agit d’une « machine à remonter le temps », précise Joachim : « Ça fait des années que j’y pense. La science nous promet des voyages dans le temps, mais rien ne vient. C’est à l’art de reprendre les choses en main. » Et quand Martin, évidemment, ne peut s’empêcher de demander comme vous ou moi si « la machine marche », la répartie est cinglante : « Est-ce qu’un Picasso marche ? C’est une œuvre d’art. » La machine ne marche pas, mais l’art est puissant. Une fois seul, Martin ne manque pas de s’installer dans la sculpture, s’y endort et voyage dans le temps des rêves. Il croise bientôt un garçon de 12 ans qui n’est autre que lui-même enfant et qu’il n’aura de cesse de retrouver les nuits suivantes. Dès lors le récit se dédouble, dans une alternance qui le rythme et l’enrobe d’anecdotes sucrées : chaque jour, Martin rencontre docilement sa productrice, aussi loufoque qu’un personnage de Woody Allen ; chaque nuit, il s’installe dans la sculpture à remonter le temps et poursuit son dialogue avec l’enfant qu’il fut. Adulte responsable, il pense être de bon conseil. Voilà qui reste à prouver, et le jeune garçon ne le lui envoie pas dire, qui le rappelle à l’ordre d’une vérité de l’existence bien plus exigeante que la morale si terre à terre de Martin. Malgré quelques pointes de ressentiment et le regret, par moments, que le récit résiste au grain de folie qui le hante, le dialogue est d’autant plus savoureux qu’il est pris dans cette machine qui fonctionne. Ou comment et grâce à l’art « revenir à la vie », c’est-àdire, en retrouver pleinement le goût, et donc celui d’écrire. Dans une belle adéquation entre le propos et l’art singulier de l’auteur, le livre rappelle une célèbre citation attribuée à Picasso : « J’ai mis toute ma vie à savoir dessiner comme un enfant », aurait dit le peintre. Martin Page, qui publie aussi des livres pour enfants, travaille surtout à écrire comme un enfant : pour mieux renvoyer les grandes personnes à leurs propres miroirs… p l’art de revenir à la vie, de Martin Page, Seuil, 170 p., 16 €. Un laboratoire à idées Et les formes relativement confidentielles auxquelles Pierre Alferi consacre ce recueil en ont bien besoin. Le texte d’ouverture, « Confection moderne », est exemplaire à ce titre. Rédigé en 1991 dans le but d’évoquer le paysage poétique d’alors, il se révèle d’une étonnante (et préoccupante) actualité. Les auteurs cités, dont on prévient d’emblée de la notoriété limitée, n’ont pas aujourd’hui touché un public plus important en quelque vingt-cinq ans, à moins d’avoir exploré d’autres territoires littéraires, plus populaires (comme le roman, par exemple). La difficulté pour un amateur de littérature de citer plus d’une poignée de poètes vivants d’expression française est toujours la même. Voire pire. Et alors ? Nul défaitisme, ici, ni régression élégiaque. Brefs est un laboratoire en marche, un laboratoire à idées et à discussion, voire un laboratoire à laboratoires. L’une des questions essentielles est celle de la naissance. Du discours et de la parole poétique. Du pas de côté du langage par rapport à la réalité. De sa fabrique et de son accouchement. En d’autres termes, on en revient à l’étymologie même de la poésie, au « faire », au « créer ». C’est toute l’inactualité passionnante de Brefs – sa distance, son retrait, aussi. Car Pierre Alferi s’efface derrière beaucoup d’autres auteurs (comme Cingria ou Anne Portugal, par exemple). C’est le seul reproche qu’on lui ferait. Notre seule frustration. p nils c. ahl a Brefs, de Pierre Alferi, POL, 250 p., 17 €. Corps saignant et corps jouissant Avec un roman sur les guerres de religion et un beau livre sur le libertinage, Patrick Wald Lasowski signe deux hymnes à la liberté alexandre mare D ans La Terreur, le premier roman de Patrick Wald Lasowski (Cherche-Midi, 2014), un commissaire de police consignait meurtres « ordinaires » et conséquences de la Terreur, tandis qu’en arrière-plan le marquis de Sade comptabilisait les corps et les têtes ensevelis dans les fosses du cimetière de Picpus. Les Singes de Dieu se déroule sous une autre période de terreur, tout autant sanguinaire. Au XVIe siècle, dans le Paris à dagues et à sang des guerres de religion, Henri III, obligé de fuir, laisse la capitale aux mains des Seize, un groupuscule obscurantiste qui cherche à renverser la monarchie pour établir une dictature théocratique. Les Seize prêchent tout autant qu’ils tuent. Ils exterminent la « canaille huguenote » et tentent plus tard d’occire Henri IV le Béarnais, qu’ils tiennent pour fourbe et faussement converti et dont ils affirment qu’il lorgne les prostituées durant la communion. Jean Boucher, leur grand maître, est secondé par Pierre Tison, le narrateur principal, un jeune moine capucin qui, le jour, se fait secrétaire et, la nuit, exécutant des basses œuvres. « Je fus sévère. Nous le fûmes tous », dit-il. Litote : c’est bien un journal de crimes et de vilenies que tient ce Tison, personnage trouble dont Wald Lasowski dresse un portrait saisissant. Fanatiques catholiques ou protestants, quel que soit le camp, il s’agit de nier le corps ennemi – de le faire disparaître. Le récit du capucin est ainsi ponctué, entre deux prêches et deux complots, d’assassinats perpétrés au nom de Dieu. C’est que le narrateur est un expert doublé d’un comptable qui tient à jour la liste des hommes et femmes pendus, écartelés, démembrés, étranglés, arquebusés, brûlés vifs, lacérés, éventrés, jetés à la Seine… On comprend que les histoires de terreurs sont souvent des histoires de corps. Le culte des images En même temps que ce roman, Patrick Wald Lasowski publie un beau livre en deux volumes sur la gravure libertine du XVIIIe siècle, Scènes du plaisir. Supplice et luxure : on pourrait a priori penser les deux sujets éloignés. Pourtant, c’est là aussi une chronique des corps – et des libertés – qui est tenue, à travers les arca- dies amoureuses d’après Watteau, les escarpolettes facétieuses de Fragonard, les humanités retravaillées… Bref, une histoire du trait telle que l’on les singes pouvait la rende dieu, contrer dans les de Patrick Wald plus hardies et Lasowski, précieuses biCherche-Midi, bliothèques. 160 p., 15,80 €. Spécialiste de la scènes du plaisir. littérature érotique, sur laquelle la gravure il a déjà publié de libertine, nombreux et imde Patrick Wald portants ouvraLasowski, ges, l’auteur fait Cercle d’art, 208 p. ici l’étude de la sous coffret, 79 €. posture et de la manière dont « le corps vient à l’image ». Si le XVIIIe siècle est celui du libertinage d’esprit, des passions, il est aussi celui du libertinage de la plume, qui invite peintres et artistes à représenter les scènes de plaisir. Les enjeux sont économiques et politiques, avec le risque de la censure, de la prison, et à travers la question de la circulation du livre et de la pensée. Il ne s’agit évidemment pas seulement de débauche. L’Eglise et le libertinage ont en commun le culte des images, parce qu’ils en connaissent les effets. A l’issue du siècle des Lumières viendra la Terreur, celle des révolutionnaires, où ressurgira la question de la place laissée aux images, de la liberté de représenter. La lecture de ces deux ouvrages de Patrick Wald Lasowski n’est, en somme, qu’un hymne aux libertés : celle du droit à disposer de son corps et celle attachée à sa représentation. De quoi, justement, tenter de contrer quelques terreurs. p Critiques | Littérature | 5 0123 Vendredi 24 juin 2016 Avec « Daddy Love », l’histoire d’un enfant enlevé par un prédateur sexuel, l’Américaine combine son talent pour l’horreur à celui de l’ellipse. Glaçant Effeuillage posthume Le peintre Ivor Woodall, professeur de peinture de modèles nus au Cap (Afrique du Sud), meurt subitement ; la lecture de sa nécrologie bouleverse ses élèves. Les voilà même inquiets quand ils sont invités à une exposition posthume de leurs portraits – alors qu’ils n’ont jamais posé pour Ivor. On suit chacun d’eux : Françoise s’interroge sur la responsabilité de sa petite sœur, Doudou, dans cette histoire ; Jude se comporte d’étrange façon ; Timothy, lui, a disparu et Stella, déboussolée, le cherche partout, comme pour faire rempart au souvenir de sa mère. A mesure que les personnages font l’apprentissage de la nudité des deux côtés du pinceau, la plume de Rosamund Haden les effeuille jusqu’au cœur et dissèque leurs zones d’ombre. L’avant et l’après de l’annonce de cette mort s’emmêlent, il est aussi question du génocide rwandais et de vacances en Grèce. Rosamund Haden fait ainsi du temps et de l’histoire les matériaux d’un roman savamment architecturé à la croisée du polar et du roman d’amour, remarquable jusqu’à la dernière ligne. p Joyce Carol Oates, là où ça fait Mal raphaëlle leyris C’ est moins un roman qu’un cauchemar. Pas seulement parce que Daddy Love plonge tout entier dans une angoisse viscérale tapie en chaque parent, ravivée au gré des faits divers : l’enlèvement de son enfant par un prédateur sexuel. Mais parce que le énième livre (impossible de les dénombrer, tant elle publie) de l’Américaine Joyce Carol Oates a la texture poisseuse des mauvais rêves, où des figures terrifiantes se dédoublent et se confondent ; il mime aussi, et c’est fascinant, leur temporalité erratique, faite de ralentis, d’accélérations et de répétitions. De ce point de vue, les trente premières pages du roman sont particulièrement réussies et glaçantes, qui rejouent quatre fois, hypnotiquement, la scène initiale, dont l’horreur se dévoile peu à peu. C’est celle du kidnapping du petit Robbie, 5 ans, à la sortie d’un centre commercial, alors qu’il est avec sa mère à la recherche de leur voiture dans un parking. Joyce Carol Oates met ainsi le lecteur à la place de Dinah, la mère, qui, jour et nuit, se repasse encore et encore ces quelques minutes, cherchant comment elle aurait pu empêcher le drame d’advenir, comment elle aurait pu agripper plus fort la main de Robbie. Même si le ravisseur lui a asséné un coup sur la tête pour l’étourdir puis, alors qu’elle avait repris ses esprits et tenté de s’accrocher à son véhicule, l’a traînée sur quinze mètres avant de la laisser pour morte – elle n’a pas succombé mais est devenue « cette pitoyable chose brisée au visage à moitié écorché ». La répétition, du reste, est un motif central de Daddy Love. A l’image de Dinah revenant sans cesse sur l’enlèvement de son fils, répond celle du prédateur, Chet Cash, refaisant à intervalles réguliers le même geste : il enlève un petit garçon SANS OUBLIER zoé courtois a L’amour a le goût des fraises (Love Tastes Like Strawberries), de Rosamund Haden, traduit de l’anglais (Afrique du Sud) par Diane Meur, Sabine Wespieser, 398 p., 24 €. PATRICK GAILLARDIN/PICTURETANK EXTRAIT « Tout cet été-là, tous les mois que dura la période d’essai du garçon, les sentiments de Daddy Love ne furent pas toujours faciles à cerner. Quelquefois, Daddy Love était fou du garçon. Ses yeux s’en régalaient tout bonnement. Il éprouvait ce frisson – ce frisson sexuel, bien reconnaissable. Il se rappelait le moment où, dans le centre commercial, près de l’enclos des lapins, le beau petit garçon aux cheveux noirs bouclés avait levé les yeux vers lui et, avec le plus sournois des sourires, pointé sa langue rose entre ses lèvres. Et quel regard ils avaient échangé, à l’insu de la mère, un regard secret, embrasé : “Je ne veux pas rester avec elle, je veux être avec toi. Emmène-moi !” » daddy love, page 119 dans un lieu public, avant de se lasser de sa proie à l’orée de la puberté, et de la tuer. Non sans avoir choisi, entre-temps, une victime de remplacement et l’avoir, selon ses mots, « dressée ». Le tout, sans jamais être inquiété. Car Chet Cash a toutes les apparences d’un respectable citoyen, gagnant sa vie en vendant des petits objets d’artisanat (fabriqués en réalité par les « fils » successifs de celui qui exige d’être appelé « Daddy Love »), séduisant les femmes sans abuser de l’effet qu’il produit sur elles. Atroce personnage Il possède encore un autre visage : celui du « Prédicateur », pasteur itinérant de l’Eglise de l’espoir éternel, dont les prêches enthousiasment les foules – « Son troupeau d’âmes affamées » : « Vous ne pouviez croiser le regard gravement bienveillant du Prédicateur sans être démangé par l’envie de lui ouvrir votre portefeuille, car lui donner de l’argent, c’était le donner à Jésus-Christ lui-même – semblait-il. » Pour entamer l’« éducation » des garçons qu’il kidnappe, il commence toujours par les enfermer dans sa « Vierge en bois », un sarcophage où il peut les laisser des jours et des nuits entiers. Face à cette figure du Prédicateur, on pense aux évangélistes sanguinaires de la grande écrivaine du Sud Flannery O’Connor (1925-1964). Et si l’on craint parfois que Joyce Carol Oates n’en fasse un peu trop, ne déploie une certaine complaisance à l’égard de son atroce personnage, l’auteure choisit pile cet instant pour changer de registre ou de focale, pour se concentrer sur la vie des parents de Robbie pendant les interminables années d’attente, ou sur la manière dont le garçon, rebaptisé Gideon par son ravisseur, vit au quotidien. L’enfant va à l’école, développe un talent certain pour le dessin (sa maîtresse daddy love, s’étonne des ressemblances entre de Joyce Carol une de ses œuvres et le Saturne Oates, dévorant ses enfants, de Goya), ne traduit de l’anglais dit rien de ses conditions de vie à (Etats-Unis) quiconque ; il est d’ailleurs prié de par Claude Seban, limiter ses interactions avec des Philippe Rey, étrangers. Mais il voit bien arriver 272 p., 18 €. le jour où « Daddy Love » va se Signalons, de la lasser de lui. même auteure, par Dans ce livre, relativement bref le même traducteur, selon ses critères habituels, Joyce la parution en Carol Oates, combine son talent poche de Maudits pour l’horreur – fameux – à celui (The Accursed), de l’ellipse, éclatant dans ses nou- Points, 804 p., 9,30 € velles, mais plus rarement ex- et de Hudson River ploité dans ses fictions au long (Middle Age. cours. Si Daddy Love est terrifiant, A Romance), ce n’est pas gratuitement, ou pour Points, 710 p., 8,95 €. le plaisir de se faire peur. Joyce Carol Oates livre ici un roman vertigineux sur le visible et l’invisible, qui sonde avec une puissance troublante les liens familiaux et creuse toujours plus profond la question du Mal. p Le monde qui rétrécit Orpheline élevée par une tante fantasque, Laura, tout juste adulte, s’en va « à la découverte du monde ». Incapable de se fixer dans un endroit ou auprès d’un homme, la jeune Australienne erre de pays en pays, de ville en ville, oscillant entre émerveillement et profondes désillusions. De son côté, Ravi, ingénieur informatique, satisfait de sa vie, se voit contraint de fuir le Sri Lanka pour Sidney après l’assassinat de sa femme, en pleine guerre civile. Le roman, ample et très documenté, de Michelle de Krester s’attache, sur une quarantaine d’années, aux destins croisés de ces deux personnages que tout semble opposer. Cette fresque ambitieuse et élégamment traduite interroge la pertinence du voyage, à une époque où Internet abolit les distances. Elle questionne aussi la possibilité de connaître en profondeur les cultures étrangères quand tout semble désormais à portée de clic. p ariane singer a Dérives des continents (Questions of Travel), de Michelle de Krester, traduit de l’anglais (Australie) par Géraldine Koff d’Amico, Galaade, 532 p., 26 €. Une chambre d’échos La narratrice de « Disent-ils » se découvre en écoutant ceux qui se confient à elle. Et la Britannique Rachel Cusk réinvente son art du roman florence bouchy A la fin du séjour qu’elle effectue à Athènes, l’héroïne de Disent-ils fait la connaissance d’une femme entravée dans son désir d’écriture par sa tendance à synthétiser son propos. « Dès qu’elle se lançait dans un nouveau projet, explique-t-elle, très vite elle se trouvait à le résumer. Aussitôt (…), le projet était mort à ses yeux. (…) Pourquoi se donner la peine d’écrire une longue et belle pièce sur la jalousie si “jalousie” la résumait tout aussi bien ? » A l’image de cette auteure en crise, Rachel Cusk a dû, pour écrire ce nouveau texte, se réinventer et laisser derrière elle le modèle du roman « qui décrit et vous explique tout par l’intermédiaire d’un narrateur omniscient ». Il a fallu « trouver une nouvelle forme, dit-elle au « Monde des livres ». Renoncer aux anciennes habitudes d’écriture ». « Dans mes livres précédents, je posais des questions, mais j’avais en fait déjà les réponses, ou une théorie. Cette fois-ci, le texte est bien plus ouvert. » C’est que, entre-temps, l’auteure d’Arlington Park (L’Olivier, 2007, republié sous le titre La Vie domestique, Points) a perdu toute confiance dans les vertus de la narration, ne voyant plus qu’un piège et un mensonge dans les histoires que l’on se raconte à soimême et dans les trajectoires que la société propose aux femmes comme modèles d’une vie réus- sie (« Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants… »). Comme la romancière britannique, l’héroïne de Disent-ils a divorcé quelques années plus tôt, et se trouve dans une nouvelle période de sa vie, entre le moment du désastre, dont elle commence à se remettre, et celui de la renaissance, qu’elle attend encore. Lors de son séjour en Grèce, où elle se rend pour animer des ateliers d’écriture, la narratrice se déprend de son identité de femme divorcée élevant seule ses enfants et se rend disponible pour toutes les rencontres. Le plus souvent silencieuse, elle écoute ce que les autres lui confient, adoptant une forme de neutralité bienveillante. On sourit souvent en constatant la propension de chacun des personnages à raconter sa vie à la narratrice sans, souvent, se pré- occuper de la sienne. En y devinant les exagérations, les mensonges qu’ils y ajoutent. Ou la mauvaise foi dont ils font preuve. Pourtant, Rachel Cusk se défend disent-ils (Outline), de Rachel Cusk, traduit de l’anglais par Céline Leroy, L’Olivier, 204 p., 21 €. Signalons, de la même auteure, par la même traductrice, la parution en poche de Contrecoup. Sur le mariage et la séparation (Aftermath. On Marriage and Separation), Points, 186 p., 6,30 €. de toute visée ironique. Disent-ils est plutôt une chambre d’échos, permise par le vide qui habite la narratrice. Dans l’entre-deux où elle se trouve, elle peut devenir le réceptacle de ces discours qui parfois la traversent et, à d’autres, résonnent en elle. Que leur expérience recoupe la sienne, ou qu’au contraire elle lui laisse entendre combien elle en est différente, chacun de ses interlocuteurs l’engage à se découvrir, à redessiner les contours de son identité « en dehors du couple ou d’une nouvelle obsession ». Si l’auteure renonce bien à la forme romanesque assez traditionnelle qui avait fait le succès de ses premiers titres, elle n’en conserve pas moins, quelles que soient ses intentions affichées, à la fois un sens certain du récit, et une extraordinaire finesse d’analyse des sentiments et des situations. Mais alors que, dans ses précédents textes, les points de vue qu’elle défendait pouvaient aussi bien frapper par leur justesse que susciter la polémique, Disent-ils conquiert le lecteur en lui offrant tout l’espace nécessaire pour laisser résonner en lui cet entrelacs de discours et y trouver sa vérité. p 6 | Histoire d’un livre 0123 Vendredi 24 juin 2016 « Bambi », manifeste politique SANS OUBLIER Loin du film de Disney, le roman animalier de l’Autrichien Felix Salten, paru en1923, évoque en filigrane le destin des juifs d’Europe. A lire dans une nouvelle traduction macha séry G lissades et cabrioles, premiers émois, amis d’enfance, passage à l’âge adulte, renouvellement des saisons et des générations… Bambi, c’est ce chef-d’œuvre de Walt Disney (1942) où, pour la première fois, les humains se tenaient horschamp. La découverte de la nature en Technicolor et le souvenir d’un chagrin inconsolable lorsque la tragédie surgit, laissant le faon orphelin. Une fable écologiste aiguisée par le sentiment de perte. A la sortie du film d’animation, l’Association des chasseurs américains exigea – sans succès – que les projections fussent précédées d’un avant-propos réhabilitant les armes à feu et les tueurs de gibier. Les critiques de cinéma virent dans le long-métrage une réflexion métaphorique sur la guerre, après l’attaque de Pearl Harbour. Eussent-ils connu le destin du roman de l’Autrichien Felix Salten (1869-1945), dont le film était issu, ils n’auraient pas manqué de souligner la dimension visionnaire d’une œuvre bannie par les nazis en 1936 pour cause d’« allégorie du sort des juifs en Europe ». Un fait qui aura échappé à Walt Disney, dont les sympathies pour le IIIe Reich demeurent un sujet de controverse. Oublieuse postérité. Le livre Bambi (abréviation de l’italien bambino, « enfant ») fut aussi célèbre que le film auquel il donna naissance. Dès sa publication Le premier à percevoir combien ce récit sylvestre doit à la culture yiddish, notamment à travers le dialecte des lièvres, fut le satiriste Karl Kraus en 1930 en 1923, il s’arrache en librairie. Il est aussitôt traduit en France par les éditions Fayard (dans une version cependant tronquée). Le bouche-à-oreille traverse l’Atlantique. Aux Etats-Unis, Bambi fait l’objet d’une précommande de 50 000 exemplaires par le club Book of the Month (« le livre du mois »). Hélas ! au fil des ans, l’adaptation cinématographique a éclipsé, comme souvent, l’œuvre originelle, tombée dans le domaine public en 2015 et exhumée par les éditions Rivages. L’occasion de la découvrir sous un jour plus politique que sa version hollywoodienne. « La nature de Disney est belle parce qu’elle ne veut rien dire. Le 2 avril, la République est tombée ; le 1er mai, la devise nationale est devenue « Equité, solidarité, dignité », et les premiers signes de reconnaissance du nouveau régime ont été émis par des instances internationales. Entre les deux, un mois de révolution où, après abolition de la propriété, les habitants des banlieues défavorisées, les « villes martyres », ont été installés dans les quartiers bourgeois – et inversement ; où Andorre et Monaco ont été annexés au nom de la lutte contre les paradis fiscaux ; où la peine de mort a été rétablie pour les « hauts criminels », dont l’épouse de l’ancien président, lequel est en exil à Stockholm. Pour raconter cet Avril, sa fièvre égalitaire, sa tentation de la Terreur, Jérémie Lefebvre fait alterner voix de citoyens plongés dans les événements, dépêches de la presse étrangère, décrets de la Convention nationale… Une polyphonie qui rend palpable l’effervescence d’une situation révolutionnaire et donne une grande subtilité à cette fable politique saisissante et souvent drôle. p raphaëlle leyris a Avril, de Jérémie Lefebvre, Buchet-Chastel, « Qui vive », 134 p., 13 €. Mo Yan rêveur VAL SAXBY/HOTSPOT MEDIA/SIPA Celle de Felix Salten fascine pour une raison exactement inverse – parce qu’elle est saturée de symboles, de murmures et de sousentendus », souligne Maxime Rovere, dans la préface de ce Bambi nouvellement (et intégralement) retraduit. Chez Disney, les dialogues sont rares, réduits à quelque 800 mots. Chez Salten, ils abondent et multiplient les points de vue face à l’adversité. Le premier à percevoir combien ce récit sylvestre doit à la culture yiddish, notamment à travers le dialecte des lièvres, fut le satiriste autrichien Karl Kraus en 1930. Le parcours de Felix Salten, de son vrai nom Siegmund Salzmann, petit-fils d’un rabbin orthodoxe, ainsi que son engagement en faveur de la création de l’Etat d’Israël, confèrent de la crédibilité à pareille interprétation, davantage, il est vrai, que ses écrits antérieurs. Pêle-mêle, des chroniques consacrées aux têtes couronnées, des critiques de théâtre, des livrets d’opérettes, des scénarios de films et un premier roman de nature… érotique, Josefine Mutzenbacher (1906), un classique du genre. Autodidacte touche-à-tout – il avait interrompu ses études à la suite de la faillite de son père –, Felix Salten était un intellectuel en vue au début du XXe siècle, admiré autant par Sigmund Freud que par Stefan Zweig. Il appartint au groupe d’écrivains bohèmes de EXTRAIT « Le tonnerre fondait sur eux de tous côtés. C’était comme si la terre s’ouvrait en deux. Bambi ne voyait rien. Il courait. L’envie jusque-là comprimée de quitter ce tumulte, d’échapper à cette odeur qui le prenait à la gorge, le désir de fuir, d’échapper à la mort s’étaient enfin déchaînés en lui. Il courait. Il eut l’impression de voir tomber sa mère, mais il n’était pas sûr qu’elle fût vraiment tombée. La peur du tonnerre qui le menaçait de toutes parts l’avait enfin saisi et lui avait jeté comme un voile sur les yeux. Il ne pouvait plus penser à rien, ne pouvait plus rien voir ; il courait. Il avait franchi la clairière. Un nouveau taillis l’accueillit. Une fois de plus les cris retentirent derrière lui, une fois de plus le bruit sec et sonore éclata. » bambi, pages 127-128 la Jeune Vienne, au côté d’Hugo von Hofmannsthal, Franz Kafka ou Arthur Schnitzler, son témoin de mariage. Il fut aussi le disciple du père du sionisme, Theodor Herzl (1860-1904), collaborant à Die Welt, le journal que celui-ci avait fondé en 1897. Président de l’association littéraire et artistique juive Haruach, Felix Salten rendit compte pour le plus prestigieux des quotidiens viennois du 13e congrès sioniste de Carlsbad (Tchécoslovaquie), l’année même où paru Bambi. Deux ans plus tard, il publia le récit de son voyage en Palestine : Neue Menschen auf alter Erde. Eine Palästinafahrt (« Hommes nouveaux sur une terre ancienne », non traduit). Dans un essai datant de 2003, Le récit d’une survie MOINS FOLÂTRE que le dessin animé de Disney, beaucoup plus mélancolique et tragique, dimension dénotée par une vingtaine d’occurrences du mot « mort », autant de « terreur » : pas sûr que le Bambi originel de Felix Salten soit une lecture indiquée pour les jeunes lecteurs. Certes, il s’agit bien d’un roman d’initiation, d’éveil à soi et aux autres, avec échanges cocasses et lueurs de tendresse. Mais cet aspect-là demeure marginal. Bambi se présente d’abord comme le récit d’une survie au cœur d’une forêt Seconde révolution hérissée de multiples dangers, où il faut déjouer pièges, traques et collets, résister au froid et à la faim, s’endurcir, vaille que vaille, dans l’exercice de la solitude. Les exactions abondent : massacres par un chasseur (toujours désigné par « Lui »), sanglantes agonies, actes de cruauté perpétrés par des corbeaux… Omniprésente est la frayeur. Un surprenant chapitre interrompt la linéarité de l’histoire au premier tiers du livre : le dialogue de deux feuilles accrochées à un grand chêne quasiment dénudé par l’hiver. Jusque-là rescapées de l’hécatombe, elles savent que leur fin est proche. Que se produira-t-il lorsqu’elles se détacheront ? « Qui sait ? Aucune de celles qui sont tombées n’est encore jamais revenue pour en parler. » Pour lutter contre l’inquiétude, elles se remémorent la rosée du petit matin, les nuits douces, leur éclatante santé lorsque chauffait le soleil. Un vent hostile se met alors à souffler. Dans Bambi, les feuilles mortes se ramassent à la pelle. Et les regrets aussi. p m. s. bambi. l’histoire d’une vie dans les bois (Bambi. Eine Lebensgeschichte aus dem Walde), de Felix Salten, traduit de l’allemand (Autriche) par Nicolas Waquet, Rivages poche, « Petite bibliothèque », 256 p., 8,90 €. Iris Bruce, spécialiste de l’œuvre de Franz Kafka, éclaire Bambi à l’aune de « l’expérience de l’exclusion et de la discrimination ». Paul Reitter, grand connaisseur de la littérature austro-hongroise, va plus loin dans un article de la Jewish Review of Books en 2014. Les arguments que cet universitaire américain avance en faveur des « racines juives de Bambi » se révèlent pertinents à la lecture du livre : thématique de l’insécurité, critique de l’assimilationnisme à travers le personnage de Gobo (cousin de Bambi), quête d’une terre promise où élever sa descendance en paix… De fait, le roman n’a rien de contemplatif. Eu égard à leur formulation, nombre de passages font manifestement écho à l’histoire des juifs ashkénazes, émaillée de pogroms : « Personne ne se sentait plus en sécurité, car tout cela avait lieu en plein jour. Cette terrible détresse, dont on ne voyait pas la fin, répandait la rancœur et la barbarie. Elle réduisait à néant tous les usages, elle minait la conscience, anéantissait les bonnes mœurs, détruisait la confiance. Il n’avait plus ni pitié, ni repos, ni retenue. “On peine à imaginer qu’on a connu des jours meilleurs”, soupira la mère de Bambi. » Abonné aux fictions animalières par son éditeur pressé de renouer avec le succès populaire de Bambi, Salten publiera deux autres romans adaptés par Disney, Perri l’écureuil et Le Chien de Florence. Fuyant les persécutions nazies, il mourut en Suisse à la fin de la seconde guerre mondiale. p En 1989, deux ans après Le Clan du sorgho rouge (Seuil, 2014), la saga qui l’a rendu célèbre, le Prix Nobel chinois Mo Yan signait Le Clan des chiqueurs de paille. Seul le titre et le lieu des deux fictions – la campagne de Gaomi – leur confèrent un lien de parenté. Car, pour ce dernier ouvrage, Mo Yan, qui venait de lire Cent ans de solitude, s’est aventuré sur les terres du réalisme magique. Six récits plongent le lecteur dans un univers onirique, sur fond d’invasions de criquets, peuplé d’êtres palmés et d’équidés – l’acte fondateur du clan est l’alliance entre une pouliche et un garçon dans les marais –, que l’auteur met en scène dans une narration complexe. On aura confirmation que, « dans le monde de Mo Yan, tous les hommes sont des animaux (…) et tous les animaux sont des hommes », comme l’analyse l’écrivain Philippe Forest dans Mo Yan, au croisement du local et de l’universel (Seuil, 480 p., 28 €.), actes d’un colloque international. p françois bougon a Le Clan des chiqueurs de paille (Shi cao jiazu), de Mo Yan, traduit du chinois par Chantal ChenAndro, Seuil, 480 p., 23 €. Trois Leucate Situer sur une carte la presqu’île de Leucate. Y suivre l’auteur de Leucate Univers, guidé par Histoire en personne qui chuchote à son oreille. Plongé dans les guerres de religion, le lecteur découvre Françoise de Cézelli, héroïne locale qui, en 1589, défendra la forteresse de Leucate assiégée par les ligueurs. Dans le même paysage, en 1955, le jeune Guy est embauché le temps des vendanges, pour remplacer Serge, envoyé en Algérie. A travers le temps, des morts violentes se superposent. Même si elles ne sont qu’à l’arrière-plan dans le dernier volet du triptyque, où l’on suit à Leucate Plage des jeunes gens d’aujourd’hui. Trois époques, trois tentatives d’épuisement d’un lieu languedocien. Auteur rare et rigoureux, qui décrypta sa méthode dans Façons d’un roman (POL, 2003), Gérard Gavarry exerce sa liberté de romancier dans les contraintes fécondes qu’il s’impose. p monique petillon a Leucate Univers, de Gérard Gavarry, POL, 270 p., 17 €. Critiques | Essais | 7 0123 Vendredi 24 juin 2016 Pour les Apaches occidentaux, l’espace se lit comme un manuel de savoir-vivre. Une passionnante enquête de l’anthropologue Keith Basso, mort en 2013 Ce que raconte le paysage à l’Apache anne both R avissante surprise que ce petit livre, fragile et soigné, qui ne laissera pas insensibles les bibliophiles avec ses cahiers brochés et son délicat gaufrage, qu’un doigt curieux ne peut s’empêcher d’effleurer. Le motif modelé reprend le tracé de « L’eau se mêle à la boue dans un bassin à ciel ouvert », lieu apache – dont c’est le nom – et titre de l’ouvrage de l’Américain Keith Basso (1940-2013), publié il y a exactement deux décennies sous l’intitulé Wisdom Sits in Places (« La sagesse des lieux »). L’idée de traduire en français, pour la première fois, cet anthropologue américain a été soufflée à Alexandre Laumonier, l’éditeur, par un jeune américaniste, Pierre Déléage, du Laboratoire d’anthropologie sociale. L’entreprise mérite d’autant plus d’être soulignée que les travaux de Keith Basso brillent par leur absence dans la besace de références où puisent les intellectuels français. En 1959, Basso n’est qu’un jeune étudiant en anthropologie, à Harvard, lorsqu’il passe l’été en Arizona et découvre la communauté apache de Cibecue. Une rencontre décisive, puisqu’il lui consacrera sa thèse, soutenue à Stanford en 1967, et la majeure partie de sa vie. Enseignant à l’université du Nouveau-Mexique pratiquement pendant toute sa carrière, il devient le spécialiste de la culture, de la langue et de l’histoire des habitants de la réserve de White Mountain. Expert et défenseur des droits des Apaches, celui qui vécut les dernières années de son existence comme un cow-boy dans son ranch en fut le meilleur ami. En 1979, Basso est sollicité par Ronnie Lupe, président de cette communauté, pour dresser une carte locale des noms et des lieux apaches. Si ce travail, étalé sur quatre ans, permet de répertorier près de trois cents lieux répartis sur 72 kilomètres carrés, l’atlas initialement envisagé ne verra jamais le jour. En revanche, l’anthropologue en retire une analyse fine de la puissance d’évocation des toponymes. Un réservoir de sagesse En effet, chez les Apaches occidentaux, lorsqu’un des leurs s’écarte du droit chemin ou désespère, point de remontrances frontales ou de paroles réconfortantes. Les commentaires se manifestent par des échanges brefs de noms de lieux, tels « Cela s’est passé à Grands peupliers se dressent ici et là » ou « C’est arrivé à Blancheur s’étend vers le haut ». Basso, comme le lecteur, ne saisit pas un traître mot de ces propos, jusqu’à ce qu’il lui soit expli- SANS OUBLIER C’en est Allais Dans la nuit du 20 au 21 avril 1944, une escouade de la Royal Air Force bombarde la gare de triage de La Chapelle, dans le nord de Paris. Une des bombes va s’écraser dans le cimetière de Saint-Ouen, pulvérisant la sépulture d’Alphonse Allais (1854-1905). Ultime pirouette et épilogue définitif à la disparition de celui qui disait : « Dieu a sagement agi en plaçant la naissance avant la mort ; sans cela, que saurait-on de la vie ? » Allais est un immense humoriste ainsi qu’un grand écrivain. Et pas que… Ne lui doit-on pas des études très techniques à propos de la synthèse du caoutchouc ? Après François Caradec (Alphonse Allais, Belfond, 1997), Jean-Pierre Delaune, spécialiste sensible de sa vie et de son œuvre, lui consacre une biographie d’une véritable intimité. Ami de Charles Cros, membre des clubs des fumistes et des hydropathes, ce maître du calembour, ce jongleur des mots, populaire, admiré, était aussi amer et désenchanté. Delaune nous guide entre ses confidences, ses mystères et sa littérature. « L’oubli, c’est la vie ! » a-t-il écrit. Mais pour le coup Alphonse Allais a maintenant son tombeau. p xavier houssin a On ne badine pas avec l’humour d’Allais. Alphonse Allais par luimême, de JeanPierre Delaune, Omnibus, 720 p., 21 €. Une statue de Craig Dan Goseyun à San Carlos Apache, Arizona. ALBUQUERQUE JOURNAL/ZUMA/REA qué que tous ces lieux possèdent des histoires, qu’en évoquer les noms renvoie à des événements et permet aux voix ancestrales de s’adresser directement aux personnes concernées. L’environnement fonctionne alors comme un gigantesque réservoir de sagesse dans lequel il est possible de se ressourcer. Les récits sont décochés comme des flèches qui visent la conscience de l’intéressé. L’auteur montre très bien que le pouvoir performatif de l’évocation des toponymes n’est efficient que si les auditeurs connaissent non seulement les histoires, les contes et les récits, mais surtout leur inscription géographique. D’où l’incitation faite aux jeunes à voyager avec des aînés qui leur parleront in situ des lieux et des événements qui y sont attachés. L’initiation à ce langage métaphorique passe inexorablement par l’observation des sites, où il sera toujours possible de se rendre. Basso rappelle que le « sens des lieux » ne saurait être en rien l’apanage des Apaches occidentaux, et que chacun octroie histoire, symbolique et anecdotes aux paysages qui l’entourent. Pourtant, cette notion a longtemps été méprisée par les anthropologues, reléguée au rang de contexte, comme le fut le sens commun, étudié par l’anthropologue américain Clifford Geertz. Ce dernier a d’ailleurs influencé l’auteur, tout comme le sociologue Erving Goffman, Sartre ou encore Merleau-Ponty. Théoriquement solide, ce livre n’en est pas moins un récit saisissant. Ecrit à la première personne, tout en échappant à la dérive narcissique, il invite le lecteur à découvrir les replis l’eau se mêle d’une enquête ethnographi- à la boue dans que. Basso avoue qu’il hésite, un bassin qu’il ne comprend pas, qu’il à ciel ouvert. est « embarrassé et à court de paysage et mots », soulagé ou enthou- langage siaste. L’homme a de l’humour chez les apaches et un indéfectible talent pour occidentaux décrire « ses » Apaches. On voit (Wisdom Sits in le vieux Nick, avec ses grands Places. Landscape yeux noirs, son air malicieux, and Language ses Nike ornées de zébrures among the Western orange, entrer dans son 4 × 4 ; Apache), on entend le silence ; on ima- de Keith Basso, gine « le petit papillon blanc qui traduit de l’anglais danse sur place ». Basso, dont le (Etats-Unis) par père était essayiste, éditeur et Jean-François Caro, ami de Faulkner, parvient à Zones sensibles, loger son ingénieuse analyse 196 p., 20 €. de l’imaginaire des paysages apaches dans les interstices de la littérature. Ce premier livre traduit en français est une irrésistible exhortation à découvrir les autres. Amis éditeurs… p Psychiatrie militante Chef de service en psychiatrie à Reims et fondateur de l’association La Criée, Patrick Chemla a réuni, dans cet ouvrage collectif, les textes d’une rencontre de 2014 consacrée à la question de la transmission du savoir clinique dans les institutions de soin. Il s’agit d’abord de s’opposer à toutes les haines contemporaines qui visent aussi bien la psychanalyse que les approches humanistes de la psychiatrie. On trouvera donc ici des récits de cas et des interventions militantes qui témoignent de la richesse d’une pratique de la folie, dont on oublie souvent qu’elle résiste au formatage chimique et comportementaliste, afin de mettre en place une meilleure compréhension des souffrances subjectives, qu’elles soient psychiques ou sociales. Voilà donc l’expression vibrante d’une transmission de la notion d’inconscient dans une société qui dénie chaque jour son existence. p élisabeth roudinesco a Transmettre. Psychiatrie, psychanalyse, psychothérapie institutionnelle, sous la direction de Patrick Chemla, Eres/La Criée, 256 p., 25 € La foi chevillée aux pieds Dans « Le Voyage aux saints », Dominique Julia retrace d’un pas alerte l’histoire des pèlerinages chrétiens antoine de baecque I l est des livres mûris d’un long compagnonnage. C’est le cas de celui-ci, retraçant l’histoire des pèlerinages du IVe siècle à nos jours dans l’Occident chrétien. Dominique Julia ancre ce travail dans le séminaire que mena Alphonse Dupront (1905-1990), dont il fut l’élève à l’Ecole pratique des hautes études au cours des années 1960-1970. Julia connaît les séances du maître de l’histoire religieuse sur le bout des doigts, et en a retiré la quintessence, distillée en de multiples colloques, articles, ouvrages, depuis plusieurs décennies. Mais le pèlerinage a connu un étrange destin : quand Julia enquêtait au milieu des années 1960, il ne demeurait que les résidus déliquescents de rites pédestres enfuis. Un demi-siècle plus tard, le revival pèlerin a attiré, en 2014, 238 000 « jacquets » vers Compostelle. Si ce revival n’est pas exactement le sujet du livre de Dominique Julia, qui centre son étude sur la période moderne, de l’apogée du phénomène au XVe siècle à son premier déclin au XVIIIe, victime de la mauvaise réputation des pèlerins, il lui insuffle son énergie : ces pages, où on croise des paysages variés et changeants, ponctués de rencontres vivantes, se parcourent d’un pas alerte. Le pèlerin voyage à pied, dans l’austérité et la difficulté, l’effort et le dénuement, vers un endroit tenu pour sacré selon sa religion. Sur sa route, il rencontre d’autres pèlerins, est accueilli par des institutions qui le logent, le nourrissent, l’informent, renforcent sa foi. Le but du voyage, souvent lointain, le confronte directement au sacré en métamorphosant une réalité profane en une présence surnaturelle. Si cette pratique rituelle traverse toutes les religions, telle une internationale pèlerine, elle est apparue dans l’Occident chrétien au IVe siècle : l’édit de Milan de 313, où Constantin et Licinius accordent liberté aux fidèles de circuler, n’y est pas étranger. Une géographie sacrée privilégie d’abord la Terre sainte : il s’agit d’aller prier sur les lieux mêmes de l’Incarnation, en Palestine. Puis un gigantesque transfert des reliques de saints voit le jour, à l’occasion des croisades, translation qui peuple l’Europe entière, de Constantinople à Rome, nouveaux modèles pèlerins, mais également bien des villages, de restes sacrés plus ou moins véridiques. Les reliques acquièrent une puissance thaumaturgique et le pèlerinage, que la hiérarchie ecclésiastique tente de canaliser – elle n’y parvient jamais vraiment et demeure bien souvent méfiante à l’égard de cette grande circulation des ouailles –, s’encadre d’une économie pénitentielle : une taxation des fautes qui fait de la marche aux reliques un châtiment et une expiation. Rites pédestres S’est inventée une topographie pèlerine qui a dessiné des itinéraires, des stations, a déterminé des constructions d’églises et de gîtes d’accueil, a édicté des lieux saints à atteindre, des textes de fondation à connaître, des prières à réciter, mais élaboré aussi des formes de dévotion, des manières de circuler, des rites pédestres, des gestes de sacrifice et d’hommage. Là, le livre est extraordinairement vivant, de la « voie lactée » compostellane aux innombrables rendez-vous locaux où l’on vient guérir les maux de gorge, espérer la pluie ou favoriser la fécondité des poules, incarnant ces pratiques et ces itinéraires en une farandole de récits, d’expériences, de témoignages, explorant tous les possibles de cette geste pèlerine qui ne se peut comparer qu’à un roman picaresque. Comme s’il avait beaucoup importé à l’auteur que l’on marche aussi en le lisant. p le voyage aux saints. les pèlerinages dans l’occident moderne (xve-xviiie siècle), de Dominique Julia, EHESS/Gallimard/Seuil, « Hautes études », 376 p., 25 €. Vous éCriVEz ? ! !" *#/&/)+' .,%-&!0" ("$!"($!"+& #" &%*)$'*( '*!$*#" 12)0%$" )0- 3*2+-'.6,- / Editions Amalthée 2 rue Crucy - 44005 Nantes cedex 1 Tél. 02 40 75 60 78 (((5$&6,602-#*3*4,!$$5'03 8 | Chroniques 0123 Vendredi 24 juin 2016 Le polar à la loupe LE HAUT DU PAVÉ SABRI LOUATAH écrivain tôt quelques clichés de plus –, mais aussi repérages de Paul Fournel lui-même, qui passe en revue avec délectation tous les stéréotypes de la littérature policière : typologie des comparses, « moments méditatifs, un rien dépressifs, pendant lesquels le héros fait le point », ou encore la reprise de loin en loin d’une formule lapidaire « qui a l’avantage de ne pas vouloir dire grand-chose, tout en invitant à une réflexion vaste » afin de « laisser place à un espace de réflexion, à une morale de portée générale ». Ce sera cette fois : « Un meurtre est toujours plus qu’un meurtre. » Et, bien sûr, il faut camper notre enquêteur et le rendre attachant dans la perspective des futurs romans de la série et de leur adaptation télévisée secrètement souhaitée. Il portera un nom caractéristique – Maussade, surnommé Mamau –, il aura une femme dans son passé – et le LE FEUILLETON D’ÉRIC CHEVILLARD L’ÉCRIVAIN est un volcan de type strombolien. Et sa prose, donc, la lave incompressible qui le déborde, dévalant la pente de son bras avec le sang bouillonnant de l’artère. Premier spectateur, il assiste, tremblant, ému, à ce prodige : la création d’un monde. Après, il va vomir, parce qu’il a décidément trop bu. Nous aimons pourtant toujours cette représentation du poète inspiré, obéissant à des forces supérieures, tout juste capable de les canaliser in extremis, apaisant alors sa transe pour mesurer ses hexamètres et croiser ses rimes. Ainsi, il entre de toute façon un peu de mécanique à un moment ou à un autre de la création littéraire. Les articulations, au moins, comme leur nom l’indique, relèvent de l’art, sinon de l’artifice. C’est encore plus vrai pour le roman, et vrai plus encore pour le roman de genre, et suprêmement vrai pour le roman policier. Ce dernier ne fait pas partie des chants que les dieux dictent à leurs aèdes. La plupart des auteurs de polars usent de techniques éprouvées, battent et rebattent le même jeu de cartes, les mêmes figures, et ne peuvent compter que sur l’originalité de leurs variations pour renouveler le thème. Paul Fournel, né en 1947, président de l’Oulipo depuis 2003 (une époque où l’on portait avec des hourras son héraut sur le trône, en lui épargnant les mesquines tergiversations des primaires) publie aujourd’hui Avant le polar, sous-titré : 99 notes préparatoires à l’écriture d’un roman policier, très savoureux et néanmoins rigoureux vade-mecum de l’auteur de polars. On retrouve l’esprit du Calvino de Si par une nuit d’hiver un voyageur (Seuil, 1981) dans ce précis qui ne nous montre pourtant pas le lecteur aux prises avec le livre, mais l’écrivain lui-même, élaborant son intrigue, dessinant ses personnages, réfléchissant aux enjeux et aux implications de son work in progress. Un roman de Nabokov obéit aussi à ce principe. La Vraie Vie de Sebastian Knight (Albin Michel, 1951) se présente comme la relation de l’enquête que le narrateur mène sur son frère, illustre écrivain mort depuis peu, dans le but d’écrire sa biographie. Or cette enquête se substitue bientôt au livre envisagé. Tout ce que l’on peut apprendre et dire de Sebastian le sera au cours de ce travail préparatoire. Les considérations du narrateur participent de l’œuvre biographique, lui donnent un tour réflexif qui la justifie. Le polar rêvé par Paul Fournel, parfaitement classique, n’existera que virtuellement, sous la forme d’un projet vague enrichi d’un commentaire précis EMILIANO PONZI De la même manière, le polar rêvé par Paul Fournel – qui pourrait s’intituler L’Inconnue du parc Montsouris ou Le Mystère de la chatte rasée –, parfaitement classique, pour ne pas dire convenu, n’existera que virtuellement, sous la forme d’un projet vague enrichi d’un commentaire précis, un plan approximatif étoffé de réflexions sagaces sur le genre. Tout commence par les repérages. Repérages traditionnels de l’auteur de polar dont Paul Fournel singe les postures en publiant par exemple des photos de lieux parisiens où l’intrigue est supposée se dérouler – gros travail préalable d’immersion et de documentation : bien plu- avant le polar. 99 notes préparatoires à l’écriture d’un roman policier, de Paul Fournel, Dialogues, 76 p., 15 €. ver du regret au cœur –, des faiblesses touchantes et des compétences certaines : « Il faut lui ménager un coup d’éclat, (…) quelque chose qui donne à la lectrice le désir d’acheter le prochain volume. » La lectrice, oui, Paul Fournel n’est pas assez hypocrite pour feindre d’ignorer le massif et foudroyant phénomène de l’illettrisme masculin. Or, mine de rien, une intrigue se met en place et tous les éléments d’un suspense qui bientôt nous captive pour de bon. L’auteur s’amuse aussi à démonter les rouages de cette manipulation romanesque. Une adolescente est retrouvée morte, violée, dans un parc. L’enquête s’intéresse à ses amies, un peu libertines, à ses beaux-pères, un peu louches, à sa mère, catholique tendance nymphomane, à son petit copain, trop désinvolte. Les rebondissements sont orchestrés selon la chronologie en vigueur dans la dramaturgie policière classique : découverte tardive de l’arme du crime, fausses pistes, confidences. Constitué de fragments numérotés, le récit alterne les commentaires et les scènes jouées comme en répétition par l’auteur et ses personnages. Paul Fournel se montre soucieux de préparer au mieux « le temps de l’écriture à venir ». Il ouvre et referme des pistes, semblable à son enquêteur, moins maussade que lui cependant, plutôt malicieux commissaire à moustache de cet ouvroir de littérature policière. p L’humanité selon Robert Legros FIGURES LIBRES ROGER-POL DROIT ON SE SOUVIENT sans doute qu’Emmanuel Kant, à la fin du XVIIIe siècle, faisait converger vers la question « Qu’est-ce que l’homme ? » toutes les interrogations organisant la philosophie. Il ne faisait que prolonger une longue tradition. De Platon à la Renaissance, de Cicéron aux Lumières, la réflexion sur « l’humanité de l’homme » n’a cessé, en effet, de constituer un fil rouge de la pensée occidentale. Sa définition, son essence, ses ambiguïtés ont été abordées par mille biais. Jusqu’au moment où la vague de l’antihumanisme a commencé à submerger la philosophie, naissante avec Marx, Nietzsche et Freud, croissante avec Heidegger et Foucault, dominante avec le structuralisme. S’interroger sur l’humain et l’humanité, scruter leurs spécificités, leurs capacités, leur avenir semblait devenu obsolète et ringard. Cela n’a pas empêché Robert Legros de publier, en 1990, L’Idée d’humanité (Grasset), ni de récidiver, en 2014, avec L’Humanité éprouvée (Classiques Garnier). Spécialiste de Hegel, dont il est aussi traducteur, grand lecteur de Tocqueville et des l’énigme de l’humanité penseurs de la démocratie moderne, ce en l’homme. hommage philosophe belge a su à robert legros, prolonger et renousous la direction de Lambros Couloubaritsis veler, à contre-courant de son temps, la et Martin Legros, réflexion sur l’uniOusia, 398 p., 35 €. versalité de l’humain. Il a notamment mis en lumière l’importance de la critique, par la pensée romantique allemande, de la conception des Lumières. Pour ces dernières, l’humain se réalise en s’émancipant de tout particularisme : en devenant rationnel, un individu n’est plus Français ou Hottentot, mais universel. A quoi les romantiques répliquent que tout individu s’inscrit et se développe dans une langue, une culture, une époque données. Dilemme crucial Faut-il donc perdre les cultures pour sauver l’universel ? Faut-il insister, au contraire, sur la diversité humaine, les appartenances à des identités distinctes, au risque cette fois de n’avoir plus accès à aucune unité ? Inutile de souligner combien ce dilemme est crucial aujourd’hui – intellectuellement et politiquement. L’intérêt majeur de la réflexion de Robert Legros n’est pas seulement de l’avoir clairement formulé, mais de tenter d’en sortir, notamment en insistant sur les expériences sensibles partagées et sur leur omniprésence. Question-clé : dans la dispersion des particularismes culturels, existe-t-il des expériences universellement éprouvées, restituant à l’humanité une forme d’unité profonde ? La richesse et la fécondité de cette approche, et l’ampleur des recherches de Robert Legros, sont étudiées dans un volume de mélanges lui rendant hommage. Une trentaine de textes font prendre la mesure d’une démarche originale, qui n’a pas toujours reçu l’attention qu’elle mérite, peutêtre parce qu’elle est dépourvue de cette frivolité qui alimente, en France, les succès de la mode. Parmi les noms de la trentaine d’auteurs contribuant à cet ensemble se trouvent notamment Alain Finkielkraut, Philippe Raynaud, Luc Ferry, Alain Renaut, Etienne Tassin, Marc Richir, François et Pierre-Henri Tavoillot. On pourra donc, au choix, soit lire ces articles pour eux-mêmes, soit s’en servir pour aborder Robert Legros, soit y puiser pour reprendre, au XXIe siècle, l’examen de cette vieille et increvable question : « Qu’est-ce que l’homme ? ». En fait, ce ne sont pas trois possibilités divergentes. Un seul et même mouvement les unit. p Le fils prodigue CHEZ NOUS, de Marilynne Robinson, qui paraît en poche dans la collection « Babel » d’Actes Sud, fait partie d’un ensemble de romans centrés sur la famille du révérend Robert Boughton, pasteur presbytérien à Gilead, dans l’Iowa. Il n’est pas nécessaire d’avoir lu Gilead, le premier volume de la série, pour apprécier pleinement la puissance de Chez nous. C’est l’histoire d’un retour à la maison, vingt ans plus tard. Le révérend est veuf, il vit toujours dans cette maison « trop haute pour le quartier (…), à la fois austère et prétentieuse ». Glory, la plus jeune de ses huit enfants, revient pour s’occuper de son père, vieillissant, affaibli par la maladie. Ses joutes théologiques avec le révérend Ames, son sparringpartner préféré, se sont faites plus rares et moins intenses. Au début du roman, le patriarche n’attend que l’arrivée de Jack, son fils le plus « compliqué ». Les lecteurs de Gilead en gardent le souvenir d’un fauteur de troubles, une mauvaise graine, celui par qui le scandale est arrivé dans la famille Boughton. Jack tarde à revenir. Glory lui en veut de tourmenter leur père, tout en sachant que Jack est et restera toujours le fils préféré du révérend. Rêver une vie d’adulte Chez nous se présente d’abord comme une variation sur la parabole du fils prodigue. Lorsqu’il franchit enfin le porche de la maison de son enfance, Jack est devenu un quadragénaire alcoolique et fatigué. Vingt ans de secrets se sont accumulés entre sa sœur et lui. Glory a enseigné et quitté l’enseignement, elle a aimé et connu la déception amoureuse, elle se demande ce qu’elle a fait de sa vie : « C’est comme si j’avais rêvé une vie adulte et que je m’étais réveillée, toujours ici, dans la maison de mes parents. » Elle confie à Jack qu’elle a menti à tout le monde : elle ne s’est jamais mariée à l’homme avec qui elle a vécu pendant ces deux décennies. L’irrévérencieux Jack éclate de rire. Ses secrets sont autrement plus lourds. Il a eu un enfant avec une femme noire. Nous sommes en 1956. Il n’y a aucune « personne de couleur » dans cette petite ville du Midwest. Si Jack reste aussi longtemps auprès de son père qu’il appelle encore « monsieur », c’est aussi pour tâter le terrain, et découvrir si un foyer interracial pourrait trouver sa place à Gilead… On ne quitte jamais longtemps le point de vue de la pieuse Glory, ses doutes, ses sentiments, sa pensée hautement abstraite et pourtant si peu réflexive. Les concepts chrétiens qui ont fait son éducation ne sont jamais l’objet d’une analyse suspicieuse. Ils font partie de la vie quotidienne des Boughton, au même titre que la préparation du souper du révérend ou ses parties de dames à l’ombre du porche : « J’ouvrirai ma bouche en paraboles. Je dirai les énigmes des temps anciens, que nous avons entendues et connues, et que nos pères nous ont contées. » Marilynne Robinson brasse large, à partir du dispositif le plus minimaliste possible : trois membres de la même famille qui arpentent une maison dont on finit par connaître le moindre recoin, trois êtres qui se connaissent par cœur et ne se comprennent pas, vivant dans une intimité brûlante, et pour toujours, grâce à ce roman lent, profond et magnifique. p chez nous (Home), de Marilynne Robinson, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Simon Baril, Babel, 448 p., 9,70 €. Les écrivains Sabri Louatah, Pierre Michon, Véronique Ovaldé et l’écrivain et cinéaste Christophe Honoré tiennent ici à tour de rôle une chronique. Mélange des genres | 9 0123 Vendredi 24 juin 2016 Un psychologue élève seul son fils de 8 ans, qui écoute en cachette ses consultations. Marie-Aude Murail, audacieuse et délicate Papa aide les jeunes mal dans leur tête TRANS|POÉSIE DIDIER CAHEN, écrivain et poète Hors-jeu Trois livres de poésie, on vit avec et on choisit des vers. On se laisse porter ; on tresse alors les œuvres pour composer un tout nouveau poème. JEUNESSE Il avait des souliers noirs à boucles Il suffisait que je batte de l’œil Pour les couvrir d’or et de rubans marie pavlenko L a norme n’est pas la règle. Pour Marie-Aude Murail, un livre jeunesse ne doit pas forcément mettre en scène des enfants ou adopter un ton gamin pour emporter l’adhésion. « J’ai écrit de nombreux romansmiroirs, dans lesquels le lecteur peut s’identifier au héros, mais un autre besoin se cache dans la lecture : la projection, observe l’écrivaine. Si l’on retient un enfant en enfance, il s’ennuie. » Auteure d’une centaine de livres – dont d’immenses succès, tel Oh, boy ! (L’Ecole des loisirs, 2000), roman militant contre l’homophobie, adapté au théâtre et joué jusqu’à New York –, l’écrivaine ne cesse de défricher de nouveaux territoires pour, chaque fois, se réinventer. Sauveur & fils en donne une frappante illustration : le protagoniste est un père célibataire de 39 ans. Très loin, donc, par l’âge et le profil, du héros conventionnel, double de papier du jeune lecteur. Sauveur exerce la profession de psychologue clinicien et consulte à domicile. Un jour, Lazare, son fils de 8 ans, un garçon solitaire et livré à lui-même, découvre la porte du cabinet entrouverte. Il brave alors l’interdit et écoute, fasciné, le récit des patients. Le lecteur est « placé dès lors en position de voyeur puisque lui aussi est tapi derrière la porte », souligne l’auteure. D’origine antillaise, adopté par une famille pied-noir, Sauveur ne porte pas par hasard ce prénom lourd de sens. « Il croit être tout-puissant et pouvoir sauver les autres par amour, mais c’est une illusion. Père et fils devront digérer cet échec », explique Marie-Aude Murail. Patients attachants Outre un humour vif et un style fluide, la force de la romancière réside dans le fait d’aborder les sujets graves avec délicatesse et précision. Pour Sauveur & fils, elle a éclusé les bibliothèques, visionné de nombreux documentaires et interrogé des psychologues. De fait, on est Avec une cuiller en bois Il arrachait leurs yeux aux crocodiles Et frappait le derrière des singes Il fut un temps Où les lois de l’œil Ne répondaient à nulle perspective Héritier des grands poètes africains, Nimrod (né en 1959) s’attache aux réalités contrastées de son pays natal, le Tchad. S’il vit en France depuis plus de vingt ans, il poursuit avec obstination sa route « entre l’inespérance et la béatitude ». Saluons l’initiative d’une jeune maison d’édition, Erès, qui publie les poésies complètes de Federico García Lorca (18981936) ; plus de 1 000 pages d’une remarquable traduction. On trouvera sans doute plus d’ombre que de lumière dans les fragiles vignettes d’Hervé Piekarski (né en 1955). Lecture et relecture donnent pourtant le sentiment qu’on traverse un paysage intérieur bien réel, connu de chacun de nous. PLAINPICTURE/UTE MANS saisi par la vérité des séances de thérapie. Le lecteur suit au plus près les difficultés professionnelles et personnelles auxquelles Sauveur est confronté. D’un côté, la complexité à élever seul un enfant, les secrets de famille et les sauveur & fils. non-dits qui ternissent la relation saison 1, filiale, les ratés d’un père happé de Marie-Aude par le boulot. De l’autre, la proMurail, gression de ses patients, tous atL’Ecole des loisirs, tachants : Margaux, l’adolescente « Médium grand qui se scarifie, Ella, en quête format », 334 p., d’identité, Cyrille, qui souffre 17 €. Dès 12 ans. d’énurésie à 9 ans, Gabin, féru de jeux vidéo et déscolarisé… Marie-Aude Murail aime tant ces personnages qu’une deuxième « saison » de Sauveur & fils sera publiée à l’automne et qu’elle en écrit actuellement la troisième, afin de permettre aux thérapies de se poursuivre dans le temps. Toujours sou- BANDE DESSINÉE cieuse de traiter des questions en lien avec l’actualité (par exemple, les enfants sans papiers dans Vive la République !, 2005), la romancière abordera, cette fois, les répercussions des attentats terroristes du 13 novembre 2015. « Le flux d’informations est permanent et accessible à tous. Il n’existe plus de frontière entre le monde des adultes et celui des enfants. Mon rôle est de servir de filtre », dit-elle. Un exercice d’équilibriste où les tabous n’ont pas leur place mais où le rire, en revanche, est toujours bienvenu pour alléger la tragédie. S’il est impossible ou présomptueux de vouloir cerner l’essence d’un livre jeunesse, il est très simple d’expliquer pourquoi en écrire : « Parce que, affirme Marie-Aude Murail, les enfants écoutent mieux quand on leur raconte une histoire. » Celle de Sauveur, en plus de les charmer, les fera grandir. p Un roi de Baltimore Signé David Simon, le remarquable portait-fleuve de Melvin Williams, caïd de la drogue, paraît en français RÉCIT macha séry D Réunion de fratrie Un an après le décès de leur père, deux frères et une sœur se retrouvent dans la maison de leur enfance. Tout sauf un palace, cette maisonnette avec pergola construite à la sueur de son front par le patriarche pendant ses congés payés. Quelques menus travaux attendent la fratrie, qui n’est pas vraiment décidée à vendre. La réunion familiale va réveiller quelques souvenirs, mais aussi son lot de tensions et de non-dits. De questions aussi : qui était ce père dont on sait juste qu’il exerça une dizaine de métiers ayant tous à voir avec sa passion pour l’automobile ? Et pourquoi se serait-il « laissé mourir » à la fin, à l’hôpital ? Parce que les visiteurs se faisaient rares ? Le puzzle d’une vie somme toute ordinaire s’assemble au fil des pages de ce roman graphique mêlant flash-back et teintes olive, coulé dans un format à l’italienne favorisant l’intimité avec les personnages. Auteur en 2007 d’un album bouleversant autour de la maladie d’Alzheimer (Rides, Delcourt, réédité sous le titre La Tête en l’air en 2013, au moment de son adaptation en film d’animation), l’Espagnol Paco Roca sait plonger son pinceau dans le vernis de la pudeur pour donner des récits qui nous parlent, ou risquent de nous parler un jour. p frédéric potet a La Maison, de Paco Roca, Delcourt, « Mirages », 128 p., 16,95 €. écédé le 1er décembre 2015 à l’âge de 73 ans, Melvin Williams avait interprété le rôle du pasteur Deacon, homme d’église et de bonne volonté, dans l’excellente série télévisée de David Simon « Sur écoute » (« The Wire », 2002-2008), devenue un objet de réflexion pour les sciences sociales. Une œuvre-monde, une œuvre majeure, précédée d’une enquête au long cours sur la criminalité et le trafic de drogue, intitulée Baltimore (Sonatine, 2012). Or, il est aujourd’hui avéré que Melvin Williams fut la source d’inspiration d’un des personnages principaux de la série, Avon Barksdale. Habile à blanchir l’argent sale Fils d’une infirmière et d’un chauffeur de taxi afro-américains, Melvin Williams s’imposa d’abord comme un redoutable joueur de billard, avant de devenir le plus gros narcotrafiquant de la ville. Dès les années 1960, tout Pensylvania Avenue, la grande artère de la capitale du Maryland, connaissait « Little Melvin ». Une légende roulant dans une Maserati et narguant la police. C’est lui qui révolutionna le commerce de l’héroïne, en nouant des liens avec le principal importateur de New York. Bon père et mari dévoué, végétarien, il fut un entrepreneur habile à blanchir l’argent sale, à la tête d’un empire évalué à plusieurs millions de dollars – avant son arrestation. Alors jeune journaliste au Baltimore Sun, David Simon lui consacre, en 1987, une série de cinq reportages, rassemblés sous le titre Easy Money. Lorsqu’ils paraissent aux Etats-Unis, l’homme est derrière les barreaux. Pour écrire son histoire, le reporter lui a rendu visite en prison de multiples fois. Il a également interrogé des policiers, des procureurs, des avocats, les amis et connaissances de Melvin. De là, un portrait-fleuve, remarquable par son art de la nuance et de la description. p easy money (Easy Money. Anatomy of a Drug Empire), de David Simon, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jérôme Schmidt, Inculte/ Dernière marge, 128 p., 17,90 €. Signalons la parution, d’après David Simon, de la bande dessinée Homicide. Une année dans les rues de Baltimore, de Philippe Squarzoni, Delcourt, 128 p., 16,50 €. Sur les berges du Chari. District nord de la beauté, de Nimrod, Bruno Doucey, « L’autre langue », 128 p., 15 €. Polisseur d’étoiles. Œuvre poétique complète, de Federico García Lorca, traduit de l’espagnol par Danièle Faugeras, illustré par Anne Jaillette, Erès, « Po & psy in extenso », 1 144 p., 25 €. L’Etat d’enfance II, d’Hervé Piekarski, Flammarion, « Poésie », 192 p., 18 €. THRILLER L’Angleterre au pas de course Rien ne sert de courir, il faut partir à point. Oui, mais Edgar Hill, mari et père négligent, plus porté à lever le coude que les genoux, s’est rendu compte un peu tard que la fin du monde était prévue pour le jour même. Des météorites s’abattent sur tout l’hémisphère Nord. Il s’enferme avec sa famille dans la cave de leur maison sans avoir eu le temps de prendre ses dispositions, jusqu’à ce que les secours évacuent les rescapés et les dirigent vers un camp de réfugiés. Hélas, en son absence, sa femme et ses enfants sont envoyés à 800 kilomètres de celui-ci, par hélicoptère. Il lui faut enfin se mettre un coup de pied aux fesses. Les routes étant impraticables en voiture, lui et quelques autres oubliés décident de parcourir la distance à pied. Traversant au pas de course l’Angleterre devenue un charnier à ciel ouvert, Edgar et ses acolytes tiennent le lecteur en haleine d’un bout à l’autre de ce thriller postapocalyptique époumoné. C’est qu’au-delà de la maîtrise du suspens, que servent un style énergique et le réalisme de la catastrophe (marque de fabrique annoncée de la toute jeune collection « Hugo Thriller », qu’inaugure ce volume), on rit beaucoup. L’auteur, Adrian J. Walker, né en Australie et vivant en Grande-Bretagne, manie aussi bien l’humour anglais que la dinguerie des situations. L’alchimie prend. Elle tient beaucoup aux personnages, hauts en couleur. Tel ce vieux lord condamné à manger la pâtée de ses chiens dans son immense manoir : « Alors comme cela c’est la fin du monde et vous autres, vous lancez un running club ? Ça mérite un toast… » Indeed. p zoé courtois a The End of the World Running Club, d’Adrian J. Walker, traduit de l’anglais par David Fauquemberg, Hugo & Cie, « Hugo Thriller », 558 p., 19,95 €. ,&",+' )$'!"+ !,&",%' '+ (*#)' (*!*-&$./ +"0&0 +% ,)$# './-.%)& « Beau comme un roman d’amour.» Bernard Pivot, Le Journal du Dimanche « Merveilleusement écrit, la patte d’un grand écrivain.» Olivia de Lamberterie, Télématin « Un lair d’enquêtrice et un joli brin de plume.» Jean-Claude Raspiengeas, La Croix « C’est l’histoire d’un secret, d’une énigme et d’un amour fou.» Léa Salamé, France Inter ,(!#!)*$(&$,'"+#&"%$ 10 | Rencontre 0123 Vendredi 24 juin 2016 Achille Mbembe Le passant soucieux Du Cameroun, où il est né, aux Etats-Unis et à l’Afrique du Sud, en passant par Paris. Trajectoire d’un penseur en mouvement consterné par l’état du monde, comme en témoigne « Politiques de l’inimitié » julie clarini I l n’y a qu’un seul monde ». C’est sur ce titre, donné à l’épilogue, que se terminait le précédent livre d’Achille Mbembe, Critique de la raison nègre (La Découverte, 2013). Il n’y a qu’un seul monde et c’est celui-ci, celui « du grand débarras » cruellement décrit dans son nouvel essai Politiques de l’inimitié : le débarras « des musulmans qui encombrent la cité, des Nègres et autres étrangers que l’on se doit de déporter, des terroristes (ou supposés tels) que l’on torture soi-même ou par procuration, des juifs dont on regrette qu’il y en ait eu tant à avoir échappé aux chambres à gaz, des migrants qui accourent de partout, des réfugiés et des naufragés, ces épaves dont les corps, à s’y méprendre, ressemblent à autant d’amas d’ordures, le traitement de masse de cette charogne humaine, dans sa moisissure, sa puanteur et sa pourriture ». Il faut écouter cette langue avant d’aller plus avant. Cette langue, qui charrie la violence et la mort, fait la puissance des livres d’Achille Mbembe, prose poétique aux accents macabres qui nous rappelle, un peu à la manière d’un François Villon, que nous sommes chair et poussière. Chair et poussière, et pas seulement concepts abstraits, entités lointaines que l’on peut laisser couler en mer Méditerranée. Parcours 1957 Achille Mbembe naît au Cameroun. 1989 Il soutient son doctorat d’histoire à la Sorbonne. 1990-1996 Il enseigne aux EtatsUnis, puis travaille au Sénégal. 2000 Il s’installe en Afrique du Sud et y enseigne une partie de l’année. L’autre, il est professeur à l’université Duke (Caroline du Nord). 2010 Sortir de la grande nuit. Essai sur l’Afrique décolonisée (La Découverte). 2013 Il est professeur invité à Harvard (Massachusetts). toujours accidentelle. « Ce qui est donc important, c’est la route, le chemin, le sentier que l’on se fraye et le type de rencontres dont on fait l’expérience en marchant, et ce que l’on fait de ces rencontres. » Dans ces présences qui accompagnent une vie, Achille Mbembe fait « Voyez les Américains une place à sa grand-mère, à qui il et la campagne de Trump : doit sa sensibilité au « monde de la nuit et au monde invisible ». Un subsils sont fatigués trat culturel auquel se sont ajoutées de la démocratie » par la suite les lectures de Michel Foucault, Paul Veyne, Nicole Loraux, Jean-Pierre Vernant, mais aussi CorGrande voix de la pensée critique, re- nelius Castoriadis. Et de Frantz Fanon marqué en France depuis la parution de (1925-1961) évidemment, l’auteur de Peau Sortir de la grande nuit. Essai sur l’Afrique noire, masques blancs (1952) et des Damdécolonisée (La Découverte, 2010), ce nés de la terre (1961), découvert à Paris au penseur, installé en Afrique du Sud, pro- début des années 1980 quand il vient fesseur à l’université Duke (Caroline du poursuivre à Sciences Po des études comNord), approche la soixantaine. On pour- mencées à Yaoundé. Politiques de l’inimirait ajouter qu’il est né au Cameroun, tié est une exploration de l’œuvre de cet qu’il a été scolarisé chez les dominicains, anticolonialiste martiniquais qui fut psymais une origine, nous rappelle-t-il, est chiatre en Algérie. Pour Mbembe, il est Dénoncer la guerre contre l’Autre CE LIVRE n’est pas le plus facile d’Achille Mbembe, ni immédiatement le plus séduisant, les « hachures de croquis » qui font sa manière, selon les mots de l’auteur lui-même, peuvent perturber le regard de qui ne connaît pas déjà l’œuvre. Il n’en constitue pas moins un intéressant aperçu de l’état de la réflexion du penseur, dont frappe plus que jamais le sombre prophétisme. Ce dernier scrute, dans Politiques de l’inimitié, le « corps nocturne de la démocratie », qu’il voit partout se répandre, sur tous les continents, dans ses formes les plus dangereuses, ses traits les plus noirs, ceux qu’avait révélés déjà le système colonial : principe d’égalité battu en brèche, frontières et enclos érigés, racisme et expulsions, prédations… A contempler le monde d’aujourd’hui, la guerre menée contre l’Autre – dehors et à l’intérieur du territoire – semble en effet devenue le « phar- makon » de notre époque, sa solution et son poison. Telle quelle, elle nous conduit tout droit à la « sortie de la démocratie », démocratie que l’on détruit, souligne le philosophe, sous prétexte de la sauver (suspension des droits, des libertés, des Constitutions…). Cette logique de « l’inimitié », Mbembe veut la faire surgir et l’exhiber dans toute sa monstruosité, nous la mettre sous les yeux. Il entend la démasquer, en somme, empruntant à Frantz Fanon son cheminement entre les paradoxes de la violence. Au terme de ce bref essai, percutant, c’est de l’aveu de « l’extrême fragilité de tous » qu’il est question. De tous et du Tout, « à commencer par l’idée du “Tout-Monde” dont Edouard Glissant, récemment, s’était fait le poète ». p j. cl. politiques de l’inimitié, d’Achille Mbembe, La Découverte, 184 p., 16 €. ED ALCOCK/M.Y.O.P. « le passant », par excellence, celui chez qui la marche est une figure récurrente de la réflexion, celui qui déjoue le piège des identités : « Lorsqu’on voit toutes les logiques de fermetures, de clôtures, historiques et contemporaines, le désir de séparation qui fait partie intégrante du moment contemporain, la prolifération des camps, la figure du passant est un petit courant d’air poétique qui permet d’aérer un peu, de redonner du mouvement. » Quand on lui demande alors s’il n’est pas lui-même un passant, Achille Mbembe, placide, presque impassible le reste du temps, éclate de rire, sans que l’on parvienne à déterminer s’il ne s’agit que de modestie froissée à l’idée de la comparaison. Le penseur passe pourtant de lieu en lieu . Dans Sortir de la grande nuit, il raconte ses « trajectoires » : du village africain à la découverte d’« un vieux pays orgueilleux, conscient de son histoire », la France, dont il dévore « les archives du savoir ». Puis l’arrivée à New York qui, si elle fut galvanisante, n’était pas l’accomplissement d’un projet de longue date : « Comme beaucoup d’autres, comme Mamadou Diouf ou Souleymane Bachir Diagne, les grandes universités sont venues me chercher, nous dit-il. Les Etats-Unis ne faisaient pas partie de mon horizon mental. » Il y a ensuite le désir de vivre et de travailler en Afrique, à Dakar d’abord, puis à Johannesburg. Ce passant Mbembe est aussi celui qui traverse le mur des disciplines : historien se faisant philosophe, professeur de sciences politiques devenu théoricien. Ses livres, scandés de métaphores et de futurs prophétiques, retrouvent l’allant du marcheur, et ouvrent des chemins peu empruntés. On en ferait à tort un chef de file des études post-coloniales. Il les découvre à la fin des années 1980 mais ne s’y engouffre pas. Depuis De la postcolonie (Khartala, 2000), il creuse en d’autres termes les voies du passage de la domination à l’état de sujet, refusant la fétichisation des catégories de la « différence » et de l’« altérité », évitant aussi toute position victimaire à l’égard de l’Europe. Le Vieux Continent a cessé d’être le centre du monde – il résiste mais son destin est joué, assène-t-il souvent sans ménagement – et ce simple fait est une immense opportunité pour penser autrement l’humanité. S’il fallait dégager quelques bornes conceptuelles pour s’orienter dans la pensée de Mbembe, il faudrait regarder comment, déjà dans Sortir de la grande nuit, il congédie l’universel, qui a trop longtemps servi de paravent à l’idéologie du nationalisme, pour faire entrer l’« en-commun », lequel suppose un rapport de « co-appartenance entre de multiples singularités ». Le faire entrer, cet « en-commun », et advenir, voilà l’horizon. L’« éthique du passant » n’est qu’une des formes de cet humanisme refondé, « expérience de présence et d’écart, de solidarité et de détachement, mais jamais d’indifférence ». Ce nouveau nomade est celui à qui sera octroyé le droit de séjourner, sans visa, là où sur la Terre la vie le conduit. Celui qui s’oppose de tout son être à un monde hérissé de frontières. S’il est aujourd’hui l’objet de haines, comme toutes les figures du cosmopolitisme, si l’acrimonie à son égard n’a jamais été aussi forte, c’est que selon Mbembe la « face nocturne » de la démocratie a mangé toute la lumière. Politiques de l’inimitié porte le fer – et c’est peu de dire qu’il est tranchant – contre nos démocraties libérales, encore lestées de leur héritage colonial : « Démocratie, plantation et empire colonial font objectivement partie d’une même matrice historique, y écrit-il. Ce fait originaire et structurant est au cœur de toute compréhension historique de la violence de l’ordre mondial contemporain. » Il faudrait pouvoir en finir enfin avec la race, le Nègre, l’ici et l’ailleurs, avec la colonie, le camp et la prison. Mais c’est l’inverse qui se produit : « Le temps est en effet loin d’être à la raison. » La charge est si violente qu’on s’interroge : y a-t-il un au-delà de nos démocraties ? Sans doute, mais il n’existe certainement pas un au-delà de « la » démocratie. « J’essaie de voir comment on peut redonner une chance à la démocratie », dit celui pour qui, dans ses formes actuelles, elle agonise : « La pulsion fasciste, le désir d’autorité, est sensible dans un tas de mouvements qu’on dit populistes. Y répond à gauche le désir d’insurrection. Voyez les Américains et la campagne de Trump : ils sont fatigués de la démocratie. » Tout est donc à faire – et à ouvrir. La puissance lazaréenne de l’écriture EXTRAIT « L’on s’offusque qu’une police d’un autre ordre nous prive du droit de rire, du droit à un humour qui n’est jamais dirigé contre soimême (autodérision) ou contre les puissants (la satyre en particulier), mais toujours contre plus faible que soi – le droit de rire aux dépens de celui que l’on cherche à stigmatiser. Le nanoracisme hilare et échevelé, tout à fait idiot, qui prend plaisir à se vautrer dans l’ignorance, revendique le droit à la bêtise et à la violence qu’elle fonde – tel est donc l’esprit du temps. Et il faut craindre que le basculement ait déjà eu lieu. Qu’il ne soit trop tard. Et qu’au fond, le rêve d’une société décente ne soit plus qu’un mirage. (…) Le racisme preux et gaillard sera désormais notre accoutrement et, à cause de lui, la sourde rébellion contre la société se fera de plus en plus ouverte et de plus en plus véhémente, du moins de la part des reclus. » politiques de l’inimitié, page 87 d’Achille Mbembe semble précéder ce mouvement auquel il aspire. Se lever et marcher. Continuer d’emprunter à Fanon sa « voix déchirée de part en part ». Au moment où l’on termine la lecture du précédent ouvrage, Critique de la raison nègre, on entend sur les ondes que des soldats turcs auraient tiré sur des migrants à la frontière syrienne. Une phrase nous revient à l’esprit : « Ce qui nous est de plus en plus commun, c’est désormais la proximité du lointain. » Il n’y a qu’un seul monde, et il ressemble à celui-là. p
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