4 EGYPTOMANIA MANIANE EGYPTO S DE L’ÉGYPT E ANCIEN NOUVELLE COLLECTION LES TRÉSOR / Rahotep et Néphret L’Égypte avant les pharaons Les mastabas de Saqqarah Art et artisanat L’Égypte avant les pharaons / Saqqarah / Art et artisanat Rahotep et Néphret EGYPTOMANIA LES TRÉSORS DE L’ÉGYPTE ANCIENNE N° 4 SAQQARAH/ RAHOTEP ET NEPHRET € 7,99 16/12/15 19:16 EN VENTE UNIQUEMENT EN FR ANCE MÉ TROPOLITAINE Vendredi 5 février 2016 72e année No 22101 2,40 € France métropolitaine www.lemonde.fr ― Fondateur : Hubert BeuveMéry Directeur : Jérôme Fenoglio Déchéance : la droite désormais aussi divisée que la gauche ▶ François Fillon a pris ▶ L’ancien premier minis ▶ Jacques Toubon, ▶ Le chef de l’Etat s’est lui la tête de l’opposition à la révision de la Constitution et dit compter sur le sou tien de 130 parlementaires tre entend profiter de l’échec, devenu probable, du débat sur la déchéance qui s’ouvre à l’Assemblée le défenseur des droits, voit dans les projets du gouvernement « un abais sement de l’Etat de droit » refusé à bouleverser l’or ganisation des services de renseignement Benjamin Millepied sur le départ de l’Opéra → LIRE P. 7, 8, 10 ET 1 ▶ Hitler, Goeb bels, Eichmann… Origine et origi nalité du mal ▶ Rencontre avec Marie Redonnet après une crise de création de dix ans ▶ Stéphane Le Foll demande à Bruxelles des « mesures européennes » pour aider les secteurs laitier et porcin → LIR E LE C A HIE R É CO PAGE 3 L e service de presse de l’Opéra national de Paris ne trouve pas les mots pour dire le cataclysme qui tombe sur l’institution pari sienne. Amplifié par un article de Paris Match, mis en ligne le 3 février au soir, le bruit court que Benjamin Millepied quitte rait son poste de directeur de la danse à l’Opéra national de Paris, qu’il occupait depuis le 1er no vembre 2014. Une conférence de presse de Stéphane Lissner, di recteur de l’Opéra de Paris, doit avoir lieu jeudi 4 février, à 15 heures, au Palais Garnier. Une heure auparavant, une an nonce officielle sera faite auprès des danseurs. « On a appris par la presse que Millepied allait quitter la compagnie, a déclaré le dan seur étoile Karl Paquette. Mais on pressentait des choses depuis quelque temps. » « L’ambiance était houleuse depuis décembre et ne s’était pas arrangée », ajoute l’étoile Stéphane Bullion. → LIR E ALEP ENCERCLÉE, LES NÉGOCIATIONS AU POINT MORT LE REGARD DE PLANTU S U P P LÉ M ENT TERRORISME 11 700 SUSPECTS SOUS SURVEILLANCE ÉLECTRONIQUE → LIR E PAGE 1 0 FINANCES PUBLIQUES DÉFICIT : BRUXELLES NE CROIT TOUJOURS PAS AUX PROMESSES DE LA FRANCE Des paysans bloquent la préfecture d’Eureet-Loir, à Chartres, le 2 février. rosita boisseau → LIR E L A S U IT E PAGE 1 5 SYRIE « GLOIRE TARDIVE », INÉDIT EN OR DE SCHNITZLER ÉDITORIAL P. 19 La colère des éleveurs CULTURE LE MONDE DES LIVRES → LIR E JEAN-FRANÇOIS MONIER/AFP L es obstacles aux pourparlers à Genève entre le régime et l’opposition syrienne sont devenus insurmontables, et l’émissaire spécial des Na tions unies, Staffan de Mistura, a annoncé mercredi 3 février qu’ils étaient suspendus jusqu’au 25 février. Non seulement Damas n’a concédé aucune me sure humanitaire, mais le régime a lancé lundi un assaut, avec l’appui de l’aviation russe, sur Alep, la capitale économique du nordest de Syrie sous le contrôle des rebelles. Cette attaque « a clairement montré le désir de chercher une solution militaire plu- tôt que de permettre une solution politique », a re gretté John Kerry, le secrétaire d’Etat américain. Les acteurs de la crise syrienne doivent se retrou ver jeudi à la conférence des donateurs à Londres, avant une nouvelle réunion le 11 février avec le Con seil de sécurité. M. de Mistura a exhorté les deux parties à régler les points en suspens et créer les con ditions d’un cessezlefeu. L’opposition au régime entend au préalable obtenir la mise à l’écart de Ba char AlAssad du processus politique. → LIR E LE C A HIE R É CO PAGE 4 « C’est à vous que je veux parler. » Nicolas SARKOZY PAGE 4 E T L A C HR ONIQU E PAGE 1 9 DÉBATS KAMEL DAOUD : CE QUE COLOGNE DIT DU SEXISME DANS LE MONDE ARABO-MUSULMAN → LIR E PAGE 1 2 SCIENCES VIVRE PLUS LONGTEMPS EN TUANT LES VIEILLES CELLULES → LIR E N°1 DES VENTES* DEPUIS SA PARUTION PLON www.plon.fr DISPONIBLE EN LIBRAIRIE ET EN NUMÉRIQUE ./=,#*"87/2 2/4 ; !788@#2 <>9 2#:&=8# $/ '% &/ +3-03-'03( 6#21=:&1=78)5 PAGE 6 Algérie 200 DA, Allemagne 2,80 €, Andorre 2,60 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,40 €, Cameroun 2 000 F CFA, Canada 4,75 $, Côte d'Ivoire 2 000 F CFA, Danemark 32 KRD, Espagne 2,70 €, Espagne Canaries 2,90 €, Gabon 2 000 F CFA, Grande-Bretagne 2,00 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique 2,60 €, Guyane 3,00 €, Hongrie 990 HUF, Irlande 2,70 €, Italie 2,70 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,40 €, Malte 2,70 €, Maroc 15 DH, Pays-Bas 2,80 €, Portugal cont. 2,70 €, La Réunion 2,60 €, Sénégal 2 000 F CFA, Slovénie 2,70 €, Saint-Martin 3,00 €, Suisse 3,60 CHF, TOM Avion 480 XPF, Tunisie 2,80 DT, Turquie 11,50 TL, Afrique CFA autres 2 000 F CFA 2 | international 0123 VENDREDI 5 FÉVRIER 2016 DEUX ANS APRÈS MAÏDAN A Kiev, le poison de la corruption au sommet Le président Porochenko et son premier ministre Iatseniouk font perdurer les vieilles pratiques kiev - envoyé spécial L’ homme le plus honni d’Ukraine a le visage dé bonnaire de l’apparat chik satisfait. Viktor Chokine a commencé sa carrière à l’époque de l’Union soviétique, gravissant patiemment les échelons jusqu’à devenir, il y a un an, procureur général du pays. L’institution qu’il dirige est particulièrement puissante, disposant du pouvoir d’ouvrir ou de fermer à loisir n’importe quelle procédure pénale ou civile. Pendant vingt ans, la procurature « a été utilisée comme un supermarché », explique Daria Kaleniouk, du Centre d’action contre la corruption : « N’importe quel dirigeant politique ou homme d’affaires puissant peut payer pour obtenir des poursuites contre un concurrent. » Une loi d’octobre 2015 a légèrement rogné ces pouvoirs, mais sans réellement changer la donne. Il faut dire que M. Chokine a tout fait, depuis un an, pour saboter toute tentative de réforme. Les concours ouverts pour remplacer les 174 procureurs locaux par des nouveaux venus n’ont guère conduit à un renouvellement des cadres : 84 % des procureurs sortants ont été reconduits, les 16 % restants étant d’anciens procureurs. Aucun « outsider » n’a été retenu par la commission dirigée par… le procureur général lui-même. « Viktor Chokine est directement responsable des échecs de la réforme et du manque de résultats dans la lutte contre la corruption », accuse son propre numéro deux, Vitali Kasko, un ancien avocat d’affaires qui a rejoint la fonction publique dans la foulée de la révolution, et qui a, depuis, « perdu beaucoup d’illusions ». La controverse sur le procureur général – qui refuse les interviews – va au-delà du simple cas Chokine. L’homme est un allié et un ami de longue date du président ukrainien, Petro Porochenko, qui l’a nommé à ce poste. Ni l’immense grogne populaire contre le procureur général ni les pressions du vice-président américain Joe Biden, qui avait fait de son éviction la priorité de sa visite à Kiev, mi-décembre, n’ont fait plier le président. « Porochenko aurait trop peur qu’un autre groupe politique s’empare du poste, explique le politologue Volodymyr Fessenko, et il ne conçoit tout simplement pas l’idée d’une justice indépendante. En plus d’être un homme d’affaires important, le président appartient au système politique depuis vingt ans. » L’acharnement de M. Porochenko à conserver son fidèle procureur général vient s’ajouter à la liste des petits et grands renoncements du pouvoir ukrainien dans l’un des dossiers sur lesquels il est le plus attendu : la lutte contre la corruption. Deux ans après la révolution de Maïdan, largement motivée par le désir de mettre à bas le système de clans et de connivences politicofinancières, un constat nouveau s’impose à Kiev : celui que le sommet de l’Etat – président, premier ministre, Parlement – n’est plus guère un moteur pour la réforme, mais une source d’obstructions. Les signaux négatifs se sont accumulés ces derniers mois, jusqu’à la démission surprise, mercredi 3 février, du ministre de l’économie, Aivaras Abromavicius, l’un des réformateurs les plus déterminés de l’équipe gouvernementale. « N’importe quel homme d’affaires peut payer pour obtenir des poursuites contre un concurrent » DARIA KALENIOUK Centre d’action contre la corruption Le président ukrainien, Petro Porochenko, et son premier ministre, Arseni Iatseniouk, à Kiev, le 13 février 2015. VLADIMIR SHTANKO/ ANADOLU AGENCY En annonçant son départ, ce jeune ministre d’origine lituanienne a dénoncé une « intensification des tentatives de blocage des réformes », allant jusqu’à se plaindre de « mesures actives visant à paralyser [leur] travail ». Il a notamment accusé un homme, Igor Kononenko, membre important du Parlement et de sa commission de l’énergie, d’avoir tenté d’imposer des personnes « douteuses » à des postesclés dans les entreprises publiques et au sein de son ministère. Système sclérosé M. Kononenko est lui aussi un partenaire et un ami de longue date du président Porochenko. Il est emblématique des nouvelles « éminences grises » du pouvoir – députés, hauts fonctionnaires ou simples hommes d’affaires qui se sont arrogé une influence considérable à la croisée des mondes poli- tique et financier, grignotant des positions aux anciens oligarques en perte de vitesse. Grâce à leurs liens avec le pouvoir, ces hommes contrôlent des myriades d’entreprises publiques, principalement dans le secteur très juteux de l’énergie. Le premier ministre, Arseni Iatseniouk, lui, a dû sacrifier son ami Nikolaï Martynenko, le poussant à abandonner son poste de député, mais uniquement après que les justices suisse et tchèque se sont intéressées à son cas. « Dans l’esprit des Occidentaux, Porochenko et Iatseniouk devaient se contrôler mutuellement. A la place, il y a eu entre eux une distribution d’influence », explique Sergueï Lechtchenko, un journaliste d’investigation devenu député du parti présidentiel. A demi-mot et sous couvert d’anonymat, un très proche collaborateur du président reconnaît que ces circuits financiers opaques servent notamment à financer l’action des dirigeants du pays : « Tant que le financement de la vie politique n’aura pas été assaini, de telles choses resteront inévitables. Nous appartenons évidemment à ce système, et cela prendra du temps pour le changer. Ce n’est pas une question de personnes. » Le constat est largement partagé : le système politique ukrainien est si sclérosé et les institutions de l’Etat si faibles qu’il est presque impossible d’exercer le pouvoir hors des schémas opaques où se nichent les véritables leviers de pouvoir. « C’était infiniment plus facile d’assurer la transition entre communisme et capitalisme que de mettre à bas le système oligarchique corrompu actuel », assure même le politologue Volodymyr Fessenko. Il n’en reste pas moins que la tendance est mauvaise. Après la dé- mission de M. Abromavicius, les ambassadeurs de dix pays, dont la France et les Etats-Unis, ont dit leur déception et appelé les dirigeants ukrainiens à « mettre les intérêts du pays au-dessus des leurs ». « Il n’y a pas d’appropriation de la réforme, regrette, en privé, un diplomate européen en poste à Kiev. Dès que la pression occidentale se relâche, ou que les caisses de l’Etat ukrainien se remplissent un peu, l’effort est oublié. » En d’autres termes, la carotte des crédits, dont les versements sont conditionnés à l’adoption de réformes précises, s’avère plus efficace que la seule volonté politique des dirigeants. Début janvier, ce diplomate a découvert avec stupeur le résultat d’une drôle de manœuvre menée par quelques députés ukrainiens, dans la discrétion d’un 24 décembre, pour retarder d’un an l’entrée en vigueur d’une mesure obligeant La difficile tâche de la réformatrice Natalie Jaresko La ministre des finances a remis de l’ordre dans les secteurs de l’énergie et de la banque, mais sa réforme fiscale suscite des résistances D ure journée pour Natalie Jaresko. La ministre ukrainienne des finances a préféré ne pas s’exprimer publiquement, mercredi 3 février, sur la démission de son collègue de l’économie, Aivaras Abromavicius, mais ce n’est un secret pour personne à Kiev : à la tête du groupe des réformateurs au gouvernement, elle travaillait étroitement avec lui. Tous deux ont en commun d’être extérieurs à ce système : M. Abromavicius est lituanien et Mme Jaresko américaine, née il y a cinquante ans à Chicago de parents immigrés d’Ukraine. En annonçant sa démission, mercredi, M. Abromavicius a cité un nom : Igor Kononenko. Ce député, proche du président, est connu à Kiev comme l’un des obstacles à la lutte anticorruption ; lorsque nous l’avons mentionné devant Mme Jaresko, au cours de l’entretien qu’elle nous avait accordé au Forum économique de Davos, à la mi-janvier, elle n’a pu réprimer un regard exaspéré : « Ecoutez, nous sommes tous frustrés. Et c’est bien d’être frustré. Tout le monde veut aller plus vite, c’est incontestable. C’est un poison. C’est la chose essentielle qu’il faut combattre. » Forte d’une expérience dans la finance, l’administration américaine et les institutions internationales, Natalie Jaresko semble déterminée à continuer le combat. Il lui faut décrocher la troisième tranche des crédits du FMI, en février. Les obstacles ne l’em- pêchent pas de vanter un bilan impressionnant : un déficit budgétaire ramené de 10 % à 3,7 % en 2016, « une transformation historique du secteur énergétique » et « un système bancaire nettoyé ». « Nous avons fait plus de réformes en dix-huit mois qu’en vingt-trois ans », répète-t-elle – et c’est vrai. Transparence Le secteur énergétique en particulier, note la ministre, était marqué par « une inefficacité massive, un désastre financier avec une corruption énorme, et une dépendance totale vis-à-vis de Gazprom [le géant gazier russe] ». Le déficit de 10 milliards de dollars de Naftogaz, le conglomérat d’Etat ukrainien, a été réduit à zéro. L’augmentation de 450 % des prix du gaz à la consommation a beaucoup aidé, accompagnée d’un programme de subventions pour les ménages les plus défavorisés et de mesures d’efficacité énergétique. Résultat, la consommation de gaz en Ukraine a baissé de 30 % – en partie aussi en raison de l’arrêt de l’activité industrielle dans le Donbass. L’approvisionnement a été « Nous avons fait plus de réformes en dix-huit mois qu’en vingt-trois ans » NATALIE JARESKO ministre des finances diversifié : désormais, 60 % du gaz vient d’Europe et 40 % de Russie. L’Ukraine avait beaucoup trop de banques : plus de 160. « Le gouverneur de la Banque centrale a nettoyé tout ça : en un an, une soixantaine de mauvaises banques ont été sorties du système », précise-t-elle. Mais l’une des choses dont la ministre est la plus fière, c’est l’introduction de la transparence pour « réduire l’espace de la corruption » : désormais, « tout le Trésor est en ligne » et l’Etat fait ses achats sur Internet. Moins il y a de contact humain, moins il y a d’occasions de pots-de-vin. « Est-ce qu’on a fait beaucoup ? Oui. Est-ce que c’est assez ? Non !, admet Natalie Jaresko. Bien sûr, on se heurte à de la résistance dès que l’on s’attaque aux intérêts personnels ! J’ai proposé une réforme des impôts l’an dernier, elle n’a pas été adoptée. Pourquoi ? Parce qu’elle était centrée sur l’élimination de l’évasion fiscale et l’élargissement de la base fiscale. Nous avons une grosse économie parallèle. Mais élargir la base fiscale, cela veut dire éliminer des privilèges… » Ce qui manque encore cruellement, dit-elle, c’est la réforme du système judiciaire. Il faut, « pratiquement, limoger tout le monde, recruter, et former les recrues avec d’autres standards. Parce qu’au bout du compte, pour gagner la bataille contre la corruption, il faut des tribunaux. Et des condamnations. Pour que les gens, enfin, aient peur de violer la loi ». p sylvie kauffmann international | 3 0123 VENDREDI 5 FÉVRIER 2016 « Brexit » : Varsovie s’accommode des concessions faites à Cameron La Pologne cherche à défendre ses ressortissants installés au Royaume-Uni varsovie - envoyés spéciaux L les officiels ukrainiens – responsa bles politiques et hauts fonction naires – à déclarer en ligne et en temps réel leur patrimoine et leurs dépenses importantes. L’épisode a valu aux autorités ukrainiennes un sévère rappel à l’ordre de l’Union européenne, qui avait fait de cette mesure l’une des conditions de l’octroi à l’Ukraine d’un régime sans visa avec l’espace Schengen. « La corruption a légèrement baissé simplement parce qu’il y a moins d’argent » « Jamais de condamnations » « Il n’y a pas au sommet de l’Etat de plan concerté pour bloquer la lutte anticorruption, tempère Denys Bigus, un autre journaliste d’investigation, et l’avidité des nouveaux dirigeants n’a rien à voir avec celle des précédents. Mais, dès que leurs intérêts sont concernés, c’est l’exception qui l’emporte, pas la règle. » Pour le journaliste, la situation évolue malgré tout : « Nous sommes devenus l’un des pays les plus transparents d’Europe, et les journalistes sortent sans cesse de nouvelles affaires. Mais le problème est que ces scandales aboutissent parfois à des démissions, mais jamais à des condamnations. » En deux ans, aucun « gros poisson » du monde politique ou des affaires n’a été condamné dans une affaire de corruption. Même les enquêtes contre les caciques de l’ère Ianoukovitch, l’ancien président renversé par la révolution, sont menées sans zèle. Le très attendu Bureau national anticorruption n’a été mis en place qu’en octobre 2015, après des mois de tergiversations, et il a fallu la venue de M. Biden pour que son procureur spécial soit enfin nommé. Résultat, seuls 7 % des Ukrainiens, selon un sondage mené par l’institut américain IFES, se disent satisfaits de la lutte anticorruption. Le bilan dressé par le monde des affaires est à peine plus flatteur : « La corruption a légèrement baissé tout simplement parce qu’il y a moins d’argent, explique Sergueï Fursa, analyste au sein de la banque d’investissement Dragon Capital, et parce que l’avidité des fonctionnaires n’a rien à voir avec ce qu’elle était sous l’ère Ianoukovitch. Mais, sur le fond, le système n’a pas changé. » « Plus a été fait en deux ans que lors des vingt-cinq années précédentes », nuance un autre diplomate européen, citant les dossiers dans lesquels le couple exécutif a obtenu des résultats : réforme de la police, de l’armée, dérégulation ambitieuse, réforme bancaire, sauvetage financier du pays, décentralisation… « Il est encore trop tôt pour savoir si les difficultés actuelles constituent l’écume de grands changements, ou si les dirigeants de l’après-Maïdan rejoindront dans l’histoire les réformateurs ratés de la révolution orange. » p es responsables polonais ont fait profil bas sur les concessions faites au premier ministre britannique, David Cameron, pour espérer obtenir un oui au référendum sur le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne. Le préaccord en ce sens, dévoilé mardi 2 février à Bruxelles, va pourtant ouvrir une brèche inédite en matière de libre circulation des travailleurs, puisqu’il va permettre de réduire les prestations sociales dont les ressortissants européens pourront bénéficier outre-Manche. La prudence des réactions indique que la Pologne est prête au compromis afin de ne pas froisser son « allié » britannique, avec qui le gouvernement nationaliste au pouvoir à Varsovie partage la vision d’une Europe de nations souveraines. Après avoir défendu avec virulence les droits sociaux des plus de 700 000 Polonais déjà installés au Royaume-Uni, la plupart des responsables estiment qu’ils ont sauvé l’essentiel : « Ces propositions ne s’appliqueront pas aux Polonais vivant déjà au RoyaumeUni », s’est félicité le ministre des affaires étrangères, Witold Waszczykowski. Le « frein d’urgence » évoqué dans l’accord permettrait au Royaume-Uni de suspendre temporairement le versement des prestations aux seuls nouveaux travailleurs venant de l’UE. Cependant, le gouvernement polonais veille à donner l’impression qu’il peut améliorer l’accord, avant que celui-ci ne soit entériné par les chefs d’Etat et de gouvernement européens lors du sommet des 17 et 18 février, à moins d’un blocage. De passage à l’Elysée, mercredi 3 février, la première ministre, Beata Szydlo, a rappelé que « des questions restent ouvertes ». Mais François Hollande a été clair : « Au Conseil européen, il ne pourra « Il ne pourra pas y avoir de nouveaux ajustements au Conseil européen » FRANÇOIS HOLLANDE pas y avoir de nouveaux ajustements. Il y aura quelques rectifications si c’est nécessaire. Il ne peut pas y avoir de nouvelles négociations. » Un message qui s’adressait davantage à David Cameron – qui estime qu’« il reste beaucoup de travail » après l’accueil glacial de la presse et des eurosceptiques – qu’à la première ministre polonaise. « Il n’est pas question que [M. Cameron] arrive au conseil avec d’autres demandes », laisset-on entendre à l’Elysée. Après Paris, Mme Szydlo est partie pour Londres à la rencontre des Polonais du royaume et pour participer à une conférence des donateurs sur la Syrie, jeudi, où seront présents le président du Conseil européen, Donald Tusk, et M. Cameron. Ce dernier devrait aussi se rendre à Varsovie vendredi pour expliquer les concessions qu’il a obtenues. Inquiétudes de l’opposition Le point le plus délicat porte sur la limitation des allocations familiales versées à des parents résidant au Royaume-Uni pour des enfants vivant dans un autre pays de l’UE. Bruxelles propose un système de modulation liée au niveau de vie du pays concerné : en d’autres termes, les enfants vivant en Pologne – où le salaire moyen est de 700 euros – d’un travailleur polonais de Londres recevraient moins que les enfants vivant dans des pays plus riches. Le gouvernement est resté discret sur cette question, mais l’opposition s’inquiète. Grzegorz Schetyna, le nouveau président de la Plate-forme civique et ancien ministre des affaires étrangères, s’en est offusqué : « Nous ne pouvons pas accepter des solutions qui pourraient discriminer des Polonais légalement employés en Grande-Bretagne. S’ils payent leurs impôts comme des citoyens britanniques, ils devraient pouvoir bénéficier des mêmes droits. Le lieu de résidence des enfants ne devrait pas ici avoir d’importance. » Le gouvernement polonais est embarrassé, car il a besoin de Londres dans le combat qui l’oppose par ailleurs aux autorités et capitales européennes, au sujet de la procédure de sauvegarde de l’Etat de droit engagée par la Commission, après des lois sur la justice et les médias qui suscitent de très vives inquiétudes. Le parti au pouvoir, Droit et justice, est membre du même groupe que les tories britanniques au Parlement européen et partage la même vision d’une « union de nations libres et d’Etats égaux », comme l’a rappelé M. Waszczykowski lors de son discours de politique étrangère au Parlement le 29 janvier. D’ailleurs, Varsovie est satisfait par les autres concessions obtenues par M. Cameron pour permettre à une majorité de Parlements nationaux de contester de nouvelles législations européennes et donner la possibilité d’un droit de regard (sans possibilité de veto) sur des décisions de la zone euro pour des pays qui n’en font pas partie. « Il y a des éléments intéressants pour le gouvernement polonais, se réjouit Marek Magierowski, chef du service de presse du président de la République, Andrzej Duda. Les pays membres de la zone euro ne pourront pas prendre de décisions qui s’imposent aux autres pays de l’UE. Le projet porte un coup dur aux fédéralistes européens, qui ne pourront pas nous imposer une intégration politique. » « On est près d’un compromis, car le gouvernement polonais ne peut pas faire échouer un accord entre l’UE et Londres », explique Piotr Buras, directeur du Centre européen de relations internationales à Varsovie. « Le Royaume-Uni est notre allié européen qui comprend le mieux la situation géopolitique européenne et le vrai danger que constitue la Russie », confirme Marek Magierowski. Lors d’une visite début janvier à Londres, le ministre des affaires étrangères avait laissé entendre – avant de démentir – que la Pologne était prête à des concessions en échange d’un soutien britannique à l’installation sur son territoire d’une base de l’OTAN, dont ne veulent pas entendre parler les Etats-Unis ni de nombreux autres membres de l’Alliance atlantique. p Boris Johnson votera-t-il oui ou non ? Boris Johnson, le maire conservateur de Londres, a interpellé David Cameron lors d’un débat à la Chambre des communes, mercredi 3 février, sur le sérieux des réformes convenues la veille avec Bruxelles. Tandis que la bataille fait rage dans les rangs conservateurs à ce sujet, la question ne ressemblait pas à cet adepte des saillies humoristiques : « De quelle manière la négociation [sur les réformes de l’UE voulues par M. Cameron] va-t-elle faire diminuer le nombre de lois venant de Bruxelles ? » David Cameron lui a répondu sur le même mode, mais personne ne sait encore si Boris Johnson mènera campagne pour ou contre le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne. SERGUEÏ FURSA © A di Crollalanza analyste chez Dragon Capital benoît vitkine Dominique Strauss-Kahn recruté par un oligarque ukrainien L’ancien patron du Fonds monétaire international, Dominique Strauss-Kahn, a intégré le conseil de surveillance de la banque Crédit Dniepr du milliardaire ukrainien Viktor Pintchouk, a annoncé celle-ci mercredi 3 février. M. Pintchouk, deuxième homme le plus riche d’Ukraine et gendre de l’ex-président Léonid Koutchma, est un ami de M. Strauss-Kahn. L’ex-ministre français est également membre des instances dirigeantes d’une banque russe liée au géant pétrolier Rosneft. alain salles (avec jakub iwaniuk) « Le livre que j’attendais endais depuis trente ans. » Fethi Benslama, L’Obs « Un livre important, qui mérite d’être lu et débattu. » Edwy Plenel, Médiapart « Le livre de Jean Birnbaum est une très bonne nouvelle, le signe que les yeux s’ouvrent enin. » Franz-Olivier Giesbert, Le Point 4 | international 0123 VENDREDI 5 FÉVRIER 2016 Les pourparlers de paix sur la Syrie suspendus Le régime, aidé par son allié russe, a encerclé les quartiers rebelles d’Alep à la faveur d’une violente offensive genève - envoyée spéciale S taffan de Mistura, l’émis saire spécial des Nations unies pour la Syrie, a dû se rendre à l’évidence. Les blocages qui ont empêché, dès le 29 janvier, le démarrage des pourparlers entre le régime et l’opposition syrienne à Genève sont devenus insurmontables dans un contexte d’offensive militaire généralisée du régime syrien et de son allié russe dans la région d’Alep. Mercredi 3 février, Staffan de Mistura a donc annoncé leur suspension jusqu’au 25 février. Le régime de Damas n’a concédé aucune des « mesures de confiance » humanitaires que le Haut Comité des négociations (HCN), qui regroupe l’opposition politique et militaire, réclamaient en préalable à des négociations sur la transition politique. Sous un tapis de bombes russes, les forces du régime de Bachar AlAssad et le Hezbollah libanais ont lancé lundi l’assaut sur Alep, la capitale économique dans le nordest de la Syrie, resserrant leur étau autour des quartiers sous le con- LE CONTEXTE PERCÉE L’armée syrienne, soutenue par l’aviation russe, a coupé, mercredi 3 février, la principale route d’approvisionnement reliant les quartiers insurgés d’Alep à la frontière turque. La deuxième ville du pays, est divisée depuis 2012 : l’ouest est contrôlé par le régime, l’est par les rebelles. POURPARLERS Prévus pour six mois, les pourparlers de Genève s’inscrivent dans la résolution 2254 votée par le Conseil de sécurité de l’ONU le 18 décembre. Ils visent la création d’un gouvernement de transition d’ici six mois, la rédaction d’une nouvelle Constitution et des élections dans dixhuit mois. trôle des rebelles. « Les bombardements russes ont assassiné ce processus, accuse Bassma Kodmani, membre de la délégation du HCN. Ce n’est pas seulement qu’on ne peut pas négocier dans ce contexte, mais on se demande quelle est l’intention des Russes, qui préparent cette opération depuis des semaines, et comment ils ont pu autant berner John Kerry », le secrétaire d’Etat américain. L’offensive militaire du régime a inévitablement durci la position de la délégation de l’opposition. « Au lieu d’une levée des sièges, on se retrouve avec la perspective d’un nouveau siège d’Alep », poursuit la politologue syrienne. « Couverture politique » « Le régime n’a cherché qu’à gagner du temps », a déploré le président du HCN, Riyad Hijab, l’accusant de vouloir à nouveau faire échouer le processus politique, deux ans après l’échec de Genève II, début 2014. La responsabilité de Damas et Moscou a aussi été pointée par les soutiens de l’opposition. « La poursuite de l’assaut des forces du régime syrien – renforcées par les frappes russes – contre des zones tenues par l’opposition (…) a clairement montré le désir de chercher une solution militaire plutôt que de permettre une solution politique », a accusé John Kerry. Le ministre français des affaires étrangères, Laurent Fabius, a soutenu la décision de suspendre des négociations « auxquelles ni le régime de Bachar Al-Assad ni ses soutiens ne souhaitent visiblement contribuer de bonne foi, torpillant ainsi les efforts de paix ». Staffan de Mistura s’est, pour sa part, abstenu de distribuer bons et mauvais points, soucieux de la neutralité que lui impose son rôle de médiateur. Son engagement à faire du « soulagement de la souffrance du peuple syrien » et de la mise en œuvre des « obligations humanitaires » sa « priorité » a toutefois été compris comme la reconnaissance du bien-fondé des demandes du HCN. « L’opposition ne peut-être critiquable en la matière. Les Nations unies ont identifié l’origine du problème. Tout le monde a compris, Fauteuils & Canapés Club Haut de Gamme SOLDES Fauteuil Clu b: 7 € Soldes selon les dates en vigueur. 90 - 890 € - 9 € 90 L’indémodable fauteuil CLUB , plus de 80 ans et toujours plus de succès ! Cuir mouton ciré, patiné, vieilli, suspension et ressorts. Plus de 30 modèles en exposition. 80, rue Claude-Bernard - 75005 PARIS Tél. : 01.45.35.08.69 www.decoractuel.com Riyad Hijab (à gauche), président du HCN, et Salem Al-Meslet, son porte-parole, le 3 février, à Genève. FABRICE COFFRINI/AFP même implicitement, que la Russie était visée », commente un diplomate occidental. L’émissaire onusien a émis une critique à peine voilée contre la délégation du régime, qui a refusé d’entamer des discussions sur l’application du volet humanitaire de la résolution 2254 de l’ONU sur la Syrie, tant que n’aurait pas été clarifiée la composition de la délégation du HCN, et tranchée la question d’ouvrir les pourparlers à une troisième délégation, plus proche des vues de Moscou et de Damas. « L’ONU ne peut simplement pas autoriser que de simples questions procédurales deviennent plus importantes que les conséquences de la situation humanitaire du peuple syrien (…) qui attendent qu’on leur apporte « Le régime n’a cherché qu’à gagner du temps » RIYAD HIJAB président du Haut Comité des négociations des choses concrètes », a-t-il déclaré. Le camp de Damas est resté sourd à ces accusations. Le chef de la délégation du régime, Bachar Al-Jaafari, a rejeté la responsabilité de la suspension des pourparlers sur l’opposition. Il a dénoncé une manœuvre de « couverture politique » de la part de l’émissaire onusien, pour masquer le retrait du HCN des négociations sur « instruction » de ses parrains régionaux, l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie. « Ce n’est ni la fin ni l’échec des pourparlers », a toutefois tenu à souligner Staffan de Mistura. Il a renvoyé la balle dans le camp du Conseil de sécurité et du Groupe de soutien international à la Syrie (IISG). Les acteurs régionaux et internationaux de la crise syrienne devaient se retrouver à la conférence des donateurs de Londres jeudi, avant une nouvelle réunion de l’ISSG à Munich, le 11 février. M. de Mistura les a exhortés à régler, pendant cette suspension des pourparlers de Genève, les « questions laissées en suspens » et à travailler à créer les conditions d’un cessez-le-feu. Escalade de la violence à Jérusalem Trois Palestiniens armés ont tué une garde-frontière israélienne jérusalem - correspondant U ne « escalade ». C’est ainsi que les responsables israéliens qualifient l’attaque mortelle organisée par trois Palestiniens, mardi 3 février, dans un lieu touristique, la porte de Damas, l’une des entrées de la vieille ville de Jérusalem. Une garde-frontière israélienne de 19 ans est morte. C’était son premier jour sur le terrain. Une collègue a été blessée. Les agresseurs ont été tués. Depuis le 1er octobre 2015, 26 Israéliens ont perdu la vie dans des attaques au couteau, à la voiture-bélier ou par arme à feu commises par des Palestiniens, qui, de leur côté, ont enregistré près de 160 victimes, en comptant les assaillants. Mais la particularité de l’opération de mardi, selon les autorités, réside dans son caractère prémédité et sophistiqué. A la différence des agressions impulsives au couteau, commises par des individus isolés, celle-ci aurait pu faire bien plus de victimes. Ses trois auteurs sont des Palestiniens originaires du nord de la Cisjordanie, deux de Qabatiya et le dernier de Jénine. Ils seraient entrés illégalement dans Jérusalem. Selon la police, ils étaient équipés de pistolets automatiques, de couteaux et de deux bombes artisanales, non activées. Une patrouille de gardes-frontières a repéré les individus et a décidé de procéder à un contrôle d’identité. Ils ont alors ouvert le feu, avant d’être abattus. « Les officiers de police ont empêché une attaque beaucoup plus large et combinée », a expliqué le chef adjoint de la police de Jérusalem, Avshalom Peled. A Gaza, le Hamas s’est félicité de cette opération « unique et héroïque », sans que sa responsabilité directe soit établie. « Vagues de terreur » Les experts de l’armée ont observé, depuis le début des violences, une double décrue : celle de la participation populaire aux rassemblements, aujourd’hui totalement négligeable ; celle du nombre d’attaques. En moyenne, en octobre, il y en avait trois par jour, puis deux en novembre-décembre. Depuis le début de l’année, c’était plutôt une seule. Mais en même temps, l’armée estime que le Hamas pourrait être tenté d’activer des militants en Cisjordanie avec un double objectif : déstabiliser l’Autorité palestinienne et revendiquer la primauté de cette nouvelle « résistance » à l’occupant. La violence « est là pour rester », a expliqué le général Nitzan Alon, chef de la direction des opérations, au cours d’une rencontre mardi à Tel-Aviv avec des journalistes étrangers. « Nous avons connu des vagues de terreur dans le passé (…). Je ne crois pas que celle-ci va s’arrêter dans un mois ou deux. » Depuis le début de la vague d’agressions, il y a quatre mois, l’état-major de l’armée a défendu des positions plutôt modérées par rapport à de nombreux responsables politiques, notamment de droite. Il a rejeté l’hypothèse d’un bouclage complet de la Cisjordanie, qui empêcherait 58 000 Palestiniens de se rendre en Israël pour travailler. Les tensions sociales et sécuritaires en seraient renforcées, estime-t-on. L’état-major a préféré adopter des mesures temporaires et ciblées. Lorsque les attaques se sont concentrées à Hébron, les points de contrôle ont été renforcés aux alentours. A la mi-janvier, quand des attaques ont eu lieu à l’intérieur de colonies, les travailleurs palestiniens n’ont pas pu accéder à leur emploi pendant quelques jours. p piotr smolar « Nous espérons qu’un cessez-lefeu est proche, mais il nécessite la mise en œuvre d’un processus politique en Syrie, qui ne peut se réaliser en la présence de Bachar Al-Assad », a insisté Riyad Hijab, le président du HCN. Les parrains des pourparlers de Genève sont tentés de lier les obligations humanitaires à la mise en œuvre d’un cessez-le-feu, s’inquiète un membre de l’opposition. La délégation du HCN « ne reviendra pas [à Genève] tant qu’elle n’aura pas constaté des changements sur le terrain, a prévenu M. Hijab. Le temps est venu pour le Conseil de sécurité et pour l’ensemble de la communauté internationale d’assumer leurs responsabilités et de porter secours au peuple syrien ». p hélène sallon ÉTATS - U N I S Donald Trump accuse Ted Cruz de « fraude » Le milliardaire Donald Trump a accusé de « fraude », mercredi 3 février, le sénateur Ted Cruz, gagnant du caucus républicains de l’Iowa,. Il a réclamé une nouvelle élection dans cet Etat qui était le premier à voter lors des primaires. Sur Twitter, l’homme d’affaires a publié une série de messages dans lesquels il explique que la victoire de M. Cruz est entachée d’irrégularités, accusant son adversaire d’avoir volontairement diffusé de fausses informations, trompant l’opinion publique sur son positionnement face à l’Obamacare ou annonçant le retrait d’un autre candidat. – (AFP.) ÉGY PT E La justice annule la condamnation à mort de 149 islamistes La Cour de cassation égyptienne a annulé, le 3 février, la peine de mort pour 149 personnes accusées du meurtre de 13 policiers en 2013, le jour même où les forces de l’ordre tuaient des centaines de manifestants réclamant le retour du président islamiste Mohamed Morsi. La haute juridiction a ordonné que les accusés soient rejugés par un autre tribunal, mais les motivations de l’arrêt n’ont pas été rendues publiques. – (AFP.) international | 5 0123 VENDREDI 5 FÉVRIER 2016 Le Vatican et la Chine en phase de rapprochement Le Saint-Siège et Pékin seraient tombés d’accord sur le mode d’ordination des évêques L e Vatican multiplie les gestes envers la Chine. Mardi 2 février, le pape François a envoyé un nouveau signal en chantant les louanges de la civilisation chinoise dans une interview publiée par le site Asia Times. Alors que les deux Etats n’entretiennent pas de relations diplomatiques, l’enjeu pourrait être, dans un premier temps, un accord sur le mode d’ordination des évêques, un point traditionnel de blocage. Le souverain pontife ne tarit pas d’éloges sur la Chine – « une grande culture, d’une sagesse inépuisable » – et se garde d’aborder frontalement les sujets qui fâchent, que ce soit les prêtres et évêques disparus ou assignés à résidence, ou la campagne de destruction des églises en cours dans la province du Zhejiang, dans l’est du pays. Il évoque toutefois les « erreurs » de la politique de l’enfant unique. Plus terre à terre, le porte-parole du ministère chinois des affaires étrangères, Lu Kang, a « pris note » de l’entretien, affirmant que la Chine a « toujours été sincère dans sa volonté d’améliorer les liens Chine-Vatican et a fait de nombreux efforts en ce sens ». « Ça a plu à la Chine », pense savoir Jeroom Heyndrickx, qui dirige une fondation destinée au rapprochement de l’Eglise avec la Chine à l’université de Louvain, en Belgique. Depuis Jean-Paul II, les papes ont envoyé leurs vœux avant le Nouvel An lunaire – qui tombe cette année le 8 février –, mais jamais un souverain pontife ne s’était exprimé aussi longuement. « Il y a quelque chose dans l’air », pense le père Jim Mulroney, qui dirige l’hebdomadaire catholique de Hongkong, The Sunday Examiner. Ce « quelque chose », selon le Corriere della Sera, est un accord actuellement en discussion sur la manière de désigner les évêques. Jusqu’à présent, l’organisation de l’Etat chinois chargée du catholicisme – Pékin rejette toute ingérence d’une puissance étrangère dans la vie spirituelle des Chinois, qu’il s’agit de contrôler de près – choisissait seule les candidats. Il arrivait que des évêques fidèles à Rome soient forcés à des ordinations contre leur volonté. Pourtant, dans les phases de réchauffement, la Chine s’assurait que les candidats avaient, en parallèle, reçu l’aval du Vatican. Politique des « petits pas » De discrets échanges ont eu lieu entre Rome et Pékin. Une délégation du Vatican a passé onze jours en Chine en octobre 2015. Ses émissaires y ont rencontré Ma Yinglin, qui est à la tête de la Conférence des évêques, le cœur de l’Eglise « illégale » chinoise. De leur côté, des envoyés de l’Administration d’Etat des affaires religieuses ont été reçus au SaintSiège les 25 et 26 janvier. A l’issue de ces discussions, un modus operandi se dessine : l’Eglise officielle chinoise proposerait quelques noms, le pape approuverait. L’HISTOIRE DU JOUR A la mosquée de Baltimore, Obama fustige les amalgames P rès d’un tiers des Américains (29 %), et 43 % des républicains, selon un sondage CNN de septembre 2015, restent persuadés que Barack Obama est musulman. Mercredi 3 février, le président américain a préféré en rire, en se rendant pour la première fois dans une mosquée américaine et en rappelant que Thomas Jefferson, le troisième président des EtatsUnis, avait, lui aussi, connu une telle accusation. « Je ne suis donc pas le premier et je suis en bonne compagnie ! » Il aura donc fallu sept ans à M. Obama pour fouler les tapis d’une mosquée. Le président américain s’est rendu au centre islamique de Baltimore (Maryland), discrètement niché dans les méandres d’une banlieue résidentielle de la ville, une visite particulièrement attendue par la communauté musulmane, d’autant que le climat d’islamophobie qui règne dans le pays a rarement été aussi pesant. Barack Obama a condamné avec insistance « les amalgames entre les actes horribles de terrorisme et une religion dans son ensemble » et fustigé, sans les nommer, certains candidats républicains à l’investiture pour l’élection présidentielle qui, ces dernières semaines, ont alimenté une « rhétori« VOUS N’ÊTES PAS que politique inexcusable contre les MUSULMANS OU musulmans américains ». Dans la foulée des attentats du AMÉRICAINS, VOUS 13 novembre à Paris, et de l’attaque de San Bernardino (Californie) le 2 déÊTES MUSULMANS cembre 2015, au cours de laquelle un ET AMÉRICAINS » couple de jeunes musulmans américano-pakistanais avait tué quatorze BARACK OBAMA personnes, Donald Trump s’était prononcé pour la fermeture des frontières aux musulmans. D’autres candidats républicains, tel Ted Cruz, s’étaient inquiétés de la présence de « terroristes » parmi les réfugiés syriens musulmans accueillis dans le pays. Un sondage du Pew Research center, publié mercredi, montre que 50 % des Américains souhaitent que leur prochain président évite les amalgames et ne critique pas l’islam « dans son ensemble » quand il est question de terrorisme islamique. Un appel à la prudence partagé par seulement 29 % des républicains mais 70 % des démocrates, ce qui montre à quel point la question de l’islam est devenue clivante. Dans ce climat, la visite de Barack Obama visait à conforter une minorité musulmane de quelque 2,7 millions de personnes (moins de 1 % de la population). Il a exhorté les jeunes à ne pas choisir entre leur « foi » et leur « patriotisme ». « Vous n’êtes pas musulmans ou américains, vous êtes musulmans et américains », a-t-il lancé sous les applaudissements, tout en souhaitant que soient mieux entendues les voix musulmanes qui « condamnent le terrorisme ». Il n’est pas sûr que ce discours suffise à rassurer les adversaires politiques de Barack Obama qui l’accusent d’islamophilie et le soupçonnent de ne pas avoir pris la mesure du danger porté par l’organisation Etat islamique. p stéphanie le bars (washington, correspondance) Les plus optimistes pensent qu’un tel compromis pourrait ouvrir la voie à une première visite papale en République populaire, même si le chemin reste long. François a déjà exprimé son envie de fouler ce sol. « Vous me demandez si je veux aller en Chine ? Certainement, même demain », avait-il répondu en survolant le pays de retour de Corée du Sud en 2014. Rome semble prêt à laisser les sujets plus épineux de côté pour trouver une solution au déficit actuel d’évêques, le poste demeurant vacant dans certains diocèses. « Il y a un souci pastoral : on ne peut laisser une église seule face à Pékin. Il faut faire quelque chose. Pour les nominations d’évêques, le Saint-Siège a toujours su s’accommoder d’un certain degré de collaboration avec les gouvernements », constate Régis Anouil, rédacteur en chef d’Eglises d’Asie, agence d’information des missions étrangères de Paris. « La Chine a beau dire que le Vatican n’est rien, l’Eglise reste une autorité forte » JEROOM HEYNDICKX prêtre belge Cette approche suscite l’opposition des partisans de la ligne dure, tels que l’évêque retraité de Hongkong, Joseph Zen, pour qui les évêques non reconnus par Rome doivent faire acte de repentir. Selon ce point de vue, pas question de compromis sans que Pékin cesse de harceler les communautés dites « souterraines », fidèles à Rome et contraintes de se réunir le plus discrètement possible, souvent dans des appartements. « Maintenant, même le Vatican les ignore dans les négociations », s’insurgeait le cardi- nal Zen dans une récente tribune. Pour François Mabille, professeur à l’Université catholique de Lille, la personnalité du pape explique en partie cette nouvelle approche diplomatique « faite de “petits pas”, résolument tournée vers l’avenir, estimant que chaque geste crée une situation nouvelle, préférable à une attitude intransigeante bloquée sur le passé ». Pour une puissance désireuse de reconnaissance sur la scène internationale, l’image du pape François est une opportunité. « La Chine a beau dire que le Vatican n’est rien pour elle, l’Eglise demeure une autorité forte dans le monde », analyse le père Heyndrickx. Le Saint-Siège est d’ailleurs le dernier Etat européen à reconnaître Taipei et non Pékin. Obtenir le basculement du Vatican constituerait à ce titre une victoire d’importance aux yeux du gouvernement chinois. p cécile chambraud et harold thibault LEXIQUE DIXIA JIAOHUI C’est le nom mandarin – traduit par « Eglise souterraine » – donné aux communautés de chrétiens chinois refusant l’autorité de l’Etat-parti sur leur vie religieuse, alors que Pékin maintient un net contrôle du clergé et de son message dans l’Eglise officielle. La pratique clandestine rend périlleuse toute estimation mais, selon les travaux du centre de recherche Pew, il y avait 67 millions de chrétiens en Chine en 2010, dont 58 millions de protestants et 9 millions de catholiques. 6 | science & planète 0123 VENDREDI 5 FÉVRIER 2016 Vivre plus longtemps en tuant les vieilles cellules L’espérance de vie de souris génétiquement modifiées a pu être augmentée de 30 % L e monde, c’est bien connu, est séparé en deux. Il y a les optimistes, qui ne manquent jamais une oc casion de rappeler les progrès presque incessants de l’espérance de vie. Et les pessimistes, prompts à rétorquer que, si le temps passé en bonne santé augmente, la durée de vie malade également ; et qu’en tout état de cause, progrès ou pas, chaque jour qui passe… nous rapproche de la mort. Pourtant, même eux devraient s’incliner devant les résultats spectaculaires publiés mercredi 3 février dans la revue Nature. Une équipe américaine, menée par Jan van Deursen, est en effet parvenue à prolonger de 30 % l’espérance de vie moyenne de souris en nettoyant leur organisme des cellules sénescentes. Mieux : avec cette opération, ils sont également parvenus à éliminer de nombreuses pathologies liées à l’âge et à augmenter donc leur espérance de vie en bonne santé. Voilà des années que la sénescence titille les chercheurs. En 1961, Leonard Hayflick mettait en évidence cet état qui veut qu’à partir d’un certain temps les cellules cessent de se diviser. Elles ne sont pas encore mortes, mais ne vont déjà plus très bien. Pourquoi ce passage presque obligé ? Parce que ces cellules sénescentes favorisent la cicatrisation, montreront les uns ; parce qu’elles préviennent certains cancers et jouent même un rôle dans le développement embryonnaire, assureront d’autres. Souris génétiquement modifiées Mais ces vertus cachent un terrible vice. La sénescence nous fait… vieillir. En 2008, l’équipe de Jan van Deursen, à l’université de Rochester (New York), démontrait un lien entre les cellules sénescentes et certains effets du vieillissement. En 2011, ils allaient nettement plus loin et parvenaient à retarder l’apparition de ces mêmes pathologies en supprimant les fameuses cellules. Mais, pour ce faire, ils avaient utilisé un modèle de souris génétiquement modifié à vieillissement accéléré, bouleversant au passage la physiologie de l’animal. Qu’adviendrait-il avec des rongeurs « normaux » ? Cette fois, l’équipe américaine balaie cette dernière objection. Leurs souris sont certes génétiquement modifiées. Mais c’est uniquement pour permettre d’éliminer les cellules que l’on souhaite, au moment où on le souhaite. Ces rongeurs ont en effet la particularité de produire un enzyme dans les cellules sénescentes que l’on peut activer par l’injection d’un produit catalyseur. Avec pour effet de provoquer l’apoptose desdites cellules, autrement dit leur mort. En revanche, ces souris vivent, sans intervention, comme toutes leurs congénères, environ deux ans. Mais, si à mi-vie on commence à leur injecter l’enzyme, deux fois par semaine, jusqu’à ce que mort s’ensuive, leur espérance de vie moyenne est prolongée de presque un tiers par rapport à un échantillon témoin. Un résultat spectaculaire. Mais ce n’est pas seulement la vie qui est allongée, c’est aussi la jeunesse. A 22 mois, les souris traitées apparaissent en meilleure santé, leur activité comme leur capacité exploratoire sont mieux préservées et elles souffrent moins de cataractes. Elles sont également moins touchées par les pathologies cardiaques, rénales ou graisseuses, typiques du vieillissement. Enfin, le déclenchement des cancers est retardé. Ce dernier fait est notable, car les cellules sénescentes sont réputées jouer un rôle important dans la prévention de certains cancers. Ce n’est pas seulement la vie qui est allongée, c’est aussi la jeunesse. Les souris traitées apparaissent en meilleure santé « Or, nous n’avons observé aucun dommage collatéral », assure Jan van Deursen. Pas de tumeurs supplémentaires, donc, ni à l’observation ni à l’autopsie. Seule la capacité de cicatrisation apparaît clairement ralentie. L’étude présente toutefois quelques résultats contrastés. Ainsi, les cellules sénescentes n’ont pas été éliminées de certains organes essentiels comme le foie ou le côlon. Les lymphocytes (cellules immunitaires) sont également restés sourds aux injections. Ailleurs, la disparition des cibles n’a eu aucun effet : la dégradation des capacités motrices, de la force musculaire ou encore de la mémoire reste inchangée. « Est-ce parce que le modèle de souris était mauvais, parce que d’autres types de cellules sénescentes étaient à l’œuvre ou parce que la sénescence ne joue aucun rôle dans ces fonctions, l’étude ne permet pas de le dire », souligne Dominic Withers, professeur de médecine et chercheur à l’Imperial College de Londres. « Cela invite à poursuivre le travail, comprendre les mécanismes fondamentaux qui sont ici en jeu, plutôt que de se ruer sur la recherche d’une application pour l’homme », assure Miroslav Radman, figure de la recherche sur le vieillissement, professeur émé- rite à l’université René-Descartes et membre de l’Académie des sciences. Car là résident les deux voies qui se présentent aux chercheurs. Du côté des sciences fondamentales, la recherche avance tous azimuts. Le rôle des gènes dans les processus de vieillissement a été ainsi largement exploré. La seule modification d’une séquence dans un seul gène peut ainsi multiplier par deux la durée de vie du ver C. elegans. De plus en plus de chercheurs étudient, de leur côté, le pouvoir de la restriction calorique sur la longévité. Le même ver, mais aussi la mouche du vinaigre ou la souris ont vu leur durée de vie augmenter de… 30 %, là aussi, sous l’effet de régimes alimentaires moins riches. « Révolution conceptuelle » D’autres, encore, étudient les phénomènes d’oxydation ou le rôle des télomères, qui protègent l’extrémité des chromosomes au fil des divisions cellulaires. « Une véritable révolution conceptuelle est en cours, insiste Jean-Claude Ameisen, président du Comité consultatif national d’éthique. La jeunesse, le vieillissement et la durée de vie ne dépendent pas uniquement du passage du temps, mais de processus actifs, dans le corps et dans son environnement. » Mais la quête de l’éternelle jeunesse ne va-t-elle pas faire passer au second plan cet appétit de compréhension fondamentale ? Au-delà de l’engouement récent pour le jeûne, chercheurs et industriels sont lancés dans la course au remède miracle. « Plusieurs laboratoires cherchent à trouver des médicaments susceptibles d’éliminer les cellules sénescentes, le potentiel est immense », LEXIQUE SÉNESCENCE Chez les cellules, le vieillissement se manifeste par une incapacité à se diviser. Ce phénomène, appelé sénescence, a été découvert in vitro en 1961 par le microbiologiste américain Leonard Hayflick. En 1965, il a précisé que le nombre de divisions était limité à environ 50 par cellule. Mais le stress peut anticiper le processus. APOPTOSE C’est l’autodestruction des cellules, leur mort programmée. Décrite en 1972, elle permet d’équilibrer la production de nouvelles cellules, mais aussi de prévenir des cancers et d’assurer le développement de certains tissus. se félicite Jan van Deursen. « Le problème majeur serait de conduire des essais pendant trente ans sur des personnes jeunes en bonne santé avec le risque d’effets secondaires importants », souligne toutefois Jean-Claude Ameisen. Plus facile d’offrir une cure de jouvence aux malades âgés ? Peutêtre. Des chercheurs ont en effet montré qu’en mêlant la circulation sanguine de deux souris, une vieille et une jeune, la vieille « rajeunissait », autrement dit perdait les dégradations dues à l’âge. Seul problème : la jeune vieillit. Les scientifiques vont devoir être imaginatifs. p nathaniel herzberg Le risque de transmission sexuelle du virus Zika reste marginal Si le principal vecteur de l’épidémie est le moustique, les autorités recommandent l’emploi de préservatifs au retour de zones touchées PARIS 23 FÉVRIER 2 0 1 6 LES FEMMES, AV E N I R D U C O N T I N E N T A F R I C A I N La rédaction du Monde organise une journée de rencontres et de débats sur - et avec - des femmes africaines remarquables. Par leur talent, leur courage, leur vision, elles témoignent des défis pour mener la vie à laquelle elles aspirent, mais aussi des espoirs qu’elles représentent pour le continent. Avec, notamment, Makhtar Diop, Leymah Gbowee, Salif Keita, Chimamanda Ngozi Adichie, Ebele Okobi, Erik Orsenna, Magatte Wade. Entrée gratuite, inscription sur : lesdebatsdumondeafriqueparis.eventbrite.fr MUSÉE DU QUAI BRANLY - 75007 PARIS Partenaires institutionnels Partenaires médias F aut-il craindre l’ouverture d’un nouveau front dans l’épidémie de maladie à virus Zika qui sévit dans 28 pays, avant tout en Amérique latine ? La question est posée depuis que les services médicaux du comté de Dallas (Texas) ont indiqué, mardi 2 février, avoir reçu confirmation par les Centres de contrôle et de prévention des maladies (CDC) américains d’un premier cas de transmission sexuelle du virus. S’il est encore tôt pour avoir des certitudes, cette voie de transmission resterait toutefois marginale par rapport à celle de la piqûre d’un moustique vecteur du virus. L’éventualité de la transmission sexuelle du virus Zika avait déjà été soulevée du fait de deux observations. Tout d’abord, celle concernant un chercheur américain ayant séjourné au Sénégal qui, en septembre 2008, aurait transmis Zika, lors d’un rapport sexuel, à son épouse restée aux Etats-Unis. Ensuite, le cas d’un homme chez lequel le virus a été retrouvé dans le sperme en décembre 2013, au cours de l’épidémie qui a frappé la Polynésie française. Le cas de Dallas a été décelé chez un patient n’ayant pas voyagé hors des Etats-Unis et ayant eu des rapports sexuels avec une personne infectée lors d’un séjour au Venezuela. Interrogés par Le Monde, les services de santé du comté de Dallas ne souhaitent pas donner d’éléments supplémentaires, mais leur directeur, Zachary Thompson, déclare dans un communiqué : « Maintenant que nous savons que le virus Zika peut être sexuellement transmis, cela accroît notre campagne de sensibilisation pour éduquer le public sur la manière de se protéger et de protéger les autres. Après l’abstinence, les préservatifs sont la meilleure méthode de prévention de toutes les infections sexuellement transmissibles. » Dans la foulée, les CDC ont modifié leurs recommandations en avisant les hommes ayant des rapports sexuels après un voyage dans une zone affectée de porter un préservatif – sans préciser jusqu’à quand. Un conseil qu’ont repris les autorités britanniques et irlandaises. Information et sensibilisation « La transmission par le moustique c’est l’autoroute, tandis que la transmission sexuelle c’est une route secondaire », a déclaré le docteur William Schaffner, responsable de la médecine préventive à la faculté de médecine de l’université Vanderbildt (Nashville, Tennessee) cité par le New York Times. Ce médecin ajoute : « La transmission sexuelle ne peut expliquer la transmission soudaine et répandue de ce virus. » Le Pr Jean-François Delfraissy, directeur de l’Institut immunologie, inflammation, infectiologie et microbiologie au sein de l’Inserm, se veut également rassurant. « Le cas de transmission interhumaine de Dallas ne change pas la donne, assure-t-il. L’immense majorité des cas sont dus à des piqûres de mous- « Nous n’avons pas de données sur une persistance du virus après la guérison » JEAN-FRANÇOIS DELFRAISSY Inserm tiques et nous n’avons pas encore de données amenant à conclure qu’il existe un réservoir humain, c’est-à-dire une persistance du virus dans l’organisme après que l’infection a guéri. » Ce phénomène a été observé chez les survivants d’Ebola : le virus peut persister au moins neuf mois chez les hommes guéris de cette maladie. Mais à l’heure actuelle, les scientifiques ne disposent d’aucune donnée de ce type pour Zika. « Une étude va débuter dans les départements français d’Amérique au cours de laquelle un suivi sera effectué chez les hommes infectés pour déterminer si le virus persiste dans le sperme après leur guérison », indique le Pr Delfraissy. A ses yeux, la maladie à virus Zika demeure globalement bénigne, sauf dans le cas des femmes enceintes avec le risque d’avoir un enfant atteint de microcéphalie. En effet, 80 % des personnes infectées ne développent pas de symptômes et les éventuels syndromes de GuillainBarré ont une bonne évolution dans la plupart des cas. Le Pr Delfraissy défend donc prioritairement un travail d’information et de sensibilisation auprès des femmes enceintes en zone touchée, afin de leur apprendre à se protéger des piqûres de moustiques grâce à des vêtements couvrants et à l’utilisation de répulsifs, à quoi vient s’ajouter l’utilisation de préservatifs. La ministre de la santé, Marisol Touraine, a indiqué, mercredi 3 février, que vingt femmes enceintes sont infectées par le virus Zika en Martinique et en Guyane. La ministre a recommandé aux femmes enceintes de différer tout voyage dans une zone affectée. p paul benkimoun france | 7 0123 VENDREDI 5 FÉVRIER 2016 Fillon, chef de file des « frondeurs de droite » L’ancien premier ministre a pris la tête de l’opposition à la révision de la Constitution I l y a un mois, la position de la droite sur la révision consti tutionnelle semblait tran chée : l’immense majorité des parlementaires des Républi cains (LR) s’orientaient vers un soutien au projet du gouverne ment. Mais au fil des semaines, l’opposition à cette réforme a pris de l’ampleur dans les rangs du parti de M. Sarkozy. Au point qu’à la veille du début de l’examen du texte à l’Assemblée, vendredi 5 février, le vote de la droite – dont le soutien est indispensable à l’adoption de la réforme – se révèle incertain. Les élus semblent désormais partagés sur ce projet de loi, qui prévoit l’extension de la déchéance de nationalité pour terrorisme. Alors que le sujet a d’abord fracturé la gauche, il divise maintenant presque autant la droite, avec des arrière-pensées sur la primaire pour la présidentielle de 2017. Si le rapport de force a évolué chez Les Républicains, François Fillon n’y est pas pour rien. Depuis la présentation du texte en conseil des ministres, le 23 dé- « Vouloir modifier la Constitution sans raison légitime crée un précédent dangereux » FRANÇOIS FILLON député (LR, Paris) cembre 2015, l’ancien premier ministre affiche son scepticisme sur le projet de l’exécutif. Aujourd’hui, il y est ouvertement opposé et se dit prêt à voter contre lors du vote à l’Assemblée, le 10 février. « Je suis très réservé sur l’opportunité de réviser la Constitution. J’attends la présentation du texte par le gouvernement, vendredi, pour me prononcer officiellement, mais d’ores et déjà, je veux indiquer que je n’ai pas l’intention de participer à ce qui se présente comme une mascarade », déclare M. Fillon au Monde, après avoir critiqué la réforme, mardi, lors de la réunion des députés LR. « C’est un texte sacré » Pour lui, c’est moins la mesure sur la déchéance de nationalité qui pose problème que son inscription dans la Constitution. « Je suis favorable au principe de la déchéance de nationalité, qui existe déjà dans la législation française, mais je suis convaincu que le fait d’introduire cette disposition dans la Constitution ne facilitera pas son application. Au contraire, cela va la rendre plus difficile », estimet-il. Avant d’avertir : « Vouloir modifier la Constitution sans raison légitime est une erreur et crée un précédent dangereux. C’est un texte sacré et pas un tract électoral. S’il n’y a pas de raison de la modifier, on ne le fait pas ! » Le député de Paris a prévu de rejeter cette initiative qu’il juge « inutile dans la lutte antiterroriste », à moins que l’exécutif parvienne à lui « démontrer que l’inscription de la déchéance de natio- nalité dans la Constitution est nécessaire. Pour l’instant, la réponse est négative », observe-t-il, accusant le chef de l’Etat de focaliser l’attention sur ce sujet pour « dissimuler son incapacité à lutter contre le risque terroriste ». L’engagement de M. Fillon en faveur du non n’est pas anodin. Il peut avoir pour conséquence de faire échouer la révision constitutionnelle, car l’ex-premier ministre compte de nombreuses troupes à l’Assemblée et au Sénat. Son équipe revendique le soutien d’« au moins 130 parlementaires » et assure que « près de la moitié » seraient prêts à suivre sa position. Autrement dit, une soixante d’élus fillonistes – tels les députés Patrick Devedjian, Bernard Debré, Guy Geoffroy ou Philippe Houillon – pourraient compter parmi les opposants au projet, aux côtés de Nathalie Kosciusko-Morizet, Hervé Mariton ou du juppéiste Edouard Philippe. S’il jure que son attitude « est inspirée par des valeurs et des principes » et qu’il ne faut surtout pas y voir « un coup tactique », la prise de position de M. Fillon lui permet de se démarquer de Nicolas Sarkozy et d’Alain Juppé, ses deux principaux rivaux à la primaire. En plaidant pour le non, le député de Paris s’oppose à la position du président de LR, qui a pesé de tout son poids pour que son parti s’engage, le 6 janvier, à voter le projet du gouvernement. M. Fillon ne se sent pas tenu par la consigne de Nicolas Sarkozy, qu’il juge peu opportune : « Ce fut une erreur d’appeler à voter oui dès le début. En apportant un soutien d’emblée à François Hollande, nous nous sommes placés dans une position inconfortable. » Habile, il se pose en chef de file des élus de droite mal à l’aise avec la position de l’ancien chef de l’Etat, en tonnant : « Les parlementaires de l’opposition n’ont pas à être les Les soutiens de l’ancien premier ministre espèrent voir leur candidat se relancer dans la course à la primaire supplétifs du président de la République dans une opération de communication ! » L’ancien premier ministre critique également la position ambiguë d’Alain Juppé, qui a condamné la volonté de l’exécutif d’étendre la déchéance de la nationalité, tout en affirmant qu’il voterait une telle mesure s’il était parlementaire. « Si on considère que la démarche du gouvernement est mauvaise, on ne la vote pas. C’est tout, tranche M. Fillon. Il faut être clair et cohérent, et ne pas dire que le texte est inutile tout en appelant à voter oui. » Ses soutiens espèrent que son audace sera portée à son crédit en cas de victoire du non. Et que son influence sur un grand nombre de parlementaires sera alors mise en lumière. « Cela va lui permettre de se poser comme le chef de l’opposition sur ce texte, en reléguant ses rivaux au second plan », veut croire l’un d’eux. Avec l’espoir que leur candidat se relance dans la course à la primaire, alors qu’il est pour l’instant largement distancé par le duo Juppé-Sarkozy dans les sondages. « Malgré le succès de son livre, il stagne à la troisième place. Sa seule chance de remonter la pente, c’est de prendre plus de risques en jouant le tout pour le tout », jugeait un de ses proches récemment. Il semble que M. Fillon, réputé pour sa prudence, a entendu le message. p alexandre lemarié Déchéance : le débat sans fin le débat sur la révision constitutionnelle et la déchéance de nationalité n’a pas encore commencé que tout le monde en a déjà assez. L’échange très tendu, mercredi 3 février, entre le porte-parole du gouvernement, Stéphane Le Foll, et des journalistes qui n’y comprenaient plus rien, illustre l’ambiance du moment, à deux jours du début de l’examen à l’Assemblée nationale. C’est, selon les socialistes, une « nasse », un « piège », dans lequel se retrouve la majorité. Deux mois et demi après l’allocution de M. Hollande devant le Congrès, l’incertitude demeure autour de la révision constitutionnelle. Personne ne peut dire comment tout cela va finir, et l’hypothèse de la convocation d’un Congrès est de plus en plus incertaine. Si, mercredi soir, la situation semblait être stabilisée au groupe socialiste, « tout peut encore bouger », craint le député (Les Républicains, Manche) Philippe Gosselin. Son collègue des Alpes-Maritimes Eric Ciotti a décidé d’« arrêter de se prononcer sur des hypothèses ». « Farce tragique » Selon les derniers échos, le premier ministre devrait annoncer vendredi que la déchéance de nationalité concernera tous les Français, dans le cadre de la convention de 1961 qui autorise dans certains cas la création d’apatrides. Mais cet engagement oral ne concerne pas la révision constitutionnelle mais la loi d’application censée la mettre en œuvre et dont on ne connaît ni le contenu ni la date d’examen. Cela garantira-t-il la majorité des trois cinquièmes des parlementaires ? « On a l’art de transformer de l’or en plomb. Le coup politique de Hollande à Versailles était magistral. Depuis, on a le sentiment qu’il s’est retourné contre lui », résume un ministre de premier rang. Obsédés par la volonté de ne pas « trahir » une parole présidentielle pourtant floue – à Versailles, M. Hollande n’a pas clairement dit que la déchéance devait être constitutionnalisée –, les responsables de la majorité se sont enferrés dans un débat sans débouché. « Il est temps de mettre fin à cette farce tragique », estime le président des députés du Front de gauche, André Chassaigne. Au PS, Benoît Hamon conseille « de retirer l’article [sur la déchéance] qui crée de la discorde » pour s’en tenir à l’article 1, qui constitutionnalise l’état d’urgence. Mais M. Hollande a mis en garde les poids lourds de la majorité, lors du traditionnel dîner du mardi : « Il faut faire attention que la représentation nationale ne se ridiculise pas devant les Français et ne donne pas le sentiment que la France est faible face aux terroristes. » Il faut en finir, et vite, et faire en sorte de renvoyer la faute à l’opposition en cas d’échec. C’est la petite musique que commencent à jouer les socialistes, face à un Sénat de droite qui menace de réécrire intégralement le texte que lui enverra l’Assemblée, rendant impossible son adoption dans les mêmes termes par les deux chambres. « Il faudra que l’opposition assume de ne pas voter la réforme constitutionnelle sur l’état d’urgence alors qu’elle est souvent dans la surenchère sur la sécurité, simplement pour ne pas dire oui à un texte proposé par le président », prévient le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, appuyé par le député (PS, Mayenne) Guillaume Garot : « Il ne faudrait pas que la droite cherche une échappatoire. Les Français jugeraient très durement ces finasseries politiciennes. » C’est certainement déjà le cas. p hélène bekmezian et bastien bonnefous ]GD6D=@ 758]95D:]F BO82CFL=@F> G%UXZ[%-"* *[ ; ? < XZVS*U> 7^#X ^WU[-_X> G:8 `+[-_ R4< \^W+)Z> F-WXN\-[")W[Z F#H# F-[!-_ C-[*^_e> J`X)+X)W[ *) \"W#) 0 S""W!-%) *)Z ')WQ> 9-*-[ *) [)+W"> P"W)X^^X$> J)Z#%_ #_`*#X> c :S97D9 JI K(<20A=D8>V ;R A=D8> 8S?8 S::=97> I?79I7DI? 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[ZV!* *RVZX\*[[* @FGI> C/*MS\V%*RV +* ,* P\&%,R"* ,Z!XZVS* des équipements de série ou en option en fonction de la inition. 8 | france 0123 VENDREDI 5 FÉVRIER 2016 Toubon : « On rentre dans l’ère des suspects ! » Le Défenseur des droits voit dans les projets du gouvernement « un abaissement de notre Etat de droit » ENTRETIEN A lors que le conseil des ministres a validé, mercredi 3 février, le projet de loi proro geant une nouvelle fois pour trois mois l’état d’urgence, le Défenseur des droits s’alarme davantage en core du projet de loi renforçant la lutte contre le terrorisme, « qui fait de l’exception la règle ». Dans un entretien au Monde, Jacques Toubon tape du poing sur la table à l’occasion de la publication, jeudi 4 février, du rapport annuel d’activité de l’institution qu’il dirige depuis juillet 2014. Le Défenseur des droits a été saisi de 79 592 réclamations en 2015, soit un bond de 8,3 % en un an. Ces réclamations portent d’abord sur les services publics et l’accès au droit, mais également sur les dis criminations, l’enfance et la déon tologie des forces de l’ordre. Quel est le rôle du Défenseur des droits sous l’état d’urgence ? Il est de la responsabilité du Défenseur des droits, et je l’ai dit dès le lendemain des attentats de janvier 2015, de rappeler le droit et de rappeler les libertés dans le souci de maintenir la cohésion so ciale et l’équilibre entre sécurité et liberté. L’union dans la peur et l’objectif de sécurité, c’est du court terme. La cohésion du pays est un « La déchéance de nationalité porte atteinte au caractère indivisible de la République et de la citoyenneté » enjeu de long terme. Cette parole doit être portée quels que soient les sondages et les majorités parlementaires. Il ne faut pas baisser la garde face au terrorisme, mais c’est du maintien des exigences de notre démocratie dont je parle, pas d’une arme de guerre prête à tirer. N’avez-vous pas l’impression d’être inaudible dans un concert de surenchères sécuritaires ? Pour le moment, ce qui a été mis en œuvre n’a pas constitué une atteinte fondamentale à notre niveau d’Etat de droit. La proclamation de l’état d’urgence, et son éventuelle prolongation de trois mois, sont des choix politiques, je n’ai pas à en juger. Je m’inquiète, en revanche, lorsque l’éventuelle constitutionnalisation de l’état d’urgence autoriserait à prendre des mesures, de manière perma nente, qui seraient aujourd’hui contestables au regard de la Cons Amnesty critique l’état d’urgence Amnesty International a publié, jeudi 4 février, un rapport sur la mise en œuvre des mesures de l’état d’urgence. L’organisation dénonce « des mesures brutales, notamment des perquisitions de nuit et des arrêtés d’assignation à résidence, [qui] bafouent les droits de centaines d’hommes, de femmes et d’enfants, qui en ressortent traumatisés et stigmatisés ». L’ONG s’est entretenue avec soixante personnes touchées. Faute de garanties satisfaisantes, Amnesty International demande de renoncer à proroger l’état d’urgence et s’associe à Human Rights Watch pour donner davantage de poids à sa démarche, à la veille du débat parlementaire sur l’inscription de l’état d’urgence dans la Constitution. titution, comme la retenue de quatre heures lors d’un simple contrôle d’identité. Contrairement à l’avis du Conseil d’Etat de décembre 2015, le gouvernement introduit ce qui ressemble fort à un état d’urgence glissant, un régime d’exception durable. De ce point de vue, pire que la prolongation de l’état d’urgence est le projet de loi de procédure pénale qui tend à faire de l’exception la règle pour un en semble large d’infractions. Les restrictions des libertés ne seront pas limitées au temps de l’urgence, mais dureront le temps que le « péril imminent » cesse, c’està-dire jusqu’aux calendes grecques. Il ne faudrait pas décider un tel abaissement de notre Etat de droit sans ouvrir un vrai débat. Les Français veulent-ils léguer à leurs enfants un Etat de droit inférieur à celui que la République a mis deux cents ans à bâtir ? La lutte contre le terrorisme est un objectif légitime... Certes. Depuis les attentats de 1986, les gouvernements avaient toujours fait attention à ce que le cadre judiciaire général soit le moins possible entamé par la nécessité de lutter contre le terrorisme. C’est la caractéristique du modèle français de lutte dans ce domaine. Concrètement, quelle mesure vous choque ? Il me paraît totalement contraire à nos principes de garder une personne aussi longtemps assignée à résidence à partir d’une supputation qu’elle représente un danger parce qu’elle revient d’un certain pays. On entre dans l’ère des sus pects ! Ce ne sont pas des petites mesures, cela affecte la liberté d’al ler et venir, le droit à la vie privée et à la correspondance privée, ou la liberté de travailler ou d’étudier. De même pour le nouveau régime de la légitime défense. De quels types de réclamation avez-vous été saisis dans le cadre de l’état d’urgence ? Nous avons reçu 49 réclamations. Certaines ont pu donner lieu à une médiation. La plupart sont FRÉDÉRIC STUCIN/PASCO POUR « LE MONDE » à l’instruction. Elles concernent principalement la déontologie des forces de l’ordre au cours des perquisitions. C’est pourquoi j’ai présenté mes premières recomman dations au Sénat le 26 janvier, en particulier, sur la nécessaire in demnisation et le soin à prendre de la situation des enfants. Que pensez-vous du projet du gouvernement sur la déchéance de nationalité ? Cette mesure porte atteinte au caractère indivisible de la Répu blique et de la citoyenneté. En plus, dans la norme suprême. Nous n’avions jamais à ce jour inscrit la question de la nationalité dans la Constitution. Le compromis envisagé sur la rédaction du projet de loi ordinaire n’empêchera pas la division légale des Français, au mépris des principes les plus sacrés et en un moment où le terrorisme voudrait juste ment nous dresser les uns contre les autres. Le sort des réfugiés de Calais a été l’une des préoccupations majeures du Défenseur des droits en 2015… mais on n’observe guère d’amélioration. Que pouvez-vous faire ? Il y a eu une décision du Conseil d’Etat qui a obligé l’Etat à prendre des mesures à caractère humani taire. Mais si l’idée du gouverne ment est de réduire le bidonville de Calais ou celui de GrandeSyn the à leur plus simple expression avant de les faire évacuer pour les fermer, c’est une erreur d’appréciation qui comporte de graves risques. En l’absence d’accord européen sur la politique migratoire et d’accord avec la Grande-Bretagne pour mettre fin à ce « mur », on reste dans une impasse qui comporte de graves atteintes aux droits fondamentaux. Plus largement, je vais publier ce printemps un rapport sur la façon dont la France applique les droits dont bénéficient les étrangers, migrants ou non. On y voit, hélas, l’écart en- L’HISTOIRE DU JOUR Surenchère de bleu-blanc-rouge à l’école L a rime est presque riche, 2016 sera l’année de La Marseillaise. Jeudi 4 février, la ministre de l’éducation nationale, Najat VallaudBelkacem, et le secrétaire d’Etat chargé des anciens combattants, Jean-Marc Todeschini, devaient officiellement lancer les festivités. Au programme : des activités scolaires en tous genres pour faire connaître et célébrer l’hymne national ; des chorales qui interpréteront La Marseillaise à diverses occasions (Fête de la musique, événements sportifs, concours) ; des expositions, des films, un colloque. Les enseignants pourront s’appuyer sur de nouvelles ressources pédagogiques autour de l’hymne national et obtenir un soutien financier du ministère de la défense. L’idée vient du président de la République lui même, qui a voulu profiter de l’Euro de football organisé en France cette année pour mettre en valeur l’hymne. « Je veux faire de l’année 2016, en même temps que l’Euro, l’année de La Marseillaise, pour qu’elle puisse être partout célébrée, parce que dans les moments que nous traversons, c’est très important que nous puissions nous unir », avait-il déclaré en septembre 2015. L’année de La Marseillaise s’inscrit aussi dans le cadre de la « grande mobilisation de l’école pour les valeurs de la République », lancée après les attentats de janvier. L’apprentissage de l’hymne national à l’école ne date pas d’hier. C’est Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l’éducation, qui l’a rétabli en 1985. En 2002, Jack Lang le relance sur un mode plus « multiculturel ». Le ministre avait fait éditer et distribuer dans les écoles un livreCD comprenant une quinzaine de versions : de Ber lioz à Gainsbourg, en passant par la version jazz de Django Reinhardt, une reprise façon samba, son équivalent en raï et même en house music. Ces derniers temps, l’heure est très bleublanc rouge. Depuis le début du quinquennat, tous les établissements scolaires sont tenus de suspendre LE PRÉSIDENT DE sur leur façade le drapeau tricolore et la deLA RÉPUBLIQUE vise républicaine. La loi A VOULU PROFITER de 2013 sur l’école le leur impose. L’éducation naDE L’EURO tionale les encourage à multiplier la célébration POUR METTRE des rites et symboles réEN VALEUR « LA publicains. A droite, certains en voudraient daMARSEILLAISE » vantage : le 19 janvier, 80 députés ont déposé une proposition de loi visant à instaurer une « journée dédiée au drapeau » à l’école. Une tendance qui ne semble pas susciter une vive adhésion au sein de la communauté éducative. A l’image de Christian Chevalier, secrétaire général du SE-UNSA, pour qui « il ne suffit pas de repeindre la République en bleu-blanc-rouge pour régler les questions de citoyenneté ». p aurélie collas tre la proclamation des droits et leur mise en œuvre effective. Quelles sont vos priorités d’action pour 2016 ? Notre mission cardinale est d’éviter le « à quoi bon » de personnes qui se sentiraient abandonnées par la communauté nationale. Soit parce qu’elles ignorent leurs droits, soient parce qu’elles ne savent pas à qui s’adresser. L’accès au droit de tous et la capacité des différents services publics à leur apporter une réponse sont un élément de cohésion nationale. Les 400 délégués du Défenseur des droits sur le terrain offrent une grande proximité pour s’attaquer à ce phénomène de nonre cours alors que les dénis de droits, face à l’administration, dans les situations de discrimination, mettent en cause l’égalité, qui est le principe de la République et le combat du Défenseur des droits. p propos recueillis par jean-baptiste jacquin MI GRAN TS Cazeneuve interdit les manifestations à Calais Bernard Cazeneuve a annoncé, mercredi 3 février, « l’interdiction de toutes manifestations susceptibles d’occasionner des troubles à l’ordre public » à Calais. Cette interdiction, saluée par la maire (Les Républicains), Natacha Bouchart, durera « aussi longtemps que le climat actuel demeurera », a précisé le ministre de l’intérieur. La branche française du mouvement islamophobe allemand Pegida comptait y défiler dans les prochains jours. CON S OMMAT I ON Adoption de la loi contre le gaspillage alimentaire Le Parlement a définitivement adopté, mercredi 3 février, une proposition de Guillaume Garot, député (PS) de la Mayenne, visant à dissuader les grandes surfaces de jeter de la nourriture et de rendre leurs invendus impropres à la consommation. La loi rend obligatoire une convention pour les dons entre un distributeur de denrées alimentaires et une association caritative. france | 9 0123 VENDREDI 5 FÉVRIER 2016 Pour le FN, la sortie de l’euro attendra S ERVI C ES PU BLI CS Le parti d’extrême droite organise un séminaire pour débattre de son projet économique Le gouvernement a présenté, mercredi 3 février, 170 nouvelles mesures destinées à faciliter la vie des entreprises et des particuliers dans leurs relations avec les services publics. Elles s’ajoutent aux 450 autres dispositions prises, en plusieurs étapes, depuis le début du quinquennat de François Hollande. Parmi les annonces de mercredi, on trouve la mise à disposition d’un « simulateur du coût et des aides à l’embauche » pour les PME ainsi que l’allégement des obligations de gardiennage-incendie dans les immeubles de moyenne hauteur pour favoriser la construction. L e Front national va se li vrer à un exercice inédit, du vendredi 5 au dimanche 7 février. Une cinquantaine de dirigeants, élus et personnalités proches du parti d’extrême droite vont se retrouver pour un huis clos au country club d’Etiolles (Essonne), et réfléchir à leur stratégie en vue de l’élection présidentielle de 2017. Les régionales de décembre 2015, marquée par l’incapacité du FN à conquérir la présidence d’exécutifs régionaux malgré ses scores historiques au premier tour, a frappé les esprits. Le mot d’ordre officiel du séminaire est donc de mettre tous les sujets sur la table afin que chacun fasse valoir ses vues. « Ce sera l’occasion d’exprimer des idées intéressantes… ou farfelues », prévoit un cadre frontiste. Parmi les débats apparus au lendemain des régionales, celui concernant un éventuel changement de nom du FN semble pour l’instant relégué au second plan. Selon certains dirigeants, une telle initiative viendrait plutôt sanctionner un élargissement de la base du FN au lendemain de la présidentielle ou des législatives, en 2017. En revanche, la question du programme économique devrait être au cœur des discussions. « L’économie, c’est ce qui déterminera notre réussite. Pour le reste, on a tout », prévenait déjà, avant les régionales, le vice-président du FN, Louis Aliot, qui est à l’origine de ce séminaire. La question est d’autant plus prégnante que le parti, dont le dis- cours est présenté comme étatiste, voire de gauche par les dirigeants des Républicains, dispose en théorie d’un réservoir de voix plus important à droite : lors de duels au second tour, comme aux départementales de 2015, le FN l’emporte parfois face à la gauche, mais très rarement contre la droite. « Avec un second tour HollandeMarine Le Pen, Hollande serait élu avec 60 % des voix, et derrière, ce serait l’explosion des Républicains. Le Front pourra faire rentrer un paquet de députés, il faut qu’on donne des signes à cet électorat de droite », estime un conseiller régional. Pour nombre de responsables frontistes, cela passe par un amendement du programme, ou à tout le moins par une manière différente de le présenter. « Vider la querelle » C’est Louis Aliot qui a ouvert les hostilités, le 19 janvier, dans Le Figaro, en estimant « qu’il manquait un chaînon » à la « stratégie économique » du FN, notamment en direction des petits entrepreneurs. Le conjoint de Marine Le Pen a jugé qu’il convenait de laisser un « laps de temps » avant d’engager une sortie de la France de la zone euro. Rien qui ne diverge fondamentalement de la ligne définie par Mme Le Pen et son bras droit Florian Philippot, mais au FN, on sonde les détails comme le kremlinologue décryptait les communiqués du Parti communiste. « Entre les lignes, c’est une critique de Florian, qui a du mal à accepter le débat », note un diri- Primaire à gauche : une première réunion à Paris Une pétition lancée le 11 janvier par des élus et des intellectuels a recueilli 75 000 signatures REPORTAGE C’ est un carton ! » Il est 22 heures, mercredi 3 février, et le député européen EELV Yannick Jadot jubile. La Bellevilloise, salle du 20e arrondissement de Paris bien connue des militants socialistes et écologistes, est comble. Plus de 700 personnes sont venues écouter ceux qui ont appelé, le 11 janvier, dans Libération, à l’organisation d’une « primaire des gauches et des écologistes ». Une pétition qui a été signée par plus 75 000 personnes. Avant la réunion, chacun des initiateurs de l’appel répond aux micros qui se tendent. L’économiste Thomas Piketty tacle ceux qui ironisent sur le nombre de signatures. « C’est plus que le nombre total de votants au dernier congrès du PS alors que le parti existe depuis un siècle », assure-t-il. Le sociologue Michel Wieviorka explique que l’initiative n’a de sens « que si le PS est présent » et rejette l’argument selon lequel François Hollande ne pourrait pas participer à une primaire en étant à l’Elysée. « C’est une plaisanterie, estime-t-il. On ne lui demande pas de passer toute son énergie dans cette affaire mais de venir faire deux ou trois débats télévisés. » A ses côtés, le député Christian Paul (PS, Nièvre), embraye : « Il faut trouver une règle compatible mais cette affaire est loin d’être close. » Et quid de Jean-Luc Mélenchon qui refuse de s’inscrire dans la démarche ? « Il ne pourra pas continuer à s’isoler », juge le chef de file des frondeurs. Le porte-parole du PCF, Olivier Dartigolles, n’est pas loin de penser la même chose. Quelques mètres plus loin, Daniel Cohn-Bendit répète qu’il ne sera pas candidat. « Je ne suis pas tête d’affiche mais quelqu’un de retraité en politique. » Débarque la secrétaire nationale d’EELV, Emmanuelle Cosse, qui fait la bise à la sénatrice socialiste Marie-Noëlle Lienemann. Cécile Duflot s’attarde devant les caméras. Les premiers signataires de l’appel se succèdent à la tribune. Yannick Jadot joue les M. Loyal, vantant la primaire comme « perspective d’un espoir et d’une aventure ». « Si on ne prend pas ce risque, on va droit au crash démocratique », prévient-il avant de faire circuler le micro dans la salle. « Une députée malheureuse » Une militante socialiste se dit « désemparée et perdue » face à la réforme constitutionnelle qui veut inscrire dans la Loi fondamentale la déchéance de nationalité. Ses propos font écho à ceux de Cécile Duflot qui se définit comme « une députée malheureuse ». « On dirait une réunion des alcooliques anonymes de ceux qui ont soutenu Hollande et qui se demandent comment on en est arrivés là », plaisante-t-elle. Une réplique qu’elle vient de « piquer » à son voisin, l’essayiste Raphaël Glucksmann. Quelques minutes plus tard, la féministe Caroline de Haas appelle à prendre en charge l’organisation de la primaire sans « attendre que les appareils politiques ne se décident ». Les premiers signataires se donnent désormais jusqu’en mars pour voir comment se structure le débat. Mais, quelques heures durant, ils ont réussi à réunir dans une même salle des socialistes, des écologistes et des communistes autour d’un projet commun. Au vu de l’état de la gauche, ce n’est déjà pas si mal. p raphaëlle besse desmoulières geant. « Les questions économiques sont extrêmement importantes, mais il faut vider la querelle sur l’euro qui n’existe pas. Ce n’est qu’une occasion pour certains coqs de montrer leur ego, au bout d’un quart d’heure tout le monde sera d’accord », veut croire Wallerand de Saint Just, trésorier du FN. Personne, ou presque, ne se risquant à proposer de revenir sur cette proposition phare du programme du FN, il ne reste qu’à se mettre d’accord sur les modalités exactes. « Nous défendons tous la même position, nous ne sommes pas pour une sortie sèche et unilatérale de l’euro, nous allons ouvrir un sommet européen, rappelle le député européen Bernard Monot, un des économistes du FN. Et il y aura un comité d’arbitrage sur le programme économique. Le séminaire d’Etiolles sera plus stratégique que technique. » « Une monnaie, c’est une barrière constante. C’est un fondement politique, nous sommes un parti « Ce n’est qu’une occasion pour certains coqs de montrer leur ego » WALLERAND DE SAINT JUST trésorier du FN souverainiste, insiste M. Philippot, qui tient beaucoup à la mesure. Il faut politiser cette question, la remettre dans le contexte : nous sommes pour la souveraineté économique. » D’autres plaident pour placer sous l’éteignoir ce débat et privilégier les questions microéconomiques. « Il faut mettre en avant les aspects libéraux de notre programme, pour que la question monétaire ne soit pas l’alpha et l’oméga », avance un dirigeant. Une manière de procéder qui se retrouve déjà dans les campagnes Nouvelles mesures pour simplifier les relations avec l’administration locales du FN, dont le programme présente les attributs d’un parti de droite classique. L’accent pourrait donc être mis sur les baisses de charges, la taxation sur les grandes entreprises et la mise en valeur des PME. Les arbitrages sur ces sujets permettront de situer le rapport de forces entre les tenants d’une ligne libérale assumée, et ceux qui, comme M. Philippot, défendent un positionnement « ni droite ni gauche ». Pendant ce temps-là, certains s’échinent à rappeler quel est le sujet principal sur lequel s’est bâti le parti d’extrême droite. « Avoir l’euro ou pas l’euro, cela ne compte pas si nous avons 3 millions de migrants et qu’il n’y a plus de France. Il y a des choses accessoires et essentielles, le politique prend le pas sur l’économie », défend un visiteur du soir de Marine Le Pen. Les débats du jour ne sont pas nécessairement ceux de demain. p olivier faye S ON DAGES D E L’ ÉLYS ÉE Jean-Michel Goudard, ex-conseiller de Nicolas Sarkozy, mis en examen Jean-Michel Goudard, ancien conseiller en stratégie de Nicolas Sarkozy, a été mis en examen mercredi 3 février pour favoritisme dans l’affaire des sondages et dépenses de communication de l’Elysée lors du dernier quinquennat. 10 | france 0123 VENDREDI 5 FÉVRIER 2016 Renseignement : histoire d’une révolution avortée Malgré les failles révélées par les attentats, le chef de l’Etat se refuse à bouleverser l’organisation des services E n dépit des graves atta ques subies en 2015 et des failles alors relevées dans le dispositif antiterro riste, il n’y aura pas de grand soir du renseignement en France, con trairement à ce qui s’est passé aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne ou en Espagne. La réponse du président de la République est tombée le 14 janvier, à l’Elysée, lors du Conseil national du renseignement, dont le contenu est demeuré secret. François Hollande se contente d’ajustements : la priorité est donnée à la surveillance massive des communications. Et, attestant la faiblesse de l’Europe en la matière, des agents français vont être déployés sur le sol européen qu’ils avaient déserté. Pour tenter d’améliorer les relations entre services, le chef de l’Etat a choisi, comme l’a précisé le laconique communiqué de presse de l’Elysée, de confier la supervision de la lutte antiterroriste au ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, et par extension à Patrick Calvar, en charge de la Direction générale de sécurité intérieure (DGSI). Mais dans le même temps, le président laisse en l’état la dizaine de structures indépendantes chargées de l’antiterrorisme en France et ne touche pas aux tutelles. Il acte non seulement l’échec des structures de coordination mises en place depuis son arrivée en 2012 mais il conserve aux autres services un même niveau hiérarchique que celui de la DGSI. « La DGSE [Direction générale de la sécurité extérieure] et la DRM [Direction du renseignement militaire] n’ont aucun lien de subordination vis-à-vis du ministre de l’intérieur », se sont empressés de préciser certains participants au terme de la réunion du 14 janvier. Querelles de territoire et d’ego Derrière cette demi-mesure, M. Hollande espérait également mettre un terme aux querelles de territoire et d’ego entre chefs de services de renseignement qui prévalaient toujours fin 2015. Ayant refusé de procéder pour la DRM à la collecte de données de communications concernant des citoyens français, au motif que cela sortait de son cadre, la DGSE s’était vu, en retour, bloquer certaines de ses requêtes par la DRM. De même, alors que le chef de l’Etat avait déclaré la mobilisation générale des moyens de l’Etat après les événements de Charlie Hebdo, en janvier 2015, des dysfonctionnements demeuraient lors du suivi des suspects par la «Les services français coopèrent mieux avec leurs homologues étrangers qu’entre eux » BERNARD SQUARCINI chef de la sécurité intérieure française de 2007 à 2012 se contente de vouloir étanchéiser le territoire alors que la lutte dépasse largement ce cadre ; en agissant de la sorte, nos efforts seront vains, car nous allons nous épuiser et nous resterons myopes ». Le directeur de la DGSI Patrick Calvar (à droite), avec Denis Favier, directeur general de la gendarmerie nationale (au centre) et Jean-Marc Falcone, directeur général de la police nationale, à Paris, en janvier 2015. SILVERE GERARD / RESERVOIR PHOTO DGSE et la DGSI. Ces deux services, malgré les alertes de l’organe de contrôle des interceptions administratives, la CNCIS (devenue depuis la CNCTR), « branchaient » ou « débranchaient » des cibles dans le plus grand désordre, sans que l’information circule. La petite cellule chargée, en mai 2015, d’assurer un meilleur suivi des surveillances techniques auprès du ministre de l’intérieur n’avait toujours pas permis, fin octobre, de remédier à toutes les failles du dispositif. Bernard Bajolet, patron de la DGSE, soulignait, lors d’un colloque coorganisé par la CIA, aux Etats-Unis, « le besoin d’une parfaite coopération entre les services pour se débarrasser des angles morts, en particulier pour le suivi des suspects à l’intérieur et à l’extérieur des frontières ». Un sujet sensible, puisque l’un des frères Kouachi avait ainsi pu disparaître des radars. « C’est regrettable mais en matière de coopération, les services français coopèrent mieux avec leurs homologues étrangers qu’entre eux », reconnaît le préfet Bernard Squarcini, chef de la sécurité intérieure française de 2007 à 2012 après une longue carrière dans l’antiterrorisme aux Renseignements généraux. Si des liens très étroits existent entre les services français et ses alliés améri- L’intouchable modèle de la DGSI C’est un dogme qui a vieilli mais il structure la lutte antiterroriste depuis trente ans. La Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) fait à la fois du renseignement et du judiciaire. Jusqu’en 2014, elle s’est accaparé les procédures liées à l’islamisme, ne laissant qu’un rôle subalterne aux services de police judiciaire classique. « S’il n’y a pas eu d’attentats entre 1996 et 2012, c’est grâce à ce système », affirme la DGSI. Mais, depuis 2012, les attentats ont montré les limites d’un modèle qui pèche par la dispersion des forces antiterroristes et un cloisonnement de la DGSI renforcé en 2014 par son rattachement au seul ministre de l’intérieur. Le gouvernement a indiqué qu’il ne toucherait pas à cette organisation. cains, britanniques ou allemands, la construction d’un renseignement européen adapté à un phénomène djihadiste qui se joue des frontières n’est pas d’actualité. Pour le ministère de l’intérieur, cette idée pose des questions de légitimité et de contrôle. Il rappelle que tous les membres de l’Union ne partagent pas la même culture démocratique – allusion à la Hongrie de Viktor Orban. Ce discours explique la décision du chef de l’Etat, le 14 janvier, de déployer des agents français de la DGSE en Europe dans des zones de passage de migrants alors que ce service n’opérait plus sur ce territoire. Les liens avec la Turquie vont être, de plus, renforcés pour surveiller les francophones transitant par ce territoire frontalier de la Syrie. De même, la volonté de rapprochement avec les services syriens, jusque-là niée par l’Elysée, s’est traduite par l’obtention d’informations via les services russes, notamment, pour récupérer les numéros de passeports délivrés par le régime de Bachar Al-Assad. La mesure la plus forte prise, le 14 janvier, concerne la DGSI qui va se voir déchargée du travail de tri parmi les milliers de profils suscitant l’inquiétude. « Nous allons confier aux moyens techniques de renseignement le suivi de milliers de personnes en France, les agents de la DGSI doivent être concentrés sur les 200 à 300 cas les plus dangereux et pas occupés à suivre des familles dans des camping-cars », détaille-t-on à Matignon. Cette collecte massive de données de communication et toutes les informations, y compris celles émanant des contrôles aux frontières européennes, générées par toute la communauté du renseignement français, aboutiront dans ce que l’on surnomme déjà « l’entrepôt », localisé à la DGSE, boulevard Mortier à Paris. Le refus de toucher aux structures du renseignement en matière de contre-terrorisme heurte certains experts. « On ne peut pas dire que l’on est en guerre et ne pas adapter une organisation qui reste conçue sur les bases de la lutte contre Al-Qaida », s’insurge Philippe Hayez, ancien cadre de la DGSE, spécialiste des politiques de renseignement et enseignant à Sciences Po Paris. Selon lui, « la France paie le prix d’une culture policière en matière de sécurité qui Le modèle anglo-saxon Ce déficit de réflexion et de pilotage stratégique dénoncé par M. Hayez s’incarne, d’après Alain Juillet, ex-directeur du renseignement à la DGSE et ancien pilier du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, « dans l’incapacité » à repenser le renseignement technique, dont le rôle est devenu central. « Il est temps, dit-il, de créer une seule agence de renseignement technique nationale autonome qui agirait pour l’ensemble des services français ». Aujourd’hui, ces moyens sont gérés par la seule DGSE et sont accessibles aux autres services selon des modalités dont le périmètre évolue après chaque crise depuis 2010-2011, date de leur mutualisation. Pour Alain Chouet, ex-directeur du renseignement de sécurité à la DGSE de 2000 à 2002 et spécialiste de la lutte antiterroriste, celle-ci est « par nature transversale, or, en France, on ne mélange pas ; il faut nous aligner sur un modèle anglosaxon qui part du renseignement civil et va jusqu’à la frappe ciblée en Syrie ou en Irak ». Dans l’entourage du chef d’état-major de l’armée de terre, on ajoute : « Nos ennemis font la guerre, il ne faut pas répondre qu’avec des moyens civils. » Au sein du groupe socialiste, à l’Assemblée nationale, on défend le statu quo en matière d’organisation du renseignement : « Ce n’est pas le moment de tout casser, nous sommes au faîte d’une réforme qui a été pensée de 2010 à 2013 et se met en place depuis. » Une parole qui cache aussi une crainte : être pris au dépourvu par une nouvelle attaque alors que l’on aurait ouvert le grand chantier du renseignement antiterroriste. p jacques follorou Les 11 700 fiches « S » pour islamisme mises sous surveillance L’interception massive de données a été validée par M. Hollande, sans que l’organe de contrôle ait les moyens d’exercer sa mission C’ est la seule véritable mesure choc du gouvernement et du président de la République pour faire pièce au terrorisme qui a durement frappé la France en 2015. Lors du Conseil national du renseignement du 14 janvier, François Hollande a validé la mise en place d’un dispositif visant, à terme, à mettre sous surveillance l’ensemble des données de communication des 11 700 personnes fichées « S » pour lien avec l’islamisme radical. Dans les dix jours qui ont suivi cette réunion à l’Elysée, la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) avait déjà transmis plusieurs dizaines de demandes d’interception à la nouvelle Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) qui ne délivre qu’un avis facultatif au décideur final, le cabinet du premier ministre. La mon- tée en puissance doit se faire graduellement pour atteindre des centaines puis les milliers de fiches « S » placées sous surveillance. La loi sur le renseignement de juillet 2015,notamment par son article 851-2, permet la collecte de ces données. Le souci réside dans le fait que les moyens humains et techniques de la CNCTR étant, pour l’heure, largement sous-dimensionnés pour une telle tâche, il a été décidé de procéder par un examen « simplifié » et « groupé », le temps de pourvoir aux besoins de l’instance de contrôle. Le président de la CNCTR, Francis Delon, n’a pas opposé de résistance à cette procédure qui restreint, de fait, le champ de sa mission. Aucun délai n’ayant été fixé pour améliorer cette capacité de contrôle, le gouvernement se met dans l’illégalité alors que la loi sur le renseigne- ment devait justement le replacer dans le giron du droit. Il s’agit de collecter des données de connexions, également appelées métadonnées, qui circulent dans les câbles et sont captées grâce aux moyens techniques de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et à l’accès au stockage de données des opérateurs de communication. L’Etat peut ainsi suivre toutes les con- Le but affiché par le ministère de l’intérieur est de recentrer les agents sur des missions vraiment utiles nexions attachées aux adresses IP d’ordinateurs, de numéros de téléphone, cartes bancaires et tout autre objet relié à un réseau électronique utilisé par les personnes fichées. Cette collecte systématique permet de surveiller la vie des individus de façon bien plus intrusive que par écoute téléphonique. De quoi établir une vaste toile de surveillance comprenant également les entourages et les entourages des entourages. Ces 11 700 fiches « S » placées sous surveillance électronique figurent parmi les près de 20 000 fiches « S », pour « sûreté de l’Etat » aujourd’hui recensées en France, qui comprennent également des hooligans, des militants d’extrême droite ou des nationalistes corses. La fiche « S » n’est pas une condamnation judiciaire ni un mandat d’arrêt, simplement une mise en attention administrative intermittente, qui permet aux services de renseignement d’avoir des informations sur les allées et venues des personnes fichées sans que celles-ci le sachent. Dispersion des moyens humains Face aux nombreux départs vers la Syrie depuis 2012, les effectifs de la DGSI, également chargés de déceler les islamistes radicaux qui peuvent constituer une menace sur le sol français, sont confrontés à une dispersion des moyens humains. Le but affiché par le ministère de l’intérieur est de recentrer ces agents sur des missions vraiment utiles, d’autant qu’un très grand nombre de surveillances s’avèrent vaines. Dans le même temps, la DGSI a perdu de vue des personnes connues de la justice et fichées « S » qui ont figuré parmi les auteurs des principales attaques terroristes depuis 2012. Néanmoins, tous les profils jugés suspects de liens avec des phénomènes de radicalisation islamiste ne faisant pas nécessairement l’objet d’une fiche « S », cette base n’est qu’un moyen empirique, parmi d’autres, de resserrer les mailles du filet. La loi sur le renseignement donne aussi le moyen, grâce à des algorithmes installés chez les opérateurs, de repérer des « signaux faibles » sur la Toile. Mais ces algorithmes ne sont toujours pas au point… « Il reste à savoir si s’en remettre ainsi à l’outil technique donnera pour autant à la DGSI davantage de marge de manœuvre en matière de renseignement humain », s’interroge-t-on au sein de la préfecture de police de Paris, qui défend, à sa petite échelle, un modèle de renseignement fondé sur la source humaine et la filature. p j. fo. enquête | 11 0123 VENDREDI 5 FÉVRIER 2016 ANNE-GAËLLE AMIOT Frères ennemis jakub iwaniuk varsovie - correspondance L eur fratrie est devenue le symbole du clivage idéologique qui ronge la Pologne depuis le début de la tran sition démocratique. Cette divi sion que les médias ont pris l’habi tude d’appeler « guerre polono polonaise », entre la gauche laïque et libérale, d’un côté, la droite ultraconservatrice, de l’autre. A l’aube de la nouvelle « révolution morale » menée par le parti Droit et justice (PiS), ce conflit prend toute sa place dans l’actualité. Jacek Kurski, 49 ans, le benjamin, n’a pas usurpé son surnom de « bull-terrier des frères Kaczynski ». Il vient d’être nommé, par la grâce de Jaroslaw Kaczynski, le chef incontesté du PiS, président de la télévision publique polonaise (TVP), à la suite d’une loi médiatique controversée en Europe. Arte a annoncé, le 29 janvier, qu’elle suspendait son partenariat avec TVP, avec laquelle elle coproduisait régulièrement des programmes depuis 2001. « Aucune nouvelle coproduction ne sera lancée, tant qu’Arte n’aura pas l’assurance que la liberté d’expression, le pluralisme éditorial et l’indépendance de la télévision publique en Pologne sont garantis », prévient la chaîne franco-allemande dans un communiqué. L’aîné, Jaroslaw Kurski, 52 ans, est à la tête de la rédaction de Gazeta Wyborcza, l’emblématique journal de centre gauche fondé par Adam Michnik, désormais premier quotidien d’opposition au pouvoir. Un journaliste engagé dans un journal militant, qui incarne aux yeux des conservateurs tous les maux de la Troisième République de Pologne, celle de la transition démocratique prétendument « ratée », du « compromis avec le communisme » et de « l’avancée des valeurs libérales ». Un acquis dont bien des Polonais sont fiers, et dont le PiS vient d’entreprendre avec fracas la déconstruction, plaçant chacun des frères Kurski de part et d’autre de la barricade. FRACTURE FAMILIALE Vendredi 8 janvier. La loi en vertu de laquelle les directeurs des antennes publiques sont nommés par le ministre du Trésor vient d’être promulguée. Jacek Kurski fait une entrée triomphale dans les locaux de TVP. Il ne cache pas sa satisfaction. Longtemps sur le banc de touche du parti, il fait son retour dans l’arène à un poste stratégique. « La télévision publique a toujours été pour moi un grand amour », décla- Jacek vient d’être nommé par le pouvoir président de la télévision publique, Jaroslaw est, lui, à la tête du célèbre quotidien de centre gauche « Gazeta Wyborcza ». La vie des frères Kurski résume l’histoire de deux Pologne, la gauche libérale et la droite ultraconservatrice, que désormais tout oppose re-t-il devant la presse. Modeste, il ne l’est pas vraiment. Cet ancien journaliste politique à la réputation sulfureuse, qui fut à plusieurs reprises le spin doctor des frères Kaczynski, explique les raisons de sa nomination : « J’ai été un politique dur et prononcé. C’est parce que je suis un homme fort, mais également grâce à ma compréhension du monde des médias, que je suis le garant de l’indépendance et de la liberté de la télévision publique. » Si la nomination d’un responsable politique aussi marqué ne trompe pas grand monde – elle a été largement décriée –, certains journalistes n’ont pas manqué l’occasion de faire quelques selfies avec le nouveau patron. Jacek Kurski, le malaimé de la politique polonaise, a deux qualités que personne ne lui conteste : un certain charme et une grande intelligence. Samedi 9 janvier. Plusieurs milliers de manifestants, menés par le Comité de défense de la démocratie (KOD), sont venus exprimer leur colère devant les locaux de la télévision publique à Varsovie, et défendre la liberté de la presse contre les appétits du PiS. Ce jour-là, c’est Jaroslaw, « l’autre Kurski », qui est à l’honneur. D’un tempérament d’habitude réservé, il prend la parole spontanément devant la foule. « Aujourd’hui, ils sont venus prendre les médias publics. Demain, ils viendront prendre les médias privés, et après encore la société civile et les ONG ! Nous ne leur permettrons pas ! » Et d’ajouter : « Je m’appelle Jaroslaw. C’est un joli prénom. Retenez-le. Tous les Kurski ne sont pas bons à rien ! » C’est sorti tout seul, dira-t-il par la suite. L’aîné des Kurski, par principe, refuse de s’exprimer au sujet de son frère. Ils ne s’adressent plus la parole, et cette douloureuse fracture familiale constitue un sujet tabou. Le rédacteur en chef de Gazeta Wyborcza nous reçoit au siège de son journal. Francophone et francophile, Jaroslaw Kurski a récemment été fait chevalier de la Légion d’honneur pour son « engagement sans compromis dans la défense des valeurs de la Pologne démocrati- JACEK KURSKI, 49 ANS, LE BENJAMIN, N’A PAS USURPÉ SON SURNOM DE « BULL-TERRIER DES FRÈRES KACZYNSKI » que ». Spectateur engagé, il se passionne pour l’œuvre de Raymond Aron. A l’opposé de son frère, grand habitué des sorties polémiques, il a tendance à bien peser ses mots. A ses yeux, l’enjeu du conflit politique en Pologne est d’une gravité sans précédent. « Le PiS questionne le fondement même de la démocratie libérale qu’est la limitation réciproque du pouvoir, souligne-t-il. Ce parti veut créer une nouvelle sorte de citoyen, au profil patriotique-nationaliste, qui est prêt à renoncer à ses libertés civiques. Pour cela il a besoin des médias. » Comment voit-il les changements en cours à la tête des médias publics ? « Le PiS veut faire des médias publics un instrument d’endoctrinement politique, visant à créer un nouvel homme et une nouvelle politique historique, estime-t-il. Toute cette idéologie est un premier pas vers des gouvernements non démocratiques en Pologne. » Au sujet de son frère, nous n’en saurons pas plus. « Le PiS n’a pas le moindre scrupule à mettre à la tête de la télévision publique le vice-ministre de la culture. Un politicien. Un communicant », se contentera-t-il de lâcher. Pour lui, la « résistance » est désormais dans les mains des médias privés. TRANSITION DÉMOCRATIQUE COMPLEXE Le fossé entre les deux Pologne n’a jamais semblé si grand. Derrière l’histoire des frères Kurski, c’est l’histoire récente du pays qui se dessine, celle de la lutte contre le communisme, d’une transition démocratique complexe, marquée de luttes intestines, de paradoxes et d’ambiguïtés. Ils sont issus d’une famille conservatrice, baignés dans le patriotisme dès leur plus jeune âge, dans leur ville natale de Gdansk, où a aussi émergé le mouvement Solidarnosc. Leur mère fut une résistante de la première heure au sein du syndicat mené par Lech Walesa. Depuis, elle a été par deux fois sénatrice dans les rangs du PiS. Jaroslaw était membre des scouts, des jeunesses patriotiques, et ne jurait que par « Dieu, Hon- neur, Patrie ». Son frère Jacek était de loin le plus décomplexé des deux. Sa guitare, sur laquelle il entonnait des chants de résistance, était toujours à portée de main. Au début des années 1980, ils se retrouvent unis dans la lutte contre le communisme au sein de Solidarnosc. Ils avaient en commun un anticommunisme radical, se rendaient ensemble aux manifestations prodémocratiques et écrivaient dans les mêmes journaux souterrains. Arrêté par la police, Jaroslaw fit deux mois de prison. « J’étais jaloux. Lui avait été condamné par la justice. Moi, je n’ai été arrêté que pour quarante-huit heures », dira plus tard son frère. En 1988, Jacek fait la connaissance des frères Kaczynski. Il sera immédiatement fasciné par leur discours et leur approche radicale de transformation. C’est l’époque où l’opposition démocratique se scinde en deux, entre les partisans de la transition de compromis avec l’ancien régime et ceux de la rupture brutale. Les frères Kurski se retrouvent chacun de part et d’autre de la ligne de front. Jaroslaw devint porte-parole de Lech Walesa en 1989. Poste qu’il n’occupera que quelques mois : déçu par les luttes de pouvoir au sommet de la démocratie polonaise naissante, il écrira un best-seller très critique sur le futur président. « Walesa m’a immunisé pour toujours contre le virus de la politique. Tous mes idéaux sont alors tombés », dira-t-il. En 1992, il entre à Gazeta Wyborcza, qu’il ne quittera plus. Jacek, lui, prend le chemin inverse. « Il était persuadé qu’une grande carrière politique l’attendait. Son ambition était sans limites, à l’image de son ego surdimensionné », confie un de ses proches de l’époque. Son parcours politique sera sinueux, ponctué de nombreux revirements qui lui forgeront une réputation de grand cynique. « Il est brillant, mais son caractère le détruit. Il est impitoyable dans ses efforts de carrière, quitte à marcher sur des cadavres », dira de lui en 2003 Lech Kaczynski, président de la République de 2005 à sa mort en 2010. Envers les frères Kaczynski, Jacek Kurski ne sera pas vraiment un modèle de loyauté. En 2002, il s’engage auprès de la Ligue des familles polonaises (LPR), parti d’extrême droite catholique, et appelle à voter non au référendum d’entrée dans l’UE. Il organisera pour le compte de ce parti une campagne de communication très efficace en vue des élections européennes, avant de revenir immédiatement au PiS. « Jaroslaw Kaczynski ne cessera de lui pardonner ses trahisons et de lui donner des dernières chances. Avant tout parce qu’il est efficace. Mais au PiS il n’a que des ennemis », assure un politique du parti. Star des tabloïds, ses sorties controversées, ses condamnations pour diffamation, ses divers abus pendant les mandats qu’il exerçait façonneront sa réputation délétère. « Il a peut-être été un bon communicant, mais paradoxalement sa propre image dans l’opinion est dramatique », ajoute notre interlocuteur. Lors de la campagne présidentielle de 2005, il reprochera à Donald Tusk que son grand-père ait servi dans la Wehrmacht, ce qui lui vaudra une brève exclusion du PiS. « Tous ceux qui disent que quelqu’un veut lever la main sur Jaroslaw Kaczynski doivent savoir que Jacek Kurski coupera cette main », déclarera-t-il par la suite. Marek Migalski, ancien eurodéputé PiS, a sa petite théorie sur la relation ambiguë entre Jacek Kurski et Jaroslaw Kaczynski. « Ils sont tous les deux très intelligents, dit-il. Kaczynski est entouré de gens loyaux, mais qui ne brillent pas par leur intellect. Kurski est donc un bon partenaire de discussion. Mais aussi un bon soldat. Il a passé un ultime test de loyauté, et il est à présent complètement dépendant de la volonté de Kaczynski. » Sur l’avenir de la télévision publique, Marek Migalski ne se fait pas d’illusions : « Ce sera un tube de propagande des succès du gouvernement, sans nuances. Mais, puisque Kurski est talentueux, il arrivera même à en faire un tube de bonne qualité, voire intéressant, comme au temps du communisme ! » Le 18 janvier, Jacek Kurski a annoncé la création d’une chaîne publique d’information internationale en langue anglaise, Poland24. Folie des grandeurs ? Peut-être l’envie de faire profiter la planète entière des succès du PiS… Jaroslaw Kurski, lui, poursuit son combat d’idées dans l’opposition. Une bataille qui ne sera pas de tout repos, le pouvoir étant plus que jamais déterminé à en découdre. Les médias étiquetés « libéraux » et « de gauche » viennent d’être bannis des administrations publiques, ce qui représente un manque à gagner de plusieurs milliers d’exemplaires par jour. Des voix s’élèvent au PiS pour les priver des recettes publicitaires venues des entreprises publiques. Ce serait un coup très dur à encaisser. Jacek Kurski accuse Gazeta Wyborcza de « propagande anti-PiS ». Jaroslaw ne mâche pas ses mots à l’égard du gouvernement. A l’image de la fratrie Kurski, les deux Pologne semblent aujourd’hui irréconciliables. Qu’ont-elles en commun ? Un passé, sur lequel elles ne sont pas d’accord. Entre Rome et Byzance, le cœur des Polonais balance. Il faudra encore un peu de temps avant que la jeune démocratie polonaise n’apprenne à apprivoiser sa liberté et à panser ses plaies historiques. Fort heureusement, entre les hommes, tout n’est pas politique. p 12 | débats 0123 VENDREDI 5 FÉVRIER 2016 Cologne, lieu de fantasmes Selon l’écrivain Kamel Daoud, l’accueil des réfugiés demande d’admettre que leur donner des papiers ne suffira pas à les guérir du profond sexisme qui sévit dans le monde arabo-musulman par kamel daoud Q ue s’estil passé à Cologne la nuit de la SaintSylvestre ? On peine à le savoir avec exactitude en lisant les comptes rendus, mais on sait – au moins – ce qui s’est passé dans les têtes. Celle des agresseurs, peutêtre ; celle des Occidentaux, sûrement. Fascinant résumé des jeux de fantasmes. Le « fait » en lui-même correspond on ne peut mieux au jeu d’images que l’Occidental se fait de l’« autre », le réfugié-immigré : angélisme, terreur, réactivation des peurs d’invasions barbares anciennes et base du binôme barbare-civilisé. Des immigrés accueillis s’attaquent à « nos » femmes, les agressent et les violent. Cela correspond à l’idée que la droite et l’extrême droite ont toujours construite dans les discours contre l’accueil des réfugiés. Ces derniers sont assimilés aux agresseurs, même si l’on ne le sait pas encore avec certitude. Les coupables sont-ils des immigrés installés depuis longtemps ? Des réfugiés récents ? Des organisations criminelles ou de simples hooligans ? On n’attendra pas la réponse pour, déjà, délirer avec cohérence. Le « fait » a déjà réactivé le discours sur « doit-on accueillir ou s’enfermer ? » face à la misère du monde. Le fantasme n’a pas attendu les faits. LE RAPPORT À LA FEMME Angélisme aussi ? Oui. L’accueil du réfugié, du demandeur d’asile qui fuit l’organisation Etat islamique ou les guerres récentes pèche en Occident par une surdose de naïveté : on voit, dans le réfugié, son statut, pas sa culture ; il est la victime qui recueille la projection de l’Occidental ou son sentiment de devoir humaniste ou de culpabilité. On voit le survivant et on oublie que le réfugié vient d’un piège culturel que résume surtout son rapport à Dieu et à la femme. En Occident, le réfugié ou l’immigré sauvera son corps mais ne va pas négocier sa culture avec autant de facilité, et cela, on l’oublie avec dédain. Sa culture est ce qui lui reste face au déracinement et au choc des nouvelles terres. Le rapport à la femme, fondamental pour la modernité de l’Occident, lui restera parfois incompréhensible pendant longtemps lorsqu’on parle de l’homme lambda. Il va donc en négocier les termes par peur, par compromis ou par volonté de garder « sa culture », mais cela changera très, très lentement. Il suffit de rien, du retour du grégaire ou d’un échec affectif pour que cela « LA FEMME ÉTANT DONNEUSE DE VIE ET LA VIE ÉTANT PERTE DE TEMPS, LA FEMME DEVIENT LA PERTE DE L’ÂME » revienne avec la douleur. Les adoptions collectives ont ceci de naïf qu’elles se limitent à la bureaucratie et se dédouanent par la charité. Le réfugié est-il donc « sauvage » ? Non. Juste différent, et il ne suffit pas d’accueillir en donnant des papiers et un foyer collectif pour s’acquitter. Il faut offrir l’asile au corps mais aussi convaincre l’âme de changer. L’Autre vient de ce vaste univers douloureux et affreux que sont la misère sexuelle dans le monde arabo-musulman, le rapport malade à la femme, au corps et au désir. L’accueillir n’est pas le guérir. Le rapport à la femme est le nœud gordien, le second dans le monde d’Allah. La femme est niée, refusée, tuée, voilée, enfermée ou possédée. Cela dénote un rapport trouble à l’imaginaire, au désir de vivre, à la création et à la liberté. La femme est le reflet de la vie que l’on ne veut pas admettre. Elle est l’incarnation du désir nécessaire et est donc coupable d’un crime affreux : la vie. C’est une conviction partagée qui devient très visible chez l’islamiste par exemple. L’islamiste n’aime pas la vie. Pour lui, il s’agit d’une perte de temps avant l’éternité, d’une tentation, d’une fécondation inutile, d’un éloignement de Dieu et du ciel, et d’un retard sur le rendez-vous de l’éternité. La vie est le produit d’une désobéissance et cette désobéissance est le produit d’une femme. L’islamiste en veut à celle qui donne la vie, perpétue l’épreuve, qui l’a éloigné du paradis par un murmure malsain et qui incarne la distance entre lui et Dieu. La femme étant donneuse de vie et la vie étant perte de temps, la femme devient la perte de l’âme. L’islamiste est tout aussi angoissé par la femme parce qu’elle lui rappelle son corps à elle et son corps à lui. FANNY MICHAELIS LA LIBERTÉ QUE LE RÉFUGIÉ DÉSIRE Le corps de la femme est le lieu public de la culture : il appartient à tous, pas à elle. Comme je l’écrivais il y a quelques années à propos de la femme dans le monde arabe : « A qui appartient le corps d’une femme ? A sa nation, sa famille, son mari, son frère aîné, son quartier, les enfants de son quartier, son père et à l’Etat, la rue, ses ancêtres, sa culture nationale, ses interdits. A tous et à tout le monde, sauf à elle-même. Le corps de la femme est le lieu où elle perd sa possession et son identité. Dans son corps, la femme erre en invitée, soumise à la loi qui la possède et la dépossède d’elle-même, gardienne des valeurs des autres que les autres ne veulent pas endosser par [pour] leurs corps à eux. Le corps de la femme est son fardeau qu’elle porte sur son dos. Elle doit y défendre les frontières de tous, sauf les siennes. Elle joue l’honneur de tous, sauf le sien qui n’est pas à elle. Elle l’emporte donc comme un vêtement de tous, qui lui interdit d’être nue parce que cela suppose la mise à nu de l’autre et de son regard. » Une femme est femme pour tous, sauf pour elle-même. Son corps est un bien vacant pour tous et sa « malvie » à elle seule. Elle erre comme dans un bien d’autrui, un mal à elle seule. Elle ne peut pas y toucher sans se dévoiler, ni l’aimer sans passer par tous les autres de son monde, ni le partager sans l’émietter entre dix mille lois. Quand elle le dénude, elle expose le reste du monde et se retrouve attaquée parce qu’elle a mis à nu le monde et pas sa poitrine. Elle est enjeu, mais sans elle ; sacralité, mais sans respect de venant de choc ¶ Kamel Daoud est un écrivain algérien. Il est notamment l’auteur de Meursault, contre-enquête (Actes Sud, 2014), Prix Goncourt du premier roman. Il est également chroniqueur au Quotidien d’Oran. Cet article a d’abord été publié en Italie dans le quotidien La Repubblica. sa personne ; honneur pour tous, sauf le sien ; désir de tous, mais sans désir à elle. Le lieu où tous se rencontrent, mais en l’excluant elle. Passage de la vie qui lui interdit sa vie à elle. C’est cette liberté que le réfugié, l’immigré, veut, désire mais n’assume pas. L’Occident est vu à travers le corps de la femme : la liberté de la femme est vue à travers la catégorie religieuse de la licence ou de la « vertu ». Le corps de la femme est vu non comme le lieu même de la liberté essentielle comme valeur en Occident, mais comme une décadence : on veut alors le réduire à la possession, ou au crime à « voiler ». La liberté de la femme en Occident n’est pas vue comme la raison de sa suprématie mais comme un caprice de son culte de la liberté. A Cologne, l’Occident (celui de bonne foi) réagit parce qu’on a touché à « l’essence » de sa modernité, là où l’agresseur n’a vu qu’un divertissement, un excès d’une nuit de fête et d’alcool peut-être. LE PROBLÈME DES « VALEURS » Cologne, lieu des fantasmes donc. Ceux des extrêmes droites qui crient à l’invasion barbare et ceux des agresseurs qui veulent le corps nu car c’est un corps « public » qui n’est propriété de personne. On n’a pas attendu d’identifier les coupables, parce que cela est à peine important dans les jeux d’images et de clichés. De l’autre côté, on ne comprend pas encore que l’asile n’est pas seulement avoir des « papiers » mais accepter le contrat social d’une modernité. Le sexe est la plus grande misère dans le nicolas demorand le 18/20 mond 15 un jour dans le monde 18:15 19:20 le téléphone sonne « monde d’Allah ». A tel point qu’il a donné naissance à ce porno-islamisme dont font discours les prêcheurs islamistes pour recruter leurs « fidèles » : descriptions d’un paradis plus proche du bordel que de la récompense pour gens pieux, fantasme des vierges pour les kamikazes, chasse aux corps dans les espaces publics, puritanisme des dictatures, voile et burka. L’islamisme est un attentat contre le désir. Et ce désir ira, parfois, exploser en terre d’Occident, là où la liberté est si insolente. Car « chez nous », il n’a d’issue qu’après la mort et le jugement dernier. Un sursis qui fabrique du vivant un zombie, ou un kamikaze qui rêve de confondre la mort et l’orgasme, ou un frustré qui rêve d’aller en Europe pour échapper, dans l’errance, au piège social de sa lâcheté : je veux connaître une femme mais je refuse que ma sœur connaisse l’amour avec un homme. Retour à la question de fond : Cologne est-il le signe qu’il faut fermer les portes ou fermer les yeux ? Ni l’une ni l’autre solution. Fermer les portes conduira, un jour ou l’autre, à tirer par les fenêtres, et cela est un crime contre l’humanité. Mais fermer les yeux sur le long travail d’accueil et d’aide, et ce que cela signifie comme travail sur soi et sur les autres, est aussi un angélisme qui va tuer. Les réfugiés et les immigrés ne sont pas réductibles à la minorité d’une délinquance, mais cela pose le problème des « valeurs » à partager, à imposer, à défendre et à faire comprendre. Cela pose le problème de la responsabilité après l’accueil et qu’il faut assumer. p avec les chroniques d’Arnaud Leparmentier et d’Alain Frachon dans un jour dans le monde de 18 :15 à 19 :00 éclairages | 13 0123 VENDREDI 5 FÉVRIER 2016 Le mirage d’une primaire de la gauche ANALYSE thomas wieder Service France F LES DÉÇUS SONT LÉGION AU PS ET CEUX QUI PEUVENT PRÉTENDRE À L’ÉLYSÉE SONT CRUELLEMENT ABSENTS aire le vide autour de lui. Neutraliser ceux qui souhaitent l’empêcher de se présenter en 2017. A quinze mois de l’échéance, François Hollande n’a certes aucune assurance de prolonger de cinq ans son séjour à l’Elysée. Mais il est peut-être en passe de conjurer une menace : celle de devoir se soumettre à une primaire, comme ce fut le cas en 2011, pour imposer une nouvelle fois sa candidature à l’élection présidentielle. Cette idée peut surprendre, alors que les appels à une primaire se multiplient à gauche. Or, la difficulté est que ces appels se heurtent à deux sérieux obstacles. Le premier est lié à son périmètre. Pour l’heure, la direction du PS ne ferme pas totalement la porte mais pose de telles conditions (que la primaire aille « de Macron à Mélenchon », que M. Hollande y participe et que les autres candidats se rallient à celui-ci s’il gagne la primaire) que sa participation est peu probable. C’est aussi le cas de Jean-Luc Mélenchon, qui préfère faire cavalier seul que se présenter à une primaire que M. Hollande pourrait remporter. Faute d’une large primaire, seule une primaire de petite envergure paraît envisageable. Mais, là encore, cela n’a rien d’évident. D’abord parce que, sous la Ve République, les campagnes présidentielles ont toujours été pour les « petits » partis de gauche, y compris pour ceux qui sont allergiques à la nature monarchique des institutions, l’occasion de peser dans le débat public. Les imagine-t-on, dès lors, se priver d’un tel rendez-vous ? L’hypothèse est peu probable. Elle l’est d’autant moins que cette partie de la gauche reste structurée autour de formations dont les cultures politiques demeurent bien distinctes. Que celles-ci partagent une même aversion pour M. Hollande ne fait aucun doute. Qu’elles acceptent, au nom de cet adversaire commun, de se fédérer derrière un candidat unique – et donc de disparaître du paysage lors du rendez-vous majeur de la vie politique française – est beaucoup moins évident. SITUATION PARADOXALE Les partisans d’une primaire à gauche existent aussi au sein du PS. Pour autant, les espoirs de ces « frondeurs » ont eux aussi peu de chance d’aboutir dans la mesure où s’acharner reviendrait, pour eux, à prendre le risque d’exclusion ou de scission. Or ce risque est à la fois coûteux et hasardeux. Coûteux parce qu’il condamnerait les dissidents à se voir priver de ce que le soutien du parti peut leur apporter en termes d’investitures pour les futures élections législatives, municipales, etc. Hasardeux car on voit mal, à ce stade, qui pourrait, au PS, incarner une candidature de poids face à M. Hollande. Là se trouve le second obstacle à l’organisation d’une primaire à gauche. Depuis 2012, le PS se trouve en effet dans une situation para- doxale, celle d’un parti où les désenchantés sont légion mais où ceux qui peuvent prétendre à la fonction suprême sont cruellement absents, étonnamment discrets, passablement désorganisés ou politiquement hors jeu. C’est le cas de Martine Aubry. Depuis 2012, malgré des critiques ponctuelles contre telle ou telle décision du gouvernement (du travail du dimanche à la déchéance de nationalité en passant par la réforme territoriale), la maire de Lille n’a jamais franchi le Rubicon. Bien au contraire : lors du congrès de Poitiers, en juin 2015, elle s’est bien gardée de rejoindre la motion des « frondeurs », préférant rallier celle soutenue par Manuel Valls. Affaiblie localement après la défaite de son ami Pierre de Saintignon aux régionales, occupant une place peu lisible au sein de la majorité, Mme Aubry se retrouve dans une situation peu porteuse pour se lancer dans la course à l’Elysée. Si tant est qu’elle en ait l’envie, ce qui est loin d’être certain. A l’instar de Mme Aubry, aucun des autres candidats à la primaire socialiste de 2011 ne menace plus réellement le chef de l’Etat. Depuis son faible score enregistré à l’époque, Ségolène Royal a admis que son destin présidentiel était derrière elle. Aujourd’hui premier ministre, M. Valls n’est pas, non plus, en situation de défier M. Hollande en 2017. Nul ne comprendrait en effet qu’il s’oppose dans quelques mois à celui qu’il a fidèlement servi depuis quatre ans. Quant à Arnaud Montebourg, si sa sortie fracassante du gouvernement, en août 2014, pourrait lui servir de rampe de lancement pour 2017, force est de constater qu’il n’en reste pas grand-chose : absent de la scène politique, mystérieux quant à ses ambitions élyséennes, l’ancien ministre de l’économie n’a pas profité des derniers mois pour faire grossir ses troupes ni pour imposer un projet politique global qui aille au-delà de la simple critique de la ligne économique du gouvernement. Ailleurs au PS, le chef de l’Etat n’a guère plus d’adversaires sérieux à redouter. Il en va ainsi de Laurent Fabius, ce rival historique que M. Hollande a habilement neutralisé en le nommant au Quai d’Orsay et dont la possible entrée au Conseil constitutionnel vitrifierait les rêves présidentiels. C’est aussi le cas des anciens « quadras », les Moscovici, Peillon, Hamon qui, pour des raisons différentes, ont quasiment disparu de la scène politique nationale. Restent quelques noms. Anne Hidalgo, par exemple, qui ne manque certes pas une occasion d’attaquer le gouvernement, mais dont on voit mal qu’elle délaisse prochainement l’Hôtel de Ville de Paris pour briguer l’Elysée. Et puis enfin une poignée de trentenaires aux dents longues, tels Najat Vallaud-Belkacem ou Emmanuel Macron, dont la nomination à des postes éminents du gouvernement a sans doute nourri les ambitions. Mais, de ce côté-là non plus, M. Hollande n’a guère d’inquiétudes à avoir d’ici à 2017 : pour eux, la présidentielle arrive trop tôt, trop tôt en tout cas pour oser défier celui à qui ils doivent tout. p wieder@lemonde.fr LETTRE DE JÉRUSALEM | par p iot r smol ar Les Arabes israéliens ont-ils le droit d’être livrés à domicile ? S’ asseoir devant son ordinateur, aller sur le site d’un supermarché, remplir son panier virtuel, payer par carte et attendre la livraison. Cette démarche banale, dans le monde connecté, peut avoir une dimension hautement politique. En Israël, elle fait l’objet, depuis le 20 janvier, d’une plainte collective, déposée au tribunal de district d’Haïfa contre la chaîne de magasins Shufersal. Deux plaignants réclament 450 millions de shekels (104 millions d’euros), s’estimant discriminés. Ils sont tous deux arabes israéliens et n’ont pas la possibilité d’être livrés à domicile. Ces deux habitants de Fassuta et Rameh ont découvert que leurs villages ne figuraient pas dans les zones de distribution définies par le supermarché. Or, ils ont établi que des Israéliens vivant dans des municipalités voisines, essentiellement peuplées par des juifs, bénéficiaient du service de livraison de Shufersal, la plus puissante chaîne du pays avec près de 240 magasins. Les voitures chargées des cartons de produits traversent même les localités arabes, mais ne s’y arrêtent pas. Pour Me Jamela Hardal, l’avocate des plaignants, l’explication ne fait guère de doute. « Nous avons examiné le magasin en ligne avec un expert en sciences de l’information et nous LES INDÉGIVRABLES PAR GORCE avons découvert que le service existe dans 98 % des villes et villages juifs (313 sur 320), y compris de très petits et distants, tandis que 90 % des villes et villages arabes ne sont pas couverts, explique-t-elle. Nous avons examiné s’il existait de possibles critères économiques ou liés au marketing, mais n’en avons pas trouvé. Dès lors, il est apparu clairement qu’il existe une discrimination au niveau national. » Shufersal a réagi en assurant qu’elle fournissait ses services sans égard pour la religion, la race ou le sexe des clients. Selon l’avocate, cette plainte groupée constitue une démarche sans précédent. Elle intervient alors que la question des discriminations contre les Arabes israéliens – 20 % de la population – est âprement débattue. La Liste arabe unie avait obtenu un excellent résultat aux élections législatives de mars 2015 en défendant l’idée des droits égaux entre tous les citoyens, juifs et non juifs. Quelques jours après Noël, la communauté arabe a entrevu un cadeau inattendu de la part du premier ministre, Benyamin Nétanyahou. Celui-là même qui, le jour des élections, avait appelé à la mobilisation des électeurs juifs contre la menace supposée d’un vote massif des citoyens arabes, vus comme une cinquième colonne. Le 30 décembre 2015, le gouvernement a annoncé un plan de 15 milliards de shekels (3,4 milliards d’euros) sur cinq ans pour les minorités (musulmans, chrétiens, Bédouins, druzes, Circassiens). Cet effort vise à donner un coup de fouet dans tous les secteurs : éducation, transports publics, infrastructures routières, initiatives pour l’emploi, sécurité, autorités locales, etc. L’un des objectifs du plan est de permettre le développement de structures d’habitation élevées, pour changer le paysage urbain. DISCOURS OFFENSIF Puis est venu l’attentat de la rue Dizengoff, à Tel-Aviv, le 1er janvier. Un Arabe israélien a mitraillé une terrasse, en plein jour, tuant deux personnes. Une traque d’une semaine a suivi, avant que l’agresseur ne soit encerclé et tué. Le lendemain de l’attentat, M. Nétanyahou s’est rendu sur les lieux et a tenu un discours offensif contre la communauté arabe. Plus question de discriminations, mais de « loyauté » vis-à-vis de l’Etat. « Je ne suis pas prêt à accepter deux Etats d’Israël, a-t-il déclaré, un Etat de droit pour la plupart de ses citoyens et un Etat dans l’Etat pour certains, dans des enclaves où il n’y a pas d’application de la loi et où il y a des incita- tions à la violence islamiste, une criminalité endémique et des armes illégales souvent utilisées lors d’événements comme des mariages. Cette ère prend fin. » Le plan de développement ne pourra être mis en œuvre si la loi n’est pas appliquée, a prévenu le premier ministre. Pourtant, son gouvernement n’est guère enclin à empêcher le développement des avant-postes juifs en Cisjordanie, constructions illégales non seulement eu égard au droit international, mais aux yeux de la loi israélienne. Le 24 janvier, les Arabes israéliens ont compris que le plan de développement serait accompagné d’une potion amère. Le procureur général adjoint, Erez Kaminitz, qui a dirigé un comité chargé d’examiner le suivi des démolitions de constructions illégales, a remis ses conclusions. Il préconise de revoir à la hausse les pénalités et de convoquer au poste ceux qui refusent l’exécution des décisions administratives. Selon le comité, près de 50 000 habitations arabes ont été bâties sans autorisation préalable. Les élus de la communauté arabe mettent en avant le refus des autorités d’accroître le périmètre constructible pour leurs municipalités. p smolar@lemonde.fr L’ENSEIGNE SHUFERSAL ASSURE QU’ELLE FOURNISSAIT SES SERVICES SANS ÉGARD POUR LA RELIGION, LA RACE OU LE SEXE DES CLIENTS La magnificence des « mastabas » de Saqqarah COLLECTION EGYPTOMANIA L e quatrième volume de la collection « Egyptomania », coédité avec les éditions Altaya, nous emmène à Saqqarah, sur la rive occidentale du Nil, en Basse-Egypte. C’est là que se firent enterrer de nombreux pharaons, ainsi que les membres de l’aristocratie et de la société civile, tout au long de l’Egypte ancienne. Les tombes, leur dernière demeure pour l’éternité, étaient pour la plupart basses et rectangulaires. Construites en brique, elles recouvraient des puits funéraires creusés dans le sol. Aux yeux des Arabes du XIXe siècle, ces structures énigmatiques ressemblaient aux bancs placés devant les demeures modernes. Raison pour laquelle, ils les baptisèrent « mastabas » (« banc » en arabe). Ce volume fait la part belle à ces tombes qui précèdent les célèbres pyramides. Riche en cartes, plans, maquettes et illustrations en couleurs, il retrace les nombreuses évolutions que vont connaître ces constructions funéraires tout au long de l’Ancien Empire (2700 à 2200 av. J.-C). Considérablement affaiblis par le pouvoir royal, les nobles égyptiens reçoivent au départ des sépultures modestes. Au cours de la IIIe dynastie, lorsque Imhotep, le chancelier du pharaon Djoser, construit la première pyramide d’Egypte, les mastabas des nobles sont alors faits de brique crue. L’intérieur des tombes est pauvre en figurations. L’œil n’y voit guère que des cortèges de porteurs d’offrandes et des scènes de boucherie. LIEU D’UNE ACTIVITÉ ARTISTIQUE Avec le triomphe de l’absolutisme sous Snéfrou, puis sous son fils Khéops, les charges suprêmes de l’Etat – celles de grand prêtre de Râ, de vizir, de scribe royal ou de gouverneur – ont été dévolues à des fils royaux. Une noblesse de sang royal apparaît sous la IVe dynastie. Le mastaba s’anoblit sous la dynastie suivante : la pierre remplace la terre crue, les parois des chambres funéraires se couvrent de bas-reliefs, de statues, de peintures et d’inscriptions. Autour et au-dessous de cette haute aristocratie se forme alors une classe moyenne qui atteint son apogée à la fin de l’Ancien Empire. Désormais, propriétaires terriens, commerçants et fonctionnaires, originaires de la petite no- blesse, de la bourgeoisie, voire du prolétariat, se font enterrer dans des mastabas. La tombe civile devient le lieu d’une activité artistique qui ne cesse de s’épanouir jusqu’au crépuscule de l’Ancien Empire. A l’instar du sublime mastaba de Mérérouka, les salles des mastabas sont décorées de scènes évoquant la vie du défunt. Nulle scène de lamentation, de mort ou de violence. Sont représentés le Nil, la terre d’Egypte, sa faune, sa flore, ses richesses. Cet ouvrage revient également sur les textes des pyramides, passeport des pharaons pour l’éternité. Ces formules en hiéroglyphes, datant de l’Ancien Empire, étaient destinées à faciliter la montée du défunt au ciel. C’est aussi ce qui nous fascine tant chez les Egyptiens : leur soif de survie, mais aussi leur société complexe et supérieurement organisée. p antoine flandrin EGYPTOMANIA, une collection « Le Monde »-volume n°4 : Saqqarah – L’Egypte avant les pharaons – Les mastabas de Saqqarah – Art et artisanat – Rahotep et Nephret. En vente en kiosques dès le 4 février à 7,99€. 14 | disparitions & carnet Michael Sheringham Professeur de littérature française à Oxford 0123 VENDREDI 5 FÉVRIER 2016 Ng Ectpgv Xqu itcpfu fixfipgogpvu Pckuucpegu. dcrv‒ogu. hkcp›cknngu. octkcigu. cppkxgtucktgu fg pckuucpeg. cppkxgtucktgu fg octkcig Cxku fg ffieflu. tgogtekgogpvu. oguugu. eqpfqnficpegu. jqoocigu. cppkxgtucktgu fg ffieflu. uqwxgpktu Eqnnqswgu. eqphfitgpegu. ufiokpcktgu. vcdngu/tqpfgu. rqtvgu/qwxgtvgu. hqtwou. lqwtpfigu fÔfivwfgu. eqpitflu. rtqlgevkqpu/ffidcvu. pqokpcvkqpu. cuugodnfigu ifipfitcngu Uqwvgpcpegu fg ofioqktg. vjflugu. JFT. fkuvkpevkqpu. hfinkekvcvkqpu Gzrqukvkqpu. xgtpkuucigu. ukipcvwtgu. ffifkecegu. ngevwtgu. eqoowpkecvkqpu fkxgtugu Rqwt vqwvg kphqtocvkqp < 23 79 4: 4: 4: 23 79 4: 43 58 ectpgvBorwdnkekvg0ht En 2010. BRITISH ACADEMY S pécialiste de littérature française moderne et contemporaine, titulaire de la chaire Maréchal Foch à l’université Oxford entre 2004 et 2015, année où il a pris sa retraite, Michael Hugh Tempest Sheringham est mort le 21 janvier, à l’âge de 68 ans, des suites d’un cancer. Né le 2 juin 1948 au Caire, Michael Sheringham avait été professeur de littérature française à la Royal Holloway University de Londres (1995-2004), avant d’être élu à la plus prestigieuse des chaires de littérature française au RoyaumeUni, auparavant occupée par le grand historien de l’art Jean Seznec, et deux proustiens éminents, Malcolm Bowie et Jean-Yves Tadié. Il avait fait ses études universitaires entre 1966 et 1973 à l’université de Kent, à Canterbury, une des universités créées au Royaume-Uni au milieu des années 1960, où soufflait un vent d’ouverture et d’invention, et où il avait été enseignant de 1974 à 1995. L’autobiographie et le quotidien Michael Sheringham a d’abord travaillé sur André Breton et le surréalisme, la poésie et la fiction d’avant-garde. Dans ce sillage, il a ensuite ouvert d’autres grands chantiers : l’autobiographie et le quotidien. Ces grandes enquêtes, longuement mûries, qui faisaient jouer ensemble littérature, philosophie et sciences humaines, ont donné lieu à des livres importants : French Autobiography. Devices and Desires, Rousseau to Perec (Clarendon Press, 1993) et Everyday Life. Theories and Practices from Surrealism to the Present (Oxford University Press, 2009), traduit en 2013 sous le titre Traversées du quotidien (PUF). Dans ce dernier opus, il explore la manière dont la question du quotidien s’est trouvée au centre de la réflexion intellectuelle en France entre 1945 et 1980, autour des œuvres d’Henri Lefebvre, des situationnistes, de Barthes, de Leiris, de Perec ou de Michel de Certeau. Il a aussi édité Parisian Fields (1996) et The Art of the Project : Projects and Experiments in Modern French Culture (2005). Ses articles portent sur de très nombreux auteurs, avec une fidélité particulière pour Yves Bonnefoy, Jacques Réda, Georges Perec, Jacques Roubaud, Patrick Modiano, Marie NDiaye, Pascal Quignard ou Pierre Michon. Il achevait un nouveau livre sur la notion d’archives dans la littérature et la pensée françaises contemporaines. La qualité de ses travaux et de sa personne, les liens de confiance et AU CARNET DU «MONDE» 2 JUIN 1948 Naissance au Caire 1995-2004 Professeur de littérature française à la Royal Holloway (université de Londres) 2004 Elu à la chaire Maréchal Foch à l’université Oxford 2009 Publie « Traversées du quotidien » (PUF, 2013) 21 JANVIER 2016 Mort d’amitié qu’il a noués avec nombre d’écrivains et d’universitaires français lui ont permis de placer Oxford sur la carte de la recherche internationale en matière de littérature française contemporaine : il y a fédéré et officialisé son enseignement, à l’image du mouvement qui a eu lieu en France au cours des vingt dernières années. Michael Sheringham a déployé une activité inlassable au service de la littérature et de la culture françaises au Royaume-Uni en tant que président de la Society for French Studies et, pendant de longues années, du Comité de la Maison française d’Oxford. Il a formé nombre d’étudiants auxquels il a transmis son amour de la langue et de la poésie. Dans le cadre du séminaire French Literature from the Modern to the Postmodern, il a invité des écrivains, dont Michel Deguy, Jacques Réda, Dominique Fourcade. Il a été professeur invité au Collège de France, à l’Ecole normale supérieure, dans des universités françaises et aussi à Berkeley (Californie), et à Dartmouth College (New Hampshire). Il a été aussi pendant près de trente ans un collaborateur régulier du Times Literary Supplement, écrivant sur Guillevic, Claude Simon, Supervielle, Apollinaire, Yves Bonnefoy, Annie Ernaux et Philippe Jaccottet, auquel il a consacré son dernier article à propos de la parution de ses œuvres dans « La Pléiade » en 2014. Un colloque d’hommage venait de lui être consacré à All Souls College, dont il était « fellow », du 10 au 12 janvier, auquel participaient nombre de collègues, amis et anciens étudiants anglais et nordaméricains. Pour Michael Sheringham, c’est toujours dans la recherche d’écritures nouvelles et de pensées aventureuses, dans le dialogue avec les autres arts, que la littérature garde son sens le plus exigeant, le plus vivant. p dominique rabaté et philippe roussin Dominique Rabaté est professeur de littérature française à Paris-VII. Philippe Roussin est directeur de recherche au CNRS Anniversaire de naissance « L’oiseau de Médreville » Petit oiseau Doux et subtil Oiseau du Clos De Médreville ont l’immense tristesse de faire part du décès de Mme Gilberte DRÉVAL, née ROGER, retraitée de la Banque de France, survenu à Mâcon, le 30 janvier 2016, dans sa quatre-vingt-quinzième année. dr.alain.dreval@free.fr Suzanne Débarbat, Simone Dumont, Jean-Claude Pecker, Ses amis, ont la tristesse de faire part du décès de Geneviève DROUIN, dans sa cent deuxième année. Pendant de nombreuses années, elle a géré le laboratoire d’astrophysique générale de l’Observatoire de Meudon, puis le laboratoire de la chaire d’astrophysique théorique du Collège de France. Pendant un terme, elle a également assuré l’édition des publications de l’Union astronomique internationale. Ses obsèques ont eu lieu dans l’intimité, au cimetière de Neuilly-sur-Seine. M. James Edmund Andrew JOHNSTON, doctorant en philosophie à l’université de Franche-Comté, nous a quittés le 29 janvier 2016 dans sa trente et unième année. Il laisse dans la douleur, Edith, son épouse, Théodore, son ils, Ses parents, Ses frère et soeur, Sa famille, sa belle-famille Ainsi que tous ses amis. La cérémonie religieuse sera célébrée le vendredi 5 février à 15 h 15, en l’église Saint-Ambroise, Paris 11e. C’est un grand jour Que ce jour d’hui Car c’est le jour Où tu naquis Edith Maréchal Johnston, 488, chemin de La Rodettte, 01300 Belley. À toi mes vœux À toi ma chère Un très heureux Anniversaire. J.J Décès Sa famille, Ses amis, ont la tristesse de faire part du décès de Georges Gedala BENDER, survenu le 23 janvier 2016, à l’âge de quatre-vingt-cinq ans. L’inhumation se fera le vendredi 5 février, à 15 h 30, au cimetière du PèreLachaise, Paris 20e. Ni leurs ni couronnes. Les salariés de Business & Decision font part de leur immense tristesse, suite au décès du fondateur et présidentdirecteur général Patrick BENSABAT, survenu le 29 janvier 2016. Leurs premières pensées vont à son épouse, à ses enfants et à toute sa famille. Ils continueront de porter ses lambeaux. Marianne Saluden, Sylvia Lamblin Richardson, Paulette Perec Et toute la famille, ont la douleur d’annoncer le décès de Ela BIENENFELD, le 1er février 2016, à Paris. La cérémonie aura lieu au crématorium du cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e salle du dernier hommage, le samedi 6 février, à 11 h 30. Marianne Saluden, 54 avenue Galliéni, 94100 Saint-Maur. Sylvia Richardson, 62 St Bartholomew’s Court, Riverside, CB5 8HG Cambridge, UK. Paulette Perec, 13, rue Linné, 75005 Paris. Le conseil d’administration de l’Association Georges Perec a le regret de faire part du décès, à Paris, le 1er février 2016, de M Ela BIENENFELD, me Mme Martine Dréval-Poncet et M. Henri Tardy, Le docteur Alain Dréval, Mme Sylvie Robin, ses enfants, cousine de l’écrivain, membre fondateur de l’A.G.P. François Kaldor, Lucie Thiesse-Kaldor, son ils et sa belle-ille, Cyrille Kaldor, son petit-ils, ont la tristesse de faire part du décès de Mme Charlotte KALDOR, née SZLADOWSKI, combattant volontaire de la Résistance, organisatrice d’un réseau d’évasions pendant La Résistance, secrétaire au COMAC, survenu le 2 fevrier 2016, dans sa centième année. Elle rejoindra son mari, Pierre KALDOR, avocat honoraire, décédé le 5 mars 2010, au nouveau cimetière de Neuilly-surSeine, rue de Vimy, à Nanterre (Hauts-deSeine), le mardi 9 février, à 11 heures. 2, rue de Verdun, 92600 Asnières-sur-Seine. francois.kaldor@orange.fr Nicole, Patrice et Michel, ses enfants, Ses petits-enfants, Sa famille, ont l’immense tristesse de faire part du décès de Yvonne LANGLOIS, née GRILLON, dite Henriette. Elle s’est éteinte paisiblement à son domicile, à l’age de quatre-vingt-dix-neuf ans. Une messe sera célébrée à son intention en l’église Sainte-Anne, rue de Tolbiac, Paris 13e, à 14 h 30. Cet avis tient lieu de faire-part. L’UMR Savoirs, Textes, Langage, Son équipe de recherche, Ses amis médiévistes parisiens et lillois, ont la tristesse d’annoncer le décès de Max LEJBOWICZ, survenu le samedi 30 janvier 2016. Les obsèques auront lieu au crématorium du cimetière du PèreLachaise, Paris 20e, ce jeudi 4 février, à 16 h 30, où un bref hommage lui sera rendu. Laura Nowak, sa ille, Collette Six, sa compagne, Sa famille, Ses amis Et ses élèves, Les Noctambules de Nanterre, ont la tristesse d’annoncer le décès de Michel NOWAK, artiste de cirque, pédagogue et fondateur/directeur de la Compagnie Les Noctambules, survenu le 28 janvier 2016, dans sa soixante-sixième année. Un hommage aura lieu ce jeudi 4 février, de 14 heures à minuit, sous le chapiteau des Noctambules, à Nanterre (Hauts-de-Seine), 220, avenue de la République. Les obsèques auront lieu dans l’intimité familiale. Fleur Pellerin, ministre de la Culture et de la Communication, Vincent Berjot, directeur général des patrimoines, Gille Désiré, directeur de la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine Et l’ensemble des personnels de la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, ont la tristesse de faire part du décès de Jean-Daniel PARISET, conservateur général honoraire du patrimoine, ancien directeur de la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine. Un culte d’adieu aura lieu le vendredi 5 février 2016, à 10 heures, au temple de l’Oratoire du Louvre, 145, rue SaintHonoré, Paris 1er. Laurence et Pauline, son épouse et sa ille, Les familles Rivallant-Delabie, Harnois, Marguerite et Alaoui, ont la douleur de faire part de la brutale disparition, de Frédéric RIVALLANT-DELABIE, survenue le 31 janvier 2016, à l’âge de cinquante et un ans. La cérémonie religieuse sera célébrée le vendredi 5 février, à 14 h 30, en l’église Saint-Germain de Brettevillel’Orgueilleuse (Calvados), suivie de l’inhumation dans l’intimité familiale. Pour tous ceux qui le souhaitent, amis et collègues, un dernier hommage lui sera rendu le vendredi 12 février, à 9 heures, en l’église de Saint-Médard-en-Jalles (Gironde). Véronique Manniez-Rivette, Denise et Xavier Berthet, et leurs enfants, leurs petits-enfants, leurs arrière-petits-enfants, Ses amis Et ses équipes, vous convient à accompagner, Jacques RIVETTE, au cimetière de Montmartre, Paris 18 e, le vendredi 5 février 2016, à 14 h 15. 16, rue Cassette, 75006 Paris, veronique.manniez@orange.fr (Le Monde daté 31 janvier-1er février.) Zoé Chauveau Rock, son épouse, Charlotte et Gabriel Rock, ses enfants, Rose et Madeleine, ses princesses, ont la douleur et le chagrin de faire part du décès brutal de Jean-François ROCK, survenu le 20 janvier 2016, à Majorque, à l’âge de soixante et un ans. « Love is all you need ». Marie-Françoise Santarelli, Pierre et Frédérique Santarelli, ses enfants, Claire Feuillade Santarelli et Thomas Pirlot, ses beaux-enfants, Nathan et Gabriel Santarelli, ses petits-enfants, ont la tristesse de faire part de la disparition de Manuel SANTARELLI, le 31 janvier 2016, à Bruxelles. Les obsèques seront célébrées au crématorium de Uccle, le vendredi 5 février, à 13 h 45. Hommage La présidente de l’université Paris Diderot Et l’ensemble de la communauté enseignante, scientiique et administrative de Paris Diderot, souhaitent saluer la mémoire de leur collègue et ami le professeur Gérard BELTRANDO, enseignant-chercheur en géographie et directeur de l’Institut des Écoles doctorales de l’université trop tôt disparu ce 28 janvier 2016 et présentent à sa famille leurs très sincères condoléances. Séminaire Le séminaire du professeur Thomas Durand, « Processus stratégiques » démarrera le mercredi 17 février 2016, à 18 h 15, dans l’amphi Laussedat, au Cnam, 2, rue Conté, Paris 3e (métro Arts-et-Métiers). 13 séances sont programmées de février à juin 2016. Ce séminaire abordera les questions d’élaboration et de déploiement stratégiques au sein des organisations. Contact : alexandra.carl@lecnam.net Tél. : 01 58 80 87 98 (réf. MSE204). Communication diverse Journée de l’EPhEP « Logiques du politique : l’Organon d’Aristote étudié par le biais de son positionnement sur les questions de l’identité » (reprise), samedi 6 février 2016, de 9 h 30 à 18 heures, Centre Sèvres, 35 bis, rue de Sèvres, Paris 6e. Intervenants : Hourya Benis Sinaceur, Roger Bruyeron, Marie-Charlotte Cadeau, Pierre-Christophe Cathelineau, Charles Melman, Hubert Ricard, Stéphane Thibierge. Contact : s.bruyeron-razaimbelo@ephep.com # # $ !# $ # #$ $# &. + *2.+ #$ $ #$ $ $# $ # *'$ %&# & #$ # . *&%%* # $ !# ! #! *%& + &/& #$ %# # # " $ #$ ! #! # %&!- &(). % * ** %%#&%. * % # %* # * .* # # ** &.*-& + # % *&% 2#/ .$%% *%. 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Certes, la rumeur rapportait que l’ambiance était loin d’être au beau fixe dans la compagnie. Le documentaire Relève, consacré à Millepied et aux répétitions de son ballet Clear, Loud, Bright, Forward, projeté le 25 novembre 2015 en avant-première, puis diffusé le 23 décembre sur Canal+, avait choqué certains danseurs. Benjamin Millepied y assénait, entre autres, à propos du Ballet, l’une des meilleures troupes au monde : « C’est quoi l’excellence de l’Opéra exactement ? Je ne suis pas encore satisfait de la façon dont ça danse en scène. L’excellence, j’attends de la voir pour de vrai… » Il concluait que « la compagnie n’est pas la meilleure troupe classique mais la meilleure en danse contemporaine ». « Problème d’assiduité » Le 18 décembre, dans Le Figaro, Benjamin Millepied poursuivait ses critiques. Pour évoquer le « tableau des Ombres » dans le ballet La Bayadère, à l’affiche de l’Opéra Bastille du 17 novembre au 31 décembre, il disait ainsi : « Etre danseur, c’est s’exprimer, pas tenter de ressembler à un motif sur du papier peint ! » Il pointait aussi que, dans la troupe, « le vrai problème à résoudre est celui de l’assiduité au cours : cinq fois par semaine, pas deux ou trois fois, sinon le corps résiste, se blesse ». Il recommandait encore aux jeunes danseurs « d’avoir un sens entrepreneurial, de savoir trouver des fonds ou gérer une carrière, avec, par exemple, les réseaux sociaux… » De quoi attiser la colère parmi les interprètes. « J’ai été choqué par cet article dévastateur, par l’irrespect de Benjamin Millepied visà-vis de la compagnie qu’il dénigre totalement, commente Karl Paquette. Je danse depuis trente ans dans la maison, j’adore cet Opéra Benjamin Millepied pendant la répétition du ballet « Daphnis et Chloé », en 2014. AGATHE POUPENEY de Paris, je ne m’y suis jamais senti aussi mal que depuis six mois. J’ai par ailleurs vécu la fin de cet article comme une annonce potentielle de son départ. » De fait, Millepied disait : « Si je n’y arrive pas ici, je le ferai ailleurs. » Dans la foulée de ces déclarations, Benjamin Millepied aurait eu une « explication » avec les danseuses de La Bayadère. Tenir les rênes de 154 interprètes n’est pas une mince affaire. Depuis quelques mois, les sujets de discussions, voire de polémiques, étaient variés. Désir de casser la hiérarchie, qui sert de colonne vertébrale à la troupe ; valorisation de sa « dream team », petit groupe de jeunes danseurs choi- sis dans le corps de ballet ; à l’inverse, « oubli » des étoiles, peu distribuées, voire reléguées ; déboulonnage de castings le soir de la générale… Toujours à propos de La Bayadère, ballet du XIXe siècle dont l’exotisme est raccord avec l’époque coloniale, Benjamin Millepied a rebaptisé la « danse des négrillons » « danse des enfants », et refusé que les jeunes danseurs de l’école de l’Opéra national de Paris soient, comme à l’habitude, maquillés en noir. Une décision qui a suscité quelques remous, entre autres, sur les réseaux sociaux. La couleur à l’américaine de Benjamin Millepied, ancien danseur du New York City Ballet, a-t- Sa femme, l’actrice Natalie Portman, ne serait, selon France Info, pour rien dans sa décision elle eu du mal à prendre sur la palette française ? Les « lourdeurs administratives », évoquées dans le documentaire Relève, auraientel les été insurmontables ? Sa garde rapprochée, qui devait rassembler Clotide Vayer et la danseuse étoile Aurélie Dupont, a été rapidement mise à mal. La première a été longtemps absente pour cause de maladie ; la seconde a finalement décliné le poste de maître de ballet. Depuis, Millepied n’avait pas officiellement reconstitué une équipe mais évoquait le danseur étoile Benjamin Pech comme collaborateur de premier plan. Quant à sa femme, l’actrice Natalie Portman, qui avait déclaré dans la presse qu’elle ne se sentait pas en sécurité à Paris, elle ne serait, selon France Info, pour rien dans sa décision. Lors de sa nomination, en janvier 2013, Benjamin Millepied débordait d’enthousiasme : « C’est un rêve de diriger une compagnie comme celle-ci », s’extasiait-il. Son bilan, à ce jour, est conséquent : aux côtés de Stéphane Lissner, il a mis en œuvre la 3e Scène, espace numérique consacré à la création, et fait entrer dans les caisses de l’institution des sommes non négligeables grâce au mécénat – plus de 1 million d’euros lors de la seule soirée de gala en septembre 2015. Depuis sa première invitation à l’Opéra national de Paris, Benjamin Millepied, qui n’a pas lâché les rênes de sa compagnie L.A. Dance Project, basée à Los Angeles, a créé pour la troupe parisienne Amovéo (2006), Triade (2008), Daphnis et Chloé (2014) et Clear, Loud, Bright, forward (2015). p rosita boisseau Un remake du « Mépris » ébranle la Cinémathèque française Dans une vidéo diffusée le 1er février, une ancienne hôtesse d’accueil dénonce « l’indifférence » de la direction envers les « sous-fifres » L a vidéo fait penser à un film de Godard, un pastiche du Mépris sur le thème de la précarité… A cette différence que la jeune femme brune, qui fait face à la caméra, ressemble plus à Anna Karina qu’à Brigitte Bardot. Sa « Lettre à la Cinémathèque » a irrigué les réseaux sociaux le 1er février, le jour où le nouveau di recteur de la Cinémathèque française, Frédéric Bonnaud, prenait ses fonctions à la suite de Serge Toubiana. Durant treize minutes, cette ancienne employée de l’institution raconte son expérience d’hôtesse d’accueil sur le site de Bercy, à Paris, de février 2012 à l’automne 2015. Elle se prénomme Anna, est âgée de 22 ans, ne souhaite pas dévoiler son patronyme. Etudiante en master 1 de cinéma, elle avait toujours rêvé de travailler à la Cinémathèque. Mais elle a vite dé- « La Cinémathèque n’est pas un bagne, loin s’en faut» SERGE TOUBIANA ancien directeur chanté, face à « l’indifférence » et au « mépris » de l’ancienne direction à l’égard des « sous-fifres » de l’accueil. La jeune femme dénonce, par ailleurs, des situations de « harcèlement » ainsi que des « menaces subtiles » émanant de l’agence de sous-traitance qui l’employait, City One. La Cinémathèque française a en effet externalisé la ges tion de son personnel d’accueil à cette société, avec laquelle elle collabore depuis une dizaine d’années. La jeune femme décrit un lourd climat, fait « d’accusations mensongères », tout en saluant d’anciens collègues qui l’ont soutenue : les « robots précaires » ont fini par faire grève, le 8 mai 2014. Trois semaines plus tard, la Cinémathèque accueillait une rétrospective des frères Dardenne, célébrés pour leur cinéma social : « M. Toubiana, il n’y a pas que dans les usines belges que l’on trouve des jeunes gens précaires », grince Anna. Elle s’indigne : « Les habitués sont un sujet de moquerie perpétuel », dit-elle. Un sentiment partagé par un ancien agent d’accueil, Jean Gaillot, en poste de 2006 à 2008. « Certains habitués ont connu Henri Langlois, l’un des fondateurs de la Cinémathèque en 1936. Ils passent leurs journées en salles, avec leur côté roots, leurs vieux pulls. La direction nous a fait comprendre qu’il ne fallait plus en- tretenir des liens comme dans le passé », explique-t-il. A Bercy, poursuit-il, la Cinémathèque est partie à la conquête de « nouveaux publics » (près de 400 000 visiteurs en 2015) et veut afficher « une image plus glamour ». « Des robots » Un autre ancien salarié, Philippe Santschi, responsable de l’accueil et de la billetterie de 2008 à 2010, décrit un changement de culture. « Si on fait appel à une agence, c’est pour modifier les habitudes. Les agents d’accueil étaient là pour vendre des billets, orienter le public. La Cinémathèque voulait des robots, pas une ambiance conviviale », appuie-t-il. Contacté mercredi 3 février, dans la soirée, le délégué CFDT Fred Savioz, responsable du service audiovisuel de la Cinémathèque, exprime son « énervement » : « Ces dérives sont récurrentes avec ce sous-trai- tant. On les a fait remonter plusieurs fois à la direction. Le problème de fond, c’est l’externalisation : cela rend les salariés esclaves, et c’est la Cinémathèque, subventionnée par l’Etat, qui cautionne la situation. » City One propose des services à de nombreuses entreprises, comme l’Institut du monde arabe ou Air France (Le Monde est l’un de ses clients, notamment pour l’accueil et le service courrier). Le président France de City One, Nicolas Lixi, s’explique : « Cette jeune femme, amoureuse du cinéma, a tenté de toucher cet univers via un poste à l’accueil. Mais c’est un métier qui ne répondait sans doute pas à ses attentes. » Il repousse les accusations : « Des “menaces subtiles” ? Ce n’est pas le genre de pratiques chez City One. Il y a eu des mouvements sociaux, et certains cas de harcèlement, mais qui n’ont pas donné lieu à des plaintes en justice. A chaque fois, on corrige le tir. » Le président de la Cinémathèque, le cinéaste Costa-Gavras, n’a pas donné suite à notre demande d’entretien. Sur son compte Facebook, le 3 février, Serge Toubiana s’est dit « touché » par le message de la jeune femme, regrettant qu’elle n’ait « pas osé [le] solliciter directement » : « Peut-être était-elle timide ? » L’ancien directeur refuse, cependant, la comparaison avec « les ouvriers esclaves de Metropolis, de Fritz Lang » : « La Cinémathèque n’est pas un bagne, loin s’en faut. Le personnel d’accueil qui y travaille est respecté », répliquet-il. Quant à son successeur, Frédéric Bonnaud, il souhaite éteindre le feu : « Rendez-vous a été pris avec les dirigeants de City One, le 10 février. A l’issue de cette réunion, la Cinémathèque prendra les décisions qui s’imposent. » p clarisse fabre 16 | culture 0123 VENDREDI 5 FÉVRIER 2016 Un panneau publicitaire signé Jérôme Bosch La découverte d’un tableau du maître hollandais coïncide avec le lancement, le 13 février, d’une exposition ARTS P our un beau coup de com, c’est un beau coup de com : lundi 1er février, juste avant l’ouverture le 13 du même mois de l’exposition consacrée à Jérôme Bosch (1450-1516) par sa ville natale de Bois-le-Duc, des chercheurs ont annoncé avoir découvert un panneau inconnu de l’artiste hollandais. Il était dissimulé sous des repeints des années 1960, et con- 26 servé au plus profond des réserves du musée de Kansas City (Missouri). Son directeur, Julian Zugazagoitia, s’en est réjoui lors d’une conférence de presse à Amsterdam, dans la foulée de l’office du tourisme néerlandais, qui a été le premier à communiquer sur le sujet. Les seuls qui pourraient s’en plaindre un peu, ce sont les responsables du service de presse des éditions Actes Sud. On ne les avait visiblement pas tenus au Le nombre de tableaux attribués à Jérôme Bosch Jusqu’à la découverte de la nouvelle œuvre, La Tentation de saint Antoine, seuls vingt-cinq tableaux étaient attribués officiellement au maître hollandais du XVIe siècle. L’exposition présentée aux Pays-Bas à partir du 13 février montre en outre les dix-neuf dessins du maître jusqu’ici répertoriés. courant de ce que le catalogue raisonné de l’artiste, qu’ils publient à la mi-février – un effort éditorial important puisqu’il consacre 575 pages à ce maître dont il ne subsiste guère plus de 25 tableaux –, contenait huit pages sur le supposé scoop. Un fragment L’ouvrage a été en partie rédigé par Matthijs Ilsink, coordinateur du Bosch Research and Conservation Project, à l’origine de la redécouverte. Il avait préféré révéler l’information pour la promotion de l’exposition dont il est aussi commissaire. Elle le mérite : marquant le 500e anniversaire du décès de Bosch, le parcours de Bois-le-Duc – où il a vu le jour vers 1450 – rassemblera plus de vingt panneaux, dont un triptyque prêté par le Prado de Madrid, qui n’a pas quitté l’Espagne depuis son acquisition par le roi Philippe II, il y a 450 ans. Le petit panneau – il mesure 38,6 par 25,1 cm –, exhumé des caves du Nelson-Atkins Museum of Art de Kansas City, a été acheté en 1935 par William Rockhill Nelson, un promoteur immobilier et patron de presse. L’homme, qui fut aussi un des fondateurs du Nelson-Atkins Museum, l’avait acquis auprès de la galerie Durlacher Brothers de New York. Après la restauration malheureuse précitée, il a été étudié par un certain nombre de spécialistes, dont Mia Cinotti qui, en 1969, le considérait au mieux comme une œuvre de l’entourage du peintre, suivie en cela par ses successeurs. A leur décharge, il faut dire que, outre les repeints qui sont nombreux, le panneau est un fragment détaché d’un ensemble plus grand (les auteurs du catalogue le rapprochent du volet gauche du Triptyque des ermites conservé à Venise), qu’il comporte Le tableau représente un personnage agenouillé près d’une rivière où s’ébattent des petits monstres plusieurs fissures et que la couche picturale est usée. Il représente un personnage agenouillé près d’une rivière où s’ébattent des petits monstres qu’affectionnait Jérôme Bosch, et qui n’ont pas peu contribué à la fascination qu’il a exercée à travers les âges, des rois d’Espagne jusqu’aux surréalistes. Il s’appuie sur une canne en forme de tau, comme saint Antoine. Les spécialistes n’ont pas poussé la hardiesse jusqu’à affir- mer que le pied de porc posé sur une table flottant sur l’eau était une métonymie désignant le cochon associé au saint, se bornant à signaler qu’on retrouve ce motif dans d’autres de ses œuvres. Ainsi en est-il d’un renard coiffé d’un capuchon ou d’un homme surmonté d’un entonnoir. Nantie d’une telle publicité, nul doute que l’œuvre sera une des vedettes de l’exposition à venir, et, lors de son retour à Kansas City à sa clôture, le 8 mai, un des clous de la collection du musée de la ville. Son directeur ne s’y est pas trompé, qui a déclaré : « C’est un peu comme si votre enfant venait de recevoir le prix Nobel. » Rappelons que saint Antoine était invoqué pour soigner les maladies provoquées par l’ergot de seigle, dont les premiers symptômes étaient le délire et l’hystérie collective. Et prions pour son intercession. p harry bellet Little Simz croque le globe en rappant La Britannique a impressionné le public de la Maroquinerie, à Paris, mercredi #$0-(83. .,7$-. 4<08-$3- ,3$ +8%<1 HIP-HOP J’ ai écrit God Bless Mary pour ma voisine, explique l’Anglaise Little Simz, à son public. Je voulais la remercier d’avoir supporté mes mauvaises manières pendant si longtemps. Jusqu’à 2 heures du matin, je lui cassais la tête avec ma musique, que je jouais sur des enceintes aussi grosses que celles-ci. » Le public de la Maroquinerie à Paris, pleine à craquer, a pu avoir un aperçu, mercredi 3 février, de ce que la voisine londonienne a vécu ces douze dernières années. Little Simz, 21 ans, a commencé à rapper à l’âge de 9 ans après avoir goûté à la scène lors d’une fête d’école. Depuis, elle n’a jamais cessé d’affûter son débit. Ses mots sont incisifs, les infrabasses de sa musique se ressentent à tous les étages, son énergie semble infinie. Coupe au carré, petite veste noire, la jeune femme longiligne en impose sur scène. Ses collègues américains André 3 000, J.Cole ou Kendrick Lamar, ne cessent de faire son éloge en interview. . (,!)'- & "))$%#*+ "%*,0)(%$ *0)* 2.%+/,4* ') -)#71!*01 &0+* %1 (4'503 !<&1,+0$) 2$ 6,""/5(* %9. 4(83-$3(3- ' « Ouverture sur le monde » Née Simbi Ajikawo de parents nigérians, Simz a grandi à Islington, au nord de Londres, dans une maison où les enfants parlaient plusieurs langues. Sa mère gagne sa vie en élevant de jeunes réfugiés venus de Somalie, d’Erythrée, du Nigeria, d’Albanie, mais aussi des pupilles anglais, placés par les services sociaux britanniques. « Le métier de ma mère m’a appris très tôt l’humilité, à apprécier ce que j’ai et ce que beaucoup d’enfants n’ont pas sur cette planète : l’amour d’une famille, un toit, des repas tous les jours. Cela m’a donné aussi très tôt une ouverture sur le monde », nous résumait-elle il y a quelques semaines. A la Maroquinerie, une fresque la montre d’ailleurs en train de croquer à pleines dents un morceau du globe. Londonienne, la jeune rappeuse a su se détacher de la scène locale du grime ou du garage. Pour son premier album, A Curious Tale of Trials + Persons, paru en septembre 2015 sur son propre label, Little Simz a fait appel à des compositeurs de Toronto, de Los Angeles, mais aussi de Norvège et d’Allemagne. Après sept EP et quatre mixtapes diffusés entre 2010 et 2015 sur le site Bandcamp, la rappeuse a tenu à enregistrer un albumconcept, dans la lignée de ceux des héros de son adolescence, Lauryn Hill ou Jay-Z. Le sien s’attache à décliner le thème de la célébrité, vue à travers les yeux de différents personnages : une mère célibataire, un millionnaire, un sans-abri… Mais les premiers mots de son album sont pour ses semblables. « Les femmes peuvent aussi être des rois, clame-t-elle en entretien, comme une profession de foi. Ce qui est frustrant pour moi, c’est d’entendre sans arrêt des gens me dire que je suis une bonne rappeuse pour une fille. Je veux que les femmes qui écoutent mon album se sentent importantes, qu’elles comprennent qu’elles sont aussi fortes que les hommes, que nous n’avons pas à nous soumettre à leurs décisions et à nous contenter de la place qu’ils nous ont assignée. Je m’appelle Simbi, je ne suis pas une rappeuse, je suis une artiste. » Sur scène comme dans ses clips, la jeune femme ne met pas en avant sa sexualité, à l’inverse de plusieurs de ses collègues américaines. Elle ne cache pas non plus sa féminité sous des vêtements masculins. Elle s’attache surtout à servir son propos comme dans la vidéo de Gratitude, tourné au Cap en Afrique du Sud. Little Simz ne s’explique pas pourquoi si peu de femmes réussissent dans le rap : « Par manque de confiance en soi, je suppose. Si personne dans notre entourage ne nous encourage, ne nous répète que nous pouvons réussir tout ce que nous voulons, nous avons tendance peut-être à abandonner plus vite. » Peu de chances que cela lui arrive. p stéphanie binet A Curious Tale of Trials + Persons, 1 CD (Age 101 + Music +/Pias). En concert les 8 et 10 avril au Village du festival à Paris la Défense. télévisions | 17 0123 VENDREDI 5 FÉVRIER 2016 Lustiger entre deux points cardinaux VOTRE SOIRÉE TÉLÉ « Le Métis de Dieu » explore l’engagement du conseiller spécial de Jean Paul II, né juif et devenu chrétien ARTE VENDREDI 5 – 20 H 55 TÉLÉFILM J e suis né juif, j’ai reçu le nom de mon grand-père paternel, Aron. Devenu chrétien par la foi et le baptême, je suis demeuré juif comme le demeuraient les apôtres. » Sur une plaque, là où il est inhumé à Notre-Dame de Paris, l’épitaphe résume l’engagement et l’existence de Mgr Lustiger. Les tiraillements, les déchirures du prélat, son conflit intime, pour s’accepter et se faire accepter comme « métis de Dieu », chrétien à part entière et juif tout autant. Pris dans l’étau de ces deux identités qui n’en font qu’une, mais qui lui ont valu la méfiance des uns et les soupçons des autres. Le Métis de Dieu est plus une exploration de cette dualité, de ce grand écart, de ce métissage entre deux religions qu’une biographie du personnage, dont l’existence romanesque se prête pourtant déjà fort bien à ce scénario. Du coup, le film, signé Ilan Duran Cohen, interroge chacun de nous sur la manière de regarder en face ses paradoxes, de vivre avec ses contradictions, de s’affirmer avec ses déchirements identitaires. La vie de Mgr Lustiger devient prétexte. On ne s’attarde pas plus qu’il ne faut sur son ascension, d’ailleurs assez fulgurante, qui le Laurent Lucas dans le rôle du cardinal Jean-Marie Lustiger. JÉRÉMIE BOUILLON fait passer, en quatre ans, de simple prêtre à évêque d’Orléans (1979), puis archevêque de Paris (1981), enfin cardinal et conseiller spécial de Jean Paul II (1983). On y voit un homme d’Eglise dynamique et déterminé, colérique parfois, qui sait s’emparer des moyens de communication modernes pour faire passer son message. L’essentiel est ailleurs. La caméra préfère s’attarder sur les relations orageuses qu’il entretient avec son père, émigré polonais qui a échappé à la déportation. La mère du futur cardinal, elle, sera déportée et mourra à Auschwitz en 1943. Charles Lustiger a du mal à accepter la conversion du fils, survenue à 14 ans, en 1940. Aron, le fils, attend en vain la reconnaissance du père. Les deux, en vérité, ne se trouveront jamais. Une déchirure de plus. Espaces de liberté obligés Le meilleur de ce film est peut-être dans ces « espaces de liberté » que s’est réservés le réalisateur. Espaces de liberté obligés : qui peut relater les conversations entre Jean Paul II et le cardinal lors de leurs rendez-vous ? Jean Paul II a-t-il confessé au cardinal l’avoir nommé uniquement parce qu’il était juif ? Lui a-t-il dit qu’un jour ce pourrait être un juif qui serait pape ? Mystère. Une véritable amitié se tisse, en tout cas, entre les deux hommes. Et il est amusant de voir Jean-Marie Lustiger tenter de suivre le rythme soutenu de ce pape espiègle, en baskets, qui se presse dans les couloirs du SaintSiège. De ce pape fier d’une piscine construite pour lui dans les jardins du Vatican afin d’entretenir sa forme et sa santé. Mais c’est l’affaire du carmel d’Auschwitz, implanté à l’intérieur du camp, qui va mettre le plus à l’épreuve le métissage religieux du cardinal. Son statut de prélat, sa judaïté, le fait que sa mère, Gisèle, y ait été assassinée, la position du Vatican : les sentiments s’opposent et déchirent le cœur et l’âme de Jean-Marie Aron Lustiger. Ni le Kaddish ni le Notre Père ne parviendront à sortir de sa bouche sur les lieux de l’horreur. L’occasion, pour son interprète Laurent Lucas, de donner le meilleur de luimême, comme habité par une lumière céleste et paradoxale, double et unique à la fois. p olivier zilbertin Le Métis de Dieu, d’Ilan Duran Cohen. Avec Laurent Lucas, Audrey Dana (Fr., 2013, 95 min). André Manoukian dévoile les secrets de fabrication de chansons qui ont marqué l’histoire de la variété française C omme tout artiste, son nom en haut de l’affiche, Charles Aznavour en rêvait. Mais voilà, dans les années 1950, alors qu’il compose notamment pour Edith Piaf, Gilbert Bécaud ou Juliette Gréco, dès qu’il monte sur scène, ce ne sont que quolibets sur son physique ou sa voix jugée ingrate. Après avoir écumé les cabarets, au début de 1960, il joue son va-tout à l’Alham- bra en débutant son tour de chant avec Je m’voyais déjà. Rien de biographique cependant dans ce titre inspiré par un artiste de cabaret qui aura passé sa vie à essayer de percer sans succès, qui d’un coup propulse la carrière d’Aznavour. Ainsi qu’on le découvre à l’orée de ce nouvel opus de « La Vie secrète des chansons » composé par Bertrand Dicale et présenté par André Manoukian. Derrière son piano, où viennent s’accouder notamment Patrick Bruel, Sylvie Vartan, Hervé Vilard, le conteur dévoile les secrets de fa- brication d’une vingtaine de tubes qui ont non seulement marqué l’histoire de la variété française, mais aussi la vie de leur interprète. Ferments d’une renaissance Certaines chansons se révèlent de véritables détonateurs, à l’instar du Métèque (1969) pour Moustaki, de L’Aventura (1971) qui scelle le duo Stone et Charden ; ou de cette Panne d’essence qui détourne du théâtre la jeune Sylvie Vartan, 16 ans. D’autres seront les ferments d’une renaissance, telle Nougayork (1987) pour Claude Nougaro, en rupture de contrat avec sa maison de disques, ou Louxor, j’adore, qui permet au dandy pop Philippe Katerine de sortir de la confidentialité ; d’autres, en revanche, enfermèrent leur interprète dans un registre. On pense à Henri Salvador, lié à Disney depuis son Zorro est arrivé (1964), qui devra patienter près de quarante ans, avec l’album Chambre avec vue (2000), pour renouer avec des sonorités jazzy qui lui ressemblent. A l’inverse, Patrick Bruel n’attendra pas aussi longtemps TF1 20.55 Vendredi, tout est permis avec Arthur Divertissement animé par Arthur. 23.30 Spécial bêtisier Divertissement animé par Karine Ferri. France 2 20.55 Chérif Série créée par Lionel Olenga, Laurent Scalese et Stéphane Drouet. Avec Abdelhafid Metalsi (Fr., saison 3, ép. 9 et 10/10 ; S1, ép. 8/8). 23.30 Ce soir (ou jamais !) Présenté par Frédéric Taddeï. France 3 20.55 La Vie secrète des chansons « La vie d’artiste ». Documentaire de Fabrice Michelin (Fr, 2016, 110 min). 23.20 Dalida, la femme qui rêvait d’une autre scène Documentaire de Gérard Miller et Anaïs Feuillette (Fr., 2015, 100 min). Canal+ 21.00 Fast & Furious 7 Film d’action de James Wan. Avec Vin Diesel, Paul Walker, Dwayne Jonhson (EU, 2015, 130 min). 23.10 L’Emission d’Antoine Divertissement animé par Antoine de Caunes. France 5 20.40 La Maison France 5 Magazine animé par Stéphane Thebaut. 21.40 Silence, ça pousse Magazine animé par Stéphane Marie et Caroline Munoz. La tectonique des tubes FRANCE 3 VENDREDI 5 – 20 H 55 SÉRIE DOCUMENTAIRE VE N D R E D I 5 F É VR IE R pour briser son image lisse et proprette avec Casser la voix (1989). Si, tout au long de ces deux heures, le fil de la thématique se relâche quelque peu pour évoquer davantage l’origine de certaines chansons plus que leur incidence sur la vie de leur interprète, on se laisse cependant porter dans ce tourbillon musical enchanteur. p christine rousseau La Vie Secrète des chansons – La vie d’artiste, écrit par Bertrand Dicale, réalisé par Fabrice Michelin (Fr., 2015, 110 min). Arte 20.55 Le Métis de Dieu Téléfilm d’Ilan Duran Cohen. Avec Laurent Lucas, Aurélien Recoing, Audrey Dana (Fr., 2013, 95 min). 22.55 Ce que ressentent les animaux Documentaire de Gabi Schlag (All., 2015, 55 min). M6 20.55 Elementary Série créée par Robert Doherty. Avec Johnny Lee Miller (EU, S3, ép. 17 et 18/24 ; S2, ép. 17/24 ; S1, ép. 14 et 15/24) (250 min). 0123 est édité par la Société éditrice HORIZONTALEMENT 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 I II III IV V VI VII VIII IX X SOLUTION DE LA GRILLE N° 16 - 029 HORIZONTALEMENT I. Propres-à-rien. II. Lause. Exalta. III. Eicacement. IV. Bi. Toisée. Aï. V. Isatis. Sel. VI. Ste. Nés. Sien. VII. Codasses. Sua. VIII. Ilet. Rade. IX. Té. Purulence. X. Ergonomistes. VERTICALEMENT 1. Plébiscité. 2. Raistoler. 3. Ouf. Aède. 4. Psitt. Atpo (opta). 5. Recoins. Un. 6. Aises. Ro. 7. Secs. Sérum. 8. Axées. Sali. 9. Ramées. Dés. 10. Ile. Lisent. 11. Etna. Eu. Ce. 12. Nationales. I. Pour que chacun se retrouve à sa place. II. A disparu à bord de la Croixdu-Sud. Similaires. III. Ne laisse aucune chance au poisson. Engage solennellement. Fait la liaison. IV. Attention, elle peut blesser. Voie étroite. V. N’ont vraiment pas belle allure. Trois points sur quatre. VI. Ouvre l’œil. A dirigé la République de Russie. VII. A libéré les chaînes. En harmonie en venant de la droite. VIII. Se renverse d’un coup. Interjection. Quatre saisons. IX. Enfant de Gaïa, les pieds dans l’eau. Déchargé. X. Manifestent quand ils se retrouvent en ville. VERTICALEMENT 1. Superpuissant. 2. Lancer sur de nouvelles bases. 3. Dépositaire de la tradition orale. Fit le bon poids. 4. Dispositif de transport en liquide. Pour comparer les énergies. 5. Spectacle à Tokyo. Chaton à la campagne. Bout de lacet. 6. Les nouvelles de Moscou. 7. Monté par Racine pour Mme de Maintenon. 8. Exécuter avec succès. Grecque. 9. Bien avancée. Prises pour ne pas oublier. 10. Possessif. Arrivées sur terre. Encadre le mandat. 11. Sans paroles. Creusée pour démolir. 12. Finissent par épuiser tout le monde. La reproduction de tout article est interdite sans l’accord de l’administration. Commission paritaire des publications et agences de presse n° 0717 C 81975 ISSN 0395-2037 0123 Les Unes du Monde RETROUVEZ L’INTÉGRALITÉ DES « UNES » DU MONDE ET RECEVEZ CELLE DE VOTRE CHOIX ENCADRÉE Encyclopéd ie Universalis www.lemond e.fr 65 e Année - N˚19904 - 1,30 ¤ France métropolitaine L’investiture de Barack Nouvelle édition Tome 2-Histoire --- Jeudi 22 janvier Uniquement 2009 Fondateur Premières mesures Le nouveau président américain a demandé la suspension : Hubert Beuve-Méry En plus du « en France - Directeur Monde » métropolitaine : Eric Fottorino Obama des audiences à Guantanam o Barack et Michelle Obama, à pied sur Pennsylvania WASHINGTON Avenue, mardi 20 janvier, CORRESPONDANTE se dirigent montré. Une vers la Maison evant la foule nouvelle génération Blanche. DOUG tallée à la tête s’est insqui ait jamais la plus considérable MILLS/POOL/REUTERS a Les carnets transformationde l’Amérique. Une ère d’une chanteuse. national de été réunie sur le Mall de Angélique a Washington, Des rives du commencé. Kidjo, née au Obama a prononcé, a Le grand Barack lantique, Pacifique à jour. Les cérémonies celles de l’At- aux Etats-Unis pendant Bénin, a chanté discours d’investituremardi 20 janvier, toute l’Amérique la liesse ; les la campagne de Barack Obama ; ambitions d’un presque modeste.un sur le moment s’est arrêtée a Feuille force d’invoquer en 2008, la première rassembleur qu’elle était pendant les A vivre : décision de ; n’est jamaisde route. « La grandeur Abraham en train de festivités de et de nouveau administration: Martin Luther l’accession la nouvelle Lincoln, un l’investiture, au poste du 18 au dant en chef Avec espoir et dû. Elle doit se mériter. avait lui même King ou John Kennedy, pendant cent la suspension des armées, de comman- raconte 20 janvier. Pour Le Monde, (…) vertu, il placé la barre responsable vingt : les cérémonies, elle de plus les courants bravons une fois discours ne très haut. Le l’arme nucléaire, d’un de Guantanamo. jours des audiences passera probablement les rencontres jeune sénateur de – elle a croisé l’actrice glacials et endurons cain-américain Pages 6-7 les tempêtes à postérité, mais afri- le chanteur page 2 et l’éditorial Lauren de 47 ans. venir. » Traduction il fera date pour pas à la Harry Belafonte… Bacall, du discours ce qu’il a inaugural du e intégrale miste Alan Greenspan. Lire la suite et l’écono- a It’s the economy... des Etats-Unis. 44 président page 6 la Il faudra à la velle équipe taraude : qu’est-ce Une question nou- a Bourbier Page 18 beaucoup d’imagination Corine Lesnes pour sortir de que cet événement va changer pour irakien. Barack a promis de l’Afrique ? Page Obama et économiquela tourmente financière retirer toutes 3 qui secoue la de combat américaines les troupes Breakingviews planète. page 13 d’Irak d’ici à mai 2010. Trop rapide, estiment les hauts gradés de l’armée. D Education UK price £ 1,40 GRILLE N° 16 - 030 PAR PHILIPPE DUPUIS du « Monde » SA Durée de la société : 99 ans à compter du 15 décembre 2000. Capital social : 94.610.348,70 ¤. Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS). Rédaction 80, boulevard Auguste-Blanqui, 75707 Paris Cedex 13 Tél. : 01-57-28-20-00 Abonnements par téléphone : de France 3289 (Service 0,30 e/min + prix appel) ; de l’étranger : (33) 1-76-26-32-89 ; par courrier électronique : abojournalpapier@lemonde.fr. 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Ils comment la et de déterrent du rupture s’est sable des morceaux d’une faite entre les enseignants qui s’enflamment fibre compacte et Xavier Darcos. immédiatement au contact de Page 10 l’air Bonus Les banquiers ont cédé Enquête page Nicolas Sarkozy des dirigeants a obtenu françaises qu’ilsdes banques renoncent à la « part variable de leur rémunération ». En contrepartie, les banques pourront bénéficier d’une D et qu’ils tentent aide difficilement de l’Etat de d’éteindre avec 10,5 pieds. « C’est d’euros. Montantmilliards du phosphore. leurs dez comme ça Regarbrûle. équivalent à Surles mursde » celle accordée cetterue,des fin 2008. Page cesnoirâtres tra- boutique. 14 sont bes ont projeté visibles.Les bom- victime, Le père de la septième âgée de 16 ans, chimique qui partout ce produit re ne décolèa incendié une pas. « Dites fabrique de bien aux dirigeants Au bord de papier. « C’est petite des nations occidentales la mière foisque que ces sept je voiscela après la pre- innocents sont il y a quelquesfaillite huit ans d’occupation trentemorts pour semaines, rien. l’Américain israélienne », Qu’ici, il n’y a jamais s’exclame Mohammed eu de tirs de Chrysler roquettes. Que Abed négocie l’entrée bo. Dans son c’est costume trois Rab- nel. Que les Israéliensun acte crimidu cette figure constructeur nous en don- La parution du quartier pièces, nent la preuve, italien Fiat deuil. Six membres porte le puisqu’ils sur- de deux dans son capital, textes inédits de sa famille veillent tout depuis le ciel ont été fauchés », enrage de Roland Rehbi Hussein de 35 %. L’Italie à hauteur devant par Barthes, Heid. un magasin, une bombe mains, de cette bonne se réjouit il tient une Entre ses mort en 1980, le 10 janvier. Ils étaient venus enflamme feuille de le s’approvisionner papier avec tous cercle de ses pour l’économienouvelle pendant noms des nationale. décrétéesles trois heures de trêve morts et des blessés,les Le demi-frère disciples. Chrysler, de par Israël pour âge, qu’il énumère ainsi que leur son côté, aura tre aux Gazaouis permet- reprises, l’écrivain, qui de à accès à une comme pour plusieurs en a autorisé technologie Le cratère de de souffler. se persua- la publication, der qu’ils sont plus innovante. la bombe est jours là. Des bien morts. essuie touPage 12 éclats les foudres Michel Bôle-Richard mur et le rideau ont constellé le de l’ancien Algérie 80 DA, métallique de éditeur de Barthes, Allemagne 2,00 Lire la suite ¤, Antilles-Guyane la 2,00 ¤, Autriche page 19 27000profs partirontcha quean àlaretraite,d ’icià2012. née Automobile Fiat : objectif Chrysler Edition Barthes, la polémique et Débats page 5 17 François Wahl. L elivre-en q u êtein co n to u rn ab lep o u ralim en terled su rl’aven éb at ird el’éco le. 2,00 ¤, Belgique 1,40 ¤, Cameroun Maroc 10 DH, 1 500 Norvège 25 KRN, Pays-Bas F CFA, Canada 3,95 $, Côte 2,00 ¤, Portugal d’Ivoire 1 500 F CFA, Croatie cont. 2,00 ¤, u né 18,50 Kn, Danemark Réunion 2,00 d ite u rd ¤, Sénégal 1 e rriè 500 F CFA, Slovénie 25 KRD, Espagne 2,00 rel’é c ra ¤, Finlande n>w 2,20 ¤, Suède 2,50 ¤, Gabon w w 28 KRS, Suisse .a rte b o 2,90 FS, Tunisie 1 500 F CFA, Grande-Bretagne u tiq u e .c 1,9 DT, Turquie o m 1,40 £, Grèce 2,20 ¤, USA 2,20 ¤, Hongrie 3,95 $, Afrique 650 HUF, Irlande CFA autres 2,00 ¤, Italie 1 500 F CFA, 2,00 ¤, Luxembourg 1,40 ¤, Malte 2,50 ¤, Page 20 RENDEZ-VOUS SUR www.lemonde.fr/boutique Présidente : Corinne Mrejen PRINTED IN FRANCE 80, bd Auguste-Blanqui, 75707 PARIS CEDEX 13 Tél : 01-57-28-39-00 Fax : 01-57-28-39-26 L’Imprimerie, 79 rue de Roissy, 93290 Tremblay-en-France Toulouse (Occitane Imprimerie) Montpellier (« Midi Libre ») 18 | styles 0123 VENDREDI 5 FÉVRIER 2016 le bibendum soigne son image Un nouveau logo, des photos couleur… Le Guide 2016 change la forme, mais ne surprend pas par son palmarès GASTRONOMIE U n cercle à la circonférence rouge avec à sa gauche un couteau et une fourchette de la même couleur, ceci est une révolution. Dans son édition 2016, le Guide Michelin change de pictogramme. Il distingue tous les restaurants qui ne sont ni étoilés (600) ni titulaires d’un Bib gourmand (655), soit 3 092 maisons, où « la qualité des produits et le tour de main du chef assurent un bon repas tout simplement ». Ils font partie de la « famille » Michelin. Fini les fourchettes noires ou rouges qui précédaient le nom de l’établissement. Elles le suivent désormais et ne concernent que le confort des lieux. Les étoiles ou les Bib sont signifiés en premier dans la marge blanche à gauche et, pour chaque ville, les restaurants sont enfin classés par ordre décroissant selon leurs titres. Alors que les hôtels précédaient traditionnellement les restaurants – à l’origine le guide servait d’abord à trouver un lit pour les voyageurs –, la hiérarchie a été inversée : l’assiette passe avant l’oreiller. Le palace paie Autre bouleversement : la photo (couleur) entre dans le Michelin, certes timidement, mais agrémentée d’une légende qui, sous le titre « On aime », révèle les coups de cœur des inspecteurs pour chaque ville. « On aime » Le Poulpe et « sa belle terrasse sur le Vieux-Port » à Marseille, le bistrot Glouton, « qui n’a pas son pareil dans la catégorie des bistrots bordelais pur jus… », ou déjeuner chez Clémence à Nantes. Ils n’ont apparemment pas aimé Paris, dont les arrondissements, illustrés d’une photo, n’ont pas droit à cette légende sentimentale. Dans le numérique depuis dix ans (28 millions de visites sur son site en 2015), Michelin vient de faire l’acquisition de la société Bookatable, leader européen de la réservation en ligne, présent dans 19 pays et dans 15 000 restaurants avec 34 millions de réservations en 2015. Michelin Restaurants, actif seulement en France et en Allemagne, peut désormais s’attaquer aux marchés espagnol, anglais ou nordique. A la lecture du palmarès, ces évolutions graphiques ou économiques constituent la principale nouveauté de cette 107e édition du Bibendum, qui a coïncidé avec la disparition de Benoît Violier, le chef du restaurant de l’Hôtel de ville, à LE LIVRE Savoir enfin qui nous buvons Sébastien Barrier Actes Sud, 332 pages, 35 € QUENTIN BERTOUX POUR « LE MONDE » MICHELIN VIENT D’AVALER LA SOCIÉTÉ BOOKATABLE, LEADER EUROPÉEN DE LA RÉSERVATION EN LIGNE PRÉSENT DANS 15 000 RESTAURANTS Crissier (Suisse). Un décès qui n’était pas sans rappeler le suicide en 2003 de Bernard Loiseau, dont la veuve, Dominique, était l’héroïne à double titre de la présentation de cette édition, puisque sa table de Saulieu perd sa troisième étoile. Se disant « très vexée », elle a répliqué que, « le Michelin, c’est important, mais cela ne fait pas tout ». Cette rétrogradation à deux étoiles ne paraît pas injustifiée au vu de nombreux retours négatifs. Alain Ducasse au Plaza Athénée et Christian Le Squer au George V récupèrent leur troisième macaron, confirmant une fois de plus qu’il vaut mieux avoir un palace dans son équipe pour réussir dans la haute gastronomie. Michael Ellis, directeur des Guides, a rendu hommage à la cuisine du premier, « basée autour de la trilogie légumes-céréales-poissons », et qualifié le second de « véritable virtuose ». J’avais déjeuné au Cinq quelques jours auparavant : langoustines bretonnes raidies, mayonnaise tiède, galettes de sarrasin croquantes, filet de chevreuil poivré, réduction de vin de Chinon acidulée et givré laitier au goût de levure. Le tout pour 329 € avec un verre de nuits-saint-georges et une demiChâteldon. Des produits d’exception, une cuisine techniquement parfaite, un service de palace, mais il avait fallu attendre le dessert pour éprouver un début d’émotion avec un sorbet à la levure de boulanger, posé sur un disque de blancs en neige passés au four. Saluons l’arrivée au palmarès de jeunes chefs étrangers installés en France et cuisinant français : les Ja ponais Hideki Nishi (Neige d’été), Ryuji Teshima (Pages) et Shinsuke Nakatani (Nakatani) à Paris ; le Sud-Africain Jan Hendrik (JAN) à Nice, le Sud-Coréen Younghoon Lee (Le Passe-Temps) à Lyon, ou l’Allemand David Goerne (Le Manoir de Rétival) à Caudebec-enCaux (Seine-Maritime). Tous obtiennent leur première étoile et prouvent la vigueur et l’attrait de notre gastronomie selon Michael Ellis. Comme prévu, Joël Robu chon à Bordeaux et Jean-François Piège à Paris n’ont que deux macarons pour leur première année. Il leur faudra encore patienter pour connaître le Graal. Sven Chartier, à Saturne (Paris 2e), méritait le sien depuis trop longtemps. Il a enfin obtenu son étoile, rejoignant ainsi Bertrand Grébaut (Septime, Paris 11e) au panthéon de la bistronomie étoilée parisienne, et ce n’est que justice. p Le titre du livre de Sébastien Barrier est le même que celui de son show, où, seul sur scène durant six ou sept heures, il invite les spectateurs à déguster et à écouter l’histoire de sept vins de la Loire et de leurs vignerons. « Avant, je ne buvais pas pareil. Je crois même que je buvais moins. Moins – c’est encore beaucoup – et beaucoup moins bien. J’ai eu assez d’occasions pratiques de m’interroger sur les causes profondes et les raisons véritables de mes cuites récurrentes, mais je ne les ai jamais saisies. D’abord, parce que les découvertes que j’aurais pu faire auraient sans doute été terrifiantes. Ensuite, parce qu’une analyse digne de ce nom m’aurait à tous les coups conduit à ne plus boire. Ce n’était pas mon projet. » Comédien, auteur et performeur, le garçon ne manque pas d’humour ni de talent, et encore moins de vocabulaire pour nourrir ses récits, qui suivent le cours de la Loire, et pour alimenter les multiples digressions, qui emmènent le spectateur comme le lecteur au croisement du rock’n’roll et du chenin, à la découverte des auteurs de ces vins dont il est tombé amoureux. Le livre raconte ce road-movie viticole truffé de créations graphiques, dont les pages doivent se découper. Un ovni, comme son auteur. jp géné Guide Michelin France 2016 2 112 pages, 24,90 € restaurant. michelin. fr BOUCHE À OREILLE | CHRONIQUE PAR JP GÉNÉ Quand le cochon se fait plumer L e déjeuner a débuté par le tarama maison en deux versions – au yuzu et à la truffe d’été –, suivi par des anchois de Cantabrie au naturel, délicieux dans leur huile d’olive. « C’est la même variété que ceux de Méditerranée, mais ils sont plus gras parce que l’Atlantique est plus froid. Ils sont meilleurs pour la conserve. » Le poulpe de Galice est ensuite arrivé, fondant « comme un médaillon de langouste ». Nous pouvions alors « entrer dans le cochon » au restaurant-boutique de Philippe Poulachon, importateur-distributeur de produits d’excellence en provenance d’Espagne. Moitié bourguignon, moitié cévenol, ex-directeur commercial chez Georges Dubœuf, puis directeur de Caviar House France, il a fondé Bellota-Bellota, en 1995, consacrée au vin, au caviar et au jambon. « C’est un choix hédoniste, revendiqué et assumé, et je dois dire que c’est pas mal ainsi. » L’homme est assez content de luimême et de ses produits. Il a publié cet automne Bellota-Bellota, un livre réfé- rence sur le jambon ibérique, dans lequel quelques pages traitent des autres morceaux de ce porc nourri aux glands (bellota), notamment la pluma. C’est la raison de notre rencontre. Pluma de bellota, pluma de porc ibérique, pluma à la plancha, pluma par-ci, pluma par-là, depuis quelques années, c’est devenu un passage obligé des ardoises bistrotières, vendues avec des trémolos dans la voix par l’aubergiste. « Un morceau rare d’une tendreté exceptionnelle, vous m’en direz des nouvelles ! » « A l’insu de son plein gré », Philippe Poulachon est le responsable de cette inflation : c’est lui qui a découvert et « inventé » la pluma de porc ibérique. SEULEMENT 300 G PAR BÊTE « Il y a quinze ans, je vais voir un vétérinaire qui fait du cochon bio, dans un village de la province de Huelva, près du Portugal. Et là je tombe sur de la pluma de bellota à la carte d’un restaurant. J’ignorais ce que c’était. On m’explique que c’est un petit muscle du cochon, collé au lomo qui court du cou à la croupe sur le dos de la bête, PHILIPPE POULACHON EST LE RESPONSABLE MALGRÉ LUI DE CETTE INFLATION : C’EST LUI QUI A “INVENTÉ” LA PLUMA DE PORC IBÉRIQUE et qu’ils sont les seuls ici à séparer et à cuire frais à la plancha. Une tradition locale. » Philippe est conquis par la qualité de ce morceau et court aux abattoirs les plus proches où on embosse la pluma avec le lomo salé et fumé, vendu à la rondelle en charcuterie. « Je leur ai dit stop et j’ai commencé à importer de la pluma de bellota en frais (congelé), alors que personne, même en Espagne, n’en avait jamais fait. » Elle nous a été servie rosée – une par personne – avec un écrasé de pommes de terre et des pimientos de Padron. Une pièce de choix, tendre et goûteuse comme du filet, ne pesant guère que 150 g. « C’est le problème, explique Philippe. Il n’y a que deux plumas par bête, soit 300 g de viande sur un cochon de 170 kg. » Question : d’où viennent toutes ces plumas qui ont inondé le marché ? Certainement pas toutes de cochons ibériques Bellota nourris à l’herbe et aux glands. « C’est toujours la même chose. On est précurseur et, après, il y a toujours des opportunistes qui viennent faire du business. Dans les années 2010, il s’est fait tout et n’importe quoi. Il y avait de la pluma partout à Rungis, en provenance d’Espagne, mais aussi de Pologne, de Hongrie, de Bulgarie. On trouvait même de la pluma Duroc, une race d’origine américaine. 95 % de la production est en élevage intensif ou semi-intensif, mais 95 % de ce qui se vend est en élevage extensif… » Philippe ne se fait pas d’illusions. « Quand je vois de la pluma vendue moins cher (14 € le kilo) que je ne l’achète, je ne sais pas comment ils font. » Sur un cheptel de 5 millions de porcs ibériques, 500 000 seulement méritent selon lui l’appellation de bellota. Aujourd’hui, Philippe Poulachon s’est mis en retrait du marché et ne traite plus que de petites quantités. Depuis septembre, il n’a d’ailleurs plus de pluma de bellota et attend les prochaines livraisons avec la tuerie des cochons qui a débuté en janvier. p jpgene.cook@gmail.com Bellota-Bellota, 27, rue Yves-Kermen, Boulogne-Billancourt. Tél. : 01-46-09-00-01. bellota-bellota. com 0123 | 19 0123 VENDREDI 5 FÉVRIER 2016 INTERNATIONAL | CHRONIQUE p a r a l a in fr a cho n Elle s’appelait Ruqia L « On ne veut pas de Daech » Jour de bombardement. « Au marché, les gens s’écrasent les uns sur les autres, pas parce qu’ils sont trop nombreux, mais parce que leur regard s’est soudain porté vers le ciel et, inconsciemment, ils se sont mis à courir, courir. Drone dans le ciel maintenant, explosion plus tard. Que Dieu protège les civils et… nous débarrasse des autres. » Jour de désespoir. « OK, on ne veut pas de Daech et on ne veut pas des bombardements de la coa- LES AMIS DE LA JEUNE FEMME LUI DISAIENT QU’ELLE PRENAIT TROP DE RISQUES AVEC SES POSTS RUQIA HASSAN MOHAMMED AVAIT 30 ANS. ELLE A ÉTÉ « EXÉCUTÉE » À RAKKA PAR L’ÉTAT ISLAMIQUE lition anti-Daech… Alors, qu’est-ce que nous voulons exactement ? » Ruqia est née à Rakka en 1985 dans une famille aisée de la communauté kurde de la ville. Milieu conservateur : le père va à la mosquée tous les jours. Mais les deux filles de sa première femme font des études supérieures. Ruqia étudie la philosophie à l’université d’Alep, sa sœur est médecin. De la deuxième femme de son père, Ruqia aura cinq demi-frères. En tête des manifestations A quoi ressemble Rakka, cette petite ville de 250 000 habitants, sur la rive nord de l’Euphrate, perdue dans le nord-est syrien et qui va avoir cet étrange destin : devenir la « capitale » du mini-califat d’Abou Bakr Al-Baghdadi, le chef de l’EI ? « A une bourgade un peu plouc, où sont venues se sédentariser des tribus de la vallée de l’Euphrate », explique Hala Kodmani. Journaliste franco-syrienne, elle s’est rendue à Rakka en septembre 2013 et en a ramené une série de reportages pour Libération. Mars 2011, début de la révolte contre le régime de Bachar Al-Assad. Ruqia est en tête des manifestations à Rakka. En 2013, la révolte s’est transformée en affrontements armés. Occupée ailleurs, l’armée abandonne Rakka qui connaît un bref moment « soixante-huitard », dit Hala Kodmani : création d’une quarantaine de publications, débats multiples entre Rakkaouis, où les femmes sont les plus actives. Ruqia participe au mouvement « Haquna » – « notre droit » – qui ne veut ni de la tyrannie du clan Assad ni des groupes islamistes armés présents dans la ville. Au fil des jours, l’un de ces groupes, l’EI, chasse les autres et impose son ordre totalitaire : voiles et niqabs noirs pour les femmes, crucifixions, décapitations, flagellations en public. Ruqia connaît certains des admirables citoyens-journalistes associés sous l’appellation RBSS – Rakka is Being Silently Slaughtered (« Rakka est massacrée dans le silence »). Au péril de leur vie, ciblés par l’EI, ils transmettent tout ce qu’ils peuvent de la vie à Rakka. Les amis de Ruqia lui disent qu’elle prend trop de risques avec ses posts. Elle est arrêtée à l’été 2015, en juillet ou en août. A partir du 25 juillet, elle ne « poste » plus rien sur Facebook, mais sa page reste ouverte – peut-être pour piéger ses correspondants. Elle est détenue à Rakka, semble-t-il. L’EI l’accuserait d’« espionnage ». Sa famille se rend à la prison tous les jours, mais ne sera jamais autorisée à voir Ruqia. Les mois passent. Début janvier, un de ses frères contacte à nouveau les hommes de l’EI. On lui répond que sa sœur a été exécutée avec cinq autres femmes. Quand ? Pas de précision. Comment ? Pas de précision. Mais l’EI s’est refusé à rendre le corps à la famille. Peut-être y aura-t-il un jour une plaque, quelque part dans Rakka libérée, à la mémoire d’une jeune femme qui a défié les petites frappes de l’EI et qui portera ce nom : Ruqia Hassan Mohammed. p frachon@lemonde.fr Tirage du Monde daté jeudi 4 février : 247 775 exemplaires C’ est peu de dire que l’institution judiciaire française est en état d’alerte. En l’espace de quelques semaines, elle l’a exprimé à trois reprises de façon inédite. A la fin de décembre 2015, ce sont les procureurs qui mettaient en garde contre la dégradation de leurs conditions de travail, l’insuffisance de leurs moyens humains et matériels toujours très en deçà des standards européens, et l’asphyxie grandissante des tribunaux. Le 14 janvier, lors de la rentrée solennelle de la Cour de cassation, ce sont les deux plus hauts magistrats de France, Bertrand Louvel, premier président de la Cour, et Jean-Claude Marin, procureur général, qui s’inquiétaient publiquement : « Quelles défaillances ou quels risques l’autorité judiciaire présente-telle, qui justifieraient que l’Etat préfère l’éviter lorsqu’il s’agit de la défense de ses intérêts supérieurs ? ». La question visait la multiplication de textes législatifs faisant la part belle à l’autorité administrative au détriment du judiciaire : loi sur le renseignement au printemps 2015, état d’urgence et projet de loi sur la procédure pénale présenté au conseil des ministres du 3 février. C’est ce dernier texte, enfin, qui a fait réagir vivement, le 1er février, les présidents des cours d’appel : « Le rôle constitutionnel de l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, est affaibli par les réformes en cours », ont-ils martelé. Main dans la main, Christiane Taubira, lorsqu’elle était encore garde des sceaux, et son collègue de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, s’étaient défendus de ces griefs, dans ces colonnes, le 8 janvier. « Prétendre que le gouvernement procède à une mise à l’écart de la justice est une contrevérité. C’est une offense aux convictions qui n’ont cessé de dicter nos choix », assuraient-ils. Ce plaidoyer n’a pas levé les craintes. Préparé de longue date, le projet de réforme de la procédure pénale a été sensiblement musclé, après les attentats du 13 novembre, pour renforcer l’efficacité de la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée, notamment financière, qui lui est attachée. On ne saurait, évidemment, en blâmer le gouvernement : face à une telle menace, la protection des Français et la lutte contre les réseaux terroristes sont un impératif catégorique. Mais il ne fait pas de doute que, sur plusieurs dispositions, cette réforme justifie l’alarme des magistrats. Ainsi du contrôle administratif ou de l’assignation à résidence, sur décision du ministère de l’intérieur, de personnes « dont il existe des raisons sérieuses de penser », après des déplacements à l’étranger en lien avec des activités terroristes, qu’elles pourraient « porter atteinte à la sécurité publique à leur retour sur le territoire français ». Ainsi de l’élargissement des possibilités de fouilles de bagages ou de véhicules, sous l’autorité du préfet. Ou encore de la possibilité, lors d’un contrôle d’identité, de retenir une personne pendant quatre heures, même si ses papiers sont en règle. Ou enfin des perquisitions de nuit, qui pourront être ordonnées dans les enquêtes préliminaires du parquet, comme dans le cadre de l’état d’urgence actuellement en vigueur. Sur tous ces points – et la liste n’est pas exhaustive –, la volonté manifeste du gouvernement est d’alléger ou d’accélérer autant que possible les procédures, pour éviter les règles inhérentes à la justice. Au nom de l’efficacité, certes. Mais la fin ne justifie pas tous les moyens. p Crédit illustration : Satoshi Hashimoto à, j’ai reçu des menaces de mort. Daech [acronyme arabe de l’organisation Etat islamique] va sans doute m’arrêter (…) et me décapiter. Mais je garderai ma dignité. Mieux vaut mourir que de vivre avec ces types dans l’humiliation. » Elle s’appelait Ruqia Hassan Mohammed. La photo placée sur sa page Facebook montre une jeune femme élégamment ma quillée. Elle porte un foulard noir sur un serretête doré, bracelets et bagues aux deux mains, tunique longue cintrée à la taille. Le visage plein, pommettes hautes, sourire timide. Elle était syrienne et habitait Rakka, la « capitale » de l’Etat islamique (EI). Sur Facebook, elle racontait sa vie de rakkaouie sous la botte des djihadistes. Ils n’ont pas apprécié. Début janvier, ils ont annoncé qu’elle avait été « exécutée ». Ruqia avait 30 ans. Cette information a été rapportée en janvier en Europe. Quelques lignes, parfois un article, pour une mort de plus en Syrie. Pourquoi chercher à en savoir davantage sur Ruqia ? Pour mettre une vie derrière cette photo, tenter de sortir de l’anonymat statistique ? Peut-être. Un peu plus aussi. En fouillant la presse de ces deux dernières années – Le Monde, L’Obs en ligne, Le Figaro, Libération, les quotidiens britanniques The Guardian et The Independant –, on trouve quelques bribes de la vie de Ruqia. Et, mises bout à bout (merci confrères), elles racontent une partie de la tragédie syrienne. Ruqia a lutté contre deux puissantes machines de mort : le régime de Bachar Al-Assad et l’Etat islamique. C’est une histoire exemplaire. Tout au long de 2015, sous le pseudonyme « Nissan Ibrahim », la jeune femme a livré sur Facebook une sorte de journal de bord : la vie au temps de l’EI et des bombardements aériens. « Chaque jour, interdit, interdit, interdit. Ils [les djihadistes] ne font qu’interdire. J’attends le jour où ils permettront quelque chose. » « Aujourd’hui, la police [les hommes de l’EI] a lancé une vague d’arrestations arbitraires. Mon Dieu, je t’en supplie, délivre-nous de ce cauchemar et élimine ces gens. » « Aujourd’hui, une Tunisienne [une djihadiste de l’EI] m’a interpellée à cause de ma tenue. Je l’ai ignorée, j’ai continué à marcher. J’aurais aimé avoir un pistolet et la tuer. Je voudrais en finir avec ces humiliations, avec ces types qui nous imposent leur pouvoir. Je n’en peux plus d’être une citoyenne de seconde classe. Dieu, aide-nous ! » PROCÉDURE PÉNALE : L’URGENCE BANALISÉE © Frédéric Stucin pour M Le magazine du Monde. EN KIOSQUE DÈS DEMAIN DISPONIBLE SUR DIOR.COM Bruxelles lance une nouvelle alerte sur le déficit public de la France ▶ Selon les prévisions ▶ Bruxelles s’inquiète no- ▶ Début 2015, Paris ▶ Les divergences au sein d’hiver de la Commission européenne, la France ne réussira pas à faire passer son déficit public sous la barre de 3 % du PIB en 2017 tamment du redémarrage trop lent de l’investissement et du niveau du chômage tricolore, qui sera encore de 10,3 % en 2017 avait échappé de peu à une sanction et avait obtenu un délai supplémentaire de deux ans pour réduire son déficit de la zone euro, écartelée entre l’Allemagne et la Grèce, ne se réduisent pas, s’inquiète Bruxelles → LIR E PAGE 4 Crise agricole : Le Foll tente de répondre à la colère ▶ A trois semaines du Salon de l’agriculture, la mobilisation des éleveurs reste forte ▶ Critiqué, le ministre Stéphane Le Foll, devait s’exprimer à l’Assemblée nationale le 4 février ▶ La France se cherche des alliés à Bruxelles pour faire remonter les prix → LIR E Mercedes repart sur les chapeaux de roues E t un record de plus. Jeudi 4 février, Daimler, la maison-mère de Mercedes, a annoncé des résultats financiers historiques. Le groupe de Stuttgart a enregistré en 2015 un chiffre d’affaires de 149,9 milliards d’euros, en hausse de 15 %, et un bénéfice net (part du groupe) de 8,9 milliards (+ 23 %). Du jamais-vu. Au total, le constructeur germanique a écoulé 2,9 millions de voitures, vans et camions, en progression de 12 % sur un an. Sa branche automobile, qui a réalisé 83,8 milliards d’euros de chiffre d’affaires (+ 14 %), a vu sa marge opérationnelle progresser de deux points, à 10 %. Quel contraste avec l’année 2013 ! A l’époque, la marque haut de gamme affichait une rentabilité de 6,3 %, un niveau qui faisait de Mercedes la risée des analystes financiers. Aujourd’hui, ces mêmes analystes semblent blasés par les progrès réalisés. Dans une note récente, Exane BNP Paribas estime qu’« une marge de 10 % ne provoque plus aujourd’hui l’enthousiasme des investisseurs. Ils se sont sans doute habitués au succès de Mercedes ». Aucun ne crachera cependant sur le dividende proposé de 3,25 euros par titre, là encore un record pour l’entreprise. philippe jacqué → LIR E L A S U IT E PAGE 5 PAGE 3 149,9 A Boulognesur-Mer (Pas-de-Calais), mardi 2 février. MILLIARDS D’EUROS C’EST LE CHIFFRE D’AFFAIRES RÉALISÉ PAR DAIMLER EN 2015, EN HAUSSE DE 15 % DENIS CHARLET/AFP PORTRAIT L’ANGOISSE DE RANDY AMISI, 30 ANS, CHAUFFEUR DE VTC → LIR E PAGE 5 PIXELS LE CHEF DE GUERRE ANGOLAIS, LE JEU VIDÉO ET LE JUGE → LIR E PAGE 8 j CAC 40 | 4 255 PTS + 0,68 % j DOW JONES | 16 336 PTS + 1,13 % j EURO-DOLLAR | 1,1127 j PÉTROLE | 35,01 $ LE BARIL J TAUX FRANÇAIS À 10 ANS | 0,62 % VALEURS AU 04/02 – 9 H 30 PERTES & PROFITS | DASSAULT SYSTEMES Un vieux champion pour la French Tech P our trouver le champion français du numérique, il faut regarder derrière les bâtons d’esquimaux de HäagenDazs ou les fuselages du Boeing 787, qui doivent beaucoup aux logiciels de Dassault Systemes. La société est née il y a trente-cinq ans, avant la révolution Internet, mais elle affiche d’année en année des performances à faire pâlir d’envie les petits jeunes du réseau. Sur l’exercice écoulé, son chiffre d’affaires a progressé de 24 % et son bénéfice net de 38 %. Pas mal pour une entreprise de plus de 2,8 milliards d’euros de chiffre d’affaires et de 13 000 salariés. Sa marge opérationnelle, de plus de 30 %, se compare aisément à celle d’un Google ou d’un Apple, alors qu’elle n’évolue pas dans l’univers du grand public. Ses logiciels sont très pointus et très professionnels. Cela n’empêche pas le groupe d’être le deuxième éditeur européen derrière l’Allemand SAP et le porte-drapeau de l’une des rares filières française à afficher une forte croissance. Sur l’année 2014, le chiffre d’affaires des éditeurs français de logiciels, près de 10 milliards d’euros, a progressé de 17 %. Plus que leurs homologues américains. Le succès de Dassault Systemes repose sur la combinaison d’une grande idée, d’une exécution sans faille et d’une ouverture constante aux changements de son espace économique. La grande idée est tout simplement celle de la virtualisation du monde. Au départ, il s’agissait de dresser des plans de pièces d’avions sur informatique au lieu de la planche à dessin. Cahier du « Monde » No 22101 daté Vendredi 5 février 2016 - Ne peut être vendu séparément HORS-SÉRIE UNe vie, UNe ŒUvRe Puis le plan s’est déployé en trois dimensions, est devenu une maquette interactive dans laquelle, l’opérateur peut évoluer. Jusqu’à concevoir un avion complet sans aucune maquette physique. Extension sans limite Petit à petit, l’application s’est invitée partout, non seulement pour concevoir des produits mais pour évoluer dans une usine, un magasin ou à l’intérieur d’une molécule. Des villes entières sont désormais modélisées. Cette extension sans limite de la simulation en 3D a nécessité une organisation serrée pour construire un réseau commercial et convaincre toujours plus de secteurs de plonger dans les délices du virtuel pour l’ensemble de leurs activités, de la naissance d’un produit à sa commercialisation, de la construction d’une usine à son démantèlement. L’ouverture, enfin, a permis à l’entreprise de résister aux assauts de la concurrence en multipliant les acquisitions de technologies et de marchés, plus d’une cinquantaine de sociétés achetées dans le monde. Résultat, le groupe est désormais valorisé à près de 18 milliards d’euros, ce qui le place, eu égard à son chiffre d’affaires, tout près des meilleurs mondiaux de la High-Tech. De quoi jouer les locomotives d’un secteur qui emploie 137 000 personnes en France et recrute 7 000 personnes de plus chaque année. Comme quoi, le numérique est aussi capable de créer des emplois en masse. p philippe escande François Mitterrand Le pouvoir et la séduction ÉdItIOn 2016 Le centenaire de la naissance de l’ancien président FRANÇOIS MITTERRAND LE POUVOIR ET LA SÉDUCTION Un hors-série du « Monde » 124 pages - 8,50 € Chez votre marchand de journaux et sur Lemonde.fr/boutique 2 | plein cadre 0123 VENDREDI 5 FÉVRIER 2016 MARTA NASCIMENTO/REA Espèces menacées G énération dématérialisée ? Très peu pour eux. Ils sont à peine adultes et sont nés dans une France droguée à la « carte bleue », mais l’argent, ils l’aiment sonnant et trébuchant. « J’aime bien avoir du cash, affirme Germain Marchand, 21 ans, étudiant en statistiques. Avant, j’avais une carte bloquée et mes parents ne mettaient pas beaucoup de sous dessus. J’ai été traumatisé par les refus de la machine quand je voulais payer. » Pour Pierre Dard, 24 ans, analyste en fusion-acquisition, c’est une affaire de famille : « Ma grand-mère m’a toujours dit : “Il faut toujours que tu aies des espèces sur toi pour rentrer en taxi si tu te perds ou pour payer une conversation téléphonique dans un hôtel si tu es en danger.” » Un conseil qu’il suit toujours. Cela ne va pas dans le sens de l’histoire : les Français utilisent de moins en moins de billets et d’espèces, qu’on appelle la monnaie fiduciaire. Seul un paiement sur deux se fait désormais en cash, selon la Fédération bancaire française. Le volume de retraits n’a représenté que 6 % du PIB en France en 2014, à peine plus qu’en Suède (5,4 %), pays modèle pour la dématérialisation des paiements dans lequel beaucoup de commerces n’acceptent pas le liquide. « JE N’AI JAMAIS DE CASH » « Le niveau d’usage n’est déjà pas très élevé. La France est l’un des pays de la zone euro où l’usage de la carte bancaire est le plus développé », explique Alain Gerbier, directeur des activités fiduciaires à la Banque de France. Et le phénomène s’amplifie : les paiements électroniques – CB, virement, prélèvement, tout ce qu’on appelle la monnaie scripturale – progressent « de 5 % à 6 % par an depuis 2000 » en nombre de transactions, selon Alexandre Stervinou, responsable des activités scripturales à la Banque de France. Selon le GIE cartes bancaires, un groupement d’intérêt économique qui comprend 130 prestataires de services de paiement, les Français ont effectué 6,5 % de paiements par carte supplémentaires en 2014 (9,14 milliards d’opérations) par rapport à 2013. Alors que les retraits n’ont augmenté que de 0,6 % (1,54 milliard d’opérations). Visiblement, le sujet divise. « On est en 2016, stop les billets et autres aberrations ! » s’amuse ainsi Charles Diruit, 23 ans, diplômé en communication. « Je déteste les pièces, je n’ai pas de portefeuille, affirme Arthur Briquet, 25 ans, cadre dans une start-up. Ce n’est même plus un accessoire qu’on a, non ? J’ai un porte-cartes. Dès que j’ai des Des piécettes plein les poches ? C’est de moins en moins vrai en France, où le paiement par carte bancaire continue de croître. Une évolution encouragée par Bercy et les banques pièces, je les mets dans une petite boîte le soir. Je n’ai jamais de cash. » Mais pour acheter une baguette dans cette boulangerie parisienne, située près de Montparnasse, impossible de payer en CB. « C’est 5 euros minimum, répond Thamila, derrière la caisse. Je ne sais pas pourquoi, c’est la direction qui nous dit ça. » Impossible aussi dans cette épicerie de quartier, où le caissier répond, d’un ton agressif : « On n’a pas de machine. Elle est abîmée depuis trois mois. » Dans ce kiosque à la sortie du métro, non plus. Vu la commission que prend la banque, ce n’est pas intéressant, estime Nidhal (les commerçants ont souhaité garder l’anonymat). Dans son tabac, le quadragénaire Makouf explique pourquoi il ne prend pas la carte à moins de 20 euros. « On travaillerait pour rien, pour la gloire. Ça m’arrangerait de ne pas avoir d’espèces, on perd du temps à les compter le soir, à rendre la monnaie. Mais je paye à la banque une commission de 0,6 % pour les achats par carte. Or, sur les timbres et les carnets de métro, je ne prends déjà que 2 % de marge. » Pour les petits commerçants, « le cash est disponible tout de suite, sans commission », explique M. Gerbier, de la Banque de France. Cette commission commerciale prélevée par les établissements bancaires est particulièrement dissuasive sur les petits montants, car BERCY TRAVAILLE AVEC FERVEUR AU RECUL DE L’ARGENT LIQUIDE, INTRAÇABLE, QUI FACILITE DONC LE BLANCHIMENT ET LA FRAUDE elle peut comporter à la fois une part fixe et un pourcentage de la transaction. Le ministère des finances leur a donc demandé de diviser par deux cette part fixe, en la faisant passer de 10 à 5 centimes. Par ailleurs, en décembre 2015, un règlement européen a fait passer la commission interbancaire (payée par la banque du commerçant à celle du porteur) de 0,28 % à 0,23 % de la valeur de transaction, en moyenne. « Au quotidien, pouvoir payer par carte quand on le souhaite, c’est un progrès, s’est félicité le ministre des finances, Michel Sapin, le 18 janvier. La baisse des frais facturés aux commerçants doit se matérialiser comme convenu d’ici à la fin du premier trimestre 2016, pour que les commerçants n’aient plus de raison de refuser les paiements par carte bancaire au premier euro. » Bercy travaille avec ferveur au recul de l’argent liquide, intraçable, qui facilite donc le blanchiment et la fraude. « C’est une pratique très courante, pour ne pas dire universelle, confirme le buraliste Makouf. Le cash permet de faire du black. Dans l’alimentation, c’est incontrôlable : vous pouvez dire que vous avez perdu la moitié de la marchandise ou que c’est périmé… » Un spécialiste du fiduciaire confirme : « Imaginez, dans une boulangerie, les plus beaux gâteaux à 50 euros. Vous en préparez cinq. Tiens, où est le cinquième gâteau ? “Ah, je l’ai fait tomber, il est à la poubelle”, répond votre employé… qui a mis 50 euros dans sa poche. » Les banques aussi vantent les mérites de la carte bleue. Les espèces leur coûtent cher : il faut un local technique sécurisé dans les agences, payer les prestations, dangereuses, du transporteur de fonds avec homme armé. Or, elles ne facturent pas la gestion des espèces au commerçant, contrairement à la carte de crédit. Aux commerçants, elles affirment qu’une utilisation généralisée de la CB leur reviendrait moins cher, malgré la commission. « Pour un commerçant, le coût de gestion des espèces n’est pas tangible : il est lié au temps perdu à compter la caisse, à préparer sa remise pour la banque, à se déplacer pour effectuer ladite remise, mais aussi pour demander des rouleaux de pièces… Sans parler du risque associé au transport, en pleine rue, de sommes parfois significatives », argumente Bruno Delemotte, directeur du marché des professionnels du Crédit du Nord. « DES CLIENTS EN PLUS » Ce calcul, les grandes enseignes l’ont fait : « Trente secondes par client pour des réseaux comme McDonald’s ou Relay, c’est énorme en heure de pointe, ce sont des clients en plus. » D’ailleurs, la grande distribution promeut désormais le paiement sans contact, qui accélère le passage en caisse. Plus de la moitié des cartes de crédit disposent de cette technologie, mais seules 20 % d’entre elles ont été utilisées de cette manière en 2014, selon le GIE cartes bancaires. Le cash reste néanmoins le moyen de paiement indispensable des populations sans accès aux produits sophistiqués des banques – par exemple les titulaires de prestations sociales qui n’ont pas de CB, ou seulement une carte de retrait. La disparition du liquide n’est donc pas pour tout de suite. C’est encore le seul moyen de jouer à pile ou face… ou de donner une pièce dans le métro. p jade grandin de l’eprevier Anachronique, la pièce de monnaie ? Pas partout… « dans les marchés les plus avancés, comme le Royaume-Uni, les pièces et les billets paraissent de plus en plus insolites », s’est emporté Nicolas Huss, le PDG de Visa Europe, lors des résultats annuels du groupe le 27 janvier. Le géant mondial des systèmes de paiement a publié un chiffre d’affaires en hausse de 25 % en 2015. Plus d’1 euro sur 5,70 est dépensé par carte Visa en Europe. Fort de ce constat, M. Huss a affirmé que « le développement accéléré du paiement électronique définira l’avenir du commerce, en permettant (…) aux consommateurs de payer où et quand ils le souhaitent, depuis et avec n’importe quel terminal ». Oui, mais. Une grande partie du monde résiste encore et toujours aux paiements électroniques. « Dans la majorité des pays, le cash est toujours roi », peut-on lire dans un rapport publié par Citigroup et l’Imperial College London. Chaque année, 13 000 milliards de dollars (presque 18 % du PIB mondial) sont retirés des distributeurs. « L’idée que mon argent serait représenté par quelque chose que je ne peux pas toucher, voir ou compter est un phénomène complètement inhabituel pour beaucoup de personnes », explique dans le rapport Bhaskar Chakravorti, doyen associé à l’université Tufts. Il faut de vrais efforts des gouvernements et de l’industrie bancaire d’un pays pour venir à bout de « l’attachement émotionnel, comportemental et rationnel aux billets ». La comparaison des situations française et allemande l’illustre parfaitement. « Les banques allemandes n’ont pas investi dans la carte comme en France, où elles ont créé des systèmes interopérables », raconte Didier Cocheteau, président du comité de pilotage de la stratégie des espèces en France au sein de la Fédération bancaire française. Outre-Rhin, payer par carte est donc compliqué, si ce n’est, parfois, impossible. Pendant ce temps, dans l’Hexagone, « la transformation des terminaux de paiement pour qu’ils acceptent le sans contact est financée majoritairement par les banques françaises »… et encouragée par Bercy. p j.g. de l’e. économie & entreprise | 3 0123 VENDREDI 5 FÉVRIER 2016 Eleveurs : les raisons d’un malaise Mobilisés un peu partout en France, les agriculteurs vivent une crise dont les causes sont très diverses D epuis la mi-janvier, des éleveurs français font à nouveau entendre leur mécontentement. De la Bretagne à la Normandie, de la Sarthe au Tarn-et-Garonne, en passant par les Landes, producteurs laitiers, porcins, bovins mais aussi de canards multiplient les manifestations. Opérations escargots, blocages de route, feux de pneus ou de bottes de paille font la « une » de l’actualité. De quoi faire pression sur le gouvernement. Et exprimer le désarroi des nombreux éleveurs touchés de plein fouet par la crise. Une crise qui a de multiples causes. Guerre des prix menée par la grande distribution Le retour des manifestants dans les rues, après les démonstrations de force de cet été, est lié à une période cruciale. En février s’ouvrent les ultimes pourparlers commerciaux entre industriels et distributeurs. Des discussions toujours plus tendues alors que le nombre de centrales d’achats des grandes enseignes se réduit. Les distributeurs demandent à chaque nouveau round de négociations, une baisse des tarifs. Une réduction que les industriels souhaiteraient pour leur part voir portée par leurs fournisseurs. Le partage des marges est au cœur des discussions. « A chaque fois, on nous demande des efforts de productivité mais la marge part vers l’aval », martèle Jean-Pierre Fleury, président de la Fédération nationale bovine (FNB). Pour tenter d’éclairer cette question délicate, un observatoire des prix et LES CHIFFRES 75 MILLIARDS C’est la production agricole, en euros, de la France en 2014. 5e C’est le rang de la France parmi les pays exportateurs de produits alimentaires. Elle arrive derrière les Etats-Unis, l’Allemagne, les Pays-Bas et le Brésil. 1,42 MILLION C’est le nombre de personnes, salariées ou non salariées, travaillant dans l’agriculture et l’industrie agroalimentaire. Ces deux secteurs représentent 3,5 % du PIB français. des marges a été créé en 2010. Ses derniers travaux, publiés en mai 2015, ont prouvé, par exemple, que pour le kilo de jambon, le prix payé à la production avait baissé en 2013 de 3,7 à 3,48 euros, que l’étiquette, elle, ne bougeait pas, et que la marge de la distribution était passée de 4,17 à 4,32 euros. Mais la marge est aussi liée à la valeur ajoutée et à l’organisation des filières. Celles du champagne, du comté et de l’agriculture biologique prouvent que l’on peut créer cette valeur et la partager entre producteurs, industriels et négociants. A l’inverse, dans le secteur de la viande bovine, la place de l’industriel Bigard qui revendique 80 % du marché français déséquilibre le rapport de force. Chute des cours mondiaux et surproduction Trop de lait et de porcelets. Ces deux marchés souffrent de surproduction. L’excès de porcs est lié à une augmentation des cheptels allemand et espagnol. Une montée en puissance qui a coïncidé avec l’embargo sanitaire décrété il y a deux ans par la Russie sur le porc européen. Depuis, l’excès d’animaux pèse sur les cours, d’autant que la consommation patine. Au marché du porc breton de Plérin, le kilo se négociait, lundi 1er février, à 1,1 euro, quand les éleveurs estiment le prix rémunérateur à 1,4 euro. Pour le lait, la surproduction est mondiale mais elle a été largement alimentée par le flot déversé par l’Europe. Sans attendre la fin des quotas laitiers, à la fin avril 2015, de nombreux pays européens ont dépassé les limites fixées. Ils anticipaient une forte progression de la demande chinoise. Las. La Chine a réduit ses emplettes de près de moitié, l’embargo politique russe a été décrété en août 2014, et le lait a débordé. Depuis un an, les cours mondiaux sont sous pression et en ce début d’année, le prix flirte avec les 300 euros la tonne. Pour les bovins, la faiblesse des prix couplée à des coûts d’alimentation animale qui restent élevés étrangle financièrement les éleveurs. Libéralisation Le mot d’ordre à Bruxelles est la libéralisation de l’agriculture. Les derniers quotas, encore en vigueur, sur le sucre, seront supprimés en 2017, les betteraviers ayant obtenu un délai de grâce. Même la viticulture voit son modèle remis en cause. Depuis le 1er janvier 2016, des autorisations de plantation Le 29 janvier, des agriculteurs ont bloqué la RN 165 près d’Arzal (Morbihan), entre Vannes et Nantes. DAMIEN MEYER/AFP peuvent être attribuées, limitées pour l’heure à 1 % de chaque vignoble national mais ouvrant la voie en France à des vins sans appellation géographique. Cette volonté de libéraliser est d’abord portée par les industriels et le négoce. Ce sont eux qui poussent la Commission européenne à négocier le traité transatlantique avec les Etats-Unis. Cette négociation pourrait remettre en cause les normes sanitaires et la politique d’indication géographique en vigueur dans l’Union européenne. Les industriels de l’agroalimentaire se battent aussi à Bruxelles pour empêcher tout étiquetage de l’origine des viandes dans les plats préparés. Une demande récurrente des éleveurs français. Cette politique est soutenue aussi par les groupes d’agrochimie qui souhaitent le développement d’une agriculture plus industrielle. Crises sanitaires Une nouvelle filière, jusqu’alors plutôt florissante, a été touchée en novembre 2015, en l’occurrence celle des canards du Sud-Ouest. Une épizootie d’influenza aviaire touchant l’ensemble des volailles s’est déclarée, touchant 69 foyers dans huit départements. Face au risque de fermeture des frontières aux volailles françaises, le gouvernement a décidé de stopper la production de canards dans seize départements du Sud-Ouest. Un plan draconien qui a débuté le 18 janvier, date depuis laquelle plus aucun nouveau caneton ne peut entrer dans un élevage. Quand les canards actuellement élevés arriveront à terme, un « vide sanitaire » sera décrété. La filière s’attend à une perte de 30 % de son chiffre d’affaires cette année, soit un manque à gagner de 500 millions d’euros. Le gouvernement a annoncé une première aide de 130 millions d’euros. Ambiguïtés politiques et syndicales Les manifestations actuelles interviennent alors que se profile le Salon de l’agriculture. Il se tiendra du 27 février au 6 mars, à Paris. Chaque année, cette manifestation sert de vitrine aux politiques de tous bords. L’agriculture devient alors un terrain de jeu électoral où nombre de figures politiques semblent pourtant frappées d’amnésie, oubliant que les mesures qu’ils décrient ont été élaborées sous leur mandat. Or cette année, chacun a en tête la primaire à droite et au centre, et l’élection présidentielle de 2017, avec en filigrane la montée du Front national au sein des agriculteurs. Sans attendre, le président des Républicains, Nicolas Sarkozy, a annoncé un « plan Marshall » pour les zones rurales de 10 milliards d’euros sur cinq ans. Le chef de l’Etat, François Hollande, devrait aussi s’exprimer avant l’ouverture du salon. Face à la valse des politiques, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) fait figure de partenaire stable et obligé. Avec l’appui des Jeunes agriculteurs, elle revendique d’être le syndicat agricole majoritaire en France, loin devant la Coordination rurale, la Confédération paysanne et le Modef. Elle s’est toujours considérée comme le « cogestionnaire » de la politique agricole française. D’où sa difficulté à maîtriser les agriculteurs sur le terrain, certains ne se sentant pas représentés par la direction parisienne. D’autant que la FNSEA est membre du lobby euro- péen de la Copa-Cogeca, défenseur d’une agriculture compétitive et libérale. Et que Xavier Beulin, président de la fédération, est aussi président du groupe Avril, un puissant acteur agro-industriel. Malaise existentiel Un « sentiment de déclassement » économique, mais aussi politique et social. C’est ainsi que François Purseigle, sociologue, qualifie le malaise existentiel qui s’exprime en Bretagne d’abord, mais aussi dans d’autres régions françaises. Les éleveurs bretons de porc ont joué à fond la carte de la productivité et de la technicité. Ils se voient comme des chefs d’entreprise et ont beaucoup investi. Ils sont étranglés entre la chute des revenus et le poids de leurs dettes. Or, en période de crise, chacun tente de sauver sa peau. Il n’y a guère de solidarité et les structures comme les interprofessions sont mises en cause. Cette fois, la crise touche le cœur des exploitations laitières comme porcines, et chacun s’interroge sur le devenir des structures familiales face aux investisseurs financiers. p laurence girard Stéphane Le Foll cherche «des alliés en Europe» Le ministre de l’agriculture devait défendre sa politique de soutien à la filière devant l’Assemblée nationale, jeudi 4 février M is en cause dans la gestion de la crise qui frappe l’élevage, le ministre de l’agriculture et porte-parole du gouvernement, Stéphane Le Foll, est à l’offensive. Jeudi 4 février, il devait défendre sa politique à l’Assemblée nationale. Les députés devaient, en effet, se prononcer sur une proposition de loi émise par le Sénat « en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire ». Un texte présenté en octobre 2015 par Les Républicains, sous l’impulsion de Gérard Larcher, président du Sénat, après la crise de l’été. Sans surprise, le gouvernement a voté contre. Il s’oppose au principe d’un allégement supplémentaire des charges financé par une hausse de la TVA et de la CSG. M. Le Foll voulait d’abord profiter de cette tribune pour réexpliquer les mesures déjà prises. Il met en avant les allégements de charge dont a bénéficié le secteur agricole et agroalimentaire depuis la mise en place du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). Le gouvernement a aussi présenté un plan d’urgence pour l’élevage d’un montant de 700 millions d’euros, auxquels s’ajoutent 63 millions de crédits européens. Ce plan vient d’être abondé de 125 millions d’euros. M. Le Foll avait reconnu que le nombre de dossiers de demande d’allégements de charges et de cotisations sociales était supérieur aux attentes. Près de 40 000 dossiers ont été agréés, et 16 000 déjà traités. « Seule la France fait des propositions sur l’agriculture européenne » STÉPHANE LE FOLL ministre de l’agriculture Le ministre souhaite surtout faire des propositions législatives. Il est prêt à reprendre la celle du Sénat d’interdire la revente des contrats laitiers détenus par les agriculteurs. Il veut aussi obliger les industriels et la grande distribution à faire référence au prix payé au producteur lors de leurs négociations commerciales. Enfin, il compte, dans le cadre de la loi Sapin 2, demander une pénalisation plus forte pour les entreprises qui ne publient pas leurs comptes. En ligne de mire, Lactalis ou Bigard. Rouvrir le marché russe Mais les critiques portent aussi sur la gestion de la crise à Bruxelles. « Il faut trouver des alliés en Europe » : M. Le Foll a indiqué, jeudi sur RTL, avoir adressé le même jour un memorandum à la Commission européenne recommandant de mettre en œuvre « des mesures européennes pour faire face aux crises agricoles des secteurs laitier et porcin ». « Seule la France fait des propositions sur l’agriculture européenne », a insisté le ministre, alors qu’une réunion des ministres de l’agriculture européens est prévue le 15 février à Bruxelles. François Hollande doit évoquer, en amont, le dossier avec la chancelière allemande, Angela Merkel, dimanche à Strasbourg. Côté crise du porc, la France met l’accent sur la nécessité de rouvrir le marché russe, fermé aux importations européennes depuis janvier 2014, après l’apparition de cas de peste porcine en Pologne et en Lituanie : « Une action diplomatique énergique doit être engagée rapidement par la Commission européenne pour lever l’embargo sanitaire sur les gras et les abats porcins. » Paris plaide aussi pour une poursuite du dispositif de stockage privé et pour une mesure d’indemnisation à ceux qui réduisent leur cheptel. Côté laitier, Paris appelle à un « relèvement temporaire du prix d’intervention [le prix auquel l’Union européenne rachète poudre de lait ou beurre pour assainir le marché] de plusieurs centimes par litre assorti d’un engagement sur les volumes produits ». Le memorandum plaide également pour développer « un véritable outil de crédit export européen » qui faciliterait la recherche de débouchés. Enfin, selon la France, « un groupe à haut niveau sur le secteur laitier doit être mis en place rapidement » afin de revoir les mécanismes d’intervention, de favoriser la maîtrise de la production en période de prix bas ou encore d’aider à la modernisation du secteur. p isabelle chaperon et laurence girard 4 | économie & entreprise 0123 VENDREDI 5 FÉVRIER 2016 Bruxelles toujours dubitative sur l’Hexagone La Commission européenne estime que la France ne tiendra pas son objectif de réduction du déficit public B ruxelles persiste et signe. Dans ses prévisions économiques d’hiver, publiées jeudi 4 février, la Commission européenne confirme ce qu’elle avait déjà pointé dans ses prévisions d’automne, en novembre 2015. La France, à politiques inchangées, ne tiendra pas son objectif de réduction du déficit public sous la barre des 3 % de son produit intérieur brut (PIB) en 2017. Selon Bruxelles, il sera encore de 3,4 % du PIB en 2016 et, surtout, de 3,2 % en 2017, alors que Bercy vise un déficit de 3,3 % cette année et de moins de 3 % en 2017. Début 2015, la France s’est pourtant engagée à revenir « dans les clous » du pacte de stabilité et de croissance en 2017. A l’époque, elle était passée à deux doigts d’une sanction, pour n’avoir pas tenu ses engagements de réduction des déficits pris deux ans plus tôt. Mais Paris avait finalement bénéficié de trois ans de répit supplémentaire (jusqu’à 2017, donc), ce qui, alors, a été interprété par de nombreux Etats membres (Pays-Bas, Danemark, pays Baltes) comme un traitement de faveur. Bruxelles explique avoir réalisé ses projections d’hiver « à politique constante » mais en intégrant les dépenses supplémentaires de sécurité et de défense décidées à la suite des attentats du 13 novembre, qui ne devraient peser que 0,05 % du PIB. La Commission n’a, en revanche, pas pu tenir compte, par « manque de données suffisamment précises », du nouveau « plan emploi » annoncé par François Hollande en janvier 2016. Sa facture devrait être de 2 milliards d’euros, avait annoncé Bercy, et sera « intégralement compensée Pour la Commission, « l’investissement ne devrait reprendre [en France] que graduellement » par des économies ailleurs, » a promis le ministre des finances, Michel Sapin. Les fonctionnaires européens ont aussi révisé très légèrement à la baisse les prévisions de croissance hexagonale. Le PIB ne devrait progresser que de 1,3 % en 2016 (contre 1,4 % initialement prévu en novembre). La projection pour 2017 reste, cependant, à 1,7 %. Bulletin de santé médiocre Bercy espère encore une croissance de 1,5 % pour cette année. La dette publique devrait continuer à gonfler, à 97,1 % du PIB en 2017. Et le chômage se maintiendra à des niveaux très élevés : 10,5 % de la population active cette année, et un tout début d’inflexion, à encore 10,3 % en 2017, si les calculs de Bruxelles sont bons (le « plan emploi » n’est, là non plus, pas pris en compte). Un bulletin de santé médiocre, donc, pour la deuxième économie de la zone euro, même si l’impact économique des attentats de novembre sur la croissance et la confiance pour 2016 devrait rester faible. Selon la Commission, « l’investissement ne devrait reprendre [en France] que graduellement, alors que les exportations nettes continuent d’avoir un impact négatif sur la croissance ». L’économie française parmi les plus poussives DÉFICIT 2017, EN % DU PIB (PRÉVISIONS) PRÉVISIONS DE CROISSANCE, EN % DU PIB FRANCE Excédent budgétaire ITALIE 1,1 1,3 2015 2016 1,7 2017 ALLEMAGNE 0,8 2015 1,4 1,3 2016 2017 De 0 à – 2,9 Estonie + 0,1 ESPAGNE 3,2 1,7 1,8 1,8 2015 2016 2017 2,8 2,5 2016 2017 Allemagne ROYAUME-UNI 2015 GRÈCE 2,3 2,1 2,1 2015 2016 2017 2,7 0 Portugal – 3,5 France – 3,2 Lux. + 0,5 Pologne – 3,4 Croatie – 3,2 Roumanie – 3,8 0 – 0,7 2015 Plus globalement, Bruxelles ne cachait pas sa prudence, voire son inquiétude, jeudi, face aux nuages qui s’amoncellent sur la croissance mondiale, et menacent la faible croissance européenne. La Commission a légèrement revu à la baisse la progression du PIB de la zone euro, qui devrait croître de 1,7 % en 2016 (contre 1,8 % espéré en novembre), et de 1,9 % en 2017. 2016 2017 Chypre + 0,4 La croissance pour toute l’Union restera stable, à 1,9 % en 2016 puis 2 % en 2017 (contre respectivement 2 % et 2,1 % prévus en novembre). Le décalage persiste avec les Etats-Unis, dont le PIB devrait encore progresser de 2,7 % en 2016 et de 2,6 % en 2017. « Il apparaît maintenant que certains facteurs favorables à la croissance, comme le bas prix des carbu- rants, le faible coût du crédit ou la baisse de l’euro face au dollar, devraient être plus intenses et durer plus longtemps qu’initialement prévu. Mais dans le même temps, les risques sur les économies ont augmenté : le ralentissement de la croissance chinoise, des échanges internationaux, l’incertitude politique et géopolitique qui grandit », relève la Commission. Nouvelle grève générale en Grèce contre la réforme des retraites la grèce devait vivre jeudi 4 février une nouvelle journée de grève nationale, la troisième en quatre mois. La grande majorité des syndicats du privé comme du public a appelé à participer au mouvement, contre la réforme des retraites présentée au début du mois par le gouvernement grec. Les administrations, les écoles, banques, tribunaux ainsi que les trains, bateaux ou taxis devaient être à l’arrêt à partir de mercredi minuit. Dans le cadre de l’accord conclu en juillet 2015 entre Athènes et ses créanciers, la Grèce doit adopter une vaste réforme des retraites ayant pour objectif de dégager 1,8 milliard d’euros d’économies, De – 3 à – 3,9 SOURCE : COMMISSION EUROPÉENNE bruxelles - bureau européen l’équivalent de 1 % de son PIB, en échange d’une aide de 86 milliards d’euros. La proposition du gouvernement Tsipras prévoit un plafond mensuel de 2 300 euros pour les pensions, de 3 000 euros maximum pour ceux qui cumulent plusieurs pensions, ainsi qu’un plancher de 384 euros par mois. Barrages sur les routes Le gouvernement veut également augmenter les contributions, d’un point de pourcentage pour les employeurs et de 0,5 point pour les employés. Ce dont ne veulent pas les représentants du quartet des créanciers du pays (BCE, Union euro- péenne, Mécanisme européen de stabilité, FMI) qui ont entamé cette semaine à Athènes la « revue » des mesures prises par le gouvernement Tsipras. Une première rencontre a eu lieu mardi entre Georges Katrougalos, le ministre grec du travail qui pilote la réforme des retraites, Euclide Tsakalotos, le ministre des finances, et le quartet, qui devrait quitter Athènes la semaine prochaine puis revenir vers la fin du mois. Olga Gerovassilis, porte-parole du gouvernement grec, a prévenu, mardi, que le pays espérait « la fin de la revue courant mars ». Avec à la clé l’ouverture des discussions sur un réaménagement de la dette du pays. Les agriculteurs aussi sont dans la rue. Ou plutôt sur les routes. Ils ont depuis le début de la semaine mis en place des barrages en des points stratégiques du pays, notamment, à la frontière gréco-bulgare. Des centaines de poids lourds attendaient mercredi soir de passer la frontière. Un blocus aussitôt dénoncé par les autorités à Sofia. Les agriculteurs s’opposent à la hausse de leurs cotisations sociales mais réclament aussi un seuil de nonimposition fixé à 12 000 euros de revenus annuels ou une imposition maximale de 13 % de leurs revenus. p adéa guillot (athènes, correspondance) Dans ce contexte, les divergences entre les économies des pays européens sont toujours aussi prononcées. Notamment au sein de la zone euro. L’Allemagne reste sans conteste le moteur de l’ensemble, avec une croissance solide (1,8 % anticipé pour 2016 et 2017), un chômage à seulement 4,9 % de la population active en 2016 (5,2 % en 2017). Et un afflux considérable des migrants (1,1 million en 2015) entraînant des dépenses publiques pour l’accueil et l’intégration, qui « devraient contribuer à la croissance dans l’horizon de temps de nos prévisions », assure la Commission, sans cependant s’avancer sur un chiffrage de la « crise des réfugiés » en Allemagne. A l’autre bout du spectre, il y a la Grèce, en plein programme d’austérité imposé par ses créanciers internationaux, dont le PIB restera en recul, mais moins que redouté (– 0,7 % en 2016). Mais il y aussi l’Irlande, dont l’économie devrait continuer de fortement rebondir (+ 4,5 % de croissance en 2016), ou l’Espagne, dont la croissance se confirme (+ 2,8 % en 2016). p cécile ducourtieux Le traité transpacifique anime les débats de la campagne américaine Le projet d’accord de libre-échange a été signé, jeudi 4 février. Les Parlements des douze Etats signataires doivent désormais le ratifier new york - correspondant U ne étape supplémentaire a été franchie pour le traité transpacifique (TPP), avec sa signature officielle, jeudi 4 février, à Auckland (Nouvelle-Zélande). Cet accord de libreéchange, l’un des plus importants jamais négociés, a pour but d’harmoniser les normes et d’abaisser les droits de douanes, pour faciliter les échanges commerciaux. Maintenant, il va s’agir pour chaque Parlement des douze pays signataires (Etats-Unis, Canada, Mexique, Chili, Pérou, Japon, Malaisie, Vietnam, Singapour, Brunei, Australie et NouvelleZélande) de le ratifier. Un processus qui risque de durer plusieurs mois sans garantie de succès. Le cas des Etats-Unis n’est pas le plus simple. Pourtant, le projet a été porté à bout de bras par le président Barack Obama. Il est au cœur de sa diplomatie, l’aboutissement de la stratégie dite du « pivot », qui consiste à resserrer les liens commerciaux avec les pays de l’Asie-Pacifique pour contrebalancer l’influence grandissante de la Chine. « Le Congrès doit le ratifier aussi vite que possible, afin que notre économie puisse bénéficier immédiatement de dizaines de milliards de dollars avec de nouvelles opportunités à l’export », a plaidé M. Obama. Mais ce projet, lancé en 2008, n’arrive au stade de la ratification qu’à la fin de son second mandat. Les auditions au Congrès devraient commencer dans les prochains jours, mais l’examen s’annonce fastidieux. « Nous devons regarder cet accord dans son ensemble, afin de trouver des moyens de l’améliorer pour l’amener au vote », affirme le républicain Kevin Brady, à la Chambre des représentants. Le TPP dispose Hillary Clinton comme Bernie Sanders, son challenger à l’investiture démocrate, sont hostiles au TPP « d’une base solide de soutien à la Chambre, mais il y a encore beaucoup de travail à faire », prévient-il. Le leader de la majorité au Sénat, le républicain Mitch McConnell, a laissé entendre que le texte ne pourrait pas être présenté avant la « lame duck session », c’est-à-dire la période après l’élection présidentielle (qui a lieu le 8 novembre) pendant laquelle M. Obama ne sera plus président, et alors que son successeur n’aura pas encore prêté serment. En attendant, les rapports sur les effets supposés du TPP – souvent contradictoires – se multiplient. Dans un document publié fin janvier par le Peterson Institute, les auteurs, Peter Petri (Brandeis International Business School, Massachusetts) et Michael Plummer (Johns Hopkins University, Maryland), estiment qu’il pourrait générer pour les Etats-Unis une croissance supplémentaire de 0,5 % par an et doperait les exportations, à l’horizon 2030, de 9,1 % par rapport aux projections précédentes. En revanche, les chercheurs n’attendent qu’un impact marginal sur l’emploi. « L’accord va augmenter les salaires aux Etats-Unis, mais il n’y aura pas de changements sur le niveau de l’emploi », estiment-ils. Ils indiquent néanmoins que la croissance de l’em- ploi industriel serait amputée de 20 %, ce qui devrait être compensé par une accélération des embauches dans les services et l’agriculture. « Classe moyenne en danger » Une autre étude indépendante, réalisée par Jerome Capaldo et Alex Izurieta, économistes à la Tufts University (Massachusetts), arrive à des résultats assez différents. L’impact sur la croissance serait du même ordre de grandeur, mais dans un sens négatif, tandis que les Etats-Unis pourraient voir disparaître jusqu’à 448 000 emplois sur les dix prochaines années. De quoi alimenter le débat en plein contexte électoral, alors qu’un certain nombre de candidats se sont dits opposés au TPP. Côté républicain, c’est le cas des deux candidats en tête dans les sondages, Donald Trump et Ted Cruz, tandis que chez les démocrates, Hillary Clinton, comme son challenger, Bernie Sanders, ont également déclaré leur hostilité au traité. C’est d’ailleurs au sein de son parti que M. Obama risque de rencontrer le plus de réticences. « Alors que le gouvernement qualifie le TPP d’accord le plus progressiste de l’histoire, les détails du texte racontent une histoire différente, qui met en danger notre classe moyenne », dit Rosa DeLauro, représentante démocrate du Connecticut et l’une des principales opposantes au TPP. Ce mouvement est soutenu par le principal syndicat du pays, l’AFL-CIO, dont l’une des responsables, Liz Shuler, qualifie le traité de « cadeau aux entreprises, qui met en péril nos emplois plutôt que de créer davantage d’opportunités pour tous ». p stéphane lauer économie & entreprise | 5 0123 VENDREDI 5 FÉVRIER 2016 « Je n’ai aucune envie de retourner à mes cars » Chauffeur de VTC, Randy Amisi a manifesté, mercredi 3 février, à Paris. Il défend son statut, qui lui a permis de créer sa société et d’embaucher deux chômeurs RENCONTRE S ous les essuie-glaces de sa Mercedes classe C, Randy Amisi, 30 ans, a glissé deux feuilles au format A4. La première dit « Manuel Valls = G7 », du nom du premier ministre et de la plus importante compagnie de taxis de la capitale. Sur la seconde : « Touche pas à mon emploi. » Il roule au pas boulevard des Invalides, à Paris. Sa berline noire fait partie du cortège de 550 véhicules qui, à l’appel de l’association Alternative mobilité transport (AMT), s’est ébranlé, mercredi 3 février, entre la gare Montparnasse et le pont Alexandre-III. Il est midi. Le soleil d’hiver flatte le tableau de bord de sa voiture, achetée en leasing « 50 000 euros ». Les vitres étouffent les coups de klaxons. Très vite, derrière le costume gris, pointe l’angoisse d’un jeune PDG aux dreadlocks noires. « Si je ne peux plus travailler demain, que vat-il se passer ? », s’inquiète l’ancien LE CONTEXTE Le gouvernement a publié, mercredi 3 février, le décret précisant les modalités de l’examen désormais nécessaire pour devenir VTC. Il remplace une formation de 250 heures, obligatoire depuis 2013. Le candidat devra obtenir la note de 12 sur 20 à un questionnaire de 110 questions. Gilles Boulin, co-directeur du groupement de taxis Gescop, juge cet examen « trop facile » et ses « sessions trop fréquentes ». Chez G7, qui vient d’assigner Uber en référé au tribunal de commerce pour concurrence déloyale, la filiale Taxis Bleus espère que « ce texte n’est que transitoire » avant l’adoption d’un tronc commun de formation pour taxis et VTC. Le jeune PDG se verse « 500 à 1 000 euros de salaire par mois » et rêve des « dividendes » qu’il s’accordera en fin d’exercice chauffeur d’autocar, titulaire d’un bac professionnel. Jeudi 28 janvier, Manuels Valls a annoncé vouloir mettre fin au détournement du statut de chauffeur de transports collectifs, régi par la loi d’orientation des transports intérieurs (Loti). Ce statut accorde à son titulaire le droit de conduire des groupes inférieurs à dix personnes mais d’au minimum deux passagers. Il s’obtient après un examen, comme pour les véhicules de tourisme avec chauffeur (VTC). Mais le sésame est moins coûteux et s’obtient dans un délai plus court, car il n’impose pas les 250 heures de formation instaurées, en 2013, pour les VTC. Selon les organisations de taxis – trois jours durant, fin janvier, elles ont organisé des barrages dans Paris, aux abords des aéroports d’Orly et de Roissy et en région –, les compagnies de VTC privilégient depuis des mois les chauffeurs dotés de la carte Loti (de 15 % à 20 % des chauffeurs connectés à des plates-formes de type Uber relèveraient de ce statut). « Des milliers d’emplois en dépendent », reconnaît l’AMT. Les dirigeants de G7 et les organisations syndicales veulent mettre fin à cette hémorragie. Le secrétaire d’Etat aux transports, Alain Vidalies, a envoyé une mise en demeure à toutes les platesformes ; il leur demande de pro- duire la liste de toutes leurs sociétés partenaires. Objectif : identifier les chauffeurs dits « Loti ». « Quelles en seront les conséquences ? », s’inquiète Yves Weisselberger, président de la Fédération des entreprises de transport de personnes sur réservation (FETPR), qui défend les intérêts des VTC. Le ministère rappelle qu’à défaut de réponse « le gouvernement engagera toutes les procédures administratives et juridictionnelles pour faire cesser les pratiques illégales ». En clair, les plates-formes de VTC pourraient devoir déconnecter tous les chauffeurs Loti. L’affaire affole les intéressés, qui voient le sol se dérober sous leurs pieds. Selon Randy Amisi, cette voie était précisément celle qu’Uber lui avait « conseillé » d’emprunter en 2013, pour se connecter à ses services et obtenir des courses, dont il reverse 20 % du montant à la plate-forme. La compagnie Chauffeur-Privé accepte aussi le statut Loti, assure M. Amisi. « L’avenir fait peur » Pour obtenir sa carte Loti, le chauffeur dit avoir passé des « examens de compta et de législation ». Il a aussi monté une société à responsabilité limitée (SARL). Effrayé par le montant de charges à payer au titre du régime social d’indépendant (RSI), il a préféré créer une société anonyme, appelée Diamond Travel Paris, dont il est devenu « le PDG ». Après avoir d’abord loué une voiture, Randy Amisi a acquis en 2015 sa Mercedes, à crédit et grâce à son beau-père, qui a accepté de se porter caution. Il a aussi embauché deux proches de Savigny-sur-Orge, où il habite depuis son arrivée du Congo à l’âge d’un an. « J’ai recruté un Antillais de 31 ans et un Algérien de 28 ans, qui avaient des difficultés à trouver un job », tient-il à souligner. Les deux roulent dans Randy Amisi, mercredi 3 février, à Paris. ROMAIN BEURRIER/REA POUR « LE MONDE » des voitures de location, environ « dix heures par jour ». Leur salaire navigue entre 1 500 et 2 000 euros brut par mois, au prorata du chiffre d’affaires réalisé. Randy Amisi, lui, se verse « 500 à 1 000 euros de salaire par mois » et rêve des « dividendes » qu’il s’accordera en fin d’exercice. Son chiffre d’affaires atteint 10 000 euros par mois. « Et là, franchement – et ce n’est pas la bagnole qui fait ça –, je gagne en estime de soi », dit-il, tout étonné d’avoir par ailleurs « sorti de là » deux copains et d’être passé « dans l’autre camp, celui du patron ». Mais « l’avenir fait peur », avoue le trentenaire, qui a prévu d’épouser la mère de ses enfants en 2017. « On ne m’a jamais dit qu’en étant “Loti” je ne pouvais pas être VTC », note-t-il. De facto, les procès-verbaux ont été rares. Quelques cas ont été mentionnés fin 2015, selon la FETPR. Le flou juridique dans lequel opère le secteur des VTC agace M. Amisi. « Demain, si les Loti sont interdits sur les platesformes de VTC, que deviendront mes deux employés ? Ils vont retourner gratter leurs Assedic, c’est ça ? », s’emporte-t-il. Avant de glisser : « Moi, je n’ai aucune envie de retourner à mes cars. » p juliette garnier L’allemand Daimler-Benz affiche des résultats record Grâce à un renouvellement réussi de sa gamme, la marque Mercedes a dépassé Audi et rattrape son retard sur BMW suite de la première page « Le groupe Daimler a connu une bonne année en 2015. Tout porte à croire que nous connaîtrons une nouvelle bonne année en 2016 », s’est réjoui Dieter Zetsche, l’emblématique PDG du groupe allemand, qui devrait voir cette année son mandat rallongé jusqu’à 2019. « Il n’y a pas lieu de penser que ce qui a joué en faveur de Daimler en 2015 disparaîtra en 2016 », juge Carlos Da Silva, du cabinet IHS Automotive. Le constructeur n’est cependant pas au bout de ses peines. Il a encore des efforts à fournir pour récupérer sa couronne mondiale de roi du premium devant ses concurrents allemands BMW et Audi. Il s’est fixé cet objectif pour l’année 2020, avec un minimum de 2 millions d’exemplaires vendus. En 2015, il a déjà dépassé Audi, qui l’avait relégué à la troisième place depuis 2010. En revanche, il reste encore en retrait de BMW. L’an dernier, la marque à l’étoile a écoulé 1,87 million de voitures et 4x4 de luxe. C’est 40 000 unités de moins que BMW, mais 70 000 de mieux qu’Audi. Cette performance s’explique par l’amélioration de ses ventes sur les trois marchés clés de la planète : la Chine, les Etats-Unis et l’Europe. En Russie ou en Amérique latine, Mercedes est beaucoup moins présent, donc moins touché par la faiblesse de ces marchés. Dans l’empire du Milieu, après des années d’errements et de bisbilles avec ses partenaires locaux, Mercedes rattrape son retard. Ses ventes ont progressé de 32,6 % en 2015, à 373 500 exemplaires, quand ses concurrents faisaient au mieux du surplace. Mais Audi et BMW avaient pris beaucoup d’avance. « Mercedes a toujours été un peu retard en Chine par rapport à ses concurrents habituels, ce qui lui donne une meilleure marge de progression », pense Carlos Da Silva. De plus en plus partenariats Aux Etats-Unis, Mercedes est toujours distancé par BMW, mais a tout de même réalisé un nombre d’immatriculations historique, en lien avec le niveau record du marché nord-américain. En Europe, Mercedes est également plus dynamique que ses concurrents germaniques. Dans tous les pays, le groupe a affiché une croissance à deux chiffres, et en Allemagne, il reste le premier des premium. Mercedes a écoulé 1,87 million de voitures et 4x4 de luxe en 2015. Soit 40 000 de moins que BMW Ce retour sur le devant de la scène est la preuve que l’audace paie enfin. En renouvelant entièrement sa gamme depuis trois ans et en adoptant un design plus affûté et plus moderne, Mercedes a gommé son image ringarde. Plus glamour, une classe A peut aujourd’hui faire rêver trentenaires et quadras. Impensable il y a encore cinq ans, quand Mercedes ne faisait rêver que les chauffeurs de taxis et les retraités débonnaires… « Mercedes récolte les fruits du changement efficace en termes de design et de couverture des segments, assure M. Da Silva. La marque a contre-attaqué point par point la concurrence, en se dotant d’une vraie voiture dans le segment des compactes, la Classe A, en mul- tipliant les SUV [Sport Utility Vehicule] de toutes tailles et formes, avec des versions “coupé”. Elle a même eu un certain regain d’audace et d’enthousiasme avec des voitures emblématiques et sportives, comme le CLA ou l’AMG GT. » Désormais, les ventes du groupe s’équilibrent, avec un demi-million de petits véhicules, un demimillion de SUV et quelque 800 000 berlines, de loin les véhicules les plus rentables, dont la Classe S, la limousine haut de gamme qui s’écoule à quelque 500 exemplaires par mois en Chine. « En 2016, la dynamique produit restera bonne, même si les concurrents directs renouvellent leur gamme, reprend M. Da Silva. La croissance attendue aux EtatsUnis et en Europe, ainsi que les marges de manœuvres [qu’il y a] encore en Chine, devraient également aider Mercedes à progresser. » Au niveau économique, Dieter Zetsche a réalisé plusieurs plans d’économies drastiques et revu son plan d’affaires. Parallèlement, Daimler s’est rapproché de partenaires, notamment de l’Alliance Renault-Nissan à partir de 2009. Après avoir échangé des participations financières, Mercedes, Renault et Nissan n’ont mené pas moins de treize projets communs. « Mercedes partage de plus en plus avec ses partenaires et améliore par là même ses résultats », relève Bertrand Rakoto, du cabinet D3 Intelligence. Mercedes a par exemple développé et produit avec Renault les nouvelles Smart et Twingo, tandis qu’il vient de lancer un site de production commun avec Nissan au Mexique. Il codéveloppe également avec le constructeur japonais un pick-up d’une tonne, qui sera produit dans l’usine argentine de Renault. « Le groupe veut aller plus loin, indique M. Rakoto. Afin de prépa- rer aux mutations à venir, 150 cadres du constructeur planchent depuis le début de l’année pour changer l’organisation du groupe. » Déjà, Mercedes se projette dans la mobilité de demain. Comme ses concurrents, il propose des véhicules semi-autonomes, voire autonomes. Mais il innove aussi plus que Ford, General Motors et les autres en développant Car2Go, un service d’autopartage déjà disponible dans une trentaine de villes dans le monde. L’allemand s’est également invité au capital de Flixbus, le premier transporteur de bus longue distance en Allemagne. p philippe jacqué Ford et PSA suppriment des postes Ford et PSA prévoient une nouvelle adaptation de leurs effectifs en Europe. Le constructeur américain, qui a dégagé 120 millions d’euros de bénéfices sur le Vieux Continent en 2015, a annoncé, mercredi 3 février, un plan de départs volontaires de plusieurs centaines de postes dans ses services administratifs. Ford entend réduire ses coûts de 180 millions d’euros par an. Jeudi 4 février, PSA devait également présenter un projet de suppression de quelque 700 postes dans son usine de Poissy (Yvelines) d’ici à mi-2017, soit une équipe de production en moins. Mais aucun licenciement n’est prévu. Le groupe automobile propose à ses salariés 130 mobilités internes, 380 congés pour les seniors et 230 mobilités externes « sécurisées ». 6 | économie & entreprise 0123 VENDREDI 5 FÉVRIER 2016 Création de parfums : la guerre des plantes a commencé Les industriels du secteur multiplient les initiatives pour sécuriser leurs matières premières E lles s’appellent vétiver, fève tonka, rose centifolia, ylang-ylang des Comores, patchouli d’Indonésie, vanille de Madagascar… Ces plantes précieuses, essentielles à l’élaboration des parfums, font aujourd’hui l’objet d’une lutte féroce entre les industriels du secteur. Ceux-ci cherchent à se prémunir contre les ruptures d’approvisionnement, les aléas des cours ou une baisse de la qualité de deux cents familles de plantes cultivées dans quarante pays dont ils ont besoin. De multiples facteurs menacent en effet ces matières premières. « Une violente chute des cours peut provoquer leur disparition », assure Hervé Fretay, directeur des naturels [les matières premières naturelles] pour la parfumerie chez Givaudan, le numéro un mondial de la création de parfums et d’arômes, qui fournit les plus grandes marques du secteur. Si le prix du patchouli en Indonésie baisse durablement, un fermier aura forcément tendance à lui préférer une culture vivrière, plus rentable et moins aléatoire, dit-il. A contrario, si le cours s’envole – comme celui de la vanille, qui a quintuplé ces dix derniers mois –, les parfumeurs préféreront utiliser de la vanille de synthèse. « Les agriculteurs ne sont pas non plus à l’abri d’une mauvaise récolte », ajoute M. Fretay. La sécheresse en Bulgarie explique l’envol du cours de la rose à l’été 2015. « La recher- che de main-d’œuvre, pour la cueillette, à un prix toujours plus bas se traduit aussi par des transferts de plantations du Maghreb en Egypte, puis en Inde ou en Chine », explique-t-il. L’inflation des prix immobiliers peut également avoir raison des champs de fleurs. C’est le cas à Grasse, en Alpes-Maritimes, « où il ne reste plus que quelques microlopins de terre de jasmin destinés à Guerlain et à LVMH », assure Fabien Durand, directeur de l’innovation dans les naturels chez Givaudan. L’expert de la firme suisse pointe aussi du doigt le tourisme ou même « le RMI [le revenu minimal d’insertion], qui a tué le géranium Bourbon sur l’île de La Réunion » puisque, pour de nombreux agriculteurs, percevoir cette aide d’Etat était devenu plus rentable que cultiver cette fleur. Des contrats attractifs Or, « la demande d’ingrédients naturels, aiguillonnée par la parfumerie de niche, est une lame de fond depuis quatre ou cinq ans », assure Judith Gross, directeur créatif Europe d’IFF, un autre géant du secteur. « Les marques de parfum ont compris l’importance de la qualité des matières premières », analyse-t-elle. Mais pas à n’importe quel prix non plus. « Nous ne sommes pas des traders, nous revendiquons seulement une stabilité des prix », explique Julien Maubert, directeur de la division matières premières de Robertet, Un ouvrier ramasse des racines de vétiver pour la distillerie Agri Supply de Les Cayes, à Haïti, en 2014. STRINGER/REUTERS le spécialiste français des arômes. Il y a dix ans, Givaudan a mis en place huit programmes destinés à assurer de manière pérenne l’accès aux ingrédients fondamentaux pour ses 90 clients parfumeurs. « Notre idée était de consolider les filières les plus fragiles et d’investir dans la durée pour que les agriculteurs s’y retrouvent », explique M. Fretay. Au Venezuela, Givaudan s’est ainsi associé à une ONG qui veille à la protection de la faune et de la flore sur 140 000 hectares de forêt. De quoi lui donner un accès privilégié aux fèves tonka, reconnaissables à leur senteur d’amande et de tabac. En Indonésie, où il se fournit en patchouli, la major suisse a mis au point un système de cartographie lui fournissant en temps réel l’offre et les prix de chaque fournisseur. Ces programmes, dont bénéficient notamment la lavande, le ciste, l’ylang-ylang et le benjoin constituent le terreau d’innovations olfactives. Ils ont permis de torréfier des fèves tonka ou d’isoler, par un procédé de biotechno- L’inflation des prix immobiliers peut également avoir raison des champs de fleurs logie, une fraction du patchouli pour le métamorphoser en une note de fond, plus épicée et poivrée, d’un parfum chypré (qui évoque un sous-bois humide). De son côté, l’américain IFF a acquis il y a quinze ans LMR, une PME consacrée aux ingrédients naturels. Pour relancer la culture de l’iris alors en chute libre, le groupe a signé, en 2000, avec des agriculteurs italiens des contrats suffisamment attractifs pour les inciter à continuer cette culture. Bien leur en a pris, c’est devenu l’une des matières premières les plus chères (jusqu’à 100 000 euros le kilo d’absolue). IFF s’implique aussi très en amont dans la filière, pour opti- En difficulté, STMicroelectronics se cherche un patron plus visionnaire Un chasseur de têtes a été mandaté pour trouver un successeur à l’Italien Carlo Bozotti Y aura-t-il bientôt un nouveau patron à la tête de STMicroelectronics ? Objet de toutes les spéculations, la question a repris de la vigueur après l’annonce par le groupe, le 27 janvier, de la suppression de 1 400 postes dans le monde (430 en France) ces trois prochaines années, et de l’arrêt de l’activité de fabrication de puces pour les décodeurs. Le mandat de Carlo Bozotti, PDG du fabricant de semiconducteurs depuis mars 2005, est censé arriver à échéance en mai 2017. Il pourrait être écourté. Selon nos informations, le conseil de surveillance a déjà commencé à échafauder un plan de succession. Même si officiellement, il n’a pas décidé de changer de patron dans l’immédiat. Principale difficulté : faire le bon casting. De sources concordantes, les administrateurs ont du mal à s’entendre sur le nom d’un successeur. La faute à une gouvernance complexe, qui rend difficile la bonne marche de l’entreprise. STMicroelectronics a la particularité de compter à son capital les Etats italiens et français, chacun possédant 13,75 % de l’entreprise. La partie italienne militerait pour un PDG de la Péninsule. Un candi- dat interne s’est déjà porté volontaire. Il s’agit d’Andrea Cuomo, à la tête de l’usine de Catane, située dans le sud de la Botte, qui aurait le soutien de Rome. Problème : ce dernier n’a pas les faveurs du clan français, qui considère qu’il n’a pas l’étoffe nécessaire. Ce blocage a conduit le conseil à mandater un cabinet de chasseur de têtes, Spencer Stuart, comme l’a révélé le site L’Usine Digitale. La procédure, inhabituelle pour ce type de poste, reflète ces désaccords. « En général, on s’enferme deux après-midi dans une salle et on établit une liste de deux ou trois noms », dit un proche du groupe. Pour le moment, Spencer Stuart en serait juste à la phase de sélection des candidats potentiels. Difficile de dire quand les administrateurs réussiront à s’enten- L’actuel PDG n’a pas su mener la transformation nécessaire de l’analogique vers le numérique dre. Concrètement, écourter le mandat de Carlo Bozotti n’est pas non plus si simple. STMicroelectronics est enregistré aux PaysBas, et tout changement de gouvernance ne peut être validé qu’en assemblée générale des actionnaires. La prochaine aura lieu en mai. Pression politique Maintenir l’actuel PDG semble néanmoins difficile. Si Carlo Bozotti a permis de « mettre au carré » l’entreprise, il n’a pas su mener la transformation nécessaire de l’analogique vers le numérique. Dans l’activité décodeurs, les principaux clients sont aujourd’hui les opérateurs et non plus les fabricants de box, ce que STMicroelectronics a eu du mal à anticiper. « Il aurait fallu une nouvelle approche », explique un proche du groupe. Résultat, STMicro a vu sa part de marché fondre comme neige au soleil ces dernières années, au profit de géants comme Broadcom par exemple. Depuis un an et demi, le conseil et les actionnaires réclament à M. Bozotti un nouveau plan de développement. Sans résultat pour l’instant. « On attendait que soit menée une revue stratégique, cela n’a pas été fait », dit-on à Bercy. La pression politique n’a cessé de croître sur le dossier. Il faut dire que les pouvoirs publics mettent régulièrement la main à la poche. Adopté en 2013, le dernier plan de subvention, baptisé « Nano 2017 », prévoit une enveloppe de 1,1 milliard d’euros de fonds publics, dont 600 millions d’euros financés par l’Etat, 100 millions venant des collectivités locales et 400 millions de la Commission européenne. Officiellement, l’entreprise, qui compte 11 000 salariés en France, n’a pas pris d’engagement en termes d’emploi, les fonds n’étant censés servir qu’à financer des dépenses de recherche et développement. Ce qui n’empêche pas le gouvernement de lui avoir demandé des gages. A Crolles (Isère), l’extension d’une des deux usines, qui devait être financée grâce à ce fameux plan, a été repoussée sine die. « Aujourd’hui, c’est une prairie », dit Marc Leroux, de la CGT. Et pour cause, les deux unités de production existant déjà sont actuellement en sous-régime. Ce qui pourrait s’aggraver avec l’arrêt programmé des décodeurs. p sandrine cassini miser la qualité des végétaux et rationaliser les méthodes agricoles. « Nous avons investi dans la mécanisation des récoltes, comme celle de l’iris, dont la récolte des rhizomes est particulièrement pénible, ou celle des narcisses en Lozère, des bourgeons de cassis en Bourgogne et tout récemment du vétiver cultivé en plaine à Haïti », explique Judith Gross. IFF a pour particularité de pratiquer des transferts de technologies avec ses partenaires de long terme, comme des producteurs de vétiver en Haïti, de rose en Turquie ou de géranium et de jasmin en Egypte. « Depuis des années, nous travaillons dans le monde entier avec des partenaires exclusifs, souligne Julien Maubert, de Robertet. C’est uniquement quand la filière est en danger ou présente un risque de traçabilité que nous nous installons sur place, via des coentreprises ou des filiales. » Le groupe français en a ouvert une quinzaine. « Nous sommes présents toute l’année en Turquie, où nous cultivons de la rose mais où nous avons aussi incité à planter de l’iris, de la lavande… Et nous traitons sur place des produits non frais qui ont voyagé, comme l’encens ou le maté », poursuit-il. Pour Dominique Roques, responsable des produits naturels chez Firmenich, « la clé consiste à travailler avec les meilleurs producteurs de chaque filière ». A ses yeux, « ce n’est pas le rôle des créateurs de parfums d’ouvrir des écoles dans des villages, de jouer les ONG. L’important c’est de mieux payer les producteurs, avec des contrats à long terme, pour qu’ils paient eux-mêmes mieux les fermiers ». Ce créateur de parfums a pris une participation minoritaire chez le principal groupe indien d’extraits floraux, Jasmine Concrete Exports, installé dans la région du Tamil Nadu. L’ambition de Firmenich est de conclure au moins quatre nouvelles alliances dans l’océan Indien, en Amérique du Sud et en Asie. La concurrence entre ces géants de la création de parfums n’a rien d’une vallée de roses. p nicole vulser + 2,4 % C’est la progression des ventes du marché du meuble en 2015, à 9,34 milliards d’euros, selon les données divulguées, jeudi 4 février, par l’Institut de prospective et d’études de l’ameublement, la Fédération française du négoce de l’ameublement et de l’équipement de la maison et l’Union nationale des industries françaises de l’ameublement. C’est la première fois depuis trois ans que ce secteur s’affiche en hausse. L’inflation quasi nulle et les gains de pouvoir d’achat générés par la chute des prix des carburants expliquent en partie ce goût retrouvé des consommateurs pour l’ameublement. BAN QU E Credit Suisse affiche une perte en 2015 Credit Suisse, le numéro deux du secteur bancaire en Suisse, a essuyé une perte nette de 2,9 milliards de francs suisses (2,6 milliards d’euros) en 2015, sous le poids des provisions pour litiges, d’amortissements et de charges de restructuration. En 2014, la banque avait affiché un bénéfice net de 1,8 milliard de francs suisses. – (AFP.) ÉN ER GI E Le bénéfice de Shell divisé par sept en 2015 Le groupe anglo-néerlandais Shell a annoncé, jeudi 4 février, un bénéfice net de 1,939 milliard de dollars (1,744 milliard d’euros) en 2015, contre 15 milliards en 2014, en raison de la chute des cours du pétrole. Shell a déjà annoncé une réduction d’effectifs de 10 000 personnes et réduit ses investis- sements face à cette évolution défavorable, mais son directeur général, Ben van Beurden, a prévenu que l’entreprise était prête à « prendre de nouvelles mesures marquantes pour gérer la baisse des cours du pétrole si nécessaire ». – (AFP.) C I MEN T LafargeHolcim supprime plus de 200 emplois Le cimentier franco-suisse LafargeHolcim a annoncé, mercredi 3 février, une restructuration de son dispositif industriel en France pour répondre à la baisse du marché du ciment. Il compte investir 117 millions d’euros d’ici à fin 2017, mais prévoit 202 suppressions de postes sur deux sites. Le groupe étudie aussi la cession de sa filiale Lafarge India après le refus par les autorités indiennes de la vente de deux cimenteries au conglomérat Birla Corporation Limited. – (AFP.) idées | 7 0123 VENDREDI 5 FÉVRIER 2016 TENDANCE FRANCE | CHRONIQUE par cl air e gué l aud Un engrenage infernal de risques N’ en déplaise à Voltaire et à Rousseau, c’est un tsunami, et non un tremblement de terre qui a dévasté Lisbonne le 1er novembre 1755. Et c’est une pluie de météorites, comme il en survient tous les 65 millions d’années, qui est à l’origine de la disparition des dinosaures. Cette échéance calendaire se rapprochant, la SCOR a émis quatre obligations pour couvrir ce risque, qui affecterait principalement les Etats-Unis et le Canada. Cela a l’air d’un canular, mais ce n’en est pas un. Quelque 80 % des destructions survenues sur terre en 2014 étaient le fait de la nature : tsunamis, éruptions volcaniques, sécheresses, phénomènes microclimatiques, sans compter les passages de comète ou les tempêtes solaires. La cinquième société mondiale de réassurance s’y intéresse très logiquement. C’est son job. « Tous les risques sont en expansion et en interconnexion », a souligné le PDG du groupe, Denis Kessler, en ouverture, le 26 janvier, du colloque annuel de l’assureur-crédit Coface. Le réassureur a évoqué successivement « les faits de Dieu » (les risques de la nature), « les faits de l’homme » (tout progrès technologique crée des risques), les nombreuses interactions entre les uns et les autres, et ce qu’il a appelé « les faits du diable », ou destructions volontaires. La SCOR, qui assurait 10 % du World Trade Center, est très sensibilisée à la possible survenue d’une ère d’hyperterrorisme, marquée par l’utilisation d’armes de destruction massive. Le groupe de réassurance n’est pas seul dans ce cas : les écoles, collèges et lycées français ont mis en place des exercices adaptés à la prévention des accidents majeurs autres que le risque incendie… « CRISE FINANCIÈRE PERMANENTE » Dans ce monde qui connaît « une situation d’entropie [de désordre] généralisée », les risques financiers prolifèrent. C’est ce que nous racontent Patrick Artus et Marie-Paule Virard, dans La Folie des banques centrales (Fayard, 168 pages, 15 euros), dont le sous-titre, « Pourquoi la prochaine crise sera pire », est lourd de menaces. Nos deux auteurs y dissèquent les raisons pour lesquelles le maintien de politiques monétaires non conventionnelles et l’injection massive de liquidités, nécessaire en 2009 RECHERCHES Les incitations économiques finissent par s’émousser par paul seabright L e gain en réputation de « l’économie comportementale », depuis une vingtaine d’années, au sein des sciences économiques, est bien mérité. Remplacer la vision de l’Homo œconomicus par une vision plus riche de la psychologie humaine est non seulement scientifiquement justifié, mais cela montre que la discipline est moins figée dans ses orthodoxies qu’on ne pourrait l’imaginer à la lumière des crises économiques récentes. Des perspectives « comportementalistes » sont désormais prises en compte par les autorités publiques dans des domaines qui vont de la politique de la concurrence à l’assurance ou à la gestion des retraites. Il reste, cependant, beaucoup d’incertitudes sur les vraies leçons de l’économie comportementale. Un comportement souvent cité est la « réciprocité », la tendance à répondre à un geste généreux par un autre geste généreux, même entre deux personnes qui n’ont aucun intérêt égoïste à le faire. Dans le marché du travail, la réciprocité est supposée justifier la mise en place de salaires plus « généreux » que le minimum nécessaire pour recruter la main-d’œuvre. Ils sont censés produire un effort plus important chez l’employé que le minimum demandé par son contrat. Pourtant, une étude qui vient de paraître dans une des plus prestigieuses revues économiques jette le doute sur ces conclusions (« Anatomy of a Contract Change », par Rajshri Jayaraman, Debraj Ray et Francis de Véricourt, American Economic Review n° 106/2, 2016). En septembre 2008, les ouvriers de plusieurs plantations de thé en Inde ont reçu un nouveau contrat de travail, qui augmentait leur salaire de base en diminuant la part de la rémunération variable versée selon la quantité de thé récoltée. Selon la théorie économique classique dite « des incitations », l’effort ¶ Paul Seabright est directeur de l’Institut d’études avancées de Toulouse exercé par les ouvriers aurait dû diminuer, puisqu’ils recevaient davantage de salaire garanti et auraient gagné moins qu’auparavant pour tout effort supplémentaire. Mais, à la suite de ce nouveau contrat, la quantité récoltée par ouvrier a augmenté de plus de 80 %, bien au-delà de ce qui pourrait être expliqué par d’autres facteurs. Les auteurs ont en effet écarté la possibilité que les résultats aient été influencés par d’autres incitations implicites comme la supervision accrue du travail, ou la poursuite officieuse de la part variable en fonction des quantités. Ces résultats semblent bien conforter les hypothèses comportementales, qui mettent en valeur la réaction de réciprocité de la part des ouvriers. EFFETS NEUROPHYSIOLOGIQUES Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Les auteurs ont continué à mesurer la quantité récoltée et, dans les mois qui ont suivi, celle-ci a fortement baissé, et est progressivement revenue au niveau qu’aurait prédit la théorie classique ! Après quatre mois, la réaction purement « comportementale » avait complètement disparu. L’étude reste silencieuse sur les raisons de cet écart entre les effets de court terme et de long terme. Peutêtre s’agit-il d’un phénomène connu des psychologues, mais qui est jusqu’ici moins pris en compte par l’économie comportementale, à savoir l’accoutumance. Il est fort possible que la réciprocité répondrait à l’incidence psychologique d’un geste généreux de la part d’autrui, mais que cet impact diminuerait dans le temps pour les mêmes raisons que diminuent progressivement les effets de certains stupéfiants sur le cerveau. On sait déjà que certains comportements économiquement significatifs provoquent des effets neurophysiologiques importants. Selon une étude d’un collectif de chercheurs publiée en 2004 dans la revue Science (« The Neural Basis of Altruistic Punishment »), l’acte de punir quelqu’un pour avoir contribué trop peu à un bien commun provoque une activation du noyau caudé dans le cerveau, une zone qui peut être activée également par la cocaïne ou la nicotine. L’indignation vertueuse, pour ainsi dire, est une drogue très addictive. Peut-être est-elle aussi soumise à la loi de l’accoutumance, qui demande d’infliger des peines de plus en plus fortes pour donner un niveau de satisfaction constant ? p pour sauver la planète finance, mais pas après, nous installent dans « une crise financière permanente ». Dans un contexte de « volatilité extrême », où, à la moindre alerte, « les milliards se déplacent sans crier gare », au grand dam, notamment, des dirigeants chinois, c’est moins le niveau des taux, proches de zéro, que la disparition des primes de risque qui pose problème. « Quand tous les investisseurs achètent des actifs financiers risqués sans les primes associées, quelle que soit l’évolution de l’économie, c’est comme s’ils couraient directement, et collectivement, vers la falaise », analysent l’économiste en chef de Natixis et la journaliste économique. « Le risque de crise financière ne cesse de grandir : comme les primes de risque ne couvrent plus le risque réel, le moindre choc économique ou géopolitique est de nature à faire subir aux investisseurs des pertes considérables, reproduisant ainsi l’épisode 2008-2009, après l’écrasement des primes de risque de la période 2002-2007. » Les taux restent donc bas aux EtatsUnis, malgré une modeste et première remontée à la mi-décembre 2015. La poursuite du Quantitative Easing (QE, « assouplissement quantitatif », en français) au Japon et dans la zone euro va entraîner une nouvelle augmentation de la liquidité, c’est-à-dire de la monnaie créée par les banques centrales, dont la croissance est plus rapide que celle du produit intérieur brut. Conséquence de ces politiques, la base monétaire mondiale tourne désormais « autour de 20 000 milliards de dollars [18 300 milliards d’euros] ». Il est de plus en plus difficile de sortir des taux d’intérêt faibles, qui poussent au « poison mortel de l’endettement sans inflation », et de l’inondation de liquidités. « Les banquiers centraux n’osent plus bouger une oreille, même s’ils prennent le risque non seulement de nourrir l’instabilité financière, mais aussi et surtout de se trouver fort dépourvus quand la bise [traduire le retour d’une récession] sera venue. » Pour sortir de cet engrenage infernal, les auteurs proposent de faire de la stabilité financière – autrement dit, de la stabilisation du prix des actifs – un objectif à part entière de la politique monétaire, et d’élargir le mandat des banques centrales à la stabilité macroprudentielle. Ils suggèrent de « TOUS LES RISQUES SONT EN EXPANSION ET EN INTERCONNEXION » DENIS KESSLER PDG du réassureur SCOR diversifier la panoplie des instruments à leur disposition, à l’image, par exemple, du système de réserves obligatoires détenues par les banques commerciales chinoises auprès de la Banque populaire de Chine (PBoC), qui portent sur les crédits et qui sont modulées selon les secteurs. C’est un instrument dont se sert la PBoC pour soutenir ou pour ralentir la croissance. Invitées à coopérer davantage avec les autorités de supervision, les banques centrales devraient par ailleurs renoncer à utiliser des politiques monétaires expansionnistes quand le problème de l’économie, comme aujourd’hui, n’a rien à voir avec la monnaie. Reste à les en convaincre : ce n’est pas le plus facile ! p guelaud@lemonde.fr Quand les investissements privés financent l’action sociale Les « Social Impact Bonds » permettent à des investisseurs de tirer profit du succès des programmes d’aide aux plus défavorisés, menés par des associations et des entreprises solidaires par baptiste gachet, benjamin le pendeven et yoann lucas M on véritable adversaire, c’est le monde de la finance. » La phrase prononcée par le candidat François Hollande lors du discours du Bourget a été l’un des marqueurs de la campagne pour l’élection présidentielle de 2012. La finance s’opposerait à l’économie « réelle » ou « sociale et solidaire » qui placerait l’humain et non le profit au cœur de son projet. Mais le lancement de Social Impact Bonds (SIB, « obligations à impact social ») dans la plupart des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) montre que les logiques financières et sociales peuvent s’avérer complémentaires. Dans un contexte de réduction des déficits publics et d’augmentation des besoins sociaux, les SIB permettent de lancer des programmes sociaux grâce à de l’argent privé. Le premier SIB a été lancé en 2010 par le gouvernement Cameron. Il visait à faire baisser de 7,5 % le taux de récidive d’un groupe de 2 000 détenus, par rapport à un groupe test non bénéficiaire du programme. Les résultats publiés en 2014 font état d’une baisse du taux de récidive de 8,4 %. Le Royaume-Uni a généralisé le programme au niveau national. Des SIB ont été lancés dans d’autres pays. Un SIB repose sur le schéma suivant : les financeurs versent à une association ou une entreprise solidaire des fonds qui mettent en œuvre un programme d’action sociale dont le succès permettra à la puissance publique de réaliser des économies budgétaires (par exemple diminution des frais de justice dus à la récidive, des alloca- LES FINANCEURS DE PROJETS PEUVENT ÊTRE À VOCATION PHILANTHROPIQUE OU NON tions versées à des chômeurs de longue durée en raison de leur retour à l’emploi, etc.). L’investisseur privé assume le risque financier dans l’espoir d’un gain en cas de succès du programme. L’autorité publique s’engage, en effet, à partager l’économie de dépense sociale réalisée en remboursant les capitaux engagés et en payant des intérêts si et seulement si les objectifs fixés dans le contrat initial sont atteints ou dépassés. En cas d’échec, elle ne rembourse rien, mais n’a engagé aucune dépense. L’évaluation de la performance du programme est effectuée par un tiers indépendant, en général un laboratoire de recherche académique ou un cabinet de conseilaudit. Quant à l’organisme porteur du projet, il n’est en aucun cas tenu de rembourser les avances versées. PARTICULIÈREMENT ATTRACTIFS Les financeurs de projets peuvent être à vocation philanthropique ou non. Si le premier SIB britannique a été porté par des fondations, la banque Goldman Sachs a investi 7 millions de dollars dans un SIB de lutte contre la récidive des détenus de la prison de Rikers Island, à New York, mais le projet a échoué… La faiblesse des taux d’intérêt des banques centrales rend les SIB particulièrement attractifs pour les investisseurs. Newpin, le premier SIB australien, a servi à ses financeurs un taux d’intérêt de 7,5 % au cours de sa première année d’exécution. La compagnie d’assurances australienne QBE a décidé d’allouer 100 millions de dollars américains à des prises de participation dans des projets de SIB dans différents pays. S’ils comportent une logique financière, les SIB ne doivent pas être opposés aux modèles historiques de financement de l’action sociale. Ils en sont le complément. Le paiement au résultat est, en effet, inadapté à nombre de situations où l’intervention sociale relève davantage du qualitatif que du quantitatif et ne génère pas d’économie directe pour les pouvoirs publics. Les SIB permettent aux acteurs traditionnels de l’économie sociale et solidaire (ESS) de lancer de nouvelles actions sociales préventives dans des domaines où l’Etat et les collectivités sont absents ou inefficaces. Ils peuvent aussi favoriser le déploiement de programmes encore trop marginaux ou spécifiques. A ce titre, notre récente étude publiée par l’Institut de l’entreprise, Social Impact Bonds, un nouvel outil pour le financement de l’innovation sociale, présente deux SIB « clés en main ». Le premier concerne le recul de l’âge d’entrée dans la dépendance via la pratique hebdomadaire de sport. Les économies générées concernent l’aide sociale à l’hébergement (ASH) et l’allocation personnalisée d’autonomie (APA). Des études montrent que l’activité sportive régulière, même commencée tardivement, peut faire reculer l’âge d’entrée dans la dépendance de plus de cinq ans. Or, ce domaine de prévention est encore peu investi par l’Etat et les collectivités alors même que les dépenses liées à l’APA et à l’ASH explosent en raison du papy-boom. Un SIB « autonomie par le sport » qui démontrerait la pertinence de cette action pourrait permettre le déploiement de programmes sportifs sur l’ensemble du territoire. Le second vise les populations illettrées en recherche d’emploi et repose sur des diminutions de dépenses de revenu de solidarité active (RSA) et d’allocations chômage. En raison de leur complexité et du nombre d’acteurs à réunir, le lancement de SIB est tributaire de l’initiative de l’Etat ou des collectivités locales. A l’étranger, les pouvoirs publics ont été des acteurs moteurs dans le développement de cette innovation au service des plus démunis. La France est aujourd’hui l’un des derniers Etats de l’OCDE à ne pas avoir lancé de SIB. Les différents acteurs de l’ESS – financeurs, associations et entreprises – sont pourtant prêts. La France aurait tort de passer à côté des SIB. Elle pénaliserait les populations les plus précaires, qui perdent une opportunité d’accompagnement. Véritables start-up sociales et solidaires, ils permettent, à coût zéro pour les finances publiques, d’améliorer ou de créer de nouveaux programmes sociaux. Ne manque aujourd’hui que la volonté politique… p ¶ Baptiste Gachet est élève avocat Benjamin Le Pendeven et Yoann Lucas sont chercheurs et doctorants au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) 8 | MÉDIAS&PIXELS 0123 VENDREDI 5 FÉVRIER 2016 Un personnage de Call of Duty au tribunal L’ancien chef rebelle angolais Jonas Savimbi est représenté dans le jeu vidéo. Ses enfants portent plainte L’ audience était une première en France, ce mercredi 3 février, devant le tribunal de Nanterre. D’un côté de la salle, les avocats d’Activision Blizzard, le géant américain du jeu vidéo, qui édite notamment la série Call of Duty. De l’autre, trois des enfants de Jonas Savimbi, l’ancien chef de l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (Unita), mort en 2002. Figure centrale de la guerre civile en Angola, il fut, durant la guerre froide, un proche allié des Etats-Unis, qui voyaient en lui un rempart face aux communistes du Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA, d’inspiration marxiste-léniniste). C’est justement en tant qu’allié des Etats-Unis que Jonas Savimbi s’est retrouvé dans le jeu vidéo Call of Duty : Black Ops 2, sorti en 2012. Un jeu de tir à la première personne, dans lequel le héros traverse une partie de l’histoire des opérations secrètes de la CIA de par le monde. Sombre, violent, le jeu met en scène des événements imaginaires dans un contexte historique plutôt réaliste. C’est là tout le problème, estiment les enfants Savimbi. Aucun ne joue aux jeux vidéo mais l’un d’eux vivant en Angola a contacté le reste de la famille en 2012 parce qu’on l’avait confondu avec son père – ou plutôt avec la représentation de son père dans Black Ops 2. Après des discussions, trois des enfants vivant en France portent plainte, estimant que l’image donnée de leur père dans le jeu est diffamante. Présent par intermittence dans une séquence de jeu d’une dizaine de minutes, le personnage de Jonas Savimbi coordonne un assaut contre des troupes du MPLA, auquel participe le joueur. « On est sur une base historique : il est le chef d’une guérilla. Un fait sur lequel il n’y a pas de contestation possible. Les propos qui lui L’ancien dictateur panaméen Manuel Noriega, qui apparaît également dans le jeu, avait, lui, porté plainte aux Etats-Unis en 2012 sont prêtés sont des propos que l’on retrouve communément dans les films de guerre – il n’y a rien de diffamant dans cette séquence », a argué, à l’audience, Etienne Kowalski, l’avocat d’Activision. « Jonas Savimbi est présenté comme un allié du héros, c’est rarement une preuve d’une volonté de nuire. » Profondément choqués « Le personnage de Jonas Savimbi dit des choses comme “Il faut les achever” ou “Tu as tué beaucoup d’ennemis” ; ce n’est pas quelque chose de normal », estime, pour sa part, l’avocate de la famille, Carole Enfert. Surtout, les descendants de la famille disent avoir été profondément choqués par une scène dans laquelle leur père égorge un soldat. Démenti catégorique du côté d’Activision : « Cette scène n’existe pas dans le jeu. » Selon les constatations du Monde, il y a bien une scène durant laquelle Jonas Savimbi tue, à la machette, un soldat ennemi lors des combats, mais pas d’égorgement. S’appuyant également sur une série d’arguments plus techniques, notamment le délai de prescription – dans les affaires de diffamation, il faut porter plainte dans les trois mois, et la famille Savimbi a porté plainte à l’occasion de la sortie d’une extension multijoueur du jeu –, l’avocat L’HISTOIRE DU JOUR Onfray, la campagne d’Italie P enser l’islam, le nouvel opus de Michel Onfray, paraît jeudi 4 février en Italie. Vendu 10 euros pour 160 pages, ce petit essai va connaître une diffusion exceptionnelle, puisqu’il sera présent à la fois en librairie, grâce à son éditeur traditionnel, Ponte alle Grazie, mais aussi dans tous les kiosques transalpins, le Corriere della Sera s’est associé à la maison d’édition et le propose en plus produit à ses lecteurs, moyennant les 10 euros. Une pratique commerciale courante et efficace en Italie. Estimant en novembre 2015 que « le débat en France n’est plus possible », Michel Onfray avait pourtant annoncé vouloir annuler la parution de son ouvrage dans l’Hexagone et entamer « une diète médiatique », à l’instar d’un Maurice Blanchot (1907-2003), qui, pendant plus de quarante ans, a volontairement fui journalistes et caméras. Mais aujourd’hui, une diète médiatique qui s’est résumée à être abstinent sur son compte Twitter… pendant dix jours. « PROIBITO » ? UNE L’éditeur italien a su exploiter l’effet d’aubaine lié à ce mutisme délibéré. Il a INTERDICTION TOUTE ainsi annoncé « la première édition mondiale du livre controversé sur l’isRELATIVE, PUISQUE lam, interdit en France ». Proibito ? Une interdiction somme toute relative, GRASSET PUBLIERA puisque Grasset, l’éditeur régulier du « PENSER L’ISLAM » bouillant essayiste, le publiera à partir mars. À PARTIR DU 16 MARS duA16 ce stade, c’est plutôt un joli coup médiatique d’édition que réalise Michel Onfray. Il bénéficie en Italie, comme en France, d’une véritable audience. Son Traité d’athéologie (2005), tout comme son essai à charge contre Freud, Le Crépuscule d’une idole (2010), se sont vendus à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires dans la Botte. Mais il n’est pas le premier auteur à bouder provisoirement son public français et à passer par l’étranger pour revenir avec plus d’impact en France. En 2000, le romancier Milan Kundera, blessé par les premiers retours critiques sur son titre L’Ignorance, a ainsi privilégié une première édition mondiale en espagnol chez Tusquets, avant de sortir l’ouvrage trois ans plus tard chez Gallimard. Hasard des calendriers éditoriaux, Penser l’islam paraît aussi en Italie en même temps que le nouvel essai du philosophe Bernard-Henri Lévy, L’Esprit du judaïsme, qui, lui, a fait la « une » de L’Espresso. Une belle bataille éditoriale en perspective. p alain beuve-méry Jonas Savimbi, le 11 décembre 1985, à Jamba, le fief de l’Unita. A droite, son personnage dans Call of Duty. TREVOR SAMSON/AFP, ACTIVISION d’Activision a demandé le rejet de l’ensemble des demandes. La famille réclame de son côté le retrait de Black Ops 2 de la vente, et le versement de 1 million d’euros en réparation du préjudice. La plainte de la famille Savimbi est inédite en France, mais n’est pas une première pour Activision. L’ancien dictateur panaméen Manuel Noriega, qui apparaît également dans Black Ops 2 sous un jour fort peu positif – on le voit notamment assassiner de sang-froid ses propres soldats – avait porté plainte aux Etats-Unis après la sortie du jeu. M. Noriega OBJ ETS CON N ECT ÉS Cisco va racheter Jasper pour 1,2 milliard d’euros L’équipementier en télécoms américain Cisco va se renforcer dans les services pour objets connectés avec le rachat de la société Jasper, annoncé mercredi 3 février, pour 1,4 milliard de dollars (1,26 milliard d’euros). Jasper fournit une plate-forme en ligne permettant à d’autres entreprises de lancer, gérer et monétiser des services liés aux objets connectés. – (AFP.) AU D I OVI SU EL Le magnat Sumner Redstone passe la main Le milliardaire de 92 ans Sumner Redstone a démissionné de son poste de président exécutif du conseil d’administration de CBS, et conserve un titre de « président émérite », a annoncé, mercredi 3 février, le groupe de médias. L’état de santé de M. Redstone, également président du conseil d’administration de Viacom, inquiète depuis plusieurs mois. – (AFP.) Un nouvel immeuble parisien pour BFM-TV et l’audiovisuel d’Altice Un nouvel immeuble situé dans le 15e arrondissement de Paris, qui vient d’être achevé, pourrait bientôt abriter BFM-TV et les autres médias audiovisuels du groupe Altice de Patrick Drahi, a indiqué l’AFP, mercredi 3 février. Altice détient la chaîne d’info i24, basée à Tel-Aviv, une part du groupe NextRadioTV, et des chaînes thématiques. avait été débouté par le tribunal, au nom de la liberté d’expression. L’épisode précédent de Black Ops avait également déclenché des protestations formelles de La Havane – la première scène du jeu proposant au joueur de participer (sans succès) à une tentative d’assassinat de Fidel Castro. Charismatique et controversé En 2015, c’est le créateur de la saga Metal Gear Solid, Hideo Kojima, qui faisait l’objet d’une plainte, cette fois hors de tout contexte historique. Le neurochirugien italien Sergio Canavero, harcelé par des fans du jeu qui croyaient l’avoir reconnu dans la bande-annonce du nouvel épisode de la série, réclamait des dommages et intérêts au créateur de la saga à succès. L’affaire n’a pas encore été jugée. La famille Savimbi connaîtra, elle, le résultat de sa plainte le 24 mars. Leader aussi charismatique que controversé, Jonas Savimbi a connu une disgrâce auprès de son ancien allié américain avant sa mort, en 2002. « Dans la doctrine Reagan, il a fait partie des combattants de la liberté au même titre que les tali- bans. Après la chute du Mur, les choses ont changé : il y a des articles de presse cités dans le dossier qui sont autrement plus durs que les faits présentés dans le jeu », soulevait à l’audience l’avocat d’Activision. « Nous ne cherchons pas à faire le bilan de Jonas Savimbi », insistait à la sortie du tribunal l’un des fils de celui-ci, Cheya. « Cette plainte ne concerne que ce jeu vidéo : nous ne voulons pas que les petits-enfants jouent à un jeu où leur grand-père est présenté comme une brute. » p damien leloup et salma niasse France TV : le Conseil d’Etat valide la nomination de Delphine Ernotte Deux syndicats mettaient en cause l’impartialité du CSA et la régularité de la procédure de désignation de la présidente du groupe L e Conseil d’Etat a rejeté, mercredi 3 février, les recours formés contre la nomination de Delphine Ernotte à la présidence de France Télévisions. Ces recours avaient été déposés par deux syndicats, la CFDT et la CFE-CGC, qui estimaient que le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) avait abusé de son pouvoir en choisissant Mme Ernotte au terme d’une procédure jugée opaque. Dans sa décision, le Conseil d’Etat réfute l’argument selon lequel la procédure de nomination était irrégulière. Les plaignants estimaient que le président du CSA avait décidé de manière unilatérale de changer les modalités de pré-sélection des candidats. Eviction de candidats sérieux Cette étape de la procédure avait surpris et débouché sur l’éviction de candidats sérieux comme Marie-Christine Saragosse, présidente de France Médias Monde, Emmanuel Hoog, président de l’Agence France Presse, et Didier Quillot, ancien dirigeant de Lagardère Active. « Il ressort des pièces du dossier, en particulier du procès-verbal de la séance du 15 avril 2015, que c’est l’ensemble du collège qui a délibéré en ce sens », écrit le Conseil d’Etat. Les plaignants avançaient un autre argument : le président du CSA, Olivier Schrameck, se serait montré partial en enjoignant aux membres du collège de ne pas voter pour Marie-Christine Saragosse ou Emmanuel Hoog, pour ne pas déstabiliser les entreprises publiques qu’ils dirigent. Le Conseil d’Etat rétorque qu’« il ne ressort pas des pièces du dossier que le président aurait publiquement pris position en faveur ou en défaveur de l’un quelconque des candidats ». Et il ajoute « qu’à supposer que le président du CSA ait effectivement tenu de tels propos lors de cette séance, cette prise de position à l’occasion des délibérations internes au collège sur le choix des candidats à auditionner ne peut être regardée comme constitutive d’une atteinte au principe d’impartialité ». Sur l’accusation d’impartialité visant la conseillère Sylvie Pierre-Brossolette, qui, selon les plaignants, aurait noué des liens avec Delphine Ernotte lors d’un déjeuner, le Conseil d’Etat estime que les faits ne sont pas constitués, faute de preuve pour contredire les démentis des intéressées. Concernant le reproche d’opacité lié à l’anonymat accordé aux candidats, la juridiction souligne « qu’aucun principe général du droit ne faisait obligation au CSA de rendre publics les noms des personnes ayant fait acte de candidature ou ceux des candidats qu’il avait sélectionnés pour une audition ». Deux plaintes contre le CSA Quant à l’idée que la décision du Conseil supérieur de l’audiovisuel soit insuffisamment motivée, la décision la rejette. Ainsi que l’accusation de plagiat du dossier de candidature d’un concurrent, Didier Quillot : malgré des « similitudes terminologiques », le Conseil d’Etat estime que le dossier présenté par Mme Ernotte, plus long, était « personnel ». Les deux syndicats sont condamnés à verser chacun à Delphine Ernotte la somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Deux plaintes restent en cours au pénal contre le CSA et son président, Olivier Schrameck. Classées sans suite en juillet 2015, elles font néanmoins l’objet d’une instruction depuis que la CFDT et la CGC se sont portées parties civiles. p alexis delcambre et alexandre piquard Arthur Schnitzler, retour de jeunesse 2|3 a Dossier Les criminels de masse, ni psychopathes ni ordinaires Entretien avec le sociologue Abram de Swaan « Gloire tardive », texte inédit du grand écrivain autrichien, évoque le nouveau souffle d’un vieux poète. Inespéré 4 pierre deshusses N on, les bonnes surprises littéraires ne proviennent pas toujours des ultimes nouveautés de la rentrée. Elles émergent parfois du recoin d’une bibliothèque où dorment depuis des lustres des textes oubliés. On croyait ainsi avoir tout lu d’Arthur Schnitzler (1862-1931), et voilà qu’arrive un texte retrouvé sous forme de tapuscrit, serré entre deux couvertures de cuir saupoudrées de poussière dans une vénérable bibliothèque de Cambridge. C’est en effet là que les œuvres de cet auteur emblématique de la littérature dite viennoise avaient été mises à l’abri des autodafés nazis en 1938, après l’annexion de l’Autriche. Cette Vienne si prodigue de mystères et de découvertes, de la psychanalyse à L’Homme sans qualités, pour reprendre le titre de Robert Musil (18801942), nous fait don d’une pépite avec ce bien nommé Gloire tardive. Qualifié de « roman » par l’éditeur, il s’agit en fait d’une longue nouvelle de la taille qu’affectionnaient les auteurs de l’époque – notamment Stefan Zweig, qui excella dans cette forme brève permettant la publication en feuilleton dans les journaux viennois. C’était d’ailleurs le sort promis à Gloire tardive. Mais une banale histoire d’organisation interne au journal Die Zeit ayant empêché sa parution, le texte était demeuré dans l’obscurité. Il est extrêmement rare de trouver dans les archives ou ailleurs des inédits de grands écrivains. Des textes qui ne soient ni reniés par leur auteur ni abandonnés sous forme de fragments. Celui-ci est d’autant plus précieux qu’il tient les promesses d’une découverte inespérée. Lorsqu’il l’écrit en 1895, Schnitzler a 33 ans. C’est encore un auteur « débutant », si on le compare à ceux, comme Hugo von Hofmannsthal ou Stefan Zweig, qui ont connu la gloire à 20 ans. Il faut dire que l’écriture n’était pas la vocation première de Schnitzler : il était médecin. Il aurait certainement pu connaître le succès avec cette Gloire tardive si elle avait été publiée, mais le titre est déjà un pied de nez au destin. Un fonctionnaire proche de la retraite, Edouard Saxberger, reçoit un jour la visite d’un jeune homme. Ce dernier se présente comme un écrivain, mais aussi et surtout comme un admirateur inconditionnel des Promenades, recueil de poèmes publié par Saxberger trente ans plus tôt. Le visiteur dit faire partie d’un petit cercle d’écrivains qui seraient ravis de pouvoir inviter cet aîné à l’une de leurs réunions, où son expérience et sa maturité seraient de bon conseil. Oscillant entre incrédulité et émerveillement, Saxberger finit par accepter. Sans s’en rendre compte, il met le doigt dans l’engrenage d’une machine infernale dont il sera la victime jusqu’au retournement final. Car, au-delà des péripéties qu’il nous réserve, ce ré- a Littérature française Anne-James Chaton, Bertrand Schefer 5 a Littérature étrangère Helen Oyeyemi, Louise Erdrich 6 a Histoire d’un livre Le Ballet des morts, de Béatrix Pau 1915. MP/LEEMAGE cit nous emporte dans son tempo savant, une lente montée de l’espérance ponctuée de paliers de solitude où s’affrontent passé et avenir. C’est la force de Schnitzler que de nous faire entrer de plain-pied dans la psychologie de ce personnage soudain arraché à sa paisible vie de fonctionnaire. On comprend d’autant mieux la remarque de Freud à Schnitzler, quelques années plus tard : « Je pense que je vous ai évité par une sorte de crainte de rencontrer mon double. » Si les figures des jeunes admirateurs sont seulement esquissées – bien En ne dédaignant pas certaines tournures désuètes, la traduction restitue parfaitement cette mélancolie fébrile : « L’allégresse de ces jeunes gens lui apparaissait comme l’accomplissement différé de maintes espérances dont il avait fiévreusement attendu la réalisation plusieurs décennies auparavant et qui s’étaient peu à peu diluées dans la grisaille de sa vie quotidienne. » Saxberger ne refuse pas les avances de la comédienne qui se propose de lire ses poèmes en public ; il s’éloigne de ses vieux amis avec qui il avait l’habitude de jouer aux cartes. Dans un subtil enchaînement de paradoxes, la vanité sert de déclencheur au regret, mais aussi à la possibilité de rattraper le temps perdu, de ne pas se résigner à la vieillesse. « Etre vieux, c’est ne plus trouver de rôle ardent à jouer », écrira Céline dans Voyage au bout de la nuit (1932). Saxberger, lui, veut encore jouer, et dans cette quête à rebours, souvent cruelle, il est finalement plus touchant que condamnable ou ridicule. Quant à Schnitzler, il nous donne une magistrale leçon de vie, où même les larmes osent montrer leur reflet. Notre reflet. p Ce récit nous emporte dans son tempo savant, une lente montée de l’espérance ponctuée de paliers de solitude qu’on puisse y reconnaître de vrais écrivains de la « jeune Vienne » –, le personnage de Saxberger est d’une imparable justesse dans la crise que déclenche chez lui cette « gloire tardive ». Alors que la vanité de ses jeunes disciples au discours creux et ronflant est tout entière mise au service de leurs ambitions, celle de Saxberger est trop complexe pour n’être qu’un sujet d’ironie. Il sait qu’il est trop vieux pour faire carrière et devenir un véritable écrivain. Pourtant, il se sent animé d’un souffle venu de très loin et dont il avait oublié le parfum, celui des émotions, des découvertes, de l’aventure : le parfum de la vraie vie. gloire tardive (Später Ruhm), d’Arthur Schnitzler, traduit de l’allemand par Bernard Kreiss, Albin Michel, inédit, 176 p., 16 €. Cahier du « Monde » No 22101 daté Vendredi 5 février 2016 - Ne peut être vendu séparément 7 a Essais Gabriella Coleman sonde l’univers des Anonymous 8 a Le feuilleton Eric Chevillard dans les griffes de Lydia Millet 9 a Polar Flic drogué et coriace, tel est le nouveau héros de Mons Kallentoft et Markus Lutteman 10 a Rencontre Marie Redonnet reprend les rênes prière d’insérer j ea n b i r n baum Beauvoir, les déchirements de la liberté D ans ce livre à la fois si daté et si vivace qui s’intitule Pour une morale de l’ambiguïté (1947), Simone de Beauvoir élaborait une doctrine de la liberté comme délivrance toujours recommencée, comme déchirement existentiel, comme supplice intime. « La cause de la liberté ne peut triompher qu’à travers des sacrifices singuliers », notait-elle. On pense vite à ces mots en lisant le beau recueil que lui consacre Julia Kristeva, volume qui paraît en poche sous le titre Beauvoir présente (Pluriel, 144 p., 6,50 €). Avec l’auteure du Deuxième Sexe, Julia Kristeva partage plus d’une qualité : une œuvre au rayonnement mondial, le refus de séparer littérature et philosophie, la décision d’envisager le couple comme « espace de pensée », la conviction qu’une femme doit tenir bon sur son désir (d’écrire, entre autres). Initiatrice du prix Simone de Beauvoir pour la liberté des femmes, la psychanalyste voue aujourd’hui une grande reconnaissance au « Castor », et le bref livre qu’elle publie vise d’abord à marquer cette dette. Mais cet héritage est exigeant, il appelle une fidélité critique, et on retrouve ici les tensions qui travaillent de l’intérieur tout idéal d’émancipation. Ainsi Julia Kristeva ne dissimule-t-elle aucune des contradictions propres à Beauvoir la féministe, par exemple son déni de l’homosexualité féminine, sa phobie du corps maternel, son culte du « Grand Homme » et de l’organe mâle… Mais, justement, Julia Kristeva ne met en évidence les limites de Beauvoir, et même quelques « brins de cruauté », que pour saluer sa modernité politique : la philosophe a transformé ses failles intimes en instrument de libération collective. « Les avancées libertaires de notre siècle, peut-être plus que les autres, se paient d’excès, d’extravagances et d’incommensurables brûlures », écrit Julia Kristeva. Avec loyauté et tendresse, elle perpétue donc ce geste que Simone de Beauvoir nous a légué en partage, quels que soient les sexes, les sensibilités : d’un malaise existentiel, faire la condition d’une universelle liberté. p Sibylle Grimbert Roman AVANT LES SINGES « Une liberté et une drôlerie qui laissent le lecteur, à l’issue de cette virée en une si proche terre d’étrangeté, essouflé et ébloui. » Raphaëlle Leyris, Le Monde « Une interprétation sidérante du paradoxe de notre existence éphémère. » Véronique Cassarin-Grand, L’Obs « Un récit en métamorphose continue, très drôle, constamment surprenant. » Bernard Quiriny, Le Magazine littéraire 2 | Dossier 0123 Vendredi 5 février 2016 Hitler, Eichmann, Goebbels… Des individus ordinaires ? La question hante plusieurs ouvrages. Pour le sociologue Abram de Swaan, tout le monde ne devient pas bourreau L’originalité du mal entretien propos recueillis par julie clarini C hacun d’entre nous, dans une situation particulière, pourrait devenir un bourreau. C’est à cette doxa que s’attaque le Néerlandais Abram de Swaan, professeur de sociologie à l’université d’Amsterdam et à Columbia (New York), dans Diviser pour tuer, un essai savant et très documenté. Il y opère un retournement de perspective : pour analyser les processus de fabrication des criminels de masse, il faut s’intéresser à ceux qui ne sont pas devenus des meurtriers. Car ils existent. Autrefois, les meurtriers de masse étaient vus comme des psychopathes. Avec son livre inspiré du procès d’Eichmann, en 1961, Eichmann à Jérusalem, Hannah Arendt est à l’origine d’une autre thèse, la « banalité du mal », dont est sortie une vulgate : tout le monde pourrait, dans certaines circonstances, se transformer en bourreau. Qu’en pensez-vous ? Tout d’abord, précisons que personne de sérieux n’a jamais dit que les criminels de masse étaient des psychopathes ou des monstres. Au contraire, j’ai lu les journaux intimes ou les mémoires des psychiatres déportés qui ont survécu aux camps de concentration : on les considérait plutôt comme des hommes ordinaires à qui on avait lavé le cerveau. Seule la presse populaire véhiculait peut-être cette image du monstre. Autrement dit, les « situationnistes », ce courant de la psychologie sociale qui insiste sur l’influence de la situation dans les comportements humains, ont construit un ennemi qui n’existait pas. De plus, je ne crois pas que cette vision par Arendt des meurtriers comme des rouages de la grande bureaucratie de la destruction ait été originale pour l’époque. L’idée qu’il fallait se méfier des autorités, des ordres, était dans l’air du temps. De surcroît, Adolf Eichmann était le pire exemple que Hannah Arendt aurait pu prendre : c’était en réalité un chasseur de juifs frénétique. Je sais qu’elle est très admirée en France pour ses travaux philosophiques, mais là, elle s’est trompée. Selon vous, il est faux de dire que tout le monde peut devenir bourreau dans certaines circonstances ? Il y a en effet une sorte de consensus dans les sciences sociales, contre lequel je me bats : des gens ordinaires dans des situations extraordinaires seraient capables de choses extraordinaires. Certes, l’impact de la situation est toujours beaucoup plus fort que ce qu’on voudrait admettre. Nous avons tous des souvenirs honteux de ce que nous avons pu faire dans des fêtes. Nous avons l’exemple des pères de famille au stade de foot qui crient des saletés, déchaînés, qui vont acheter leur bière en faisant la queue et en payant, puis reviennent dans les gradins, à nouveau sauvages. Donc, sans aucun doute, la situation compte. Mais pour une raison ou une autre, la grande majorité des chercheurs refusent de poser la question suivante : est-ce que, dans une situation donnée, il y a des gens qui font plus et d’autres moins ? Existe-t-il des bourreaux réticents, d’autres indifférents, d’autres encore effrénés ? Y a-t-il des gens qui sont moins susceptibles de se laisser manipuler pour finir dans ces situations extrêmes ? J’utilise volontiers l’image du tamis vibrant. Il y a des cailloux, certains juste un peu plus gros que d’autres. A la fin, ils sont séparés. Dans un événement comme une guerre, il y a toute une série de petits événements, de bifurcations, par lesquels on se laisse guider d’un côté ou de l’autre. Des petites différences psychiques qui finissent par faire basculer les gens d’un côté ou de l’autre. Or, par une sorte de myopie, on considère uniquement, dans un pogrom par exemple, ceux qui ont commis des actes barbares. Mais il y a aussi tous ceux qui n’y sont pas allés. Il faudrait pouvoir faire des zooms arrière et regarder tout le village. Y a-t-il moyen de déterminer ces différences psychiques ? La documentation est essentiellement judiciaire, mais, dans ce cas, il y a tou- Comment publier l’impubliable ? Les théories raciales et les écrits intimes des nazis tombés dans le domaine public sont désormais accessibles. Que faire de ces textes qui incitent à la haine ? Quelles éditions sont susceptibles de prévenir d’éventuelles dérives ? Le Mémorial de la Shoah (Paris, 4e arrondissement) organise une rencontre le 18 février à 19 heures, en compagnie de Florent Brayard, historien, pour l’édition de Mein Kampf (Fayard, à paraître) ; Philippe Coen, avocat, coauteur de Pour en finir avec Mein Kampf. Et combattre la haine sur Internet (Le Bord de l’eau, 2016) ; Jean-Marc Dreyfus, historien, pour l’édition du Catalogue Goering (Flammarion, 2015) ; Pascal Ory, historien, pour Le Dossier Rebatet (Robert Laffont, 2015) ; Denis Peschanski, historien, pour le Journal de Joseph Goebbels (Tallandier, 2006-2010). Memorialdelashoah.org jours un biais, car ces bourreaux sont des champions pour déguiser leur rôle actif et pour se faire passer pour des petits exécutants, pas très intelligents. Quand même, on peut faire une conjecture en s’appuyant sur tout ce qui est connu. La mienne est que les bourreaux diffèrent sous trois angles. Primo, s’ils ont bien une conscience morale comme le prouve le fait qu’ils soient loyaux à leurs « camarades de crime », à leurs commandants ou à leur famille, c’est une conscience réduite à un cercle très restreint. Au-delà de ce cercle, ils ne connaissent pas d’obligation morale. Se- cundo, ils n’ont pas l’idée que ce qui leur arrive résulte en partie de leur choix ou de leurs actions : ça leur arrive… Ils ne se voient pas comme les auteurs de leur vie. Tertio, on constate chez eux une absence de toute empathie. Je me souviens d’un SS qui, voulant expliquer à quel point c’était terrible, disait que les cris lui étaient insupportables et qu’il avait du sang sur son uniforme : il ne faisait que parler de lui. Voilà trois traits qu’il faut à mon avis commencer à regarder. Il y a chez eux comme une absence de « mentalisation », ce mécanisme qui permet à un individu d’interpréter ses gestes et ceux d’autrui L’ambassade de Berlin, poste d’observation privilégié CES SOUVENIRS d’ambassade d’André François-Poncet, en poste à Berlin de 1931 à 1938, ont plusieurs raisons de nous intéresser. Que son auteur ait à plusieurs reprises conversé seul à seul avec Hitler n’est pas la moindre. Il dresse en effet du Führer un portrait psychologique particulièrement détaillé, donnant parfois l’impression qu’il cherche dans ces moments de rencontre, alors qu’il écrit ces pages au lendemain de la guerre, une clé qui puisse aider à comprendre le déroulement futur des événements. Il est vrai que les diplomates sont de fins observateurs, faisant souvent crédit à la personnalité des hommes d’in- fluer fortement sur le cours des événements. Hitler fait donc l’objet de plusieurs analyses, et même d’un chapitre entier, dans lequel André François-Poncet insiste sur ses sautes d’humeur, ses « alternances d’excitation et d’affaissement » et ses accès de « frénésie » : « Il est des jours où, devant une mappemonde, il bouleverse les nations, les continents, la géographie, l’histoire, comme un démiurge en folie. A d’autres instants, il rêve d’être le héros d’une paix éternelle, au sein de laquelle il édifierait des monuments grandioses. » L’auteur se rappelle trois visages que l’on voyait parfois se succéder : le chef contemplatif, voire absent, l’exalté, orateur impétueux à la voix rauque, puis l’homme saisi d’une brusque hébétude, envahi de doutes, « le moment [pour le diplomate avisé] de présenter des objections ». « D’un monde à l’autre » Souvenirs d’une ambassade à Berlin, qui n’avait pas été réédité depuis 1946, ne peut toutefois se réduire à ces observations sur Hitler, aussi perspicaces soientelles. L’ouvrage retrace ce qui apparaît a posteriori comme les grands moments de « la substitution d’un monde à un autre ». Ainsi, l’incendie du Reichstag, que l’ambassadeur voit de sa fenêtre alors qu’il donnait un dîner, ou cette première « Fête du travail » nazie, un soir de 1er mai, avec son immense foule balayée par les projecteurs, « fourmille- ment mouvant et palpitant qu’on aperçoit, à la fois, dans la lumière et qu’on devine dans l’ombre ». Parfois lyrique, souvent sagace, André François-Poncet restitue les coups de force des nazis et la docilité des Allemands, emmène son lecteur dans les entrelacs du dossier de réarmement jusqu’aux accords de Munich de 1938, dominés par « la psychose de la paix », et excelle à faire sentir cette tension permanente qui régnait à Berlin. Ce furent des années « pleines de troubles, d’alertes, d’orages et de drames ». p j. cl. souvenirs d’une ambassade à berlin. 1931-1938, d’André François-Poncet, préface et notes de Jean-Paul Bled, Perrin, 380 p., 24 €. comme étant liés à des états mentaux. La première phase de la vie, la petite enfance, est, à cet égard, fondamentale, fondatrice même. On peut envisager que cette absence soit là depuis toujours ou qu’elle résulte d’une perte liée au contexte de brutalisation générale. Dans un entretien avec Gitta Sereny, Franz Stangl, ex-commandant du camp de Treblinka, dit qu’il « compartimentait » sa pensée pour survivre. Cette idée, appliquée à toute la société, est importante… C’est un concept clé pour mon analyse. Le sociologue Norbert Elias parle d’un effondrement de la civilisation pendant le nazisme. Je préfère parler d’enclaves de « décivilisation » : dans cette société allemande extrêmement policée, il y avait des trous, des compartiments, où tout était permis et où la barbarie était même encouragée comme un instrument d’Etat. Tout citoyen savait qu’il se passait là quelque chose de terrible, mais ne savait pas exactement quoi. Au Rwanda, il y avait aussi des façons de séparer le temps et l’espace du meurtre, du temps et de l’espace normaux. Cette « compartimentation », il faut y être attentif. Hélas, les attaques terroristes en France nourrissent aujourd’hui les arguments de ceux qui ont tendance à compartimenter la société toujours davantage. p diviser pour tuer. les régimes génocidaires et leurs hommes de main (Compartimenten van Vernietiging), d’Abram de Swaan, traduit du néerlandais par Bertrand Abraham, Seuil, « Liber », 368 p., 22 €. Dossier | 3 0123 Vendredi 5 février 2016 L’impact du procès Eichmann LE PROCÈS d’Adolf Eichmann en 1961 à Jérusalem, après sa capture par le Mossad en Argentine, a incontestablement marqué l’entrée dans une ère nouvelle. Une ère du témoin comme « porteur d’Histoire », et une ère où, parmi les crimes de masse commis par les nazis, la mise à mort systématique des juifs a été distinguée avant même que le terme de « Shoah » ne s’impose à l’opinion publique. Cette séquence, nous y sommes encore, quelles que soient les critiques suscitées par un tel tournant mémoriel. D’où l’intérêt de cet ouvrage collectif, qui se penche moins sur les 114 audiences qu’occasionnèrent les débats que sur les facteurs qui transformèrent le jugement, la condamnation et la pendaison, le 31 mai 1962, de l’ex-responsable des « affaires juives » du service de sécurité du Reich en « événement médiatique mondial ». La vision d’Hannah Arendt La controverse autour d’Eichmann à Jérusalem, de Hannah Arendt (Gallimard, 1966), avec sa vision très critique et la théorie du « criminel de bureau » (une formule du procureur Gideon Hausner), fit scandale en son temps. Mais elle semble aujourd’hui devenue doxa et occulte trop souvent l’impact des autres vecteurs de médiatisation du procès. Or le public, les journalistes, la radio, les comptes-rendus de la télévision américaine et le film qu’a réalisé sur place le cinéaste Leo Hurwitz (dont les images furent exploitées à ses propres fins par Eyal Sivan dans son Spécialiste de 1999) ont aussi fortement contribué à la réception de cet épisode devenu, grâce à eux, « lieu de mémoire » du génocide, à la fois incontournable et mondialisé. p nicolas weill Adolf Eichmann, 1960. RUE DES ARCHIVES/RDA le moment eichmann, sous la direction de Sylvie Lindeperg et Annette Wievorka, Albin Michel, « Bibliothèque histoire », 302 p., 20 €. Gitta Sereny dans les tréfonds de l’âme nazie La journaliste s’est confrontée aux bourreaux et à leur sentiment de culpabilité. « Dans l’ombre du Reich » témoigne de son éthique jean-louis jeannelle D ifficile de savoir qui est le plus fascinant, de Gitta Sereny ellemême ou des personnalités sur lesquelles cette grande journaliste écrivit tout au long de sa carrière. Juive hongroise née à Vienne en 1921, la jeune femme dut fuir dès 1938 en Suisse puis à Paris, avant de gagner les Etats-Unis qu’elle sillonna pour alerter l’opinion américaine à raison de trois conférences par jour. Mais pourquoi avoir, après la guerre, déployé tant énergie à explorer la culpabilité allemande ? Non seulement à lutter contre les négationnistes de tout poil, à enquêter sur de folles impostures (tels ces prétendus carnets d’Adolf Hitler qui tentaient en réalité de dédouaner le Führer du génocide des juifs), mais, plus étonnant encore, à dialoguer avec l’ancien commandant de Treblinka, Franz Stangl, dans Au fond des ténèbres (1975), ou à livrer, dans Albert Speer : son combat avec la vérité (1997), le portrait psychologique et moral du grand architecte nazi devenu ministre de l’armement et de la production de guerre sous le IIIe Reich ? C’est qu’ayant pu fuir aux Etats-Unis, Gitta Sereny éprouva elle-même un sentiment de culpabilité. De retour en Europe, elle se consacra à la protection d’enfants égarés, orphelins ou ayant survécu aux camps de concentration. Sa tâche la confronta à une forme très perverse du vaste mensonge national-socialiste, celui des 250 000 « enfants volés ». Originaires pour l’essentiel d’Europe de l’Est, en particulier de Pologne, ils furent enlevés, soumis à toutes sortes d’examens « scientifiques » et, pour ceux tenus pour les plus racialement parfaits, envoyés en Allemagne – les autres finissaient dans l’équivalent d’un camp de concentration pour enfants. Aux parents qui les adoptaient, ces enfants étaient présentés comme des « orphelins allemands originaires des territoires reconquis à l’Est ». Ayant identifié deux d’entre eux au sein d’une famille de paysans, Gitta Sereny découvrit plus tard le profond traumatisme provoqué chez eux par ce second arrachement. Fallait-il les restituer à leurs parents biologiques (à présent sous le joug soviétique) ou les laisser à leur famille d’accueil (qui avait aimé en eux les représentants d’une « race parfaite ») ? Le mensonge avait été si profond qu’aucune solution « juste » n’était désormais possible. S’il est un point commun aux enquêtes ou aux portraits de Sereny qui composent Dans l’ombre du Reich, c’est le combat que tous les hommes décrits ont mené avec la vérité. Certains en ayant recours aux coups les plus bas, tel John Demjanjuk. Arrêté par les Allemands, cet Ukrainien avait choisi de servir comme gardien dans des camps d’extermination, puis était parvenu à fuir en Amérique après la guerre. Identifié par des survivants comme ayant sévi sous le surnom d’« Ivan le Terrible » à Treblinka où il avait commis les pires horreurs, Demjanjuk fut jugé en Israël à la fin des années 1980. « La justice pour un seul » Cette affaire judiciaire connut d’incessants rebondissements, mais ce qui captive, c’est l’éthique dont Gitta Sereny fit preuve. Elle prit conscience que, même s’il avait contribué à la mort de milliers de juifs, Demjanjuk n’était vraisemblablement pas « Ivan le Terrible », et orienta ses recherches dans cette nouvelle direction. Face à cet homme dont la vie n’avait été qu’un immense tissu de mensonges éhontés, un seul principe s’imposait à ses yeux : « la justice pour un seul, qui que ce fût » comme « unique moyen d’assurer la justice pour tous ». Franz Stangl, lui, entendait – ou prétendait – affronter la vérité. Dans les conversations qu’il eut à la fin de sa vie avec Gitta Sereny, mentir ne lui aurait rien apporté ; il avait déjà été condamné et n’attendait plus que la mort. Responsable, en un an, de plus d’un million de morts, il s’efforçait de reconstituer les moments où sa conscience avait basculé. Cet exercice d’autocritique horrifie toutefois par l’inextricable mélange de rationalisation et de mauvaise foi qui s’en dégage. Continuellement menacé par ses supérieurs, Franz Stangl se décrivit acculé à des actions qui l’épouvantaient, mais affirma que lui-même risquait sa vie ou celle de sa famille. Hans Münch, l’un des rares scientifiques à avoir refusé de sélectionner les prisonniers pour la chambre à gaz, n’avait pourtant encouru aucune sanction… Bien plus, Franz Stangl justifia son extraordinaire capacité d’organisation du camp en limitant sa responsabilité à la seule protection des biens volés aux juifs : le reste (le gazage) était celle de deux Russes placés sous le commandement d’un subalterne… C’est au prix de cette schizophrénie mentale et morale qu’il put déclarer : « Je devais agir de mon mieux. Je suis ainsi fait. » Le bourreau peut-être le plus effrayant n’est pas l’exécutant : Albert Speer exerçait une véritable séduction sur tous ceux qui le connurent, à commencer par Hitler qui en fit l’un des hommes les plus puissants du régime. Mais la joute verbale qui l’opposa à Gitta Sereny montre que même un ancien nazi ayant sincèrement reconnu sa culpabilité ne pouvait se libérer tout à fait de l’infernal système de déresponsabilisation mis en place sous le IIIe Reich. Interrogé sur ce qu’il savait des meurtres de masse commis par les Allemands, il eut recours au traditionnel renversement : « Plus on occupait une position élevée, moins on savait », comme si l’euphémisation généralisée qui régnait au sein de l’institution avait suffi à cacher la réalité. C’est au moyen d’un étonnant détour – au lecteur de le découvrir – que Speer finit par reconnaître auprès de Sereny son « acceptation tacite de la persécution et du meurtre de millions de juifs ». Ici, le mot « tacite » ne rend pas seulement compte de la manière dont les nazis avaient ignoré leurs fautes commises sous Hitler, mais également de leur incapacité à en livrer l’aveu à haute voix après la guerre. p dans l’ombre du reich. enquêtes sur le traumatisme allemand (1938-2001) (The German Trauma. Experiences and Reflections. 1938-2001), de Gitta Sereny, traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Johan-Frédérik Hel Guedj, Plein jour, 522 p., 24,50 €. Signalons, du même auteur, la parution en poche d’Une si jolie petite fille. Les crimes de Mary Bell (Cries Unheard. The Story of Mary Bell), traduit de l’anglais par Géraldine Barbe, Points, « Policier », 504 p., 8,10 €. 4 | Littérature | Critiques Anne-James Chaton fonce comme un bolide à travers treize destins de femmes illustres, sans jamais perdre sa route. Grisant A tombeau ouvert M Au volant d’un kart Mais entre-temps le texte a pu produire son stupéfiant phénomène d’accélération dans la biographie impersonnelle, quelque chose comme une narration à ras du sol donnant la sensation inédite d’être au volant, non pas d’une limousine ordinaire, mais d’un kart, l’une de ces planches à roulettes qui font rugir leur moteur à deux temps, dépourvues de carrosserie Jouer avec Kafka Camille Claudel, Virginia Woolf, Greta Garbo en Mata Hari, Claude Cahun, Marilyn Monroe, Lady Di. RUE DES ARCHIVES/RDA - DR comme de suspensions, bonjour les bosses de l’histoire. Emportant le lecteur harnaché à son siège, le texte le confronte à un vertige de questions sur l’intime et le collectif, sur le rapport aux icônes et aux traces qu’il nous en reste. Ajoutons que l’auteur a découpé son livre en chapitres qui pourraient correspondre à un sage manuel scolaire d’histoire du XXe siècle (de la Grande Guerre à la chute du mur de Berlin en passant par la montée des fascismes), mais que c’est au contraire toujours à l’intérieur d’un chapitre et par surprise que le relais passe d’une héroïne à la suivante. On glisse de l’une à l’autre comme on ferait crisser les roues dans une chicane à risques, tant il est vrai que le spectacle doit continuer, quoi qu’il arrive aux icônes, mais il nous faut deux ou trois lignes pour comprendre que c’en est fini de Marilyn Monroe, voilà qu’une formidable ligne droite s’ouvre devant Jacqueline Kennedy, ligne droite où l’on retrouvera d’ailleurs, quatre décennies plus loin, Lady Di dont la voiture « s’engage sur le cours la Reine. Elle monte à 180 km/h. Elle pénètre dans le tunnel du pont de l’Alma. Elle accélère. Elle roule vite. Elle roule trop vite ». Malgré le risque de commotion, on ne saurait trop recommander aux lecteurs curieux du monde tel qu’il se raconte de se risquer à ce nouveau mode de locomotion narrative, tant le résultat est époustouflant. Alors qu’à la fin du siècle dernier il fut libérateur de parer les « vies minuscules » du verbe qui leur était jusqu’alors interdit, Anne-James Chaton s’empare de treize vies majuscules pour les dérouler à ras de mots communs, elle dans ce qui, au bout du compte, n’est que regarde l’assemblage des traces successives qu’elpasser les les ont laissées (journal intime, corresgens, d’Anne-James pondances, médias). On notera d’ailleurs que, parmi les Chaton, treize destins filés ici, le seul qui laisse reVerticales, tomber l’enthousiasme est celui de Virgi264 p., 21 €. nia Woolf – non pas tant parce que son nom vous vient d’emblée que parce qu’on la connaît du dedans de ses livres, on la connaît trop bien pour la reconnaître tout à fait dans le défilé d’anecdotes auquel se réduit toute vie, minuscule ou majuscule. Tout à rebours, le destin de Margaret Thatcher se révèle une piste formidable, à hauteur du bolide nerveux que le lecteur pilote à toute allure, éprouvant comme rarement le chaos de l’histoire, quelques centimètres à peine sous son siège. p « Martin », de Bertrand Schefer, ou comment écrire un personnage insaisissable U ne histoire qui ne parvient pas à s’écrire » : cette formule du narrateur de Martin résume parfaitement l’intrigue du nouveau roman de l’écrivain, traducteur et cinéaste Bertrand Schefer. Au mitan de son existence, un homme se penche sur ses années de jeunesse et sur la figure de son ami d’enfance, Martin, ce presque jumeau qui le suivit toute sa scolarité et auquel ses professeurs et ses camarades l’associaient invariablement. Des premières prises de drogue à l’émergence des idéaux artistiques et idéologiques, les deux garçons ne se quittent pas, jusqu’aux années de fac, où Martin se marginalise et prend ses distances (une scène de tir dans la forêt revêt alors une portée symbolique, premier point de bifurcation au La fable des humains d’abattoir a Défaite des maîtres et possesseurs, de Vincent Message, Seuil, 300 p., 18 €. L’obsession d’une ombre avril ventura Sans oublier Malo Claeys est père, divorcé ; il a un corps, mange et parle comme un homme, mais il n’en est pas un. Il appartient à l’espèce nomade venue de l’espace qui a colonisé la Terre. S’il éprouve le besoin d’écrire, c’est qu’il a transgressé une règle majeure instaurée par ses semblables en adoptant clandestinement Iris, une humaine sauvée de l’abattoir. L’irresponsabilité des hommes, incapables de préserver l’écosystème vital aux deux espèces, a en effet contraint les nouveaux maîtres à une domination brutale, divisant les humains en trois catégories (animaux de travail, de compagnie, de boucherie) dans le mépris de ce qui n’appartenait qu’à eux, l’art, et donc la liberté. Le deuxième roman de Vincent Message est ambitieux, résolument dérangeant. Le sens des mots se voile, d’être mis dans la bouche d’une autre espèce. Mais le trouble du lecteur vire à l’ambivalence dans les pages glaçantes où se décrit l’abattage industriel des humains de boucherie. Choqué comme on peut l’être en visitant un élevage industriel de porcs, Malo continue de parler comme un humain inscrit dans l’histoire des hommes, employant avec naturel des mots comme « loi du talion » ou « pogrom » (à propos de ragondins…). Pour demeurer un révélateur des dysfonctionnements de la modernité, la fable bute ici sur ses propres limites, jouant avec la langue commune plutôt que de se jouer dans la langue. Une langue altérée du dedans, comme le monde qu’elle décrit, aurait amené le lecteur à lâcher prise. p bertrand leclair bertrand leclair oyen de transport du lecteur comme la métaphore est celui du sens, la littérature entretient de longue date un rapport étroit aux différents modes de locomotion. On pourrait aborder Proust par l’aéroplane qu’il invite le premier en littérature, Balzac par la diligence ou Flaubert par le fiacre, sachant bien que Stendhal fait volontiers cavalier seul. Autant dire qu’il s’agit d’un événement quand, toutes proportions respectées, Anne-James Chaton nous invite à la stupéfiante expérience de découvrir un tout nouveau moyen de locomotion dans l’univers de la narration. Elle regarde passer les gens n’avait pourtant rien d’attrayant, de prime abord, parcourant le XXe siècle en enchaînant treize destins de femmes, de Mata Hari à Lady Diana, de la poète surréaliste Claude Cahun à Marilyn Monroe, toutes privées des ailes de la renommée puisqu’elles ne sont jamais désignées par leur nom. Au premier coup d’œil, le livre passerait même pour indigeste : toutes les phrases commencent par le même pronom, « elle » (parfois « elles »), aucune ne compte plus d’un verbe et on y chercherait en vain un autre signe de ponctuation que le bon vieux point en fin de phrase courte des dictées d’école primaire. La curiosité liée au nom de l’auteur, très réputé dans l’univers de la poésie sonore pour son travail sur la trace (il a composé un recueil à partir de tickets de caisse glanés au hasard), fait qu’on embarque, cependant : « Elle regarde passer les gens. Elle est assise sur un banc. Elle lit le journal. Elle lit L’Aurore. Elle découvre la lettre d’Emile Zola. Elle n’est pas d’accord. Elle est convaincue de la culpabilité de Dreyfus. Elle ne changera pas d’opinion. » Qui est-« elle » ? Le nom de Camille Claudel s’esquisse rapidement, comme un sourire d’aise. 0123 Vendredi 5 février 2016 propre comme au figuré : sous le choc de la déflagration, les deux adolescents s’enfuient dans des sens opposés). Dès lors, la figure de son ami perdu hante le narrateur, qui envisage un temps de lui consacrer un film. « Hanter » est bien le terme adéquat tant Martin, recroisé à de rares occasions, semble n’être plus que l’ombre de lui-même : quand il n’est pas interné en hôpital psychiatrique, il erre dans les rues. Mais plus le narrateur cherche à saisir l’objet de son obsession, plus celui-ci lui échappe. Imperméable Jamais loin et toujours fuyant, en perpétuel mouvement mais figé dans une jeunesse révolue, il semble que Martin soit imperméable à l’existence. Or comment raconter quelqu’un sur qui la vie n’imprime aucune trace ? C’est là que réside toute la puissance de ce récit porté par une langue fluide et épurée, d’une grande limpidité. Le texte de Bertrand Schefer ne met pas seulement en scène un subtil jeu de miroirs entre le narrateur et son double : Martin est notre revers à tous, cette part obscure de nous-mêmes que nous essayons de dissimuler et que la littérature nous contraint à regarder en face. Le projet du film, tout entier construit autour de ce motif insaisissable et entêtant, échoue de commission en commission. Avant d’être le martin, récit d’une troude Bertrand blante amitié, Schefer, Martin est en efPOL, 112 p., fet une magnifi8 €. que variation sur le thème de l’empêchement : empêchement de la mémoire d’abord, chez le narrateur, qui peine souvent à rassembler ses souvenirs ; empêchement de la parole, qui sans cesse se dérobe. Incapacité à saisir l’autre par les mots, mais aussi incapacité à se formuler soi-même (la parole de Martin est toujours hésitante, presque inaudible – et lorsque sa voix émerge enfin et que le narrateur tente de la fixer en l’enregistrant sur son téléphone, c’est pour perdre finalement l’enregistrement). Incapacité à créer, enfin, puisque Martin est encore une passionnante réflexion sur les pouvoirs et les limites de la fiction – de cinéma et de littérature, mais aussi celle que l’on se fait de notre propre vie et de celle des autres. Ainsi le narrateur croit-il entendre Martin le sommer d’« arrêter de se raconter des histoires ». Pourtant, si, dans un premier temps, c’est la force d’attraction qu’exerce le personnage de Martin sur le narrateur qui retient notre attention, à y regarder de plus près il semble que les jeux de pouvoir s’inversent : tant et si bien qu’on finirait presque par se demander si ce n’est pas le narrateur et son désir de fiction qui auront fini par perdre définitivement Martin. La fiction exige bien des sacrifices. Le plus souvent, on pense à ceux de l’auteur, plus rarement à ceux des hommes et des femmes qui ont croisé sa route et qu’il s’est attaché à transformer en personnages, à faire entrer en littérature, quel qu’en soit le prix. p 1923 : alors que, tuberculeux, Franz Kafka réside à Berlin en compagnie de son amie Dora Diamant, le couple fait, par hasard, la connaissance d’une fillette éplorée d’avoir perdu sa poupée. Pour la rassurer, Kafka lui apprend que le jouet n’est pas perdu mais parti en vacances : la preuve, elle lui écrit des lettres, à lui, Kafka, qu’il peut montrer. Et ainsi, chaque jour, à l’enfant qu’il revoit, il lit une lettre imaginaire, jusqu’au mariage de la poupée. Cet épisode est-il authentique ? Kafka n’en dit rien, seule Dora le mentionne. Partant de l’épisode, Fabrice Colin, maître ès sortilèges littéraires, tire une envoûtante intrigue où vont s’opposer Abel Spieler, kafkaïen fanatique et sorbonnard libertin, sa fille Julie, errant d’un compagnon l’autre, entre Paris et Berlin, et surtout Else Falkenberg, la fillette enfin retrouvée, aujourd’hui vraie Bette Davis berlinoise, et dont Julie attend, patiente, la mise à jour des courriers légendaires pour renouer avec son père. Autour de la poupée aux lettres, œil magnétique de ce redoutable cyclone psychodramatique, Colin fait tournoyer en virtuose trois êtres marqués par le siècle, dont il cisèle les portraits et millimètre l’évolution psychologique. p françois angelier a La Poupée de Kafka, de Fabrice Colin, Actes Sud, 272 p., 20 €. Signalons, du même auteur, la parution en poche de Ta mort sera la mienne, Le Livre de poche, « thriller », 384 p., 7,30 €. Menteur contre menteur Monsieur K est ancien agent secret. Il s’est enfui, il y a des années, avec un document secret, le « dossier Alpha », qui a le pouvoir de détruire le monde. Réfugié à Madagascar, il est rattrapé par l’agent O. Le temps d’une nuit, ils tenteront de négocier, sous les ventilateurs du bar de monsieur K. L’un veut rester en vie, l’autre, récupérer le dossier et le rapporter à « la Centrale ». Le dialogue philosophique détraqué qui s’instaure entre les deux hommes ne manque pas de souffle. La tension est permanente et le lecteur se demande sans cesse si monsieur K finira par convaincre monsieur O qu’il vit dans un monde de mensonges, dont les ficelles sont tirées par des hommes sans foi ni loi. Ce roman à l’atmosphère de film d’espionnage doit beaucoup à un aîné, Les Faux-Monnayeurs, d’André Gide, à qui l’auteur emprunte une morale de la vérité et du mensonge, mais aussi un style qui manie avec dextérité et ironie l’art de la maxime. Celles que monsieur K ne cesse de délivrer à monsieur O, sourd à ses arguments. p violaine morin a Il est minuit, monsieur K, de Patrice Franceschi, Points, 198 p., 12 €. En découdre avec la langue Ecrivain, traducteur, éditeur, Claro possède de grands talents. Le lecteur contemporain les redécouvre avec ravissement dans ce furieux dérèglement musical et poétique qui s’intitule Comment rester immobile quand on est en feu (la phrase est de l’auteure américaine Vanessa Veselka). Expérience du souffle et de la langue sans cesse recommencée, le recueil prend apparemment le contre-pied de l’ode (sur son blog, l’auteur évoque même une « anti-ode »). Cependant, comme chez Paul Claudel (dont Claro cite quelques vers tirés des Cinq Grandes Odes en exergue), le rythme est libéré, la poésie est parole. Elle est même langue, ce qui est plus périlleux. Le chant cosmique et charnel de ce petit livre électrique est une incantation à la couture de la langue – pour qu’elle se défasse. Le lecteur voit, il écoute, il déclame, il rugit, il murmure. La voix, les voix (qui se heurtent en bouche et dans le fond de la gorge) emportent tout dans un embrasement du sens et des sensations. On ne peut se contenter de lire – le lecteur est devenu instrument (la langue et la voix, comme autant de cordes tendues), le texte, partition. En nous se disputent l’immobile et le mouvant, le feu et la brûlure : « Voilà où nous en sommes. » p nils c. ahl a Comment rester immobile quand on est en feu, de Claro, L’Ogre, 128 p., 14 €. Critiques | Littérature | 5 0123 Vendredi 5 février 2016 Ayant eu un enfant noir, une marâtre rejette sa belle-fille blanche. Avec brio, Helen Oyeyemi questionne ce qui fonde l’identité Sans oublier Dostoïevski, suite et fin L’année même où il achève L’Idiot, en 1869, Fedor Dostoïevski entreprend une autre fresque d’ampleur, Les Démons, publiée en feuilleton de 1871 à 1872, inspirée par un sinistre règlement de comptes au sein d’un groupuscule révolutionnaire dont le chef élimina un membre soupçonné de trahison. Mais, pour faire face à de graves difficultés financières, le romancier doit également livrer en un temps record une autre fiction dont il accouche dans la douleur et qu’il dénigre. Pourtant L’Eternel Mari (1870) reçoit un accueil très favorable et cette histoire de remords qui hante durablement le lecteur mérite d’être relue. Ce nouveau (et dernier) « Thesaurus » consacré à Dostoïevski en donnera l’envie d’emblée. Il parachève la réédition complète en cinq volumes de l’œuvre du grand maître russe, magnifiquement retraduite, préfacée et annotée par André Markowicz. Figurent également au sommaire de cet opus quatre récits parus dans le Journal d’un écrivain : Bobok, Petites images, Le Quémandeur et Petites images (en voyage). p philippe-jean catinchi Blanche-Neige encore plus noire gladys marivat T oute l’œuvre d’Helen Oyeyemi peut se lire comme un palimpseste. Depuis son premier roman, The Icarus Girl (Bloomsbury, 2005, non traduit), composé dans sa dernière année de lycée à Londres et unanimement salué par la critique, la romancière britannique, née en 1984 au Nigeria, n’a cessé de réécrire les histoires qui la fascinent. Ainsi, c’est en lisant The Juniper Tree, de la Britannique Barbara Comyns Carr (Methuen, 1985, non traduit), une variation sur le thème du Conte du genévrier des frères Grimm, qu’Helen Oyeyemi a eu envie d’écrire Boy, Snow, Bird, son troisième roman publié en France. Le conte original met en scène deux enfants dont l’un, « vermeil comme le sang et blanc comme la neige », devient le souffre-douleur de sa belle-mère qui finit par le décapiter. « J’avais hâte d’ajouter ma propre page à ce grand livre que forment toutes les histoires de marâtre », confie Helen Oyeyemi, de passage à Paris. Dans le premier chapitre de Boy, Snow, Bird, une femme, Boy Novak, nous raconte comment elle a grandi seule à New York, avec son père, un sordide chasseur de rats. Et comment elle a fui cette ville à 20 ans. Longtemps obsédée par les codes du gothique qu’elle manie avec brio dans Le Blanc va aux sorcières, son premier roman traduit en France (Galaade, 2011), Helen Oyeyemi s’amuse à les mêler à ses autres influences. Le résultat, d’autant plus jouissif, se lit comme un jeu de piste, où l’on suit l’héroïne arrivant de nuit à Flax Hill, une petite ville de la Nouvelle-Angleterre. Pour écrire le personnage de Boy, Oyeyemi s’est inspirée de l’actrice Kim Novak, une blonde dont la part sombre fascine. Futée et déterminée, elle séduit aisément Arturo Whitman, un a Œuvres romanesques, 1869-1874, de Fedor Dostoïevski, traduction du russe, avant-propos et notes d’André Markowicz, Actes Sud, « Thesaurus », 1 024 p., 29 €. Dans les peaux de Felicitas Hoppe Raconter sa vie, la remettre en jeu, la confronter à ce qu’elle aurait pu être, nier ce qu’elle fut… Ce pari a été tenté par nombre d’écrivains. De la même façon, Felicitas Hoppe (née en Allemagne en 1960) s’invente une enfance au Canada, une jeunesse en Australie et une carrière d’enseignante aux Etats-Unis avant de se reconvertir dans la littérature, point où la fiction rejoint la réalité. On n’est pas obligé de connaître son œuvre – deux livres, Le Pique-nique des coiffeurs (1999) et Pigafetta (2001) ont paru en français chez Jacqueline Chambon – pour apprécier cet ouvrage qui happe le lecteur à coups de parenthèses, guillemets, citations réelles ou inventées. On entre ici dans un jeu de miroirs où le personnage principal est vu par la narratrice, où la narratrice est vue par d’autres personnages, mais aussi par l’auteure, laquelle présente de grandes ressemblances avec le personnage principal… qui a le même nom que la narratrice ! C’est très habile, virtuose parfois – Hoppe a même l’habileté de devancer la critique en se critiquant elle-même. Une littérature qui, tel un kaléidoscope tournant sur luimême, se compose de ce qu’elle décompose. p pierre deshusses Helen Oyeyemi, 2015. ANTOINE DOYEN/OPALE/LEEMAGE joaillier. L’aime-t-elle ? L’heureux élu n’a qu’un rôle décoratif. Ce qui nous intéresse, c’est qu’il est veuf et père d’une petite fille, Snow. Chez Oyeyemi, les prénoms ne sont jamais donnés au hasard et, si l’on ne comprend le sens du prénom Boy que dans le retournement final, le lecteur saisit vite que Snow évoque Blanche-Neige. La première apparition de Snow, dans le salon des Whitman, est teintée d’étrangeté. Elle est décrite comme une « enfant cygne médiévale, à ceci près qu’elle avait les cheveux les plus noirs et les lèvres les plus roses possible ». Surdouée et secrète, comme toutes les jeunes héroïnes d’Oyeyemi, sa blancheur fascine la famille d’Arturo Whitman – composée exclusivement de femmes. « Ce que j’aime dans les histoires de marâtres, explique Oyeyemi, c’est comment la belle-mère questionne les valeurs mises en jeu dans le conte. Blanche-Neige est appréciée parce qu’elle est gentille, blanche et pure. La marâtre a pour mission de la détruire. » Quand Bird, le bébé qu’elle met au monde, se révèle être aussi sombre que Snow est pâle, Boy devient hostile à sa belle-fille. Boy at-elle trompé son époux ? Les Whitman mentent-ils sur leurs origines ? La belle-mère décide d’éloigner Snow du foyer conjugal. Moment marquant de l’exil de Snow, la scène où elle ne voit pas son reflet dans le miroir, manière pour l’écrivaine de sonder l’instabilité de l’identité. Accepté au club de golf Le thème du regard traverse toute la dernière partie du roman, écrite dans une veine plus réaliste. Celui que les femmes portent les unes sur les autres, mais aussi celui avec lequel la société américaine façonne les personnages. Bird a la peau foncée et, elle, personne ne veut la regarder. On apprendra que la famille d’Arturo fait partie de ces centai- nes de milliers de Noirs-Américains qui ont pu se faire passer pour des Blancs au début du XXe siècle. Très clairs de peau, ils ont été considérés comme tels lors de la grande migration des Afro-Américains, du Sud esclavagiste vers le Nord. Constatant qu’il était accepté à l’entrée d’un club de golf, le père d’Arturo a laissé croire. Il n’a jamais revendiqué sa blancheur, mais les autres ont décidé pour lui. Ce silence sur ses origines fait-il de lui un menteur ? L’héritage, l’identité, sont-ils affaire de sang ? Les personnages d’Helen Oyeyemi brûlent d’un seul désir : celui d’être leur propre invention. Jouant des codes, brouillant les pistes, ils ne veulent « venir » que d’eux-mêmes. p a La Vie rêvée de Hoppe (Hoppe), de Felicitas Hoppe, traduit de l’allemand par Michel Ots, Piranha, 298 p., 21 €. ACTES SUD boy, snow, bird, d’Helen Oyeyemi, traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Guillaume Villeneuve, Galaade, 308 p., 24 €. Chronique d’un abandon Une mère disparaît, laissant trois enfants dans la tourmente. Louise Erdrich impressionne I l est toujours instructif de comparer le titre original d’un livre avec celui de sa traduction. Ça l’est plus encore lorsque l’ouvrage a été traduit deux fois, comme c’est le cas de The Beet Queen – littéralement « la reine des betteraves » –, deuxième roman de la grande écrivaine américaine Louise Erdrich, paru en 1986 aux Etats-Unis. Croyant peu aux vertus commerciales d’un intitulé évoquant une plante potagère, les éditions Robert Laffont l’avaient appelé La Branche cassée en 1988. Le roman était alors passé inaperçu en France. C’est bien le même ouvrage qui sort aujourd’hui chez Albin Michel, mais avec une nouvelle traduction, et donc un nouveau titre, plus vendeur : Le Pique-nique des orphelins. On ne sait pas si l’effet recherché est de faire écho aux titres hédonistes ou larmoyants des feel good books – ces « livres qui font du bien » qu’on voit fleurir en librairie depuis quelques années (Le Monde du 5 juin 2015). Si tel est le cas, les amateurs de dégoulinades de bons sentiments seront déçus. Roman choral Pilote-acrobate Ainsi en est-il du début du roman qui voit, en 1932, une mère de trois enfants, nés d’une liaison illégitime avec un bourgeois venant subitement de mourir, se rendre à une kermesse, « le pique-nique des orphelins », à Minneapolis. Une attraction consiste à faire un tour en avion avec un pilote-acrobate surnommé « le Grand Omar ». Les enfants voient leur mère s’envoler, au propre comme au figuré : ils ne la reverront plus. Enlèvement ? Coup de foudre au milieu des nuages ? Dans la confusion, le petit dernier, encore bébé, se fait kidnapper par un couple qui ne s’est jamais remis de la mort d’un enfant. Digne des romans-feuilletons du XIXe siècle, cette base va servir de structure narrative à Louise Erdrich pour construire une grande fresque sociale dans laquelle vont aller et venir une bonne dizaine de personnages tous mis sur le même plan d’égalité. Leur mère disparue, la jeune Mary et son frère Karl ont sauté dans un train de marchandi- ses à destination d’Argus, une petite ville du Dakota, où leur tante et son mari tiennent une boucherie. En route, Karl fait brusquement demi-tour après avoir repoussé un chien avec une branche arrachée à un arbre (la « branche cassée » de la première version française). Le frère et la sœur mèneront dès lors leur existence à distance. D’Argus, bientôt promise à la culture intensive de la betterave à sucre, Louise Erdrich va faire un concentré d’ambitions inachevées, de jalousies rentrées, de relations amoureuses le pique-nique pas toujours bien engagées… des orphelins Ses personnages sont à (The Beet Queen), l’image du pays où ils se débatde Louise Erdrich, tent, trois ans après la grande traduit de l’anglais dépression de 1929 : portés par (Etats-Unis) par Isabelle Reinharez, Albin Michel, un fort esprit d’entreprise, mais en manque de confiance 480 p., 24 €. et tentés par l’individualisme Signalons, du même ou la violence. auteur et par le même Une petite dose de fantastitraducteur, la parution que se diffuse dans la prose en poche de Dans le somptueuse de l’écrivaine silence du vent (The amérindienne (notamment Round House), Le Livre dans cette scène formidable de poche, 504 p., 7,90 €. où le visage de Mary s’imprime sur un bloc de glace après une glissade en toboggan, provoquant l’émerveillement des religieuses de l’école). La signature d’une future grande voix de la littérature américaine. p “Fort d'une langue vive et souple, Les vieux ne pleurent jamais fait plus qu'interroger avec une belle empathie ce que signifie être vieux dans un monde voué à la consommation ardente. Une réussite.” Bertrand Leclair, Le Monde des Livres © PetrLovigin / °CLAIR Gallery frédéric potet se déroulant sur quatre décennies, Le Pique-nique des orphelins va plutôt explorer les remugles des liens familiaux et les méandres de la violence ordinaire. Cela n’empêche pas, comme dans la littérature « positive », des situations poussées à l’extrême. “Avec une intelligence aiguë et armée d'une écriture sensuelle, elle glisse de la comédie de mœurs à une gravité presque tragique.” Christine Ferniot, Télérama 6 | Histoire d’un livre 0123 Vendredi 5 février 2016 Déterré par un Goncourt C’est d’actualité La corruption autour des exhumations de «poilus»? Un sujet «trop macabre», disait-on à Béatrix Pau. Jusqu’au succès d’«Au revoir là-haut», de Pierre Lemaitre R endons à l’aïeul ce qui lui revient de plein droit. L’historienne Béatrix Pau s’est intéressée à la Grande Guerre grâce à son arrière-grand-père, ancien viticulteur et « poilu » de Verdun qu’elle a eu la chance de connaître jusqu’à ses 16 ans. « La transmission a sauté plusieurs générations. Je suis la première à l’avoir vraiment écouté. Ses souvenirs de tranchées m’ont fascinée. » Les récits d’écrivains, tels Le Réveil des morts (1923), de Roland Dorgelès, et Ceux de 14 (1949), de Maurice Genevoix, l’ont ensuite attachée au sort des soldats qui, eux, n’avaient pas survécu : qu’était-il advenu de leur dépouille mortelle ? Tel fut le propos central de la thèse de Béatrix Pau, intitulée « Transfert des corps des militaires : étude comparée France-Italie 1914-1939 ». Distingué par les félicitations du jury, ce travail colossal, qui conjugue archives publiques et fonds privés, défrichait un terrain historiographique peu étudié jusqu’alors : la démobilisation des morts après la mobilisation des vivants. Et, à ce titre, méritait publication. D’autant qu’il complétait idéalement le magistral ouvrage de Bruno Cabanes sur la sortie de guerre. Paru au Seuil en 2004 – année de la soutenance de Béatrix Pau –, La Victoire endeuillée mit en lumière les violentes difficultés des soldats français à retrouver la vie civile après l’armistice, alors même que s’instaurait une « économie morale de la reconnaissance », caractérisée par des défilés, des fêtes patriotiques, des remises de décorations, etc. Les physiciens s’amusent avec la matière littéraire comme avec la matière noire. La preuve : cette récente étude polonaise qui s’enquiert de la longueur des phrases dans un roman. Les chercheurs de l’Institut de physique nucléaire de l’académie des sciences de Cracovie ont en effet calculé la variabilité de la longueur des phrases en s’appuyant sur un corpus de cent chefs-d’œuvre de la littérature mondiale (dont Proust, Tolstoï ou Joyce). De leurs calculs complexes, ils tirent une régularité. Un rythme que l’on retrouve d’œuvre en œuvre et dont les auteurs de l’étude nous apprennent qu’il est curieusement proche d’une formule déjà identifiée dans les compositions musicales ou les ondes cérébrales. Mieux, les livres écrits sous forme de monologues intérieurs, épousant les flux de conscience, obéissent de manière encore plus stupéfiante à cette donnée fractale. Où l’on démontre que la littérature bat au rythme de la rumeur du monde ? L’église de Marbotte (Meuse), transformée en morgue durant la Grande Guerre. STÉPHANE COMPOINT/ONLYFRANCE.FR Une fois encore, on vérifie que la littérature et les sciences humaines peuvent nouer une alliance féconde bres étaient rapatriés, les cadavres des hommes de troupe, eux, demeuraient sur le champ de bataille où ils étaient tombés. Louable est l’intention, morale aussi. Sa mise en œuvre requiert une logistique exceptionnelle puisque ce sont près de 250 000 à 350 000 corps, environ 30 % des pertes, qui seront exhumés et envoyés par voie ferrée partout en France. Mais l’Etat néglige de veiller aux procédures et, comble, toute l’entreprise se retrouve entachée de malversations. Las ! les éditeurs contactés par Béatrix Pau ont loué un travail « novateur, mais trop macabre » pour valoir publication. Un argument identique fut opposé au cinéaste Bertrand Tavernier lorsqu’il voulut monter La Vie et rien d’autre (1989) sur un sujet similaire. En dépit des réticences des producteurs, Tavernier parvint, à force d’obstination, à financer son film et à donner vie à l’histoire émouvante du commandant Dellaplane (Philippe Noiret), chargé, en 1920, de recenser les soldats disparus. Béatrix Pau, elle, se contenta de communiquer des éléments de sa thèse dans une série d’articles publiés par La Revue historique des armées. L’un d’eux inspira un roman à succès. Alors qu’il se documentait pour Au revoir là-haut (Albin Michel, 2013) à la Bibliothèque nationale de France, Pierre Lemaitre découvrit, en effet, le scandale éclaboussant, en 1922, les entre- « Depuis les anciens champs de bataille français et étrangers mais aussi les hôpitaux de l’intérieur, les dépouilles des valeureux poilus sont exhumées, identifiées, mises en bière et acheminées dans leur village natal pour y être honorées par leurs proches et l’ensemble de la communauté en deuil. L’entreprise est ambitieuse et demande une organisation rigoureuse. L’Etat devient le maître d’œuvre mais sous-traite à des entrepreneurs de pompes funèbres privés qui ne voient dans cette noble tâche qu’une source d’enrichissement personnel. Pour les mercantis de la mort, le transfert des corps est une aubaine. Malversations, scandales, dysfonctionnement viennent ternir cette reconnaissance nationale et témoignent de la vilenie de ces entrepreneurs de fortune. » le ballet des morts, page 286 prises que l’Etat avait missionnées pour les exhumations et le transport des corps : un marché de 26 millions de francs accaparé par quelques capitaines d’industrie, des contrats conclus de gré à gré, des fortunes éhontément amassées… André Maginot, ministre des pensions, s’employa à étouffer l’affaire, et les « nécrophores » attaquèrent en diffamation tous les journalistes osant dénoncer un système corrompu. Pierre Lemaitre y piocha « l’idée de faire de ces mercantis de la mort des personnages de [son] histoire, Au revoir là-haut », ainsi qu’il l’explique dans la préface du Ballet des morts, de Béatrix Pau. Et ne s’en est jamais caché. « Quand j’ai lu son roman, j’ai eu la sensation qu’il res, et d’organiser la logistique d’une pareille entreprise : restituer, aux frais de l’Etat, les restes des soldats à leurs proches, afin qu’ils puissent achever le travail de deuil. Un marché mortuaire s’ouvre, par adjudications puis de gré à gré, que vont accaparer une poignée d’hommes d’affaires. Travail bâclé, squelettes confondus, cercueils de piètre qualité, prix excessivement gonflés. Cette affaire qui mêle finances, politique, psychologie, le romancier Pierre Lemaître la découvrit grâce aux travaux de Béatrix Pau, et s’en inspira pour Au revoir là-haut (prix Goncourt 2013). Les recherches de l’historienne, dont elle présente ici une synthèse fort accessi- ble, sont plus vastes, qui englobent le scandale des violations de sépultures, le recours à des détectives spécialisés dans la recherche de dépouilles mortelles, les exhumations clandestines à la demande de familles aisées. Macabre ? Non, car Béatrix Pau réussit à donner chair et sensibilité, à travers plusieurs destins individuels, à cette incroyable démobilisation des morts. p m.s. le ballet des morts. état, armée, familles : s’occuper des corps de la grande guerre, de Béatrix Pau, La Librairie Vuibert, 362 p., 21 €. (en librairie le 7 février). Assises du livre numérique Organisées par le Syndicat national de l’édition, elles se tiendront le 16 mars au Parc des expositions, porte de Versailles, à Paris. Thème de cette 16e édition : la lecture sur téléphone mobile. Extrait La deuxième mort des « poilus » AVANT LA GRANDE Guerre, les cadavres des hommes de troupe étaient laissés sur le champ de bataille. Cette fois, l’hécatombe est telle que tous les villages de France ont perdu des enfants, que leurs familles entendent bien enterrer dans leur commune d’origine. Les parlementaires s’affrontent sur la question. Le 1er janvier 1919, le gouvernement interdit durant trois ans le transport des corps, afin de nettoyer les champs de bataille, de créer ou d’aménager des cimetières militai- Les éditions Buchet-Chastel lancent le 3 mars une nouvelle collection intitulée « Les auteurs de ma vie », qui invite des écrivains contemporains à partager leur admiration pour un auteur classique. Premiers titres à paraître : Hugo, de Michel Butor, et Virgile, de Jean Giono (réédition). Calculs littéraires macha séry Le Ballet des morts présente une situation symétrique et la même discordance entre les symboles et les actes. Voilà un pays qui pleure le sacrifice de ses enfants ; une nation qui, à la suite de l’hécatombe provoquée par la première guerre moderne, érige un monument en leur mémoire dans chaque village. Voilà un Etat qui refuse la mort anonyme et s’engage à restituer gratuitement aux familles les corps de leurs proches, fait sans précédent dans l’Histoire. Depuis le Moyen Age, en effet, seuls les corps des officiers célè- Prestigieux fans avait personnifié les archives et fait vivre mon histoire », confie cette dernière, qui a reçu l’auteur au lycée Jean-Moulin de Béziers (Hérault), où elle enseigne l’histoire. Certains lecteurs ont parfois pris pour une invention ce commerce mortuaire qu’elle avait exhumé, épisode sordide par bien des aspects (non-respect de l’intégrité des corps, trafic d’ossements, perte d’identité des dépouilles mortelles, etc.), et d’autres ont jugé, en revanche, réaliste une escroquerie relative aux monuments aux morts, sortie de l’imagination de Pierre Lemaitre. Le roman fit son chemin, obtint le prix Goncourt 2013, fut adapté en bande dessinée et le sera au cinéma par Albert Dupontel. Forte de cette renommée inattendue, Béatrix Pau s’est résolue, derechef, à proposer une synthèse de ses travaux à un éditeur, en l’espèce La Librairie Vuibert, qui accepta sans réserve. Par où l’on vérifie, une fois encore, que la littérature et les sciences humaines peuvent nouer une alliance féconde. D’autant qu’ici, comme le souligne Pierre Lemaitre, Béatrix Pau met « l’humain au premier plan » et replace toujours « les acteurs dans leur contexte émotionnel ».Et c’est bien ce qui a motivé l’historienne de 42 ans : que sortent de l’oubli, dans toutes les communes de France, les tombes de ces « poilus », compagnons d’infortune de son aïeul. Qu’elles soient entretenues et fleuries le 11 novembre. p Bad job Les écrivains britanniques se sont paupérisés. C’est ce que relève une étude commandée à l’université Queen Mary de Londres par l’Authors’Licensing and Collecting Society. En 2005, 40 % des auteurs vivaient de leur plume. En 2013, ils n’étaient plus que 11,5 %. Et le revenu médian annuel est désormais de 4 000 livres (5 280 euros), contre 8 810 en 2000. Orhan Pamuk : « Ils ont oublié toutes leurs valeurs » Extrait d’une interview de l’écrivain turc, dans le journal Hürriyet. Le Prix Nobel de littérature 2006 accuse les Européens de fermer les yeux, en raison de la crise des migrants et de la lutte contre Daech, sur les atteintes aux droits de l’homme du gouvernement islamo-conservateur d’Ankara. Céline au ciné Le cinéaste Emmanuel Bourdieu fait revivre Louis-Ferdinand Céline dans son exil au Danemark, alors que le romancier est frappé d’indignité nationale. L’auteur du Voyage au bout de la nuit y est incarné par Denis Lavant, qui a déjà porté au théâtre la correspondance du romancier (Faire danser les alligators sur la flûte de pan). Céline. Deux clowns pour une catastrophe sortira en salles le 9 mars. La vraie tête de « Carrie » L’Américain Brian J. Davis, cinéaste et artiste digital, dresse des portraits-robots de célèbres personnages de la littérature en fonction des descriptions données par les auteurs. Les visages de Carrie, de Stephen King, des protagonistes du Trône de fer, de George R.R. Martin, de Sherlock Holmes, le héros de Conan Doyle, sont à découvrir sur Thecomposites.tumblr.com. Critiques | Essais | 7 0123 Vendredi 5 février 2016 L’anthropologue Gabriella Coleman s’est immergée dans l’univers des défenseurs des libertés numériques. Un passionnant voyage initiatique Anonymous, chevaliers modernes gilles bastin S i pour vous, comme pour la plupart des membres de la famille de Gabriella Coleman, Internet, « c’est la corvée des courriels à trier, les nouvelles qu’on lit en buvant son café le matin, le coup d’œil sur sa page Facebook pour voir les dernières photos des amis (et de leurs bambins) et, dans les moments d’ennui mortel au travail, le visionnage de fantastiques vidéos de chats », passez votre chemin. Ce livre ne vous apportera que doutes et inquiétudes. Mais si, à l’instar de Coleman, vous regardez le Web comme le champ fascinant dans lequel « une bataille rangée sur l’avenir de la vie privée et de l’anonymat fait rage », alors, vous devriez vous laisser entraîner sur les terres des « Anons » (pour « Anonymous »), ces militants radicaux de la liberté numérique devenus célèbres au début du XXIe siècle pour arborer, lors de leurs opérations de sabotage, le masque du personnage de la bande dessinée V pour Vendetta, lui-même inspiré du catholique britannique Guy Fawkes. C’est en anthropologue que Gabrielle Coleman, aujourd’hui titulaire d’une chaire de la prestigieuse université McGill à Montréal, a abordé ces terres. De prime abord, elle n’a pas eu à s’aventurer loin de son bureau. Il lui a suffi, en effet, de se connecter jour et nuit pendant cinq ans aux canaux IRC et aux comptes Twitter sur lesquels échangent les Anons. Elle n’en a pas moins traversé toutes les étapes d’un véritable voyage initiatique : la séparation d’avec les siens (qui passerait la journée entière sur son écran d’ordinateur le jour de Noël ?) et une véritable conversion identitaire (Gabriella se muant online en < biella >) en furent les premières étapes. Puis suivirent les expériences de rejet (« Vous avez été chassé du canal par q », lit-elle un matin sur son écran), et enfin l’adoubement, la participation aux débats très secrets puis les discussions sur la meilleure recette de pain sans gluten avec les hackeurs les plus recherchés des Etats-Unis. Coleman ne cache pas la sympathie que lui ont inspirée ces libertaires du Web à l’humour douteux, le fameux lulz, terme qui décrit, selon l’Encyclopedia Dramatica qui fait référence en la matière, une forme de « sociopathie volontaire et joyeuse ». Remplacer la page d’accueil du site d’une agence de renseignement par une image pornographique, annoncer fièrement la destruction prochaine de la scientologie ou envoyer aux autres membres des pizzas et des prostituées à payer à réception, voilà des exemples de lulz qu’affectionnaient les premiers Anons recrutés princi- Auteurs du « Monde » L’espoir a-t-il un avenir ? de Monique Atlan et Roger-Pol Droit, Flammarion, 268 p., 19 €. Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir. Mais pas forcément chez les philosophes. Prenant acte du fait qu’ils ont dans l’ensemble fort maltraité cette notion – sinon pour dire qu’il ne fallait en avoir aucun, comme les stoïciens –, la journaliste Monique Atlan et Roger-Pol Droit, chroniqueur au « Monde des Livres », se consacrent à renverser les choses. Et nous convainquent : nulle faute à espérer. Car l’espoir et son cortège d’incertitudes sont propices à l’action comme au désir. Mieux, l’espoir est une puissance créatrice, « une dimension de la dignité humaine insuffisamment aperçue (...). Espérer c’est se penser libre, responsable de son avenir, même incertain ». p Les mots font le job. Nouveau lexique du monde du travail de Pierre Jullien, Lemieux, 172 p., 12 €. ARISTIDIS VAFEIADAKIS/ZUMA/REA palement sur le réseau 4chan. Une réminiscence, pour Coleman, des frasques des « bandits sociaux » étudiés par l’historien Eric Hobsbawm ou des tricksters, les bouffons cérémoniels des sociétés primitives dont tout le comportement se devait d’être en rupture avec le consensus social, politique, éthique et esthétique. anonymous. hacker, activiste, faussaire, mouchard, lanceur d’alerte (Hacker, Hoaxer, Whistleblower, Spy. The Many Faces of Anonymous), de Gabriella Coleman, traduit de l’anglais (Canada) par Nicolas Calvé, Lux, 520 p., 22 €. Ressorts philosophiques Anonymous ne se confond cependant pas avec une quelconque anarchie geek comme voudraient le faire croire ceux qui ont intérêt à en museler les membres. Coleman montre finement les procédures de débat qui animent ses canaux de discussion, le rôle qu’y joue l’autorité conférée non pas par l’identité sociale (inconnue le plus souvent) mais par les contributions passées aux actions du collectif. Elle analyse aussi les ressorts philosophiques de l’anonymat choisi par ces militants : il ne s’agit pas d’un rejet de la responsabilité de leurs actes – beaucoup ont d’ailleurs été condamnés –, mais d’une façon de « décoloniser une subjectivité aux habitudes bien enracinées » et de « viser un bien commun qui soit libéré des enjeux de la reconnaissance personnelle et de l’autopromotion ». Le fait que les « saloperies ultracoordonnées sur Internet » des premiers adeptes du lulz aient pu donner naissance, malgré les dissensions internes permanentes qui traversent ce groupe, à l’un des mouvements les plus marquants de défense des libertés individuelles et de lutte contre les injustices, apparaît à Coleman comme « un petit miracle de la résistance politique ». Au prix d’infractions à la loi – mais parfois aussi d’erreurs –, Anonymous a réussi à jouer un rôle dans la divulgation des documents classifiés de la diplomatie américaine par WikiLeaks, dans le soutien aux révolutionnaires tunisiens, dans la lutte contre les officines privées qui fournissent aux Etats des logiciels permettant d’espionner leur population, comme dans la dénonciation de la tolérance des institutions à l’égard des viols commis sur les campus américains ou dans celle des meurtres perpétrés par des policiers. Coleman ne perce sans doute pas encore, dans ce livre, tous les mystères d’Anonymous. Mais elle illustre avec un très grand talent ce paradoxe frappant du monde dans lequel nous vivons, déjà formulé par Julian Assange : c’est peut-être aujourd’hui chez les informaticiens les moins politisés, au sens classique du terme, que se trouvent les ressources de culture militante et politique qui nous permettront de faire face à l’extension de la surveillance de masse sur Internet et à l’injustice sous toutes ses formes. p Les mots font le job. Entendez : ils nous disent à quoi nous en tenir dans le monde du travail. Au fil de chroniques pleines de malice ici rassemblées, Pierre Jullien, journaliste au service « Eco & entreprise », prend plaisir à fouiller dans les étymologies, à relever les nouveaux usages de la langue en économie comme en entreprise. Qui peut prétendre se souvenir que « réforme », apparu en 1625, signifiait le « rétablissement de l’ancienne discipline dans une maison religieuse »…? Ou savoir qu’avec « deadline », « dress code » ou « brainstroming », les anglicismes d’usage représentent 2,5 % de notre vocabulaire ? Bref, Pierre Jullien propose de vous « briefer », à sa manière, sur le monde du travail. p La Déposition de Pascale Robert-Diard, L’Iconoclaste, 300 p., 19 €. Quand Agnès Le Roux a disparu, en 1977, et que les soupçons ont commencé à se porter sur son amant, Maurice Agnelet, Guillaume, le fils de ce dernier, avait 8 ans. Trente-sept ans plus tard, lors du troisième procès de son père, qu’il avait toujours soutenu jusque-là, le cadet des enfants Agnelet affirme devant la cour d’assises de Rennes que l’accusé est bien l’assassin, et qu’il a recueilli les confidences de celui-ci ainsi que de sa mère. Le geste sidère l’assistance, dont Pascale Robert-Diard, chroniqueuse judiciaire au Monde. Explorant une vie partagée entre le secret et la culpabilité, La Déposition est sa quête littéraire, à la minutieuse sobriété, pour le comprendre. p Signalons également la parution du nouveau tome (2014-2015) du journal d’Eric Chevillard, L’Autofictif doyen de l’humanité, L’Arbre vengeur, 230 p., 15 €. Sortir des illusions du kémalisme Dans un ouvrage novateur, l’historien Sükrü Hanioglu démontre qu’Atatürk était davantage un pragmatique qu’un penseur politique gaïdz minassian M ustafa Kemal était-il de droite ou de gauche, conservateur ou progressiste ? A première vue, poser la question peut sembler surprenant. Mais, à la lecture du nouveau livre de l’historien turc Sükrü Hanioglu, la réponse semble plus compliquée qu’on ne le pense. Dans Atatürk, le professeur de Princeton (New Jersey) reconstitue pièce par pièce le puzzle idéologique du fondateur de la Turquie moderne. Sükrü Hanioglu revisite, loin de tout style hagiographique, les ori- gines de l’identité turque moderne, contrairement aux travaux publiés sur le sujet jusqu’à présent en France – à l’exception de celui de Fabrice Monnier, auteur d’une biographie critique de Mustafa Kemal (Atatürk, naissance de la Turquie moderne, CNRS Editions, 2015). Ce retour sur les fondements de la pensée d’Atatürk s’inscrit dans une logique de dénationalisation de l’histoire contemporaine turque et de désendoctrinement de la société civile. Depuis l’arrivée au pouvoir des islamistes de l’AKP en 2002, un à un, tabous et mythes fondateurs de la République turque sont remis en question par une série de travaux universitaires. Dès son introduction, Sükrü Hanioglu affiche ainsi la couleur : démythifier, historiciser et contextualiser Atatürk. Son travail l’apparente à ce que le sociologue Hamit Bozarslan appelle l’« école dissidente » de l’historiographie turque. Mustafa Kemal n’a pas été qu’un officier, héros de la victoire des Dardanelles sur les Alliés en 1915 et guide de la lutte de libération nationale contre les puissances européennes entre 1918 et 1923. C’était aussi un homme perméable aux nouvelles idées et ouvert aux lectures classiques (Büchner, Durkheim, Renan, Le Bon). Issu du parti Comité Union et Progrès (CUP), au pouvoir après la révolution de 1908 et responsable de l’entrée en guerre de l’Empire ottoman en 1914 aux côtés de l’Allemagne, Mustafa Kemal n’a conservé de son passage chez les Jeunes-Turcs que les éléments struc- turants du proto-nationalisme, comme le darwinisme social, le turquisme et le scientisme. S’arrimer à l’Occident Il a pris ses distances avec les dirigeants du CUP, instigateurs du génocide des Arméniens de 1915 qu’il a lui-même qualifié d’« acte honteux » après la première guerre mondiale. En fait, et l’auteur l’explique dans le détail quand il détricote le canevas idéologique du Gazi (« le victorieux »), ce dernier a surtout cherché, avec autoritarisme, à arrimer son peuple à l’Occident, jusqu’à imposer la création d’institutions de réécriture de l’histoire turque, comme pour mieux faire oublier le passé ottoman, l’islam, la langue ancienne (osmanli) et l’Orient jugés rétrogrades. Mais de là à faire du « prophète de la révolution » un penseur politique au même titre que les théoriciens de la première moitié du XXe siècle (Lénine, Antonio Gramsci), il y a un pas que l’historien n’accomplit pas. En cela, Sükrü Hanioglu prend à contrepied l’histoire officielle, toujours prépondérante à Ankara. Ainsi, le Mustafa Kemal que Sükrü Hanioglu dépeint est une synthèse d’idées de son temps, parfois maladroite quand le Gazi confond Rousseau et Montesquieu, ou mystique, quand il transforme en vérité absolue des pensées ésotériques. Inspiré par le républicanisme occidental mais se référant au théoricien du panturquisme Ziya Gökalp (18761924), un Caucasien ambitionnant la réunion de tous les peu- ples turcophones dans un seul ensemble homogène, Mustafa Kemal serait en fait un pragmatique, et non un idéologue. Et pourtant, ses héritiers ont érigé sa pensée en dogme, figeant des générations entières dans la falsification de l’histoire. De ce fait, si le post-kémalisme entend se régénérer au XXIe siècle, il aurait tout intérêt à s’inspirer des travaux de cet éminent historien qui parvient à distinguer le réel Mustafa Kemal du kémalisme fantasmé. p atatürk (Atatürk. An Intellectual Biography), de Sükrü Hanioglu, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Emmanuel Szurek, Fayard, 288 p., 20 €. 8 | Chroniques 0123 Vendredi 5 février 2016 Le feuilleton D’ÉRIC CHEVILLARD Le haut du pavé Vieilles peaux FRANCHEMENT, ils ne manquent pas d’air. S’imaginent-ils sans rire, ces auteurs qui écrivent des suites à leurs romans, que tout le monde a lu le précédent, publié deux ou trois ans plus tôt, et l’a de surcroît gardé en mémoire ? Dans leur idée sans doute, le lecteur se sera figé, à l’arrêt, guettant la reprise de cette histoire qui le tient en haleine au détriment de tout le reste. Il faut pourtant les détromper : le lecteur a vécu dans l’intervalle. Il a rompu avec Pandora et rencontré Pétronille (mais il y a déjà de l’eau dans le gaz). Il a séjourné à Oaxaca ou à Mouilleron-le-Captif. Il a perdu son père. Il a couru un marathon. Il a pris deux mois avec sursis. Il a mangé du crocodile. Il a même lu d’autres livres. Et, du roman précédent, pour être tout à fait honnête, il ne lui reste que des bribes de souvenirs vagues, quelques impressions nébuleuses et contradictoires, une image aux contours imprécis, au centre flou. Bref, avant de s’intéresser à leurs nouvelles aventures, il va devoir renouer avec tous ces personnages comme avec d’anciennes connaissances perdues de vue. Les éditeurs ont conscience du danger. Pour quelques fidèles, happés dès le début de la saga, combien de lecteurs potentiels réticents à prendre en marche ce train de phrases ? Il va falloir ruser. Au dos du nouveau roman de Lydia Millet, Magnificence, nous lisons que celui-ci s’inscrit « dans la veine de Comment rêvent les morts (2011) et Lumières fantômes (2013) », ce qui n’est pas faux, ce qui est même d’autant plus vrai qu’il s’agit du troisième tome de cette trilogie. Empressons-nous donc d’entonner la formule consacrée, afin de ne décourager personne : chaque volume peut être lu indépendamment des deux autres. Et nous pouvons aussi galoper sur trois de nos quatre pattes. Il n’empêche que nous retrouvons dans Magnificence les personnages des romans précités et que tout s’enchaîne chronologiquement. Nous retrouvons surtout l’ironie de Lydia Millet, l’acuité de son regard qui rappelle la finesse de Nathalie Sarraute, cette forme d’éthologie humaine aussi qu’elle développe dans ses récits : les comportements de ses personnages varient selon les milieux ou les biotopes dans lesquels ils se trouvent transportés. Chaque livre peut être lu indépendamment des deux autres, la preuve en est que je n’ai pas lu le premier. Le second décrit les affres conjugales d’un couple de quinquagénaires californiens de la classe moyenne, Hal et Susan, dont la fille paraplégique travaille comme opératrice dans une agence de téléphone rose. Hal surprend l’infidélité de Susan sabri louatah écrivain Seulement voilà, Hal entre-temps a été tué par un voleur des rues. Susan, qui s’éprouve volontiers comme une nuée de cellules ou de molécules flottant dans l’indécision et n’affectant que ponctuellement la forme mieux circonscrite de ses désirs, connaît soudain « la torpeur de la séparation ». Comme Hal a entrepris ce voyage par sa faute, elle se considère comme sa meurtrière. Or « les systèmes du monde ont une propension à valoriser le crime » et la vie dès lors sourit à Susan, qui hérite de la somptueuse maison d’un vieil oncle qu’elle connaissait à peine. Et si des cousins tout aussi vagues ont la velléité de contester ce legs, la veuve repentante peut compter sur le soutien sans faille de son avocat et nouvel amant. Encore une fois, Nous retrouvons l’ironie de Lydia Millet, l’acuité de son regard qui rappelle la finesse de Nathalie Sarraute EMILIANO PONZI et se lance par défi à la recherche du patron de celle-ci, T., disparu dans la jungle de Belize. Cette trame vaudevillesque annonçant l’habituelle tapisserie au petit point du roman bourgeois est bien vite lacérée par la plume féroce de Lydia Millet : pas plus que la littérature selon son goût, ses personnages ne se satisfont de ces archétypes. Hal retrouvait T. transformé par son expérience et Magnificence s’ouvre sur la scène du retour des deux hommes que Susan et sa fille attendent à l’aéroport. magnificence, de Lydia Millet, traduit de l’anglais (EtatsUnis) par Charles Recoursé, Cherche-Midi, « Lot 49 », 276 p., 21 €. Lydia Millet fait mine de préparer des rebondissements romanesques puis laisse se détendre toutes les ficelles de son intrigue pour nous intéresser à un plus palpitant mystère : pourquoi donc la maison de l’oncle est-elle ce muséum d’animaux empaillés, chaque pièce vouée à une espèce différente ? Le fantôme de Hal, dont souvent elle éprouve la présence, la regarde peut-être avec les yeux de verre de ces bêtes naturalisées. La grande demeure se peuple aussi peu à peu de vieilles dames, la mère de T., d’abord, qu’elle accepte d’héberger, puis les amies de celles-ci qui s’incrustent. C’est la mort en effet qui rôde dans ce roman, très allègre néanmoins. Au soussol, Susan découvre une collection de spécimens plus rares encore, constituée d’animaux aujourd’hui disparus, reptiles, mammifères, oiseaux. Et la réflexion de Lydia Millet prend un tour nouveau lorsque son héroïne s’émerveille de la nomenclature naturaliste : « C’étaient de beaux mots (…), un langage méticuleux à conserver et à chérir. » Incontestablement, les noms des animaux sont précieux entre tous pour qui connaît la jouissance du vocabulaire. Les bêtes sont menacées et le lexique s’appauvrit. A croire que leurs destins sont liés. Le mot et la chose seront sauvés ensemble, sinon l’homme lui-même ne sera plus qu’une ombre errant parmi les « vestiges de ce qui autrefois avait été le monde ». p Figures libres Quand Rome organisait le monde A PARTIR de presque rien – un improbable village de vagabonds et de réfugiés hors la loi –, ils ont bâti un empire gigantesque. En quelques siècles, ils surent imposer leur pouvoir à un très large espace occidental – de l’Ecosse jusqu’aux montagnes du Caucase, des rives du Rhin aux sources du Nil, du Maroc actuel à la mer Noire… Ce territoire colossal, où règne une extrême diversité de climats, de peuples, de langues, ces drôles de bonshommes ne l’ont pas simplement conquis et pillé. Ils l’ont bel et bien organisé, structuré, relié, traçant routes terrestres et itinéraires maritimes, urbanisant et intégrant sans relâche – avec plus d’intelligence et de mesure qu’on ne l’a dit. Bref, les Romains, quand on les regarde sans préjugés, n’étaient ni bêtes ni frustes. En fait, ils ont inventé, bien avant nous, une forme inaugurale, antique, singulière, de globalisation. Yves Roman, professeur émérite d’histoire ancienne à l’université Lyon-II, éclaire avec science et vivacité les rouages de cette première mondialisation. Cet expert des institutions et des mentalités romaines, à qui l’on doit rome, de romulus des biographies des à constantin. empereurs Hadrien et histoire Marc Aurèle (Payot, d’une première 2008 et 2013), domine mondialisation, visiblement son sujet. d’Yves Roman, Il fait ici saillir les Payot, « Bibliothèque principaux facteurs historique », 554 p., 28 €. moraux, politiques, économiques de cette aventure inouïe avec une vraie maestria, car il extrait souvent d’un détail – anecdote, fragment de poème, conseil médical… – les éléments qui aident à comprendre de vastes processus. Surtout, il réhabilite la spécificité des Romains et de leur histoire, que notre obsession du « miracle grec » a fini par nous empêcher de voir. roger-pol droit Les Romains ne sont pas, comme on a fini par le croire, des campagnards rustauds auxquels seule la culture grecque aurait donné une colonne vertébrale. S’ils ont édifié un monde en ordre, c’est à partir d’un fonds identitaire puissant, où s’entrecroisaient les vertus des paysans et des soldats, le modèle d’une existence frugale, opposée à toute mollesse, arrimée à de solides exemples. « Qu’auraient fait mes ancêtres ? » est la première question qu’un Romain se posait, alors que l’hellénisme privilégie la nouveauté et l’invention rationnelle. Décloisonnement La liberté romaine existe par et dans la communauté, et la continuité historique. C’est pourquoi, politiquement, Rome n’a rien d’une cité grecque : elle ne rêve pas d’autosuffisance, jamais non plus elle ne s’affirme autochtone. Si les Romains n’ont pas inventé le capitalisme, si leur sys- tème d’échanges est bien resté centré sur les produits de la terre, et tissé autour de la villecentre, la puissance du décloisonnement économique dans l’empire semble avoir été sousestimée. S’appuyant sur de récentes découvertes archéologiques et sur leurs conséquences, Yves Roman met en lumière des données quantitatives qui permettent de parler d’une « incontestable mondialisation », à considérer comme une matrice des suivantes. Faut-il rappeler que le mont Testaccio (« tesson »), la huitième colline de Rome, fut édifié avec les débris de quelque 25 à 50 millions d’amphores ? Cette proto-mondialisation ne fut pas simplement culturelle, reliant Orient et Occident : l’inscription Salue lucru (qu’on traduira au choix par « bienvenue au profit » ou par « vive le fric ! ») se lit aussi dans la mosaïque d’une villa pompéienne… p Le poids d’un corps LA NARRATRICE de Big Brother regrette que son mari, Fletcher, obsédé par la diététique et ses quatre-vingts kilomètres de vélo par jour, ait perdu son petit ventre : « J’aimais bien son petit ventre : il l’avait adouci à plus d’un titre. Parce qu’il invitait au pardon, ce léger excès avait aussi semblé en prodiguer. » On est alors au tout début du roman : une petite observation sur un petit ventre dans une petite famille recomposée vivant dans une petite ville d’un petit Etat américain, l’Iowa. Au centre de ce petit monde, Pandora, la narratrice, femme d’affaires qui a fait fortune dans la confection de marionnettes, et vit assez mal le fait de gagner plus d’argent que son mari. Monsieur Pandora construit de jolis meubles qui ne se vendent pas. Une visite inattendue perturbe la relative tranquillité de ce foyer à peine plus bancal qu’il n’y paraît : celle du grand frère de Pandora, Edison, un pianiste de jazz has been qui a disparu des radars familiaux depuis quelques années. « Généralement, Fletcher appelait Edison “ton frère”. Expression qui sonnait à mes oreilles comme “ton problème”. » Son problème est devenu un gros problème : Edison a pris 175 kilos depuis la dernière fois qu’ils se sont vus. Sa sœur ne le reconnaît pas en allant le chercher à l’aéroport. Il prévoit de rester quelques mois, le temps de se refaire une santé financière – à défaut de vouloir s’occuper de sa santé tout court. Il ne faudra que deux jours avant que n’éclate sa première dispute avec Fletcher – Fletcher qui rêverait de remplir les placards de la cuisine de stocks d’edamame (des fèves de soja japonaises) pour empêcher les enfants de grignoter entre les repas. Monstrueuse facticité L’irruption de ce corps monstrueux dans une maison normale révèle, bien entendu, la monstrueuse facticité de cette norme. Avec Edison, c’est aussi toute une partie honteuse du corps social américain qui s’invite dans l’équilibre précaire d’une famille emblématique des classes moyennes aisées – aucun des sièges design de Fletcher ne dispose d’accoudoirs adaptés à l’énorme postérieur carré de son beau-frère. Mais ce n’est pas là que réside l’intérêt principal du dernier roman de Lionel Shriver, romancière au succès mérité – Il faut qu’on parle de Kevin, Tout ça pour quoi (Belfond, 2006 et 2012)… –, mais trop souvent réduite à la férocité de ses sujets. Davantage que l’histoire qu’elle raconte, c’est la qualité du regard portée par l’écrivaine sur cet obèse morbide en particulier qui frappe par son originalité : entre la cruauté et la tendresse, en assumant les deux mais sans jamais se reposer sur l’une ou l’autre. Tel est peut-être le véritable tour de force de Lionel Shriver : nous rendre la souffrance démesurée de son personnage bien plus émouvante en refusant toute forme de compassion qu’en laissant celle-ci mener la danse. L’humour à froid qui en résulte contribue beaucoup au plaisir de lecture, jamais tout à fait innocent : ainsi sommes-nous entraînés, à notre insu, dans la nasse d’une névrose familiale qui finit par nous concerner intimement, comme si Edison était devenu notre problème, notre « gros frère » à tous. p big brother, de Lionel Shriver, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Laurence Richard, J’ai lu, 448 p., 8,40 €. Les écrivains Sabri Louatah, Pierre Michon, Véronique Ovaldé et l’écrivain et cinéaste Christophe Honoré tiennent ici à tour de rôle une chronique. Mélange des genres | 9 0123 Vendredi 5 février 2016 « Zack », de Mons Kallentoft et Markus Lutteman, marie avec succès critique sociale à la nordique et tension narrative à l’américaine polar abel mestre L La capture des juments Ensemble, ils ont cherché à bâtir un personnage qui s’apparenterait à un « Hercule moderne », comme l’explique Mons Kallentoft (lire l’intégralité de l’entretien sur Lemonde.fr). Pour cet opus liminaire, les auteurs se sont inspirés du huitième de ses douze travaux, la capture des juments mangeuses d’hommes du roi Diomède. Sauf que Zack ne se réduit pas à un dur à cuire maîtrisant les arts martiaux. Il est en proie à des états d’âme et à des accès de mélancolie. « Il ferme les yeux. Imagine que la nuit est tombée d’un coup. (…) Il souhaiterait pouvoir redevenir un petit garçon. Un petit garçon qui croit encore que les étoiles descendront un jour le chercher pour l’emme- Pour l’amour de Shakespeare Année scolaire 1967-1968. Tous les mercredis après-midi, Holling Hoodhood, élève de 5e, reste seul avec l’affreuse madame Baker, enseignante d’anglais, pendant que ses camarades vont à l’église ou à la synagogue. Il est persuadé que cette prof veut sa mort. La preuve : elle lui fait lire du théâtre ! Comment la vie d’un collégien de Long Island résonne-t-elle avec le bourbier vietnamien où s’enlisent les troupes américaines ? Comment Shakespeare peut-il aider les âmes perdues à comprendre leurs contemporains ? Comment Caliban, personnage de La Tempête, et ses injures lyriques parviennent-ils à créer d’indéfectibles liens entre élèves et professeurs ? Et surtout, que font deux rats cachés dans le plafond ? C’est avec une grande subtilité et un humour décapant que Gary D. Schmidt, professeur de littérature, entremêle les destins de ses nombreux personnages. L’écrivain américain, auteur de plus d’une dizaine de romans jeunesse, distingués par plusieurs prix, parmi lesquels le Printz et le Newbery, bâtit ici un univers complexe et attachant, où affleurent émotions et non-dits. A chaque page, le romancier parvient à restituer l’ambiance des sixties entre poids des traditions et révolte de la jeunesse. Mais c’est autour de Holling et de son incroyable force que s’articulent les événements, petits et grands. Livré à lui-même à cause de parents négligeants, le jeune héros s’embarque dans des aventures drolatiques, en ressort parfois blessé mais toujours grandi. Un délice, ou comme dirait Holling, un « chou à la crème léger et doré à souhait »… p marie pavlenko Et d’un coup la nuit tomba e polar nordique compte un nouveau héros : Zack Herry. Policier dans une unité d’élite à Stockholm, il est, à 27 ans, à mi-chemin entre Lisbeth Salander, l’héroïne de la saga « Millénium » du Suédois Stieg Larsson, dont il partage les idées anticapitalistes, et Harry Hole, le personnage récurrent du Norvégien Jo Nesbo, par son addiction aux drogues (cocaïne et amphétamines). Il multiplie les aventures d’un soir et débarque régulièrement au travail avec une gueule de bois carabinée. Et c’est en pleine descente de coke que cet écorché vif se voit confier l’enquête sur le meurtre sauvage de quatre prostituées thaïlandaises. Est-ce l’œuvre d’un gang de motards, de la mafia turque ou d’un tueur en série pervers ? L’enquête le révélera dans les toutes dernières pages de Zack, roman qui marque le début d’une trilogie cosignée par Mons Kallentoft et Markus Lutteman. Si le second, journaliste de profession, était jusqu’ici inconnu, le premier a déjà publié en France la tétralogie policière « Saisons » (Le Serpent à plumes, 2009-2011), mettant en scène la superintendante Malin Fors, ainsi que deux autres romans parus au Seuil. Jeunesse a La Guerre des mercredis (The Wednesday Wars), de Gary D. Schmidt, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Caroline Guilleminot, L’Ecole des loisirs, 384 p., 18,50 €. Dès 12 ans. LENA MODIGH/ PLAINPICTURE/ MILLENNIUM Un chat tombé du balai ner avec elles dans l’espace. Là où on oublie tout. » Sa mère, policière, a, en effet, été assassinée dans l’exercice de ses fonctions et son meurtrier n’a jamais été retrouvé. C’est pour l’arrêter que Zack Herry s’est engagé dans la police. Il y défend la cause des femmes et affiche une haine des riches zack, qui lui vient de son ende Mons Kallentoft fance dans une cité de banet Markus Lutteman, lieue. A ses côtés, les pertraduit du suédois sonnages secondaires sont par Frédéric Fourreau, Gallimard, « Série noire », tout aussi attachants : Abdula, l’ami d’enfance de 448 p., 20 €. Zack, devenu dealer, qui lui prête main-forte dans certaines opérations, sa coéquipière, une immigrée kurde lesbienne, ou l’inspecteur Douglas, vieux monsieur aveugle aux talents d’interrogateur hors pair. Zack s’est vendu à 100 000 exemplaires en Suède. Ce beau succès s’explique bande dessinée en partie par son rythme effréné, qui maintient le lecteur constamment sous tension. Car le roman conjugue plusieurs traits typiques du polar nordique, comme la critique sociale et l’actualité politique, avec les recettes du thriller à l’américaine : action, violence, situations et personnalités décrites en peu de phrases, brefs chapitres systématiquement conclus par un cliffhanger (effet de suspense)… « Nous sommes quelques-uns à être très influencés par les modes de narration contemporains, les séries télévisées américaines notamment qui, pour certaines d’entre elles, ont été créées par des écrivains, telle « True Detective » [écrite par Nic Pizzolatto], reconnaît Mons Kallentoft. La structure de Zack est ainsi fondée sur une succession de scènes qui ressemblent à ce que l’on pourrait voir dans un film ou une série. » Aussi tourne-t-on les pages avec une frénésie toute carnassière. p Ali, Foreman, Mobutu Zaïre, 1974. Parti couvrir le combat du siècle, Bill Cardoso dénonce la dictature avec talent gonzo macha séry A mort, l’amour IL NE FAIT PAS BON s’aimer à Téhéran actuellement. Deux journalistes signant sous un pseudonyme unique, Jane Deuxard, ont interviewé clandestinement des Iraniens de 20 à 30 ans sur leurs relations amoureuses et sexuelles. Ils en ont tiré une BD-reportage qui en dit long sur la privation de liberté d’une jeunesse balançant entre désenchantement et frustration, révolte et peur de la répression. « Notre génération est foutue », constate un serveur de café au début de ce recueil de témoignages crus et poignants. Comment flirter dans un pays où les rapports sexuels sont interdits avant le mariage et où toute union est « arrangée » par les familles ? Pas le choix : on fait l’amour en cachette avec des partenaires contactés au hasard par téléphone, on pratique les rapports oraux ou anaux pour préserver sa virginité, on se fait reconstituer l’hymen si on a assez d’argent (quand d’autres se font refaire le nez, signe qu’on est un beau parti). On vomit, enfin, sur les mollahs qui ont réhabilité un « mariage temporaire » afin de satisfaire leurs propres fantasmes. En se nichant jusque dans l’intimité des couples, la terreur conforte la mainmise d’un « pouvoir religieux » qui ne dit pas son nom. Pour combien de temps encore ? se demande-t-on en refermant ce livre choc, riche en analogies graphiques. p frédéric potet a Love Story à l’iranienne, de Jane Deuxard et Zac Deloupy, Delcourt, « Mirages », 144 p., 17,95 €. J ournaliste au Boston Globe, à Rolling Stone et à Esquire, Bill Cardoso (1937-2006) fut un éminent représentant du journalisme « gonzo », terme qu’il inventa et qui servit à qualifier le style de reportages ultrasubjectifs de son ami Hunter S. Thompson. En 1974, il passa cinquante-cinq jours au Zaïre (aujourd’hui République démocratique du Congo) pour commenter le combat de boxe, plusieurs fois reporté, entre Mohamed Ali et George Foreman. Dans l’attente du grand jour, les semaines passent. Cardoso fume de l’herbe, se saoule en discothèque, écume les bars avec le père d’Ali. Il joue au black jack, mange de la cervelle de singe mais n’oublie pas l’essentiel : observer les effets sur la population de la dictature de Mobutu, que la propagande présente comme un lettré cosmopolite et qui n’est, en réalité, qu’« un gangster ». Pareil cirque médiatique n’est-il pas risible dans cet improbable endroit du monde, où les journalistes ne peuvent poser aucune question, même s’il s’agit juste de la signification de Kinshasa en langue kikongo, sans paraître suspect aux yeux de la police ? A son retour, Cardoso, groggy, décida « que le meilleur moyen de raconter cette histoire serait de la raconter fatigué. Oui, ce serait le ton parfait : fatigué. Fatigué comme un pilote de chasse abattu en plein débriefing sur la base militaire de Clark après avoir enfin quitté l’Hôtel Hilton de Hanoï ». Le fatigué fatigua le rédacteur en chef qui jugea son article peu orthodoxe. Il est vrai que du sujet de départ, ce match où Ali sécha Foreman, il n’est quasiment pas question dans ce petit opus déniché par les éditions Allia. Et fort heureusement, car des centaines d’autres reporters l’ont couvert en leur temps, dont Norman Mailer, qui, également dépêché sur les lieux, en tira Le Combat du siècle (Clancier-Guénaud, 1988). Cardoso, lui, a su rendre le grotesque des coulisses – l’absurdité de l’administration, les crises de nerfs des journalistes, etc. – avec lucidité et humour noir. p ko à la 8e reprise (Zaïre), de Bill Cardoso, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Danielle Orhan et Renaud Toulemonde, Allia, 110 p., 7,50 €. La jeune sorcière Esther Fleurdefer vient de recevoir le premier prix de curiosité – ce qui lui vaut le droit d’aller dans l’Autre Monde, celui des humains s’entend, accompagnée de l’impayable Mandragore, chat jusqu’au bout des griffes, grognon, susceptible, amateur de glaces (mais n’allez pas lui dire qu’il est gros !). Logée chez la sorcière Agatha qui, à force de visionner en boucle des feuilletons à l’eau de rose sur la « boîte à images qui bougent », a le cerveau ramollo, dixit Mandragore, Esther va devoir recourir à la magie afin d’aider une petite fille à retrouver son chat… Aussi drôle que savamment mené, ce roman illustré donne envie d’une suite, ou au moins de l’offrir largement. p emilie grangeray a Esther et Mandragore, une sorcière et son chat, de Sophie Dieuaide et Marie-Pierre Oddoux, Talents hauts, « Zazou », 128 p., 9,90 €. Dès 8 ans. Thriller La face cachée du bon père de famille L’homme, en bleu de travail, s’introduit incognito dans l’enceinte d’un collège, passe ses pauses déjeuner à observer des adolescentes et se connecte au site pornographique où quelques-unes se dénudent pour de l’argent. Avant même de raconter son histoire, Furio Guerri se décrit comme un monstre. On imagine donc aisément la suite : rapt et viol par un pervers sexuel. Ce serait faire radicalement fausse route. Révéler ici le passé et le crime que le narrateur a déjà commis éventerait le suspense insidieux que maîtrise l’Italien Giampaolo Simi. Ce thriller tire en effet sa force de la construction en pièces de puzzle que cet ancien auteur de la « Série noire » – Train express pour ailleurs (2003), Tout ou rien (2004) – a échafaudée. Dans son récit, Furio Guerri utilise tantôt le « je », tantôt le « tu », comme si un pan de sa personnalité lui échappait, que le commercial souriant et bon père de famille se dédoublait à l’occasion. Portrait en pied et en détail d’un bourgeois qui, dévoré d’ambition, d’orgueil et de jalousie, perd peu à peu le contrôle de lui-même et cède à la violence, La Nuit derrière moi, donne, à la lecture, l’impression d’un poing qui se referme. p m. s. a La Nuit derrière moi (La notte alle mie spalle), de Giampaolo Simi, traduit de l’italien par Sophie Royère, Sonatine, 268 p., 18 €. Agenda a Du 4 février au 30 août : « Marguerite Yourcenar et l’empereur Hadrien » Le Forum antique de Bavay (Nord) expose une cinquantaine d’œuvres en provenance de divers musées, et dévoile l’histoire personnelle de l’empereur romain (117-138), personnage principal des Mémoires d’Hadrien, tout en donnant accès à l’intimité de la romancière et à ses recherches documentaires. L’exposition permet aussi de mesurer la réécriture de l’Antiquité par Marguerite Yourcenar et des données archéologiques dont elle disposait. Forumantique.lenord.fr a 5-6 février : Journées du livre russe et des littéra- tures russophones à Paris Cette 7e édition, qui se tiendra à la mairie du 5e arrondissement, propose des tables rondes (le « nature writing » chez les auteurs russes, les peuples de Sibérie à travers la littérature, l’apport de la Carélie au folklore et mythes populaires, etc.), des conférences, ainsi que des rencontres avec Andreï Makine, Mikhaïl Tarkovski, Vladimir Pozner et Hélène Carrère d’Encausse. Journeesdulivrerusse.fr 10 | Rencontre 0123 Vendredi 5 février 2016 Marie Redonnet L’auteure a traversé une crise de création longue de dix ans. Aujourd’hui, réarmée, elle dégaine « La Femme au colt 45 » Elle reprend les rênes florence bouchy Parcours C ela faisait dix ans que Marie Redonnet n’avait plus donné de nouvelles. Depuis la parution de Diego (Minuit, 2005), elle s’était tue. Elle revient quand on ne l’attendait plus, là où on ne l’imaginait pas. Et dégaine avec un plaisir évident un roman situé dans un pays imaginaire qu’elle nomme l’Azirie. L’histoire n’a « rien d’autobiographique ». Et pourtant, tient à préciser Marie Redonnet, « l’héroïne entretient des affinités secrètes » avec l’écrivain. Petite, menue, un peu en retrait au premier abord, Marie Redonnet semblerait vouloir passer inaperçue si cette discrétion n’était démentie par le pull d’un rouge éclatant qu’elle arbore. L’écrivaine est de retour, vivante et combative, après avoir surmonté une « crise de création ». Depuis la parution du livre, elle a le sentiment d’avoir réussi à se « réaffirmer ». « J’avais l’impression d’avoir complètement disparu, dit-elle, je pensais que 1948 Marie Redonnet naît à Paris. 1985 Elle publie le recueil de poésie Le Mort & Cie (POL). 1986 -1987 Le triptyque romanesque Splendid Hôtel, Forever Valley, Rose Mélie Rose paraît (Minuit). 1995-2000 Elle rencontre l’œuvre de Jean Genet. FRÉDÉRIC STUCIN POUR « LE MONDE » 2000-2015 Elle vit au Maroc. été identifiée, dans les années 1980 et 1990, comme une voix importante de la création contemporaine. Succès d’estime, études critiques. Quelques thèses lui sont même consacrées. Son triptyque romanesque – Splendid Hôtel, Forever Valley, Rose Mélie Rose (Minuit 1986-1987) – et le triptyque théâtral qui en constitue le pendant – Tir & Lir, Mobie-Diq, Seaside (Minuit 19881992) – sont traversés par les thèmes du deuil, de l’héritage, de la malédiction et du naufrage. Leurs héroïnes sont d’incroyables résistantes, mais échouent toujours dans leurs combats, écrasées par la violence des forces, intérieures ou extérieures, auxquelles elles s’opposent. « Lorsque j’ai intitulé mon roman suivant Nevermore [POL, 1994], explique-telle, c’était pour marquer le renouvellement à venir. Je ne voulais plus écrire ces « Je pensais que j’étais morte comme écrivain. Et puis, l’année dernière, cette femme a surgi, le livre a jailli. Ça a été comme un sursaut » j’étais morte comme écrivain. Et puis, l’année dernière, cette femme a surgi, le livre a jailli. Ça a été comme un sursaut. Je crois qu’inconsciemment j’ai compris, à ce moment-là de ma vie, que si je ne m’armais pas symboliquement, je n’allais jamais sortir du trou où j’étais. » Publiée aux éditions POL et aux Editions de Minuit, Marie Redonnet a vite Se défaire de ses entraves D’UNE SIMPLICITÉ trompeuse, le nouveau roman de Marie Redonnet pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses. La marche de Lora Sander, qui fuit l’Azirie où la dictature vient de prendre le pouvoir, est rythmée par des scènes de violence sexuelle marquant les étapes de son voyage initiatique. Prédateurs Armée d’un colt 45 légué par son père, elle entend bien tenir à distance ceux qu’elle ne perçoit que comme des prédateurs. En vain, puisqu’elle se fait bientôt violer par un homme croisé sur la route, qui retourne l’arme contre elle. De ce viol, au cours duquel la victime se surprend à éprouver du plaisir, surgit une prise de conscience : Lora se découvre aliénée par des fantasmes dont elle ignorait tout, et ex- plore différentes solutions pour s’en libérer. Marquée par la lecture de Jean Genet (1910-1986), grâce auquel elle a compris que « l’opprimé est aliéné à l’intérieur de son imaginaire, et que dans ses fantasmes sexuels se rejoue l’aliénation », Marie Redonnet fait du parcours de Lora l’allégorie de toutes les luttes de libération : pour réussir, elles ne peuvent, selon elle, être seulement politiques, mais doivent avoir lieu « à l’intérieur de soi ». Et c’est dans l’espace sensible de la littérature, au creux d’une voix choisissant volontairement le mode mineur, que l’écrivaine explore les chemins tortueux qu’il faut parfois emprunter pour se réinventer. p fl. b. la femme au colt 45, de Marie Redonnet, Le Tripode, 128 p., 15 €. histoires-là. J’avais l’impression que, si je continuais, j’allais moi aussi être détruite. Mais entre l’idée et la réalisation… » Sans savoir où cela la mènerait littérairement, Marie Redonnet décide de commencer par « changer de vie » pour « modifier les rapports de forces ». Dans le désordre, l’écrivaine raconte son départ de l’éducation nationale, l’adoption, en 1998, d’un enfant palestinien d’un orphelinat de Bethléem et la découverte de la maternité, sa thèse sur Jean Genet, sa vie au Maroc entre 2000 et 2015, où elle travaille quelque temps comme attachée culturelle, ses deux années dans une université américaine… Et la publication de Diego, en 2005, l’histoire d’un personnage qui quitte son pays pour la France, rencontre de nombreuses difficultés, sans pour autant être détruit par ces épreuves. « Mais Diego n’a eu aucun écho dans la presse, se souvient-elle. Il n’a pas du tout été reçu. Ça a été un choc immense, j’en ai été profondément blessée. J’ai eu l’impression d’avoir réussi à changer ma vie, mais d’avoir en même temps perdu mon identité d’écrivain. » Elle s’éloigne des Editions de Minuit, dont le directeur, Jérôme Lindon, était mort en 2001. Encore émue en évoquant cette période où elle pensait ne plus avoir « rien à écrire » et devoir faire le deuil de sa vie de romancière comme de sa famille éditoriale, Marie Redonnet retrouve toute son énergie lorsqu’elle parle de celui qui l’a « vachement aidée » en devenant son nouvel interlocuteur, prenant le relais de ce « père en écriture » qu’avait été Lindon. « J’ai reçu un jour un très long mail de Frédéric Martin, raconte-t-elle, me disant qu’il avait lu mes livres pendant ses études. Qu’il travaillait maintenant dans l’édition, chez Viviane Hamy, et qu’il aimerait qu’un jour nous puissions travailler ensemble. » Pendant dix ans, alors qu’elle est au Maroc, isolée du milieu littéraire, Marie Redonnet entretient avec lui une longue correspondance. De son côté, le jeune homme fonde, en 2009, les éditions Attila avec Benoît Virot, puis crée seul Le Tripode en 2013. « Durant toutes ces années, je lui ai envoyé des textes peu convaincants, dit-elle, à peu près tous les six mois. Il me lisait et m’encourageait, m’expliquant pourquoi c’était inabouti, mais pourquoi c’était un chemin vers quelque Extrait « - Si je tire sur lui, avec toute cette brume, je n’ai aucune chance de l’atteindre. Une belle ordure qui ne mérite pas de continuer à vivre ! Mais ce serait gaspiller une de mes précieuses balles. Il y a des milliers d’ordures comme lui sur la Terre et bien d’autres plus horribles encore. Le tuer, à quoi ça servirait, sinon à me soulager à l’instant où je l’abattrais ! Ma colère et mon dégoût reviendraient, plus forts d’avoir commis un crime inutile. De nombreux passeurs font la même sale besogne que lui tout le long du fleuve. Il faut que je me serve de mon colt avec intelligence et en pleine conscience de mon acte. Je n’ai pas beaucoup de balles. Elle s’assoit. Elle range son colt dans son sac. » la femme au colt 45, pages 17-18 chose. Et puis, au terme de ce long voyage à l’intérieur de moi et de ce précieux échange épistolaire, j’ai eu l’idée de ce personnage de comédienne qui doit quitter son pays et réinventer sa vie. » Le retour de Marie Redonnet se fait donc sans hésitation dans la maison récemment fondée par le jeune et patient éditeur. S’il ne fallait citer qu’une phrase de La Femme au colt 45, pour pointer les similitudes entre le parcours initiatique de Lora Sander et l’aventure aussi bien intérieure que littéraire vécue, loin de France, par Marie Redonnet, ce serait, nous faitelle remarquer, l’une des premières répliques de l’héroïne. « Lora, la cinquantaine, allure excentrique, (…) emmitouflée dans un manteau de fourrure synthétique » s’arrête « au bord de la falaise » et se dit à elle-même : « Je ne suis pas partie pour me perdre, mais pour me sauver. » En écoutant Marie Redonnet, on en est persuadé. Et en la lisant, on en est assuré. Car se sauver, pour une écrivaine comme elle, c’est avant tout retrouver sa voix. « Quand la voix n’arrive plus à se faire entendre, affirme-t-elle, on ne peut plus écrire. Ma voix d’écriture est d’apparence très simple, avec peu de mots. Mais c’est elle qui me porte. » Citant Gilles Deleuze, qu’elle a beaucoup lu durant son séjour au Maroc, Marie Redonnet revendique son appartenance à ce que le philosophe nomme, lorsqu’il commente Kafka, une écriture « mineure ». « Cette voix métamorphose les choses qu’elle vit, préciset-elle, mais elle-même ne change pas. » C’est grâce au théâtre, et à la théâtralité, qu’elle a su trouver la force et le moyen de se faire entendre de nouveau. Quand on lui dit la connaître surtout comme romancière, Marie Redonnet rétablit d’ailleurs avec vigueur la chronologie des faits. Elle a commencé à publier, chez POL, de la poésie, rappelle-t-elle. En allant ensuite chez Minuit, elle savait qu’elle pourrait « aussi y donner son théâtre ». C’est une dimension centrale de son travail. On comprend mieux le choix qu’elle fait, dans La Femme au colt 45, de camper le décor comme on écrirait des didascalies : « Au loin on entend des bruits assourdis de tirs de roquette, écrit-elle au début du roman. Lora (…) porte un bonnet et des gants de laine de couleurs vives. » « L’idée du théâtre m’a aidée à écrire un roman comme une pièce, explique-t-elle. Les didascalies m’ont sans doute permis d’esquiver la question des descriptions, ce qui est idéal pour quelqu’un comme moi qui travaille sur la voix. » Et le colt, dans tout ça ? Marie Redonnet semble encore étonnée de sa propre audace : « Vous vous rendez compte, insiste-t-elle, cette femme, elle a un colt ! Mes héroïnes n’avaient jamais eu d’armes en mains ! » Rien de simple, pourtant avec ce symbole. Si le colt, légué à l’héroïne par son père, lui permet bien de se défendre contre ceux qui voudraient faire d’elle une proie, il suscite également, comme elle finit par le comprendre, l’agressivité et la violence. Il faut donc s’en séparer, ou l’utiliser autrement. Créer, plutôt que détruire, parler plutôt que ressasser : Marie Redonnet a su renoncer à la lutte armée sans se laisser abattre. Elle a remis son colt dans son étui et soufflé dessus, comme Lucky Luke, avec la satisfaction du travail accompli. p
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